Chiara Ferragni et le Pandoro Gate : Quand l’influence se heurte à la transparence

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L’image de Chiara Ferragni semblait inébranlable. Suivie par plus de 30 millions de personnes sur Instagram, omniprésente dans les médias, partenaire de marques prestigieuses, l’influenceuse italienne avait réussi à transformer sa notoriété en un empire commercial solide. Mais en décembre 2023, c’est une simple brioche de Noël qui a tout fait basculer. Vendu sous couvert d’une action caritative, le pandoro co-signé avec la marque Balocco affichait un prix gonflé… sans que les bénéfices ne soient réellement reversés à la cause annoncée. L’affaire, vite rebaptisée Pandoro Gate, a pris une ampleur nationale puis internationale.

Ce scandale a lancé un débat bien plus large : jusqu’où peut-on faire confiance aux influenceurs ? Et surtout, les marques ont-elles intérêt à s’associer à des personnalités aussi exposées, dont la réputation peut basculer du jour au lendemain ? Dans un univers où l’authenticité fait vendre, la frontière entre sincérité et mise en scène devient de plus en plus floue.

Chiara Ferragni : l’ascension d’une reine de l’influence

Avant de se retrouver au cœur d’un scandale retentissant, Chiara Ferragni représentait l’archétype de l’influenceuse à succès. À la fois entrepreneuse, figure de mode et personnage public, elle avait réussi à construire en une dizaine d’années un empire où tout — sa vie privée, ses convictions, ses partenariats — formait un récit cohérent. Elle ne se contentait pas d’être visible : elle incarnait une stratégie marketing à elle seule.

Tout commence en 2009, avec le lancement de The Blonde Salad, un blog à mi-chemin entre carnet personnel et vitrine fashion. Les réseaux sociaux n’en sont encore qu’à leurs débuts, mais Ferragni en saisit très vite le potentiel. Très vite, elle passe du statut de blogueuse mode à celui de figure incontournable de l’influence numérique. Instagram devient sa plateforme de prédilection. Elle y expose ses looks, ses voyages, ses collaborations, mais aussi sa vie de couple et de mère. L’ensemble est soigné, scénarisé, mais donne le sentiment de transparence. Ce mélange entre contenu inspirant et dimension personnelle séduit une audience massive : plus de 30 millions d’abonnés, une communauté fidèle et engagée.

Ferragni comprend également qu’elle peut aller plus loin. Elle crée sa propre marque de vêtements et d’accessoires, puis fonde TBS Crew, sa société de production de contenu. Son modèle repose sur un principe simple : faire de sa vie un espace commercial intégré, où chaque publication peut devenir un vecteur publicitaire, sans que cela ne paraisse forcé.

Ce positionnement fait d’elle un atout stratégique pour les marques. Là où une campagne traditionnelle cherche à imposer un message, Ferragni l’intègre dans son univers. De Dior à Nespresso en passant par Lancôme et Tod’s, les marques voient en elle une extension de leur identité, capable de toucher un public jeune et connecté. Au fil des années, son influence dépasse la mode. En pleine crise du Covid-19, elle relaie les appels à la vaccination et lève des fonds pour les hôpitaux de Milan. En 2021, elle est même nommée au conseil d’administration de Tod’s, preuve de sa reconnaissance dans le monde économique. Elle est reçue au palais présidentiel par Sergio Mattarella. Ferragni devient alors une figure publique à part entière, autant médiatique qu’institutionnelle.

Jusqu’alors, tout semble parfaitement maîtrisé. Elle a su dépasser le cadre des réseaux sociaux, tout en conservant un lien fort avec sa communauté. Mais c’est justement cette exposition permanente qui rend le système fragile. Lorsqu’une crise survient, ce n’est pas un produit qui est en cause : c’est l’ensemble de l’image publique qui vacille. Et dans le cas du Pandoro Gate, le contraste entre le message de sincérité affiché et la réalité perçue a brisé ce fragile équilibre.

Le Pandoro Gate : une opération marketing qui tourne à la crise réputationnelle

En décembre 2023, Chiara Ferragni se retrouve au centre d’un scandale qui va profondément entacher son image. En cause : une opération marketing autour d’un pandoro, une brioche traditionnelle italienne, lancée en partenariat avec la marque Balocco. Le produit, appelé le Pink Christmas Pandoro est vendu à 9 euros, soit plus du double du prix original, avec une communication indiquant qu’une partie des bénéfices serait reversée à l’hôpital pédiatrique Regina Margherita de Turin.

Mais l’enquête menée par l’Autorité italienne de la concurrence (AGCM) révèle un décalage majeur entre le message diffusé et la réalité de l’opération. En réalité, Balocco avait effectué un don unique de 50 000 euros à l’hôpital, plusieurs mois avant le début de la campagne. Aucun pourcentage des ventes du produit n’était destiné à l’établissement de santé. Pourtant, cette campagne a rapporté plus d’un million d’euros aux entreprises de l’influenceuse.

Le 16 décembre, l’AGCM condamne respectivement l’influenceuse et l’entreprise Balocco à une amende d’un million d’euros et de 400 000 euros pour pratique commerciale trompeuse. La polémique prend rapidement de l’ampleur. Le gouvernement italien, par la voix de Giorgia Meloni, la première ministre, critique publiquement la campagne. Dans un contexte de défiance croissante envers les influenceurs, l’affaire devient un sujet national, repris par les principaux médias.

Ferragni publie alors une vidéo d’excuses, évoquant une erreur de communication, et annonce un don personnel d’un million d’euros à l’hôpital concerné. Mais cette tentative de reprise en main ne suffit pas à apaiser les critiques. L’affaire met en lumière les limites d’un modèle reposant fortement sur la réputation personnelle de l’influenceuse. En associant son image à une opération caritative, Ferragni engageait directement la relation de confiance qu’elle entretient avec son public. La perception d’une instrumentalisation de la solidarité à des fins commerciales a provoqué une rupture symbolique.

Au-delà de l’aspect juridique, les conséquences économiques sont également visibles. L’influenceuse perd plus de 300 000 abonnés sur Instagram en quelques jours, et plusieurs  partenaires commerciaux suspendent leur collaboration. En mars 2024, Ferragni est écartée du conseil d’administration de Tod’s, qu’elle avait intégré en 2021 pour aider à moderniser l’image de la marque. Quelques semaines plus tard, sa société TBS Crew annonce une augmentation de capital de 6,4 millions d’euros, traduisant un besoin urgent de redresser sa structure financière.

Les influenceurs sont-ils encore un atout pour les marques ?

L’affaire Ferragni n’a pas seulement terni l’image d’une influenceuse. Elle a mis en lumière les fragilités d’un modèle qui, depuis une dizaine d’années, s’est imposé comme un levier central dans les stratégies de communication des marques. Le marketing d’influence repose sur un principe simple : créer un lien de confiance entre une personnalité et son public, pour rendre un message commercial plus crédible. Mais ce lien, qui a longtemps été vu comme une force, devient aujourd’hui une zone de risque.

Dans le cas de Chiara Ferragni, ce n’est pas tant le produit qui a posé problème, ni même les profits générés. C’est la manière dont une opération commerciale a été habillée d’un discours solidaire, en laissant entendre qu’une partie des ventes serait reversée à un hôpital. Le public a perçu un écart entre les promesses et la réalité. Et dans un univers où tout repose sur la sincérité perçue, cette dissonance a suffi à briser la confiance.

En France, la loi adoptée en juin 2023 encadre plus strictement les pratiques des influenceurs : obligation d’indiquer les partenariats commerciaux, interdiction de certaines publicités trompeuses, sanctions en cas de manquement. Mais cette régulation, aussi nécessaire soit-elle, ne suffit pas à restaurer la confiance du public.

Cette crise intervient dans un contexte plus large. Bien que les macro-influenceurs, très exposés, génèrent souvent beaucoup de visibilité, provoquent en réalité peu d’adhésion réelle. À l’inverse, d’après une étude de Hubspot en 2023, les micro-influenceurs, suivis par des communautés plus restreintes mais plus ciblées, génèrent jusqu’à 60% plus d’engagement que leurs homologues qui ont une audience plus large. Pour autant, l’influence reste un levier puissant. En 2025, une étude du Global Banking & Finance Review indique que 69 % des consommateurs disent faire confiance aux recommandations de produits partagées par des influenceurs sur les réseaux sociaux. Le modèle évolue, mais il reste largement pertinent.

Désormais, pour les marques, le critère de l’audience ne peut plus être le seul. Il faut aussi prendre en compte la stabilité de l’image publique de l’influenceur, son historique en matière d’engagements ou de controverses, la cohérence entre ses prises de parole, mais surtout, la perception réelle de sa sincérité auprès de son audience. Ce travail de sélection — parfois négligé — devient essentiel pour limiter les risques de dissonance. C’est ce qu’on appelle de plus en plus la due diligence de réputation, un processus d’évaluation qualitative du profil d’un influenceur avant tout partenariat.

En parallèle, on observe un recentrage sur des collaborations plus longues et plus cohérentes, presque assimilables à du co-branding. L’idée n’est plus de multiplier les opérations ponctuelles, mais de construire un récit commun dans la durée, avec des influenceurs qui partagent réellement les valeurs de la marque.

En bref, le Pandoro Gate ne remet pas en cause l’efficacité du marketing d’influence. Il rappelle en revanche qu’il ne peut plus se résumer à une question de visibilité ou de chiffres.

Dans un paysage où les frontières entre communication, engagement et storytelling deviennent de plus en plus floues, cette affaire pose une question essentielle : les influenceurs doivent-ils rester de simples vitrines commerciales, ou devenir de véritables partenaires de confiance, garants du message qu’ils transmettent ?

Insaf HEBBAR

Références :

Milos Schmidt, Chiara Ferragni : Quelle est l’influence des influenceurs sur les décisions des consommateurs ?, Dec 22, 2023

Victoria Beurnez, « Pandoro gate »: que reproche la justice italienne à l’influenceuse Chiara Ferragni?, Jan 09, 2024

Clémence Mart, « Pandoro Gate » : L’influenceuse italienne Chiara Ferragni au cœur d’un scandale national à cause de brioches de Noël, Jan 09, 2024

Bettina Bush Mignanego, Les difficultés s’accumulent pour l’influenceuse Chiara Ferragni, Jan 09, 2024

Filippo Gozzo, Italy’s top influencer Chiara Ferragni to stand trial for aggravated fraud over ‘Pandoro gate’, Jan 29, 2025

Allan Kaval, Aureliano Tonet, Chiara Ferragni, splendeur et misère d’une influenceuse, Mar 15, 2024

Alexandre Dos Santos, Influence à la performance :  le bouclier indispensable face à une économie en crise, Dec 04, 2024

Le foyer comme vitrine : marketing, intimité et pression du “tout partager” sur les réseaux sociaux.

Sur les réseaux sociaux, la vie de famille devient contenu. Maternité, cuisine, disputes et confidences sont exposées pour capter l’attention, gagner la confiance… et monétiser l’intime. Derrière l’authenticité affichée, un business rodé s’installe.

Une révolution silencieuse au cœur du foyer

Autrefois invisible, le quotidien domestique fait désormais spectacle. Sur les réseaux sociaux, des centaines d’influenceuses transforment leur vie de famille en feuilleton, leur cuisine en plateau de tournage, leur couple en stratégie de contenu. Le foyer est devenu un lieu d’influence, une vitrine permanente où se jouent des récits de maternité, de féminité, d’amour et de consommation.

Figure emblématique de ce phénomène, Poupette Kenza a été la leader incontestée de ce mouvement. À seulement 24 ans, elle a rassemblé une audience colossale sur Snapchat, Instagram et TikTok, en partageant chaque recoin de sa vie privée. Jusqu’à l’arrêt brutal de son activité après plusieurs scandales, elle a incarné l’extrême de cette logique d’exposition totale. Elle laisse derrière elle un nouveau phénomène, fascinant mais profondément inquiétant.

À travers cette exposition massive de leur vie domestique, ces femmes influentes redéfinissent les frontières de l’intime. Mais que révèle vraiment cette mise en scène continue ? Et à quel point brouille-t-elle les limites entre ce que l’on vit et ce que l’on vend ?

L’influenceuse Poupette Kenza, de son vrai nom Kenza Benchrif :


Le quotidien mis en vitrine : la stratégie de l’exposition continue

Filmer son réveil, ses enfants à table, ses disputes conjugales ou l’état de son évier n’a plus rien d’exceptionnel : c’est devenu un langage, une narration, une présence. Dans ce nouvel ordre médiatique, l’intime n’est plus dissimulé, il est déployé. Certaines influenceuses partagent leur quotidien avec une intensité quasi obsessionnelle, jusqu’à publier 200 stories par jour, découpant leur vie en séquences digestes, calibrées pour capter l’attention. C’est notamment le cas de Poupette Kenza, qui illustrait jusqu’à l’absurde cette logique de saturation narrative.

Derrière le naturel affiché se cache une mise en scène pensée : les contre-plongées sur les cernes, le désordre en arrière-plan, les « mauvaises mines » brandies comme gage de sincérité. Cette illusion de spontanéité est l’arme la plus puissante de la narration numérique. Tout paraît brut, et c’est précisément cela qui vend. Dans une économie de l’attention saturée, c’est la vulnérabilité apparente qui fidélise. Kenza, en diffusant ses moments les plus privés — comme sa rupture ou même une crise d’épilepsie de son mari qu’elle filme au lieu d’appeler les secours — poussait cette logique jusqu’à ses limites les plus problématiques.

Les pseudonymes eux-mêmes s’enracinent dans ce registre du foyer : Dania2g parlait si souvent de son mari que son pseudonyme est devenu « Dania Mon Mari.  SirineJne, elle, fait référence à son mari comme Batman et devient « Sirine Batman », avant de devenir « Sirine Maman » à l’annonce de sa grossesse. Comme si l’identité se recomposait autour des rôles domestiques. Le storytelling personnel devient un outil de branding, le foyer un levier de conversion émotionnelle. 

L’intime monétisé : stratégies commerciales et illusions d’authenticité

Ce théâtre de l’intime n’a rien d’anodin. Il répond à une logique marchande claire : capter l’attention pour la convertir en consommation. Plus l’influenceuse paraît proche, vraie, humaine, plus son pouvoir de recommandation s’intensifie. C’est une économie fondée sur la confiance affective. On n’achète pas un produit, on valide un lien. Et ce lien est la clé de leur modèle économique.

Les partenariats commerciaux ne sont pas des compléments, ce sont leur principale source de revenus. Les influenceuses vendent des emplacements dans leur vie, des instants d’attention, des tranches de confiance. Lorsqu’une mère de famille recommande une table à langer ou un shampoing pour bébé, elle ne vend pas un objet : elle vend l’image d’une femme crédible, rassurante, à qui l’on peut s’identifier. C’est ce transfert de confiance qui transforme leur quotidien en valeur marchande.

Les placements de produits s’insèrent ainsi dans le fil de la vie quotidienne, dans un décor crédible, un rythme familier. Mais sous cette douceur apparente, les dérives sont nombreuses. Poupette Kenza, par exemple, a été condamnée à 50 000 euros d’amende pour avoir promu des produits interdits à la vente en France (bandes de blanchiment dentaire) en les présentant comme des recommandations sincères et spontanées alors qu’il s’agissait d’un partenariat rémunéré. Elle a également prétendu lancer sa propre marque d’autobronzants alors qu’il ne s’agissait que de dropshipping maquillé, en vendant à prix fort des produits génériques simplement réétiquetés.

Le foyer devient alors un espace de storytelling commercial : chaque moment est une opportunité de placement. L’enfant devient figurant, la dispute devient climax, la maternité devient ligne éditoriale. Et plus la frontière entre vie vécue et vie médiatisée s’efface, plus la logique du marketing se fait invisible. Kenza, encore, intégrait régulièrement ses enfants dans ses publications, y compris dans des contextes où leur exposition était jugée dangereuse.

Certaines ex-vedettes de téléréalité se reconvertissent dans ce registre pour fuir l’oubli. Passées de la provocation en maillot de bain à l’image apaisée de la mère responsable, elles opèrent une mue stratégique. Ce repositionnement familial n’est pas une reconversion personnelle : c’est une relance algorithmique. Kenza, révélée à la base par ses clashs et sa spontanéité brute, avait progressivement glissé vers un contenu centré sur le foyer, la parentalité et l’entrepreneuriat féminin — sans jamais renoncer au spectaculaire.

Les dérives psychologiques et sociales d’une économie de soi

Mais cette économie de l’intime a un prix. Pour celles qui s’y prêtaient, la performance devenait permanente. Il ne s’agissait plus seulement de vivre : il fallait raconter, cadrer, anticiper ce qui serait filmable. Cette double existence — celle qu’on vit et celle qu’on donne à voir — installe une tension constante. Elle altère la perception de soi, rendant la validation numérique indispensable à l’estime personnelle.

Pour les enfants, les dangers sont plus graves encore. Filmés dans des moments vulnérables, exposés parfois sans leur consentement, ils deviennent malgré eux des personnages. Certains contenus sont repris, détournés, circulent sur des réseaux obscurs. Dans le cas de Kenza, plusieurs vidéos de sa fille ont été diffusées sans filtre, jusqu’à être détournées et retrouvées sur des plateformes pédopornographiques, menant à une enquête judiciaire et au retrait temporaire de la garde de ses enfants.

Quant au public, il n’est pas passif. Il commente, il soutient, il juge, il s’identifie. Cette illusion d’intimité crée une emprise affective forte. Certaines fans construisent des relations parasociales si intenses qu’elles perdent de vue la distance nécessaire : elles défendent, imitent, vivent à travers l’autre. Poupette Kenza a vu sa disparition temporaire des réseaux provoquer une telle angoisse chez certaines de ses fans que certaines ont arrêté d’aller travailler, incapables de rompre ce lien affectif unilatéral.

Sociologiquement, ce modèle réactive des normes genrées. Il valorise la femme douce, présente, soignée, centrée sur son foyer, maîtrisant ménage, beauté, parentalité et marketing. Ce retour au foyer, en apparence moderne, est souvent conservateur dans ses implications. Il enferme, plus qu’il ne libère. L’idéal mis en avant est celui d’une mère omniprésente, d’une épouse dévouée, mais aussi d’une entrepreneuse performante : un cumul de rôles irréalistes, qui creuse les écarts entre vie rêvée et réalité vécue.

D’un point de vue psychologique, le phénomène accentue une forme d’hyper-visibilité émotionnelle. Les influenceuses partagent leurs joies, leurs peines, leurs crises, leurs colères en temps réel, au risque d’une exposition mentale continue. La frontière entre spontanéité et dépendance affective devient floue. La plateforme devient un miroir grossissant où chaque émotion est monétisée, chaque moment intime mis en tension avec le regard de milliers d’inconnus.

Déconstruire la mise en scène du quotidien

Ce que révèle ce phénomène, au fond, c’est une nouvelle forme de capitalisme émotionnel. Le foyer devient un espace de production, l’intimité devient un outil d’influence, et la sincérité est calibrée en fonction de son potentiel viral. Ce ne sont plus seulement des produits qu’on vend : ce sont des modes de vie, des affects, des projections.

Pour les créatrices de contenu, cela exige une vigilance constante. Pour les spectateurs, cela appelle un regard critique. Et pour la société, cela pose la question de ce que nous valorisons : la transparence ou la performance ? L’émotion sincère ou sa simulation rentable ? Kenza cristallise cette tension : à force de tout exposer, elle incarne les excès, les succès, mais aussi les dangers de cette mise en scène permanente.

Partager n’est pas un problème. Ce qui l’est, c’est de ne plus savoir pour qui l’on partage, ni à quel prix. Il est temps de redéfinir les contours de l’intimité, non comme un produit de consommation, mais comme un espace de respiration, de construction, de dignité.

Zohra Farhati

Les Influenceurs Masculinistes et la Radicalisation en Ligne : Quand YouTube et les Réseaux Façonnent le Débat Public 

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Plus personne n’en doute : l’essor des réseaux sociaux a bouleversé notre manière de nous informer, de débattre, et, pour certains, a même ouvert la voie à des formes insidieuses de radicalisation. YouTube, Instagram, X, TikTok… Ces plateformes sont devenues bien plus que de simples lieux de divertissement : elles sont aujourd’hui des espaces où se fabriquent de nouvelles formes d’engagement politique.  Dans ce terreau, la figure de l’influenceur politique a peu à peu émergé, jusqu’à s’imposer comme un acteur central du débat public.

Mais que se passe-t-il quand des discours extrêmes – antiféministes, racistes, homophobes ou encore masculinistes – s’y propagent librement, drapés dans un discours prétendument “authentique” ou “engagé” ? Dans ce brouhaha idéologique, un phénomène en particulier attire l’attention et inquiète : celui des communautés dites « Incels » (involuntary celibates), nées de la frustration intime de certains hommes face au rejet amoureux. En ligne, ces dernières ont progressivement glissé vers un rejet systématique des femmes, du féminisme, et plus largement des valeurs progressistes. Elles se sont peu à peu transformées en de véritables foyers de propos haineux et profondément réactionnaires.

Dans le prolongement de cette dérive, une question s’impose : comment une détresse affective individuelle peut-elle devenir le socle d’un projet idéologique collectif ? Certains influenceurs ou influenceuses, parfois sans même revendiquer explicitement leur proximité avec ces sphères, reprennent et véhiculent ces narratifs, leurs codes et leurs obsessions. Ils exaltent la virilité, minimisent ou rejettent frontalement le féminisme, et valorisent l’idée d’une soumission féminine. Autant de points de contact entre ces communautés souterraines et certaines figures du web politique, qui n’hésitent pas à s’approprier ces récits pour mieux les propulser dans l’espace public.

Mais comment ces logiques, à la fois provocatrices et séduisantes, circulent-elles si facilement ? Et surtout, comment parviennent-elles à captiver, à séduire, voire à convaincre ?

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La naissance d’un phénomène : quand la frustration devient une arme politique

À l’origine, le terme « Incel » naît dans les années 1990 sous l’impulsion d’une étudiante canadienne, anonyme, dissimulée derrière le pseudonyme d’“Alana”. Elle souhaitait créer un espace d’écoute pour toutes les personnes — hommes comme femmes — confrontées à la solitude affective. Une sorte de refuge numérique, pensé comme une “safe place” dans un Internet déjà envahi par la mise en scène de soi et la comparaison permanente. Loin, très loin, des discours actuels, ce petit espace se voulait inclusif, ouvert, et non genré.

Mais avec la montée en puissance de forums comme Reddit, 4chan ou plus récemment Discord, le terme change de mains — et de ton. Ces plateformes, par leur structure même, deviennent des catalyseurs puissants de radicalisation. Anonymat absolu, absence de modération, langage codé et culture du mème : tout y favorise le dérapage collectif, l’escalade verbale, l’effet de meute. Très vite, ce qui relevait de la confession intime se transforme en rhétorique de guerre. Les propos se durcissent. Le féminisme devient l’ennemie à abattre. Et avec lui, toute femme jugée “trop libre”, “trop visible”, “trop exigeante”.

Chez leurs détracteurs, le langage lui-même devient un instrument de domination symbolique. Tout y est codé, hiérarchisé, chargé de rancœur. On parle de “females” plutôt que de “women”, on théorise le “looksmaxing” — optimisation du physique perçue comme clé d’accès à la reconnaissance sociale —, on invoque la “black pill”, cette vision fataliste selon laquelle les hommes laids sont condamnés à ne jamais être aimés. Et la “friendzone” ? Érigée en injustice systémique, elle résume à elle seule le sentiment d’exclusion que ces discours cultivent. Dans cette nouvelle grammaire du ressentiment, les femmes sont perçues comme responsables de la souffrance masculine, accusées de privilégier les « Chads » — ces hommes alpha, dominants, au physique avantageux — elles relègueraient les “beta males” dans l’invisibilité sociale et sexuelle.

Dans les fils de discussion, les premières attaques contre les femmes se multiplient. Certaines sont accusées de “jouer avec les sentiments des gentils garçons”, d’autres « d’accumuler les relations toxiques, puis de pleurer sur leur sort à trente ans”1. Les forums deviennent des tribunaux numériques où la femme occidentale est jugée, moquée, réduite à une caricature. Derrière l’humour grinçant et les ”private jokes”, c’est une colère sourde qui gronde : celle d’hommes qui se vivent comme évincés, humiliés, oubliés par une société qui valoriserait, selon eux, l’apparence, la domination et l’hypersexualité.

Cette logique de victimisation s’est rapidement transformée en colère idéologique et a vite donné lieu à l’émergence de figures sacrificielles. En 2014, Elliot Rodger, jeune homme de 22 ans, tue six personnes et en blesse treize autres en Californie avant de se donner la mort. Dans son manifeste, il se présente comme un “gentleman” trahi par les femmes, et légitime son passage à l’acte comme une vengeance. Depuis, il est devenu une figure quasi-sacrée pour une frange radicale du mouvement, qui le surnomme “Saint Elliot”.

Alors, comment expliquer qu’une communauté née du désespoir glisse aujourd’hui vers une idéologie misogyne ? Pourquoi ces figures violentes deviennent-elles des modèles à suivre ? Faut-il voir dans cette dérive une simple provocation ou l’expression d’un malaise bien plus profond dans nos sociétés ? 

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YouTube et la fabrique algorithmique de la haine

En réalité, l’adhésion à ces idéologies n’a rien d’accidentel : les plateformes les favorisent. Conçus pour maximiser l’engagement, leurs algorithmes privilégient les contenus clivants, polémiques, émotionnellement chargés. Les réseaux sociaux comme X assurent une viralisation éclair de ces messages, particulièrement auprès des plus jeunes et donc – des plus influençables. Sur TikTok, les formats courts, rythmés, manichéens, séduisent par leur apparente simplicité. Quelques mots, une punchline, une image choc : c’est suffisant pour installer une vision du monde binaire, où le féminisme est vu comme une menace et la masculinité comme une valeur à réhabiliter.

Mais c’est sur YouTube que l’enracinement idéologique opère le plus profondément. En quelques clics, un utilisateur peut passer de vidéos anodines à des contenus de plus en plus radicaux. L’algorithme, loin de ralentir cette dérive, l’encourage : plus une vidéo provoque, plus elle est visible. C’est dans ce contexte que prolifèrent les « commentary channels », des chaînes spécialisées dans l’analyse critique de contenus ou de comportements, souvent sous un angle culturel ou sociétal. Ces créateurs adoptent un ton faussement “posé” ou “rationnel”, s’expriment en connaissant parfaitement les limites du légal, et évitent ainsi toute sanction directe. Sous couvert de réflexions “neutres” ou de “liberté d’opinion”, ils s’autorisent des attaques ciblées, notamment envers des personnes anonymes — souvent des femmes — à qui ils vouent une obsession à peine dissimulée.

La plateforme, loin d’être un simple espace d’expression, agit comme une véritable chambre d’écho où se construit un imaginaire masculiniste globalisé. Des figures américaines comme Andrew Tate (millions de vues malgré de multiples bannissements) et Jordan Peterson (8,6 millions d’abonnés) y prospèrent. Tous deux diffusent, à des degrés divers, une idée commune : celle d’un homme dépossédé de son pouvoir, qu’il s’agirait de reconquérir. Mais plus inquiétant encore : ces contenus s’accompagnent régulièrement de cyberharcèlement ciblé — contre des militantes féministes, des influenceuses, des journalistes — sans réelle sanction. La haine y est donc non seulement visible, mais tolérée.

Dans cette constellation, une figure française tire son épingle du jeu : Thaïs d’Escuffon. Ancienne porte-parole de Génération Identitaire, elle s’impose aujourd’hui sur YouTube comme l’une des voix féminines les plus visibles d’un conservatisme décomplexé”.

Débat « Féministe vs Antiféministe » entre Thaïs d’Escufon et Mélissa Amnéris, publié sur la chaîne YouTube de Carla Ghebali le 3 janvier 2025.

Thaïs d’Escuffon, une vitrine féminine pour l’ordre patriarcal

Mais qui est-elle vraiment ? Ancienne porte-parole de Génération Identitaire — un mouvement dissous pour incitation à la haine — la jeune femme de 25 ans s’est imposée comme une figure montante de la sphère conservatrice française. À travers ses vidéos léchées et ses interventions médiatiques, elle défend une vision ultraconservatrice du monde, prônant le retour à un “ordre naturel” où les femmes retrouveraient leur rôle d’épouses et de mères. Par sa posture de “voix dissidente ”, elle s’oppose frontalement au féminisme, qu’elle accuse de détruire les repères traditionnels et évoque un prétendu “matriarcat” occidental responsable de la détresse masculine. Ce discours séduit, notamment les jeunes hommes en quête de repères, de clarté, et parfois… de domination.

Comment expliquer qu’une figure aussi clivante parvienne à fédérer une audience fidèle, parfois admirative ? Qu’a-t-elle de si singulier pour incarner, aux yeux de certains, un modèle à suivre ? C’est simple : elle incarne ce que les partis d’extrême droite tentent de construire depuis des années sur Internet. Une nouvelle génération de militantes, jeunes, urbaines, éduquées, qui parlent le langage des réseaux. En s’appuyant sur des profils comme le sien, l’extrême droite parvient à réenchanter son récit. Finis les discours poussiéreux d’anciens militants en costume-cravate. Place aux vlogs, aux shorts TikTok, aux slogans calibrés pour buzzer. L’image compte autant que le fond — et parfois plus.

Et surtout, ces partis ont compris une chose essentielle : quand les médias traditionnels suscitent de la méfiance, les influenceurs inspirent de la confiance. Ils créent du lien, de l’intimité, une impression de sincérité. Et cette proximité émotionnelle est un canal redoutablement efficace pour faire passer les idées les plus radicales — sans jamais en avoir l’air.

Invitée dans de nombreuses émissions en ligne, largement relayée sur les réseaux, elle fascine autant qu’elle dérange. On clique pour comprendre, pour juger, pour débattre. Mais c’est précisément là que réside le danger : notre curiosité fait tourner l’algorithme, et l’algorithme normalise. Ce qui, pour beaucoup, reste une simple provocation finit par devenir une opinion admise. Et pour les publics les plus vulnérables, les moins armés pour décoder ces discours, cette radicalité déguisée en bon sens devient une évidence.

​Image tirée de la série à succès « Adolescence », sortie le 13 mars 2025 sur Netflix, créée par Jack Thorne et Stephen Graham, et réalisée par Philip Barantini.

Une violence bien réelle pour une réponse encore timide

Ce glissement progressif de la provocation à la normalisation n’est pas sans conséquences. Car ces discours ne restent pas confinés à l’écran : ils façonnent les interactions, orientent les comportements et finissent par redéfinir les normes du débat.

Aujourd’hui, toute prise de parole perçue comme « anti-traditionnelle » s’expose à une remise en question systématique, voire à des campagnes de discrédit. L’objectif est souvent le même : rendre invisibles les discours contradictoires et favoriser un espace numérique où seules les idées réactionnaires circulent librement. Ces communautés fonctionnent comme des bulles fermées : plus on y adhère, plus leur vision du monde paraît dominante et plus il est difficile d’en sortir.

L’anonymat favorise cette dynamique, et les plateformes, elles, peinent encore à répondre efficacement. Cela entraîne, pour les publics les plus vulnérables, un risque accru de harcèlement qui peut conduire à des conséquences dramatiques.

Dans ce contexte, la responsabilité des grandes plateformes numériques (GAFAM) est de plus en plus questionnée. Cette responsabilité est d’autant plus problématique que certaines plateformes comme le X d’Elon Musk et le Facebook de Mark Zuckerberg revendiquent une liberté d’expression qui se traduit par une absence totale de modération; en témoigne leurs récentes prises de position au sujet des politiques de modération de leurs réseaux respectifs.

En réaction à cette atmosphère délétère, certaines œuvres participent à une prise de conscience. La mini-série britannique « Adolescence« , diffusée sur Netflix depuis mars 2025, illustre avec justesse les conséquences de la radicalisation numérique. Créée par Jack Thorne et Stephen Graham, elle interroge les effets néfastes des réseaux sur la jeunesse. Un signal fort : elle a été saluée par le Premier ministre Keir Starmer, qui a recommandé sa diffusion en milieu scolaire.

URTEBISE Jade. 

Sources :

Indications :

  • 1 Reformulations synthétiques inspirées des discours fréquemment observés sur les forums Incels. Ces expressions ne sont pas des citations directes, mais plutôt des représentations des sentiments et opinions couramment exprimés au sein de ces communautés.​

Le monde en vertical : entre démocratisation de la création et standardisation des contenus

Depuis l’irruption de TikTok dans le paysage numérique mondial, les vidéos courtes au format vertical (9:16) ont profondément remodelé les usages, les esthétiques et les récits sur les réseaux sociaux. Pensé nativement pour le smartphone, ce format a séduit par sa simplicité, sa rapidité de consommation et son potentiel viral, avant d’être adopté par l’ensemble des grandes plateformes.

Bien avant TikTok, Vine ou Musical.ly avaient déjà expérimenté la verticalité. Mais aujourd’hui, c’est une véritable normalisation du format vertical qui s’impose : Instagram a lancé ses Reels, YouTube ses Shorts, Facebook ses vidéos verticales autoplay. Ce glissement stratégique, centré sur la vidéo mobile, n’a pas toujours été bien accueilli. Instagram, notamment, a été critiqué dès 2022 pour avoir modifié son algorithme au détriment des contenus photo, et la controverse persiste en 2025 avec l’apparition du format vertical sur les grilles de profil, une rupture symbolique dans une plateforme historiquement attachée au carré.

Cependant, réduire cette évolution à une simple logique algorithmique ou de design serait insuffisant. Le format vertical transforme en profondeur la fabrique des images, impose une esthétique propre, et fait émerger de nouvelles formes narratives, souvent brèves, remixables, et standardisées. L’enjeu est alors d’interroger les conséquences de cette mutation : le format vertical facilite-t-il une plus grande créativité ou participe-t-il à son homogénéisation ?

Le smartphone comme studio : produire est à portée de main

Le fait que le format vertical se soit imposé comme standard sur l’ensemble des plateformes n’a rien d’un hasard. Si le format horizontal dominait historiquement l’univers audiovisuel, du cinéma à la télévision, c’est bien le vertical qui s’impose aujourd’hui comme le plus adapté à l’usage mobile. En effet, 94 % des utilisateurs tiennent leur téléphone à la verticale, et plus de 75 % du contenu vidéo est désormais consommé sur mobile.

Au-delà des usages de consommation, le smartphone a facilité une réappropriation massive de la création d’image. Aujourd’hui, toute personne possédant un smartphone peut filmer, monter, publier — en solo et en mobilité. Cette démocratisation technique a redéfini les codes de la production visuelle. Les cadrages sont désormais rapprochés, les plans face caméra et le contenu est pensé pour le scroll. L’image devient spontanée, personnelle, immédiate.

Unsplash

Une logique visuelle influencée par les plateformes

La logique du format vertical a aussi profondément affecté le champ publicitaire. Les marques s’alignent sur les codes des contenus “organiques”, produits par les utilisateurs, pour toucher une audience plus réceptive à l’authenticité qu’à la mise en scène. D’après une étude relayée par Embryo, les vidéos verticales augmentent le taux de mémorisation de la marque jusqu’à 90 %, contre 69 % pour les vidéos horizontales. C’est dans cette dynamique que certaines marques ont adapté leur stratégie sur les réseaux sociaux.

C’est le cas par exemple de la marque Jacquemus qui, en partenariat avec Apple, a enregistré et diffusé un défilé et une série de vidéos filmées exclusivement à l’iPhone, adoptant pleinement l’esthétique sociale. Si dans leur cas c’est surtout le format et la captation qui sont natifs aux réseaux sociaux, on peut voir de plus en plus de contenu publicitaire qui reprend les codes des réseaux et s’affranchit des logiques publicitaires traditionnelles.

https://www.tiktok.com/@jacquemus/video/7473178544428961046?lang=fr

En plus d’être plus engageant, ce type de contenu est aussi moins cher à produire, ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on parle de campagnes globales, particulièrement dans un monde où l’on n’a jamais produit autant d’images. D’après Buffer et Animoto, non seulement les contenus moins léchés et plus « DIY » coutent moins cher, mais performent mieux sur les réseaux.

Buffer

CapCut, Edits – quand l’outil devient stratégique

La diffusion du format vertical est indissociable du développement d’outils de montage accessibles. L’exemple de CapCut, édité par ByteDance (TikTok), est emblématique : avec plus de 200 millions d’utilisateurs actifs par mois, il offre une panoplie de filtres, transitions et effets préformatés pour accompagner la production rapide de vidéos engageantes. Grâce à ce genre d’outils, tout le monde peut devenir créateur de contenu. On a pu s’apercevoir de l’importance de ces derniers en début d’année, lors de l’interdiction temporaire de TikTok aux États-Unis. Propriété de ByteDance, l’application CapCut a également été interdite, révélant la dépendance de nombreux créateurs à cet outil, même en dehors de TikTok.

Dans ce contexte, Meta a annoncé le lancement d’Instagram Edits, une application intégrée de montage destinée à concurrencer CapCut. Il s’agit pour Instagram de retenir ses créateurs en leur fournissant des outils natifs, tout en maîtrisant davantage le cycle de création. Cette “guerre des outils” reflète l’importance stratégique de la fabrique des images dans ces économies contemporaines.

Une esthétique propre au format vertical

La généralisation du format vertical s’accompagne de nouvelles pratiques gestuelles et visuelles. Tournées à bout de bras, les vidéos ont un cadrage resserré et une nouvelle composition de l’image s’impose. Le regard direct à la caméra crée une proximité inédite avec le spectateur. Le montage sur mobile favorise des techniques spécifiques : jump cuts, transitions manuelles (main sur l’objectif, rotation, etc.), textes incrustés, musiques virales.

Ces éléments sont devenus des signes esthétiques largement reconnaissables. Ils permettent à chacun de produire des contenus au rendu homogène, rapidement identifiables et partageables dans un flux de vidéos quasi-ininterrompu.

La facilité technique favorise une temporalité de production accélérée. Filmer, monter, publier se fait dans une même séquence, souvent depuis un seul espace : le smartphone. Le contenu est pensé pour le scroll, pour un visionnage court, rapide, fluide. L’immédiateté remplace la planification, et le montage devient un geste quotidien plus qu’un processus éditorial.

Standardisation algorithmique et contraintes créatives

Si la création semble aujourd’hui à portée de main, elle s’inscrit aussi dans une logique algorithmique qui conditionne sa diffusion. Les plateformes favorisent les contenus qui retiennent l’attention ou génèrent des interactions. En effet, les vidéos verticales génèrent jusqu’à 2 à 3 fois plus d’engagement que les vidéos horizontales sur des plateformes comme Instagram (Buffer). Cela pousse les créateurs à reproduire les “recettes” gagnantes : même format, même rythme, mêmes musiques ou effets visuels.

Cette dynamique crée une forme d’homogénéisation des contenus : la viralité devient un enjeu de conformité. Les formats audiovisuels populaires sont reproduits en masse ; les variations sont souvent superficielles. Au-delà des trends temporaires, de nombreux formats ou concepts sont très rapidement exportés et reproduits dès qu’ils sont identifiés comme « efficaces ». Il en résulte un paradoxe : jamais la création n’a été aussi accessible, et pourtant les contenus tendent à se ressembler de plus en plus.

Une tension entre codes dominants et tentatives de singularisation

Cette tension entre standardisation et créativité est au cœur des débats contemporains sur les formats courts. D’un côté, les codes dominants assurent la visibilité. De l’autre, ils peuvent limiter l’inventivité. Certains créateurs choisissent de contourner ou de détourner ces normes. L’esthétique lo-fi, par exemple, propose une alternative visuelle plus brute, revendiquant une forme d’authenticité dans l’imperfection.

Des marques comme Burberry ont misé sur cette stratégie, en produisant des contenus volontairement décalés : image instable, narration sans effets, rendu minimaliste. D’autres expérimentent avec des formats plus lents, des effets inattendus, ou une narration plus fragmentée. Bien que pas forcément virales ou adoptées globalement, les campagnes innovantes et créatives qui détournent les codes des réseaux sociaux ressortent tout de même du lot, probablement parce qu’il est plus facile de se distinguer dans un flux homogène. Ces pratiques restent minoritaires, mais elles rappellent que l’espace créatif subsiste, même dans un environnement hautement normé.

Quel avenir pour la création verticale ?

Avec un tel rythme de production et une forte normalisation des formats, on peut légitimement s’interroger sur la manière dont l’intelligence artificielle contribuera à la pérennité de ce type de récit. À une époque où les agences de communication et de publicité promeuvent des stratégies fondées sur un flux continu de contenus, l’IA apparaît comme un allié incontournable pour soutenir un tel volume de production.

Reste à savoir si, entre les codes standardisés des réseaux sociaux et le fonctionnement de l’IA — largement basé sur l’imitation et la réutilisation de contenus existants —, il sera encore possible de produire des formes véritablement créatives et innovantes dans les années à venir, ou si l’on assistera à une forme de recyclage infini des mêmes formats, effets et récits.

Une chose est certaine : le format vertical n’est ni un simple support technique, ni un vecteur neutre. Il véhicule des logiques culturelles, économiques et esthétiques qu’il convient d’interroger dans leurs effets à long terme sur la création contemporaine.

Toma Jukic

Sources :

Bertrand, A. (2025, 11 février). Jacquemus x Apple : une campagne audacieuse qui révolutionne le luxe et la mode. TheMarketMag. https://themarketmag.com/jacquemus-x-apple-une-campagne-audacieuse-qui-revolutionne-le-luxe-et-la-mode/

Roch, A. (2024, 22 mars). Qu’est-ce que Edits, la nouvelle app d’Instagram clairement pensée pour concurrencer TikTok et CapCut ? Frandroid. https://www.frandroid.com/android/2476536_quest-ce-que-edits-la-nouvelle-app-dinstagram-clairement-pensee-pour-concurrencer-tiktok-et-capcut

Embryo. (2024). 30+ vertical video stats: Why your business needs to go vertical. https://embryo.com/blog/30-vertical-video-stats/

Hern, A. (2022, July 26). ‘Stop trying to be TikTok’: User backlash over Instagram changes. The Guardian. https://www.theguardian.com/technology/2022/jul/26/instagram-changes-user-backlash-trying-to-be-tiktok

Navarro-Güere, H. (2023). El vídeo en formato vertical. Una revisión de la literatura en comunicación. Revista Mediterránea de Comunicación, 14(1), 69–81. https://www.mediterranea-comunicacion.org/article/view/23028

Radio France. (2025, 24 janvier). Net plus ultra [Podcast]. France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/net-plus-ultra/net-plus-ultra-du-vendredi-24-janvier-2025-6897690

Zahran, A. (2023, October 3). The rise of vertical video and its impact on social media. Entrepreneur Middle East. https://www.entrepreneur.com/en-ae/growth-strategies/the-rise-of-vertical-video-and-its-impact-on-social-media/441368

Réseaux sociaux et créateurs de contenu :  l’indispensable alliance avec le spectacle vivant ?

Une publication de @letheatreavecmarie LS/PetitBulletin 

Une révolution numérique au service de la culture

En 2017, près de 2.3 milliards de personnes utilisent les réseaux sociaux. Ces derniers « ont ouvert de nouvelles possibilités pour les institutions culturelles de toucher de nouveaux publics et d’engager les communautés en ligne dans un dialogue constructif et interactif » (Gollain, 2017, 18). Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat ou encore Youtube : ces outils ont également transformé la manière dont les institutions culturelles communiquent, permettant de nourrir l’interaction et la communication dans le champ du spectacle vivant.

Dans un environnement où dominent formats courts et immersifs, mais également les collaborations avec des influenceurs, ces institutions se trouvent face à la nécessité de repenser leur stratégie de communication pour toucher un public plus large, plus diversifié, et souvent, plus jeune. Les réseaux sociaux sont « un dispositif à travers duquel circule l’information mais aussi à partir de quoi se forment les comportements, les attitudes, les représentations, les objectifs et les pratiques », (Cardon, 2014, 46). Ils sont un système pouvant être qualifié d’hyper-informatif, où le nombre d’usagers explose, et les publications par seconde se comptent en milliers.

Cependant, comment ces institutions peuvent-elles tirer parti de ces outils numériques tout en préservant leur identité artistique et culturelle ? Sur la ligne de crête entre démocratisation numérique et exigence culturelle au service d’une image de marque, comment tenir l’équilibre ?

Les réseaux sociaux permettent une réinvention de la communication institutionnelle. Instagram, TikTok ou YouTube sont devenus des carrefours incontournables de la culture contemporaine. Les créateurs de contenu, souvent perçus comme des prescripteurs modernes, jouent désormais un rôle central dans la diffusion des spectacles vivants. Ce phénomène souligne l’évolution des modes de recommandation, alors que la prescription culturelle s’éloigne des médias traditionnels au profit de nouveaux canaux numériques, influant désormais sur les choix des spectateurs et leur manière de fréquenter, voire “consommer”,  la culture.

L’image de l’institution culturelle : entre prestige et accessibilité

Dans le domaine du spectacle vivant, tradition et modernité sont parfois opposées comme deux pôles antagonistes, en phase avec la polarisation actuelle du débat public. Pourtant, certaines institutions parviennent à rapprocher, sinon réconcilier, ces deux dimensions. L’Opéra national de Paris en est un exemple marquant. Thibault Prioul, responsable des réseaux sociaux du navire amiral de l’art lyrique et chorégraphique, met en avant l’importance de rendre l’opéra accessible, sans pour autant sacrifier  la qualité artistique. Il considère que les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la démocratisation de l’opéra, permettant de rapprocher cet art du public (attirant traditionnellement un public sociologiquement aisé et vieillissant) tout en préservant son attractivité.
Cette démarche s’inscrit parfaitement dans la logique des « biens culturels » définis par Karpik (2007), c’est-à-dire des biens d’expérience dont la valeur ne peut être pleinement saisie qu’après avoir été “consommés”. Les influenceurs, par leur capacité à recommander ces œuvres, deviennent des médiateurs qui rendent ces biens culturels plus accessibles. Par conséquent, de nombreuses institutions s’associent à des créateurs de contenu émergents pour ouvrir leurs portes à de nouveaux publics, souvent plus jeunes et moins familiers des formats traditionnels.

L’essor des collaborations entre institutions et créateurs de contenu

Les collaborations entre institutions culturelles et créateurs de contenu se multiplient, et il s’agit désormais d’un levier incontournable pour toucher de nouveaux spectateurs. L’exemple de la Fondation Louis Vuitton, qui a collaboré avec la chorégraphe Josépha Madoki, illustre parfaitement cette tendance. Sa chorégraphie, devenue virale sur TikTok en Chine, a permis à la Fondation de capter un public plus large et de s’inscrire dans une démarche plus inclusive. 

Thibault Prioul, responsable des réseaux sociaux de l’Opéra de Paris. Crédits photo : @NewsTankCulture

Si les institutions culturelles s’associent évidemment à des macro-influenceurs, dans une logique de maximisation de leur visibilité, il existe également des “nano-influenceurs”, à l’audience inférieure à 10 000 abonnés. Ce choix stratégique repose sur la conviction que ces nano-influenceurs, en raison de leur proximité avec leur communauté, sont perçus comme plus authentiques et influents. Thibault Prioul le souligne en indiquant que cette proximité favorise une relation plus personnelle et plus engageante avec les spectateurs. Bien que leur audience soit plus petite, leur influence sur les décisions culturelles est significative. Cette dynamique rejoint les travaux de Dutheil-Pessin et Ribac (2018), qui soulignent l’importance de la prescription culturelle informelle, capable de redéfinir les comportements des publics. Ces collaborations étant le plus souvent rémunérées, et les plus gros profils captés par les institutions économiquement plus solides, ces profils plus “approchables” sont également un moyen d’ouverture pour les plus petits établissements.

Pour une typologie des influenceurs en France : la culture à la peine

En France, les influenceurs se classent en plusieurs catégories selon la taille de leur audience. Les micro-influenceurs (moins de 15 000 abonnés), les middle-influenceurs (15 000 à 100 000), les macro-influenceurs (100 000 à 500 000), les top influenceurs (500 000 à 1 million) et les célébrités (plus d’un million) illustrent cette diversité. L’âge moyen des créateurs de contenu est de 34 ans, la majorité d’entre eux ayant entre 19 et 35 ans. Un quart des influenceurs exercent cette activité à temps plein, et les profils comptabilisant plus de 100 000 abonnés peuvent générer des revenus à hauteur de plus de 50 000 € par an. Cependant, la culture y demeure une niche, puisque seulement 10 % des influenceurs s’y consacrent (Reech, 2024).

Ce phénomène est particulièrement visible sur des plateformes comme TikTok, où des créateurs comme Mathis Grosos (alias Dramathis) ont su capter l’attention d’un public jeune et dynamique. Grâce à ses analyses théâtrales empreintes d’humour, Mathis parvient à rapprocher le théâtre des publics non spectateurs des salles, prouvant par là le rôle de ces influenceurs comme prescripteurs de culture, à la manière des critiques ou journalistes traditionnels, mais avec une approche plus engageante et personnelle. En effet, face à une fréquentation en baisse et à la concurrence des divertissements numériques, les théâtres se sont investis dans l’occupation des réseaux sociaux pour renouveler leur audience. Le théâtre souffre du moindre équipement du secteur en termes de prescription, par rapport à d’autres institutions culturelles (Pasquier, 2012) : la sortie au théâtre est en effet une pratique peu répandue dans la population française. En 2018, seuls 21% des Français se sont rendus à une pièce de théâtre, et 4% d’entre eux seulement ont réalisé cette sortie seul(e). (Lombardo et Wolff, 2020). Dès lors, comment déclencher l’envie de se rendre au théâtre ? 

L’impact des influenceurs culturels sur les publics

Les influenceurs spécialisés dans la culture jouent un rôle clé dans la démocratisation du spectacle vivant. Ces créateurs de contenu agissent en tant que médiateurs culturels, rendant l’art plus accessible et élargissant ainsi le public. Marie Ballarini (2023) souligne que les influenceurs, par leur ton humoristique et décontracté, réussissent à désacraliser l’art, attirant ainsi des publics moins familiers avec les institutions culturelles. Leur manière unique d’aborder et de décrire les œuvres influence profondément la perception de l’art et encourage leur audience à y participer.

Capture d’écran du profil Instagram de Mathis Grosos, alias @Dramathis

Avec ses 40 000 abonnés sur Instagram (sans compter Tiktok), Mathis Grosos a utilisé sa passion pour le théâtre comme un véritable outil de médiation culturelle. Dans une vidéo publiée en collaboration avec le Théâtre National de la Colline, Mathis commence par évoquer son enfance et son imaginaire d’avoir un ami imaginaire, une stratégie qui capte immédiatement l’attention du spectateur. Il introduit progressivement des éléments du spectacle Golem sans en dévoiler immédiatement le titre. À mi-vidéo, il révèle son partenariat avec le théâtre et explique en détail le spectacle, abordant ses thèmes et les émotions suscitées en lui. Il termine en donnant des informations pratiques comme les dates et lieux de représentation. Cette approche, à la fois personnelle (un ton accessible et décomplexé) et engageante (incarnation du propos par une personnalité publique), démontre comment les créateurs de contenu peuvent façonner la prescription d’un spectacle, et potentiellement influencer les comportements de consommation culturelles de leur public.

Les réseaux sociaux : démocratisation, accesssibilité et avenir du spectacle vivant ?

Pour Thibault Prioul, l’avenir du spectacle vivant passe indéniablement par les réseaux sociaux. « Le public devient un prescripteur essentiel », affirme-t-il, soulignant que la dynamique des spectateurs ayant la possibilité de partager leur expérience sur ces plateformes change la manière dont la culture est diffusée. Le public devient ainsi un ambassadeur de la culture, renforçant l’authenticité des institutions et leur relation avec leurs spectateurs. Ce phénomène de prescription décentralisée et informelle rend l’accès à la culture plus démocratique. Le public, en tant que “prescripteur”, reprend ainsi le rôle traditionnel des critiques et des institutions culturelles, tout en créant un “bouche à oreille” numérique. Cette nouvelle dynamique de prescription culturelle s’opère à travers une interaction directe, immédiate et plus accessible. Un des enjeux majeurs de cette stratégie numérique est de réduire les barrières d’accès au spectacle vivant, qu’elles soient sociales, économiques, symboliques ou culturelles. 

Une étude menée par TMN Lab (2015) montre que cette démarche permet de réduire les obstacles sociaux et économiques à l’entrée dans le spectacle vivant, facilitant ainsi l’accès à une plus grande diversité de publics. Ce changement dans les comportements de consommation culturelle traduit un véritable progrès dans l’inclusivité du spectacle vivant, avec un impact positif sur la variété des publics qui y accèdent.

Une stratégie limitée

Malgré ses nombreux avantages, la stratégie des réseaux sociaux et des influenceurs présente également plusieurs limites. L’un des principaux obstacles reste l’impact des algorithmes qui modifient régulièrement la visibilité des contenus. Les institutions culturelles doivent s’adapter constamment à ces évolutions pour rester visibles et atteindre de nouveaux publics. De plus, l’audience des réseaux sociaux est souvent fragmentée et volatile. La viralité d’un contenu ne garantit pas une fréquentation à long terme des événements, ce qui soulève la question de la conversion de l’intérêt numérique en participation réelle. Selon Pasquier (2015), ce passage reste un défi majeur, car la fidélisation des spectateurs est plus difficile à atteindre sur ces plateformes numériques.

En outre, les formats courts et immersifs utilisés sur les réseaux sociaux peuvent produire des contenus éphémères, rapidement remplacés par de nouvelles tendances. Ce phénomène peut rendre difficile la capitalisation sur des contenus culturels à long terme. Les institutions se retrouvent souvent à adopter une stratégie de communication plus immédiate, parfois au détriment d’une réflexion plus profonde sur la pérennité des messages culturels. De plus, la traçabilité des retombées économiques de cette stratégie demeure incertaine. Comme le souligne Mickael Palvin (Le Monde, 2018), si le nombre de vues et de commentaires est un indicateur d’intérêt, il ne permet pas de mesurer précisément les conversions en termes de ventes de billets ou d’augmentation de la fréquentation.

Chartois Inès, de Feydeau Cordélia, Maugars Justine et Roquet Alice

Sources :

Ballarini, M. (2023). La création des contenus culturels sur les médias sociaux : entre médiation et communication, https://hal.science/hal-04085845

Dutheil-Pessin, F., & Ribac, R. (2018). « Prescription culturelle », Publictionnaire, https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/prescription-culturelle/.

Grosos, M. (2023). « [Vidéo Instagram] Mathis Grosos présente Golem au Théâtre National de la Colline », https://www.instagram.com/reel/DGvo5MntPPx/?utm_source=ig_web_copy_link&igsh=MzRlODBiNWFlZA%3D%3D.

Karpik, L. (2007). « Les biens culturels : Des biens d’expérience », Regulation, https://journals.openedition.org/regulation/4853.

La Croix (2024). « Cinéma, théâtre, musées : les influenceurs, nouveaux alliés du monde culturel », https://www.la-croix.com/culture/cinema-theatre-musees-les-influenceurs-nouveaux-allies-du-monde-culturel-20240602.

Palvin, M. (2018). « La culture, nouveau terrain d’influence des youtubeurs », Le Monde, https://www.lemonde.fr/culture/article/2018/07/10/la-culture-nouveau-terrain-d-influence-des-youtubeurs_5329257_3246.html.

Pasquier, D. (2015). « La sortie au théâtre à l’ère numérique », https://www.tmnlab.com/wp-content/uploads/2015/12/Lasortieautheatre_D_Pasquier.pdf.

Prioul, T. (n.d.). « Réseaux sociaux et créateurs de contenu : des leviers indispensables dans le spectacle vivant », BPI France, https://bigmedia.bpifrance.fr/nos-actualites/reseaux-sociaux-et-createurs-de-contenu-des-leviers-indispensables-dans-le-spectacle-vivant.

Reech (2024). « Marketing d’influence : étude Reech 2024 », https://www.reech.com/fr/marketing-influence-etude-reech-2024.TMN Lab (2015). « Restitution TMNlab #9 : Prescription, sociabilité de sortie théâtrale à l’ère numérique », https://www.tmnlab.com/2015/12/22/restitution-tmnlab-9-prescription-sociabilite-de-sortie-theatrale-a-lere-numerique/.

Gourous 2.0 : quand les réseaux sociaux deviennent un terrain de manipulation sectaire

Je ne cherche pas à faire du prosélytisme, je veux juste partager la bonne nouvelle”, déclare la youtubeuse So Andy dans sa dernière vidéo sur son baptême évangélique. Pourtant, la créatrice de contenu lifestyle a fait vivement réagir sa communauté suite à l’annonce de sa conversion. Ses fans s’interrogent : Andy glamourise-t-elle des dérives sectaires ? En cause : le mouvement évangélique est surveillé de près par la Miviludes, l’organisation chargée du suivi et de l’analyse des phénomènes de culte en France.

En 2021, cette dernière a reçu 4 020 saisines, soit une hausse de 86% en 5 ans. Dans son dernier rapport, elle pointe du doigt l’émergence de “gourous 2.0”, dont l’ascension a grandement été facilitée par la crise sanitaire. Avec la santé comme préoccupation principale et Internet comme outil majeur de socialisation, bon nombre de groupes marginalisés se sont formés durant cette période, parfois qualifiés de dérives sectaires. En exploitant les peurs liées à la santé, des gourous ont profité de ce contexte pour partager des “recettes miracles” ou des théories complotistes, ce qui a mené à un rebond des phénomènes sectaires en France. 

REPENSER LA NOTION DE SECTE À L’ÈRE NUMÉRIQUE

Si le terme de “secte” peut être employé dans le langage courant pour décrire ce type de mouvance, il n’a en réalité pas de définition juridique en France. Dans plusieurs de ses ouvrages, le sociologue Étienne Ollion rappelle que les sectes ont longtemps été vues comme des groupes religieux dissidents commettant une erreur théologique. Or, les sectes devenant davantage déconnectées du fait religieux, il avance que ce terme ne reflète plus la réalité actuelle. 

C’est pourquoi les autorités et les associations préfèrent parler de “dérive sectaire”, qualifiée par Michel Monroy et Anne Fournier de “construction d’une allégeance inconditionnelle au sein d’un isolat culturel autoréférent, à caractère expansif dans différents domaines de la vie individuelle”. Autrement dit, il s’agit d’une emprise totale exercée par un groupe fermé, qui ne reconnaît que ses propres croyances et s’immisce progressivement dans tous les aspects de la vie de ses membres.

Photo iStock © Jantanee Rungpranomkorn

Aujourd’hui, les dérives sectaires ne concernent plus seulement la spiritualité. Elles peuvent être présentes dans le développement personnel, les cryptomonnaies, ou encore le coaching, déplaçant la croyance vers des sphères plus concrètes. Les dérives sectaires en ligne peuvent aussi paraître moins menaçantes, car elles ne passent pas par des groupes physiques. Autrefois cantonnées à des communautés fermées et physiques, elles se diffusent désormais à grande échelle sous des formes mobiles, changeantes, et impalpables.

UN FONCTIONNEMENT PROPICE AUX DÉRIVES

Réseaux sociaux et dérives sectaires partagent un point commun : l’influence. Si tous les utilisateurs de réseaux sociaux ne rejoignent pas des groupes sectaires, le fonctionnement de ces plateformes s’est avéré être un terrain particulièrement fertile pour l’embrigadement. L’algorithme de recommandation y joue le rôle de prosélyte, en exploitant divers mécanismes déjà bien connus des sectes traditionnelles. 

Le biais de confirmation est l’une des premières techniques citées par le Dr. Steven Hassan, un auteur spécialisé dans le domaine des cultes. À mesure qu’il passe du temps sur la plateforme, l’utilisateur obtient un feed personnalisé, ne voyant plus que des contenus renforçant ses croyances. Les discours tenus deviennent alors de plus en plus radicaux, sans que l’individu ne s’en rende compte. Un avantage considérable pour les gourous, qui profitent de cette bulle de filtre pour partager des récits et des vérités partielles, alignées sur leur doctrine. Les algorithmes amplifient aussi la diffusion de ce contenu, car il est susceptible de créer un fort engagement. À cela s’ajoute l’absence d’intermédiaire entre l’émetteur du message et l’utilisateur, ce qui renforce l’impact du contenu.

Certaines Églises considérées comme ayant des dérives sectaires par la Miviludes en profitent pour diffuser leur idéologie. L’Église de Scientologie a récemment lancé une campagne de promotion “Bienvenue en Scientologie” sur Facebook, Instagram et X. Face aux nombreux signalements auprès de la Miviludes, le mouvement s’est vite défendu : “Nous voulons apporter des réponses sur ce qu’est notre religion et qui nous sommes.”

Capture d’écran d’une publicité sponsorisée de l’église de scientologie sur Instagram

Les réseaux sociaux deviennent ainsi des outils privilégiés pour diffuser des idéologies radicales. Il s’agit in fine d’un processus typique des dérives sectaires : un endoctrinement fait de manière incrémentale, introduisant graduellement des idées fausses et radicales.

LES INFLUENCEURS CHARISMATIQUES, UN LEVIER D’EMBRIGADEMENT EN LIGNE

À la faveur de ce contexte, de nouveaux acteurs ont émergé : les gourous 2.0. Plus discrets, maîtrisant le web et les processus de manipulation, ces nouveaux gourous se sont multipliés après la pandémie de Covid-19.  

Sur les réseaux sociaux, leur aura ne repose plus uniquement sur leurs qualités personnelles, mais aussi sur l’engagement de leur communauté. C’est ce que démontrent Hayley Cocker et James Cronin dans leur essai “Charismatic authority and the YouTuber: Unpacking the new cults of personality”, en appliquant le concept d’“autorité charismatique” de Max Weber aux acteurs du web. Contrairement aux figures charismatiques traditionnelles, les gourous 2.0 bâtissent leur légitimité via un processus participatif : likes, commentaires et partages deviennent les piliers d’un charisme alimenté en continu par la validation de leur audience. Les gourous 2.0 s’érigent aussi en figures de rupture, rejetant les savoirs établis au profit d’idées qu’ils présentent comme révolutionnaires. Thierry Casasnovas en est un parfait exemple :  surnommé “le pape du crudivorisme”, ce youtubeur a fait l’objet de 54 signalements auprès de la Miviludes en 2021. Dans ses vidéos, il nie l’existence des maladies, accuse la médecine de nuire à la santé et encourage ses abonnés à abandonner leurs traitements pour des jus de légumes et des jeûnes prolongés.

Derrière ce discours, l’emprise peut s’avérer réelle : des témoignages font état de graves conséquences physiques et psychologiques chez ses adeptes. Parmi les témoignages reçus par la Miviludes, un homme avance que sa femme « ne veut plus aller voir son médecin traitant qu’elle connaît pourtant très bien” et qu’elle “a perdu 8 kilos à force de jeûner« . Pourtant, malgré sa mise en examen, Thierry Casasnovas continue à prospérer grâce aux revenus générés par YouTube et ses formations en ligne.

Lorsqu’un influenceur devient un repère central dans la vie de ses abonnés, la frontière entre admiration et emprise peut donc vite s’estomper. Cette proximité illusoire peut nourrir une dépendance affective et rendre une communauté particulièrement vulnérable aux dérives. C’est ce que pointe du doigt le cas d’Ophenya, une influenceuse de 24 ans signalée à la justice après les alertes du collectif “Mineurs Éthiques et Réseaux” et de la Miviludes. Majoritairement composée d’adolescentes, sa communauté n’hésite pas à la surnommer “maman” et à la comparer à une grande sœur. Son engagement contre le harcèlement scolaire lui a valu une immense popularité, mais aussi des dérives qui inquiètent. 

Ses interactions dépassent le cadre d’une simple relation influenceur-abonné : lives nocturnes, discussions privées prolongées, et pression sociale forte au sein de sa communauté, où ceux qui prennent leurs distances sont mal vus. Ophenya n’hésite pas à intervenir directement dans la vie de ses abonnés, allant même jusqu’à appeler l’école d’une jeune fille harcelée. Elle invite également des mineurs à se confier durant ses live Tik Tok, une pratique pourtant interdite par l’application. Cette idée lui a coûté son compte cumulant plus de 5 millions d’abonnés, qui a été définitivement supprimé pour non-respect des règles à la communauté. Cela ne l’empêche pas de continuer à partager du contenu sur sa page Instagram.

UN CADRE JURIDIQUE EN PLEINE ÉVOLUTION

Face à ces dérives, comment réagir ? Signaler ce type de contenu aux réseaux sociaux est possible, mais en pratique, cela n’a pas beaucoup d’impact. En revanche informer la Miviludes peut être une meilleure option, puisque l’organisme regroupe les signalements des victimes d’un même gourou, pour en amplifier la portée. 

Sur le plan juridique, plusieurs infractions peuvent être retenues selon le contexte : exercice illégal de la médecine, mise en danger de la personne ou abus de l’état de sujétion psychologique. Cette dernière infraction a été particulièrement renforcée par la loi du 10 mai 2024, qui prévoit une peine aggravée lorsque l’infraction est commise via un service de communication en ligne ou par tout support numérique. L’objectif est clair : viser les dérives sectaires sur les réseaux sociaux.

Pour autant, malgré les signalements auprès de la Miviludes, les influenceurs mis en cause poursuivent leur activité. L’heure n’est donc pas encore aux sanctions, mais à la compréhension d’un phénomène qui risque de fortement s’intensifier.

Emy Lesieur

Sources

Les dance challenge sur TikTok : comment sont-ils devenus le nouveau moyen de promotion de la K-pop ?

TikTok, qui a explosé lors du confinement en 2020, s’est notamment popularisé par ses dance challenge. Ce réseau social a transformé l’industrie musicale au global et une a particulièrement pu profiter de ce phénomène de danses accompagnant les musiques : celle de la K-pop.

En effet, pour ceux qui auraient pu passer à côté de la hallyu, aussi appelée la vague coréenne, le soft-power coréen n’a fait que se diffuser depuis plusieurs années, dû notamment à la popularité grandissante de la K-pop. Cette dernière se définit par des musiques alliant différents genres musicaux, des clips vidéo élaborés et surtout des chorégraphies accompagnant la plupart des chansons. Les artistes de pop coréenne sont appelés “idoles”.

Photo de Elina Volkova sur Pexels 

Avec environ 64.9 millions de publications utilisant le #Kpop, TikTok est un des moyens de promotion majeurs de cette industrie. 

Le début de cette tendance peut être attribué à l’artiste Zico avec sa chanson Any Song. Se postant avec les solistes féminines Hwasa et Chungha, le #AnySongChallenge est rapidement devenu viral et la chanson obtient même le “perfect-all-kill” pendant 330 heures. En tant que la distinction la plus difficile à obtenir, ce terme signifie qu’une chanson est en première position sur les services de streaming musical coréen les plus importants (Melon, Genie, Bugs!, Vibe, Flo). En 2021, Any Song remporte même la “Trend of the Year” à la cérémonie coréenne Golden Disc Awards, une récompense qui n’avait pas été attribuée depuis 2014. 

À la suite de cela, TikTok est devenue la plateforme de prédilection de cette industrie. Désormais, chaque groupe a un compte car étant un canal incontournable non seulement pour la promotion, mais également pour se rapprocher des fans.

Des dance challenges pour les fans…

Actuellement, chaque nouvelle chanson s’accompagne de vidéos TikTok avec les idoles reprenant le moment phare de la chorégraphie, le plus souvent, le refrain. Ils initient le challenge espérant qu’il soit repris par beaucoup et y montrent une réelle implication. Des behind-the-scenes postés par les artistes eux-mêmes les montrent répéter plusieurs fois pour avoir la meilleure prise possible. Par exemple, la vidéo postée par le groupe ILLIT voit différents artistes se succéder pour filmer les Cherish (My Love) et Tick-Tack Challenge qui sont leurs deux nouvelles chansons. Via les collaborations entre groupes, les dance challenge trouvent un autre moyen de devenir viral auprès des fans.

Les collaborations entre idoles

En effet, les dance challenge sont propices aux collaborations entre différents groupes. 

Dans une industrie où l’image renvoyée a une place importante, les dance challenge sont un moyen de voir une facette plus amusante et détendue des idoles lorsqu’ils sont avec leurs amis provenant d’autres groupes. Les fans voient leurs groupes favoris interagir et effectuer des chorégraphies qui ne sont pas forcément dans leur registre habituel. Par exemple, le 9 mars dernier, des membres du groupe Twice ont filmé un TikTok avec J-hope du groupe BTS à l’occasion de la nouvelle chanson sortie par ce dernier, Sweet Dreams. Étant une interaction attendue depuis longtemps par les fans des deux groupes, leur réaction ne s’est pas fait attendre sur TikTok.

Les collaborations se retrouvent souvent à être les vidéos les plus virales. C’est le cas pour le groupe féminin Le Sserafim et leur chanson Perfect Night. Pourtant très actives sur TikTok, c’est la collaboration avec Jungkook du groupe BTS qui est leur vidéo la plus populaire avec 7.7M de likes. En effet, en impliquant différentes idoles, les dance challenge permettent de ramener les fans des groupes respectifs et augmenter l’engagement

Un moyen de récompenser les fans

TikTok rend la viralité plus facile et le fait d’être remarqué également. Un lien plus informel se crée alors entre les artistes et leurs fans lorsque ces derniers reprennent la danse et avec un sentiment de proximité rendu encore plus fort. En effet, l’industrie de la K-pop est définie par une économie de la célébrité forte. Si la relation parasociale ne résultait que de contenus unilatéralement partagés aux fans par les idoles, TikTok apporte une interaction plus directe et réciproque entre ces deux parties.

“K-pop fans form fan clubs, take videos and photos of the idol groups, create fan chants, move in an organized manner, and even make donations in the artist‘s name. This participatory culture resembles TikTok’s nature.”

You Kyung-cheol, responsable du partenariat artiste-label TikTok

L’industrie de la K-pop a toujours eu des fans très impliqués et actifs dans leur passion pour la pop coréenne. Notamment, YouTube connaît nombre de groupes de dance cover à travers le monde car les fans ont toujours apprécié reproduire les chorégraphies K-pop. C’est sur YouTube que ce phénomène a émergé, mais c’est TikTok qui leur a donné la plateforme pour se faire remarquer tant par d’autres fans que les groupes eux-mêmes. 

En effet, les idoles peuvent être davantage actives dans leurs interactions avec leurs fans à travers des reposts, des likes publics ou encore des commentaires laissés par leur compte. Par exemple, la chanson Like Jennie de l’artiste éponyme est reprise dans plus de 900k publications, dont beaucoup de cover où la plupart des fans taguent son compte dans l’espoir de se faire remarquer et reposter. Lorsque c’est le cas, le compte de l’artiste se retrouve à centraliser les personnes ayant repris ses dance challenge, contribuant à leur viralité. Sur @jennierubyjane aux plus de 17 millions d’abonnés, le repost du TikTok de @jajjangmaki aux 20k abonnés, a contribué à ses 4 millions de vues tandis que le flux de commentaire informant du repost de l’artiste est important. Cela démontre à quel point les comptes repostés sont mis en avant.

https://www.tiktok.com/@jajjangmaki/video/7479373554115431687

Capture d’écran de l’espace commentaire du TikTok de @jajjangmaki

La soliste Lisa a même filmé un TikTok avec l’influenceuse danse Niana Guerrero, aussi fan de K-pop et avec 45.5 millions d’abonnés pour promouvoir sa chanson Fxck Up The World. Avec plus de 8 millions de likes, elle est devenue la septième vidéo la plus populaire du compte. Des collaborations peuvent donc même concerner les fans les plus populaires ; la danse et les danseurs sur TikTok constituent des moyens de promotion à part entière. 

… et par les fans

Parfois, certaines dance challenge émergent du côté des fans eux-mêmes. Ils créent leurs propres chorégraphies ou rendent viral des moments de la chanson qui n’ont pas été mis en avant par l’artiste. 

Par exemple, la chanson Polaroid Love du groupe Enhypen comptabilise actuellement plus de 320 millions d’écoutes sur Spotify. Bien qu’elle ne soit qu’une b-side (une chanson non principale), elle a été popularisée par la danse créée par @reeeiner qui est devenue tellement virale qu’elle a été reprise par le groupe lui-même

La viralité sur TikTok est déterminante. Prenons le cas du groupe Kiss Of Life qui, en octobre dernier, sort son album Lose Yourself. La chanson la plus populaire de ce dernier se révèle être la b-side Igloo avec 100 000 écoutes de plus que la title track Get Loud. La raison : la membre Haneul se fait remarquer lors du troisième refrain et cela devient un moment viral rapidement repris par tous. Pourtant, le groupe ne s’attendait pas à ce que cette chanson soit autant appréciée. Les dance challenge initiés par les fans permettent de mettre en avant des chansons indépendamment de la volonté initiale de l’artiste original. 

Des dance challenge pour tous

Les dance challenge cherchent à être les plus accessibles possible afin d’être facilement repris et c’est pourquoi les pas sont parfois simplifiés. Le groupe NMIXX ayant récemment sorti Know About Me en a proposé une “version facile” dans un TikTok. En outre, les artistes peuvent même offrir un tutoriel de la chorégraphie comme l’a fait J-hope pour sa chanson Mona Lisa

Les dance challenge peuvent également atteindre des non-fans et d’autres idoles sans que cela donne lieu à une collaboration. C’est le cas de la chanson Like Jennie mentionnée précédemment qui a été reprise par plusieurs groupes populaires tels qu’Enhypen ou Le Sserafim, qui y avaient été incités par leurs fans au vu de la popularité du challenge. 

Nous avons donc des dance challenge pour tout niveaux : lorsqu’ils proviennent des idoles, ils se veulent accessibles tandis que des moments de chorégraphies devenant involontairement viraux peuvent se révéler plus compliqués. Par conséquent, il devient dans l’intérêt de toutes les parties concernées qu’un maximum de personnes reprenne la chorégraphie afin de lui donner un caractère viral. Cela permet non seulement de populariser la chanson des artistes, mais également les dance cover des fans, rendant alors le fait d’être remarqué plus facile. Un cercle vertueux s’installe donc grâce à l’algorithme TIkTok.

Ainsi, TikTok est devenu le réseau social propice à la K-pop pour promouvoir les nouvelles chansons sorties. Les dance challenge favorisent l’engagement des fans lorsqu’ils y participent, et qu’ils soient initiés par les idoles ou les fans, la viralité est l’objectif commun, car la visibilité offerte bénéficie à tous. Reprenant un élément majeur de la K-pop que sont ses chorégraphies, les dance challenge font désormais partie intégrante de la campagne marketing des musiques de cette industrie. 

Alexia HUYNH

Crédit photo de couverture :

Flores, F. (2023, May 16). Deux femmes debout l’une à côté de l’autre devant un miroir. Unsplash. https://unsplash.com/fr/photos/deux-femmes-debout-lune-a-cote-de-lautre-devant-un-miroir-iM7XUtklCt4

Sources :

Alcala, M. (2022, March 4). Kacie on K-pop: TikTok dance challenges determine chart success – Daily Trojan. Daily Trojan. https://dailytrojan.com/2022/03/03/kacie-on-k-pop-tiktok-dance-challenges-determine-chart-success-tiktok-key-to-k-pop-stardom/

Art, P. C. &. (2025, March 10). TWICE  s Nayeon and Momo join BTS J Hope for    Sweet Dreams    challenge  3rd gen fans rejoice. The Express Tribune. https://tribune.com.pk/story/2533447/twices-nayeon-and-momo-join-bts-j-hope-for-sweet-dreams-challenge-3rd-gen-fans-rejoice

Baroli, M. (2025, February 28). Kiss of Life: the new face of K-pop taking the world by storm. Panorama. https://www.panorama.it/attualita/kiss-of-life-interview

Jung-Youn, L. (2024, December 23). TikTok, K-pop are evolving together: TikTok exec – The Korea Herald. The Korea Herald. https://www.koreaherald.com/article/3398555

Mbango, W. (2023, April 30). L’économie de la célébrité à l’ère des réseaux sociaux : impacts et nouvelles tendances dans l’industrie du la K-Pop – Digital Media Knowledgehttps://digitalmediaknowledge.com/medias/leconomie-de-la-celebrite-a-lere-des-reseaux-sociaux-impacts-et-nouvelles-tendances-dans-lindustrie-du-la-k-pop/

Pandya, K. (2023, October 18). Are dance challenges helping in K-pop idols’ comeback promotions? Spiel Times. https://www.spieltimes.io/news/k-pop-dance-challenges-impact/

Réseaux sociaux et IA : vers l’étreinte mortelle ?

Les réseaux sociaux grand public ont été conçus à l’origine comme des espaces d’échange conviviaux et bienveillants, fidèles à la vision de Tim Berners-Lee, cofondateur du Web, pour rapprocher les individus entre eux afin qu’ils interagissent. On peut dire que cela a été un succès, mais depuis quelque temps, une invitée s’est incrustée dans ces réseaux sociaux : l’Intelligence Artificielle, pour le meilleur et pour le pire. Aujourd’hui, il semble que nous nous orientons davantage vers le pire, au détriment des interactions humaines authentiques. 

Certaines voix alertent du danger que courent les réseaux sociaux grand public, mais il ne s’agit pas, ici, de jeter l’opprobre sur l’IA, car de nombreuses applications l’utilisant à bon escient sont devenues incontournables.

Quand l’IA devient moteur des réseaux sociaux

Pour faire face à un déclin annoncé, et dans leur lutte pour conserver ou développer leur potentiel attractif auprès des « consommateurs », par la génération de contenus et la sollicitation d’engagement, les principaux acteurs des réseaux sociaux grand public comme Facebook, Instagram, X, TikTok, etc. ont adapté leur modèle économique en ce sens et ont développé des solutions basées sur l’intégration de l’IA dans leurs produits phares. En effet, les applications d’IA évoluent à une vitesse fulgurante, et dans un marché où l’innovation permanente est la règle, particulièrement dans le numérique, il ne reste qu’une seule option : innover !

Des bots à la place des humains, la grande illusion de Meta

Prenons l’exemple de la société Meta. Après l’échec du Métavers, Mark Zuckerberg a décidé de recentrer ses efforts sur son AI Studio, une plateforme permettant aux utilisateurs de créer leurs propres chatbots. Ce qui est particulièrement surprenant, c’est l’objectif futur de Meta : intégrer ces chatbots IA en tant qu’utilisateurs à part entière sur Facebook et Instagram. Ces avatars autonomes auront des profils, pourront publier du contenu et interagir avec les utilisateurs en imitant le ton et les expressions de leur créateur. Comme l’a déclaré Connor Hayes, vice-président de Meta chargé des produits d’IA générative, dans une interview au Financial Times :

« Nous nous attendons à ce que ces [chabots] IA existent réellement, au fil du temps, sur nos plateformes, un peu de la même manière que les comptes. Ils auront des biographies et des photos de profil et pourront générer et partager du contenu alimenté par l’IA sur la plateforme… c’est là que nous voyons tout cela aller ».

L’ère du contenu artificiel : une attractivité biaisée

Comme l’objectif de ces plateformes est d’attirer les jeunes, un public crucial pour leur survie, cette initiative soulève quand même des questions, et parmi celles-ci : comment un réseau social peuplé de bots plutôt que d’humains peut-il réellement séduire les utilisateurs avec du contenu généré artificiellement et des interactions automatisées ? Si Instagram et Facebook finissent par être dominés par des robots IA interagissant principalement entre eux, il est probable que les utilisateurs humains cherchent à quitter ces plateformes pour trouver des interactions plus authentiques. Ainsi, cette initiative pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché.

L’IA qui s’auto-alimente, vers un futur fait de faux ?

Puisque l’IA se nourrit des contenus déjà présents sur Internet, la prolifération de contenus générés par des bots IA pourrait devenir problématique. D’après un rapport du laboratoire d’innovation d’Europol, l’agence européenne de police criminelle, l’IA pourrait produire jusqu’à 90 % du contenu en ligne d’ici 2026. On se retrouvera face à une boucle de rétroaction positive dégénérative : l’IA se nourrissant presqu’exclusivement de ses propres productions.

Quelle allure aura le contenu ? On aboutira au phénomène appelé « modèle collapse » avec la production de résultats de plus en plus absurdes, ou encore au principe de « chambre d’écho » ou de « biais de confirmation« , renforçant certaines croyances sans ouverture sur d’autres perspectives. Les fausses informations tourneront en boucle, érodant ainsi la confiance dans l’information elle-même et dans le pire des cas, cela pourrait conduire à une méfiance totale à l’égard de tout. S’il n’est pas mis au point un bon équilibre entre auto-réutilisation et diversité des données, alors il est inéluctable que l’IA (et le réseau social qui l’intègre) ne finisse enfermée dans son propre écosystème appauvri, tout cela accompagné de la fuite des utilisateurs.

Parallèlement à la potentielle dégradation du contenu par la prolifération de bots IA, les réseaux sociaux grand public sont confrontés à un autre problème. En effet, actuellement, Facebook est envahi par des images et des textes « low-cost » générés par IA. Cela porte un nom : l’AI Slop.

« Slop » en anglais signifie « saloperie » ou « trucs mal faits ». L’AI slop décrit donc du contenu généré par IA qui est bâclé, trompeur, incohérent et sans valeur. Le « slop » devient la nouvelle pollution numérique qui envahit le web : un flot incessant de contenus médiocres générés par l’IA, qui compromet la qualité et l’authenticité. Initialement, cette tendance à voir apparaître du contenu de mauvaise qualité généré par des spammeurs utilisant de l’IA était déjà le premier signe « d’enshitification » (« emmerdification » en français) par TikTok avec son sludge content, devenu courant sur la plateforme à partir de 2022, reflétant l’évolution des stratégies pour attirer et retenir l’attention des internautes. Puis Facebook lui a emboîté le pas. Ce concept d’« emmerdification » a été théorisé en fin 2022 par le journaliste Cory Doctorow, pour évoquer le déclin systémique des principaux réseaux sociaux grand public et la stratégie qu’ont ces derniers pour y faire face, notamment en intégrant l’IA à leurs plateformes.

Image générée par l’IA de « Shrimp Jesus » (Facebook, 2024) 

Sommes-nous en train d’assister à la « merdification » des réseaux sociaux, où le contenu humain est progressivement remplacé par des simulations ?

Ces IA Slop sont souvent conçues, d’une part, pour maximiser l’engagement basé sur les bons sentiments et la compassion (bébés, animaux, religion etc.). Ces contenus attirent un public plus âgé et conservateur et cette évolution profite à des créateurs anonymes qui peuvent monétiser leurs pages. De plus, l’engagement de ce public est amplifié par des bots automatisés, qui interagissent massivement avec ces publications. Par ailleurs, certaines pages potentiellement frauduleuses exploitent également des images générées par l’IA Slop, mettant en scène des designs visuellement attractifs pour attirer l’attention. De même, certaines pages générées par l’IA Slop sont conçues pour capter l’attention des internautes et les rediriger, via des liens, vers des sites externes au réseau social, probablement dans le but de générer des revenus publicitaires.
À mesure que les IA gagnent en performance, il devient de plus en plus difficile de distinguer le contenu réel du contenu synthétique en ligne, ce qui soulève inévitablement la question de la confiance dans ces médias.

*Image générée par l’IA

La musique, une autre victime du Slop

Les secteurs de l’image et du texte ne sont pas les seuls concernés par l’IA Slop. La musique l’est également. À l’instar de la Muzak des années 70/80, musique produite en série, souvent sans âme, pour remplir des espaces sonores, Spotify et d’autres plateformes de streaming semblent effectivement recréer une forme de Muzak 2.0, mais cette fois générée par IA. Il est possible de créer une musique de qualité avec l’IA, mais l’intervention de l’artiste est fondamentale, ne serait-ce que pour « prompter » l’IA.

Mais alors, que se passerait-il si l’IA produisait seule, à grande échelle ? On assisterait à une boucle de rétroaction musicale : des morceaux d’ambiance générés automatiquement, sans rémunérer de créateurs, alimenteraient les playlists, reléguant les artistes humains dans l’ombre. Ces mêmes morceaux serviraient ensuite de données pour affiner encore davantage la production, perpétuant ainsi le cycle. Ce processus s’apparente à une forme « d’auto-cannibalisation » de la musique populaire : en privilégiant ses propres morceaux générés par IA, Spotify façonne les habitudes d’écoute de ses utilisateurs, ce qui risque d’appauvrir la diversité et la qualité musicale.

Vers un Internet fantôme

Cette artificialisation des productions numériques s’explique en partie par le changement de modèle économique des plateformes. La production à la pelle de contenus engageants, leur partage automatisé et donc le recours à de l’IA, est encouragé. Josh Yoshija Walter, professeur à l’université de Berne et auteur de l’article Artificial influencers and the dead internet theory, déclare : 

« […] à ce stade, la création de contenus comme les influenceurs artificiels n’est pas totalement automatisée, mais je pense qu’elle le sera bientôt. ».

La théorie de l’Internet mort, apparue dans les années 2010, vue comme théorie du complot, puis reprise en 2021, paraît de plus en plus conforme à la réalité et d’autant plus crédible que les bots IA s’abonnent et interagissent entre eux pour gonfler leur nombre d’abonnés et gagner en légitimité auprès de vrais humains dans le but de les influencer. Pour Josh Yoshija Walter :

« On peut craindre que l’humain consacre de plus en plus son temps, son énergie, ses émotions à des choses fausses ».

Si rien n’est fait pour authentifier les IA et encadrer leurs usages, la mort de l’Internet pourrait bien advenir.

Inès Jouffe


Sources

  1. TOMASZEWSKI M. (2024) « La théorie de l’Internet mort plus vraisemblable que jamais » – L’ADN https://www.ladn.eu/media-mutants/la-theorie-de-linternet-mort-plus-vraisemblable-que-jamais/
  2. Gaulhet M. (2023) « Model Collapse des IA : clap de fin pour la hype ? » – ISLEAN https://islean-consulting.fr/fr/transformation-digitale/model-collapse-des-ia-clap-de-fin-pour-la-hype/
  3. Klee M. (2024) « FACEBOOK AND INSTAGRAM TO UNLEASH AI-GENERATED ‘USERS’ NO ONE ASKED FOR » – RollingStone https://www.rollingstone.com/culture/culture-news/meta-ai-users-facebook-instagram-1235221430/
  4. Stokel-Walker C. (2024) « Spotify is full of AI music, and some say it’s ruining the platforme » – FastCompany https://www.fastcompany.com/91170296/spotify-ai-music
  5. Bouafassa C. (2025) « Slop AI : c’est quoi cet énorme spam d’intelligence artificielle qui pollue Internet et peut vous gâcher la vie ? » – GQ https://www.gqmagazine.fr/article/slop-ai-c-est-quoi-cet-enorme-spam-d-intelligence-artificielle-qui-pollue-internet-et-peut-vous-gacher-la-vie
  6. Mahdawi A. (2025) « AI-generated ‘slop’ is slowly killing the internet, so why is nobody trying to stop it? » – The Guardian https://www.theguardian.com/global/commentisfree/2025/jan/08/ai-generated-slop-slowly-killing-internet-nobody-trying-to-stop-it
  7. Batista Cabanas L. (2025) « ‘AI slop’ is flooding the Internet. This is how can you tell if an image is artificially generated » – Euronews https://www.euronews.com/next/2025/02/16/ai-slop-is-flooding-the-internet-this-is-how-can-you-tell-if-an-image-is-artificially-gene
  8. Hoffman B. (2024) « First Came ‘Spam.’ Now, With A.I., We’ve Got ‘Slop’ » – New York Times https://www.nytimes.com/2024/06/11/style/ai-search-slop.html
  9. Brosseau F. (2022) « D’ici 2026, 90% du contenu en ligne sera produit par des IA, selon des experts » – Trust My Science https://trustmyscience.com/2026-90-contenu-ligne-sera-produit-par-ia/
  10. « Enshittification: The Deterioration of Online Platforms » – Communication Generation https://www.communication-generation.com/enshitification/

Les réseaux sociaux, complices et remparts des camps de cybercriminalité en Birmanie

Quand les réseaux sociaux alimentent l’esclavage moderne

Les médias sociaux sont devenus le principal outil de communication et d’opportunités professionnelles pour des millions de personnes à travers le monde. Il est aujourd’hui un vecteur de promotion d’emplois, de formation à une multitude de sujets et de vente de tous les produits imaginables. Pourtant, ils jouent aussi un rôle clé dans l’essor des camps de cybercriminalité en Asie du Sud-Est, notamment en Birmanie. De fausses offres d’emploi circulent sur Facebook, TikTok et Telegram, piégeant des milliers d’individus qui se retrouvent esclaves du crime organisé. Une fois captifs, ces victimes sont forcées de mener des arnaques en ligne sous la menace de violences physiques et psychologiques pour escroquer d’autres futures victimes dans un double objectif : recruter toujours plus d’individus mais aussi établir des relations avec des êtres humains de manière virtuelle pour ensuite leur demander de l’argent.

Il s’agit là d’un véritable paradoxe : les réseaux sociaux sont à la fois le véhicule du problème et l’outil permettant de le dénoncer. Que ce soit en témoignant directement à l’aide de vidéos ou en exposant l’ampleur de ce qui se passe à la face du monde, ces médias sont les relais majeurs de cette atrocité qui est en train de se dérouler. En explorant ce double visage, nous comprendrons comment ces plateformes facilitent le recrutement, la surveillance et l’exploitation des victimes tout en offrant une chance de sensibilisation et de lutte contre ces crimes.

1. Le rôle des réseaux sociaux dans le recrutement des victimes

Des offres d’emploi attractives, mais mortelles

Des milliers d’annonces circulent sur Facebook, TikTok et WhatsApp, proposant des emplois bien payés dans le service client, la tech ou le marketing digital. Ces annonces ciblent principalement des jeunes sans emploi, des travailleurs précaires et des migrants en quête d’une meilleure vie. Ces emplois sont situés en Thaïlande où le salaire annoncé est suffisamment intéressant pour les inciter à quitter leur pays natal.

Une fois sur place, les candidats réalisent qu’ils ont été piégés et l’enfer démarre : ils sont amenés à la frontière birmane, où on leur confisque leur passeport, puis enfermés dans des camps gardés par de véritables milices armées. Ils deviennent alors les esclaves de groupes criminels chinois et birmans qui les forcent à mener des arnaques en ligne massives. On leur attribue des postes de travail où ils doivent atteindre des objectifs financiers et un certain nombre de personnes contactées sous peine d’être torturés physiquement.

Credit : Stefan Czimmek / DW

Des algorithmes qui facilitent la propagation

Les algorithmes des plateformes sociales jouent un rôle crucial dans l’expansion de ces pratiques en favorisant la viralité des annonces frauduleuses :

Les victimes potentielles voient des offres similaires en raison du ciblage publicitaire et de leurs recherches précédentes. Les publications sont amplifiées par des bots et des faux comptes. De nombreuses escroqueries peuvent être liées à des investissements dans des fausses cryptomonnaies. Les algorithmes de recommandation des médias sociaux, enfermant les individus dans des bulles virtuelles, proposent donc toujours plus de contenus d’un même genre. Cela augmente ainsi drastiquement les chances pour les personnes déjà les plus sensibles d’être abusées d’être convaincues par les mensonges des arnaqueurs. Les arnaqueurs utilisent en plus des vidéos trompeuses et des faux témoignages pour rendre leurs offres crédibles.

2. L’exploitation des victimes via les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux deviennent un véritable outil de surveillance et de manipulation

Les criminels forcent les victimes à rester actives sur leurs comptes pour ne pas inquiéter leurs proches. Des vidéos manipulées sont envoyées à leurs familles pour dissuader toute recherche. Les employeurs surveillent les communications via Telegram et WhatsApp et bloquent toute tentative d’appel à l’aide. S’ils souhaitent être libérés et récupérer leurs papiers d’identité, les familles doivent souvent payer des rançons lourdes, ce qui est rarement possible puisque la pauvreté est la source du départ des individus kidnappés. 

Les réseaux sociaux servent aussi d’interface pour les arnaques imposées aux victimes :

Elles doivent créer de faux profils sur Facebook, Instagram et Tinder pour escroquer des internautes (arnaques sentimentales, faux investissements, etc…) Elles utilisent des scripts pré-écrits et des logiciels d’IA pour manipuler les victimes. Il existe aujourd’hui de véritables guides d’arnaques aux sentiments, accessibles pour quelques dizaines d’euros, pour comprendre comment s’adresser à quelqu’un de vulnérable pour qu’il s’attache et devienne dépendant de vous. Les groupes criminels exploitent d’ailleurs des deepfakes et des chatbots pour donner de la crédibilité à leurs escroqueries, être le plus réactif possible et entretenir des relations avec plusieurs personnes en même temps.

Image d’illustration, Crédit : OpenAI

Les victimes civiles : entre honte et ruine financière

Les véritables victimes de ces arnaques sont souvent des civils qui, derrière leur écran, se laissent piéger par des escroqueries bien ficelées. Une des méthodes les plus redoutables est celle du pig butchering, où les criminels créent une fausse relation affective avec leur cible avant de les convaincre d’investir dans des opportunités frauduleuses ou de demander de l’argent pour différentes raisons, cela peut être une maladie ou un problème personnel en tout genre. Le terme « d’abattage de cochon » est utilisé pour décrire le fait que les arnaqueurs tentent de récupérer de plus en plus d’argent jusqu’au dernier centime de la victime sans aucune culpabilité, même si elle doit pour ça vendre sa maison ou faire des emprunts qu’elle ne pourra pas rembourser.

L’affaire du faux Brad Pitt illustre bien l’ampleur du phénomène. Une femme française a été persuadée par un escroc utilisant l’image de l’acteur, générée par l’intelligence artificielle et des deepfakes, de divorcer et de lui envoyer plus de 800 000 euros. Ces victimes, souvent isolées, ressentent une honte immense en découvrant l’arnaque, ce qui les empêche parfois de porter plainte ou d’en parler à qui que ce soit. Certains perdent toutes leurs économies, voire s’endettent lourdement, alimentant un cycle infernal où les criminels continuent d’exploiter la crédulité et la détresse émotionnelle de leurs cibles. Plus les individus se sont impliqués dans cette relation, plus il leur est difficile d’admettre qu’ils se sont fait avoir et continuent alors à espérer et envoyer leur argent. Cette détresse peut aller jusqu’au suicide des victimes qui représente pour eux parfois la seule porte de sortie.

3. Les réseaux sociaux, instruments de lutte contre ces crimes ?

Certaines victimes réussissent à envoyer des messages d’alerte sur Twitter, TikTok ou Facebook. Des ONG comme The Exodus Road ou INTERPOL relaient ces témoignages, obligeant les gouvernements à réagir. Ces médias sociaux peuvent donc servir à de nombreux lanceurs d’alerte pour prévenir le plus grand nombre d’utilisateurs des risques de ces publications frauduleuses et comment se protéger.

Les actions des plateformes : entre modération et inertie

Face à la pression, certaines plateformes ont pris des mesures :

Facebook et TikTok affirment supprimer les annonces suspectes, mais les fraudeurs recréent sans cesse de nouveaux comptes et trouvent toujours de nouveaux moyens de véhiculer leurs messages et contacter les potentielles victimes. WhatsApp et Telegram sont en revanche pointés du doigt pour leur opacité et leur manque de coopération avec les autorités. Telegram est en général connu pour être très utilisé par les organisations criminelles car, fondé par un ressortissant Russe, il offre une grande discrétion aux utilisateurs. 

4. Un avenir incertain : que faire face à cette crise ?

Malgré la prise de conscience, les camps de cybercriminalité continuent de proliférer. Pour lutter contre cette situation, plusieurs actions sont nécessaires et doivent être prises notamment par les réseaux sociaux :

D’abord, il faut imposer aux plateformes une surveillance préventive et non réactive des annonces d’emploi, ainsi qu’une plus grande transparence des algorithmes pour empêcher la propagation de ces offres. On peut également attendre de leur part qu’ils collaborent avec les gouvernements et ONG pour signaler ces activités criminelles.

En parallèle, nous pouvons agir directement en s’informant sur les signes de ces arnaques que ce soient les offres trop belles pour être vraies ou la pseudo-légitimité des recruteurs. Il est également essentiel d’écouter et, surtout, ne pas juger les personnes victimes de ces arnaques. Cela ne mène qu’à un renfermement toujours plus intense de ses individus souvent déjà fragiles tout en encourageant les autres à ne pas en parler.

Conclusion : Un double visage à surveiller

Les réseaux sociaux ont permis la création et la propagation de ces camps de cybercriminalité en Asie du Sud-Est, mais ils sont aussi un outil essentiel pour alerter et lutter contre cette réalité atroce. La responsabilité repose autant sur les plateformes que sur les gouvernements mais il en va des utilisateurs d’être attentifs lorsqu’ils sont connectés.

Chacun se doit de rester vigilants, signaler les contenus suspects et tenter de sensibiliser son entourage et notamment les moins informés sur les arnaques en ligne. Cependant, sans une régulation stricte des plateformes, ces camps continueront de prospérer et il est de notre devoir de citoyen d’alarmer et tenter de faire bouger les choses.

Samuel Morhange


https://www.bloomberg.com/news/articles/2024-10-07/southeast-asia-s-cyber-gangs-took-37-billion-in-2023-un-says?embedded-checkout=true

https://pulitzercenter.org/stories/survivors-myanmars-scam-mills-talk-torture-death-organ-harvesting-and-battle-escape

https://www.scmp.com/news/hong-kong/law-and-crime/article/3250851/everyone-looked-real-multinational-firms-hong-kong-office-loses-hk200-million-after-scammers-stage

https://time.com/7208652/china-pig-butchering-scamdemic-crack-down

https://www.huffpost.com/entry/french-woman-brad-pitt-ai-romance-scam_l_678a99aae4b01361219018b5

https://thediplomat.com/2024/01/chinas-self-pitying-empire

https://news.sky.com/story/they-fall-in-love-with-me-inside-the-fraud-factories-driving-the-online-scam-boom-13234505

https://time.com/7160736/myanmar-coup-civil-war-conflict-timeline-endgame-explainer

https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/en/document/repression-august-8-12-1988-8-8-88-uprising-burmamyanmar.html

https://theexodusroad.com/online-scams-and-human-trafficking

https://projectmultatuli.org/en/families-share-horror-stories-of-indonesians-trapped-in-pig-butchering-scheme-on-myanmars-borders

https://www.dw.com/fr/birmanie-kk-park-trafic-humains-arnaque-escroquerie-internet/a-68123471

https://www.scmp.com/week-asia/politics/article/3228543/inside-chinese-run-crime-hubs-myanmar-are-conning-world-we-can-kill-you-here

https://www.interpol.int/fr/Actualites-et-evenements/Actualites/2023/INTERPOL-lance-une-alerte-mondiale-contre-des-escroqueries-reposant-sur-la-traite-d-etres-humains

https://www.nytimes.com/interactive/2023/12/17/world/asia/myanmar-cyber-scam.html

https://www.telegraph.co.uk/world-news/2025/01/14/france-ai-brad-pitt-persuades-woman-divorce-hand-over-money

Anorexie et réseaux sociaux: quand la maladie devient glamour

Attention, cet article fait sujet de l’anorexie et des troubles alimentaires et comportent des images graphiques pouvant heurter la sensibilité. Il est conseillé aux lecteurs avertis et se sentant prêts à pouvoir le lire. Si vous avez besoin d’aide, vous pouvez consulter le site de la Fédération Française Anorexie Boulimie: https://www.ffab.fr/

De Tumblr à Tiktok, en passant par X, les hashtags #proana, #starving, #thinspo ou encore #edtwt recensent des centaines de milliers de mentions. Sous ces hashtags, ce sont des textes, des images et des vidéos expliquant comment s’affamer et demandant des conseils pour perdre du poids rapidement. Aujourd’hui, ce sont les adolescents et les jeunes adultes qui se connectent en majorité sur les réseaux sociaux avec 88% des 18-29 ans qui ont une connexion journalière. Pourtant, parmi cette population, ceux passant le plus de temps par jour sur les réseaux sociaux et qui atteignent le plus grand nombre de visites par semaine, présenteraient un risque 2,2 à 2,6 fois plus élevé d’être concerné par un trouble alimentaire. Comment peut-on expliquer ce phénomène?

L’anorexie: une maladie en hausse dans des régions bien ciblées

L’anorexie est un trouble psychique se manifestant par un refus catégorique de s’alimenter pendant une longue période afin de perdre du poids ou de ne pas en prendre. Du fait de cette phobie de grossir, une personne atteinte d’anorexie exerce un contrôle permanent sur son alimentation en comptant les nombre de calories ingérées, souvent couplé à une pratique excessive de sport  afin d’accélérer la perte de poids. Cette maladie n’affecte pas seulement le corps mais aussi la santé mentale, provoquant des troubles de l’humeur et des symptômes de dépression. Depuis plus de 50 ans, une hausse constante de l’anorexie est observée, en particuliers chez les femmes et les adolescents (une personne sur huit). Chez les enfants, le taux de cas d’anorexie a augmenté de 119% en 10 ans, un chiffre alarmant. 

La distribution géographique de l’anorexie est étroitement liée aux pays développés et industrialisés, particulièrement en Occident (aux Etats-Unis, Europe de l’Ouest, Corée du Sud…), où environ 0,6% de la population féminine est touchée, atteignant même 1,5% chez les femmes de 15 à 35 ans en France. Si dans les pays en “voie de développement” cette maladie était historiquement rare, elle semble émerger progressivement dans les parties “occidentalisées” depuis les années 1980, particulièrement dans les métropoles. Les milieux les plus touchés sont donc les milieux urbains, où l’accès aux médias est plus facile. 

Dans les médias, des normes de beauté bien définies

Les normes de beauté changent continuellement, mais depuis les années 90, le maître mot de la mannequin Kate Moss “Nothing tastes as good as skinny feels” (rien n’a meilleur goût que la minceur)  semble ne jamais avoir été oublié. 

Le contenu proposé sur les réseaux sociaux ne laisse pas de place au hasard grâce à leurs algorithmes favorisant certains types de contenus proposés aux utilisateurs. Il a toujours été sujet de promouvoir une version améliorée de soi-même avec une vie rêvée mais également un corps s’inscrivant dans les normes de beauté, difficilement dissociable de la minceur obligatoire chez les mannequins. Avant, il fallait être mince (pour ne pas dire maigre) afin d’être mannequin, maintenant il faut l’être pour être aimé sur les réseaux sociaux. Grâce à ces algorithmes, les contenus mis en avant et proposés aux utilisateurs sont ceux de personnes, d’influenceurs au corps mince. Afin de toujours montrer son corps sous le prisme de la minceur, on peut accélérer le processus en retouchant ses photos sans que personne ne s’en aperçoive. Nous sommes donc plus susceptibles de voir un seul type de corps bien souvent inatteignable si notre morphologie ne nous le permet pas. 

Sur Tiktok, la communauté “Skinnytok” prend de plus en plus d’ampleur avec des vidéos expliquant comment perdre du poids et comment se motiver pour en perdre. Ce sont plus d’un million de publications en rapport avec cette communauté. Le maître mot est très simple: la violence. Des phrases chocs comme “You’re not a dog, you don’t deserve a treat” (tu n’es pas un chien, tu ne mérites pas de récompense) ou encore « You’re not ugly, you’re fat » (tu n’es pas moche, tu es grosse) afin d’augmenter la culpabilité. Les vidéos commencent systématiquement par un “body check” – la personne se présente en sous-vêtement au réveil, avec un ventre extrêmement plat – suggérant ainsi que suivre le mode de vie « Skinnytok » permettra d’atteindre son corps.  

Les réseaux sociaux sont des vitrines où l’on peut contrôler son image et ne montrer que ce qu’on a envie que les gens voient de nous et construire un mythe autour de nous-même. Si les réseaux sociaux ne sont pas la réalité, lorsque l’on revient dans le monde réel, il est bien difficile de faire la différence. En effet, une étude menée par le département de la nutrition de l’université du Rhode Island conclut que 50% des participants ont changé leur alimentation à cause des réseaux sociaux et 49% des utilisateurs d’Instagram suivant des comptes de “mode de vie sain” ont montré des symptômes d’anorexie. 

Des communautés qui s’articulent autour de l’anorexie

Si les réseaux sociaux promeuvent des comportements alimentaires dangereux, certains d’entre eux sont le refuge de personnes souffrant d’anorexie depuis bien longtemps. Sur X (anciennement Twitter), Tumblr et aujourd’hui Tiktok, des communautés se sont formées, banalisant et influençant grandement l’anorexie auprès des autres utilisateurs. 

Lors de son arrivée en 2007, Tumblr était la transition parfaite entre le blog et le réseau social tel qu’on le connaît aujourd’hui. Tumblr était connu pour son esthétique grunge, où les utilisateurs publiaient de longs posts exprimant leur mal-être et échangeaient avec une communauté compréhensive. De l’autre côté, Tumblr était grandement réputé pour être le réseau social où l’on pouvait vivre son anorexie comme si celle-ci était anodine. De nombreux utilisateurs étaient proches de l’idolâtrie des personnes aux corps maigres. L’exemple à suivre était les célébrités anorexiques ou les personnages de fiction malades, dont on éditait le corps de manière attractive comme si on ne parlait pas d’un réel trouble. L’exemple le plus notoire de ce phénomène est le personnage de Cassie, de la série britannique Skins (2007-2013). Les fans de la série n’hésitaient à créer des montages photos ou vidéos avec des slogans pro-anorexie comme “Keep Calm and Stop Eating Until They Take You To Hospital” – littéralement : reste calme et arrête de manger jusqu’à ce qu’ils t’emmènent à l’hôpital. La glamourisation de ces personnages n’est pas sans conséquences: une étude de 2014 a montré que la manière dont sont dépeintes ces personnes a fait augmenter de 33% les recherches sur les troubles de l’alimentation et le désir d’être maigre.

Si Tumblr a établi les règles, X n’a rien à envier au réseau social en termes de communauté promouvant l’anorexie dans sa forme la plus dure. Cette communauté, le monde la connaît sous le nom “edtwt” signifiant eating disorder twitter. Dessus, on s’échange des conseils pour ignorer sa faim et ne pas suivre les règles peut entraîner une exclusion ou encore des messages de sa propre communauté demandant si la personne a finalement décidé d’être obèse. 

Derrière nos écrans de fumée, de nombreuses communautés se sont formées autour du mal-être, parmi elles, les communautés propres à l’anorexie. Faire partie de cette communauté donne un sentiment d’appartenance à ses membres, qui se sentent compris et libres de pouvoir laisser cours à leur maladie. Pourtant, c’est peut-être cet aspect qui est oublié: l’anorexie est une maladie. La face cachée de cette appartenance est l’isolation de son entourage et le besoin d’être comme les membres de sa communauté, au risque de ne plus en faire partie. 

Si les réseaux sociaux tentent de modérer le contenu ouvertement pro anorexique, en supprimant les posts comportant certains hashtags et censurant des vidéos comportant certains mots (comme le mot anorexie dans les deux cas de figure), ces derniers ont été détournés. Les communautés ont su contourner cette censure en utilisant des synonymes et mots inventés, proches des hashtags originaux et facilement compréhensible. Par exemple, le hashtag “#edsheeraned” connaît un certain succès, faisant référence au chanteur Ed Sheeran mais les deux premières lettres sont destinées au “eating disorder”.

Là où plusieurs communautés en ligne exploitent les réseaux sociaux pour leur viralité, les communautés pro-ana y développent des réseaux exclusifs où l’effort d’amaigrissement via des méthodes malsaines est la clé d’entrée. En exploitant des exemples de célébrités et personnages privilégiés extrêmement mince, les réseaux sociaux promeuvent l’anorexie auprès des personnes jeunes et impressionnables en leur donnant l’illusion que s’affamer leur apportera des résolutions à leurs problèmes. Un quotidien où elles se sentent bien dans leur peau en ressemblant aux modèles de beauté occidentaux dominants véhiculés sur les réseaux sociaux. Une illusion qui se garde de montrer les symptômes graves de l’anorexie lorsqu’ils ne sont pas assez intéressants pour être montrés.

Aujourd’hui, les influenceurs et les réseaux sociaux ont un rôle à jouer et il leur est demandé de prendre leurs responsabilités, à la fois par rapport au message qu’ils véhiculent mais également pour avoir laissé ces communautés s’installer. Si aujourd’hui, écrire anorexie sur un moteur de recherche de réseau social, vous donne un message vous proposant de l’aide, faudrait-il continuer à donner la possibilité de consulter ces contenus malgré l’avertissement?

Louison Pertriaux

Sources

  1. Martinez, A. (2024). « Inside edtwt the eating disorder community ». Dazed https://www.dazeddigital.com/life-culture/article/64929/1/inside-edtwt-the-eating-disorder-community-thriving-on-x
  2. Baker, B. (2023). « Eating disorder and social media ». Health Action Research Group https://www.healthactionresearch.org.uk/mental-health/eating-disorders-and-social-me/
  3. Mallampati, V. (2021). « The glamorization of eating disorders in the media ». Voice of Frisco https://voiceoffrisco.com/the-glamorization-of-eating-disorders-in-the-media/
  4. Higgins, M. (2021). «  »Thins »: the reality of eating disorders in media ». TKC https://www.thekirkwoodcall.com/opinion/2021/02/02/thinspo-the-reality-of-eating-disorders-in-media/
  5. Pacun, R et Moore, M. (2024). « How does social media affect eating disorders? ». Eating Recovery Center https://www.eatingrecoverycenter.com/resources/social-media-eating-disorders
  6. (2024). « 11 conséquences graves de l’anorexie dans votre vie ». La clinique e-sante https://www.la-clinique-e-sante.com/blog/tca/anorexie-consequences
  7. Praveen, M. (2022). « The Tumblr ed aesthetic is back – will our bodies ever be free? ». Roar https://roarnews.co.uk/2022/the-tumblr-ed-aesthetic-is-back-will-our-bodies-ever-be-free/
  8. Dutta, S. « Eating disorders and social media ». News Medical https://www.news-medical.net/health/Eating-Disorders-and-Social-Media.aspx
  9. Lopez, J-F. (2019). « Histoire de l’anorexie: du miracle à la maladie ». Psychologue Grenoble https://lopezpsychologue.fr/histoire-de-lanorexie-du-miracle-a-la-madie-psychique/
  10. (2017). « Anorexie Mentale ». Inserm https://www.inserm.fr/dossier/anorexie-mentale/
  11. Tinat, K. (2008). « Les troubles alimentaires émergent-ils en milieu rural? ». OpenEdition Journal https://journals.openedition.org/aof/3853
  12. Sanchez, T. (2025). « Skinnytok: derrière les vidéos healthy de Tiktok, une obsession dangereuse de la minceur inquiète ». Croq https://www.croq-kilos.com/actus/skinntok-derriere-les-videos-healthy-de-tiktok-une-obsession-dangereuse-de-la-minceur-inquiete

La culture populaire est-elle en train de changer de bord politique ?

Kylie Jenner qui troque le look afro pour l’attirail de la “pink pilate princess”, la célébration de la figure de la “tradwife” sur Tik Tok…. Ces nouvelles tendances sur les réseaux sociaux ne sont pas si anodines. Elles reflètent un changement de cap dans la culture qui s’est bel et bien traduit dans les urnes aux Etats-Unis. 

“Une société intemporelle pour gentlemen modernes”. Ce slogan apparaît en grand sur le site web de la Tuxedo Society1 [“La société du smoking”]. Ce club rassemble plusieurs centaines de femmes et d’hommes, payant 6 000 $ pour participer à des soirées et des événements organisés spécialement pour eux. Une seule condition : respecter le dress code “old money”, c’est-à-dire smoking pour les hommes et robes de soirées pour les femmes. Le club n’a pas d’autres raison d’exister que de permettre à ses membres de se prendre en photo et de les partager sur les réseaux sociaux : sur un terrain de golf, dans des voitures vintage…

Un sous-texte conservateur

La Tuxedo Society relève plus de la mise en scène que d’une réelle appartenance à une communauté d’américains fortunés. Les robes portées par les filles sont issues de la fast fashion, les lieux paradisiaques n’appartiennent à aucun des membres du club : ils sont tous loués, parfois pour seulement quelques heures. 

Mais alors, pourquoi ces influenceurs veulent-ils imiter l’élite blanche américaine waspienne ? Pour l’image de richesse qu’elle renvoie, d’un entre-soi sans scandales. Cette image s’est avérée particulièrement attirante pour les nouveaux entrepreneurs de la décennie, les “influenceurs ». Ces derniers partent souvent de rien : ils démarrent chez eux, avec du petit matériel et n’ont que leur capital charismatique pour espérer créer leur propre empire. La part des gens qui arrivent à ce niveau de succès est marginale ; la partie laissée pour compte doit se contenter de l’imiter

Imiter la réussite, c’est aussi tenter de masquer un sentiment d’insécurité financière. Les décors et les costumes forment une vitrine ostentatoire pour prouver que “tout va bien”.  Autre exemple : ce faux décor payant de jet privé dans lequel des “influenceurs” se prenaient en photo pour vendre du rêve à leur audience. Toutefois, des internautes ont fini par repérer la supercherie à cause de la ressemblance entre toutes les photos postées. 

Les membres de la Tuxedo Society sont loin d’impressionner les vraies élites, celles qui ont grandi dans la discrétion pour ne pas susciter la jalousie. Même ceux qui réussissent à devenir riches ne se sentent pas reconnus par leurs nouveaux pairs : c’est l’éternelle rivalité Old vs New Money. Ce duel existait déjà durant la Gilded Age [“Période Dorée”] à New York à la fin du XIXème siècle. Il persiste aujourd’hui, avec les nouveaux milliardaires de la Tech soucieux de montrer au monde à quel point ils sont riches et “cools”.

Et c’est précisément cette richesse-là qui est aux commandes des Etats-Unis : Donald Trump verse dans le baroque clinquant et dans les démonstrations de force de richesse. Cette esthétique, que l’auteur Sean Monahan qualifie de “boom-boom” , fait écho à la résurgence du conservatisme aux Etats-Unis au sein de chaque classe sociale. Pour le citer, “money is the last unifying value among americans” (l’argent est la dernière valeur capable d’unifier les américains). Commentaire pertinent à une époque où le pays semble déchiré entre deux camps irréconciliables. 

Le phénomène ne se limite pas à l’influence. La mode est un indicateur intéressant pour évaluer la situation politique d’une nation à un instant donné. Les défilés de mode ont troqué le look urbain pour le quiet luxury, c’est-à-dire des coupes impeccables, des couleurs neutres et des matières nobles. Ce style n’est pas sans rappeler le “power dressing” et l’esthétique  des années Reagan : une période marquée par un retour aux valeurs américaines traditionnelles et conservatrices. 

« Power Dressing » des années 1980. Crédit photo : Flickr – sewyerown

Une métamorphose de tout un pan de la culture

La mode est un indicateur, les standards physiques en vogue en sont un autre. Si la décennie 2010 faisait la part belle au “body positivisme”, la marche arrière est enclenchée sur les réseaux sociaux : les femmes sont minces, voire maigres, et les hommes sont musclés, prêts à partir en guerre. Lorsqu’elle présente les Golden Globes en 2024, l’humoriste Nikki Glaser ironise : “Welcome to Ozempic’s Biggest Night !” ([Bienvenue à la grande soirée d’Ozempic !]). Ce produit fait fureur à Hollywood et promet une perte de poids miraculeuse, pour des corps correspondant tous aux standards de l’industrie.

Idem pour le jeu de valeurs que les algorithmes des réseaux propulsent à leurs audiences. D’un coté, Zuckerberg se réjouit d’un retour au virilisme et à la masculinité toxique ; de l’autre, la “tradwife”, c’est-à-dire la femme au foyer dont le seul boulot est de s’occuper de sa famille, fédère de plus en plus, surtout chez les jeunes. 

Le sous-texte politique de ces tendances contredit bel et bien les travaux libéraux des dernières années et soutient une pensée plutôt associée au conservatisme : la femme s’occupe du foyer, pendant que son mari travaille. Aucune corrélation avec le schéma politique américain actuel ? Il semblerait que si. Par exemple lorsque J.D Vance, l’actuel vice-président des Etats-Unis, proclame être le champion de la “famille nucléaire” : un homme, une femme et leurs enfants. 

Le reste de la culture populaire n’est pas épargnée. La musique country, surtout populaire dans le sud des Etats-Unis, concurrence en termes de nombre d’écoutes certains des artistes les plus populaires au monde. Quels en sont les thèmes récurrents ? La famille, le travail acharné, la vie rurale, l’amour de son pays… Et si certains artistes s’amusent à en déjouer les codes (le canadien Orville Peck avec Cowboys are frequently secretly fond of each other), le genre continue de voir son audience grandir aux Etats-Unis auprès d’un certain public identifiable : ​​des hommes américains, entre 30 et 50 ans, plutôt conservateurs.

Même phénomène du côté du cinéma, où certains grands studios font marche arrière sur certaines histoires pour mieux en pousser d’autres. Ainsi, la nouvelle série produite par le studio Disney, Win or Lose, met en avant le premier personnage « ouvertement » chrétien, et, dans le même élan, supprime un personnage trans. 

Un tournant techno-politique ? 

À certains égards, la victoire de Donald Trump en 2024 ne ressemble en rien à celle de 2016. Là où la première élection a pris le monde entier par surprise, le résultat de novembre 2024 semble être le dénouement naturel d’un renouveau conservateur, même dans des bastions à priori acquis aux démocrates. 

Si de nombreuses stars s’étaient exprimées contre le candidat républicain en 2016 et 2020, certains ont changé de stratégie l’année passée. Kim Kardashian, pourtant très engagée contre la peine de mort et en faveur de l’avortement, est devenue plus ambïgue : une republication d’une tenue portée par Melania Trump sur Instagram, sa présence à l’anniversaire d’Ivanka Trump, un partenariat avec Tesla… Tout cela interroge, Kim Kardashian est-elle devenue MAGA (Make America Great Again) ? Idem à Hollywood, où les stars ont à peine évoqué la situation politique durant  la dernière cérémonie des Oscars. Cette capitulation du monde de la culture, pour reprendre le terme du journaliste Michel Guerrin, peut s’interpréter comme une peur de se mettre à dos une audience qui a voté en majorité pour le candidat républicain.

C’est encore du côté des géants de la tech que le revirement d’attitude s’avère le plus frappant, surtout chez Elon Musk, nouveau propriétaire de Twitter, rebaptisé X. Mais il n’est pas le seul : Jeff Bezos et Mark Zuckerberg étaient tous deux présents à l’investiture de Donald Trump en janvier dernier. Ces derniers se sont d’ailleurs empressés d’insuffler le changement au sein de leurs entreprises : Meta a banni le fact-checking de ses plateformes, tandis qu’Amazon a suspendu toutes ses politiques internes de promotion de la diversité. 

Pourquoi ce revirement politique ? Après des années de travail main dans la main, les démocrates ont pris leurs distances avec les GAFAM. En cause, de trop nombreux scandales à la fin des années 2010 (Cambridge Analytica, Facebook Files) et surtout, un pouvoir d’influence devenu sans commune mesure. Les techno-entrepreneurs sont donc partis dans le camp d’en face, avec qui ils bénéficient d’un échange mutuel hautement avantageux : une absence de régulation économique pour les uns, et une parole non censurée ou modérée sur les réseaux sociaux pour les autres.

Les influenceurs sont-ils en train de suivre le même chemin ? A mesure que leur activité grandit, leur personne physique finit par disparaître derrière leur propre marque. Et tout ce qui faisait leur authenticité doit désormais se standardiser pour mieux se commercialiser. Mais pour vendre, encore faut-il s’adresser au bon public, et le suivre dans ses changements d’humeur politique. 

Les grandes multinationales semblent en avoir terminé, du moins pour le moment, avec la monétisation du mouvement « woke ». Pour le moment, car il s’agit bien de tendances, où un courant finit par en supplanter un autre. Cette même culture infiltrée par le conservatisme a propulsé, en quelques mois, la chanteuse/drag queen Chappell Roan au rang d’icône mondiale. Preuve que deux tendances peuvent coexister au sein d’une même époque. 

Raphael Dutemple

(1) : https://www.tuxedosocietyinnercircle.com

References :

“Pop Fascime”, Pierre Plottu et Maxime Macé, Editions Divergences, 2024

“Want to understand why Trump won the election? Look at pop culture.”, Kyndall Cunningham, Vox, 15 novembre 2024

“What does the inauguration’s authoritarian-chic fashion tell us? Designers are suddenly eager to dress the Trumps”, Rhiannon Lucy Cosslett, The Guardian, 26 janvier 2025

“Sundresses and rugged self-sufficiency: ‘tradwives’ tout a conservative American past … that didn’t exist”, Carter Sherman, The Guardian, 24 juillet 2024

“De Hailey Bieber à Ballerina Farm, ces influenceurs chrétiens qui mettent leur foi et leurs idées conservatrices en avant sur les réseaux sociaux”, Blanche Marcel, Vanity Fair, 12 mai 2024

“The Tuxedo Society : quand le luxe devient un décor instagram”, Salina Riffay, PRSNA, 8 février 2025

“How the Reagan White House shaped ‘80s style”, Vox Creative, Vox, 10 janvier 2019

“What is ‘conservative girl’ makeup, and am I accidentally wearing it ?”, Arwa Mahadi, The Guardian,  12 février 2025

“‘Sticking it to the liberal media’: how conservative pop culture broke out this summer”, Adrian Horton, The Guardian, 9 septembre 2023

« Donald Trump fait cent fois pire que ce qu’ils avaient imaginé et les artistes américains restent muets. Par peur et par intérêt », Michel Guerrin, Le Monde, 14 mars 2025

“Avec Trump, l’esthétique des années Reagan est de retour”, Marie Telling, Earworm, 14 mars 2025

“How did Elon Musk get like this ? ”, Matt Bernstein, A bit fruity, 14 décembre 2024

“How conservatism infiltrated pop culture”, Matt Bernstein, A bit fruity, 7 février 2025

Sur les médias sociaux : les histoires se racontent à la verticale

Photographie par Amar Preciado disponible sur Pexels

Un simple swipe vers le bas pour changer de film, d’épisode ou même de série : et si c’était ça le futur de la consommation de films et de séries ?

C’est déjà une réalité puisqu’on ne compte plus le nombre de vidéos YouTube, de séries ou de films découpés en plusieurs dizaines de parties et publiés, sous la forme de courtes vidéos, sur TikTok.

Grâce aux nouvelles technologies, le passage du format 16:9 (horizontal) au format 9:16 (vertical) n’a jamais été aussi facile. L’intelligence artificielle fait sortir les films de leur cadre en balayant les contraintes techniques et cinématographiques. Des scènes de films cultes comme Harry Potter ou Indiana Jones voient ainsi leur format être converti, s’adaptant parfaitement à la consommation sur smartphone.

L’intérêt pour cette nouvelle manière de consommer du contenu ne cesse de croître, porté par un visionnage sur mobile toujours plus rapide et fragmenté.

Des productions faites sur mesure pour les plateformes

TikTok et Instagram deviennent de véritables lieux de création pour des contenus exclusifs et verticaux. Depuis les cinq dernières années, on voit apparaître des fictions produites uniquement pour la plateforme TikTok comme la série Cobell Energy (2023). 

Ce phénomène ne touche pas seulement la Chine et les Etats-Unis. En France, la série Cités (2021) produite par Prime Vidéo France et réalisée par Abd Al Malik a été entièrement pensée pour la plateforme TikTok. En effet, la série a été tournée à l’iPhone au format vertical et elle comprend 12 épisodes de 60 secondes maximum. Le casting s’est fait grâce au challenge #PrimeVideoCasting lancé sur TikTok. Le réalisateur a su parfaitement maîtriser la grammaire de la plateforme (épisodes courts, danses et musiques tendances) et les fonctionnalités offertes par l’application (outils de montage et filtres d’animation).

Sur les réseaux sociaux, on observe également la production de contenus de fiction ou documentaire hybrides, c’est-à-dire disponibles dans les formats horizontaux et verticaux. Par exemple, le compte Instagram d’Arte @Arte_asuivre propose des mini-séries adaptées à ces nouveaux usages de consommation : sur la plateforme de streaming arte.tv et sur les réseaux sociaux. Le succès de la mini-série Samuel (2024) est la preuve qu’Arte maîtrise les codes de ce double format. Sur la plateforme arte.tv, les épisodes sont diffusés au format 16:9 et durent entre 3 et 5 minutes. Sur TikTok, au contraire, les épisodes sont plus courts (moins d’une minute) et occupent tout l’écran du smartphone, à la verticale. Cette stratégie a été payante puisque la série cumule, en France, 18 millions de vues, toutes plateformes confondues.

Samuel (2024), mini-série réalisée par Emilie Tronche et diffusée par Arte

Consommer des films ou séries au format vertical c’est adopter des nouveaux codes. Pour les réalisateurs, le cadre est un véritable espace de jeu. Ainsi, la scénariste et réalisatrice Camille Duvelleroy évoque « le hors-champ gigantesque du vertical ». Avec le vertical, l’accent est mis sur l’humain, les visages et les corps car, selon elle, « si tu filmes en large, tu ne vois pas les visages de tes personnages et tu perds l’empathie » (Mathieu Deslandes, 2022).

Sur ses réseaux sociaux, Arte s’approprie les codes du feuilleton en diffusant tous les jours à 18h un épisode de sa mini-série Amours solitaires. Ainsi, le compte « @arte_asuivre invite à redécouvrir l’impatience, à goûter l’attente. C’est aussi l’occasion d’installer davantage une narration, de développer les univers proposés par les séries, tout cela contribue à nourrir / enrichir les modes de réception. »  Ces productions « exploitent les usages et fonctionnalités d’Instagram et/ou y trouvent un public complémentaire aux autres plateformes » ; elles explorent « la relation qu’un public et des usages spécifiques à Instagram peuvent entretenir avec les histoires » (Julien Aubert, 2021).

Par opposition à ces séries qui prennent le temps de raconter une histoire et de trouver leur public, on trouve des applications dédiées au streaming vertical où la rapidité de consommation est valorisée. Aux Etats-Unis et aux Philippines, on assiste à l’explosion de la consommation de minidramas aussi appelés vertical dramas. Ce format Made in China a été pensé pour satisfaire un public avide de contenus rapides et addictifs. Des tournages à moindre coût, des scénarios aux nombreux rebondissements et l’attention des spectateurs retenue dès les premières secondes semblent composer la recette du succès. En effet, cette industrie pèse aujourd’hui plusieurs milliards de dollars et repose sur des géants des vertical dramas comme l’application Réelshort.

Toutefois, ce succès est à nuancer. Bien que les contenus proposés aient été conçus pour nous rendre accros, les acteurs de cette industrie peinent encore à trouver leur public. Les applications Quibi (aux USA) et Studio+ (en France) ont fermé quelques années après leur lancement, preuve que le mobile-first et le format vertical sont à l’heure actuelle loin d’être la norme lorsqu’il s’agit des films et des séries…

Des nouvelles manières de promouvoir le cinéma

Les réseaux sociaux renouvellent également la manière de promouvoir les films. On connaît déjà l’impact de TikTok sur la viralité de certains films. Par exemple, les différents challenges lors de la sortie du film Barbie (2023) ou les réactions filmées et postées sur TikTok après avoir vu le film Le Consentement (2023) ont incité de nombreux spectateurs à aller en salle.

Ces évolutions obligent les studios et surtout les distributeurs à repenser les stratégies de communication, notamment les bandes-annonces. Le format horizontal traditionnel n’est pas adapté aux réseaux sociaux. En effet, les utilisateurs de ces plateformes ont pour habitude de consommer des vidéos courtes, au montage dynamique et dont les premières secondes de vidéo doivent retenir l’attention au risque, sinon, d’être “swipées”. Une règle est certaine sur Instagram et TikTok: « Les trois premières secondes sont intransigeantes » selon Antton Racca. Ainsi, « les contenus verticaux impliquent une forte efficacité narrative » (Mathieu Deslandes, 2022). 

Des agences, comme Diversification Littéraire, accompagnent désormais les distributeurs dans leurs campagnes de communication en adaptant leurs bandes-annonces aux nouveaux formats courts et verticaux des réseaux sociaux. En effet, les distributeurs ont besoin d’être accompagnés afin de saisir au mieux les nouvelles opportunités offertes par les réseaux sociaux.

Pyramid Flare by Johann Lurf, part of Vertical Cinema programme, curated and produced by Sonic Acts. Photo © Marcus Gradwohl. Courtesy of Sonic Acts.

Du petit au grand écran

Les nouvelles productions au format vertical ont désormais de plus en plus de festivals qui leur sont dédiés. Alors que, sur les médias sociaux comme TikTok, les contenus sont conçus exclusivement pour le petit écran, avec ce nouveau genre de festivals, on passe du petit au grand écran.

Par exemple, le festival Vertical Fest’ est un concours de courts métrages au format 9:16 dont la durée est inférieure à 1min30. Pour cette première édition, quinze films seront sélectionnés et projetés dans un cinéma. Les réalisateurs doivent publier leurs oeuvres sur TikTok ou Instagram avec la mention #verticalfest afin d’avoir une chance d’être sélectionné. 

D’autres initiatives mettent à l’honneur les films verticaux. C’est le cas du Vertical Cinema dont les films sont diffusés sur grand écran dans des églises et salles de spectacle d’Europe. Ces projections expérimentales et spectaculaires – nécessitant, par ailleurs, un projecteur sur-mesure – questionnent la dimension spatiale du cinéma traditionnel en proposant des films sur un nouvel axe. 

Ces événements représentent-ils une exception dans l’industrie cinématographique ? Il est en effet paradoxal de projeter des films sur grand écran alors qu’ils ont majoritairement été conçus pour une diffusion verticale. Cela résulte-t-il d’un véritable syndrome de la vidéo verticale ? Ou bien ce format marquera-t-il une révolution dans la manière de consommer films et séries ? Seul l’avenir nous le dira…

Une chose est sûre : le format vertical ouvre des perspectives nouvelles, tant pour la création que pour la diffusion et la communication des contenus cinématographiques. Il réécrit les codes de la narration et du montage et pourrait bien être l’un des piliers de l’avenir du cinéma digital.

Capucine Albisetti

Sources

  1. « Sur TikTok, une IA remonte des films culte à la verticale, et c’est un vrai problème », Konbini. 2023, Disponible sur : https://www.konbini.com/popculture/sur-tiktok-une-ia-remonte-des-films-culte-a-la-verticale-et-cest-un-vrai-probleme/
  2. « Prime Video France présente CITÉS, la première série 100% TikTok », TikTok Newsroom, 2021. Disponible sur : https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/amazon-prime-serie-cites
  3. Aubin Estelle, « Samuel : La success story de la mini-série digitale d’Arte », Ecran total, 2024. Disponible sur : https://ecran-total.fr/2024/04/24/la-success-story-de-la-serie-samuel-sur-arte/?srsltid=AfmBOorp8KO_XdsFahN_nkcKOb4gdUfgWy1mQ0Ba2hRcpCA7OIGq7u4I
  4. « Interview : La stratégie éditoriale d’ARTE À Suivre (@arte_asuivre) », Julien Aubert, PXN, 2021. Disponible sur : https://medium.com/@hellopxn/interview-la-stratégie-éditoriale-darte-à-suivre-arte-asuivre-39f70758e094
  5. Sarmiento Kate, « What Are Vertical Dramas And Are They The Future Of Streaming? », Cosmopolitan, 2025. Disponible sur : https://www.cosmo.ph/entertainment/vertical-dramas-a5322-20250302-lfrm?s=alm63ll6vk2rr3trtck3a4huq1
  6. Li Xin & Ye Zhanhang, « Flash Fiction TV: Why China Is Betting Big on Ultrashort Dramas », Sixth Tone, 2024. Disponible sur : https://www.sixthtone.com/news/1014527
  7.  Deslandes Mathieu,  « Filmer en vertical, c’est comme regarder par la fenêtre », INA, 2022. Disponible sur : https://larevuedesmedias.ina.fr/video-format-vertical-film-serie-documentaire-realisatrices

Employee Generated Content : quand les employés deviennent les nouveaux influenceurs des entreprises

Dans un monde saturé d’informations où la confiance des consommateurs envers les marques atteint un point d’inflexion, une révolution silencieuse transforme le paysage du marketing digital. À la racine de cette déconnexion, la façon dont les marques tentent d’établir la confiance avec leurs consommateurs. Oubliez l’ère des influenceurs et de l’excès de campagnes sponsorisées ! La nouvelle arme secrète des entreprises ? Leurs propres employés. 

L’Employee Generated Content (EGC) ou Employee Advocacy émerge comme une alternative crédible et engageante. Ce phénomène est en train de redéfinir les stratégies de communication des entreprises et transforme les collaborateurs en véritables créateurs de contenu qui partagent leur expérience quotidienne et leur expertise.

La révolution silencieuse du marketing digital

À la différence des User Generated Content (UGC), les EGC désignent l’ensemble des contenus créés et partagés par les employés d’une entreprise sur les réseaux sociaux. Ces prises de parole peuvent prendre la forme de photos, de vidéos, de publications ou de témoignages et être initiées de manière naturelle et spontanée ou encouragées par l’entreprise via des campagnes spécifiques, des concours ou récompenses. 

Ce phénomène transforme les collaborateurs en véritables ambassadeurs qui animent non seulement les médias sociaux de l’entreprise mais attirent également l’attention sur des plateformes traditionnelles comme LinkedIn, ainsi qu’Instagram, TikTok ou YouTube. LinkedIn est ainsi largement utilisé car il permet aux entreprises d’intégrer de manière organique les publications volontaires de leurs employés dans leur stratégie de communication, en les republiant et en amplifiant leur portée.

Le concept d’EGC n’est pas nouveau. Dès les années 2000, la littérature académique identifie le rôle des employés comme défenseurs et porte-parole informels de leur entreprise. Selon une étude Brandwatch, 45% des spécialistes du marketing considèrent aujourd’hui l’EGC comme une tendance majeure. Une prise de conscience qui repose sur un constat simple : la parole d’un salarié est jugée plus sincère que celle d’une marque.

Une stratégie gagnante pour les entreprises

L’Employee Generated Content (EGC) s’impose comme un atout stratégique pour les entreprises, offrant un bouche-à-oreille numérique (e-WOM) puissant. Grâce aux réseaux sociaux et à leurs capacités de mise en réseau, les collaborateurs qui partagent leurs expériences et leurs avis peuvent toucher directement des milliers d’utilisateurs. En outre, les recherches de PostBeyond ont révélé que l’EGC peut générer jusqu’à 10 fois plus d’engagement que le contenu de marque régulier sur les plateformes de médias sociaux.

Certaines marques, comme Decathlon, ont su tirer parti de cette approche. L’enseigne sportive encourage ses collaborateurs, surnommés les « Decathloniens », à partager leurs expériences et tester les produits. Le hashtag #TeamDecathlon illustre cette stratégie, mettant en avant une culture d’entreprise dynamique et passionnée.

Face aux exigences de transparence imposées par la récente loi sur les influenceurs, qui encadre strictement les communications commerciales sur les réseaux sociaux, l’EGC offre une alternative naturelle et respectueuse des réglementations. 

Outre son impact marketing, l’EGC se révèle être un outil efficace pour le recrutement et la fidélisation. Montrer le quotidien des collaborateurs, leurs métiers ou encore des événements internes comme les séminaires et team buildings contribue à attirer de nouveaux talents partageant les valeurs de l’entreprise.

La marque britannique Sherluxe l’a bien compris et laisse régulièrement le contrôle de ses réseaux sociaux à ses collaborateurs, qui en profitent pour réaliser des vlogs immersifs montrant l’ambiance de travail au sein de l’entreprise.

@sheerluxe

Millie & Liam are in the office for our next LuxeGen podcast & we might’ve just unlocked a new high-tech vlogging device… Stay tuned for the rest of today’s office BTS…

♬ original sound – SheerLuxe

Dans un marché du travail où 82 % des candidats utilisent les réseaux sociaux pour leur recherche d’emploi, l’EGC permet de construire une image de marque positive. La réputation d’une entreprise est désormais étroitement liée à l’image qu’elle véhicule en ligne, et l’EGC offre un moyen efficace de construire et de préserver cette réputation.

Enfin, l’EGC renforce la culture d’entreprise et le sentiment d’appartenance des salariés. Partager du contenu permet aux employés de valoriser leur rôle, d’exprimer leur attachement à l’organisation et de contribuer à son image. Lorsqu’ils se sentent écoutés et impliqués, leur motivation et leur engagement en sont d’autant plus stimulés ce qui se traduit par une meilleure productivité.

Les recherches empiriques ont identifié plusieurs motivations qui poussent les employés à devenir des ambassadeurs numériques de leur entreprise. Ces motivations peuvent être personnelles, organisationnelles ou liées aux canaux médiatiques. 

  1. L’enrichissement personnel : Les employés cherchent à améliorer leur image positive d’eux même en valorisant leur identité organisationnelle.
  2. L’altruisme : Les employés expriment leur désir d’aider l’entreprise en partageant du contenu avec leur réseau.
  3. Le plaisir : Les employés apprécient de voir que l’organisation prête attention à leur contribution créative.

Par ailleurs, la qualité de la relation employé-organisation (EOR) joue un rôle crucial. En effet, lorsque les employés sont satisfaits de leur entreprise, s’y engagent et lui font confiance, ils sont plus susceptibles de parler positivement de leur entreprise.

Encadrer sans dénaturer : le défi de l’authenticité

Si l’EGC présente de nombreux atouts, il comporte aussi des risques : propos maladroits, divulgation d’informations sensibles ou contenu inapproprié peuvent ternir l’image d’une entreprise. Pour limiter ces risques, de plus en plus d’entreprises mettent en place un accompagnement des employés-ambassadeurs via notamment des formations, des co-créations ou des supports. 

Orange a par exemple mis en place des formations dédiées à l’employee advocacy permettant aux employés de s’exprimer librement tout en bénéficiant d’un encadrement léger pour préserver l’authenticité de leurs discours. Au sein de la Caisse d’Épargne Ile-de-France, le programme « Communauté We Are Ambassadeurs » engage plus de 60 volontaires pour promouvoir les valeurs de l’entreprise.

Le principal défi réside dans l’équilibre entre encadrement et spontanéité. Une communication trop contrôlée risque de perdre son authenticité, à l’inverse, une absence totale de cadre peut entraîner des dérapages. Pour répondre à cette problématique, certaines entreprises identifient des employés volontaires et leur offrent des ressources pour créer du contenu pertinent (exemple : mise à disposition de produits, accès à des événements, formations en storytelling) de la même manière qu’ils le feraient avec des influenceurs.

Un levier adapté aux nouvelles attentes de la Gen Z

L’Employee Generated Content (EGC) résonne particulièrement avec la génération Z, une génération en quête d’authenticité. Dans un contexte marqué par l’émergence du « deinfluencing » et une défiance croissante envers les stratégies marketing traditionnelles, l’EGC se présente comme une réponse innovante aux attentes des nouveaux consommateurs.

D’autre part, 75% de cette génération se considère créatrice de contenu, traduisant un rapport profondément transformé aux marques. Les jeunes ne veulent plus être de simples spectateurs, mais des acteurs engagés dans la communication d’entreprise. L’EGC leur offre cette opportunité, donnant aux employés un rôle d’influenceurs légitimes, proche et authentique.

En définitive, plus qu’un simple outil marketing, l’EGC traduit une mutation profonde des relations entre entreprises et employés. En valorisant la voix des collaborateurs, il participe à la construction d’une marque plus humaine et plus proche de son public. Une stratégie gagnante à tous les niveaux, tant pour l’entreprise que pour ses employés et ses clients. 

Néanmoins, certains observateurs mettent en garde contre une forme d’exploitation voire comme un « esclavagisme moderne ». Les employés peuvent se sentir contraints de produire du contenu pour renforcer la notoriété de l’entreprise, sans toujours bénéficier de contreparties suffisantes. À l’heure où la frontière entre vie professionnelle et personnelle s’estompe, cette pratique soulève une question cruciale : à qui appartiennent nos expériences ? À nous, ou à l’entreprise qui les monétise ?

Lola Carré

Sources

Lee, Y., & Kim, K. H. (2021). Enhancing employee advocacy on social media: The value of internal relationship management approach. Corporate Communications,

Yan, J. (K.), Leidner, D. E., Benbya, H., & Zou, W. (2021). Examining interdependence between product users and employees in online user communities: The role of employee-generated content.

Saleem, F. Z., & Hawkins, M. A. (2021). Employee-generated content: The role of perceived brand citizenship behavior and expertise on consumer behaviors. The Journal of Product and Brand Management

Sociabble (27 janvier 2025) How Employee Generated Content Benefits Your Company’s Communication & Culture.

Réseaux sociaux et e-commerce : quand scroller rime avec acheter. TikTok, Instagram, Pinterest & YouTube à l’assaut du shopping en ligne.

Photo de Swello sur Unsplash

Du divertissement à l’achat en un seul geste : les réseaux sociaux sont devenus bien plus que des plateformes de partage. Ils se transforment en véritables places de commerce numérique, où il est aussi simple de consommer du contenu que des produits. TikTok, Instagram, Pinterest et YouTube, redéfinissent nos expériences d’achats en ligne et nos comportements de consommateurs.

Depuis la création de SixDegrees.com en 1997, les réseaux sociaux ont pour rôle de partager à sa communauté, des photos de vacances ou des anecdotes du quotidien. Ces plateformes ont profondément influencé notre manière de communiquer, de partager et aujourd’hui de consommer. Les géants des réseaux comme Instagram, TikTok, Pinterest ou YouTube se transforment désormais en véritables places de marchés interactives. Ainsi, un scroll, un like, une inspiration et un achat sont maintenant étroitement liés. Un vêtement repéré dans une story, une astuce trouvée dans une vidéo, un jeu découvert sur un live ou encore une décoration enregistrée dans un tableau Pinterest, notre expérience des réseaux est désormais mêlé au e-commerce et l’expérience utilisateur se transforme discrètement en une logique de consommation instantanée.

Derrière cette évolution, une question s’impose. Comment ces plateformes redessinent-elles les codes du commerce en ligne tout en influençant nos comportements d’achat ?

Les plateformes sociales au cœur du e-commerce, une intégration croissante

Le commerce social a profondément marqué les réseaux sociaux. En agissant directement sur l’expérience d’achat en ligne, ces plateformes évoluent vers un modèle plus immersif, visuel et porté par les influenceurs. Désormais, il n’est plus nécessaire de changer d’onglet ou de site pour effectuer un achat. Les transactions se font en quelques clics seulement, de manière instantané, poussées par une impulsion immédiate. Face à ces transformations, les géants des réseaux ne cessent d’innover et de mettre en avant de nouvelles fonctionnalités pour capter l’attention et le pouvoir d’achat des utilisateurs.

Image Freepik : @pikisuperstar

Parmi ces nouveautés, on retrouve TikTok Shop. Présent en Asie depuis 2022, TikTok a récemment développé ce concept en Europe, illustrant la volonté de la plateforme chinoise de triompher sur le marché mondial de l’e-commerce. Cette nouvelle fonctionnalité permet aux créateurs de contenus (marque/influenceur) de vendre directement des produits via leurs vidéos, lives et profils. Un lien vers un produit apparaît directement sur la publication, permettant aux utilisateurs de finaliser leurs achats en quelques clics sur TikTok. Cette transformation permet de changer chaque publication en potentiel opportunité transactionnelle.  Cette fonctionnalité permet de s’inscrire dans une stratégie de simplification et d’immédiateté en supprimant les barrières entre divertissement et consommation.  

Le groupe Méta a lui aussi rapidement compris l’importance du commerce intégré. En lançant Instagram Shop, la plateforme ne vend plus des objets mais des styles de vie. À travers des stories, réels, tags produits ou encore boutiques intégrées, Instagram devient la vitrine d’un nouveau style de marketing, celui de l’influence. Grâce à un storytelling visuel, la consommation apparaît comme naturelle et presque invisible pour l’utilisateur.

Là où Instagram et TikTok utilisent leurs forces de viralité et d’esthétique quotidien, la plateforme Pinterest tente quant à elle, de jouer sur son image d’inspiration pour s’imposer dans le commerce social. Selon la plateforme, 80% des utilisateurs hebdomadaires affirment se sentir inspirés par l’expérience d’achat sur Pinterest. En associant des recommandations personnalisées, des recherches d’idées visuelles et des collaborations avec des marques, l’application s’installe entre tableau d’inspiration et vitrine commerciale, poussant plus de 50% de ses utilisateurs à considérer ce site comme une plateforme de shopping en ligne. À l’image de son partenariat avec Primark pour le printemps 2025, Pinterest franchit un nouveau cap. Les utilisateurs peuvent désormais localiser des produits Primark vue sur la plateforme, facilitant le passage d’idée à achat. Un fonctionnement hybride, pensé sans boutique en ligne pour pousser à l’achat spontané en magasin. Ainsi, Pinterest ne vend pas directement, mais construit une expérience d’achat à forte valeur ajoutée.

Enfin, dans cette course à l’intégration commerciale, YouTube se lance dans la mêlée. Grâce à un partenariat avec Shopify, la plateforme a intégré de nouvelles fonctions shopping à son écosystème, permettant aux créateurs de contenus d’insérer des produits à vendre sous leur vidéo ou lors de live. Sur la base de ses contenus populaires (haul, unboxing et tutoriel), YouTube ajoute une dimension transactionnelle à son contenu. Désormais, une vidéo peut convaincre et convertir.

Expérience d’achat transformé et nouveau rôle des utilisateurs

Ces nouvelles fonctionnalités ont donc profondément modifié l’expérience d’achat en ligne, offrant une nouvelle utilité aux réseaux sociaux. Le commerce social change donc de stratégie. Cela ne repose plus sur la recherche d’un produit en particulier, mais sur une découverte chanceuse pendant un scroll. Les créateurs de contenu sont désormais à la recherche de fidélité et d’émotion auprès des utilisateurs, pouvant provoquer un achat impulsif et immédiat. Cette nouvelle fluidité entre contenu et prise de décision de consommer, brouille les frontières entre le divertissement et la consommation.

L’utilisateur qui jouait un rôle passif est désormais au cœur de ce nouveau modèle. Qu’il soit créateur, micro-influenceur ou simple consommateur, un individu est aujourd’hui essentiel à la chaîne commerciale. Chacun peut recommander un produit, participer à sa viralité et donc agir directement sur sa vente. La publicité traditionnelle n’est plus le cœur de ce commerce et laisse place à un modèle plus horizontal, construit sur la recommandation et la proximité. Un autre point central de ce nouveau modèle de commerce social est la puissance algorithmique. Capables de propulser un produit en tête de vente sur une simple trend, les algorithmes permettent à de nombreuses marques de faire leur apparition sur le marché.

Image Freepik : @freepik

Chez les jeunes, le commerce social s’impose progressivement comme une norme et ne fait plus débat. Les générations Z et Alpha grandissent dans un environnement où le shopping se fait sur Instagram, TikTok ou YouTube. Ainsi, selon GWI Core, en 2023, 51% des consommateurs de la génération Z déclarent chercher des marques et produits directement sur les réseaux. Acheter sur ces plateformes devient aussi facile et normal que de scroller. En 2021, Accenture estimait que d’ici 2025, le nombre d’achats sur les réseaux allaient être multiplié par 2,3 atteignant 1200 milliards de dollars contre 492 milliards en 2021. Cette évolution relève néanmoins de grosses problématiques sur 1/ la surconsommation, 2/ la visibilité réduite de certaines marques et 3/ la clarté des contenus sponsorisés.

Ainsi, ces plateformes redéfinissent le rapport de force entre créateurs, marques et consommateurs. Il n’y a plus qu’un glissement de doigt entre  le scroll et l’achat. Ces carrefours commerciaux sont désormais capables d’influencer nos envies, nos achats, et nos modes de vie. Ce nouvel écosystème bouleverse les codes du marketing et du commerce en ligne et soulève de nouvelles questions. Comment réguler ces nouvelles formes de publicité ? Comment garantir une expérience transparente pour l’utilisateur ?

CLOVIS DE BÉRU

Elloha : Les ventes via les réseaux sociaux vont doubler d’ici 2025 : https://blog.elloha.com/2022/01/09/les-ventes-via-les-reseaux-sociaux-vont-doubler-dici-2025/

Hootsuite : Shopping sur Instagram : comment s’installer et commencer à faire des ventes ? : https://blog.hootsuite.com/instagram-shopping

Hootsuite : Médias sociaux et e-commerce : un guide accès sur les ventes pour 2025 : https://blog.hootsuite.com/social-media-ecommerce/

Le Figaro : TikTok Shop, cette nouvelle machine de guerre du e-commerce qui défie Amazon : https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/tiktok-shop-cette-nouvelle-machine-de-guerre-du-e-commerce-qui-defie-amazon-20250314

Pinterest : The homeware collab of dreams; Pinterest and Primark launch new ways to shop trend-inspired collection : https://newsroom.pinterest.com/fr/news/primark-pinterest-trend-collection/

L’usine digitale : YouTube se rapproche de Shopify pour faciliter les achats sur sa plateforme : https://www.usine-digitale.fr/article/youtube-se-rapproche-de-shopify-pour-faciliter-les-achats-sur-sa-plateforme.N2028037

EMarketer : La génération Z préfère rechercher des marques sur les réseaux sociaux, plutôt que sur les moteurs de recherche : https://content-naf.emarketer.com/gen-z-prefers-research-brands-on-social-media-over-search-engines

Agorapulse : E-commerce : quels sont les meilleurs réseaux sociaux ? : https://www.agorapulse.com/fr/blog/e-commerce-quels-sont-les-meilleurs-reseaux-sociaux/

Le Blog : Les chiffres du social commerce selon une étude Accenture : https://www.defimode.org/social-commerce-accenture/

Data Minimalisme: comment Mubi a réussi comme un antidote à la surcharge des algorithmes

On témoigne une génération de nouveaux cinéphiles, qui se limite pas seulement aux nouvelles tendances de films elle-mêmes, mais une nouvelle façon d’engager, de regarder et de vivre l’expérience du cinéma. Des plateformes de streaming ont véritablement révolutionné le paysage cinématographique actuel avec l’avènement du « cinéma sur petit écran », particulièrement lors de la pandémie de COVID qui favorise davantage le visionnage de films à domicile. Cette tendance est dominée par des services streaming tel que Netflix et Amazon Prime. Ces plateformes favorisent les recommandations de films basées sur des algorithmes pour encourager l’engagement des utilisateurs dans la consommation de contenu audiovisuel. Cependant, cette approche peut souvent entraîner des conséquences négatives comme une fatigue décisionnelle et des bulles de filtrage.

Contrairement à cela, Mubi a pris une approche unique dans le domaine du streaming depuis sa création en 2007 en adoptant une philosophie axée sur la simplicité des données. Cette approche semble aller à contre-courant de la tendance actuelle qui repose sur l’utilisation intensive de données et d’algorithmes. Alors, comment cette plateforme de diffusion en continu de films en ligne a-t-elle pu se démarquer sur un marché saturé qui repose principalement sur l’exploitation de données ?

La différenciation fondamentale de MUBI réside dans sa sélection tournante de 30 films soigneusement choisis et renouvelés quotidiennement par une équipe d’experts cinéphiles. A l’inverse de Netflix, les algorithmes de recommandation peuvent encourager le binge-watching et limiter alors les utilisateurs à des genres similaires et renforcer les bulles de filtrage tout en diminuant la diversité culturelle. Par contraste, l’équipe de Mubi met en avant une sélection plus diversifiée avec la mise en avant sur des cinéastes auteurs et des thèmes cinématographiques régionaux variés. Cette approche illustre les constatations que une attitude de simplicité volontaire, c’est à dire, une façon de vivre axée sur une consommation réfléchie, renforce l’indépendance et les compétences en matière de bien-être psychologique.

Plutôt que de te suggérer des films en fonction de tes préférences de genre cinématographique habituelles, MUBI propose une façon éditoriale qui cherche à contourner le dilemme du choix, où la surabondance d’options rend la décision difficile aujourd’hui. En mettant l’accent sur la qualité plutôt que la quantité, Mubi réserve une place spéciale aux films d’auteur comme Moonlight et aux prétendants du Festival de Cannes. Ainsi, MUBI se positionne comme un créateur de tendances à part entière, adoptant une approche similaire à celle d’un festival virtuel du cinéma. Un article au sujet de la pratique de consommation minimaliste souligne que les pratiques minimalistes en matière de consommation réduisent la charge cognitive et augmentent la satisfaction en alignant les offres sur les valeurs profondément enracinées des utilisateurs. Par exemple, l’affection des nouvelles générations pour les designs épurés et fonctionnels témoigne du souci particulier que MUBI porte à la qualité cinématographique plutôt qu’à une large popularité instantanée auprès du grand public.

Et MUBI est conscient que ce sont les films de qualité qui peuvent réellement captiver et retenir l’intérêt des amateurs du cinéma. Avec une communauté passionnée comptant 7 millions d’abonnés répartis dans 200 pays différents, MUBI favorise cet engagement en offrant des critiques des utilisateurs, des réflexions thématiques (comme les hommages à Martin Rejtman à ce moment) et un magazine en ligne intitulé Notebook. La rotation régulière des films crée une atmosphère immersive et partagée similaire à celle ressentie dans un club littéraire, ce qui est associé à une plus grande implication et satisfaction au sein de la communauté. Ce service compte 81 millions de dollars de revenus et nous prouve que une sélection méticuleux effectué par des individus peut s’avérer rentable.

Le processus d’acquisition des films est complémentaire à  la stratégie éditoriale adoptée par MUBI. Contrairement aux géants du streaming qui privilégient la quantité à la qualité des œuvres proposées au public, MUBI se focalise sur l’obtention des droits exclusifs mondiaux pour des films salués par la critique mais souvent négligés par les concurrents plus imposants(le film Aftersun, par exemple). De même, prenons l’exemple marquant de l’achat à hauteur de 12 millions de dollars du film The Substance réalisé par Coralie Fargeat – un film d’horreur corporelle rejeté par Universal – cela a eu un impact transformateur : le film est depuis parvenu à générer 82 millions dollars à travers le monde. De plus, MUBI s’est vu attribuer cinq nominations aux Oscars qui ont renforcé sa réputation en tant qu’acteur sérieux à Hollywood qu’il démontre son engagement envers des projets novateurs portés par des réalisateurs qui trouvent une résonance auprès de son public spécialisé.

En dehors de se concentrer uniquement sur la rétention des utilisateurs fidèles, Mubi explore également des collaborations et des expériences hybrides exclusives. Les partenariats de MUBI avec des marques renommées comme Samsung, Apple et Dolby ont pour objectif de rendre son contenu plus accessible tout en préservant son engagement envers ses valeurs artistiques. Grâce à son service MUBI GO qui propose des billets de cinéma gratuits, la plateforme crée un lien entre le monde virtuel et physique en se basant sur des études favorables à l’intégration en ligne et hors ligne (online-to-offline ou O2O), afin d’améliorer les interactions avec les clients. Une levée de fonds de série D de 7 millions et demi de dollars pour ces partenariats artistiques prometteurs démontre une approche stratégique  alliant croissance durable et créativité authentique.

La stratégie réseaux sociaux de MUBI met à profit la rareté et la pertinence culturelle. Cela se voit par la mise à l’exclusivité de sa rubrique comme Film du Jour avec du contenu en coulisses et des interviews de réalisateurs. Cette tactique s’aligne sur des recherches sur le commerce social, où les offres à durée limitée stimulent les achats impulsifs et le FOMO (fear of missing out). A travers des plateformes comme Instagram et Twitter, Mubi met en avant cette urgence et favorise un sentiment d’appartenance chez les cinéphiles.

Les séances virtuelles questions-réponses organisées par MUBI et ses collaborations avec des festivals renommés tels que Cannes et la Berlinale illustrent parfaitement l’idée du social listening en action. Cette approche se révèle efficace pour affiner les stratégies axées sur la satisfaction du client en adaptant le contenu aux attentes du public. Par exemple, le partenariat avec la Criterion Collection rajoute une dimension intellectuelle supplémentaire à MUBI, séduisant ainsi les cinéphiles avisés qui apprécient la sélection soignée plutôt que l’aspect pratique.

Plutôt que de cibler des influenceurs populaires grand public directement pour sa promotion marketing sur les réseaux sociaux comme le font Amazon Prime Video par exemple, MUBI préfère collaborer avec des critiques de cinéma établis et des réalisateurs indépendants moins connus mais reconnus pour leur expertise dans le domaine cinématographique. Cette approche met en lumière l’influence bénéfique des micro-influenceurs dans la création d’une relation de confiance au sein des segments de marché plus restreints et spécialisés. MUBI a pu établir ainsi des liens plus profonds et significatifs avec son public cible spécifique.

Trouver un équilibre entre l’évolution et l’intégrité, cependant, représente aujourd’hui un réel défi pour Mubi. La croissance rapide de MUBI (avec une augmentation de 80 % du personnel en 2023 ) pourrait compromettre son essence originale axée sur une sélection minutieuse. Alors que les géants du streaming investissent dans la personnalisation guidée par l’intelligence artificielle, MUBI doit continuer à œuvrer pour enrichir l’ expérience utilisateur tout en préservant son approche minimaliste. Des fonctionnalités comme le visionnage hors ligne ou les interactions conversationnelles pourraient accroître l’ engagement des utilisateurs avec le contenu numérique. En fusionnant une approche minimaliste avec une stratégie de marketing centrée sur la communauté, cette plateforme présente une solution à la saturation algorithmique en démontrant que “moins est plus” lorsque l’éditorialisation et la sélection sont menées avec soin.

Bingxin PU

Sources:

1.https://vitrina.ai/blog/mubi-content-acquisition-unraveling-the-streaming-giants-strategy-vitrina-ai

2.https://link.springer.com/article/10.1007/s10668-024-05722-y

3.https://vizologi.com/business-strategy-canvas/mubi-business-model-canvas

4.https://sproutsocial.com/insights/importance-of-social-media-marketing-in-business

5.https://link.springer.com/article/10.1007/s41042-020-00030-y

6.https://vitrina.ai/blog/mubi-secures-paolo-sorrentinos-la-grazia-distribution-rights-across-multiple-territories

7.https://www.nytimes.com/2025/02/27/business/media/the-substance-mubi-streaming.html

8.https://gokceucar.medium.com/how-mubi-creates-value-through-strategic-curation-6992db77932f

9.https://startups.co.uk/news/hand-picked-on-demand-film-provider-mubi-raises-7-5m-series-d-funding

10.https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2021.808525/full

Fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux : comment l’IA enfonce le dernier clou ?

Autrefois, sur les premiers forums et réseaux sociaux, un simple pseudonyme pouvait donner l’illusion d’être anonyme. Derrière un écran, chacun se créait un alias et pouvait s’exprimer librement sans afficher son nom civil. Mais au fil des années, cet anonymat en ligne s’est érodé. La multiplication des données collectées, des avancées technologiques et maintenant de l’intelligence artificielle ont peu à peu levé le voile. Aujourd’hui, il devient presque impossible de passer inaperçu sur les réseaux sociaux, une quasi-impossibilité de garantir l’anonymat à l’ère de l’IA. Comment en est-on arrivé là, et en quoi l’IA représente-t-elle le dernier clou dans le cercueil de l’anonymat en ligne ?

Photo by Gilles Lambert on Unsplash

Pseudonymisation et anonymat : l’illusion d’une protection déjà mise à mal

Pendant des années, le pseudonyme représentait un moyen simple et intuitif de conserver un anonymat relatif sur les plateformes sociales comme Twitter, Reddit ou Instagram. Pourtant, dès le début, cette protection était en partie illusoire, car les pseudonymes ne protégeaient que des regards superficiels.

Chaque activité sur internet laisse en effet une multitude de traces numériques, ou métadonnées : adresses IP, localisation géographique approximative, données de navigation, historique des sites visités, informations stockées par les cookies publicitaires, ou encore données sur l’appareil utilisé (type d’ordinateur, résolution d’écran). Si ces informations sont individuellement banales, leur combinaison permet très rapidement d’identifier une personne, même sans connaître son nom réel.

Un exemple célèbre remonte à 2006, lorsque AOL publia involontairement des millions de recherches anonymisées. Parmi ces recherches figuraient des requêtes anodines sur des lieux précis, qui ont suffi à des journalistes pour identifier une femme précisément. Plus récemment encore, une étude publiée en 2019 dans la revue scientifique Nature Communications a démontré que seulement trois données basiques (âge, genre, code postal) suffisaient pour ré-identifier précisément 99,8 % des utilisateurs dans une base pourtant anonymisée.

Parallèlement à ces recherches, une autre technique a pris de l’ampleur : le fingerprinting numérique. Chaque appareil connecté à Internet génère une signature unique en fonction de ses caractéristiques techniques (version de navigateur, plugins installés, fuseau horaire, polices d’écriture). L’Electronic Frontier Foundation souligne que ce fingerprinting identifie un internaute avec une précision supérieure à 90 %, sans jamais avoir recours à son nom ou son email.

Enfin, la pseudonymisation atteint également ses limites sous les pressions économiques et techniques. Les réseaux sociaux utilisent des algorithmes sophistiqués qui croisent constamment des données sur les utilisateurs pseudonymes, afin de les relier à leur identité réelle et ainsi améliorer le ciblage publicitaire. Par exemple, Facebook utilise régulièrement ces procédés pour suggérer des « amis » sur la base de connexions indirectes (même lieu, même adresse IP, mêmes intérêts).

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L’IA : un coup fatal à l’anonymat numérique

Si l’anonymat était déjà fragile, l’intelligence artificielle vient aujourd’hui lui porter le coup de grâce, à travers trois avancées majeures particulièrement puissantes :

Reconnaissance faciale : Clearview AI, symbole de la fin d’un anonymat visuel

Clearview AI constitue l’exemple le plus frappant de cette nouvelle réalité. Cette entreprise américaine a accumulé des milliards d’images provenant de plateformes publiques comme Facebook, Instagram ou Twitter, sans consentement explicite. Grâce à un puissant algorithme de reconnaissance faciale, elle est capable de retrouver instantanément l’identité précise d’une personne à partir d’une simple image. L’utilisation de Clearview AI par les autorités policières aux États-Unis et ailleurs dans le monde a suscité des critiques massives pour son intrusion sans précédent dans la vie privée.

Cette technologie ne se limite pas aux services de police : aujourd’hui, d’autres outils similaires sont utilisés plus largement, ce qui implique que toute photo en ligne peut désormais servir à identifier précisément un internaute, même caché derrière un pseudonyme ou sur un autre profil.

Reconnaissance comportementale : quand vos habitudes suffisent à vous identifier

Un autre aspect majeur concerne la reconnaissance comportementale. L’IA permet désormais d’identifier précisément une personne uniquement à partir de ses comportements et interactions en ligne. Une étude récente (2023) a montré qu’une intelligence artificielle entraînée sur des données anonymisées de communications téléphoniques pouvait ré-identifier précisément plus de la moitié des utilisateurs simplement en observant leurs habitudes de communication : horaires précis, contacts réguliers, et fréquence des interactions.

Facebook et Instagram utilisent quotidiennement des procédés similaires pour détecter automatiquement les liens entre différents comptes pseudonymes et profils réels, simplement à partir des comportements numériques. Ainsi, même sans fournir explicitement des informations personnelles, les habitudes d’utilisation révèlent l’identité réelle d’un internaute avec une efficacité redoutable.

Stylométrie par IA : quand écrire suffit à vous dénoncer

Enfin, l’analyse stylométrique automatisée par IA permet d’identifier précisément l’auteur réel de textes anonymes grâce à l’analyse du style d’écriture : vocabulaire spécifique, habitudes grammaticales, fréquence d’utilisation de certains mots, ou encore erreurs récurrentes. Des recherches récentes ont montré que cette technique est suffisamment puissante pour identifier anonymement des auteurs sur des plateformes comme Reddit, Twitter, ou même dans des emails et SMS anonymisés.

Avec ces trois avancées majeures combinées, l’intelligence artificielle détruit rapidement les derniers remparts de l’anonymat numérique. Le pseudonyme devient inefficace dès que l’on poste une image, un message ou que l’on interagit simplement sur les réseaux sociaux.

L’IA, un espoir paradoxal pour réinventer l’anonymat ?

Il apparaît désormais clairement que l’anonymat en ligne est largement dépassé. Nos pseudonymes et nos tentatives pour cacher notre identité sont minés de toutes parts par la collecte massive de données et par la puissance des algorithmes d’intelligence artificielle capables de relier ces données. Ce que nous faisons, ce que nous aimons, où nous allons, tout peut être analysé pour deviner qui nous sommes réellement. L’IA a accéléré ce processus jusqu’à rendre l’anonymat quasi illusoire sur les réseaux sociaux.

Faut-il pour autant sombrer dans la fatalité ? Pas nécessairement. Les mêmes technologies qui portent atteinte à l’anonymat peuvent aussi être mobilisées pour mieux protéger notre identité numérique. Paradoxalement, l’IA peut devenir une alliée de la vie privée, si on l’oriente dans ce but. Des chercheurs travaillent sur des techniques d’anonymisation assistée par IA : par exemple, des algorithmes capables de parcourir un document et d’en supprimer automatiquement toutes les informations personnelles (noms, adresses…) avant publication. Des initiatives voient le jour pour doter les régulateurs d’outils qui mesurent le risque de ré-identification et alertent en cas de données trop parlantes. 

D’autres pistes, plus expérimentales, explorent la cryptographie comportementale : l’idée de chiffrer ou de brouiller nos patterns de navigation afin de les rendre inexploitables par les IA malveillantes. Par exemple, on pourrait imaginer un outil qui introduit du bruit dans nos données (fausses requêtes, likes aléatoires) pour déjouer les profilages automatisés. De même, des techniques de privacy by design (telles que la differential privacy) intègrent un flou statistique dans les données collectées, de sorte qu’on puisse en tirer des tendances globales sans pouvoir identifier individuellement les personnes.

Ces approches sont encore naissantes, mais elles offrent une lueur d’espoir. À l’heure où l’IA semble avoir levé toutes nos masques, nous ne sommes pas condamnés à une transparence totale sur les réseaux sociaux. Une prise de conscience s’opère et stimule la recherche de contre-mesures technologiques et juridiques. Demain, l’IA pourra peut-être nous aider à naviguer de façon plus anonyme, en étant le gardien de nos données plutôt que le fossoyeur de notre anonymat. En attendant, rappelons-nous que sur Internet, nous ne sommes jamais aussi cachés que nous le croyons, et agissons en conséquence, avec prudence et discernement quant aux informations que nous laissons derrière nous sur les réseaux sociaux.

Martin LORME


Sources

BeReal est-il vraiment « anti-influence » ?

« BeReal. qui se plaçait en contre-courant des autres réseaux sociaux dictés par la superficialité, les artifices, et le business, devient ainsi une plateforme où l’on peut retrouver des posts sponsorisés…comme sur toutes les autres. »

Ce paragraphe concluait le dernier article écrit sur BeReal sur cette plateforme par Marine Marzin, ancienne élève du Master SIREN.

Dans cet article, je vais tenter de poursuivre son étude et de répondre à ses questionnements en m’appuyant notamment sur les nouvelles fonctionnalités apparues.

Avant tout, petite piqûre de rappel ; arrivée de BeReal, contexte, fonctionnement, succès.

Ce n’est autre que 2 jeunes français qui ont l’idée de ce tout nouveau réseau social qui lutterait contre le « c’est trop beau pour être vrai » d’Instagram. Alexis Barreyat et Kévin Perreau introduise en 2020 BeReal dont le concept est on ne peut plus simple ; une fois par jour, notre téléphone nous envoie une alarme « It’s Time To BeReal ! ». On a ensuite 2 minutes pour ouvrir l’application et se prendre en photo, BeReal capturant la caméra avant et arrière au même instant.

En 2 minutes, impossible de retoucher son maquillage ou de sortir de son lit pour retrouver des amis. Il semblerait donc impossible de « tricher » ; BeReal montre notre vraie vie, sans artifices. Le concept apparaîtrait parfait. Et pourtant, c’était également « trop beau pour être vrai » de penser que l’application resterait telle quelle ; elle se devait d’évoluer mais a-t-elle évolué dans le bon sens ?

Tout particulièrement, alors que les influenceurs envahissent nos réseaux depuis bien longtemps, BeReal est-elle restée une application « anti-influence » ?

BeReal : un réseau social conçu contre la mise en scène ?

Reprenons, BeReal a un principe simple : une notification aléatoire par jour, obligeant les utilisateurs à prendre une photo en temps réel sans filtre, ni retouche. Ainsi, à priori, contrairement à Instagram ou TikTok, il ne permet pas de planifier ou d’éditer ses posts. De même, il n’y a aucun système de « like » ou de « suivi ». On est « amis » avec ceux qu’on connaît et ceux à qui on veut bien dévoiler une partie de notre intimité et on « réagit » aux BeReals de nos amis avec des réactions souvent humoristiques pour alimenter un peu les échanges.

L’article cité plus haut (https://digitalmediaknowledge.com/medias/bereal-et-la-quete-dauthenticite-vers-une-utilisation-plus-saine-des-reseaux-sociaux/) explique bien cette quête d’authenticité. Cependant, depuis sa publication, le réseau a légèrement évolué.

Alors que certaines innovations sont « sans danger », comme les BeReals vidéos, les récapitulatifs personnalisés de l’année, les records de flammes, la possibilité d’épingler des BeReals, de taguer des amis ou encore la possibilité d’afficher la musique écoutée sur Spotify ou Apple Music au moment du cliché, d’autres éloignent le réseau de sa promesse d’origine.

L’objectif étant de pousser les utilisateurs à poster à l’heure, BeReal a d’abord permis à ceux qui était « à l’heure » de poster deux BeReals de plus dans la journée tandis que ceux « late » resteraient à un seul. Déjà, on voit ici une première dégradation du concept ; la possibilité de programmer nos BeReals. Poster à l’heure « au naturel » pour pouvoir par la suite poster deux BeReal « mis en scène » de la même façon qu’une story.

Aujourd’hui, cette innovation a encore évolué. Un utilisateur « à l’heure » va pouvoir poster six BeReals en tout et un « late » pourra en poster deux. En testant ces fonctionnalités de BeReals « bonus », l’application perd déjà de sa spontanéité.

En effet, l’idée d’un réseau « anti-mise en scène » repose sur la spontanéité, mais en réalité, et particulièrement avec cette nouvelle mise à jour, les utilisateurs attendent souvent le « bon moment » pour poster les 5 BeReals additionnels auxquels ils ont le droit. Un BeReal a plus de chance d’être posté à un évènement cool, plutôt que dans un canapé.

Tout cela entraîne un paradoxe auquel les créateurs ne s’attendaient sûrement pas ; BeReal veut contrer la culture de l’image parfaite, mais pousse aussi à une nouvelle forme de pression sociale « si je ne fais rien d’intéressant au moment de la notification, mon BeReal sera nul ».

On comprend donc que BeReal, qui essaye simplement de rester compétitif, perd déjà cette authenticité d’origine qui en avait fait un tel succès en se rapprochant des réseaux sociaux que nous connaissons bien.

Et puisque réseau social rime de façon évidente avec influenceurs, qu’en est-il de ces influenceurs ?

« Real Brand », « Real People » : il faut monétiser BeReal.

Malgré de nouvelles fonctionnalités qui ne permettaient pas d’être parfaitement authentique, on pardonnait au réseau, qui restait loin de l’esthétique fake d’Instagram ou de TikTok. Une autre différence qui faisait de BeReal un réseau rafraîchissant est que tout le monde était sur le même piédestal ; pas de nombre d’abonnés, pas de nombre de likes, bref pas de « célébrités des réseaux ». 

Mais c’est le 6 février 2024 que cette promesse s’écroule. En effet, bien que les stars et les marques puissent déjà être sur BeReal, le 6 février 2024, leurs comptes sont devenus « vérifiés » comme cela est le cas sur d’autres réseaux. Ils apparaissent désormais comme des « Real People » ou des « Real Brands ». Les utilisateurs « normaux » sont quant à eux invités à suivre ces comptes et devenir à ce titre des « Real Fans » qui peuvent taguer leurs personnalités préférées dans leurs posts en espérant être republiés par ces comptes.

Comment BeReal a tenté de garder son caractère authentique avec ces nouveautés ? en n’octroyant aucun autre privilège particulier à ces comptes « Real People » ; ils reçoivent une notification comme tout le monde et doivent poster leurs photos en temps et en heure.

BeReal veut faire passer cette nouveauté comme une opportunité pour ses utilisateurs de montrer que « des personnes et des marques notables sont en réalité des personnes comme nous – tout aussi ennuyeuses et intéressantes à différents moments ».

En réalité, cela permet surtout pour les influenceurs et les marques de développer une communauté, interagir avec leurs clients, leurs fans, créer un sentiment de proximité avec eux et donc rajeunir une image de marque, et toucher un public plus jeune et la fameuse génération Z. Bref, un autre moyen marketing. Mais ce n’est pas tout ; la publicité a envahi les feeds d’actualité de BeReal. À l’origine, pour voir de la publicité, il fallait cliquer sur le profil des personnalités ou des marques et s’abonner à eux. À présent, la publicité est présente, pour tous, sur le fil de photographies de chaque utilisateur.

La raison principale de ce double revirement est le rachat de BeReal par la licorne Voodoo début 2024 pour 500 millions de dollars. BeReal qui, jusqu’ici, ne générait pas un centime, se doit de devenir rentable. Ce qui explique son développement vers un business model publicitaire. Un autre petit exemple de comment BeReal peut exploiter des partenariats et passer par de la publicité ; lors de la sortie de l’album 1989 de Taylor Swift, l’appli a, comme par hasard, envoyé sa notification à l’exacte même heure que la sortie de l’album. Les fans ont donc pu capturer leurs réactions au moment de la découverte des nouvelles musiques. C’est exactement ce genre de partenariats permettant aux artistes et aux marques de synchroniser leurs lancements avec l’application qui pourront continuer d’exister.

Une application sans influenceurs… en apparence.

Mais au-delà de la publicité, concentrons-nous sur le sujet principal de cet article ; les influenceurs. En théorie, le réseau empêche les influenceurs de prospérer puisqu’il n’y a pas de filtres, pas de retouches, pas de mise en avant de contenus. Malgré tout, certains créateurs trouvent des moyens de détourner ces règles.

En effet, les marques parviennent à s’approprier BeReal, non seulement via les publicités mentionnées précédemment mais également avec des campagnes de communication utilisant des influenceurs.

Un exemple de cette évolution serait la nouvelle campagne de communication d’Avène. Accompagnée par l’agence We Are Social, l’entreprise utilise le concept du partage instantané de photo dans la journée pour promouvoir son produit « Cleanance Comedomed Peeling » avec comme nom pour la campagne #TheRealestAd. Le produit en question a pour mission de réduire le volume des boutons de 95% sur une quinzaine de jours. Ainsi, l’objectif de s’allier à BeReal était de bénéficier de sa valeur « d’authenticité » en partageant les résultats de la crème quotidiennement sur 15 jours via des influenceurs.  C’est le cas de la créatrice de contenu Isïa, qui a agrémenté son BeReal d’images en collaboration avec Avène pour montrer l’effet de la crème avec des photos « sans triche ».

Mais déjà bien avant ça, les marques avaient compris que BeReal pouvait leur être bénéfique. On peut mentionner Chipotle, la chaîne de restauration rapide mexicaine connue pour sa mentalité d’early-adopter, qui crée son compte au printemps 2022 et publie un code promo d’une offre limitée directement sur BeReal.

En bref, alors que le réseau partait du message « utilisons le réseau pour partager sa vie avec ses amis proches, sans artifices et sans objectifs cachés », il finit par se rapprocher de n’importe quel réseau en cédant à la pression du marketing et de l’influence.

Les marques ont rapidement compris l’avantage qu’elles pouvaient en tirer et BeReal a évolué dans leur sens.

Conclusion

À son lancement, BeReal incarnait une révolution en promettant un réseau social loin des artifices et des stratégies d’influence. Son concept reposait sur la spontanéité et l’instantanéité, un contraste radical avec Instagram ou TikTok. Pourtant, au fil des évolutions, l’application s’est progressivement éloignée de son idéal initial. L’introduction de publications bonus, l’apparition de comptes certifiés et la montée en puissance des collaborations avec marques et influenceurs marquent un tournant qui brouille son positionnement.

Peut-on encore considérer BeReal comme une plateforme « anti-influence » ? À l’évidence, l’application n’échappe pas aux logiques de visibilité et de monétisation, malgré ses efforts pour préserver un semblant d’authenticité. Son futur dépendra sans doute de l’équilibre qu’elle parviendra à maintenir entre engagement utilisateur et rentabilité.

Mais cette évolution pose une question plus large : existerait-il encore un espace numérique véritablement exempt d’influence et de mise en scène, ou l’authenticité est-elle condamnée à n’être qu’un argument marketing parmi d’autres ?

Valentine Marcilhacy

SOURCES

Réseaux sociaux et liberté d’expression : la guerre ouverte de Zuckerberg et Musk contre l’Europe

Les annonces récentes de Mark Zuckerberg sur la réduction de la modération des contenus et la promotion de l’IA générative, et l’influence d’Elon Musk sur les démocraties européennes, déclenchent une véritable crise entre la Silicon Valley et Bruxelles. Face aux risques accrus de désinformation et de manipulation politique, l’Union européenne riposte et cherche à renforcer ses régulations pour préserver l’intégrité du débat démocratique.

Un coup de tonnerre dans l’espace numérique

Depuis janvier 2025, une nouvelle bataille s’est engagée entre l’Union européenne et les grands patrons des réseaux sociaux. Le patron de X (anciennement Twitter), Elon Musk, cherche à influencer les élections en Europe. Mark Zuckerberg (Meta) annonce quant à lui vouloir diminuer drastiquement la modération des contenus sur ses plateformes. Prétendant défendre la « liberté d’expression », ces deux figures de la tech entendent notamment, à travers ces prises de positions,  favoriser les contenus générés par intelligence artificielle et renoncer à la suppression des publications controversées, au risque d’ouvrir la porte à une vague massive de désinformation et de deepfake. Le débat démocratique se retrouve ainsi menacé par les mastodontes du numérique.

Cette position, qui s’oppose frontalement à la régulation européenne, notamment au Digital Services Act (DSA), a été immédiatement critiquée par Bruxelles. Au-delà d’un simple bras de fer juridique, cette annonce marque une véritable déclaration de guerre contre les principes démocratiques d’une information vérifiée et encadrée.

Une offensive contre la régulation européenne

La réglementation européenne en matière de numérique s’est renforcée ces dernières années avec le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Ces lois visent à imposer des obligations strictes aux grandes plateformes afin de lutter contre la propagation des fake news, de protéger la vie privée des utilisateurs et d’assurer une concurrence équitable. Le DSA, en particulier, impose des obligations de transparence sur les contenus sponsorisés, le signalement des contenus illicites et la modération des publications nuisibles.

Or, l’abandon du fact-checking par Meta et la liberté totale laissée aux utilisateurs sur X vont à l’encontre de ces principes. Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive de la Commission européenne, a déclaré à ce sujet :

« Notre tâche est de nous assurer que les droits des citoyens européens sont respectés et que notre législation est appliquée. Cela garantit des conditions équitables et un environnement en ligne sûr pour tous. »

Ces propos résonnent comme une réponse directe aux attaques de Zuckerberg et Musk, qui voient dans le cadre réglementaire européen une contrainte incompatible avec leur vision du business.

L’explosion annoncée de la désinformation

En renonçant à la modération et en favorisant les contenus générés par intelligence artificielle, Meta et X prennent le risque de transformer leurs plateformes en zones de non-droit informationnel.

L’historique récent montre pourtant que les réseaux sociaux ont déjà joué un rôle central dans la diffusion de fausses informations. Que ce soit lors du Brexit dès 2016, ou lors des élections américaines, les fake news se sont multipliées à une vitesse inédite.

Avec la prolifération des deepfakes, ces vidéos ultraréalistes manipulées par IA, associée à la fin du fact-checking, le danger est encore plus grand. Désormais, il sera possible de fabriquer de fausses déclarations attribuées à des responsables politiques ou de créer des vidéos truquées d’événements qui n’ont jamais eu lieu. Dans un contexte pré-électoral en Europe, cette situation inquiète particulièrement les institutions bruxelloises.

Une menace directe pour les démocraties européennes

Si l’Europe a décidé d’agir rapidement, c’est parce que les conséquences sur la démocratie sont immenses. En limitant la transparence et la responsabilité des plateformes, Zuckerberg et Musk laissent proliférer des stratégies de manipulation de l’opinion publique à grande échelle. Ils en ont même une grande influence.

Elon Musk a déjà influencé la campagne américaine en affichant de manière affirmée son soutien à Donald Trump, qui le lui a bien rendu en le nommant à la tête du Département de l’Efficacité Gouvernementale (Department of Government Efficiency, ou DOGE), avec pour objectif de réduire la bureaucratie, les dépenses publique, et de rationaliser les opérations fédérales. Il continue sa lancée en tentant cette fois-ci de s’immiscer dans les élections législatives en Allemagne. Il a apporté explicitement son soutien à l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, en participant à une discussion retransmise en directe sur X avec Alice Weidel, dirigeante de l’AfD, une semaine après l’investiture de Donald Trump. Son intervention lors de cette investiture avec un geste stupéfiant pouvant être interprété à un salut nazi, au regard de ce contexte, ne peut pas sembler anodin. Elon Musk n’a cessé depuis plusieurs mois, comme l’a également rappelé Le Monde, « de multiplier les références à l’antisémitisme et à l’idéologie nazie ».

Elon Musk saluant la foule lors de l’investiture de Donald Trump.
Crédit : Christopher Furlong / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP / RTL

La manipulation de l’opinion publique est présente également dans d’autres pays européens, comme par exemple la Roumanie. En effet, lors de l’élection présidentielle de 2024, la Cour Constitutionnelle a annulé le scrutin. La raison : des publicités politiques ciblées sur TikTok ont manipulé des électeurs sans qu’ils en soient conscients. De plus, des rapports des services de renseignement roumains, déclassifiés par la présidence, ont révélé une vaste opération d’influence  menée sur TikTok en faveur du candidat d’extrême droite pro-russe Cãlin Georgescu. Cette campagne impliquait notamment le financement d’influenceurs locaux pour promouvoir ce candidat, ainsi que des faux comptes pour amplifier artificiellement sa popularité.

Ce type d’intervention pourrait se généraliser dans toute l’Europe si les plateformes ne sont pas contrôlées. De nombreux experts s’inquiètent également du rôle croissant de la Chine et de la Russie dans ces campagnes de désinformation. En laissant leurs réseaux sociaux devenir un champ de bataille informationnel, Musk et Zuckerberg ouvrent la porte à des ingérences étrangères massives.

L’Europe va-t-elle contre-attaquer ?

Face à cette escalade, Bruxelles envisage des réponses drastiques. Parmi elles :

  • Des sanctions financières massives contre Meta et X en cas de non-respect du DSA
  • Un renforcement des outils de contrôle et de signalement des contenus illégaux
  • Une meilleure coordination avec les États membres pour surveiller les campagnes de désinformation

La Commission européenne a déjà infligé aux géants de la tech des milliards d’euros d’amendes pour violation des règles de protection des données et de concurrence au cours de ces dix dernières années. Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée française, a d’ailleurs interpellé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, l’appelant à « ne pas trembler sous la pression américaine ».

L’affrontement entre Bruxelles et la Silicon Valley ne fait que commencer, mais il est crucial pour l’avenir de l’information et de la démocratie en Europe. Si Meta et X persistent dans leur stratégie, la régulation européenne devra réagir avec fermeté pour éviter que le continent ne devienne un terrain de jeu pour la manipulation numérique.

Dans ce duel aux enjeux historiques, une question demeure : les régulateurs européens auront-ils les moyens de faire plier cette nouvelle « broligarchie » ?

Selim Amara

Sources

Elon Musk et Donald Trump : Une alliance qui redéfinit le discours politique en ligne


L’ère numérique a profondément transformé la communication politique, et peu de figures illustrent mieux cette mutation qu’Elon Musk et Donald Trump. En prenant le contrôle de Twitter (désormais X), Musk a bouleversé les règles du jeu médiatique, en mettant en avant une conception radicale de la liberté d’expression. Son alliance de plus en plus évidente avec Trump, figure emblématique du populisme américain, suscite des interrogations majeures sur l’avenir du discours politique en ligne et ses conséquences sur la démocratie. Cette dynamique a des répercussions bien au-delà des États-Unis, notamment en Europe, qui tente de se positionner comme un rempart face à cette montée en puissance des discours polarisants et de la désinformation.


Elon Musk et sa vision de la « liberté d’expression »

L’acquisition de Twitter par Elon Musk en octobre 2022 pour 44 milliards de dollars a marqué un tournant dans l’histoire des réseaux sociaux. Se définissant comme un « absolutiste de la liberté d’expression », Musk a rapidement mis en œuvre des réformes radicales : dissolution des équipes de modération, réintégration de comptes bannis, dont celui de Donald Trump, et suppression de nombreuses restrictions sur le contenu.

Toutefois, cette vision idéalisée d’un espace d’expression libre s’est rapidement heurtée à la réalité. Si Musk a prôné une plateforme ouverte à tous, il n’a pas hésité à suspendre des journalistes critiques et à favoriser un climat propice à la diffusion de fausses informations. Son approche sélective de la liberté d’expression, oscillant entre idéalisme libertarien et intérêts économiques, a provoqué une montée des discours polarisants et une multiplication des controverses. Une étude de l’Arxiv a montré que les comptes diffusant des informations erronées ont vu leur portée considérablement augmentée après l’acquisition de Twitter par Musk.

Musk semble s’inspirer de la pensée de John Stuart Mill sur la liberté d’expression, en particulier de son principe selon lequel la confrontation des idées permet de révéler la vérité. Mill défendait un espace de débat ouvert où toutes les opinions pouvaient être exprimées afin de favoriser l’épanouissement intellectuel et démocratique. Cette approche se retrouve dans la philosophie de Musk, qui rejette toute forme de censure au nom de la diversité des points de vue et du droit de chacun à s’exprimer librement.

Seulement pour Mill il existe des limites, notamment lorsque la « liberté d’expression » incite directement à la violence (et non à la haine), ici la critique est acceptable de lors qu’elle ne nuit pas à autrui. La question prédominante de notre débat serait donc : à quelle moment les paroles (sur les réseaux sociaux) deviennent des actes ou non ?


L’émergence du duo Musk/Trump pendant la campagne présidentielle

L’alliance entre Trump et Musk s’est consolidée au fil de la campagne présidentielle américaine de 2024. Ce rapprochement repose sur une stratégie commune : mobiliser leur base de « followers » en exploitant au maximum les réseaux sociaux. En effet, X et Truth Social, la plateforme de Trump, ont joué un rôle clé dans la diffusion massive de contenus visant à discréditer les institutions américaines et à renforcer le sentiment d’injustice parmi les électeurs conservateurs.

Musk, bien que n’occupant pas de poste officiel dans l’administration Trump, est devenu un conseiller influent, notamment sur les questions de dérégulation et de réduction des dépenses fédérales. Ses prises de position politiques se sont multipliées, allant jusqu’à attaquer des dirigeants étrangers et à soutenir des partis d’extrême droite en Europe.

Cette rupture avec le cadre institutionnel traditionnel n’est pas seulement une stratégie électorale ; elle traduit un repositionnement plus profond du débat politique américain. En misant sur la fragmentation et l’indignation permanente, Trump et Musk ont créé un écosystème informationnel où la confrontation directe et le sensationnalisme priment sur la réflexion et l’analyse.


La polarisation du discours et la banalisation des fake news

L’impact de l’alliance Musk-Trump sur le débat public est considérable. La politique de modération allégée de X a ouvert la porte à une explosion des contenus polémiques, des théories du complot et des fausses informations. Selon une étude de NewsGuard, 74 % des contenus les plus viraux lors du conflit entre Israël et le Hamas provenaient de comptes certifiés payants sur X, mettant en évidence les effets pervers de la nouvelle politique de la plateforme.

Trump et Musk ont compris que la provocation et la polarisation captivent l’attention. En inondant l’espace médiatique de déclarations controversées et en attaquant les médias traditionnels, ils ont contribué à la défiance croissante envers les institutions démocratiques et journalistiques. Cette approche, si elle leur est politiquement et économiquement bénéfique, menace le fondement même du débat démocratique en instaurant une guerre permanente de l’information où la vérité devient secondaire au profit du sensationnel.


L’Europe comme « bouclier » face au duo Trump-Musk

Face à cette montée en puissance du discours populiste et de la désinformation, l’Union européenne tente d’adopter une posture défensive. La mise en place du Digital Services Act (DSA) vise à encadrer les plateformes numériques et à responsabiliser leurs propriétaires quant à la diffusion de contenus nocifs. Toutefois, la tâche est ardue, car Musk a ouvertement rejeté les contraintes réglementaires européennes, retirant X du Code de bonnes pratiques contre la désinformation.

L’Europe est directement ciblée par cette offensive idéologique. Musk et Trump ont critiqué les gouvernements européens pour leurs politiques de régulation et de taxation des géants de la tech. Par ailleurs, le soutien affiché de Musk à des figures politiques européennes populistes, telles qu’Alice Weidel en Allemagne, figure de l’AfD, accentue les tensions entre l’Europe et la droite radicale transatlantique.

Certains États membres, comme la Belgique et l’Allemagne, réagissent en menaçant X de sanctions financières sévères en cas de non-respect des réglementations européennes. Une enquête étant en cours pour évaluer comment X amplifie certains contenus et s’il respecte les obligations de transparence imposées par le DSA. Mais la division persistante entre les pays de l’UE et la dépendance économique à l’égard des technologies américaines compliquent la riposte. L’enjeu est de taille : laisser Musk et Trump imposer leur vision du monde numérique, ou affirmer un modèle européen fondé sur la transparence, la responsabilité et la lutte contre la désinformation.

L’un des défis majeurs de l’Europe réside dans sa capacité à faire appliquer ses réglementations. Des enquêtes menées par la Commission européenne sur les pratiques de modération de X ont mis en évidence des failles dans l’application des règles européennes.

La montée de la polarisation et des fake news plonge le peuple dans un état émotionnel intense, favorisant une désignation simpliste de boucs émissaires. Ce phénomène s’inscrit dans un cycle bien documenté de la violence des émotions collectives, étudié par René Girard. Or, cet état d’esprit, largement véhiculé par les réseaux sociaux, va à l’encontre des principes fondateurs des démocraties européennes, qui reposent sur le droit international, la reconnaissance des frontières et des nations, ainsi que sur des régulations juridiques et institutionnelles garantissant une alternative à la loi du plus fort.

Ces principes fondateurs sont fragiles face à la violence émotionnelle des contenus, qui l’emportent souvent sur la rationalité humaine. En effet, les peuples européens n’ont pas toujours conscience de la richesse de ces constructions, régulatrices de la paix en Europe depuis ces 80 dernières années.

Cependant, cette régulation s’annonce difficile pour une Europe politiquement et économiquement affaiblie, ainsi que militairement vulnérable, qui risque ainsi de peiner à s’imposer face aux grandes puissances concurrentes.

Commission européenne, Bruxelles


Conclusion : un modèle de gouvernance en péril ?

L’ascension du duo Trump-Musk soulève des questions cruciales sur l’avenir du discours public et des régulations numériques. En fusionnant leurs influences politiques et économiques, ils ont redéfini les contours du débat démocratique, privilégiant la confrontation et la viralité aux dépens de la véracité et de la délibération rationnelle.

L’Europe, consciente des dangers posés par cette nouvelle ère de communication politique, tente d’opposer une résistance institutionnelle et juridique. Cependant, l’ampleur de l’influence de Trump et Musk, combinée à l’absence d’un front uni au sein de l’UE, rend la tâche difficile.

Renforcer les cadres réglementaires, encourager une transparence accrue des plateformes et promouvoir une éducation aux médias sont autant de leviers à explorer pour limiter l’impact de cette nouvelle ère du débat public.

Julien BOULOC

Sources

Marketing du cinéma d’horreur : les stratégies des distributeurs indépendants américains

Le cinéma d’horreur a occupé une place importante en 2024, avec des films comme Longlegs, The Substance, Nosferatu ou encore Immaculée. Ces titres ont fait sensation au box-office indépendant, séduisant un public en quête de récits singuliers.

Image libre de droits, faite par IA

Ce genre, plus que jamais, continue d’attirer un jeune public fidèle et passionné. En 2023, les 15-24 ans représentaient plus de 40% des entrées de La Nonne : La Malédiction de Sainte-Lucie (1,15 million d’entrées). Ils ont également dominé l’audience de Five Nights at Freddy’s (45,7 %), L’Exorciste : Dévotion (44,2 %) ou encore Saw X (41,4 %)1. Cette tranche d’âge constitue une audience clé pour les distributeurs et les annonceurs.

Les films d’horreur, et en particulier les films d’horreur indépendants, offrent l’opportunité unique de toucher ce public difficilement accessible par d’autres canaux. Jennifer Friedlander, vice-présidente senior chez Screenvision, et Mike Rosen, directeur des revenus chez National CineMedia, expliquent que le genre de l’horreur est particulièrement adapté pour capter l’attention des jeunes « cord-cutters » adeptes du contournement publicitaire. La salle de cinéma devient alors un espace idéal pour diffuser des messages ciblés à ce public, de manière bien plus efficace que sur les médias traditionnels ou numériques : sur le grand écran, les publicités ne peuvent pas être facilement ignorées.2

Mais encore faut-il attirer ce public en salles. Pour cela, les efforts marketing sont essentiels. Comme le souligne Jason Blum, fondateur de Blumhouse : « Le succès d’un film, c’est 50 % sa qualité, 50 % le marketing ».3

En 2024, le plus grand succès du cinéma d’horreur était A Quiet Place: Day One, réalisé par Michael Sarnoski et produit et distribué par Paramount Pictures. Avec un box-office mondial de 261 millions de dollars pour un budget de 67 millions, le film s’impose également comme le plus grand succès horrifique en termes d’entrées aux États-Unis4, mais aussi en France5. Si le budget marketing n’est pas public, les équipes ont concentré leurs efforts sur des campagnes médias, et ont largement capitalisé sur la popularité de la franchise. Nous avons également pu observer des actions marketing plus innovantes, comme des tags « Don’t Talk » ou « Stay Quiet » dans la ville de New-York.

Et du côté des indépendants ?

Si l’on s’éloigne des productions des grands studios, on remarque que le cinéma indépendant s’impose de plus en plus sur la scène horrifique, et qu’il propose des campagnes marketing souvent plus risquées et provocantes. Longlegs, réalisé par Oz Perkins, avec Maika Monroe et Nicolas Cage, en est l’un des exemples les plus parlants. Troisième plus grand succès du genre aux États-Unis en 20246, il est distribué par Metropolitan Filmexport en France et par NEON aux États-Unis.

Le succès marketing de Longlegs

Dès le départ, NEON a pris le parti d’une campagne minimaliste et intrigante. Les premiers teasers ne livrent aucun détail sur l’intrigue, le casting ou même le réalisateur : ils laissent le public dans l’ignorance totale de l’histoire. Mieux encore, le studio fait le choix audacieux de ne pas dévoiler immédiatement le look si distinctif de Nicolas Cage, alors qu’il aurait pu être un argument promotionnel évident.

NEON a également investi dans des affiches et des panneaux publicitaires : la plupart se limitent à des images du film montrant des scènes choquantes hors contexte, accompagnées uniquement du titre et des noms des acteurs en lettres rouges. Mais l’élément le plus marquant et le plus viral reste un panneau publicitaire installé à Los Angeles : une image qui donne un aperçu de Nicolas Cage, un numéro de téléphone inquiétant (intégrant le fameux « 666 ») qui a pour messagerie la voix effrayante de l’acteur, et… rien d’autre. Ni titre, ni date de sortie. Une stratégie qui rappelle les campagnes digitales de Cloverfield ou The Blair Witch Project, où le mystère alimente des théories virales imaginées par les fans.

Le pari de NEON est plus que réussi. La bande-annonce de Longlegs cumule plus de 17 millions de vues sur YouTube, et le film a généré plus de 125 millions de dollars au box-office mondial7. Avec ce succès, NEON prouve une nouvelle fois sa maîtrise du marketing de l’horreur, et s’affirme comme un concurrent de taille face à A24, leader incontesté du renouveau de « l’horreur d’auteur »8.

A24, figure exemplaire du marketing

Si A24 a marqué le cinéma d’horreur avec des films cultes comme Midsommar ou Hérédité, son influence dépasse largement le genre. Depuis 13 ans, le studio redéfinit le paysage du cinéma indépendant américain en imposant une identité forte : offrir aux cinéastes une liberté artistique totale et s’affranchir des stratégies marketing conventionnelles.

C’est en 2012 que Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges décident de fonder leur propre studio, A24 Films, un nom inspiré de l’autoroute italienne sur laquelle Katz se trouvait lorsqu’il a eu l’idée de ce projet. Passionnés par le cinéma indépendant des années 90, ils souhaitent replacer les réalisateurs au cœur de la création, et proposer des stratégies marketing inédites et innovantes.9

Pour promouvoir Hérédité (2018), A24 a mis le personnage de Charlie au centre du marketing du film : son regard menaçant envahissait les affiches, une bande-annonce lui était entièrement consacrée, et une boutique Etsy vendait ses poupées. Cette approche a donné l’illusion que Charlie était le coeur du projet, alors que ce personnage meurt au début du film. Cette campagne a donc créé un twist qui a enflammé les réseaux sociaux et suscité un fort engagement.10

Et pour promouvoir Heretic, leur plus grand succès de 202411, A24 a sorti des bougies parfumées à la tarte aux myrtilles, et a diffusé des annonces de personnes disparues à l’aéroport de Salt Lake City (la capitale mondiale des Mormons), demandant : « Que sont devenus Paxton et Barnes ? ».12

Branding et merchandising

A24 est devenu bien plus qu’un simple studio de cinéma, c’est une véritable marque. Le studio a réussi à créer un véritable événement autour de chaque sortie : le label A24 est devenu synonyme d’un style particulier et unique, au point qu’il n’est pas rare de voir des spectateurs se rendre au cinéma simplement pour « voir un film A24 »13. L’engagement du public est puissant : les fans écoutent le podcast A24, et achètent des produits dérivés en tout genre, des t-shirts A24 aux parapluies, savons, gourdes, et même au scotch.

Le merchandising autour des films devient de plus en plus créatif. Pour la sortie de The Substance, un body-horror de Coralie Fargeat, MUBI et SCRT ont lancé les faux kit « The Substance Activator Nalgene », des gourdes inspirées du film, qui promettent ironiquement de « produire une version plus jeune et meilleure de vous-même ».13

Une plus forte propension au risque

Nous l’avons compris : les distributeurs indépendants prennent souvent plus de risques que les grands studios dans leurs stratégies marketing. Terrifier 3 en est un parfait exemple. Avec un budget de production de 2 millions de dollars et une enveloppe marketing limitée à 500 000 dollars15, le film a pourtant généré 80 millions de dollars au box-office16, notamment grâce à une décision controversée prise par Cineverse, le studio derrière le film.

Cette décision audacieuse ? Sortir le film sans classification officielle sur le marché américain. Cineverse n’est pas un studio traditionnel ni un distributeur classique : il peut prendre des risques que les grandes majors n’oseraient pas. Un pari qui a marché : cet aspect « interdit sans l’être » a attiré le public en salles.

Le succès de Terrifier 3 repose aussi sur une stratégie publicitaire hyper-ciblée, loin des médias nationaux traditionnels. Cineverse, le studio derrière le film, a misé sur des plateformes spécialisées comme le site Bloody Disgusting, ses podcasts dédiés à l’horreur, ou encore la chaîne FAST Screambox. Et grâce à c360, sa technologie publicitaire propriétaire, il a pu atteindre son public sur plusieurs plateformes.17

Le marketing de l’horreur de demain

Les distributeurs indépendants ont pris l’habitude d’adopter des stratégies marketing audacieuses et originales pour promouvoir leurs films d’horreur, misant souvent sur des approches digitales et immersives. Depuis Blair Witch, il est devenu évident que le mystère entourant un film d’horreur est un élément clé pour générer de la viralité sur internet. Et l’avantage de ces campagnes, soutenues par le bouche-à-oreille via les réseaux sociaux, réside aussi dans leur capacité à toucher un public international. Ainsi, les efforts marketing d’un distributeur américain bénéficient également aux distributeurs d’autres régions.

Cependant, si trop de films d’horreur choisissent de miser uniquement sur le mystère et la viralité, il est possible que le public perde peu à peu son intérêt pour ce type de campagne. Dans ce contexte, il sera intéressant de voir comment le marketing de l’horreur saura se réinventer dans les années à venir, pour continuer à surprendre sans être redondant.

BLOT Juliette.

  1. Centre National du Cinéma et de l’Image Animée. “Bilan 2023 du CNC.” CNC, 2024, https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/bilans/bilan-2023-du-cnc_2190717. ↩︎
  2. Sheena, Jasmine. “Advertisers are targeting horror-loving younger audiences in theaters.” Marketing Brew, 2024, https://www.marketingbrew.com/stories/2024/10/10/advertisers-are-targeting-horror-loving-younger-audiences-in-theaters. ↩︎
  3. Léger, François. “Jason Blum : Le succès d’un film, c’est 50 % sa qualité, 50 % le marketing.” Premiere, 2023, https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Jason-Blum-Le-succes-d-un-film-cest-50–sa-qualite-50–le-marketing. ↩︎
  4.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  5. AlloCiné. “Box Office du film Sans un bruit: jour 1.” AlloCiné, https://www.allocine.fr/film/fichefilm-287892/box-office/. ↩︎
  6.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  7.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  8.  Hart, Nick. “‘Longlegs’: A Masterclass in Horror Movie Marketing.” Medium, 2024, https://medium.com/counterarts/longlegs-a-masterclass-in-horror-movie-marketing-43987eb0b53e. ↩︎
  9.  Issart, Emilie. “A24, le studio de production qui a renversé Hollywood.” Radio France, https://www.radiofrance.fr/mouv/a24-le-studio-de-production-qui-a-renverse-hollywood-9918830. ↩︎
  10. Sharf, Zack. “‘Hereditary’ Shocker: A24’s Brilliant Marketing Is Responsible For the Best Horror Movie Twist in Years.” Indie Wire, 2018, https://www.yahoo.com/entertainment/hereditary-shocker-a24-brilliant-marketing-203106053.html. ↩︎
  11.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  12. Sondermann, Selina. “Heretic | Movie review – The Upcoming.” The Upcoming, 28 October 2024, https://www.theupcoming.co.uk/2024/10/28/heretic-movie-review/. ↩︎
  13. Danvers, Gia. “A Brand Will Build You Up: A24.” Medium, 2023, https://medium.com/illumination/a-brand-will-build-you-up-a24-1a6707d5551. ↩︎
  14. “THE SUBSTANCE CAPSULE IN COLLABORATION WITH MUBI.” SCRT®, 2024, https://scrt.onl/fr/blogs/journal/the-substance-capsule-in-collaboration-with-mubi. ↩︎
  15. Allo Ciné. “Terrifier 3.” ALLOCINE, https://www.allocine.fr/film/fichefilm-310139/box-office/. ↩︎
  16.  Welk, Brian. “‘Terrifier 3’ Made $80 Million. Marketing Cost: $500,000. Here’s How.” IndieWire, 2024, https://www.indiewire.com/news/business/cineverse-marketing-terrifier-3-500000-1235065407/. ↩︎
  17.  Welk, Brian. “‘Terrifier 3’ Made $80 Million. Marketing Cost: $500,000. Here’s How.” IndieWire, 2024, https://www.indiewire.com/news/business/cineverse-marketing-terrifier-3-500000-1235065407/. ↩︎

Dans quelle mesure la cancel culture influence-t-elle la diffusion des œuvres artistiques ? Faut-il censurer ou contextualiser ?

En 2020, la cérémonie des César prend un tournant explosif lorsque le prix du meilleur réalisateur est attribué à Roman Polanski pour J’accuse. Quelques mois plus tôt, l’actrice Adèle Haenel avait brisé le silence en accusant le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements lorsqu’elle était adolescente, déclenchant une vague de prises de parole dans le milieu du cinéma français. En signe de protestation, à la remise du prix, elle quitte alors la salle aux côtés de Céline Sciamma et Noémie Merlant : « La honte ! » avant d’être filmée à l’extérieur, criant avec rage : « Bravo la pédophilie ! ». Les actrices dénonçaient une industrie qui, selon elles, continue de récompenser des hommes accusés de violences sexuelles. 

La même année, HBO Max retirait temporairement le film Autant en emporte le vent, mal accueilli par le public, en raison de sa représentation idéalisée de l’esclavage et accusé de véhiculer des stéréotypes racistes. Plus tard, la plateforme le re-diffusait avec une introduction qui contextualisait le contenu.

Ces deux événements illustrent bien les tensions autour de la cancel culture. Terme polémique, il désigne cette dynamique de remise en cause de figures et productions culturelles jugées problématiques. Si certains y voient une nécessaire réévaluation éthique, d’autres dénoncent une forme de censure qui limiterait la liberté artistique. 

Les exemples cités montrent d’un côté, une contestation de la légitimité des artistes impliqués dans des scandales, de l’autre, une remise en question d’œuvres historiques à l’aune des sensibilités contemporaines, et ils soulèvent une question centrale : faut-il censurer ou contextualiser ? Jusqu’où les institutions culturelles doivent-elles prendre en compte ces débats dans leurs choix de programmation et de diffusion ?

La polémique autour de la projection du Dernier Tango à Paris à la Cinémathèque

En décembre 2024, la Cinémathèque française se retrouve au cœur d’une intense controverse suite à la programmation du film Le Dernier Tango à Paris dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Marlon Brando. Réalisé par Bernardo Bertolucci en 1972, ce film est devenu l’un des symboles des débats contemporains sur les violences sexistes dans le milieu du cinéma. L’origine de la polémique repose sur la scène de sodomie simulée entre Marlon Brando et Maria Schneider, tournée sans le consentement préalable de cette dernière. En 2007, l’actrice avait révélé avoir vécu ce tournage comme une humiliation et une véritable agression psychologique. Après le mouvement #MeToo, le doute est levé sur le caractère obscur de cette scène.

Dès l’annonce de la projection, des critiques fusent contre la Cinémathèque pour son manque de contextualisation et de prise en compte du traumatisme subit par Schneider. Le film est présenté comme un reflet de la révolution sexuelle après mai 68, et comme ayant une “odeur de soufre”. Cette introduction est perçue par certains comme une minimisation de la violence réelle exercée sur l’actrice. Des personnalités engagées dans le mouvement féministe, telles que Chloé Thibaud et Judith Godrèche, dénoncent la programmation du film sans débat préalable, tandis que des associations comme NousToutes exigent son annulation pure et simple.

Face à la tempête médiatique, la Cinémathèque tente d’abord de calmer les tensions en organisant un débat en amont de la projection. Cependant, les pressions s’intensifient et des menaces de perturbations violentes poussent finalement l’institution à déprogrammer le film, invoquant des raisons de sécurité. Cette décision divise : certains y voient une avancée dans la reconnaissance des violences faites aux femmes dans l’industrie cinématographique, tandis que d’autres dénoncent une censure qui menacerait la liberté artistique. Au-delà de cette annulation, plusieurs personnes ont trouvé regrettable que la Cinémathèque n’adopte pas une posture plus neutre en proposant une séance accompagnée d’un dispositif pédagogique sérieux. L’Observatoire de la liberté de création propose une alternative : et si au lieu d’effacer ces oeuvres, on les réévaluait, en les diffusant et en incitant le spectateur à garder un esprit critique ? 

Cette polémique pose ainsi la question plus large de la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. La Cinémathèque française, qui avait déjà suscité des controverses en programmant des rétrospectives de Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau, se retrouve aujourd’hui sous pression, allant jusqu’à devoir justifier ses choix devant la commission d’enquête relative aux violences commises dans le secteur du cinéma, présidée par Sandrine Rousseau. Entre liberté artistique et responsabilité éthique, la polémique du Dernier Tango à Paris illustre un dilemme fondamental pour les institutions culturelles : comment montrer une œuvre marquée par des violences sans en occulter les implications morales et sociétales ?

Le rôle de l’art et des acteurs de l’industrie audiovisuelle : entre liberté et responsabilité

Le débat autour des œuvres et des artistes controversés met en lumière la responsabilité des institutions culturelles, mais aussi celle des producteurs, cinémas et plateformes. Ces acteurs jouent un rôle central dans la manière dont les œuvres sont reçues et interprétées par le public, et, à travers leurs choix de programmation, ils influencent la perception collective des enjeux sociaux, notamment la violence, le sexisme ou le racisme.

D’un côté, il existe un argument fort en faveur de la liberté artistique, selon lequel l’art doit pouvoir être diffusé sans restriction, même lorsqu’il présente des aspects jugés problématiques selon les moeurs d’aujourd’hui. Cette approche considère que c’est au spectateur de se positionner et de contextualiser l’œuvre par lui-même, en prenant le recul nécessaire. Selon ce point de vue, l’art est avant tout un moyen d’explorer des sujets complexes, parfois dérangeants, et de susciter la réflexion sans qu’une quelconque censure ne vienne en limiter la portée. De plus, les films sont un excellent moyen de retranscrire une époque donnée. Ils permettent de se rendre compte de ce qui était jugé correct ou déjà polémique dans le passé, et de constater les évolutions.

Cependant, il est indéniable que les productions audiovisuelles ont un impact profond sur les représentations sociales. Comme le souligne Chloé Thibaud dans Désirer la violence, à force de voir des récits où la violence est romantisée, certains spectateurs, finissent par désirer cette violence, la considérant comme un élément de leur propre épanouissement émotionnel. Cette réflexion montre que les œuvres ne sont pas simplement des objets artistiques déconnectés de la réalité ; elles participent activement à la construction des imaginaires collectifs.

Ainsi, les producteurs et les institutions culturelles ont une responsabilité éthique importante : celle de diffuser des œuvres en étant conscients de leur impact potentiel. Montrer un film comme Le Dernier Tango à Paris sans contextualisation ou réflexion préalable peut envoyer des messages ambigus sur la violence ou l’exploitation. 

Les conséquences de ce phénomène

La cancel culture, renforcée par le mouvement #MeToo, a transformé les carrières de nombreux artistes accusés d’abus sexuels ou de comportements inappropriés. Des figures comme Harvey Weinstein, Kevin Spacey ou Roman Polanski ont vu leurs projets annulés, leurs partenariats rompus et leurs récompenses retirées. Cette mise en lumière des abus a permis de rétablir une forme de justice, tout en soulevant des questions sur la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. Certaines œuvres restent commercialement viables malgré les scandales, tandis que d’autres sont effacées de l’espace public, forçant les studios à reconsidérer la réputation morale des artistes dans leurs choix de financement et de promotion.

Face à la pression sociale et médiatique, les studios, producteurs et plateformes ont ajusté leurs pratiques managériales. La gestion des talents et la sélection des projets sont désormais influencées par la nécessité d’éviter les scandales. Des processus de vérification plus rigoureux ont été instaurés pour prévenir les accusations d’abus sur les plateaux, et les entreprises intègrent de plus en plus l’image publique des artistes dans leurs stratégies de marketing, avec la mise en place de codes de conduite stricts.

L’impact sur la rentabilité des films existe aussi. Certains projets ont vu leur box-office affecté par les accusations contre leurs créateurs, comme All the Money in the World, où Kevin Spacey a été remplacé après des accusations de harcèlement. Par ailleurs, les attentes du public ont évolué, avec une demande croissante pour des films abordant des problématiques sociales et affichant une position éthique claire. Les studios réévaluent ainsi leurs choix de casting et de scénario, pour répondre aux préoccupations d’un public de plus en plus engagé sur les questions de diversité, d’inclusion et de responsabilité sociale.

Léonie Mérida

Sources

Jamet, C. (2021, 12 mars). Le sacre de Polanski, la fureur d’Adèle Haenel, l’écœurement de Florence Foresti. . . Le cauchemar des César 2020. Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/cinema/ceremonie-cesar/le-sacre-de-polanski-la-fureur-d-adele-haenel-l-ecoeurement-de-florence-foresti-le-cauchemar-des-cesar-2020-20210312

Yamak, D. (2024, 16 décembre). La Cinémathèque française annule la projection du « Dernier Tango à Paris » , après une vive polémique. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/15/la-cinematheque-francaise-annule-la-projection-du-dernier-tango-a-paris-apres-une-vive-polemique_6450277_3246.html

Guerrin, M. (2024, 20 décembre). « Bien sûr qu’il faut montrer “Le Dernier Tango à Paris”, mais il faut se demander comment l’encadrer » . Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/20/bien-sur-qu-il-faut-montrer-le-dernier-tango-a-paris-mais-il-faut-se-demander-comment-l-encadrer_6458202_3232.html

Dryef, Z., & Yamak, D. (2025, 17 janvier). A la Cinémathèque, les coulisses de la polémique autour du « Dernier Tango à Paris » . Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/15/a-la-cinematheque-les-coulisses-de-la-polemique-autour-du-dernier-tango-a-paris_6500053_4500055.html

Aquarium Ciné-Café. (2024, 26 septembre). MASTERCLASS – Chloé Thibaud « Désirer la violence » [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=fRqMuh7oNCQ

Temps, L. (2023, 10 juin). Comment Ridley Scott a effacé Kevin Spacey. Le Temps. https://www.letemps.ch/culture/ecrans/ridley-scott-efface-kevin-spacey?srsltid=AfmBOopCVVvi-LK1k8u4PJ321RP90kDf93sheoPv-Sui89VLAI2J1Qxk

Le DSA : Entre ambitions européennes et défis pour les plateformes sociales et vidéos

Adopté pour encadrer les géants du numérique et protéger les utilisateurs européens, le Digital Services Act (DSA) s’impose comme une réglementation phare de l’Union européenne. Mais derrière ce cadre juridique ambitieux, se posent des questions : comment s’applique-t-il concrètement aux plateformes comme TikTok, Meta ou X ? Et ses objectifs peuvent-ils vraiment transformer l’écosystème numérique ?

© Image générée par l’intelligence artificielle Copilot représentant le contrôle de l’Union européenne sur les plateformes sociales et de vidéos.

Une législation ambitieuse : les bases du DSA

Le Digital Service Act (DSA)1, entré en vigueur en 2023, vise à moderniser la régulation des services numériques en Europe. Conçu comme une réponse aux abus des grandes plateformes technologiques, il repose sur trois piliers principaux :

  1. Lutter contre les contenus illicites : en exigeant des mécanismes efficaces de signalement et de suppression des contenus illégaux.
  2. Garantir la transparence : notamment sur les algorithmes de recommandations et les publicités ciblées.
  3. Protéger les utilisateurs : en assurant des recours clairs et en renforçant la lutte contre les abus, notamment pour les mineurs.

Ce texte s’adresse aussi bien aux petites plateformes qu’aux géants technologiques2 , mais il impose des règles particulièrement strictes aux  plateformes dépassant 45 millions d’utilisateurs actifs en Europe. Ces dernières, comme YouTube ou TikTok, doivent répondre à des obligations renforcées sous peine de sanctions pouvant atteindre 6 % de leur chiffre d’affaires mondial.

Un impact concret : les géants de la tech sous pression

© Image libre de droit récupérée sur Unsplash

Des algorithmes sous surveillance

En octobre 2024, la Commission européenne a exigé des comptes détaillés de YouTube, TikTok et Snapchat sur leurs systèmes de recommandations3. Ces plateformes doivent réduire l’opacité de leurs algorithmes afin de comprendre les actions mises en place en matière de protection des mineurs et d’atteinte à la santé mentale des utilisateurs.

La publicité ciblée en ligne de mire

Le DSA oblige également les grandes plateformes à tenir des registres publicitaires accessibles au public pour encadrer les annonces ciblées. Ces bibliothèques doivent recenser des informations clés comme l’identité des annonceurs ou l’objet des publicités.

Pourtant,un rapport de Mozilla et Checkfirst4 montre que plusieurs plateformes, dont Snapchat, et surtout X, peinent à respecter ces obligations. X est notamment critiqué pour l’absence de recherche ou de filtrage, ainsi que pour ses restrictions d’accès aux données.

© Fondation Mozilla/Checkfirst

TikTok et Meta s’en sortent un peu mieux, mais leurs outils restent imparfaits : seulement 83 % des publicités affichées dans le fil « Pour toi » de TikTok et 65 % des publicités sur Facebook sont répertoriées dans leurs bibliothèques d’annonces.

Des exemples concrets des actions du DSA

Meta : Entre abonnements payants pour la publicité et laxisme face à la désinformation  

Pour tenter de se conformer au DSA concernant la publicité ciblée, Meta,  en septembre 2023, a annoncé la possibilité pour les utilisateurs européens de souscrire à un abonnement payant pour éviter les publicités sur Facebook et Instagram5. Les utilisateurs pouvaient choisir de payer environ 10 euros par mois sur ordinateur et 13 euros par mois sur mobile pour une expérience sans publicité. 

Sauf qu’en novembre 2023, Meta a obligé les utilisateurs à choisir entre payer pour éviter les publicités ou accepter le suivi publicitaire pour continuer à utiliser les services gratuitement6.

© Captures BDM

Cette approche, surnommée « Pay or Okay », a été vivement critiquée par les utilisateurs. Une approche qui a constitué, en juillet 2024, par la Commission européenne une violation du DMA7. En effet, cette pratique forçait les utilisateurs à faire un choix binaire entre payer ou consentir au suivi publicitaire, ce qui contrevenait aux règles de consentement libre et éclairé prévues par le RGPD. 

Face à ces critiques, Meta a annoncé, en novembre 2024, une réduction du prix de son abonnement sans publicité, le faisant passer de 9,99 € à 5,99 € par mois sur le web, et de 12,99 € à 7,99 € par mois sur mobile8. Mais elle risque aujourd’hui une amende à hauteur d’un pourcentage de son chiffre d’affaires.

Mais ce n’est pas tout puisqu’en avril 2024, une enquête a été ouverte contre Meta, accusée de ne pas lutter efficacement contre la désinformation et les publicités trompeuses sur ses plateformes9. Meta est accusée de ne pas consacrer suffisamment de ressources à la modération des contenus politiques.
De plus, la fermeture de l’outil CrowdTangle, indicateur de performance des pages Facebook , a suscité des inquiétudes quant à la transparence des actions de Meta.

Mais en réponse à ces accusations, l’entreprise a publié en novembre 2024 une série d’audits réalisés par le cabinet indépendant Ernst & Young (EY) visant à démontrer sa conformité avec le DSA10. Meta assure que plus de 90 % des mesures prises étaient conformes. 

Cependant, l’audit a révélé des lacunes importantes. Par exemple, Meta n’a pas toujours indiqué les raisons du retrait de certaines publicités dans sa bibliothèque publicitaire, limitant ainsi la transparence de ses actions.

X : Première plateforme à être sanctionnée ?

Depuis le rachat de X en octobre 2022 par Elon Musk, il proclame être un fervent défenseur d’une liberté d’expression sans entrave. X a alors adopté une approche largement permissive en matière de modération. De plus, mai 2023, X a officiellement quitté le Code des Bonnes Pratiques contre la désinformation, un engagement volontaire signé par plusieurs grandes plateformes pour endiguer les contenus trompeurs et haineux. Ce retrait a suscité des inquiétudes au sein de la Commission européenne, d’autant plus que la plateforme a vu proliférer des bots.11

En octobre 2024, l’Union européenne a officiellement averti X en rappelant qu’en cas de non-conformité pourraient inclure des amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial de la plateforme12. En parallèle, des voix ont évoqué la possibilité d’étendre les sanctions à d’autres entreprises détenues par Elon Musk, telles que SpaceX, Neuralink, et The Boring Company, dans le but de garantir une conformité totale au DSA13.

Mais un nouvel élément est venu complexifier la situation. Elon Musk a récemment affiché son soutien au parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne14. Cette posture a alarmé les autorités européennes, qui s’interrogent sur l’utilisation de la plateforme pour influencer l’opinion publique, particulièrement à l’approche des élections allemandes. Les régulateurs craignent que X ne devienne un vecteur de désinformation et de manipulation politique, en amplifiant les discours polarisants et en négligeant ses responsabilités de modération. Soutien qu’il a réaffirmé le 25 janvier 2025 en intervenant en visioconférence stipulant que l’extrême droite était “le meilleur espoir pour l’Allemagne »

©AFP

La Commission européenne envisage des mesures plus radicales, telles qu’une suspension temporaire ou permanente des services de X sur le territoire européen . À l’instar du Brésil, il y a plusieurs mois15.

TikTok : La suppression de son programme TikTok Lite pour se conformer 

En 2023,  TikTok a annoncé une série de mesures pour se conformer au DSA16 notamment en permettant aux utilisateurs de signaler les contenus illégaux et en désactivant la personnalisation du fil « Pour toi ».

Mais il semblerait que ces différentes actions n’ont pas convaincu les instances européennes puisqu’en février 2024 le DSA a ouvert une enquête contre de possibles infractions17 notamment pour la protection des enfants et adolescents. En effet, TikTok est épinglée pour sa conception jugée addictive, notamment à travers des mécanismes incitant les jeunes utilisateurs à prolonger leur temps d’écran. (Programme TikTok Lite) Le DSA estime aussi que TikTok manque de transparence publicitaire et exige la mise en place d’un répertoire public des publicités diffusées sur la plateforme. 

En réponse au DSA, TikTok a ouvert un centre de transparence en Europe, plus précisément à Dublin, ouvert à la presse internationale pour la première fois18. L’objectif pour la plateforme est d’obtenir la confiance des autorités de régulations et de l’opinion publique. 

En août 2024, pour répondre aux critiques à l’égard de son concept jugé trop addictif, notamment pour TikTok Lite. Programme qui incitait les utilisateurs à passer plus de temps sur la plateforme en les récompensant avec de la monnaie virtuelle convertible en cartes-cadeaux. TikTok a donc annoncé le retrait définitif de son programme dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne19. Aujourd’hui la page TikTok destiné à ce programme affiche une “page erreur 404”20

© Capture d’écran de la page « TikTok Lite » sur le site de TikTok.

Un bilan contrasté : le DSA, entre succès et limites

Un an après l’entrée en vigueur du DSA, le bilan révèle une mise en œuvre progressive, mais encore incomplète. Alan Walter, avocat spécialisé, observe que « la plupart des acteurs ont essayé de rentrer dans le rang », mais souligne également les défis financiers et humains que cette mise en conformité engendre.21

Si ces premières actions marquent une volonté de contrôle accru, certaines critiques émergent : les obligations de modération imposées par le DSA suscitent des craintes sur leur impact potentiel sur la liberté d’expression, un équilibre délicat à préserver22.

Alors que les acteurs numériques s’adaptent progressivement, l’avenir du DSA dépendra de sa capacité à évoluer avec un secteur technologique en constante mutation. Une question demeure : comment articuler des règles strictes sans entraver l’innovation ni restreindre des droits fondamentaux comme la liberté d’expression ?

Paul Rottement

Références

  1. https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act ↩︎
  2. https://www.blogdumoderateur.com/dsa-liste-geants-tech-nouveau-reglement-euopeen/ ↩︎
  3. https://siecledigital.fr/2024/10/04/la-commission-europeenne-met-la-pression-sur-youtube-snapchat-et-tiktok-pour-conformite-a-la-legislation/ ↩︎
  4. https://www.blogdumoderateur.com/dsa-geants-tech-manquent-transparence-publicitaire/ ↩︎
  5. https://www.blogdumoderateur.com/meta-abonnement-sans-publicite-facebook-instagram/ ↩︎
  6. https://www.blogdumoderateur.com/instagram-choisir-payer-ou-accepter-publicite/ ↩︎
  7. https://www.blogdumoderateur.com/abonnement-sans-publicite-meta-violation-dma-selon-ue/ ↩︎
  8. https://www.blogdumoderateur.com/meta-reduit-prix-abonnement-sans-publicite-dma/ ↩︎
  9. https://www.blogdumoderateur.com/lutte-desinformation-meta-enquete-ue/ ↩︎
  10. https://www.blogdumoderateur.com/meta-publie-audits-dsa/ ↩︎
  11. https://www.lexgo.be/fr/actualites-et-articles/13861-le-dsa-face-a-x-twitter ↩︎
  12. https://siecledigital.fr/2024/07/08/la-premiere-plateforme-sanctionnee-au-nom-du-dsa-sera-t-elle-x/ ↩︎
  13. https://www.euractiv.fr/section/plateformes/news/dsa-la-commission-etend-son-enquete-a-lencontre-de-x/ ↩︎
  14. https://www.euractiv.fr/section/plateformes/news/dsa-la-commission-etend-son-enquete-a-lencontre-de-x/ ↩︎
  15. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/09/03/la-cour-supreme-du-bresil-confirme-la-suspension-du-reseau-social-x_6302769_4408996.html ↩︎
  16. https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/dsa-day-1 ↩︎
  17. https://www.euractiv.fr/section/plateformes/news/protection-des-mineurs-la-commission-europeenne-ouvre-une-enquete-contre-tiktok/ ↩︎
  18. https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/obtenir-la-confiance-prend-du-temps-tiktok-mise-sur-ses-centres-de-transparence-pour-tenter-de-redorer-son-image-20241202 ↩︎
  19. https://www.arcom.fr/presse/retrait-du-programme-tiktok-lite-au-sein-de-lunion-europeenne-larcom-salue-la-mise-en-oeuvre-du-reglement-sur-les-services-numeriques-en-matiere-de-protection-des-mineurs-en-ligne ↩︎
  20. https://support.tiktok.com/fr/using-tiktok/exploring-videos/tiktok-lite-app ↩︎
  21. https://www.blogdumoderateur.com/alan-walter-bilan-dsa/ ↩︎
  22. https://www.village-justice.com/articles/reglement-sur-les-services-numeriques-dit-dsa-menace-liberte-expression-sur-les,51032.html ↩︎

Les ReelShort : Une révolution du divertissement ou un effet de mode éphémère ?

Les ReelShort, ces mini-séries au format ultra-court (moins de 90 secondes), connaissent un succès fulgurant aux États-Unis. S’inspirant des dynamiques de TikTok, Instagram Reels ou YouTube Shorts, ce concept développé par Crazy Maple Studio associe narration captivante, stratégie de production optimisée, et intégration publicitaire ingénieuse. Pourtant, malgré leur popularité incontestable, ces séries soulèvent des questions quant à leur pérennité et leur contribution réelle à l’évolution des formats narratifs. Représentent-elles une avancée dans le divertissement ou une tendance éphémère répondant à des habitudes de consommation spécifiques ?

Une Stratégie de Production Astucieuse

La force d’un storytelling efficace

Les ReelShort doivent leur succès à un storytelling conçu pour captiver dès les premières secondes. Crazy Maple Studio, fort de son expérience avec l’application interactive Chapters, propose des intrigues simples et percutantes, articulées autour de thèmes universels tels que l’amour, le suspense ou les dilemmes quotidiens.Ces récits sont conçus pour s’adapter au format ultra-court en maximisant l’intensité émotionnelle et narrative sur une durée limitée, permettant aux spectateurs d’être immédiatement immergés.

Une production optimisée, mais minimaliste

Avec des budgets moyens de 300 000 dollars par série, Crazy Maple Studio fait preuve d’une remarquable efficacité. En employant de petites équipes et des acteurs émergents, la société parvient à produire des contenus visuellement attractifs à moindre coût.

Un Format Conçu pour un Public Connecté

Les ReelShort s’adressent principalement à une audience jeune, féminine et mobile, en proposant un contenu adapté à leur rythme de vie rapide et multitâche. Les caractéristiques principales de ce format incluent :

  • Une durée réduite : Chaque épisode, de moins de 1 minute 30, est conçu pour s’intégrer dans des moments de transition, comme les pauses ou les trajets en transports.
  • Un visionnage optimisé pour le mobile : Le format vertical s’aligne sur les habitudes de consommation des plateformes sociales.

Toutefois, cette stratégie n’est pas sans inconvénient. Le format ultra-court, bien que pratique, restreint considérablement la richesse narrative et le développement des personnages. De plus, le format vertical, parfois critiqué comme moins immersif, pourrait rebuter certains spectateurs habitués à des expériences plus traditionnelles, comme celles offertes par le cinéma ou les séries classiques.

ReelShort vs Quibi : Une Comparaison Éclairante

Le succès des ReelShort est souvent comparé à l’échec retentissant de Quibi, une plateforme de streaming lancée en 2018 dédiée aux formats courts, disparue après seulement six mois d’existence. Si les deux concepts partagent certaines similitudes, leurs stratégies diffèrent significativement :

  • Un modèle économique flexible : Contrairement à Quibi, qui reposait uniquement sur un abonnement payant, ReelShort adopte un modèle freemium. Les utilisateurs peuvent visionner gratuitement quelques épisodes avant de choisir entre regarder des publicités ou payer pour débloquer le reste de la série.
  • Une meilleure intégration aux codes des réseaux sociaux : Quibi avait une approche trop rigide, limitée à une expérience mobile exclusive, tandis que ReelShort s’adapte aux attentes des utilisateurs de TikTok ou Instagram, en rendant ses contenus plus flexibles et accessibles sur divers supports.
  • Une gestion des coûts maîtrisée : Là où Quibi investissait massivement dans des stars et des productions coûteuses, ReelShort privilégie des productions à budget réduit, misant sur la simplicité et l’efficacité.

Si ReelShort a su éviter les erreurs de Quibi, son avenir dépendra néanmoins de sa capacité à maintenir sa pertinence dans un marché où les attentes des utilisateurs évoluent rapidement.

Un complément au divertissement traditionnel, mais pas un remplaçant

Joey Jia, le CEO de l’application ReelShort, précise que les ReelShorts ne prétendent pas rivaliser avec le cinéma ou les séries classiques. Leur objectif est de répondre à des besoins spécifiques : offrir des contenus rapides et légers, adaptés aux courtes pauses et à un public en mouvement. Cette complémentarité les place davantage en concurrence avec TikTok ou YouTube qu’avec Netflix ou Disney+. Toutefois, cette position comporte des risques. En misant principalement sur l’instantanéité et le contenu de consommation rapide, ReelShort pourrait négliger une opportunité de revaloriser les formats courts comme une forme narrative à part entière.

Une tendance prometteuse, mais à surveiller

Les ReelShort incarnent une réponse audacieuse aux nouvelles habitudes de consommation. Leur capacité à raconter des histoires captivantes en quelques secondes, tout en maximisant leur visibilité sur les réseaux sociaux, en fait un modèle innovant et séduisant. Cependant, leur succès repose sur une logique fragile : le contenu rapide et léger pourrait finir par lasser un public plus exigeant, et la concurrence croissante nécessite une constante évolution. Si Crazy Maple Studio parvient à relever ces défis, les ReelShort pourraient bien s’imposer comme une nouvelle norme du divertissement mobile. Dans le cas contraire, ils risquent de devenir un simple phénomène de mode, rapidement éclipsé par des formats plus pérennes.

SAKIC Artemia

Vins et réseaux sociaux : comment les marques contournent la loi Évin pour séduire les jeunes

Alors que la consommation d’alcool est en baisse chez les jeunes et que les boissons sans alcool gagnent en popularité, les marques de vins et spiritueux doivent redoubler d’ingéniosité pour attirer une nouvelle génération de consommateurs. Entre les contraintes imposées par la loi Évin et la baisse de la consommation les marque doivent s’adapter. Mais ces pratiques ne sont pas sans risque, notamment en raison de l’exposition des jeunes à des messages subtils incitant à la consommation.

Dans cet article, nous allons plus particulièrement nous intéresser aux stratégies mises en place pour la promotion du vin.

Un cadre légal contraignant

La publicité pour les boissons alcoolisées est strictement encadrée par la loi Évin depuis 1991. Elle interdit toute publicité à la télévision et au cinéma et impose des restrictions drastiques à l’affichage, à la presse écrite et à la radio. Seuls des contenus à caractère informatif sont autorisés, et toute incitation à la consommation est prohibée. Le parrainage d’émissions télé ou radio est également interdit.

Depuis 2009, la publicité en ligne pour l’alcool est autorisée, offrant ainsi de nouvelles opportunités aux alcooliers. Contrairement aux médias traditionnels, le numérique est bien plus difficile à réguler. Les réseaux sociaux, notamment, échappent largement aux contrôles. C’est ainsi que, depuis quelques années, les marques ont déplacé une bonne partie de leurs investissements vers le digital. Ici, aucune contrainte horaire, aucun jour interdit, et une grande liberté en termes de formats et de créativité.

Les réseaux sociaux, un eldorado pour le vin

Sur les réseaux sociaux, l’alcool est largement présent. Selon un rapport d’Addictions France, 79 % des jeunes de 15 à 21 ans sont exposés chaque semaine à des contenus qui valorisent sa consommation. Un chiffre qui montre à quel point les marques d’alcool ont investi ces plateformes pour séduire une nouvelle génération.

Leur stratégie est bien rodée : plutôt que d’afficher directement leurs produits comme dans une publicité classique, elles s’appuient sur des influenceurs qui intègrent naturellement l’alcool dans leur quotidien. Ces créateurs de contenu, souvent suivis par un public jeune, montrent un verre de vin lors d’un dîner entre amis, un cocktail lors d’une soirée d’été ou encore une dégustation en voyage. Ce type de communication a pour objectif de normaliser la consommation et l’associer à un mode de vie attractif, loin des messages de prévention sur les risques liés à l’alcool.

Et les chiffres confirment cette tendance. En 2023, toujours selon le rapport d’Addictions France, plus de 11 300 contenus faisant la promotion de l’alcool ont été identifiés sur les réseaux sociaux, impliquant plus de 800 marques et 483 influenceurs. La récente loi du 9 juin 2023 sur les influenceurs encadre les pratique promotionnels mais n’interdit pas les publicités liées à l’alcool.

Ainsi, les marques exploitent les codes du digital. Elles sponsorisent des influenceurs, qui eux-mêmes participent à des événements populaires où l’alcool est présent. Certaines collaborations sont assumées, comme celle entre SCH et la marque Féfé pour un cocktail au cognac, ou encore Lady Gaga avec Dom Pérignon. D’autres sont plus implicites : des influenceurs « lifestyle » partagent du contenu où l’alcool est intégré naturellement, tandis que des YouTubers comme McFly et Carlito ont récemment été rappelés à l’ordre pour leurs vidéos de dégustations d’alcool.

En 2024 c’est l’influenceuse Anna RVR, qui s’est vu condamné à 3 000€ d’amende avec sursis pour « publicité illégale pour une boisson alcoolique ». En effet, celle-ci avait proposé à la vente, en juillet 2022, un kit « Rosé Moment » en partenariat avec les vins Côtes des Roses de Gérard Bertrand.

Les influenceurs vins, une stratégie plus sûre ?

Désormais, les domaines viticoles reconnus évitent les influenceurs lifestyle et se tournent vers des créateurs spécialisés dans le vin. Pourquoi ce choix ? D’abord parce que ces influenceurs touchent une audience plus qualifiée : les amateurs de vin. Ensuite, parce qu’ils sont perçus comme des figures de confiance. Beaucoup sont diplômés ou en cours de formation dans le domaine oenologique notamment.

Prenons l’exemple de @rougeauxlevres, une influenceuse vin. Margot, est animatrice d’un club oenologique à Paris et Bordeaux, entre articles, newsletter et organisation de dégustations, la parisienne propose un contenu varié. C’est sur son compte Instagram qu’elle anime sa communauté et notamment à travers des posts comme des jeux concours en partenariat avec des domaines viticoles. A titre d’exemple, le 18 décembre dernier, @rougeauxlevres a proposé un jeu concours avec le vignoble Jacques Frelin en mettant en jeu « un lot exceptionnel de 12 bouteilles de Pinot Noir bio ».

Ce qui interpelle ici, c’est l’absence de mentions légales, notamment la phrase : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. » Pourtant, la loi Évin impose cette mention sur toute publicité liée à l’alcool. Or, un jeu concours est considéré comme une loterie publicitaire selon la section 9 du Titre II du Code de la consommation, et doit donc respecter les mêmes obligations qu’une publicité classique.

En théorie, ce post aurait donc dû afficher cet avertissement. Mais sur les réseaux sociaux, le cadre légal semble bien plus souple, faute de régulation efficace. Il est donc difficile de surveiller chaque publication, surtout lorsque les marques passent par des influenceurs, rendant le contournement des règles d’autant plus discret.

Quand les marques deviennent des médias

Le marketing du vin ne se limite plus seulement aux partenariats avec des influenceurs. Ces dernières années, les marques et domaines viticoles ont investi massivement les réseaux sociaux, au point de devenir de véritables médias à part entière. Finies les simples publications promotionnelles sur leurs bouteilles : aujourd’hui, ils produisent du contenu immersif et éducatif, qui va bien au-delà de la publicité traditionnelle.

Sur Instagram, TikTok ou YouTube, de nombreux domaines partagent les coulisses de leur production, mettent en avant le travail des vignerons et racontent l’histoire de leurs maisons. Les formats courts comme les Reels et TikTok permettent de démocratiser le vin auprès d’un public plus jeune et curieux, en abordant des sujets variés : comment déguster un vin, quel verre utiliser, ou encore quelles sont les subtilités des cépages. Ces contenus mêlent pédagogie et storytelling, avec un ton plus accessible et engageant que les médias traditionnels.

Cette stratégie leur permet non seulement de contourner les restrictions de la loi Évin, mais aussi de créer une véritable communauté autour de leur marque. Les consommateurs ne se contentent plus d’acheter une bouteille : ils suivent l’évolution d’un domaine, découvrent ses méthodes de vinification et interagissent directement avec les producteurs. Certains vignobles vont encore plus loin en organisant des lives interactifs, des FAQ avec des sommeliers, voire des masterclass en ligne.

En transformant leur communication en média éducatif et immersif, les domaines viticoles s’assurent une visibilité durable et fidélisent une nouvelle génération d’amateurs de vin, bien au-delà d’une simple publicité.

Une réglementation à la traîne

Face à ces nouvelles stratégies, la réglementation peine à suivre. La loi du 9 juin 2023 sur les influenceurs a posé un cadre, mais elle ne remet pas en cause la promotion de l’alcool. Du côté des plateformes, les règles restent floues. Instagram, TikTok et Snapchat interdisent théoriquement la publicité pour l’alcool aux mineurs, mais dans les faits, le contrôle est quasi inexistant. L’âge déclaré par les utilisateurs est rarement vérifié, laissant ainsi la porte ouverte à une exposition massive des plus jeunes.

Pour l’instant, aucune mesure concrète n’a été prise pour adapter la réglementation aux réalités du marketing digital. Mais alors que la consommation d’alcool chez les jeunes tend à diminuer, les marques, elles, ne cessent de redoubler d’inventivité pour séduire cette cible. Un bras de fer qui risque de durer encore longtemps.

GAUTIER Solène


Sources

actionsaddictions. « ALCOOL / Quelles sont les techniques marketing des alcooliers et comment lutter contre ? » Addict Aide – Le village des addictions, 15 mai 2017. https://www.addictaide.fr/alcool-quelles-sont-les-techniques-marketing-des-alcooliers-et-comment-lutter-contre/.

Brelier, Edwige. « L’essor de la communication autour du vin ». JUPDLC (blog), 6 novembre 2023. https://jai-un-pote-dans-la.com/communication-vin/.

« Différence entre un jeu, un concours, une loterie et une tombola ». Consulté le 31 janvier 2025. https://www.winbuz.com/concours/difference-jeu-concours.html.

France Inter. « Comment les industriels de l’alcool poussent les jeunes à la consommation sur les réseaux sociaux », 26 septembre 2024. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-info-de-france-inter/l-info-de-france-inter-3991220.

« La consommation d’alcool et ses conséquences en France en 2023 | OFDT ». Consulté le 31 janvier 2025. https://www.ofdt.fr/publication/2024/la-consommation-d-alcool-et-ses-consequences-en-france-en-2023-2437.

« Les influenceurs, nouveaux VRP du vin ». Consulté le 31 janvier 2025. https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2024/07/15/les-influenceurs-nouveaux-vrp-du-vin_6250038_4497319.html.

« L’essor de la communication autour du vin ». Consulté le 31 janvier 2025. https://jai-un-pote-dans-la.com/communication-vin/.

« L’industrie de l’alcool crée le buzz grâce au marketing digital – Toast Studio ». Consulté le 31 janvier 2025. https://www.toaststudio.com/articles/lindustrie-de-lalcool-cree-le-buzz-grace-au-marketing-digital/.

« “Marketing de l’alcool” : comment les réseaux sociaux poussent-ils les jeunes à la consommation ? » Consulté le 31 janvier 2025. https://www.sudouest.fr/economie/reseaux-sociaux/marketing-de-l-alcool-comment-les-reseaux-sociaux-poussent-ils-les-jeunes-a-la-consommation-21530938.php.

« Promotion de l’alcool : les dérives du marketing sur les réseaux sociaux ». Consulté le 31 janvier 2025. https://addictions-france.org/actualites/promotion-de-lalcool-les-derives-du-marketing-sur-les-reseaux-sociaux-10718/.

Swarte, Marie Seignol de. « Les 6 influenceurs vin en France à suivre en 2024 ». Meltwater, 14 février 2023. https://www.meltwater.com/fr/blog/influenceurs-vin.

Hollywood au tribunal du hashtag : la cancel culture, entre justice populaire et lynchage moderne ?

Du « politiquement correct » à la « cancel culture », l’ère du hashtag a profondément transformé la façon dont nous percevons et discutons la culture. La cancel culture, même si elle apparaît comme une nouvelle forme de justice, reste cependant incontrôlable : elle ne s’organise autour d’aucun juge ou jury, et rien ne garantit donc la justesse de ses sentences. À la faveur des réseaux sociaux, des mouvements comme #MeToo ou #OscarSoWhite ont offert un puissant échos à des voix longtemps ignorées, tout en instaurant une vigilance inédite sur les œuvres, leurs créateurs et les représentations qu’ils véhiculent. Dans ce nouveau paysage hollywoodien, où un simple # peut enclencher un boycott, Hollywood se retrouve au cœur d’un débat brûlant entre responsabilité et liberté de création. Faut-il y voir un élan de justice sociale ou une forme de lynchage moderne ?

Comprendre la « cancel culture » dans le cinéma étasunien

La « cancel culture » est, à première vue, un phénomène contemporain : ce terme est brandi dès qu’un artiste, une personnalité médiatique ou une institution adopte un comportement jugé inapproprié, les médias sociaux s’enflamment et une partie des utilisateurs appellent au boycott ou à l’exclusion. Historiquement, des modes de protestation collective (boycotts, manifestations) ont permis à des groupes marginalisés de faire valoir leurs droits, en parallèle des voies juridiques. Les réseaux sociaux ont simplement décuplé la puissance de ces stratégies en rendant chaque scandale instantanément international.

L’industrie du cinéma est un terrain favorable à cette dynamique pour plusieurs raisons. D’abord, les figures hollywoodiennes jouissent d’une exposition médiatique hors du commun : un scandale lié à une personnalité connue se diffuse en quelques heures à l’échelle mondiale. Ensuite, la logique de public shaming (mise au pilori) n’a rien de nouveau. Mais les réseaux sociaux — Twitter, TikTok, Instagram — ont démultiplié l’effet de masse et la visibilité de ces campagnes, obligeant les studios à réagir très vite pour préserver leur image.

Par ailleurs, le mouvement #MeToo a démontré qu’Hollywood pouvait longtemps fermer les yeux sur des comportements inappropriés ou criminels. Les révélations successives telles que les affaires Weinstein ont nourri chez le public un sentiment d’urgence morale : désormais, toute accusation peut donner lieu à une réaction virulente en ligne, parfois avant même que la véracité des informations puisse être prouvée.

Aujourd’hui, nombreuses sont les illustrations montrant la façon dont les studios, soucieux de garantir leurs images et la pérennité de leurs projets, se plient souvent à la pression du public. En 2022, l’actrice américaine Gina Carano1 : de la série de Disney+ The Mandalorian, a été écartée par Lucasfilm en quelques heures seulement, à la suite d’une story Instagram, dans laquelle elle comparait le sort des républicains américains (pro-Trump) à celui des juifs durant la Shoah.

L’opinion publique face aux grands studios

Les majors (Disney, Warner Bros., Netflix…) sont désormais hyper attentives à leurs « risques réputationnels ». Les contrats des artistes incluent souvent des clauses de moralité : si un acteur se retrouve associé à des faits graves tel qu’une agression ou des propos discriminatoires la collaboration peut être rompue pour protéger la marque. L’exemple de Kevin Spacey, accusé d’agressions sexuelles, évincé de House of Cards, et remplacé en urgence dans All the Money in the World, a montré que nul n’est irremplaçable face à la pression publique.

Au-delà de ces mesures drastiques, les studios recourent à d’autres stratégies. Ils n’hésitent plus à contextualiser leurs anciens contenus : Disney+ avertit ainsi sur Dumbo ou Les Aristochats de la présence de clichés racistes ou datés. Certains films sont reportés ou retouchés pour minimiser la polémique.

Parfois, les polémiques sont telles que les calendriers de sortie se retrouvent chamboulés. Le cas du film The Hunt2 illustre d’ailleurs une situation où la « cancel culture » ne se limite pas à un seul bord de l’opinion. Perçu par certains comme une satire politique trop violente — avec, entre autres, une idée que les libéraux chassent des conservateurs —, The Hunt a cristallisé de vives réactions dans un contexte déjà tendu aux États-Unis. Cette levée de boucliers n’est pas venue uniquement de militants progressistes à qui on attribue la création de la cancel culture, mais aussi de franges conservatrices outrées par la représentation qu’elles jugeaient caricaturale et hostile. Universal a alors choisi de reporter la sortie du film, craignant un backlash qui aurait pu nuire à la fois aux recettes et à l’image du studio.

L’influence sur la carrière des artistes et la création

La « cancel culture » a des conséquences immédiates sur la trajectoire des personnalités concernées. La réputation peut s’effondrer en quelques heures, rendant un artiste soudainement jugé comme répréhensible. Par contraste, certains réussissent un retour en grâce : James Gunn, renvoyé par Disney après des tweets polémiques, a été finalement réembauché grâce au soutien massif de fans et de stars.

Cette polarisation de l’opinion impacte aussi la création : par peur d’un prochain « bad buzz », les scénaristes et producteurs s’autocensurent parfois. Les sujets politiques, religieux ou raciaux trop sensibles peuvent être édulcorés, voire évités. Marvel, de son côté, a promis de « réécrire » en partie l’histoire de la super-héroïne israélienne Sabra dans le prochain Captain America : Brave New World, afin de désamorcer la polémique liée à son affiliation au Mossad.

Pourtant, l’exigence de diversité et d’inclusion a parfois des effets positifs : la pression du public pousse Hollywood à se montrer plus vigilant, à apporter des rôles plus variés et mieux représentés.

Quelle différence entre cancel culture et harcèlement ?

Le procès pour diffamation entre d’Amber Heard intenté par Johnny Depp, son ex-compagnon, illustre parfaitement comment la « cancel culture » peut être utilisée afin de forcer les studios à suivre ce qui leur apparaît comme l’opinion publique. Malgré le fait qu’il soit avéré qu’elle soit victime de  violences conjugales, l’actrice s’est retrouvée au cœur d’une campagne3 de cancel virulente, notamment sur Twitter et TikTok. Cette hostilité, pour partie orchestrée et amplifiée par de faux comptes sur les réseaux souligne un schéma de manipulation intentionnelle sur Twitter pour mettre fin à la carrière de l’actrice. Plus de 600 comptes étaient dédiés exclusivement à poster du contenu négatif à l’encontre d’Amber Heard, recourant parfois à des techniques délibérées (telles que l’utilisation de fautes d’orthographe dans les hashtags) afin de tromper l’algorithme de Twitter et amplifier le sentiment hostile. Ces comptes encourageaient notamment à la suppression du rôle de l’actrice dans la suite de la saga Aquaman. En pratique, cette campagne de boycott a contribué à noircir l’image publique du film, mais surtout la présence d’Amber Heard.

Face à cette hostilité, le studio s’est retrouvé dans une position délicate : la question de la pérennité du rôle de Mera (incarné par Heard) a plusieurs fois été posée, et de nombreuses séquences mettant en scène l’actrice auraient été coupées ou réduites. En somme, même si Aquaman 2 n’a pas été officiellement reprogrammé ou retiré, la campagne de cancel orchestrée par ces faux comptes a alimenté une surenchère médiatique qui a pesé lourdement sur la réputation et l’anticipation du film avant même sa sortie.

Entre responsabilisation et lynchage

La « cancel culture » cristallise un profond clivage. Pour ses défenseurs, il s’agit d’un mécanisme puissant de responsabilisation : il met fin à l’impunité dont bénéficiaient des figures publiques, encourageant une prise de conscience dans les milieux du pouvoir (studios, festivals, institutions). Par cette action collective, des victimes autrefois contraintes au silence peuvent être entendues.

Toutefois, la viralité de ce phénomène le rend difficile à contrôler. Sur Twitter, TikTok ou Instagram, un hashtag peut se transformer en véritable traque, sans qu’aucun juge ni jury n’examine les faits. Les accusations non vérifiées prolifèrent et débouchent sur une radicalisation du débat où la moindre nuance disparaît. Comme le montre une étude du Pew Research Center4, les Américains sont eux-mêmes partagés : une partie y voit un levier nécessaire d’“accountability”, d’autres dénoncent un outil punitif parfois infondé.

Pour l’industrie cinématographique, naviguer entre ces attentes et la liberté d’expression relève de l’équilibrisme. Un « bad buzz » peut nuire à la billetterie, mais une censure trop visible peut aussi irriter un public attaché à la création sans entraves. Finalement, ce sont souvent les spectateurs, par leur consommation ou leur boycott, qui valident ou non, les décisions prises. Reste à savoir si ce nouveau rapport de force conduira à davantage de justice sociale ou à un climat d’angoisse, où l’autocensure et la suspicion seraient la règle.

L’ère de la « cancel culture » révèle à quel point la culture hollywoodienne est désormais soumise au tribunal d’internet, sans garantie d’équité ni de modération impartiale. Bien qu’elle puisse permettre de dénoncer des abus autrefois étouffés, sa dynamique incontrôlable fait craindre une dérive vers le lynchage en ligne, alimentée par l’émotion et la viralité. Entre responsabilité légitime et risque d’excès, les studios et le public tentent de réinventer un équilibre dans lequel la parole des victimes est enfin entendue, sans pour autant sacrifier la liberté de création et le discernement. Le cinéma, ce miroir de nos tensions sociales, doit désormais composer avec une culture du hashtag qui rebat les cartes du pouvoir et de la légitimité.

GUEGUEN Juliette

  1. francetvinfo (2022, January). “Gina Carano : ex-actrice de l’univers Star Wars poursuit Disney pour licenciement abusif”.
    https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/star-wars/gina-carano-ex-actrice-de-l-univers-star-wars-poursuit-disney-pour-licenciement-abusif_6350644.html
    ↩︎
  2.  Télérama (2021). “The Hunt”, le film qui a ulcéré (à tort) Donald Trump et les réacs américains.
    https://www.telerama.fr/cinema/the-hunt-le-film-qui-a-ulcere-a-tort-donald-trump-et-les-reacs-americains-6655057.php
    ↩︎
  3. Dellatto, M. (2022, July 18). “Anti-Amber Heard Twitter Campaign One Of ‘Worst Cases Of Cyberbullying,’ Report Says.” Forbes.
    https://www.forbes.com/sites/marisadellatto/2022/07/18/anti-amber-heard-twitter-campaign-one-of-worst-cases-of-cyberbullying-report-says/
    ↩︎
  4. Anderson, M., Vogels, E. A., Porteus, M., Baronavski, C., Atske, S., McClain, C., Auxier, B., Perrin, A., & Ramshankar, M. (2021, May 19). “Americans and ‘Cancel Culture’: Where Some See Calls for Accountability, Others See Censorship, Punishment.” Pew Research Center.
    https://www.pewresearch.org/internet/2021/05/19/americans-and-cancel-culture-where-some-see-calls-for-accountability-others-see-censorship-punishment/ ↩︎

Sources

Anderson, M., Vogels, E. A., Porteus, M., Baronavski, C., Atske, S., McClain, C., Auxier, B., Perrin, A., & Ramshankar, M. (2021, May 19). Americans and ‘Cancel Culture’: Where Some See Calls for Accountability, Others See Censorship, Punishment. Pew Research Center.
https://www.pewresearch.org/internet/2021/05/19/americans-and-cancel-culture-where-some-see-calls-for-accountability-others-see-censorship-punishment/

Dellatto, M. (2022, July 18). Anti-Amber Heard Twitter Campaign One Of ‘Worst Cases Of Cyberbullying,’ Report Says. Forbes.
https://www.forbes.com/sites/marisadellatto/2022/07/18/anti-amber-heard-twitter-campaign-one-of-worst-cases-of-cyberbullying-report-says/

FranceInfo (2020, September 4). Chine: des militants pro-démocratie appellent au boycott du film « Mulan ». RFI.
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Gombeaud, A. (2020, October 22). Politiquement correct : la culture à l’ère du hashtag. Les Echos Week-End. (Référence à la version mise en avant dans la consigne.)

Le Monde (2020, July 8). Mark Lilla, Margaret Atwood, Wynton Marsalis : « Notre résistance à Donald Trump ne doit pas conduire au dogmatisme ou à la coercition ».
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/08/mark-lilla-margaret-atwood-wynton-marsalis-notre-resistance-a-donald-trump-ne-doit-pas-conduire-au-dogmatisme-ou-a-la-coercition_6045547_3232.html

Lofton, K. (2022). Cancel Culture. The Yale Review.
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Murray, C. (2023, December 22). ‘Aquaman 2’ One Of DC’s Worst-Reviewed Films — And Could Be The Latest Superhero Box Office Flop. Forbes.
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Pierrat, E. (2021). Censure et cancel culture au cinéma. Humanisme, n°332 (Août). (Référence évoquée à plusieurs reprises.)

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Siegel, T. (2023). ‘Aquaman 2’ Flooded With Drama: Jason Momoa Allegedly Drunk on Set, Amber Heard Scenes Cut, Elon Musk’s Letter to WB and More. Variety.
https://variety.com/2023/film/news/aquaman-2-drama-jason-momoa-amber-heard-elon-musk-warner-bros-1235743875/

Télérama (2021). “The Hunt”, le film qui a ulcéré (à tort) Donald Trump et les réacs américains.
https://www.telerama.fr/cinema/the-hunt-le-film-qui-a-ulcere-a-tort-donald-trump-et-les-reacs-americains-6655057.php

franceinfo (2020, March 3). César 2020 : comment l’onde de choc du prix décerné à Roman Polanski secoue le cinéma français.
https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/cesar/cesar-2020-comment-l-onde-de-choc-du-prix-decerne-a-roman-polanski-secoue-le-cinema-francais_3850051.html

francetvinfo (2022, January). Gina Carano : ex-actrice de l’univers “Star Wars” poursuit Disney pour licenciement abusif.
https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/star-wars/gina-carano-ex-actrice-de-l-univers-star-wars-poursuit-disney-pour-licenciement-abusif_6350644.html

De la scène à l’écran : l’influence de TikTok dans la viralité du Eras Tour, une analyse de la redéfinition culturelle et économique des concerts

En transformant des moments singuliers en expériences fragmentées mais globalisées, TikTok impose une redéfinition du concert live. Au carrefour de cette révolution se situe le Eras Tour de Taylor Swift, véritable phénomène social et économique. Ce spectacle, calibré pour les stades comme pour les écrans, symbolise l’ère où la viralité n’est plus un simple corollaire des événements majeurs, mais un pilier de leur existence et de leur impact.

Avec des chiffres vertigineux1 — plus de 10 millions de billets vendus, 2 milliards de dollars de recettes et un impact économique estimé à 10 milliards de dollars rien qu’aux États-Unis2 —, le Eras Tour dépasse la simple performance artistique pour devenir un moteur de croissance économique. Toutefois, c’est sur TikTok que se joue une autre bataille, celle de la prolongation et de la réinvention de l’expérience culturelle. Les millions de vidéos partagées sous les hashtags #ErasTour et #SwiftTok transforment chaque concert en une mosaïque de récits individuels, diffusés et redéfinis par une audience mondiale.

Ce phénomène soulève des enjeux fondamentaux. Sur le plan sociologique, TikTok agit comme un médiateur culturel, amplifiant la portée des concerts tout en les dématérialisant. L’expérience d’un spectacle autrefois ancrée dans une présence physique devient accessible à tous, mais au prix d’une fragmentation qui interroge la notion même de communauté3. Économiquement, cette omniprésence numérique modifie les rapports entre artistes, fans et industries locales. Tandis que les Swifties jouent un rôle actif dans l’amplification de l’événement, les villes du monde entier enregistrent des retombées financières record4, illustrant une microéconomie mondiale façonnée par les algorithmes et les tendances.

Dans une ère où viralité et attention deviennent les nouvelles monnaies culturelles, une question demeure : TikTok enrichit-il l’universalité des concerts ou en fragmente-t-il l’essence au profit d’une économie de l’attention sans limite ? 

Un phénomène médiatique global

La tournée de Taylor Swift s’est imposée non seulement comme un événement musical mais également comme un moment culturel de masse, suscitant une attention médiatique sans précédent. Selon Andrew Unterberger de Billboard« chaque étape [de la tournée] a dominé le cycle médiatique pendant des jours5 », qu’il s’agisse de chansons surprises, d’invités spéciaux ou de l’accueil euphorique des fans. Ce caractère viral dépasse le simple cadre des concerts et s’inscrit dans un écosystème digital tentaculaire de clips, réactions, livestreams et analyses. Horton décrit cette dynamique comme une « télé-réalité interactive et en constante évolution6 », transformant chaque date en un nouvel épisode de cette « série » planétaire.

Portée par TikTok, le Eras Tour de Taylor Swift est devenu un objet de fascination globale7. En permettant à des millions d’utilisateurs de « revivre » un concert à travers des vidéos courtes, la plateforme prolonge indéniablement la durée de vie symbolique de l’événement. Paradoxalement, TikTok offre également une possibilité de « pré-vivre » l’événement : les futurs spectateurs, exposés à des extraits partagés en ligne, arrivent au concert déjà imprégnés de son ambiance, de ses moments-clés, et parfois même de ses surprises.

Cette capacité à étendre l’impact temporel et spatial d’un événement comme le Eras Tour s’inscrit dans une économie culturelle nouvelle, où l’accessibilité numérique redéfinit les frontières du live. Ce phénomène démocratise le concert en rendant l’événement accessible à ceux qui ne peuvent pas y assister physiquement. Cependant, cette amplification numérique a un coût symbolique : en fragmentant l’expérience en de multiples clips viraux, TikTok risque de dématérialiser la valeur culturelle du spectacle. Ce qui était autrefois perçu comme un moment unique et éphémère devient un contenu omniprésent, où l’émotion du moment se dilue dans une répétition infinie.

Une redéfinition économique des tournées planétaires 

Cette évolution transforme aussi les dynamiques économiques autour de tels événements. Si le Eras Tour a généré des retombées locales significatives dans chaque ville visitée, TikTok a amplifié cet effet en transformant les concerts en expériences désirables à l’échelle globale. L’entreprise a lancé une expérience in-app intitulée #TSTheErasTour8, pensée comme un prolongement numérique de la tournée, permettant aux fans de vivre cette aventure d’une manière totalement inédite. Cette initiative interactive repose sur une série de défis hebdomadaires et de contenus exclusifs, qui ont permis à des millions de fans, de s’immerger dans l’univers de Taylor Swift. 

Les participants étaient récompensés par des perles numériques et des cadres de profil aux couleurs des albums de Taylor Swift, qu’ils pouvaient collectionner et afficher fièrement sur leur compte. Cette gamification, associée à des contenus exclusifs tels que des vidéos des moments forts de chaque étape de la tournée et des playlists hebdomadaires, a permis de transformer ce qui aurait pu être une simple campagne promotionnelle en une expérience immersive et engageante. L’entreprise a déclaré que le #TSTheErasTour est la première expérience interactive d’artiste in-app, et la plus longue à ce jour9

En somme, les publications virales ont fonctionné comme une publicité gratuite, attirant non seulement les spectateurs, mais aussi les consommateurs d’un vaste écosystème économique. Les tenues inspirées par les looks de Taylor Swift ou les produits dérivés du Eras Tour ont connu un succès fulgurant, propulsant les industries de la mode, du merchandising et du tourisme10. De plus, TikTok a permis aux fans de s’approprier l’événement, en réinterprétant les codes esthétiques de la tournée et en les intégrant dans une narration collective. Sur Etsy, les fans ont dépensé 3 millions de dollars pour des bracelets d’amitié inspirés par le Eras Tour, tandis que des entreprises comme Michaels ont vu leurs ventes de perles bondir de 500%11

L’impact de cette initiative est confirmé par des chiffres impressionnants. Dès les premiers jours de la tournée, TikTok a enregistré 1,9 million de vidéos partagées, et le contenu généré par les fans a rapidement atteint une moyenne de 380 millions de vues quotidiennes, sans jamais descendre en dessous des 200 millions12. Ces données illustrent non seulement l’ampleur de la mobilisation des Swifties, mais aussi la capacité de TikTok à canaliser cette énergie pour maintenir l’intérêt autour de la tournée sur plusieurs mois. 

Source : TikTok, chiffres de janvier 2025

Maintenir l’émerveillement face à l’omniprésence numérique

Mais malgré cette économie florissante, la surmédiatisation peut également engendrer un effet inattendu : une forme de lassitude parmi certains fans. Avec des vidéos TikTok qui dévoilent chaque détail – des setlists aux tenues, en passant par les chorégraphies – l’effet de surprise est considérablement réduit. Cette prévisibilité peut nuire à l’excitation initiale qui caractérisait traditionnellement les concerts, où chaque soir était une découverte. Les critiques de fans exprimant une forme de désintérêt pour le Eras Tour soulignent ce paradoxe : plus l’événement est accessible et documenté, moins il conserve sa capacité à émerveiller. Ce phénomène reflète une tension entre l’hyper-exposition numérique et le caractère unique du live.

Source : Screenshots de Reddit, janvier 2025

Taylor Swift a pourtant astucieusement adapté sa stratégie pour maintenir l’intérêt de sa communauté. En intégrant des éléments de surprise dans chaque performance – des chansons inédites aux changements de costumes, en passant par des annonces stratégiques comme les sorties d’albums – elle a cherché à réintroduire l’imprévu dans un cadre largement documenté à l’avance. Ces décisions témoignent d’une volonté de répondre aux attentes d’un public saturé par l’information, tout en cultivant une forme de rareté émotionnelle. Toutefois, ces ajustements soulignent également une réalité plus large : TikTok, en transformant les concerts en contenus viraux, a redéfini les règles du jeu pour les artistes. Ceux-ci doivent désormais jongler entre la création d’un spectacle cohérent et l’exigence constante de renouvellement pour captiver une audience numérique toujours en quête de nouveauté.

Conclusion

TikTok a considérablement amplifié la portée de l’Eras Tour, en étendant son accessibilité à une audience mondiale et en prolongeant sa durée de vie symbolique. Cette collaboration a permis d’hybrider l’expérience live avec une diffusion numérique massive, soulevant des questions sur la préservation de l’essence artistique. Cependant, la stratégie de Taylor Swift prouve qu’il est possible de concilier ces deux dimensions. Ce cas illustre une transformation profonde dans l’industrie musicale : à l’ère des plateformes numériques, le concert ne se limite plus à une performance sur scène, mais devient un processus évolutif, où le présent s’entrelace avec une projection numérique qui réinvente sans cesse l’expérience pour les fans.

Lylou GAUDRY


  1. « The Eras Tour de Taylor Swift : l’incroyable succès d’une véritable businesswoman. » Caroline Chambon. Challenges. 26 décembre 2024. Disponible sur : https://www.challenges.fr/economie/the-eras-tour-de-taylor-swift-lincroyable-succes-dune-veritable-businesswoman_594848 ↩︎
  2. « La tournée The Eras Tour de Taylor Swift a généré 2 milliards de dollars, un record historique. » Mary Whitfill Roeloffs. Forbes. Traduit par Lisa Deleforterie. 11 décembre 2024. Disponible sur : https://www.forbes.fr/classements/la-tournee-the-eras-tour-de-taylor-swift-a-genere-2-milliards-de-dollars-un-record-historique/ ↩︎
  3. “TikTok has changed how we go to concerts, but is it for the better?” Rebecca Smith. The Michigan Daily. 23 mars 2023. Disponible sur : https://www.michigandaily.com/arts/digital-culture/tiktok-has-changed-how-we-go-to-concerts-but-is-it-for-the-better/ ↩︎
  4. “Impact of the Eras Tour” Wikipédia. 2024. Disponible sur : https://en.wikipedia.org/wiki/Impact_of_the_Eras_Tour ↩︎
  5. Idem. Wikipédia. 2024. ↩︎
  6. Idem. Wikipédia. 2024. ↩︎
  7. “Taylor Swift and the Strategic Genius of the Eras Tour.” Kevin Evens. Harvard Business Review. 06 décembre 2024. Disponible sur : https://hbr.org/2024/12/taylor-swift-and-the-strategic-genius-of-the-eras-tour ↩︎
  8. “TikTok expands Taylor Swift In-App experience to celebrate Taylor Swift – The Eras Tour 2024 dates.”Newsroom TikTok. 20 juin 2024. Disponible sur : https://newsroom.tiktok.com/en-us/tiktok-expands-taylor-swift-in-app-experience ↩︎
  9. “TikTok launches interactive Taylor Swift experience celebrating The Eras Tour.” Mandy Dalugdug. Music Business Worldwide. 20 juin 2024. Disponible sur : https://www.musicbusinessworldwide.com/tiktok-launches-interactive-taylor-swift-experience-celebrating-the-eras-tour1/ ↩︎
  10. « The business of Taylor Swift ». Angel Nemov. Vogue Business. 19 juin 2024. Disponible sur : https://www.voguebusiness.com/story/fashion/the-business-of-taylor-swift ↩︎
  11. Idem. Wikipédia. 2024. ↩︎
  12. “The power of TikTok on a tour.” Jared Naylor. Variety. 13 octobre 2023. Disponible sur : https://variety.com/vip/the-power-of-tiktok-on-taylor-swift-eras-tour-1235752739/ ↩︎

Les rappels de produits – Un retour en arrière systématique ?

Findus – Très à cheval sur la provenance de ses ingrédients ? 

En janvier 2013, en Irlande et au Royaume-Uni, des tests réalisés sur des produits surgelés à base de bœuf produites par la marque Findus révèlent la présence de viande de cheval non déclarée. Le scandale explose et très vite des tests réalisés partout en Europe révèlent la même chose. Findus se voit obligé de procéder à des rappels massifs de produits. Assez vite, l’entreprise se tourne vers ses sous-traitants afin de comprendre l’origine de l’erreur et porte plainte contre ces derniers. Le sous-traitant Comigel met en cause le sous-traitant Spanghero qui accuse elle-même son fournisseur roumain. À la suite de l’enquête, Spanghero sera placée sous liquidation judiciaire, en effet, il est prouvé que les dirigeants de Spanghero étaient au courant de la présence de cheval dans la viande. Depuis, l’ex-directeur de l’entreprise a été condamné à six mois de prison ferme pour son rôle dans l’affaire.

Ce scandale reste l’un des plus scandales de l’industrie agroalimentaire les plus marquants du début de ce 21èmesiècle. Son aspect sulfureux y joue grandement. Lors de cette crise médiatique, les réseaux sociaux ont joué un rôle prépondérant dans la diffusion rapide des informations, tout en agissant à la fois comme un outil d’alerte immédiate mais aussi un catalyseur de réactions en chaîne parmi les consommateurs. Le rôle des réseaux sociaux lors des rappels de produit apparait alors comme un enjeu majeur. Est-ce que les rappels de produits sont toujours un problème si la crise est bien gérée grâce aux réseaux sociaux et de quelle manière les réseaux sociaux sont utilisés pour gérer la perception publique et engager les consommateurs durant une crise.

Le rôle des réseaux sociaux dans les rappels de produits 

Il est possible de parler de rappel de produit dès lors qu’une marque organise le retour d’un produit sur son lieu de production alors que certains exemplaires de ce produit sont déjà entre les mains des consommateurs. L’enjeu de ce type de situation repose sur la rapidité. En effet, si le produit n’est pas conforme, il présente un risque, l’enjeu est d’en informer le plus rapidement les consommateurs afin de limiter les dégâts et les risques sur ces derniers. Le temps est donc l’enjeu principal. Ce qui est intéressant avec les réseaux sociaux c’est qu’étant donné leur nature, ils ont la capacité de jouer ce rôle grâce à leurs capacités de diffusion massive et immédiate de l’information. En d’autres termes, grâce à leur viralité. 

Les rappels de produits sont inévitables, notamment dans l’industrie agro-alimentaire. En effet, le risque zéro étant inexistant malgré les avancées technologiques les rappels de produits sont fréquents. Les réseaux sociaux sont utilisés comme relais d’alertes de produits dangereux comme en témoigne le compte X (anciennement Twitter) @RappelConso, Twitter officiel de la République Française. Ainsi, les réseaux sociaux sont un vaisseau important des rappels de produits, notamment les réseaux qui ont une portée informationnelle, comme X (anciennement Twitter) qui est considéré comme une plateforme de micro-blogging. 

Néanmoins, tous les rappels de produits ne sont pas à l’origine d’une crise médiatique. En effet, les rappels de produits sont fréquents mais tous ne déclenchent pas de scandale. Ainsi quand nous pensons à de récents scandales alimentaires, nous pensons aux pizzas de la marque Buitoni qui ont tué deux enfants début 2022 à cause d’une contamination de bactéries mais peu d’entre nous aurons en tête le rappel de produit du Fromage de Bergues pour présence de listeria monocytogènes.

Quand la gestion de la crise galope vers le chaos 

Au début de sa crise médiatique Findus opte pour une stratégie opaque, peu d’informations sont fournies et cela laisse place à des dérives. Ainsi au début du mois de février 2013 le compte @Findus_France est créé sur X (appelé Twitter à l’époque). Dans un premier temps, une communication plutôt rassurante y est menée. Les tweets indiquent que des contrôles sur les matières premières sont menés et des engagements sont faits sur la qualité et la traçabilité des produits. Très vite, le contenu des tweets change drastiquement et menace les comptes Twitter de particuliers. Les tweets prennent alors tous la même forme « @xxx retirer ce contenu illicite sous peine de poursuites judiciaires. ». Le compte sera rapidement suspendu après une plainte de la part de Findus indiquant qu’ils ne sont pas à l’origine de la création de ce compte. Néanmoins, si cette situation a eu lieu c’est bien car la marque Findus n’a pas communiqué lors de ce début de crise, est restée floue et n’a pas investi tous les réseaux sociaux. L’e-réputation de la marque en prend un coup. 

L’enjeu de l’e-réputation

L’e-réputation se définit comme l’opinion commune sur le Web d’une marque. L’e-réputation est l’identité de la marque telle qu’elle est perçue par les internautes.  

Très vite, ayant compris l’importance de l’e-réputation sur les réseaux sociaux, Findus embauche une société spécialisée dans l’e-réputation, Reputation Squad et procède à un « nettoyage du web ». En effet, la page Wikipédia de la marque est modifiée, la page officielle Facebook est vidée. Cependant, ce type de communication n’est pas forcément plus efficace. Ne pas mentionner le scandale et chercher à l’effacer ont souvent l’effet totalement inverse.  Ce concept est assez connu et porte un nom et c’est l’effet Streinsan. C’est l’idée qu’essayer à tout prix d’interdire la circulation d’une information ne fait qu’apporter de l’attention et la visibilité sur cette dernière. Ainsi, à l’inverse de ce qui peut parfois sembler logique, communiquer de manière claire sur un scandale permet de diminuer son ampleur. En effet, en l’absence de spéculation, quand la situation est assumée et transparente, cela affaiblit la viralité d’un évènement.

Une communication loin d’être glaciale

Nous pouvons comparer la gestion de cette crise médiatique avec cella de Blue Belle Ice Cream qui a été détaillée par Kelsi Opat, Haley Magness et Erica Irlbeck. En 2015, toutes les crèmes glacées de cette marque sont rappelées à cause d’une contamination à la bactérie listeria. La réaction immédiate de la marque est différente de celle de Findus. En effet, dès le début la marque poste sur son compte Facebook des messages contenant des informations sur le rappel et le réapprovisionnement des produits. 

Ces messages à destination des consommateurs mais également des consommateurs potentiels ont créé un sentiment de confiance et de transparence vis-à-vis de la marque. Ainsi, en assumant l’entière responsabilité du problème, Blue Bell Ice Creal créé un sentiment de loyauté et de responsabilité. À l’inverse, la réaction initiale de Findus a été de rejeter la faute sur ses fournisseurs au lieu de prendre tout de suite ses responsabilités. Ce type d’action créé une perte de confiance. 

Nous pouvons dès lors supposer qu’à la différence de Findus, Blue Bell Ice Cream avait une ligne éditoriale claire en cas de rappels de produits et ou de scandale médiatique. Le cas de Blue Bell Ice Cream est encore plus intéressant car la marque a profité de cette crise médiatique pour se rapprocher de ses consommateurs en répondant à leurs questions et en mettant en avant ses employés. Cette stratégie a payé, ainsi en 2016, la marque procède à un rappel de produit spontané, c’est-à-dire un rappel de produit sans que le danger ait été avéré, sur la base d’un danger potentiel. La marque communique cette information sur Facebook qui est accueillie chaleureusement par ses consommateurs comme l’en témoignent les images ci-dessous. 

Ainsi, un rappel de produit n’est pas une fin en soi pour une entreprise, cela peut même être l’occasion pour une marque de développer une image de marque responsable, transparente et engagée. Ainsi même si plus d’une dizaine d’années après le scandale médiatique pour Findus, l’entreprise continue de prospérer, la crise médiatique de la viande de cheval n’a pas été correctement gérée et aurait pu l’être si Findus avait anticipé ce risque potentiel.  

Ce qu’il est important de retenir c’est qu’un rappel de produit peut arriver à n’importe quelle marque et qu’il est important de créer une ligne éditoriale sur les réseaux sociaux claire en amont. Le but étant de pouvoir réagir le plus vite possible et au mieux tout en étant honnête et transparent. 

Chloé Bordenave


 

L’authenticité à l’ère du marketing d’influence : une étude de cas de la marque Aprizo et de la créatrice de contenu Salimata

À l’ère numérique actuelle, où les consommateurs sont constamment les cibles de messages marketing, l’authenticité est devenue un facteur crucial pour les marques qui souhaitent établir une connexion durable avec leur public. Le marketing d’influence, lorsqu’il est utilisé de manière stratégique et responsable, s’avère être un outil puissant pour promouvoir l’authenticité, tirer parti de la créativité des influenceurs et renforcer la confiance des consommateurs. C’est pourquoi on observe une montée des collaborations entre marques et influenceurs depuis l’avènement des réseaux sociaux.

Cependant, avant même d’élaborer une quelconque stratégie de collaborations avec des micros ou macro-influenceurs, les marques doivent déjà  avoir une très bonne communication avec leurs abonnés et cela passe par un community management et un contenu original et captivant.

La marque Aprizo – anciennement « Infinitus » -, née en 2001, l’a très bien compris. En seulement deux ans, elle a su conquérir sa cible : les femmes âgées de 18 à  35 ans, passionnées de mode et ayant un petit budget. Elle propose des produits de qualité à des prix défiant toute concurrence, dans son magasin situé au centre commercial Torcy Bay 2, en Île-de-France. Son secret réside dans sa stratégie Social Media, dirigée par leur récente employée prénommée Salimata, qui excelle dans la maîtrise des codes de la vidéo virale.

Dans un paysage numérique saturé de contenu sponsorisé, comment la collaboration entre la marque Aprizo et la créatrice de contenu Salimata sur les réseaux sociaux impacte-t-elle la perception de l’authenticité de la marque par les consommateurs ?

Analyse du cas

Aprizo, jeune marque française de mode féminine, a donc choisi de collaborer avec une créatrice de contenu beauté et authentique sur les réseaux sociaux. La collaboration entre Aprizo et Salimata s’est basée sur une compréhension mutuelle des valeurs de chaque partie. Aprizo a d’une part reconnu la créativité et l’engagement de Salimata auprès de son public, tandis que Salimata a d’autre part été convaincue par l’engagement d’Aprizo envers des produits à prix cassés et durables.

À ce jour, Salimata n’est pas qu’une employée de l’enseigne. Elle incarne véritablement « l’essence même de la marque Aprizo sur TikTok » (cf. blog d’Apolline Studio). Salimata a su conquérir les utilisateurs de cette plateforme grâce à son charisme, son humour et son talent d’acting. Les vidéos d’Aprizo la mettant en scène combinent humour et promotion des produits, en plus de créer un lien authentique avec le public. En captivant rapidement l’audience dès les premières secondes à partir de vidéos de chutes, la marque contourne les défenses des consommateurs contre la publicité en ligne.

Origine du phénomène viral

Cette tendance du détournement de videos de chutes virales a des fins promotionnelles provient d’une marque brésilienne nommée « Liliani ». Elle a été l’une des premières à user de ce stratagème en février, avec une video présentant une chute suivie d’un contenu commercial vantant ses matelas. Elle compte aujourd’hui plus de 5 millions de vues.

Ce phénomène a ensuite inspiré un concessionnaire Nissan dans le Texas, qui a publié en mars une video d’un combat de boxe1, utilisant la chute comme transition pour promouvoir ses voitures, cumulant alors 3 millions de vues. Et dans notre cas, cela a incité la marque francilienne à suivre le mouvement dès le 26 mars dernier.2

Impact sur la perception de l’authenticité

La collaboration entre Aprizo et Salimata a eu un impact positif sur la perception de l’authenticité de la marque par les consommateurs. Les publications de Salimata sur les réseaux sociaux ont été reçues avec enthousiasme par ses followers, qui ont apprécié la transparence et l’authenticité de son message.

Plusieurs éléments ont contribué à ce succès :

  • Cohérence entre les valeurs de la marque et de l’influenceur
  • Transparence et divulgation : Salimata a clairement indiqué a ses followers qu’il s’agit de videos créées dans le cadre de son travail de chargée de communication, ce qui renforce la confiance et la crédibilité de sa recommandation
  • Contenu engageant et de qualité : création de contenu créatif et informatif mettant en avant les produits Aprizo d’une manière authentique, drôle et pertinente pour son public
  • Engagement avec la communauté : Salimata répond fréquemment aux commentaires et aux questions de ses followers – via le compte d’Aprizo et via le sien -, ce qui a permis de renforcer l’interaction et la confiance avec sa communauté

Parallèle avec le livre La Vache Pourpre (The Purple Cow) de Seth Godin

Le livre « La Vache Pourpre » de Seth Godin explore le concept de la différentiation dans le marketing. Godin soutient que dans un marché saturé de produits et de services similaires, les entreprises doivent créer des produits « remarquables » qui se distinguent de la concurrence.

Selon l’auteur, les produits remarquables, ou « vaches pourpres », sont ceux qui attirent l’attention des consommateurs et les incitent à en parler. Ils sont uniques, innovants et répondent à un besoin réel ou à un désir des consommateurs.

Pour créer des produits remarquables, Godin recommande aux entreprises de :

  • Oublier les 4 P du marketing mix (produit, prix, place et promotion), qu’il considère comme étant dépassés et ne permettant pas de se différencier efficacement.
  • Prendre des risques : Godin encourage les entreprises à sortir de leur zone de confort et à prendre des risques pour créer des produits innovants.
  • Se concentrer sur la passion en affirmant que les produits remarquables sont créés par des personnes passionnées par ce qu’elles font.
  • Mettre en avant les influenceurs en recommandant aux entreprises de s’associer à des influenceurs qui peuvent aider à promouvoir leurs produits remarquables.

Cas pratique : Aprizo et Salimata sur TikTok

La collaboration entre Aprizo et Salimata sur TikTok incarne parfaitement les principes de Seth Godin. En utilisant Salimata, une influenceuse authentique et passionnée, Aprizo a réussi à créer du contenu remarquable qui a attire l’attention des consommateurs et a renforcé la perception de d’authenticité de la marque.

Les videos de Salimata sur TikTok mettant en avant les produits Aprizo sont à la fois drôles, divertissantes et authentiques.

Aprizo et Salimata : Un duo gagnant sur TikTok pour une marque authentique

Les résultats de cette collaboration sont probants : les vidéos de Salimata ont accumulé des millions de vues, suscitant un fort engouement pour les produits Aprizo. La marque a ainsi bénéficié d’une visibilité accrue et d’une image positive auprès de son public cible.

Notamment, ses deux vidéos les plus vues sur TikTok ont obtenu des taux d’engagement de 8,95% et 10,58%, bien au-dessus de la moyenne habituelle de 3% à 6% sur la plateforme. Cela démontre l’efficacité de la stratégie mise en place par Aprizo et Salimata pour captiver et fidéliser leur audience.

On peut également noter, dans certains commentaires TikTok et Instagram, qu’une partie de leurs abonnés les suivent uniquement pour voir Salimata en action, user de sa créativité pour mettre en avant des produits. Cela pourrait cependant représenter une limite à ce modèle de stratégie de communication. En effet, le but premier d’attirer de nouveaux clients sur place ne serait ici pas atteint, tandis que la notoriété et le nom de la marque seraient bien connus d’un grand nombre de personnes – pas nécessairement clients cependant.

Leçons à retenir

Le cas Aprizo et Salimata illustre plusieurs principes clés du marketing d’influence réussi :

  • Sélection minutieuse de l’image de marque
  • Contenu original et engageant via un format et un ton du contenu s’adaptant à la plateforme et au public cible
  • Transparence assumée à travers la divulgation du contenu commercial renforce la confiance du public cible
  • Engagement avec la communauté via l’interaction avec les followers, indispensable pour diffuser le message de manière organique

En appliquant ces principes, les marques peuvent tirer parti du pouvoir du marketing d’influence pour établir une connexion authentique avec leur public et renforcer leur image.

Conclusion

La collaboration Aprizo et Salimata démontre qu’en misant sur l’authenticité, la créativité et l’engagement, le marketing d’influence peut être un outil puissant pour atteindre les objectifs marketings des marques.

Mélanie MADABOYKO FINTOBAKILA

Références :

1. Tania SOILIHI, stratège des médias sociaux des entrepreneurs

   – Lien : [Tania SOILIHI LinkedIn Post]

https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7178812229901799424?updateEntityUrn=urn%3Ali%3Afs_feedUpdate%3A%28V2%2Curn%3Ali%3Aactivity%3A7178812229901799424%29

2. Naim BENHEBRI, co-fondateur de The Next Influence

   – Lien : [Naim BENHEBRI LinkedIn Post]

https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7182028905032110080?updateEntityUrn=urn%3Ali%3Afs_feedUpdate%3A%28V2%2Curn%3Ali%3Aactivity%3A7182028905032110080%29

3. Laurent BARSANTI, chef de projet chez FoodAffairs

   – Lien : [Laurent BARSANTI LinkedIn Post]

https://www.linkedin.com/posts/laurent-barsanti-b6b474144_un-exemple-de-purple-cow-et-dinnovation-activity-7186713117945397248-n5Nh?utm_source=share&utm_medium=member_desktop

4. [Critique du livre “La Vache Pourpre” (The Purple Cow) de Seth Godin]

https://www.conseilsmarketing.com/referencement/critique-du-livre-the-purple-cow-de-seth-godin/

5. [Apolline Studio : « Le pouvoir des trends Tiktok avec la marque Aprizo »]

https://apolline-studio.fr/le-pouvoir-des-trends-tiktok-avec-la-marque-aprizo/

6. [20 minutes, TikTok : Des magasins parodient des chutes virales pour faire la promotion de leurs produits, et ça marche (vraiment)]

https://www.20minutes.fr/arts-stars/insolite/4087188-20240418-tiktok-magasins-parodient-chutes-virales-faire-promotion-produits-ca-marche-vraiment

7. [Kolsquare : COMMENT CALCULER SON TAUX D’ENGAGEMENT SUR TIKTOK ?]

https://www.kolsquare.com/fr/blog/comment-ameliorer-son-taux-dengagement-sur-tiktok

  1. Vidéo TikTok – Central Houston Nissan – 22/03/2024 ↩︎
  2. Vidéo TikTok – Aprizo – 26/03/2024 ↩︎

« Community Notes » sur Twitter : un outil efficace contre les fausses informations ?

En octobre 2023, suite à l’attaque du Hamas contre Israël, la Commission européenne, ainsi que l’Arcom, a adressé un avertissement à la plateforme de réseaux sociaux Twitter, désormais connue sous le nom de X. L’intervention des autorités visait à modérer la diffusion de contenu inapproprié lié à cet événement, incluant de nombreuses vidéos, images et informations fallacieuses. La mise en garde de la Commission européenne et de l’Arcom à l’encontre de X, s’inscrit dans une continuité réglementaire. En effet, cette intervention n’était pas la première du genre. Déjà en octobre 2022, peu après le rachat de la plateforme par Elon Musk, l’Arcom avait rappelé à X ses obligations légales concernant la modération des contenus en ligne. Ces rappels successifs soulignent l’attention accrue des autorités régulatrices sur les pratiques de modération des réseaux sociaux, particulièrement dans le contexte de gestion des crises et de la désinformation.

La lutte contre la désinformation s’intensifie, confronté à des obstacles majeurs tels que la prolifération rapide de nouveaux contenus et la difficulté à discerner le vrai du faux. Cet enjeu, qui doit aussi ménager un équilibre délicat entre la liberté d’expression et la nécessité de limiter la propagation de contenus illicites ou préjudiciables, pousse les plateformes à innover dans leurs approches. En réponse à cette complexité croissante, plusieurs d’entre elles ont récemment adopté des stratégies de modération participative, invitant les utilisateurs à jouer un rôle actif en signalant les publications susceptibles de transgresser leurs règles. L’une des méthodes de modération les plus notables est celle mise en œuvre par la plateforme X : les Notes de la communauté. Initialement testée aux États-Unis en 2021, cette approche a été adoptée à grande échelle à l’international suite à l’acquisition de la plateforme par Elon Musk.

Qu’est qu’une note de communauté et comment cela fonctionne ?

Les notes de communauté sur Twitter (X), un outil novateur de modération participative, visent à lutter contre la désinformation en permettant aux utilisateurs de la plateforme de contribuer à la vérification des faits. Ce système fonctionne grâce à l’engagement collaboratif des membres de Twitter (X), qui peuvent apposer des annotations sur les tweets qu’ils jugent trompeurs ou inexacts. Ces notes sont ensuite visibles par tous, offrant un contexte additionnel qui aide les autres utilisateurs à mieux interpréter les publications.

Le fonctionnement est relativement simple : une fois qu’un tweet est signalé, il est examiné par des contributeurs qui évaluent son exactitude. Si une note est approuvée par suffisamment de vérificateurs, elle est publiée sur le tweet en question, offrant ainsi une forme de validation ou de correction publique. Cette méthode vise non seulement à décourager la diffusion de fausses informations, mais aussi à encourager une culture de la transparence et de la responsabilité parmi les utilisateurs.

L’impact de ces notes se manifeste particulièrement dans les domaines sensibles comme la politique et la publicité. Par exemple, lorsqu’un politicien prétend à tort que les écoles françaises ont historiquement exigé le port de l’uniforme, une note basée sur des sources fiables, telles que des articles de presse vérifiés, peut corriger cette affirmation. De même, dans le cas des conditions d’utilisation d’un réseau social, les notes peuvent clarifier des malentendus courants en s’appuyant sur des documents officiels ou des archives web pour démontrer que certaines pratiques, comme l’utilisation des contenus des utilisateurs, étaient déjà en place bien avant leur mention récente.

Les publicités ne sont pas épargnées par cette vérification ; des notes ciblent souvent des annonces prétendant des bénéfices exagérés ou pratiquant le « dropshipping » sans transparence. Ces interventions permettent de protéger les consommateurs contre des pratiques commerciales douteuses, en exposant la réalité derrière des offres trop alléchantes pour être vraies.

Parfois, le zèle des contributeurs peut mener à ce que certains considèrent comme du « pinaillage » — des corrections de détails minuscules qui, bien que techniquement corrects, peuvent sembler excessifs. Cependant, même ces interventions minimes jouent un rôle dans l’élaboration d’un discours en ligne plus précis et mesuré, reflétant la mission de la plateforme d’encourager une communication honnête et informée.

Des limites à considérer…

Les Notes de la communauté de Twitter (X), bien qu’efficaces dans la lutte contre la désinformation, rencontrent cependant des limites inhérentes à leur popularité et à leur mode de fonctionnement. Prévues pour enrichir le débat public par des corrections et des clarifications, ces notes sont parfois victimes de leur propre succès. En effet, leur usage excessif tend à diluer leur impact, transformant potentiellement un outil de vérification en un moyen de surinformation.

Un autre problème réside dans leur structure même : rédigées et évaluées par les utilisateurs via un système de votes, les Notes de la communauté peuvent être manipulées par des groupes organisés. Ces derniers, agissant de concert, peuvent influencer la visibilité des corrections, en promouvant ou en supprimant des notes selon leurs intérêts, qu’ils soient politiques ou autres. Cette dynamique peut compromettre l’objectivité et la neutralité des informations, permettant à certaines vérités factuelles de se retrouver injustement écartées ou à des narratifs biaisés de prévaloir.

Les notes de la communauté de Twitter (X) sont-elles efficaces ?

Dans une étude récente, des chercheurs de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de HEC Paris ont examiné l’efficacité des Notes de la communauté de Twitter (X),. L’objectif était de déterminer si ajouter des annotations contextuelles à des tweets potentiellement trompeurs pourrait réduire leur viralité.

L’analyse s’appuie sur une base de données de quelque 285 000 notes collectées via le programme de Notes de la communauté de Twitter (X). Les résultats montrent une réduction notable de la diffusion des tweets annotés. Concrètement, la présence d’une note diminue de presque 50% le nombre de retweets. De plus, les tweets avec notes ont 80% plus de chances d’être supprimés par leurs auteurs, un indicateur que les utilisateurs reconsidèrent peut-être le contenu partagé en présence de contexte supplémentaire.

Cependant, l’étude révèle aussi une limitation majeure : l’efficacité des notes est fortement dépendante de leur rapidité de publication. Avec un délai moyen de 15 heures avant qu’une note ne soit publiée, la plupart des tweets atteignent déjà une large audience avant que l’intervention n’ait lieu, ce qui limite l’impact global du programme.

Face à ces constatations, les chercheurs recommandent une mise en œuvre plus rapide des notes pour améliorer leur efficacité. Ils soulignent que, bien que la modération de contenu pilotée par la communauté montre un potentiel certain, sa capacité à contrer efficacement la propagation de fausses informations est entravée par les retards dans l’application des annotations.

Cette étude vient enrichir le débat sur les stratégies de modération de contenu sur les réseaux sociaux, en démontrant l’importance de la rapidité et de la précision dans les interventions visant à réduire la diffusion de l’information trompeuse. Les résultats encouragent d’autres plateformes à envisager des approches similaires, tout en soulignant la nécessité d’améliorations technologiques et organisationnelles pour maximiser leur impact.

Quel avenir pour ces Notes de la communauté ?

En matière de régulation et d’impact sociétal, les Notes de communauté émergent comme un modèle potentiel pour d’autres plateformes désireuses de responsabiliser leurs utilisateurs dans le combat contre la désinformation. Ce système de modération participative pourrait bien servir de référence pour les législateurs et les organismes de régulation, à l’heure où s’esquissent de nouvelles législations sur la gestion des contenus numériques tels que le Digital Service Act. L’efficacité croissante de cette méthode, sous réserve de certaines améliorations essentielles, la positionne comme un futur standard industriel susceptible d’améliorer la transparence et l’intégrité des informations partagées sur les réseaux sociaux. Malgré les défis présents, l’évolution des Notes Communautaires pourrait marquer un tournant dans les pratiques de modération en ligne, s’inscrivant dans une démarche collective vers des espaces numériques plus fiables et véridiques.

Si Hao Li

Bibliographie et sitographie

https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/sur-twitter-x-une-montee-de-la-desinformation-depuis-lattaque-du-hamas-1986245

https://www.radiofrance.fr/franceinter/avec-les-notes-de-communaute-twitter-x-marche-sur-les-pas-de-wikipedia-8574656

https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/vrai-ou-faux-les-community-notes-du-reseau-social-x-luttent-elles-efficacement-contre-la-desinformation_6051188.html

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/veille-sanitaire/veille-sanitaire-du-jeudi-31-aout-2023-8788843

https://www.bloomberg.com/graphics/2023-israel-hamas-war-misinformation-twitter-community-notes

https://theconversation.com/les-utilisateurs-de-x-doivent-lutter-seuls-contre-la-desinformation-qui-y-sevit-216779

Casilli, A. A. (2019). En attendant les robots-Enquête sur le travail du clic. Média Diffusion.

Chuai, Y., Tian, H., Pröllochs, N., & Lenzini, G. (2023). The Roll-Out of Community Notes Did Not Reduce Engagement With Misinformation on Twitter. arXiv preprint arXiv:2307.07960.

Renault, T., Amariles, D. R., & Troussel, A. (2024). Collaboratively adding context to social media posts reduces the sharing of false news. arXiv preprint arXiv:2404.02803.

Intelligence artificielle et réseaux sociaux : quel avenir ?

Près de vingt ans après la création de Facebook, les réseaux sociaux se retrouvent à un moment décisif de leur évolution, marqué par l’avènement de l’intelligence artificielle.

Les réseaux sociaux sont devenus indispensables dans notre quotidien, remodelant nos interactions sociales et notre manière de consommer l’information, ainsi que notre participation à la sphère publique. Ces plateformes offrent à chacun la possibilité de partager du contenu potentiellement viral. Toutefois, la création de contenu original, la gestion d’audiences étendues et le maintien d’une présence constante face à la masse de publications incessantes peuvent s’avérer complexes.

Facebook a été parmi les premiers à intégrer ces avancées technologiques à tous les niveaux de sa plateforme. En 2013, Mark Zuckerberg fait appel à Yann Le Cun, chercheur français en intelligence artificielle et figure de proue de l’apprentissage profond, pour superviser son laboratoire dédié à l’IA. Ces avancées sont mises en œuvre lorsque le réseau social propose du contenu basé sur les centres d’intérêt des utilisateurs, recommande des contacts en fonction de leur activité, identifie automatiquement les personnes dans les photos grâce à la reconnaissance faciale, ou analyse les images publiées pour garantir leur conformité aux règles de la plateforme.

Alors que ces plateformes ont déjà intégré l’IA depuis leur création, l’avènement d’outils tels que ChatGPT, Gemini ou encore DALL-E pourrait transformer radicalement les pratiques de création et d’utilisation sur ces plateformes. Les possibilités offertes par l’intelligence artificielle sont tellement vastes qu’il est difficile d’en dresser une liste exhaustive.

Une amélioration des fonctionnalités déjà existantes grâce à l’IA

Depuis son intégration dans les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives, enrichissant les fonctionnalités des plateformes et offrant une expérience utilisateur plus personnalisée et pertinente. Cette technologie va bien au-delà des capacités des CRM traditionnels en collectant et en analysant des quantités massives de données. Cette analyse en profondeur permet de comprendre les préférences des utilisateurs, aidant ainsi les marques à ajuster leurs campagnes en temps réel en se basant sur des métriques clés telles que les taux de clics et de conversion.

En outre, grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique, l’IA analyse le comportement des utilisateurs pour leur recommander du contenu pertinent, des contacts potentiels ou des groupes d’intérêt. Elle est également utilisée par les annonceurs pour le ciblage et les recommandations publicitaires. Cette personnalisation renforce l’engagement des utilisateurs et facilite les connexions entre les consommateurs et les marques. Des plateformes telles que YouTube, Spotify ou encore Netflix proposent des vidéos, de la musique et des films en fonction de l’historique de navigation de chaque utilisateur, alimentant ainsi leurs modèles d’intelligence artificielle avec les données récoltées.

Par ailleurs, l’IA est également utilisée pour détecter automatiquement les contenus inappropriés, tels que les discours de haine ou le harcèlement en ligne. Cette capacité renforcée permet de maintenir des environnements en ligne sûrs et respectueux, favorisant ainsi la confiance entre les utilisateurs et les marques. Facebook, par exemple, a récemment eu recours à l’IA pour rejeter automatiquement les contenus identifiés par un humain comme des fausses informations.

Enfin, sur les réseaux sociaux, l’IA peut automatiser certaines tâches telles que la planification et la publication de contenu. Cette automatisation libère du temps pour les spécialistes du marketing, leur permettant de se concentrer sur la création de stratégies de contenu innovantes et créatives.

De nouvelles interactions

Au-delà des fonctionnalités natives des plateformes, l’intelligence artificielle ouvre un champ immense de possibilités pour révolutionner nos interactions en ligne et, par extension, la manière dont les marques exploitent les médias sociaux pour accroître leur notoriété et leur visibilité.

De nos jours, de plus en plus d’entreprises font appel à l’intelligence artificielle pour créer des chatbots sur les réseaux sociaux. Ces agents conversationnels, de plus en plus sophistiqués, peuvent répondre instantanément et de manière personnalisée aux questions des utilisateurs, permettant ainsi aux entreprises d’offrir un service client plus réactif et efficace.

Grâce à l’intelligence artificielle, la barrière linguistique n’est plus un obstacle majeur. Cette technologie permet aux utilisateurs de communiquer et de partager du contenu dans différentes langues, favorisant ainsi la diversité et l’inclusion en ligne. Pour les marques, cet outil représente une opportunité précieuse pour conquérir de nouveaux marchés à l’international.

Par ailleurs, l’intelligence artificielle peut jouer un rôle essentiel dans le filtrage et le tri des informations circulant sur les réseaux sociaux en fonction de leur fiabilité. Cette fonctionnalité permet aux utilisateurs d’accéder à des contenus de qualité et de lutter contre la propagation de fausses informations. En conséquence, les marques bénéficient d’une protection contre le risque de désinformation, préservant ainsi le lien de confiance avec leur audience.

L’impact de l’IA générative

En plus de son utilisation traditionnelle, l’intelligence artificielle générative a profondément remodelé les réseaux sociaux. Par exemple, depuis l’été 2023, TikTok propose une fonctionnalité permettant de générer automatiquement un avatar. De même, Snapchat Plus a lancé « MyAI« , une fonctionnalité réservée aux abonnés, capable de tenir des conversations sur divers sujets, d’analyser des images et de créer des filtres.

La création de contenu est également devenue plus accessible. Grâce à des outils tels que ChatGPT ou DALL-E, il est désormais très simple de produire des contenus textuels, des photos ou des vidéos susceptibles de devenir viraux. Nous pouvons même anticiper l’émergence d’outils de création de plus en plus sophistiqués, capables de générer du contenu plus attractif, de meilleure qualité et parfois indiscernable de celui créé par un être humain.

Parallèlement, l’IA générative est de plus en plus exploitée dans le domaine de la publicité sur ces plateformes. Google Ads a intégré cette technologie dans ses outils d’optimisation publicitaire, permettant ainsi aux marques d’interagir directement avec Google Ads pour configurer leurs campagnes. De son côté, Meta a récemment lancé « AI Sandbox » pour les annonceurs, une sélection d’IA générative conçue pour les aider à concevoir des publicités.

L’IA et les réseaux sociaux, une menace pour l’information ?

L’émergence de l’IA peut cependant être une menace supplémentaire pour le journalisme et la vérification de l’information. Leur légitimité était déjà remise en question par la présence des réseaux sociaux. Le scandale Cambridge Analytica lors des élections présidentielles américaines de 2016, au cours duquel les données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook se sont retrouvées sans leur consentement entre les mains d’une firme ayant travaillé pour la campagne de Donald Trump, est un des exemples les plus marquants de la montée de la désinformation dans le monde.

La recherche du buzz favorise-t-elle donc la diffusion de propos provocateurs et extrêmes, ces derniers étant encouragés par les algorithmes des plateformes ? De plus, avec l’avènement de l’IA générative capable de produire du contenu, que ce soit des textes ou des images, se pourrait-il que le contrôle de l’information soit exclusivement entre les mains de ceux qui maîtrisent le mieux ces nouveaux outils ? Aujourd’hui, selon Radio France, 57 % des citoyens français estiment qu’il est nécessaire d’être prudent vis-à-vis des informations diffusées par les médias sur les grands sujets d’actualité. De plus, un quart des personnes âgées de 18 à 34 ans s’informent via des influenceurs, tandis que 42 % des moins de 35 ans se montrent réceptifs à la possibilité de lire des articles rédigés par une intelligence artificielle.

La multiplication des « deep fakes » grâce à l’intelligence artificielle accélère ce phénomène de désinformation, et la défiance qu’ont les citoyens envers l’information. Aujourd’hui l’IA est utilisé pour des tentatives de manipulation de l’information. En effet, de nombreuses attaques, notamment russes, coïncide avec l’arrivée de l’IA qui donne un pouvoir colossal à la malveillance et à la volonté de déstabiliser les élections européennes, en juin prochain. L’élection présidentielle en Slovaquie à l’automne 2023 avait déjà été prise pour cible. Le candidat de gauche avait été victime d’un deep fakes audio qui a été publié pendant la période moratoire, juste avant le scrutin du week-end, causant ainsi sa défaite.

Face à cette montée des deep fakes, les principaux acteurs doivent lutter contre la désinformation. Il est impératif de rester attentif aux implications éthiques et sociales de cette évolution. Les décideurs politiques, les régulateurs et les entreprises doivent collaborer pour élaborer des cadres réglementaires solides qui protègent les droits des utilisateurs tout en favorisant l’innovation. Le vote d’un nouveau règlement nommé Artificial Intelligence Act en décembre 2023 converge vers cette idée de régulation de l’intelligence artificielle.

L’IA doit ainsi être utilisée pour lutter contre la propagation de fausses informations, en promouvant des sources d’information fiables et en vérifiant les faits. Dans ce sens, Meta a annoncé ces dernières semaines qu’il identifiera à partir de mai 2024, les sons, images et vidéos générés par l’intelligence artificielle sur ses réseaux sociaux, en apposant la mention « Made with AI » sur un grand nombre de contenus générés automatiquement.

Selim Amara

Sources :

Le phénomène Telegram, à la fois messagerie et réseau social : un concurrent sérieux pour Meta ?

Quelles sont ses forces, ses faiblesses et les possibilités de son évolution future ?

Telegram ne se limite pas à être une application de messagerie instantanée qui compte plus de 900 millions d’utilisateurs actifs mensuels. C’est également un réseau social prometteur, en passe de devenir un sérieux concurrent pour les plateformes Meta. En outre, Telegram est une société privée totalement possédée par son fondateur. L’entreprise compte seulement 30 ingénieurs et ne possède pas de département des ressources humaines. Telegram mise sur la qualité et la fiabilité de ses services plutôt que sur le marketing pour attirer et fidéliser ses utilisateurs. La société s’engage aussi à préserver une impartialité politique.

Telegram a été développé en 2013 par les frères Pavel et Nikolaï Dourov. L’accent principal a été mis sur la transmission sécurisée des données grâce à l’utilisation du protocole cryptographique MTProto, qui assure un chiffrement de bout en bout, du serveur à l’utilisateur pour les chats standards, et d’utilisateur à utilisateur pour les chats secrets. Pendant longtemps, Telegram fonctionnait sans modèle de monétisation. Pendant ce période, il était financé par son PDG Pavel Dourov. En 2015 Durov a admit que le fonctionnement de Telegram lui coûtait 12 millions de dollars par an. 

Aujourd’hui, Telegram dispose de deux principales sources de monétisation : l’abonnement premium et la publicité. L’introduction de méthodes de monétisation n’a pas détérioré l’expérience utilisateur. La version premium offre seulement un petit ensemble de fonctionnalités supplémentaires, telles que la déchiffrement de messages audio et vidéo en texte et la possibilité d’interdire aux autres utilisateurs d’envoyer des messages vocaux. La publicité apparaît uniquement dans des chaînes publiques sous forme de courts messages textuels. Les publicités sont clairement indiquées et ne peuvent être confondues avec le contenu.

Examinons d’autres fonctionnalités qui distinguent Telegram de ses concurrents. D’abord, Telegram n’est pas seulement une messagerie instantanée, mais aussi un réseau social grâce à ses chaînes. Une chaîne Telegram est un outil de communication unidirectionnelle, mais les utilisateurs peuvent laisser des réactions et des commentaires. L’utilisation des chaînes est pleinement intégrée dans l’interface utilisateur : les messages des chaînes arrivent comme de simples messages privés. Il est à noter que Telegram n’utilise pas de système de recommandation : les utilisateurs voient sur la page principale uniquement les chaînes auxquels ils sont abonné, et elles s’affichent dans l’ordre chronologique des dernières publications. Cela permet d’éviter que des chaînes moins populaires mais importants pour l’utilisateur ne se perdent dans le flux de nouvelles.

Une autre caractéristique remarquable de Telegram est son stockage cloud gratuit. Tant que le compte reste actif, tous les fichiers, photos, audios et vidéos sont sauvegardés sans limitation de volume. L’application elle-même ne nécessite pas plus de 100 Mo de mémoire, et le cache peut toujours être nettoyé via le menu principal.

Telegram offre également de vastes options pour la gestion de l’envoi de messages : il est possible de programmer l’envoi, d’envoyer des messages sans notification ou de créer des messages qui s’auto-détruisent. Les utilisateurs peuvent aussi interdire la retransmission de leurs messages.

Le code de Telegram et son API sont ouverts aux développeurs. Il existe également une API pour les chat bots. Les possibilités d’interaction avec les chat bots sont presque illimitées, allant de la création de stickers à partir de photos au paiement de services, en passant par l’intégration avec des outils comme Chat GPT et Midjourney. Un chat bot ressemble à n’importe quel autre chat, l’interaction reste simple et intuitive. 

Une autre fonctionnalité utile de Telegram est la possibilité de remplacer le numéro de téléphone enregistré sur le profil par un pseudonyme. Les utilisateurs peuvent également être recherchés par ce pseudonyme, ce qui ajoute une couche de confidentialité et permet de garder le numéro de téléphone mobile secret.

Telegram possède de nombreuses fonctionnalités utiles, mais l’une des plus importantes est la présence de chats secrets, où le chiffrement de bout en bout va d’un utilisateur à l’autre. Cela signifie que les messages sont stockés uniquement sur les appareils des participants au dialogue. Pourquoi alors tous les chats ne sont-ils pas chiffrés de cette manière par défaut ? La raison en est que si l’appareil est perdu, les données des chats secrets ne peuvent pas être récupérées, et il n’est pas possible de se connecter à ces chats à partir de différents appareils via un seul compte. 

Selon DataAI, Telegram se classe actuellement sixième parmi les applications les plus utilisées dans le monde. Cette popularité attire inévitablement l’attention des services de sécurité nationaux de différents pays ainsi que de grandes corporations comme Google et Apple, qui cherchent à exercer un contrôle sur la plateforme. Apple menace parfois de retirer Telegram de l’AppStore et entrave ses mises à jour, tandis que Google a bloqué la technologie de domain fronting, qui constituait une protection importante pour le messager contre les blocages. Comment Telegram réussit-il à rester indépendant et à maintenir sa neutralité?

Premièrement, Telegram appartient à son fondateur, ce qui lui permet de prendre des décisions indépendantes sans ingérence extérieure. Deuxièmement, le siège de Telegram est basé aux Émirats Arabes Unis, un pays connu pour sa neutralité politique.

La pandémie de COVID-19 a révélé l’ampleur de la liberté offerte par Telegram, se manifestant par sa gestion de la communication durant cette période critique. Telegram est devenu l’un des rares réseaux sociaux à ne pas censurer les publications critiques sur les mesures de lutte contre le virus et la vaccination. La plateforme a collaboré activement avec les canaux gouvernementaux pour diffuser des informations officielles sur les mesures prises, mais n’a pas bloqué les voix critiques. Ainsi, différentes opinions ont pu coexister sur la plateforme, tandis que les services comme ceux de Meta supprimaient les publications contenant des informations jugées peu fiables. « Il est sensé de confronter des opinions opposées et d’espérer que la vérité émerge de ces débats, » a déclaré Pavel Dourov dans une interview.

Les principaux problèmes qui limitent la popularité de Telegram incluent les risques liés à l’utilisation de son haut niveau de confidentialité à des fins malveillantes et le nombre relativement faible d’utilisateurs dans certains pays. La sécurité et la liberté représentent un dilemme complexe. Cependant, il est important de se rappeler que le chiffrement de bout en bout protège la liberté d’expression et aide à se défendre contre le piratage, le vol de données, la fraude et la divulgation illégale d’informations. En ce qui concerne le manque d’utilisateurs, Telegram offre toujours d’importantes possibilités. Bien que tous les amis et membres de la famille ne soient pas inscrits sur cette plateforme, Telegram peut être utilisé non seulement pour communiquer, mais aussi comme un réseau social pour lire des chaînes, publier du contenu, ainsi comme un espace de stockage cloud gratuit.

Actuellement, Telegram compte 41 millions d’utilisateurs en Europe, ce qui est légèrement inférieur au seuil de 45 millions nécessaire pour être reconnu comme une « très grande plateforme ». Cependant, le site officiel de Telegram présente une section sur le Digital Service Act qui détaille les mesures prises par la plateforme pour se conformer à ces normes :

  • La plateforme définit les comportements et contenus interdits, tels que le spam, la promotion de la violence, le contenu sexuel illégal et d’autres activités illégales.
  • Telegram utilise des méthodes de modération automatiques et manuelles pour son contenu public
  • Actions possibles de Telegram inclut la suspension temporaire ou permanente de certaines fonctionnalités du compte, l’étiquetage des comptes comme « Faux » ou « Fraude », et la possibilité de bloquer ou de supprimer des utilisateurs et du contenu en cas de violations graves.
  • Telegram n’utilise pas d’algorithmes de recommandation pour promouvoir du contenu, mais propose des contenus basés sur les requêtes et abonnements des utilisateurs
  • Les utilisateurs peuvent contacter Telegram via le bot @EURegulation, qui sert de point de contact unique dans le cadre du Digital Service Act. 
  • Les autorités de l’UE peuvent contacter Telegram via un représentant à Bruxelles pour les questions liées à l’Acte sur les services numériques.

En 2018, le RGPD a été publié, et peu après, Telegram a mis à jour son application pour se conformer à cette réglementation. Selon un article sur le site officiel de Telegram, la plateforme a été initialement conçue pour protéger les données personnelles, ce qui a nécessité peu de modifications pour répondre aux exigences du RGPD. Telegram propose un chat bot où les utilisateurs peuvent demander une copie de toutes les données enregistrées les concernant et obtenir des clarifications supplémentaires sur la confidentialité.

Je pense que la popularité de Telegram continuera de croître, bien qu’il ne remplace pas WhatsApp, dont les utilisateurs sont déjà habitués à son interface et possèdent les chats et groupes nécessaires. Étant donné les nombreuses fonctionnalités de Telegram, les deux plateformes peuvent être complémentaires. De plus, il est possible que de nouveaux concurrents émergent, tels que Signal et Olvid, qui sont des plateformes plus récentes et gagnent en popularité.

Elizaveta Kolpakova

Liste de références:

La chute de la Silicon Valley Bank : Réseaux sociaux et gestion bancaire en question

Le 10 mars 2023, la Silicon Valley Bank (SVB), la 16ème plus grande banque des États-Unis et un pilier du financement des entreprises de technologie et de biotechnologie, s’effondrait de manière spectaculaire. Cette faillite, la plus significative depuis la crise financière de 2008, soulève de nombreuses questions sur l’influence des réseaux sociaux dans la banque moderne et met en lumière des pratiques de gestion éloignées des standards bancaires habituels.

Un effondrement fulgurant

Tout a commencé le 8 mars, lorsque la SVB a annoncé la nécessité de lever des fonds de toute urgence après des pertes significatives sur des obligations. Cette annonce a provoqué une panique parmi les investisseurs et les déposants, majoritairement des entreprises de la tech et des startups, qui craignaient pour la sécurité de leurs actifs.

En moins de 48 heures, une vague massive de retraits s’est déclenchée, exacerbée par les réseaux sociaux où des messages alarmants circulaient rapidement. Des hashtags comme #BankRun et #SVBCollapse devenaient viraux, illustrant la rapidité avec laquelle la peur et la suspicion peuvent se propager dans l’ère digitale.

Retraits Hypothétiques de Fonds de la SVB Suite à l’Annonce

Le graphique illustre la réaction rapide et massive des déposants de la Silicon Valley Bank suite à l’annonce du besoin urgent de lever des fonds le 8 mars. On observe une escalade dramatique des retraits, commençant par 5 milliards de dollars le jour de l’annonce, suivi d’une augmentation vertigineuse à 20 milliards le lendemain, et culminant à 50 milliards le 10 mars. Cette courbe montante témoigne de l’effet immédiat des inquiétudes des déposants et de l’impact amplificateur des réseaux sociaux, où des messages alarmants ont circulé à une vitesse fulgurante, incitant à une réaction en chaîne de retraits de fonds. Ce graphique hypothétique est représentatif du phénomène de bank run accéléré par le numérique, mettant en lumière la vulnérabilité des institutions financières dans un contexte où l’information se propage en temps réel.

Les réseaux sociaux : catalyseur d’une crise de confiance

Sur Twitter, LinkedIn et d’autres plateformes, des entrepreneurs influents tels que David Sacks et Jason Calacanis partageaient leurs inquiétudes et conseillaient ouvertement aux autres de retirer leurs fonds, intensifiant la panique. Cette réaction en chaîne a souligné un aspect nouveau des crises bancaires modernes : l’impact immédiat des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux ont fonctionné comme un amplificateur de la crise de confiance, réduisant le délai habituel pour des réactions et des corrections. La rapidité de l’information, couplée à l’écho des chambres de résonance en ligne, a transformé ce qui aurait pu être une gestion de crise interne en un spectacle public et chaotique.

Le Tweet qui a Ébranlé les Marchés : Le Rôle de David Sacks dans la Panique de la SVB

Au cœur de la crise de la Silicon Valley Bank, David Sacks, entrepreneur respecté et figure de proue de l’industrie technologique, a joué un rôle déterminant en amplifiant les enjeux de la situation sur Twitter. Ses tweets du 10 mars 2023 ont non seulement capturé l’attention immédiate de ses abonnés, mais aussi celle du monde financier à large échelle. Par ses interrogations directes – « Where is Powell? Where is Yellen? » – Sacks appelait à une action urgente des régulateurs, exprimant une exigence collective pour la sauvegarde des dépôts et la prévention d’une contagion financière plus large. Son tweet, « Stop this crisis NOW. Announce that all depositors will be safe. Place SVB with a Top 4 bank. Do this before Monday open or there will be contagion and the crisis will spread, » était un cri d’alarme soulignant l’urgence et la gravité perçue de la situation. Avec une voix résonnant dans l’écosystème des startups, Sacks a influencé la perception publique et a possiblement accentué la pression sur les décideurs.

En abordant le thème de la responsabilité fédérale, « Anybody who thinks that preventing bank runs and panics isn’t a federal responsibility missed a couple hundred years of financial history, » il rappelait la nécessité de la surveillance et de l’intervention des autorités financières dans des moments critiques. Ce faisant, il a mis en exergue la responsabilité des institutions face à un risque systémique. La clarification concernant sa propre entreprise, « Craft has no money at SVB, » visait à apaiser les spéculations et à distinguer ses commentaires professionnels des intérêts personnels. L’impact de Sacks dans cette crise n’était pas négligeable, ses tweets agissant comme des catalyseurs d’opinion parmi les entrepreneurs et investisseurs déjà nerveux, et mettant en évidence le pouvoir influent des leaders d’opinion dans le secteur technologique en temps de crise financière.

Gestion bancaire défaillante

Au-delà des réseaux sociaux, le cœur du problème résidait dans la gestion même de la SVB. La banque avait misé massivement sur des investissements à long terme, principalement des obligations d’État, qui se sont dépréciées avec la montée des taux d’intérêt par la Réserve fédérale. Cette stratégie, risquée et peu diversifiée, a rendu la banque particulièrement vulnérable à un changement de conjoncture.

De plus, la SVB avait une concentration exceptionnelle de dépôts provenant d’un secteur spécifique : la technologie. Cette homogénéité de la base de clients a exacerbé l’effet de contagion lorsque la confiance a commencé à fléchir, montrant les limites d’une stratégie de niche dans un environnement instable.

Gestion Bancaire vs. Tempête Numérique : Les Vrais Coupables de la Débâcle de la SVB

L’effondrement de la SVB peut être attribué à deux facteurs principaux qui, en interagissant, ont amplifié la crise : une gestion bancaire hasardeuse et l’influence des réseaux sociaux. D’une part, la banque avait adopté une stratégie d’investissement risquée, en plaçant une grande partie de ses actifs dans des obligations à long terme qui se sont dévaluées avec l’augmentation des taux d’intérêt. Cette gestion, peu conforme aux pratiques conservatrices typiques du secteur bancaire où la diversification et la prudence prévalent, a placé la banque dans une position financièrement vulnérable.

D’autre part, les réseaux sociaux ont joué un rôle prépondérant dans l’accélération de la crise. La propagation rapide d’informations parfois erronées ou exagérées a engendré une panique massive parmi les déposants, aggravant une situation déjà tendue.

Réactions réglementaires

La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) a rapidement pris le contrôle de la banque, garantissant les dépôts jusqu’à 250 000 dollars et cherchant à stabiliser le secteur. Ce scénario rappelle l’importance d’une régulation adaptée à l’évolution des pratiques bancaires et des technologies de l’information. La chute de la SVB incite à une réflexion sur le rôle des régulateurs et des banques elles-mêmes dans la gestion des risques. Elle pose également la question de l’impact des technologies et des médias sur la stabilité financière.

Pour répondre à ces défis, un projet de loi pourrait être envisagé, tel que le Projet de Loi N° XYZ: Loi pour l’Encadrement des Communications Financières Numériques. Cet article propose des mesures spécifiques pour encadrer les communications financières sur les plateformes numériques, afin de prévenir les mouvements de panique amplifiés par ces nouveaux médias. Il stipule que les institutions financières doivent établir des protocoles clairs pour les communications en période de crise, approuvés par l’autorité de régulation compétente, et que les plateformes numériques doivent collaborer avec les autorités pour vérifier les informations potentiellement déstabilisatrices. La loi envisagerait également la création d’une unité spéciale au sein de la FDIC pour surveiller ces communications, assurant ainsi une réponse rapide et coordonnée en cas de future instabilité financière.

Les autorités pourraient ainsi mieux contrôler l’interaction entre les communications financières et la réaction du public, minimisant le risque de panique bancaire déclenchée ou exacerbée par les réseaux sociaux et autres plateformes numériques.

La débâcle de la Silicon Valley Bank révèle l’interaction complexe entre une gestion bancaire risquée et l’effet amplificateur des réseaux sociaux. Cet événement force une réévaluation des stratégies de gestion de crise à l’ère numérique et rappelle l’importance cruciale de l’adhérence aux principes de gestion de risque et de communication efficace. Les régulateurs et les institutions financières doivent considérer ces nouvelles dynamiques pour prévenir de futures crises. Face à cette nouvelle réalité, comment les banques peuvent elles équilibrer innovation et sécurité pour gagner la confiance dans un monde hyperconnecté ?

Kelly CLAIRE

Les réseaux sociaux comme catalyseurs de changements sociaux et politiques à travers le monde : des espaces d’expression politique et de mobilisation

À l’ère numérique dans laquelle nous évoluons, les réseaux sociaux se sont imposés comme des outils incontournables de communication, de mobilisation et d’expression publique. Que ce soit sous des régimes autoritaires où la censure prédomine, ou dans des démocraties où la parole est plus libre, ces plateformes redéfinissent les interactions sociales et politiques. Examinons comment, dans ces différents contextes et en particulier en Chine, au Cameroun, et en France, les réseaux sociaux facilitent une nouvelle forme de dialogue et de contestation.

Une libération de la parole dans des contextes de coercition

Dans des contextes politiques laissant peu de place à l’expression individuelle, les réseaux sociaux se révèlent être des espaces essentiels d’expression publique. C’est par exemple le cas en Chine, où le gouvernement exerce un contrôle rigoureux sur les médias traditionnels, limitant fortement l’accès à l’information et la liberté d’expression :  « La fermeture de Facebook, Youtube ou Twitter relève en effet autant du protectionnisme économique que de la censure médiatique » (Renaud, 2014). Dans ce contexte où « l’opinion publique’’ est façonnée par le parti politique dans les médias professionnels, des réseaux sociaux Chinois ont fait leur apparition. Sina Weibo, par exemple, permet une nouvelle forme d’émancipation de ses utilisateurs en leur offrant un support d’expression, notamment pour rendre visibles leurs revendications sociales et leurs protestations. 

Dans son article La sphère publique sur les réseaux sociaux en Chine : enjeux et stratégies des acteurs (2018) publié dans la revue  Les Enjeux de l’information et de la communication, Tao Tingting dresse une analyse des préoccupations principales des utilisateurs de Sina Weibo en étudiant les discours des 100 comptes ayant un très grande influence sociale sur la plateforme. Ses résultats sont régroupés dans le tableau suivant :

source : Tao, T. (2018). La sphère publique sur les réseaux sociaux en Chine : enjeux et stratégies des acteurs. Les Enjeux de l’information et de la communication, 18(3A), 135-148. https://doi.org/10.3917/enic.hs6.0135

De cette manière, on observe que les préoccupations principales des utilisateurs de la plateforme sont autour du thème du politique (49,91%) et du social (16,41%). Egalement, dans son étude, Monsieur Tingting, explicite que les revendications politiques sont axées autour de sujets tels que la démocratie et la reforme. Quant aux revendications sociales, celles ci sont sur des sujets tels que l’égalité de richesse et l’éducation.

Ainsi, pour contrebalancer le déficit démocratique de leur pays, les chinois ont pris pour alternative d’exprimer une forme de résilience sociale en instaurant un dialogue public sur les réseaux sociaux auxquelles ils ont accès. Sina Weibo fonctionne donc non seulement comme un réseau social mais aussi comme une plateforme de contestation et de mobilisation. Les discussions qui y prennent place révèlent souvent des préoccupations sociales et politiques qui, autrement, resteraient silencieuses ou réprimées. Cela montre comment, même sous des régimes autoritaires, les technologies numériques peuvent faciliter une certaine forme de liberté d’expression et servir de catalyseur pour le changement social.

Les réseaux sociaux ont également la capacité de contourner les limitations des espaces publics physiques, permettant la mobilisation sociale et la justice dans des contextes où les manifestations traditionnelles ou les rassemblements sont réprimés ou impossibles. L’affaire Eva au Cameroun est un autre exemple de cette autre dimension des réseaux sociaux : leur capacité a contourner les limitations des espaces publics physiques. Cette affaire concerne un cas tragique survenu entre juin 2015 et décembre 2016, période durant laquelle près de soixante enfants ont disparu au Cameroun. Parmi eux, Éva, une fillette de deux ans, a été trouvée décapitée à Douala. Face à cette affaire, le gouvernement Camerounais est resté passif et aucune enquête n’a été engagée. Les médias classiques locaux étant sous le contrôle constant et permanent du pouvoir en place, l’affaire a également été étouffée au niveau de la presse écrire, de la radio et de la télévision. 

Face aux limites des médias traditionnels en place, les réseaux sociaux ont alors joué un rôle crucial en permettant aux Camerounais de briser le silence médiatique, de partager des informations, et de mobiliser le soutien public et international autour de cette tragédie.

Alors que le contexte politique Camerounais ne donnait pas la possibilité d’une mobilisation au sein de l’espace publique physique, la mobilisation s’est, en effet, faite à travers les réseaux sociaux. A travers eux, la mobilisation a pu être massive, s’appuyant sur des objectifs affectifs, cognitifs et conatifs. Ainsi, pour susciter l’émotion et donc l’engagement et le militantisme des populations Camerounaise et Internationales, la photographie de la victime ainsi que du lieu où son corps a été retrouvé a été fortement partagé sur Facebook, certains internautes changeant même leurs photos de profils à cet effet. Aussi, en lisant, commentant et partageant les internautes ont démontré leur volonté d’informer à leur tour les autres internautes, le cumul des ressentiment a alors suscité de nombreuses actions symboliques et appelé à des marches de soutien.

« Internet représente un espace ouvert qui procure aux mouvements sociaux une grande autonomie, puisque les barrières de contrôle disparaissent et les protestations, les plaintes ou les appels à la mobilisation arrivent, à peu de frais, à un nombre plus grand de partisans ».

Suarez Collado, 2013, 51

Les exemples Chinois et Camerounais mettent en lumière le rôle crucial que peuvent jouer les réseaux sociaux dans des contextes politiques et sociaux variés, agissant comme des facilitateurs de dialogue et de mobilisation là où les canaux traditionnels sont insuffisants ou inexistants.

Les Réseaux sociaux, amplificateurs des mobilisations 

En France, tandis que la liberté d’expression est un droit majeur garanti par l’article 11 de la DDHC, les Réseaux Sociaux trouvent également leurs places, dans des contextes de mobilisation sociales, cela notamment en jouant des rôles cruciaux dans l’organisation de mouvements, tels que les gilets jaune. En effet, ce mouvement de protestation commencé le 17 novembre 2018 s’est développée de manière massive via les Réseaux Sociaux. On recense par exemple à la mi décembre, soit un mois après le début du mouvement, 1548 groupes Facebook de plus de 100 membres chacun associés au mouvement. Les plateformes de Réseaux Sociaux et notamment de Facebook ont été essentielles pour structurer le mouvement et aidé à coordonner les manifestations à grande échelle, à rassembler les participants et à diffuser des informations en temps réel.

Pour démontrer l’impact des réseaux sociaux dans la mobilisation, dans « Les déterminants de la mobilisation des Gilets jaunes », Pierre C. Boyer, Thomas Delemotte, Germain Gauthier, Vincent Rollet et Benoit Schmutz ont réalisé une étude permettant de démontrer le lien entre la mobilisation en ligne et hors ligne. En utilisant deux sources de données compilées reflétant à la fois la mobilisation online et offline et en construisant trois indicateurs ( Nombre de rassemblements prévus par zone géographique, Nombre de membres de groupes Facebook associés à chaque zone géographique et Nombre de publications sur les groupes Facebook associés à chaque zone géographique), ils ont démontrer une corrélation positive entre les indicateurs de mobilisation online et offline. Plus précisément, l’étude a également démontré une forte corrélation (74%) entre le nombre de groupe Facebook par départements et le nombre de blocage ayant eu lieu dans ce département ainsi qu’une corrélation de 62 % entre le nombre de blocage dans ce département et le nombre de publications sur Facebook.

De nombreux travaux théoriques récents (Edmond [2013] ; Little [2016] ; Barberà et Jackson [2018]) se sont penchés sur l’importance des réseaux sociaux en ce qui est de l’émergence de mouvements de protestation de grande ampleur. Aussi, alors que la coordination est essentielle pour à l’action collective mais souvent limitée par les asymétries d’information et les contraintes des canaux de communication, les réseaux sociaux permettent de transformer les habitudes des citoyens comme des gouvernements.

Le dialogue en Chine, la mobilisation au Cameroun et les manifestations en France ne sont que quelques exemples de la manière dont les réseaux sociaux permettent de créer des espaces pour des voix qui autrement resteraient silencieuses et offrent des moyens de contestation et de résistance face à l’oppression. Ces plateformes ont révolutionné la manière dont nous communiquons mais ont également redéfini les paradigmes de mobilisation et d’expression dans des contextes variés à travers le monde. Ainsi, que ce soit dans des pays où la censure prédomine ou dans des démocraties où la parole est plus libre, les réseaux sociaux ont prouvé leur capacité à servir de catalyseurs pour le changement social et politique.

Louise Lefevre

Sources:

Les influenceurs sont-ils vraiment le meilleur allié d’un cinéma plus dynamique?

Le 23 février dernier, la présence de l’influenceuse Léna Situations en tant qu’animatrice du tapis rouge des César a suscité beaucoup de critiques sur les réseaux sociaux.

Léna Situations, de son vrai nom Léna Mahfouf, cumulant plus de 4 millions d’abonnés sur Instagram, s’est en effet vue confier la tâche d’animatrice du direct sur MyCanal et le compte Tiktok de Canal +. Interviewer les icônes du cinéma français à leur entrée, c’est ce qu’on reproche à cette instagrameuse qui n’aurait visiblement pas sa place à un tel évènement. Pourtant ce n’est pas la première fois que le monde du cinéma s’allie avec ce genre de créateurs de contenus, et une telle association devrait paraître évidente, et même nécessaire. Aujourd’hui des noms comme Paola Locatelli, Seb, Carla Ginola, Charlie Damelio, sont communs sur les tapis rouges. Mais Léna Situations marque un tournant : plus que faire partie du décor, une influenceuse peut avoir la main.

Un objectif : réintéresser les digital natives

Selon un rapport du CNC, les 15-24 ans représentaient la population la plus faible des spectateurs du cinéma en France en 2022 (15,7% des spectateurs), une proportion encore plus faible que les 3-14 ans (17,4% des spectateurs). À l’inverse, les 15-24 ans sont les plus présents sur les réseaux sociaux, 80% d’entre eux y participeraient selon une enquête Statista. Sur 4,8 milliards d’utilisateurs d’Internet dont 98% présents sur les réseaux sociaux dans le monde, il est aisé de comprendre que le cinéma a considérablement perdu de son influence sur une population jeune, qui ne se ferme pourtant pas complètement aux médias.

Peut-on dire que la présence croissante des influenceurs dans la liste des invités des cérémonies du cinéma a pour unique objectif d’attirer de nouveaux les jeunes vers les salles obscures ? Si l’on fait abstraction de leur présence évidente en tant que promoteurs des marques qui les invitent, on peut dire que oui. En effet, les médias sociaux ont permis une multiplication des relations « para-sociales ». Ce terme qualifie les sentiments d’amitié et d’admiration qu’une personne lambda, un fan, va éprouver envers une personnalité publique, qu’il ne connaît pas personnellement. Les influenceurs ont multiplié les interactions avec leurs admirateurs, multipliant par la même occasion le nombre de ces derniers.

Le cinéma, un média vieux au public vieillissant, prend donc le pari naturel de ces créateurs de contenus numériques pour réunir une population sur laquelle il n’a plus de prise.

Les influenceurs : des armes de pointe du marketing

Les influenceurs sont depuis plusieurs années déjà les mascottes de toutes marques espérant devenir virales. La vitalité, c’est la vitesse de diffusion d’un contenu, ou le nombre de personnes touchées par celui-ci. De nombreuses marques ont pris l’habitude de travailler en partenariats avec les créateurs de contenus : cadeaux, produits en collaboration, stories ou posts rémunérés font partie des nombreuses stratégies de promotion réalisables. Une autre s’est donc développée : inviter des influenceurs à certains illustres évènements sous le nom de la marque. C’est ce qui explique notamment le défilé des influenceurs les plus populaires sur Instagram et Tiktok, sur le tapis rouge de Cannes. Bien que leurs contenus, voir même leurs centres d’intérêts, n’aient pas grand chose, si ce n’est rien à voir avec le cinéma, ceux-ci ont droit d’accès aux évènements les plus selects du milieu, telles que les avant-premières dans le prestigieux Théâtre des Lumières.

Cette association peut poser question, pourtant elle fonctionne. Leur présence a permis de concentrer l’attention de toute leur communauté sur le Festival de Cannes. La stratégie portant ses fruits, les institutions du cinéma ont à leur tour décidé de s’y prendre au jeu. Le Festival de Cannes s’est déjà associé deux années de suite à Tiktok en tant que partenaire officiel, les César ont quant à eux engagé Léna Situations. Pari gagnant : près de 150 000 viewers suivaient l’entrée des vedettes à l’Olympia en live sur le Tiktok de Canal+, un chiffre phénoménal pour une chaîne traditionnelle sur Tiktok.

Une présence qui pose problème

Au-delà des nombreuses critiques qu’a suscité le rôle de Léna Situations aux César, la présence des influenceurs à de tels évènements du cinéma est loin d’être acceptée par la majorité. La stratégie fonctionne pour les 15-24 ans, les jeunes redécouvrent l’envie d’aller au cinéma grâce à leurs idoles. Pour les habitués il n’en est cependant pas du même son de cloche. Pourquoi? Parce que cette association ne fait pas sens de prime abord. Cannes, comme les César, sont des marques à part entière qui ont construit leur image depuis des dizaines d’années comme les évènements les plus illustres du cinéma français et international. Haut lieu de prestige, réunion d’amateurs et de connaisseurs, célébration de tout un art, la présence de créateurs de vidéos courtes et de photos Instagram fait tout de suite contraste.

Ce problème relève d’une anomalie dans le « celebrity endorsement » de ces marques, c’est-à-dire de l’image que ces associations renvoient. L’un des critères de succès d’une campagne avec une célébrité est la congruence. Il s’agit d’une question de « match » entre la marque en elle-même, et la célébrité qui la représente. Les deux sont en réalité rarement issues des mêmes secteurs, les pubs télévisées en sont d’ailleurs un parfait exemple. Cependant de manière générale, la célébrité engagée doit redorer l’image de la marque : on se rappelle tous de la pub de Jo-Wilfried Tsonga pour Kinder Bueno, ou de Brad Pitt pour Boursorama Banque. Ils n’ont aucun rapports, mais apportent une influence positive sur l’image de la marque.

Pour la communauté cinématographique, associer le cinéma à de « simples influenceurs » ne fait pas sens, et détériore même l’image de cet art. En dehors de leur propre communauté, les influenceurs ne font pas l’unanimité, et sont souvent dénigrés. Pourtant ce n’est pas la première fois que des vedettes sans rapport avec le cinéma défilent sur ces tapis rouges. Avant eux : les top models, les footballers professionnels, les candidats de télé-réalités avaient déjà leur place, et étaient pourtant des armes de marketing bien moins efficaces.

Au-delà du marketing : un postulat sur l’état des médias

Lorsque Léna Situations prend le micro pour interviewer les plus grandes figures du cinéma de l’année, l’engagement franchit néanmoins une nouvelle étape, celle de faire comprendre à la presse qu’elle n’est plus ni le média dominant, ni le média important. La journaliste Camélia Kheiredine a notamment regretté sur X que cette place lui ait été confiée, plutôt qu’à un jeune journaliste spécialisé et qualifié. En effet la presse traditionnelle est en déclin, et le cinéma semble lui aussi déjà lui tourner le dos. Nathalie Chifflet écrivait en 2017 « […] la presse a perdu le monopole de l’influence. D’ailleurs, le mot d’influence ne lui appartient même plus. Le digital lui a confisqué, signalant par là-même le déplacement des relais d’opinion« .

La décision des César de ne pas confier cette position à un journaliste signe dès lors un constat morose : une association systématique et automatique de la jeunesse aux influenceurs, une perte d’espoir totale dans un intérêt pour une presse spécialisée. La France n’en est qu’à ses balbutiements. Les États-Unis nous précèdent de plusieurs années. Les influenceurs qui s’improvisent journalistes pullulent sur les tapis rouges de tous types d’évènements culturels et ne font pour le moment pas preuve des qualités qui définissent ce métier.

Le débat est donc ouvert sur le rôle que vont vraiment porter les influenceurs pour le cinéma et le monde de la culture dans le futur. Entre dégradation de l’information et influence notoire, les institutions auront à faire un choix. Le Festival de Cannes renouvèle de nouveau son partenariat officiel avec Tiktok, qui se défend lui-même d’être un réel levier pour la culture. Entre le concours Tiktok Short Films durant le festival, qui a déjà récompensé la jeune Claudia Couchet, lui permettant de travailler sur des projets de plus grande envergure par la suite, les partenariats avec différents salons culturels, et le hashtag #Booktok, Tiktok porte ses arguments. La présence des influenceurs est cependant toujours questionnable, surtout lorsque nombreux suspectent une amputation du nombre de Pass 3 jours à Cannes (pass permettant aux jeunes amateurs d’assister au festival) au profit de plus de places pour ces derniers.

Anaëlle Mousserin

Sources:

Comment TikTok s’adapte et influence le commerce électronique ?

L’essor des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux se sont installés dans notre quotidien depuis les années 2000 et leur place est primordiale aujourd’hui. Selon une étude de We Are Social, en 2024, 5,04 milliards d’utilisateurs actifs peuplent les réseaux sociaux, soit 62,3 % de la population mondiale. Les réseaux sociaux, dotés de différentes fonctionnalités, ont commencé à influencer et à changer les modes et les habitudes de vie des consommateurs, surtout pour la génération Y et Z. Par exemple, ils utilisent davantage les applications de messagerie instantanée pour échanger avec leurs proches, à la place de SMS et appels. De plus, au lieu de regarder la télévision ou d’écouter la radio, ils se tournent vers les applications de courtes vidéos pour se divertir. D’ailleurs, de plus en plus de consommateurs utilisent les réseaux sociaux pour découvrir, évaluer et acheter des produits. Ainsi, les réseaux sociaux sont devenus de nouveaux canaux efficaces de communication et de vente des produits pour les marques.

TikTok : une plateforme en pleine expansion

Avec l’explosion d’informations actuelle, la durée d’attention de l’humain a tendance à diminuer, faisant de l’attention une denrée rare que les commerçants se disputent. Les réseaux sociaux encouragent donc une circulation des contenus plus visuelle, plus rapide et plus résumée. Cette tendance favorise l’essor d’applications de vidéos courtes, telles que TikTok. Lancée en 2016, TikTok est une plateforme de médias sociaux permettant de créer et de partager de courtes vidéos. Grâce à ses avantages tels que la diversité des contenus, l’algorithme de recommandation efficace, ainsi que son format de vidéo courte facile à regarder, créer et partager, TikTok a rapidement conquis un grand public, surtout les jeunes, et a connu un grand succès. Selon les données de Statista, il figure parmi les réseaux sociaux les plus utilisés dans le monde, derrière Facebook, YouTube et Instagram, avec un nombre de MAU de 1,5 milliard début 2024. De plus, TikTok est aussi l’application sur laquelle les utilisateurs dépensent le plus d’argent. Ses revenus ne cessent d’augmenter. Son chiffre d’affaires mondial était de 14,3 milliards de dollars en 2023, contre 9,4 milliards en 2022. Ses revenus proviennent principalement de la publicité, des achats intégrés (TikCoins et cadeaux virtuels) et du e-commerce (TikTok Shop). Cette dernière est une nouvelle source de revenu en rapide croissance pour TikTok.

TikTok s’oriente vers une plateforme du Social Shopping

Le commerce électronique, ayant plus de 50 ans d’histoire, a débuté dans les années 70 et a été propulsé par l’explosion d’Internet depuis les années 90. Avec le développement des réseaux mobiles et la démocratisation des médias sociaux après 2010, il a connu une croissance exponentielle. 

Depuis 2020, TikTok a commencé à amorcer de nouvelles solutions du e-commerce. Il s’est associé à Shopify pour offrir une solution de conversion directe dans l’application. Ce partenariat permet aux marchands sur Shopify de toucher directement les utilisateurs de TikTok et permet également à ces derniers d’acheter chez un marchand de Shopify sans quitter l’application. De plus, il permet aux commerçants, via le tableau de bord sur Shopify, d’accéder aux fonctionnalités essentielles de TikTok For Business pour créer et gérer des campagnes publicitaires sur TikTok, et suivre leurs performances en temps réel.

En 2021, TikTok a lancé TikTok Shop pour renforcer sa présence dans le domaine du social shopping, permettant l’achat et la vente directe sur l’application. Il propose aux marques trois fonctionnalités natives pour diffuser et vendre directement leurs produits sur TikTok : les vidéos Shopping, le Catalogue Produit et le Live Shopping.

1. Les vidéos Shopping sont des contenus vidéos classiques dans l’onglet « For you » des utilisateurs. Elles intègrent un lien vers un produit avec une icône panier, ce qui dirige les utilisateurs vers le catalogue de produits et leur permet d’effectuer l’achat sans quitter l’application. 

2. Le Catalogue Produit est un espace regroupant tous les produits de la marque.

3. Le Live Shopping permet aux vendeurs de mettre en avant plusieurs fiches produits lors d’un stream en direct et aux spectateurs du live de les acheter directement. Les produits sont affichés et épinglés (icône panier) pendant la diffusion en direct, accompagnés de toutes leurs informations, images, tarifs et descriptions.

De plus, TikTok propose aussi l’onglet « Shop » présentant des produits sélectionnés dans différentes catégories. Il fournit également divers services aux vendeurs, tels que la logistique efficace avec des collectes à domicile illimitées, le paiement sécurisé et la gestion des entrepôts.

En conséquence, de l’attraction des utilisateurs à l’achat final, TikTok et sa boutique intégrée offrent une expérience d’achat en ligne plus fluide pour les consommateurs, ce qui augmente nettement les taux de conversion et stimule les ventes. À l’heure actuelle, TikTok Shop est disponible dans 6 pays d’Asie (l’Indonésie, la Thaïlande, le Vietnam, la Malaisie, Singapour, les Philippines), aux États-Unis et au Royaume-Uni, rencontrant un gros succès, surtout en Asie du Sud-Est.

Comment TikTok influence l’e-commerce ?

Les réseaux sociaux et leur innovation en termes d’intégration des fonctionnalités d’e-commerce influencent non seulement les habitudes d’achats des consommateurs, mais donnent également aux e-commerçants de nouvelles opportunités de vente et de communication. Cela a révolutionné le mode traditionnel d’e-commerce. 

En ce qui concerne les impacts sur les consommateurs, les réseaux sociaux jouent maintenant un rôle primordial dans la découverte, l’évaluation et l’achat de produits. En intégrant des fonctionnalités de commerce électronique dans l’application, TikTok facilite leur processus d’achat et offre une expérience plus fluide. Au lieu de rechercher des produits en ligne par eux-mêmes, les consommateurs peuvent découvrir des produits intéressants tout en regardant des vidéos. En effet, environ 60% des utilisateurs découvrent de nouveaux produits sur TikTok, cela se traduit notamment par le hashtag “TikTok made me buy it”.

De plus, les consommateurs privilégient les vidéos de feedback ou les commentaires générés par d’autres consommateurs pour l’évaluation des produits. Ce qui est encore plus pratique, c’est la possibilité d’effectuer l’achat en quelques clics sans quitter l’application.

En ce qui concerne les impacts sur les e-commerçants, TikTok et sa boutique intégrée ont changé leur façon de vendre et de faire connaître leurs produits. D’une part, TikTok s’avère être un canal de communication plus efficace que les sites d’e-commerce traditionnels. En tant que plateforme de contenu généré par les utilisateurs, il rend les publicités moins intrusives et crée un écosystème harmonieux où contenu créatif et marketing numérique coexistent. De plus, TikTok offre des outils puissants aux e-commerçants pour gérer et optimiser leurs campagnes publicitaires, comme TikTok Ads Manager. En outre, la communication sous forme de vidéo sur TikTok est plus attrayante et virale que celle sous forme d’image et de texte sur les sites d’e-commerce traditionnels. D’ailleurs, grâce à un nombre plus considérable d’utilisateurs actifs sur TikTok, les marchands peuvent gagner plus de trafic sur l’application. À part cela, le suivi des tendances (trends), l’utilisation des hashtags viraux ou la coopération avec les influenceurs permettent aussi aux marques d’augmenter la viralité des contenus marketing et stimuler les ventes. D’autre part, TikTok offre un nouveau canal de vente. Il donne l’opportunité aux vendeurs de transformer l’attention des millions d’utilisateurs actifs en achats. De plus, la possibilité d’acheter directement depuis l’application aide à augmenter les taux de conversion pour les marques. Tout cela a incité les e-commerçants, surtout les PME, à changer et à améliorer leur stratégie de communication et de vente, en recourant davantage aux médias sociaux.

Avantages commerciaux de TikTok VS enjeux éthiques et légaux

Pour conclure, les réseaux sociaux sont devenus incontournables pour les consommateurs et les marques. TikTok, en tant que l’un des réseaux sociaux les plus populaires, a un impact profond sur le commerce moderne. TikTok Shop marque une évolution dans l’achat en ligne. Il a non seulement changé les habitudes de consommation en créant une expérience fluide, où le divertissement, la découverte de produits et le shopping se rencontrent sans couture. Il a également modifié la manière dont les marques interagissent avec leur audience et élargi les voies de marketing et de vente. Cela pousse le développement et la transformation du mode d’e-commerce traditionnel. 

Cependant, il ne faut pas négliger les risques et les défis entraînés par ce type de shopping en ligne. D’après une étude d’Accenture, cela génère quelques appréhensions chez les consommateurs, comme le manque de protection de l’acheteur, les variations de qualité et de fiabilité, ainsi que des failles dans les politiques de remboursements. De plus, les recommandations personnalisées de contenu sur les médias sociaux basées sur des algorithmes nécessitent la collecte et l’analyse des données, ce qui entraînera une préoccupation sur la sécurité des données et la violation de la vie privée. En outre, les algorithmes portent aussi atteinte aux consommateurs, en termes de réduction de l’espace des choix possibles, de possibilité de manipulation des comportements et d’abus d’exploitation en extrayant la totalité des surplus des consommateurs. Par conséquent, il est nécessaire de considérer comment harmoniser l’amélioration de performance commerciale des marques avec le respect de l’éthique et de la réglementation.

Yimin DU

Références

1. BDM, 《Chiffres réseaux sociaux – 2024》, disponible en ligne sur <https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-reseaux-sociaux/>, consulté le 11 avril 2024
2. Statista, 《Réseaux sociaux les plus utilisés dans le monde 2024》, disponible en ligne sur <https://fr.statista.com/statistiques/570930/reseaux-sociaux-mondiaux-classes-par-nombre-d-utilisateurs/>, consulté le 11 avril 2024
3. BDM, 《Chiffres TikTok : les statistiques à connaître en 2024》, disponible en ligne sur <https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-tiktok/ >, consulté le 11 avril 2024
4. Faster Capital, 《Modèle commercial et sources de revenus de TikTok decouvrir les secrets de la generation de revenus de TikTok》, disponible en ligne sur <https://fastercapital.com/fr/contenu/Modele-commercial-et-sources-de-revenus-de-TikTok—decouvrir-les-secrets-de-la-generation-de-revenus-de-TikTok.html>, consulté le 12 avril 2024 
5. Fevad, 《Le focus du mois : TikTok, le nouvel outil marketing pour les e-commerçants》, disponible en ligne sur <https://www.fevad.com/le-focus-du-mois-tiktok-le-nouvel-outil-marketing-pour-les-e-commercants/>, consulté le 12 avril 2024  
6. Siècle digital, 《Le partenariat entre TikTok et Shopify se déploie en Europe》, disponible en ligne sur <https://siecledigital.fr/2021/02/23/partenariat-tiktok-shopify-europe/>, consulté le 12 avril 2024  
7. Techcrunch, 《TikTok partners with Shopify on social commerce》, disponible en ligne sur <https://techcrunch.com/2020/10/27/tiktok-invests-in-social-commerce-via-new-shopify-partnership/>, consulté le 12 avril 2024  
8. Neads.io, 《TikTok Shop : comment fonctionne le shopping sur TikTok》, disponible en ligne sur <https://neads.io/blog/tiktok-shop-comment-fonctionne-le-shopping-sur-tiktok/>, consulté le 13 avril 2024
9. TikTok Shop, 《What is TikTok Shop》, disponible en ligne sur <https://seller.tiktokglobalshop.com/account/register>, consulté le 13 avril 2024 
10. Arcane, 《TikTok Shopping : la plateforme s’oriente vers le social shopping》, disponible en ligne sur <https://www.arcane.run/blog/tiktok-shopping-la-plateforme-soriente-vers-le-social-shopping>, consulté le 14 avril 2024 
11. Ecommerce-nation, 《TikTok accélère le développement de son E-commerce》, disponible en ligne sur <https://www.ecommerce-nation.fr/tik-tok-shop-succes/>, consulté le 14 avril 2024
12. ESCEN, 《L’influence des réseaux sociaux sur le commerce moderne》, disponible en ligne sur <https://escen.fr/linfluence-des-reseaux-sociaux-sur-le-commerce-moderne/>, consulté le 14 avril 2024  
13. Fevad, 《Social selling : les réseaux sociaux au service des e-commerçants en 2022》, disponible en ligne sur <https://www.fevad.com/social-selling-les-reseaux-sociaux-au-service-des-e-commercants-en-2022/>, consulté le 17 avril 2024 
14. Cairn, 《Intelligence artificielle et manipulations des comportements de marché : l’évaluation ex ante dans l’arsenal du régulateur》, disponible en ligne sur < https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2020-2-page-203.htm>, consulté le 17 avril 2024

Être célèbre pour son succès : les influenceurs et la crypto-monnaie

La montée des influenceurs qui utilisent leurs comptes pour faire la promotion de méthodes de trading risquées.

Avec le développement des réseaux sociaux le nombre de personnalités “connues pour leur notoriété” a explosé, le résultat est donc qu’aujourd’hui le culte de la célébrité est à son paroxysme. On rencontre une forme de multiplication des micro-célébrités sous la forme d’influenceurs ayant ainsi leurs propres audiences et communautés, et comme toute position de notoriété en découle une forme de responsabilité vis-à-vis des communautés concernées. 

Le marketing relationnel n’est en rien un concept nouveau et existe depuis l’époque Tupperware où la marque misait sur des interventions de particuliers chez d’autres particuliers pour répandre le produit. L’idée du marketing par influenceurs est aujourd’hui similaire mais démultipliée.

C’est ici que les abus de pouvoir font surface et depuis quelques années sous une forme particulièrement complexe : les arnaques liées à la crypto-monnaie.

En effet, on a remarqué une insurgence d’influenceurs orientant leurs contenus sur la réussite financière. On entend de la part de ces influenceurs des phrases telles que « Bouge ton c*l, change ta vie », « Se faire de l’argent en dormant », « Reprends ta vie en main » illustrées par des vidéos d’opulence et succès.

Des scandales pas si récents

On pense alors aux scandales internationaux avec par exemple Jake Paul (23 millions d’abonnés) qui vient d’être poursuivi en justice pour son projet NFT CryptoZoo qui lui aurait fait gagner des millions de dollars au détriment de ses abonnés. 

En effet, avec ce projet lancé en septembre 2021, Logan Paul avait créé une application de jeu en ligne visant à rendre ludique et accessible le trading en NFT. L’idée était de permettre aux utilisateurs d’élever des œufs de créatures fictives ayant chacune une valeur en ETH (commençant à 0.285 Ethereum : 340 dollars). Ensuite les participants pourront s’échanger les œufs sur la plateforme afin de finir par les transformer en monnaie réelle. Cependant à cause de problèmes en interne dans la société et fraudes, les utilisateurs se sont retrouvés dénués revenus lors du « Hatch Day », le jour où les « œufs » crypto-monnaie devaient éclore et révéler leur valeur réelle.

Vidéo d’excuses de Jake Paul diffusée sur Youtube suite à la chute de CryptoZoo

Le youtubeur avait par ailleurs déjà participé à des scandales similaires l’année précédente avec son système Dink Doink qu’il mettait en avant sur ses réseaux sociaux. Ce projet, sous un marketing qui le personnifie par un personnage fictif de dessin animé, se voulait capable de rémunérer ses utilisateurs sans efforts à travers un système de « Tokens » NFT. Peu après le lancement de la plateforme, la valeur des Tokens en question a d’abord subi une brusque hausse de 40 000% qui s’est ensuite écrasée en seulement deux semaines. Se présentant à la base comme seulement un investisseur de la plateforme, Logan Paul est suspecté d’être un des fondateurs derrière le projet.

Publication de Logan Paul pour la promotion de Dink Doink

Le copy trading en France, une pratique en manque de régulation

Mais là où la question devient plus intéressante et pointue c’est lorsque l’on se penche sur les cas plus récents d’influenceurs français tels que le couple Blata qui ont fait la promotion de méthodes de “copy trading”. Ce 23 janvier 88 membres du Collectif d’Aide aux Victimes d’Influenceurs ont déposé une plainte contre X et pour abus de confiance contre Marc Blata sur ces sujets.

En effet, Marc Blata (qui est loin d’être un exemple isolé) a commencé à faire de la promotion sur ses réseaux sociaux (depuis Dubaï) “d’opportunités” en trading NFT. Ainsi, c’est à travers des slogans soulignant l’occasion de “se faire de l’argent en dormant” ou “100% de chances de gagner” et le fameux «Copiez, collez, encaissez.» que les abonnés de Marc Blata se sont retrouvés sur Telegram (une application de messagerie cryptée). Ils n’avaient ainsi qu’à copier des instructions envoyées par le couple Blata (Marc et Nadé) pour les placer sur des marchés financiers et plus particulièrement le FOREX: un marché particulièrement volatile sur lequel les devises sont échangées les unes contre les autres à des taux de change instables.

Ces méthodes maintenant très répandues de participer au trading crypto-monnaie sans en avoir les moindres connaissances préalables s’appellent le copy trading: une technique d’investissement dans laquelle un particulier reproduit automatiquement les transactions exécutées par un autre trader, souvent appelé « trader expert ». En substance, le copy trading permet aux investisseurs de copier les stratégies de trading d’autres personnes, dans le but de reproduire leur succès financier. Cela se fait souvent via une plateforme en ligne (dans le cas de Marc Blata Telegram) qui relie les traders, influenceurs et particuliers, facilitant la copie des transactions en temps réel.

Exemple d’instructions copy-trading destinées au “Blata Gang”

Cependant, là où le sujet devient épineux c’est que l’influenceur touche de larges commissions sur l’argent investi et plus l’investissement est élevé, plus la commission est élevée. Ainsi, il est avantageux pour ces influenceurs de ne pas mentionner les risques du copy trading. 

En effet, selon l’AMF (Autorité des Marchés financiers) 8 particuliers sur 10 perdent de l’argent lorsqu’ils s’engagent dans des pratiques de copy trading. Cela arrive car, le montant du gain est dépendant du risque choisi et de l’investissement initial du particulier. En effet, le risque dépend du coefficient multiplicateur choisi par l’utilisateur sur chaque transaction : son « lot ». Le problème est donc qu’après avoir quelques gains initiaux de quelques euros sur les premières transactions, les utilisateurs finissent toujours par augmenter leurs lots et investissements et ainsi subir de lourdes pertes. De leur côté, les traders professionnels ont une bien plus grande agilité et rapidité de réaction sur les marchés financiers que les particuliers qui copient des instructions plus datées qui ont bien plus le risque d’être obsolètes. 

Ainsi, c’est ici que se questionne la responsabilité de l’influenceur. En effet, le copy trading étant aujourd’hui toujours parfaitement légal, sa promotion en ligne est cependant dans une zone grise en discussion en ce moment même au parquet de Paris. 

Un système basé sur l’addiction

En élargissant le sujet la comparaison peut-être faite avec d’autres industries telles que les paris sportifs ou le jeu en ligne. Le point commun principal étant que le grand danger de ces plateformes, structures ou marchés est leur caractère addictif qui pousse à augmenter les risques.

En effet, ces méthodes de copy trading (ou les plateformes telles que celles de Logan Paul) permettent de rendre accessibles aux particuliers le trading sur des marchés qui demandent normalement des véritables structures technologiques et connaissances. Les particuliers sont voués à l’échec lorsqu’ils investissent en suivant aveuglément des instructions d’inconnus mieux équipés sur des marchés comme le FOREX.

« Il y a des idiots dans mes abonnés. »

De son côté Marc Blata est devenu connu à travers la télé-réalité et ce sont les réseaux sociaux qui ont permis de capitaliser et monétiser sa notoriété. Son statut d’influenceur lui a ainsi permis de transférer et individualiser une partie de l’audience qu’il avait auparavant en télé-réalité. C’est donc à travers cela que les personnalités vont monétiser leur notoriété.

Interview Cash Investigation par Elise Lucet de Marc Blata

Lorsque interviewé par Elise Lucet pour Cash Investigation (diffusé le 4 avril dernier sur sur France 2), l’influenceur se défend: “Mes abonnés, je ne les choisis pas. Mes abonnés, ils me critiquent, ils m’insultent, etc. Il y a des idiots dans mes abonnés.”. Selon lui, actuellement exilé à Dubaï, la responsabilité repose sur ses abonnés « idiots » qui ont mal suivi ses conseils.

Tom Averink

Sources:

Algorithme et santé mentale : comment les algorithmes font de la santé mentale une tendance ?

Mise sur le devant de la scène à la suite des multiples confinements liés à la crise sanitaire, la santé mentale s’est progressivement démocratisée ces dernières années jusqu’à être considérée aujourd’hui comme l’une des priorités du gouvernement Attal. Rapidement, les réseaux sociaux ont été envisagés comme un espace privilégié d’expression qui, du fait de la barrière du virtuel, facilite la prise de parole. Ils se sont emparés du sujet inondant les fils “Pour toi” de contenus autour de l’anxiété et de la dépression, contenus remportant un tel succès qu’ils en sont devenus viraux. La santé mentale devient ainsi un sujet de monétisation, orientant de ce fait, les consommateurs dans leurs choix et habitudes.

Actualité : la santé mentale, une priorité du gouvernement Attal

Selon une enquête menée par Santé Publique France datant du 23 octobre 2023, la santé mentale des Français continuent de se dégrader en 2023 et ce, particulièrement chez les 18-24 ans. Cette dégradation s’inscrit dans la continuité d’une accélération remarquée depuis 2021, année plongée dans une postpandémie lente et violente. Les recours aux soins d’urgence pour pensées et gestes suicidaires ne cessent d’augmenter et il est estimé à 20,8% le taux de personnes concernées par la dépression en 2021 contre 11,7% en 2017 ; nous passons ainsi du simple au double en à peine cinq ans. Ces chiffres préoccupants sont aujourd’hui la source d’une prise de conscience généralisée sur le sujet, prise de conscience allant jusqu’à Matignon faisant de la santé mentale une des priorités du gouvernement Attal.  

Crise sanitaire : la santé mentale devient un sujet de santé publique 

Les problèmes de santé mentale ont toujours existé mais ont surtout été toujours minimisés par rapport à ceux liés à la santé physique. Comme ces troubles peuvent être, de fait, physiquement invisibles, indétectables à l’œil nu, ils ont l’énorme inconvénient de ne marquer les esprits que de ceux qui en subissent les conséquences directes ou indirectes. De plus, comme la santé mentale est, de ce constat, minimisée voire méprisée par l’opinion publique, l’aborder restait encore tabou. Jusqu’à la crise sanitaire. 

Lorsque le confinement a fait son apparition en France, toutes les habitudes et routines de la population ont changé, soudainement, sans prévenir. Les Français ont dû s’adapter avec les ressources dont ils disposaient, dans l’urgence. La vie sociale a été mise sur pause et des millions de personnes ont très vite fait face à l’isolement. Si la crise sanitaire n’a fait que plonger les personnes souffrantes de maladie mentale dans une bulle encore moins supportable, elle a également été à l’origine d’une diffusion généralisée de l’anxiété, de la dépression et des pensées et gestes suicidaires au sein de l’ensemble de la population. Là où la santé mentale n’apparaissait que comme un cas isolé pour certains, elle est désormais au cœur des préoccupations ; elle concerne une amie, un collègue, une camarade, un professeur ou encore soi-même si bien que nous nous retrouvons tous à une personne d’un individu souffrant de santé mentale. Enfermée chez soi, la population ne pouvait communiquer qu’à travers des écrans, renforçant la dépendance au numérique et aux réseaux sociaux. Sans repère, la population s’accroche à ce seul lien de communication et le quotidien devient de plus en plus guidé par les algorithmes.  

Réseaux sociaux : un espace d’expression privilégié par les jeunes

Protégés par la barrière du virtuel, les créateurs de contenus voient en les réseaux sociaux un espace privilégié d’expression et les utilisateurs, un moyen de réagir à ces contenus de manière anonyme s’ils le souhaitent. Cette mise à distance avec la réalité facilite et encourage la prise de parole faisant des réseaux sociaux, ce qui est souvent nommé de “safe place”. Finalement, ils retrouvent leur sens premier, celui d’interagir avec des personnes avec lesquelles nous sommes liés par des affinités de toute nature qu’elles soient amicales, professionnelles ou de l’ordre d’un sujet commun, ici la santé mentale.  Du fait de cette barrière du virtuel, les utilisateurs ont moins de mal à s’exposer et se crée ainsi une sorte de société parallèle conduite et contrôlée par les réseaux sociaux.  

Une alternative aux freins à la consultation payante de professionnels 

Aujourd’hui, 59,4% de la population mondiale utilisent les médias sociaux au moins une fois par jour. Ce chiffre s’explique notamment par les effets de réseau directs qu’ils procurent mais également par la facilité de se créer un compte. Ces plateformes sont très accessibles, intuitives et addictives. Cette accessibilité va de pair avec la gratuité de son service. Ce dernier point est important pour notre sujet. En effet, l’accès à la guérison de problèmes de santé mentale est souvent pointé du doigt ; cet accès passe généralement par la consultation de psychologues, prestations payantes qui, de fait, filtrent ses patients. Les réseaux sociaux s’imposent dès lors comme une alternative à ces freins liés à la consultation de professionnels qui ne sont, d’ailleurs, pas seulement financiers mais également moraux. En effet, encore aujourd’hui, malgré la démocratisation opérée autour de la santé mentale, aller voir un psychologue n’est pas un acte anodin dans l’esprit des gens. Avec les réseaux sociaux, les personnes souffrantes n’ont plus à faire cet effort de s’exposer et de se confronter au regard pesant de la société et peuvent se cacher derrière une identité virtuelle qui capte les conseils donnés sur ces plateformes pour améliorer leur santé mentale. En effet, les contenus portant sur la santé mentale peuvent prendre plusieurs formes : ce sont à la fois des conseils présentés sous l’angle du développement personnel ou encore des formats vlogs. Ces contenus sont très appréciés car ils vont (en apparence du moins) à l’encontre de la superficialité et de la “génération filtre” guidant les réseaux sociaux depuis plusieurs années. Ils se veulent plus proches du réel et ont pour but de légitimer l’idée d’aller mal, de le comprendre, de l’admettre et de l’assumer. La formulation “c’est ok” revient souvent dans ce sens et sert de mantra auquel s’accrocher et autour duquel les personnes souffrantes peuvent s’unir. Elle permet d’enlever aux réseaux sociaux cet aspect “culpabilisant” qu’ils peuvent initiés en ne montrant que des contenus améliorés, retouchés et mis en scène.  

Algorithme : scroller sur la santé mentale

L’engagement accordé à ces contenus précise le goût de ceux qui les regardent et permet à l’algorithme de personnaliser ses suggestions. Par ce jeu des algorithmes, les consommateurs d’une plateforme comme TikTok, particulièrement connu pour son algorithme puissant, se retrouvent dans des boucles infinies de contenus autour de la santé mentale. En alimentant cette spirale infernale, l’algorithme ne permet pas aux utilisateurs de sortir de cette bulle très cloisonnée dans laquelle ils ont été progressivement enfermés et font face quotidiennement à un contenu exclusivement tourné autour de l’anxiété et de la dépression. 

 « Quand [j’]“aime” une vidéo triste qui [me] parle, tout à coup, toute ma page “Pour toi” est triste. Je me retrouve dans le “TikTok triste”. Ça affecte mon humeur. »

Francis, 18 ans, étudiant aux Philippines.

Témoignage recueilli par Amnesty International lors d’une enquête portant sur l’exposition des jeunes aux contenus autour de la santé mentale sur TikTok.

Avec ces vidéos, les individus souffrants de mauvaise santé mentale se soutiennent, certes, contrant en apparence contre l’isolement, mais alimentent finalement le réseau social de ce sujet, jusqu’à son omniprésence. Avec l’algorithme, ils sont exclusivement et en permanence plongés dans ce contexte et cette atmosphère moroses. 

La capitalisation sur la viralité d’une maladie

Présentée ainsi, la combinaison algorithme/santé mentale ne semble pas alarmante. Pour autant, elle comporte des limites. Si la multiplication des contenus portant sur la santé mentale permet une démocratisation du sujet certes appréciable, elle va de pair avec leur succès, et très vite, leur monétisation. Ce genre de contenus devient une véritable source de revenus pour celles et ceux qui en produisent, incitant certains utilisateurs à en devenir eux aussi les créateurs. Dès lors qu’un contenu devient viral, des utilisateurs capitalisent sur cette viralité pour en tirer profit. Ainsi, le jeu des réseaux sociaux s’instaure de nouveau, plaçant la mise en scène au cœur des contenus et faisant émerger de nouvelles tendances pour maintenir cette viralité. Les contenus sur la santé mentale sont alors banalisés mais surtout idéalisés et souffrir d’un trouble mental signifie « être à la mode ». L’année dernière, une nouvelle tendance maquillage fait son entrée sur Tiktok, celle des cernes. Le principe ? Accentuer voire se créer des cernes pour paraître plus fatiguée et ainsi, en moins bonne santé. 

Si cette tendance avait pour but de démocratiser les “imperfections” qui sont normalement camouflées par le maquillage, des millions de jeunes adolescentes se sont emparées de cette astuce pour prôner une mauvaise hygiène de vie.  L’apparition de cette tendance en dit long sur les proportions qu’a pris le traitement de la santé mentale sur les réseaux sociaux, principalement sur Tik Tok.  

Aujourd’hui, la démocratisation d’un sujet sur les réseaux sociaux va de pair avec les excès de son exploitation. Malheureusement, ces plateformes permettent aujourd’hui de capitaliser sur la viralité de ses excès, les encourageant ainsi grandement. Si ce constat est plutôt commun à l’exposition d’une problématique sur les réseaux sociaux, il est d’autant plus alarmant lorsqu’il s’empare de la santé. Se pose alors la question de la modération sur ces réseaux, notamment sur une plateforme comme Tiktok, qui s’attaque aujourd’hui davantage à des thématiques sensibles pouvant heurter le public (terrorisme, sexualité) qu’à l’engrenage de la viralité et de l’exposition qu’elle implique. Si ces thématiques sont considérées comme « dangereuses » pour son public, quand est-il du principe de viralité ?

Sources :

  • « TikTok : un modèle dangereux pour la santé mentale des jeunes et des enfants », enquête publiée le 10 novembre 2023, Amnesty International
  • « Santé mentale : sur TikTok, une spirale de « contenus qui encouragent les pensées dépressives », interview publiée le 21 novembre 2023, par Jérémy Torres pour Libération
  • « TikTok plombe-t-il la santé mentale des ados ? », publié le 17 février 2023, par Audrey Parmentier pour Konbini

Louise Rialland

Newsjacking ou l’art de surfer sur l’actualité pour gagner en visibilité : méthode efficace de communication ? 

Bernie Sanders, la famille royale, Macron, tous ont été la cible du newsjacking – mais qu’est ce donc ?

Le newsjacking est une méthode marketing qui consiste à diffuser une image, une vidéo ou encore un message en rapport avec un sujet d’actualité. Le but est de provoquer une réaction, un choc chez le spectateur. On parle souvent de publicité “opportuniste”.

Pour cela, la campagne publicitaire doit être déclenchée le plus rapidement possible afin de ne pas perdre cet effet d’émulsion. Sont donc privilégiés les médias permettant une mise en place rapide de cette dernière (presse quotidienne, Internet, réseaux sociaux  …).En effet, cette méthode de marketing perd tout son sens si elle est reçue “trop tard”  par rapport à l’actualité exploitée. Le message perd alors toute sa valeur. La réactivité des équipes marketing de la marque est donc un élément indispensable. 

“Le newsjacking consiste à surfer sur une vague de buzz avant qu’elle ne soit formée totalement.”Frédéric Canevet, spécialiste en marketing B2B. 

La plupart du temps, c’est l’humour et la connivence qui sont mis en avant. Les jeux de mots et images détournées sont utilisés à foison. Au-delà de développer ce lien tacite avec l’audience en profitant de la viralité d’un buzz ou d’un événement, l’idée est également de profiter d’éventuelles retombées de presse ou sociales. 

Le newsjacking n’est pas forcément le fruit d’une immense réflexion, de grandes campagnes publicitaires comprenant des films publicitaires ou encore des emballages spéciaux. Cela peut simplement être un post ou un tweet, simple mais rebondissant instantanément sur l’actualité. Prenons l’exemple de ce tweet marketing de Netflix, en septembre 2020, à la suite d’une explosion dans Paris :

Ce dernier avait atteint la barre des 100 000 likes quelques minutes seulement après sa parution. 

Ou encore ce post de Monoprix en 2014 lors de la coupe du monde :

En quelques secondes seulement, le nombre de partages avait été fulgurant. Et on le comprend, la mise en scène est bien trouvée !

Dans le domaine du marketing traditionnel et digital, le real-time marketing a donc plusieurs objectifs : 

  • Améliorer la notoriété, l’image, l’engagement de la marque auprès du grand public
  • Une croissance rapide du chiffre d’affaires de la marque
  • La promotion d’un nouveau produit ou service grâce à cette méthode innovante
  • Se démarquer par rapport aux concurrents 
  • Créer une relation avec son audience cible et surtout tâcher d’accroître cette dernière

Le newsjacking présente donc divers avantages. Au-delà de rajeunir son image et d’améliorer sa réputation, cette méthode de marketing est un réel moyen pour générer de nouveaux prospects et de nouvelles ventes. En effet, les posts sur les réseaux sociaux relatifs au newsjacking sont les plus relayés par leur caractère ludique et inédit. Grâce au newsjacking, l’entreprise augmente donc sa chance de toucher une audience bien plus large que celle ordinaire.

Renforcer la confiance créée avec l’audience en jouant de cette complicité est également un atout far de l’approche marketing. Le newsjacking relève donc du marketing émotionnel et s’inscrit parfaitement dans cette vision d’amélioration d’image et de réputation. Cette stratégie digitale est également très utilisée afin de relancer la visibilité d’une marque et réveiller une communauté endormie. De nos jours, il est crucial pour une marque d’être présente au sein de la sphère médiatique. Utiliser le newsjacking est donc une manière idéale de se démarquer au sein de cette dernière, sortir son nom du lot. Toutes les entreprises n’osent pas encore se lancer et on les comprend. Faire du newsjacking c’est tout un art. 

Comment surfer (sans couler) sur l’effervescence médiatique ? 

La créativité est le maître mot. Cependant, il est essentiel de veiller à la bonne diffusion du message choisi. Si ce dernier est maladroit ou manque de pertinence,  le newsjacking peut rapidement virer à l’échec total et l’effet inverse de celui escompté : bad buzz, perte de réputation … On pense notamment à la campagne diffusée par les 3Suisses au lendemain de l’attentat à l’encontre du journal Charlie Hebdo début d’année 2015. Une action entraînant du remue-ménage dans le mauvais sens du terme et un bad buzz considérable pour la marque. 

Pour se mettre à l’abri d’un tel fiasco, voici quelques conseils : 

  • Forcer l’activité : Surtout pas ! Le principe même du newsjacking réside dans le fait de  surprendre les internautes. Créer le buzz pour le buzz ou surfer sur la même actualité que tous ne sera en aucun cas bénéfique. 
  • Ne pas trop planifier : Au risque de perdre en spontanéité, tout réside dans la gestion de l’urgence et de la surprise une nouvelle fois !
  • Éviter les sujets sensibles, susceptibles de créer une politique négative ( conflit armés, attaques terroristes …). Ne pas oublier de prendre des pincettes avec l’ironie, tout le monde n’est pas réceptif à cette manière de communiquer.
  • Résister à la récupération : Aucun effet de surprise dans ce cas, voire pire un vieillissement de l’image de la marque, jugée trop arriérée pour être à la page de l’actualité.  

Pour un effet garanti, il est essentiel d’établir un plan rapide – le newsjacking rime avec urgence – mais surtout efficience. Afin de déployer cette stratégie de manière réussie, trois étapes de bases semblent nécessaires : 

  1. Le benchmarking ou la veille marketing : Comme explicité plus haut, il ne faut surtout pas arriver trop tard ou encore pire passer à côté des événements d’actualités. Collecter et organiser les informations auprès d’autres médias spécialisés est donc nécessaire. Effectuer une veille SEO en s’aidant d’outils tels que Google Trends ou Oncrawl est un plus. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le newsjacking permet de toucher aussi bien des audiences B2C que B2B.
  1. être réactif mais attentif : Agir vite, certes, mais en étant  innovant et surtout sûr de ses sources. Le ton, le texte, tout doit être méticuleusement réfléchi.  L’idée est de proposer le contenu le plus pertinent, impactant et surtout plaisant afin de ravir le plus grand nombre.  Connaître sa cible principale est obligatoire afin de savoir la manière la plus judicieuse pour s’y adresser. D’autres part, inclure un aspect émotionnel est vivement recommandé : message de soutien à une cause, storytelling… Enfin quelque soit la nature du contenu, l’utilisation d’hashtags renforce la popularité et donc la vitesse de partage du post. Pour les JO 2024, utiliser #Paris2024 ou encore #OlympicSpirit peut propulser une campagne à l’avant de la scène. 
  1. Miser sur une stratégie multicanale : La campagne doit être vue, entendue, visionnée mais surtout retenue. Les blogs, campagnes d’emailing ou newsletters ne sont pas à négliger. Le format vidéo est également très apprécié. Les canaux de communication les plus exploités restent ceux visuels, permettant un partage immédiat sur les réseaux sociaux. Ces derniers par leur fonctionnalités de likes, commentaires et partages sont le support idéal, favorisant viralité et engagement.

Illustrons quelque peu ces propos.

Les experts en la matière : 

Monoprix : Comment parler newsjacking sans parler de Monoprix. La marque de supermarchés est la référence française dans ce secteur. Ses packagings jouent des temps forts de l’année pour mettre en avant les produits, le recours aux jeux de mots est pratiqué à profusion. Cette manière décalée de promouvoir les produits confère à la marque une réelle valeur ajoutée. 

Campagne célébrant les 45 ans du lancement de la mission spatiale Apollon 11: 

Campagne diffusée lors de la 68e édition du festival de Cannes en 2015 :

Ikea : La branche canadienne a souvent réussi à conquérir le cœur du grand public. Cette dernière mise également sur le newsjacking pour augmenter son capital sympathie. Sa communication digitale mise sur un visuel minimaliste mais efficace qui engendre souvent des milliers d’intéractions à travers le monde et des centaines de partages et reprises média.

Campagne diffusée à l’annonce du mariage du Prince Harry avec  Meghan Markle en 2018 : 

Campagne réagissant à l’image virale du sénateur américain Bernie Sanders :

Burger King : Pour conclure cette série d’exemples, il semblait indispensable d’évoquer le géant du Whopper. Connu pour son retour et ses campagnes de communications originales, c’est sans surprise que BK s’empare, à son tour, du newsjacking. 

Campagne réagissant à l’annonce de l’éclipse solaire au Canada le 8 avril dernier : 

Campagne diffusée lors du confinement de 2020 :

Le newsjacking, pratique déjà bien comprise par un certain nombres de marques semble donc être la technique idéale pour séduire son public sur un air enfantin ! Quoi de mieux que l’humour pour être convaincant et convaincu. Attention tout de même à ne pas se louper au risque d’être mis de côté. 

Originalité et créativité, nous avons hâte de voir ce que nous réserve les marques pour l’Euro et les JO de Paris 2024 !

Sources : 

Marketing, E. (2022, September 15). Newsjacking : qu’est-ce que c’est ? [Définition, marketing et exemples]. E-marketing.fr. 

Dorle, R. (2023, May 20). Stratégies de newsjacking : conquérir l’actualité pour un marketing efficace. Journal du Net

Sitew. (s. d.). Comment développer son entreprise en ligne avec le newsjacking ? Sitew.

Gripich, M. (2019). Newsjacking as a tool of influence on the image of a company in social networks. Zaporizhzhia National University. 

Lily Madura

Quand TikTok redéfinit l’art des concerts

Ces derniers mois, qui n’a pas regardé une vidéo du concert d’Harry Styles, de Beyoncé ou encore de The Weeknd lors de leurs concerts en France sur son téléphone ?

Peut-on se demander si TikTok ne bouleverserait-il pas les codes des concerts ?

Les vidéos de concerts, filmés par les fans, se multiplient sur les réseaux sociaux et deviennent ainsi un atout pour les artistes pendant leurs concerts

C’est à travers cette effervescence des concerts que TikTok a réussi à se faire une place en tant que nouveau moteur de communication et de partage. En n’étant pas réellement dans la salle de concert, un spectateur peut voir des aperçus du spectacle grâce aux nombreuses vidéos des concerts partagées sur les réseaux sociaux. Auparavant, filmer ou diffuser un concert était une pratique illégale ; aujourd’hui, cela devient une norme.

Les vidéos de concerts, filmées par les fans, et partagées sur les réseaux sociaux permettent à ceux non présents d’avoir un aperçu à 360° du concert, de voir la scénographie, mais également d’écouter les chansons phares de l’artiste, et donc de vivre le concert à travers leur écran.

TikTok et Instagram deviennent ainsi un relais live du concert, un moyen pour les fans de faire vivre les shows à travers les écrans, mais également pour les artistes de promouvoir leur spectacle sans réellement dépenser en termes de marketing. Par exemple, le hashtag #loveontour pour le concert d’Harry Styles, cumule près de 7,2 milliards de vues. 

Aujourd’hui, les artistes se sont emparés de cet outil afin de créer des shows qui reprennent des tendances du réseau social, comme Stromae qui reprend sur scène, la danse de sa musique “Alors on danse”. 

D’autres artistes comme Rosalia crée leur show à la façon de TikTok. Elle se filme en vertical avec son téléphone à différents moments de son spectacle, elle réalise les tendances TikTok dans ses concerts. La chanteuse espagnole va même plus loin, puisque pour annoncer son nouvel album, elle fait un concert en direct sur TikTok. Cette performance lui vaudra en 2022 d’avoir remporté conjointement avec TikTok une nomination aux Latin Grammy pour son film musical “Motomami” (Rosalía TikTok Live Performance), un film uniquement tourné sur des iPhones . 

Les concerts se multiplient : la tendance des concerts est au spectaculaire

Actuellement, les concerts se multiplient, que ce soit dans les petites salles ou dans les grandes. En effet, une étude du Centre National de la Musique sur la diffusion des spectacles de musiques actuelles et de variétés en 2022 en France montre qu’avec plus de 62 000 représentations payantes et 32 millions d’entrées, l’année 2022 franchit pour la première fois le milliard d’euros de recettes (1 146 M€ de billetterie). Ce sont les grandes jauges (comme les zéniths, les arenas, etc.) qui génèrent près de la moitié des recettes de billetterie (42% pour 1% de représentations).

Effectivement, on peut constater que les méga-concerts se multiplient. Entre 2019 et 2022, le nombre de représentations dans les salles de plus de 6 000 places a augmenté de 14%. Avec la crise du disque, et la faible redevance du streaming musical qui ne compense pas les ventes “physiques”, il est important pour les artistes de jouer sur scène. En parallèle, après avoir passé deux années à écouter de la musique grâce au streaming pendant le covid, les spectateurs ont désormais envie de voir les musiciens et de partager un moment unique.

De plus, le public demande de grands shows comme celui de Taylor Swift, produit par AEG, capable de déplacer près de 90 camions et pesant environ 9 milliards d’euros. Du côté des artistes, l’important est de se démarquer car la concurrence est forte, les représentations deviennent donc de plus en plus spectaculaires. C’est dans ce contexte que des salles de spectacle importantes telles que le Stade de France reçoivent de plus en plus de concerts. En effet, en 2022, un tiers du chiffre d’affaires annuel de cette salle provient des concerts (soit 78 millions d’euros).

TikTok, au coeur de l’industrie musicale, crée son propre concert : TikTok In the mix

Cependant, l’omniprésence des vidéos de concert n’entache pas l’importance d’y participer. En effet, la performance du direct conserve son pouvoir, comme on peut le voir avec la démultiplication des concerts et des festivals. De plus, dans l’industrie musicale TikTok est devenu un incontournable pour les maisons de disques qui s’efforcent de découvrir le prochain grand succès. Par exemple, Drake avec son titre phare Toosie Slide”, englobe tous les codes de TikTok afin de faire de cette chanson un hit : une rythmique saccadée connue des titres TikTok, une chorégraphie déjà prête avant la sortie du son et les 15 secondes de la chanson permettant la mise en place de challenges. 

Par ailleurs, la plateforme a permis de lancer des nouvelles carrières, de rajeunir les plus anciennes comme avec la chanson “Dreams” de Fleetwood Mac de 1977 qui connaît un regain en 2020. Également, TikTok est parvenu à faire modifier les noms des chansons de certains artistes pour mieux s’aligner dans les tendances de l’application. Ainsi, étant donné l’importance de l’industrie musicale au sein de l’application, il était normal que TikTok produise son premier concert le 10 décembre 2023. 

De plus, depuis quelques années, TikTok joue un rôle particulier dans l’émergence d’artistes ou de nouveautés musicales. La création du festival de musique « In The Mix » est donc organisée dans cette optique : donner vie à la musique, aux tendances, et aux expériences que la communauté du réseau social peut créer chaque jour.

Retransmis en direct sur TikTok, le concert s’est tenu à Sloan Park à Mesa, aux Etats-Unis. La programmation suscite l’enthousiasme des utilisateurs, avec des artistes tels que Niall Horan, Charlie Puth, Cardi B ou encore Anitta. En parallèle des têtes d’affiche, TikTok In The Mix a mis en avant de nouveaux artistes tels que Isabel LaRosa, Kaliii, LU KALA et Sam Barber. Ces artistes font partie de « TikTok Elevate », un programme d’artistes émergents.

L’événement a rapidement affiché complet avec près de 17 000 personnes. TikTok a proposé un tarif oscillant entre 25 et 60$ (soit entre 20 et 55€), afin d’avoir un prix accessible pour sa cible de prédilection, les jeunes. Pour ceux qui se rendent sur place, la plateforme propose aussi différentes séries d’activités inspirées par les tendances les plus en vogue.

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Pour un événement de cette envergure, TikTok a réussi à atteindre des records d’audience sur la plateforme avec plus de 33,5 millions de téléspectateurs au total, profitant de la diffusion originale et des diffusions ultérieures de l’émission, adaptée au format vertical de l’application.

Paul Hourican, responsable mondial des partenariats et de la programmation musicale chez TikTok explique qu’ils sont ravis de «donner vie au fil « Pour toi », bien au-delà du concert Live de Mesa, en proposant cette expérience unique à des millions de fans à travers le monde ». En effet, en plus de la retransmission en direct sur TikTok, Disney+ s’est emparé du phénomène en permettant également de revivre le concert sur la plateforme. 

«Aucune autre plateforme ne réunit aussi bien musique, créativité et communauté que TikTok» explique Paul. En effet, leur vision est de « créer un spectacle réinventé pour l’ère TikTok et la communauté de passionnés de musique du monde entier ». Ainsi, il ne s’agit pas uniquement d’un festival mais d’un évènement culturel révolutionnaire. Grâce à ce concert, le réseau social a donc rassemblé sa communauté ce qui lui a permis de briser cette barrière de l’écran et de pouvoir partager et réunir. Ainsi, cette expérience a mis en exergue comment les plateformes numériques telles que TikTok façonnent non seulement la manière dont nous consommons la musique, mais aussi la manière dont la musique est jouée et vécue en direct.

On peut dire que TikTok influe sur la manière dont les concerts sont appréhendés. En effet, pour les spectacles de grande envergure, le concert ne se perçoit plus uniquement comme un événement artistique que l’on vit en direct, mais plutôt comme un produit à valoriser en ligne, une opportunité de générer du contenu viral pour TikTok.

Ainsi, en plus de modifier la façon dont on consomme les concerts, un show doit être filmable de la réflexion de la tenue, à la préparation, et au jour J. TikTok modifie également  la manière d’assister au concert. En effet, comme l’explique Raphaël Enthoven, aujourd’hui nous sommes dans une ère où il est plus important de filmer sa vie et de la partager plutôt que de la vivre : on va choisir «de sacrifier» le moment pour dire qu’on était là. TikTok sera un des vecteurs de cette philosophie, puisque le concert sera filmé pour se rappeler d’avoir vécu cette expérience, mais également de pouvoir dire «j’étais là ». 

Pour renverser ces codes de la société, l’artiste Dinos interdit de filmer et de prendre des photos lors de sa prochaine tournée Process Tour de 2024. Cette annonce inédite va à l’encontre du phénomène de société de capturer chaque instant avec son téléphone et rejoint la théorie de Raphaël Enthoven : vivre le moment.

Alexandra BECQUET

SOURCE :

Centre national de la musique. (2024, 29 janvier). La diffusion des spectacles de musiques actuelles et de variétés en France

Jack.(2023, 13 novembre). Comment TikTok a changé la façon de vivre les concerts.

Courrier International. (2023, 28 septembre). Comment TikTok change notre rapport aux concerts.

Fromentin, M. (2023, 26 octobre)- Begeek.fr. Le premier événement musical mondial en live de TikTok verra notamment participer Cardi B et Charlie Puth.

Richard, O. (2023, 15 décembre) – Libération. Mylène Farmer, Taylor Swift. . . le concert au stade industriel.

Romano, A. (2023, 3 septembre) – Vox. How concerts have evolved in the age of TikTok and smart phones.

Rosso, S. (2023, 26 octobre) – Siècle Digital. TikTok dévoile les contours de son premier festival de musique.

TikTok. (2023, 25 octobre) – Newsroom | TikTok. TikTok in the Mix : un grand concert live et en direct sur TikTok.

TikTok : future plateforme de référence pour les films et les séries ?

Envie de regarder le nouveau film « Barbie » gratuitement ? C’est possible sur TikTok, à condition d’accepter son découpage en 49 parties.

Sur TikTok, la diversité du contenu est frappante. On y trouve aussi bien des vidéos de danse virales, que des sketches comiques hilarants ou encore des conseils sur les relations amoureuses. En résumé, peu importe ce que vous recherchez ou pas, TikTok saura quelle vidéo vous montrer. 
Depuis quelques mois, un nouveau type de contenu prend de l’ampleur ou du moins, commence à faire parler.

Après avoir bouleversé l’industrie de la musique, TikTok s’attaque à celle de l’audiovisuel

Comme beaucoup de plateforme l’ont été avant elle, TikTok se transforme progressivement en « pirate de l’audiovisuel ». En effet, il est maintenant possible de regarder des films, des séries et des émissions télévisées, découpés en plusieurs parties et diffusés par des comptes TikTok dédiés à ce type de contenus. Ces contenus sont majoritairement mis en ligne de manière illégale. Les enregistrement clandestins, qu’il soient de films projetés au cinéma ou de contenus disponibles sur les plateformes de streaming, tous y passent. En outre, des séries populaires telles que « South Park » ou « Malcolm » sont présentes sur TikTok depuis un certain temps.


tractlljc4t sur TikTok

Ce mode de consommation peut sembler quelque peu déroutant. Cependant, il gagne en popularité au sein de la plateforme, et cela s’explique par plusieurs facteurs. 

Tout d’abord, ces séquences ont une capacité remarquable à capter et retenir l’attention des utilisateurs. En découpant un épisode de série en plusieurs parties, un compte peut publier une vidéo consistant uniquement en une scène riche en suspense, incitant ainsi les spectateurs à vouloir connaître la suite.
De plus, TikTok développe des fonctionnalités qui facilitent la consommation de ce type de contenus comme le « Clear Mode » ou le mode « Plein écran ».

Le rôle fondamental de l’algorithme de recommandation

Image par Katamaheen de Pixabay

Dans le fil d’actualité « Pour toi », les contenus découpés en plusieurs parties sont proposés aux utilisateurs de manière aléatoire,  ce qui contribue à la popularité de ce format. Dans un univers d’hyperchoix où une multitude d’options est constamment disponible, la fatigue décisionnelle se fait ressentir. Exacerbée par les choix infinis sur des plateformes comme Netflix, TikTok évite à l’utilisateur de se trouver dans cette situation d’anxiété en le conduisant directement au contenu. « Je suis déjà là, je suis déjà en train de le regarder, je suis déjà en train de faire défiler sur TikTok. » Voici ce que déclare un utilisateur à propos de TikTok (Wall Street Journal, 2023). Pas besoin d’aller sur une plateforme de streaming ou sur la télévision : TikTok dit à l’utilisateur quoi regarder. En résumé, avec l’algorithme de recommandation, les contenus sont presque servis sur un plateau d’argent.

L’algorithme de recommandation de TikTok contribue à mettre en lumière ces extraits dans les « Pour toi », permettant aux comptes TikTok de toucher un public plus large et d’augmenter leur visibilité. L’algorithme favorisant les vidéos regardées jusqu’à la fin, la plupart des contenus sont découpés par tranches de 3 à 5 minutes, bien que les vidéos peuvent aller jusqu’à 10 minutes. Ces vidéos courtes jouent aussi avec la frustration ressentie par l’utilisateur qui sera pousser à aller regarder d’autres vidéos ou à demander en commentaires quand est-ce que la partie suivante sera disponible. Il est important de noter que les commentaires jouent aussi un rôle important dans la recommandation par l’algorithme. 

Afin de ne pas se faire repérer par les algorithmes de modération, les créateurs ne publient pas les différentes parties d’un même contenu à la suite. Les parties sont souvent « uploadées » sur la plateforme à des heures ou jours d’intervalle, laissant le temps à la publication d’autres contenus. Autre particularité de ces vidéos, il est très rare de voir inscrit dans les descriptions le nom original du film, de la série ou de l’émission en question. Il s’agit d’une autre astuce utilisées pour éviter que la vidéos soient retirées de manière automatique de la plateforme.

Bien que ce type de visionnage puisse paraître atypique, il s’inscrit donc dans une stratégie de captation et de rétention de l’attention tout en exploitant les mécanismes propres à l’algorithme de TikTok pour maximiser la portée et l’impact du contenu publié.

Le cinéma se fait pirater, il prend les devants !

En 2020, Quibi, le service de streaming de vidéos courtes venu tout droit d’Hollywood n’a pas tenu longtemps sur le marché. Bien que ce fut un échec, le potentiel de ce type de contenu paraît aujourd’hui plus important que ce qu’il était il y a quelques années. Comme annoncé lors du festival Médias en Seine à Paris en 2023, l’une des prochaines tendances média qui se dessine est la nécessité de maitriser le format de vidéos verticales (Reuters Institute, 2023).

Neil Shyminsly, expert en Pop culture et professeur d’anglais au Cambrian College, affirme qu’ « il y a une crainte croissante que la programmation télévisuelle devienne de plus en plus courte à mesure que le succès est déterminé par l’algorithme de TikTok. » (CBCNews, 2023). 

Photo de Hannah Wernecke sur Unsplash

Effectivement, certains grands studios se sont déjà lancés dans la publication de contenus en plusieurs parties. Le 3 octobre 2023, à l’occasion du Mean Girls Day, Paramount à rendu disponible le temps d’une journée le film Mean Girls en intégralité, découpé en 23 parties sur son compte TikTok. « Les paramètres semblent évoluer », a déclaré Alex Alben, professeur de droit de l’internet et de la confidentialité à la Faculté de droit de l’UCLA. « Quelqu’un au sein du studio est en train de peser le fait qu’ils bénéficieraient davantage de la diffusion d’un extrait de leur film par des millions de personnes plutôt que de chercher à l’interdire. » (NewYorkTimes, 2023). Un représentant de Paramount a expliqué que la publication de « Mean Girls » sur TikTok visait à accroître la visibilité du film auprès d’un nouveau public potentiel (NewYorkTimes, 2023). Un coup marketing de la part du studio ? Très probable, sachant que le jour même, la sortie du nouveau « Mean Girls » au cinéma début janvier 2024 a été annoncée.

D’autres studios et plateformes de streaming ont très vite suivi. En août 2023, Peacock a publié un épisode de 2023 de la version américaine de « Love Island » ainsi qu’un épisode de « Killing It » divisé en 5 parties. Voici ce qu’Anupam Chander, professeur de droit et technologie à Georgetown, dit à ce propos : « Il peut être utile pour les détenteurs des droits d’auteur de voir leur travail distribué à un public plus large afin de susciter davantage d’intérêt pour ce travail et générer des ventes ultérieures. ». En réalité, certains détenteurs des droits de ces contenus, qu’ils soient publiés légalement ou non, pourraient profiter de cette tendance. Dans les faits, cela peut permettre de remettre au gout du jours d’anciens contenus et de booster la popularité de ceux qui en ont besoin. Il faut reconnaître que la capacité de TikTok à engager son public est forte et va au-delà des jeunes générations (InsiderIntelligence, 2023).

De nouvelles productions uniquement dédiées à TikTok

TikTok a vu émerger de nouvelles productions uniquement dédiées à sa plateforme. Dès 2020, plusieurs séries australiennes ont vu le jour telles que Love Songs, publiée par épisodes de 10 minutes ou Scattered, publiée en 38 épisodes de 1 minute. Récemment, Adam McKay, avec sa société de production Yellow Dot Studios, est devenu le premier producteur hollywoodien à investir dans une série diffusée uniquement sur TikTok. Intitulée « Cobell Energy », elle est diffusée depuis le 14 novembre 2023 sur la plateforme à raison de 2 épisodes par semaine.

cobellenergy sur Tiktok

Et le respect des droits d’auteur dans tout ça ?

Il est évident que la publication illégale de contenus sous droits pose question. Réguler ce type de contenus sur TikTok devient un challenge très complexe en comptant les 34 millions de vidéos postées par jour sur la plateforme. Comment gérer le sentiment de non-respect du travail accompli pour la réalisation d’un film, d’une série etc. ? Publier un contenu en plusieurs parties porte-t-il atteinte à la nature même de celui-ci ? Comment gérer le partage de revenu ? Beaucoup de questions n’ayant pas de réponses encore assez concrètes. 

Pour remédier à ces publications, trop nombreuses, de contenus allant à l’encontre des conditions d’utilisation de la plateforme, TikTok a mis en place un algorithme de détection des contenus sous droits d’auteur. En plus de cela, les détenteurs de ces droits ainsi que les utilisateurs peuvent signaler à la plateforme un contenu qu’ils considèrent comme « piraté ».
Avec l’arrivée du Digital Services Act en Europe, de nombreuses plateformes comme TikTok se sont vues imposées la mise en place de mécanismes de signalement mais aussi de contrôle plus soutenus de ces contenus illicites. En septembre 2023, TikTok a annoncé avoir supprimé plus de 4 millions de contenus jugés comme illicites par l’Union Européenne.

Finalement, il ne reste plus qu’à voir si ce type de consommation et de diffusion dépassera le stade de tendance et réussira à s’installer dans le temps.

Margot Brenier


Bibliographie

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Croquet, P., & Trouvé, P. (2023, 9 octobre). On TikTok, the success of « sliced up » films and TV series. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/en/pixels/article/2023/10/07/on-tiktok-the-success-of-sliced-up-films-and-tv-series_6155629_13.html

Holtermann, C., & Kircher, M. M. (2023, 4 octobre). ‘Mean Girls’ has a One-Day run on TikTok. The New York Times. https://www.nytimes.com/2023/10/04/style/tiktok-movies-mean-girls.html#:~:text=A%20Paramount%20representative%20wrote%20in,companies%20have%20experimented%20with%20TikTok.

Hoover, A. (2023, 14 novembre). TikTok is the new TV. WIRED. https://www.wired.com/story/tiktok-new-show-tv-takeover/

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Rahmil, D. (2023, 28 septembre). Regarder Barbie par tranches de 3 minutes, c’est la vie de cinéphile que j’ai choisie. L’ADN. https://www.ladn.eu/media-mutants/tendance-tiktok-regarder-films-tranches/

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Richards, J. (2021, 14 juin). TikTok TV : Aussie Gen Z drama ‘Scattered’ and the promise of a new platform. NME. https://www.nme.com/en_au/features/tv-interviews/tiktok-tv-aussie-gen-z-drama-scattered-2968680

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Comment TikTok influence l’industrie cinématographique ? 

Tiktok prend de plus en plus de place dans l’industrie cinématographique, que ce soit à travers les publicités qui font la promotion de films sur la plateforme, des critiques de films, des courts métrages réalisés par les créateurs de contenus ou encore la rediffusion d’extraits de films.  Le 3 octobre 2023, Paramount est allé encore plus loin et a diffusé sur la plateforme la totalité du film Mean Girls (2004). Le film avait alors été découpé en 23 parties. La date du 3 octobre fait directement référence au film puisqu’il s’agit du « Mean Girls Day » qui est devenu un véritable symbole de la culture populaire (Croquet & Trouvé , 2023). Nous pouvons également supposer que ce coup marketing a été effectué afin de relancer l’engouement pour Mean Girls alors qu’un remake est sorti le 10 janvier 2024. Paramount a alors su s’adapter à une tendance Tiktok qui propose un découpage de différents contenus (afin de s’accorder au format) allant d’un film, une série ou encore un reportage.

La promotion, le point décisif

Lors la sortie d’un film, le marketing est un facteur essentiel et déterminant pour son parcours. D’après Laurent Creton, l’objectif du marketing dans le cinéma « est de satisfaire dans les meilleures conditions les attentes et les besoins de la clientèle afin d’optimiser l’adéquation du produit avec son marché » (Creton, 2020). Si nous reprenons notre exemple Paramount et Mean Girls, c’est exactement ce que le studio a fait. Il a su adapter son format à la cible choisie (une cible jeune 15-24 ans) et au format proposé par Tiktok.

La promotion se crée autour du film et une « image de marque » se crée. L’exemple parfait est le film Barbie, sortie en 2023. Sans un budget colossal de 150 millions de dollars, l’influence du film n’aurait certainement pas été la même (Jouin, 2023). L’été 2023 fut un été en rose. Tout était aux couleurs de la célèbre Barbie, de nombreuses marques se sont également associées pour créer des collections spéciales telles que Crocs, O.P.I, AirBnb, Zara, Maserati ou encore Buger King. Grâce à cette diversité de marques et de représentations, l’influence de Barbie n’a fait que croître. Evidemment, les tendances Tiktok ont également suivi à travers plusieurs hashtags. Nous pouvons citer le #Barbiefoot où les utilisateurs reproduisent une scène du film ou Margot Robbie enlève ses talons ; #Barbieshake qui consiste à boire un milkshake rose avant de se transformer en Barbie ou encore le #Barbiemovie qui rassemble tous types de contenus autour du film. D’autres hashtags tel que #NotMyKen a lui aussi fait réagir avant la sortie du film. Cet hashtag dénonçait le fait que Ryan Gosling soit trop âgé pour jouer le rôle de Ken. Aux vues du succès du film, cet hashtag n’a pas entaché sa réputation. Tiktok, en tant que relayeur de contenu a réellement fait partie du processus de marketing 360 pour le film, a accru sa visibilité et a sans doute poussé de nombreuses personnes à se rendre en salles (1,446 millliards de dollars au box office).

Tiktok se place ainsi comme un outil marketing incontournable pour les films et leur éventuel succès. Pourquoi ? Grâce à son fort taux d’engagement, son format court/créatif et sa viralité.

Insaisissable et imprévisible

En 2023, la sortie du film Le Consentement restera un cas d’école en ce qui concerne l’influence de Tiktok sur le parcours d’un film. Le Consentement relate l’histoire de Vanessa Spingora, 14 ans, alors sous l’emprise de Gabriel Matzneff, célèbre auteur des années 1980. C’est une adaptation du roman Le Consentement de Vanessa Spingora. Lors de la première semaine d’exploitation, le film a cumulé environ 59 000 entrées. Habituellement, après la première semaine, les entrées pour un film sont divisées par deux et particulièrement pour les films d’auteurs. C’est exactement l’inverse qui est arrivé pour Le Consentement, en trois semaines, les entrées ont triplé pour arriver à un pic d’entrées de 142 000 et redescendre. Au total, le film aura comptabilisé 616 000 entrées (AlloCiné , 2023). Ces chiffres records s’expliquent par l’émergence d’une tendance Tiktok qui avait pour but de se filmer avant et après avoir vu le film. La vidéo de « l’après » met en évidence de façon nette le choc ressenti par les utilisateurs.

Le #leconsentementfilm dénombre plus de 7,8 millions de vues sur Tiktok et les vidéos liées au film ont été vues plus de 20 millions de fois (Vasseur, 2023). Marc Missonier, producteur du film avait alors déclaré, « Les ados se sont emparés du film par eux-mêmes. Il faut rester modeste par rapport à ça, c’est impossible à programmer. Mais le film les a touché au cœur, c’est certain ». Il reconnaît « n’avoir pas prévu ce phénomène ». Du fait de la popularité du film sur Tiktok, un public jeune s’est rendu en salle et un réel engouement est né. De plus, par son sujet, le film a certainement raisonné pour de nombreux jeunes qui sont de plus en plus engagés et favorisent la liberté de la parole sur des sujets tels que les violences sexuelles. Ainsi, en plus de donner de l’élan à ce film d’auteur, via la plateforme Tiktok, des sujets sociétaux sont abordés et permet une certaine forme de libération de la parole. Comme nous l’avons précédemment évoqué, Tiktok est un réseau social important dans la promotion d’un film mais cet évènement n’était pas prévu par le distributeur. La plateforme « n’a pas amplifié le succès du Consentement, il l’a créé » (Guerrin, 2023). A l’inverse de l’exemple du film Barbie où le réseau social avait justement été utilisé pour élargir le succès du film. Tiktok se démarque alors par sa viralité insaisissable et imprédictible.

Plus récemment, le film Saltburn a également pu profiter de la viralité de Tiktok et accroitre sa notoriété. Il s’agit d’un cas légèrement différent puisqu’il s’agit d’un film sorti sur Prime Video le 22 décembre 2023 et non en salle. Il est donc plus difficile de quantifier les vues puisque Prime Video ne partage pas ses données. Cependant, nous pouvons tout de même remarquer l’importance du film sur Tiktok. Saltburn, réalisé par Emerald Fennell, raconte l’histoire d’un étudiant de l’Université d’Oxford qui va se plonger dans l’univers aristocratique grâce à son camarade de classe qui l’invite dans son vaste domaine familial. A nouveau, ce film a fait parler de lui sur Tiktok pour ses scènes choquantes, les utilisateurs se filmaient alors en train de réagir. Le #Saltburn dénombre plus de 5,5 milliards de vues. Tiktok a également propulsé la chanson « Murder On The Dancefloor » de Sophie Ellis Bextor qui apparait à la fin du film. Scène durant laquelle Barry Keoghan déambule et danse dans le manoir. Cette scène finale a alors été reproduite par de nombreuses personnes sur Tiktok. La chanson « Murder On The Dancefloor » a été utilisée plus de 226 00 fois et a été écoutée plus de 1,5 millions de fois le soir du nouvel an soit une augmentation de 340% par rapport à l’année dernière (La Dépêche, 2024). Que ce soit en salle ou sur les plateformes, Tiktok offre une certaine accessibilité du cinéma au jeune public.

Quelles perspectives ?

Après avoir bouleversé l’industrie musicale, Tiktok s’en prend au fonctionnement de l’industrie cinématographique. De par un fort taux de complétion et d’engagement, le système de vidéos courtes mis en place influence directement la décision de l’utilisateur : regarder un film ou non. A noter, « 52 % des utilisateurs de TikTok ont découvert un nouvel acteur, un nouveau film ou une nouvelle émission de télévision sur TikTok. Ce taux démontre à nouveau le pouvoir que la plateforme afin de susciter des tendances et une popularité pour les films (Davies, 2023 ). Tiktok place le spectateur au cœur de la dynamique.

Après avoir étudié la façon dont Tiktok s’implante dans le but de créer un engouement et pousser le public à aller au cinéma ou regarder des films, nous pouvons ouvrir notre sujet nous demander si Tiktok ne serait pas finalement un concurrent à l’industrie cinématographique.  La plateforme opère un réel changement dans les habitudes de ses utilisateurs. Comme nous l’avons évoqué, il est possible de regarder des films en plusieurs parties. Au-delà d’être utilisé comme un outil de marketing, un outil propulseur, la plateforme Tiktok pourrait elle-même en être actrice. En 2023, Tiktok, partenaire officiel du Festival de Cannes avait déjà organisé son propre festival de court-métrages. Le « Tiktok Short Film » qui permettait aux cinéphiles du réseau social de soumettre leur création, une vidéo verticale originale de plus d’une minute. Néanmoins, cet élan peut remettre en question la légitimité de Tiktok à se positionner comme acteur du cinéma.

Solène TAGMOUNT

Références

AlloCiné . (2023). Le Consentement . Récupéré sur AlloCiné.

Creton, L. (2020). La marketing cinématographique . Dans L. Creton, Economie du cinéma (p. 157 à 177). Armand Colin .

Croquet , P., & Trouvé , P. (2023, Octobre 5). Sur TikTok, le succès des films et reportages « saucissonnés ». Récupéré sur Le Monde : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/05/sur-tiktok-le-succes-des-films-et-reportages-saucissonnes_6192690_4408996.html

Davies, R. (2023 , Avril 21). TikTok is changing the film industry by putting the power back in the hands of fans. Récupéré sur Why Now: https://whynow.co.uk/read/tiktok-is-changing-the-film-industry-by-putting-the-power-back-in-the-hands-of-fans

Guerrin, M. (2023, Novembre 17). « En assurant le succès du film “Le Consentement”, grâce à un public jeune et populaire, TikTok réussit là où des politiques culturelles échouent depuis des décennies ». Récupéré sur Le Monde: https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/en-assurant-le-succes-du-film-le-consentement-grace-a-un-public-jeune-et-populaire-tiktok-reussit-la-ou-des-politiques-culturelles-echouent-depuis-des-decennies_6200560_3232.html

Jouin, S. (2023, Octobre 10). Barbie : une campagne marketing aux 150 millions de dollars. Récupéré sur Affect: https://www.afffect.fr/blog/barbie-une-campagne-marketing-aux-150-millions-de-dollars

La Dépêche. (2024, Janvier 2024). « Saltburn », le film tendance sur les réseaux sociaux. Récupéré sur La Dépêche : https://www.ladepeche.fr/2024/01/11/saltburn-le-film-tendance-sur-les-reseaux-sociaux-11691380.php

Vasseur, V. (2023, Octobre 23). « Le consentement » : comment une tendance TikTok a relancé cette adaptation du roman de Vanessa Springora. Récupéré sur France Inter: https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-consentement-sur-tiktok-le-film-adapte-du-roman-de-vanessa-springora-plebiscite-par-les-jeunes-1978640

Le chaos informationnel généré par la certification payante sur les réseaux sociaux : étude du cas de X


La prolifération de fausses informations sur les réseaux sociaux est aujourd’hui un problème sociétal et politique majeur. Ceci s’inscrit dans un contexte où les réseaux sociaux se positionnent en tant que principal moyen d’acquisition d’information chez les jeunes. Selon une étude de Médiamétrie datant de 2018, 71 % des individus âgés de 15 à 34 ans déclarent utiliser régulièrement les réseaux sociaux à des fins d’information, surpassant ainsi l’audience des journaux télévisés (49 %), des flashs d’information sur les radios musicales (33 %) et même de la presse quotidienne, incluant sa version en ligne (29 %). 

Cette nouvelle réalité suscite un certain nombre d’inquiétudes largement discutées dans les sphères politiques et médiatiques. L’un des sujets phares concerne le fait que Facebook et X (anciennement Twitter) jouent un rôle central dans la diffusion et la propagation de « fake news », rumeurs et autres formes de désinformation. 

Pourtant, ces géants des médias proposent en majorité un service de vérification de comptes. La vérification, symbolisée par un badge ou une encoche, joue, du moins historiquement, un rôle de confirmation de l’identité du détenteur du compte.

Rapide historique des modèles de certification

Twitter a été le précurseur de la vérification des comptes sur les réseaux sociaux en 2009 après avoir conclu que les suspensions de comptes à posteriori étaient insuffisantes pour faire face aux usurpations d’identité. Au cours des années suivantes, les principales plateformes ont suivi le modèle de Twitter, proposant une vérification de compte avec une terminologie similaire et une iconographie comparable. 

Figure 1 : Historique des programmes de vérification de compte sur les principales plateformes de médias sociaux en janvier 2023 (8.)

La finalité principale de la vérification de compte, point de cohérence au fil du temps et sur différentes plateformes jusqu’aux modifications récentes de X et Meta, a été de remédier à l’usurpation de compte en confirmant l’identité du propriétaire du compte. Cependant, la vérification a rapidement pris une autre signification, notamment en tant que signe de l’importance d’un compte et de la crédibilité de son contenu.

La transition vers un modèle de certification payante

Meta et X, ont récemment entamé une transition majeure dans leurs programmes de certification de compte, évoluant d’un système de confirmation d’identité des utilisateurs à un service premium payant. 

Cette tendance semble principalement motivée par une stratégie visant à accroître les profits et à revitaliser un modèle économique éprouvé. Cependant, ces transformations ne se limitent pas à de simples ajustements de service. Elles entraînent également une refonte significative des modalités d’accès à l’information sur ces plateformes, soulignant ainsi l’impact profond de ces innovations sur la dynamique de partage et de consommation d’informations au sein de ces réseaux sociaux.

Historiquement, Twitter réservait l’attribution des encoches bleues uniquement aux comptes jugés « actifs », « remarquables » et « authentiques ». La démonstration d’authenticité impliquait notamment une preuve d’identité, telle qu’une photo d’un permis de conduire. 

Depuis décembre 2022, X est passé sous un nouveau régime à certification payante, et a assoupli ces critères, notamment en remplaçant « authentique » par « sécurisé » (actif depuis 90 jours, puis encore assoupli à 30 jours, avec un numéro de téléphone confirmé) et « non trompeur ». Il est cohérent de noter que le nouveau processus de vérification pour les coches bleues n’exige ainsi aucune preuve affirmative d’identité. 

La désinformation, enjeu majeur de cette transition ?

Les enjeux liés à ces nouvelles méthodes d’information via les réseaux sociaux se manifestent de manière particulièrement préoccupante chez les jeunes en raison de la nature nouvelle de leur consommation d’information. Un cas interessant concerne les « bulles de filtres », concept popularisé en 2011 par l’essayiste Eli Pariser, qui étend l’idée de la « chambre d’écho » formulée par Sunstein (2001). Cette notion explique un effet inhérent aux médias sociaux et révèle que, par le biais d’algorithmes prédictifs, ces plateformes exposent majoritairement les utilisateurs à des contenus a priori alignés avec leurs préférences et opinions.

En enfermant les internautes dans un univers informationnel qui les isole des citoyens aux opinions divergentes, les réseaux sociaux participent alors à la polarisation et à la fragmentation de l’espace public.

En parallèle, une étude intitulée « Vérification des comptes sur les médias sociaux : Perceptions des utilisateurs et inscription payante », datant de juin 2023 (8), a mis en évidence une méconnaissance des critères de vérification des comptes Twitter. Plus de la moitié des répondants ont démontré une incompréhension sur les critères d’attribution des coches bleues, et plus de 80 % des participants à l’étude a interprété de manière erronée les nouveaux indicateurs de vérification couleur or et gris récemment introduits par X. 

Cette refonte des modalités d’accès à l’information sur les plateformes pose ainsi une question majeure : comment garantir la fiabilité de l’information lorsque le principe même de certification est subvertit, et que cette fonctionnalité ne peut plus être considérée comme un gage de fiabilité ? 

Des conséquences dans le monde réel

L’un des exemples les plus significatifs des risques encourus par la certification payante se manifeste à travers l’exemple du New York Times.  

Seulement quelques heures après avoir déclaré ne pas avoir l’intention de « payer pour maintenir la certification de ses comptes officiels », le prestigieux quotidien américain a vu disparaître le badge bleu du compte du journal, pourtant suivi par une audience de 55 millions d’abonnés. Cet événement a été rapidement suivi d’un tweet du PDG de X, Elon Musk, accusant le média de propagande.

Un internaute possédant déjà un compte vérifié a alors tiré avantage de cette situation en renommant son compte avec le nom du célèbre média américain. Cela a conduit à une situation paradoxale où le véritable compte du New York Times s’est retrouvé non certifié, tandis que le compte frauduleux qui usurpait l’identité du journal conservait sa certification.

D’autres exemples témoignent de conséquences dramatiques de ce nouveau système de certification payante dans le monde réel. Alors que le coût de l’insuline la rend inaccessible à de nombreux citoyen aux États-Unis, un compte vérifié a pris l’identité du géant pharmaceutique Eli Lilly, annonçant faussement que l’entreprise fournirait gratuitement le médicament. En l’espace de quelques heures, le cours des actions d’Eli Lilly a connu une chute de près de 5 %, entraînant des pertes financières évaluées à plusieurs milliards de dollars de capitalisation boursière pour l’entreprise.

Dès lors, comment la certification peut-elle rester synonyme d’authenticité ? L’incapacité à distinguer ceux qui ont payé de ceux qui ne l’ont pas fait pose un défi significatif en terme de crédibilité de l’information, particulièrement au regard du prix extrêmement abordable de ce service, à environ 10 euros par mois.

Les associations tirent la sonnette d’alarme

Le chaos résultant de ces modifications du système de certification soulève des préoccupations sérieuses en matière de droits, qui sont le sujet de divers communiqués d’associations telles que Human Rights Watch ou Reporters sans frontières (RSF). 

Human Rights Watch souligne notamment que les inquiétudes soulevées pointent vers la nécessité de repenser les plateformes sociales en général, tant elles représentent des places publiques numériques et nécessitent une surveillance plus démocratique, y compris des réglementations plus strictes ancrées dans des normes de droits humains. 

« Aucun individu ne devrait détenir le pouvoir que Musk exerce sur une infrastructure d’information aussi cruciale. » Musk chaos raises serious rights concerns over Twitter. – Human Rights Watch (6.)

Reporters sans frontières (RSF) dénonce également cet outil comme dangereux et trompeur, qui instaure un régime à deux vitesses sur l’accès à l’information en ligne et qui ne garantit pas la fiabilité de l’information. RSF appelle donc à retirer cet outil et préconise de mettre en place des règles pour encadrer ces pratiques, en rappelant que les entreprises gérant les réseaux sociaux ont une responsabilité dans le chaos informationnel et que leurs intérêts économiques ne doivent pas passer avant ceux des citoyens. 

Helene Palmer


Bibliographie

  1. Aublanc, M. (2023, 9 avril). Twitter Blue : Comment l’abonnement payant va augmenter le risque de désinformation. www.20minutes.frhttps://www.20minutes.fr/by-the-web/4031545-20230409-twitter-blue-comment-abonnement-payant-va-augmenter-risque-desinformation
  2. Boyadjian, J. (s. d.). Désinformation, non-information ou sur-information ? Cairn.info. https://www.cairn.info/revue-reseaux-2020-4-page-21.htm
  3. Ganesan, A. (2022, 13 novembre). Musk chaos raises serious rights concerns over Twitter. Human Rights Watch. https://www.hrw.org/news/2022/11/12/musk-chaos-raises-serious-rights-concerns-over-twitter
  4. Les jeunes et l’information : Une étude du ministère de la Culture vient éclairer les comportements des jeunes en matière d’accès à l’information. (s. d.). https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Les-jeunes-et-l-information-une-etude-du-ministere-de-la-Culture-vient-eclairer-les-comportements-des-jeunes-en-matiere-d-acces-a-l-information
  5. Legacy Verification Policy. (2023, 5 avril). https://help.twitter.com/en/managing-your-account/legacy-verification-policy
  6. Not playing ball. (s. d.). https://blog.twitter.com/official/en_us/a/2009/not-playing-ball.html
  7. RSF réclame la fin des certifications payantes sur les réseaux sociaux et de leur logique censitaire. (s. d.). RSF. https://rsf.org/fr/rsf-r%C3%A9clame-la-fin-des-certifications-payantes-sur-les-r%C3%A9seaux-sociaux-et-de-leur-logique
  8. Xiao, M., Wang, M., Kulshrestha, A., & Mayer, J. (2023, 28 avril). Account verification on social media : user perceptions and paid enrollment. Princeton University. https://arxiv.org/abs/2304.14939
  9. X Verification requirements – How to get the Blue Check. (2023, 2 octobre). https://help.twitter.com/en/managing-your-account/about-twitter-verified-accounts
  10. York, J. (2022a, novembre 16). « Changer les règles du jeu » : les enjeux de la certification payante sur Twitter. France 24. https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20221116-changer-les-r%C3%A8gles-du-jeu-les-enjeux-de-la-certification-payante-sur-twitter

Fake news sur la guerre en Ukraine : les réseaux sociaux sont-ils plus trompeurs que les médias traditionnels?

Vous avez peut-être déjà vu des passages des émissions télé dans lesquels les réseaux sociaux sont présentés comme les principaux responsables de la propagation des fake news et dans une période dans laquelle de plus en plus de monde, notamment les jeunes, s’informe en ligne et sur les réseaux sociaux il est pertinent de se demander si les réseaux sont plus trompeurs que les médias traditionnels et en particulier la télévision, en se penchant sur un événement qui nous impacte tous depuis plus d’un an maintenant : la guerre en Ukraine.

Historiquement, les chaînes d’information avaient la priorité lorsqu’un événement important se passait, maintenant avec l’émergence des réseaux sociaux un événement qui se passe même très loin de nos frontières peut vite devenir viral et faire le tour du monde. Dans ce contexte, les chaînes d’information perdent leur avantage historique dans ce jeu de concurrence avec les réseaux sociaux, la plupart des événements n’arrivant plus à la télévision en premier, mais sur les réseaux sociaux. 

Étant donné que les chaînes d’information doivent faire preuve d’une réelle réactivité afin de tenir le cap face aux réseaux sociaux et qu’elles ont besoin de contenu en continu, il arrive parfois que les chaînes d’information n’aient pas le temps nécessaire de vérifier la véracité de toutes les informations qu’elles relaient. 

Quant aux réseaux sociaux, cet attribut qui leur permet de connecter facilement le monde est à double tranchant. D’un côté, l’information peut venir de sources diverses et arriver rapidement aux quatre coins du monde. D’un autre côté, ces mêmes sources sont souvent difficilement vérifiables et une fois l’information lancée il est compliqué d’arrêter sa propagation et donc favoriser un environnement propice à l’apparition des fake news. 

En février 2022, Ursula von der Leyen annonce l’interdiction des médias d’État russes au sein de l’Union Européenne : la chaîne de télévision Russia Today et le journal Sputnik lors de l’annonce des sanctions contre la Russie. Dans une publication sur Twitter, Ursula von der Leyen affirme : «[Ils] ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine. Nous développons donc des outils pour interdire leur désinformation toxique et nuisible en Europe». La guerre en Ukraine se joue non seulement sur les théâtre de combat, mais dans l’information également.

Les héros de l’île des Serpents

 Une vidéo a fait le tour des réseaux au début de la guerre. Il s’agit d’une vidéo initialement diffusée par le conseiller du ministre de l’intérieur ukrainien sur son compte Telegram et reprise par plusieurs médias en ligne (comme Ukrayinska Pravda). La vidéo montre les échanges entre les soldats russes et les gardes-côtes ukrainiens sur l’île des Serpents et une célèbre phrase est restée dans la mémoire collective : «Navire militaire russe, allez vous faire fou***»  . Volodymyr Zelensky avait déclaré : «Sur notre île de Zmiinyi, en la défendant jusqu’au bout, tous les gardes-frontières sont morts héroïquement. Mais ils n’ont pas renoncé. Ils recevront tous, à titre posthume, le titre de Héros de l’Ukraine. Que la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour l’Ukraine vive à jamais». La vidéo a été reprise également dans les médias français sur des chaînes d’information comme LCI et  BFMTV ou encore le journal Le Point sur son compte Twitter. 

Quelques jours plus tard, les forces armées ukrainiennes reviennent sur cette information  dans une publication Facebook déclarant que les soldats ukrainiens sont en vie et capturés par les soldats russes. Les chaînes de télévision françaises ont également clarifié la situation par la suite.

LCI et BFM ne sont pas les seules chaînes qui relaient des informations sans toujours vérifier leur provenance et leur véracité. En effet, CNEWS, a publié le 28 avril 2023 un article en ligne «VLADIMIR POUTINE : LE PRÉSIDENT RUSSE A-T-IL ÉCHAPPÉ À UN ATTENTAT AU DRONE KAMIKAZE ? » sans que Moscou ou Kiev confirment cette affirmation. Il s’agit donc d’un exemple de clickbait car en lisant le contenu de l’article est loin de démontrer un tel événement. 

Les réseaux sociaux sont eux aussi loin d’être innocents dans la propagation des fake news et la Russie semble bien maîtriser la technique de l’astroturfing en utilisant le partage massif par des faux comptes des informations propagée soit par les officiels russes (des membres du gouvernement ou des institutions russes) soit directement par des comptes dont l’identité est difficilement vérifiable ou à travers les commentaires des diverses publications.

Depuis la création de Twitter Bleu, des faux comptes peuvent maintenant obtenir le badge bleu qui fait gagner la crédibilité du compte le détenant, en payant un abonnement mensuel. Twitter Bleu pose un problème dans la propagation des fake news car certains médias traditionnels ou des journalistes indépendants perdent leur badge en refusant de payer l’abonnement alors que d’autres comptes Twitter risquent de sembler plus véridiques aux yeux des utilisateurs.

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique est l’organisme chargé de veiller sur le phénomène des fake news en France. Si pour les chaînes de télévision ce contrôle peut être plus facile étant donné le rôle historique de la CSA et le fait que chaque téléspectateur peut dénoncer des passages problématiques vus à l’antenne, sur les réseaux sociaux il est plus compliqué pour le régulateur d’intervenir directement. Chaque année l’Arcom publie les déclarations des opérateurs de plateformes (Meta, Twitter, Google, etc.) en ligne sur les moyens de lutte contre la manipulation de l’information.

Une des mesures prises par Twitter pour lutter contre les fake news est le lancement de Twitter Birdwatch, un outil qui permet aux utilisateurs d’identifier des publications qu’ils estiment trompeuses et d’écrire des notes qui fournissent un contexte informatif. 

Néanmoins, sur les réseaux sociaux le nombre quotidien de publications reste trop élevé comparé aux moyens de régulation et des fake news passent toujours à travers les mailles du filet.

Bien évidemment, en France il n’y a pas de chaîne de télévision avec un discours pro russe et donc les fake news que l’on trouve dans les médias traditionnels ont peut-être moins d’impact sur l’avis général de  la population concernant la guerre que les publications sur les réseaux où tout le monde est libre de partager ses idées, mais on peut remarquer que tous les fake news sur les réseaux sociaux ne viennent pas de faux comptes et parfois les chaînes de télévision ou les journaux sont à l’origine de celles-ci.

Et en Russie?

Malheureusement les médias indépendants sont rares voire inexistants en Russie, la quasi-totalité des médias étant des médias d’État qui sont contrôlés par le Kremlin. 

Depuis le début de la guerre, les journalistes des médias indépendants ont pour la plupart dû quitter le pays étant considérés comme des “agents étrangers”. En ce qui concerne les médias d’État, afin de maintenir l’opinion et le soutien de la population la guerre est présenté comme une opération de dénazification de l’Ukraine, souvent faisant référence à la Seconde Guerre mondiale (la “Grande Guerre Patriotique » en russe), guerre qui est resté comme une fierté nationale dans la mémoire collective russe. C’est dans ce contexte que les réseaux sociaux deviennent une autre source d’information notamment pour les jeunes génération, car c’est seulement sur les réseaux sociaux qu’ils peuvent avoir un autre discours que celui propagé dans les médias d’État russes, d’où la décision de la Russie d’interdire Facebook et Instagram. 

ARTE Tracks a produit une série des mini-documentaires sur les fake news dans les médias d’État russes.

Pour conclure, il est difficile de dire si les réseaux sociaux sont plus dangereux que les médias traditionnels et parfois il faut bien prendre en compte le contexte différent d’un pays à l’autre. Il est certes important de se rendre compte que les fakes news existent et sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels et le plus important c’est de vérifier chaque information avant de la partager afin d’éviter un effet de chambre d’écho. Finalement, peut-être qu’avec le discours généralisé qui pointe du doigt les réseaux sociaux on fait encore plus attention lorsque l’on s’informe sur ceux-ci et on risque de considérer l’information des médias traditionnels comme véridique et c’est probablement dans ce rapport de confiance que l’on peut être encore plus facilement victimes des fake news.

Sebastian Udriste

Bibliographie :

Donada, E. , de la Roche Saint-André, E. (le 25 février 2022). «Allez vous faire foutre !»: que sait-on des dernières paroles de soldats ukrainiens devenus héros en défendant l’île des Serpents?. Libération (réf le 28 février 2022) :

https://www.liberation.fr/checknews/allez-vous-faire-foutre-que-sait-on-des-dernieres-paroles-de-soldats-ukrainiens-devenus-heros-en-defendant-lile-aux-serpents-20220225_6I3QUB7QMBGX7C3KMRQRAGIGWA/

La rédaction de TF1info ( le 28 février 2022). Ukraine : déclarés morts, les 13 soldats de l’île des Serpents sont en réalité aux mains des Russes. TF1 info :

https://www.tf1info.fr/international/guerre-en-ukraine-declares-morts-les-13-soldats-de-l-ile-des-serpents-sont-en-realite-aux-mains-des-russes-2212148.html

CNEWS (le 28 avril 2023). VLADIMIR POUTINE : LE PRÉSIDENT RUSSE A-T-IL ÉCHAPPÉ À UN ATTENTAT AU DRONE KAMIKAZE ?. CNEWS :

https://www.cnews.fr/monde/2023-04-28/vladimir-poutine-le-president-russe-t-il-echappe-un-attentat-au-drone-kamikaze

La rédaction numérique de France Inter (le 16 mars 2022). Comptes complotistes, fake news, propagande : plongée dans les tweets de l’ambassade russe en France. France Inter :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/comptes-complotistes-fake-news-propagande-plongee-dans-les-tweets-de-l-ambassade-russe-en-france-2267509

Arcom. Questionnaire 2021 aux opérateurs de plateformes en ligne soumis au titre III de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information – Twitter :

https://www.arcom.fr/sites/default/files/2022-07/D%C3%A9claration%20Twitter%20-%20%20Lutte%20contre%20la%20manipulation%20de%20l%27information%202022.pdf

Masha Borzunova, Kobalt Productions (2022). Fake News. ARTE Tracks :

https://www.arte.tv/fr/videos/109809-001-A/fake-news/

Maxime Audinet (le 16 février 2023). Un an après l’invasion de l’Ukraine : que deviennent RT et Sputnik ?. La revue des médias, INA:

https://larevuedesmedias.ina.fr/guerre-information-russie-ukraine-medias-influence-rt-sputnik-afrique-nouveau-rideau-de-fer

SnapChat, Facebook, Twitter, … Avec l’abonnement payant : est-ce la fin de l’ère des réseaux sociaux à 100% gratuits?

Payer l’abonnement à 9,60€ sur Twitter ou 11€ sur Facebook et Instagram permet dès maintenant d’avoir un compte certifié avec un badge bleu et l’accès à d’autres services.

« Nous relançons @TwitterBlue lundi – abonnez-vous sur le web pour 8 dollars par mois ou sur iOS (le système d’exploitation d’Apple utilisé sur les iPhone, NDLR) pour 11 dollars par mois pour avoir accès aux fonctionnalités réservées aux abonnés, notamment la coche bleue.»

Le groupe Twitter a indiqué dans un tweet, publié le 10 décembre 2022.

En novembre 2022, Twitter a lancé une offre payante : « Twitter Blue. » Cet abonnement allant de 9,60€ à 12€ par mois ou 100,8€ par an (tarifs en France) permet d’obtenir le petit badge bleu, c’est-à-dire d’avoir un compte certifié, et donne également accès à d’autres fonctionnalités telles qu’Éditer le Tweet, dépasser les 280 caractères, recevoir 50% de publicités en moins dans les fils, images de profil NFT, … 

En février 2023, le patron de Meta semble de suivre le pas d’Elon Musk en prévoyant une formule similaire à ses plateformes, Facebook et Instagram, en mettant en place un modèle d’abonnement payant nommé « Meta Verified. » Pour un prix oscillant entre 11€ et 14€ par mois, cette offre permet aux utilisateurs de faire vérifier leur compte, d’obtenir des protections contre l’usurpation d’identité, mais aussi de gagner en visibilité. L’abonnement est pour l’instant uniquement disponible en Australie, en Nouvelle Zélande et aux États-Unis. 

Mais, ce ne sont pas les seuls. En effet, Snapchat, Discord, Linkedin, … ont toutes leurs propres offres d’abonnement payant. Le modèle payant s’implante peu à peu dans les réseaux sociaux : est-ce la fin de l’ère des réseaux sociaux 100% gratuit ? Explications

Les réseaux sociaux : des modèles financés par des revenus publicitaires arrivent à maturité.

Selon le rapport « Global Advertising Market : Industry Trends, Share, Size, Growth, Opportunity and Forecast 2023-2028 », en 2022, les revenus publicitaires en ligne mondiaux ont atteint 615,2 milliards de dollars. Selon Statista worldwide, les revenus sur les réseaux sociaux représenteraient environ 36% des revenus publicitaires en ligne mondiaux, soit 207,1 milliards de dollars. Ce nombre est d’autant plus flagrant lorsqu’il s’agit des réseaux sociaux. 

En effet, la publicité génère plus de la moitié des revenus des réseaux sociaux : Facebook a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires publicitaire de 117 milliards de dollars, soit environ 97% de son chiffre d’affaires total (Rapport Annuel 2021, Meta); en 2021, Twitter a généré un revenu total de 5,08 milliards de dollars dont la publicité représentait environ 88%, soit 4,51 milliards de dollars (Rapport annuel 2021, Twitter). 

Mais comment les réseaux sociaux se rémunèrent-ils via la publicité ? « Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit. » 

Pendant près de deux décennies, le modèle économique des réseaux sociaux était 100% gratuits pour les utilisateurs : pas besoin de payer pour poster, pas besoin de payer pour accéder au contenu, pas besoin de payer pour parler à ses amis. Le cœur du modèle économique des réseaux sociaux était les revenus publicitaires dont la publicité ciblée. Ces derniers s’efforcent de cerner les comportements et profils de leurs utilisateurs sur le web en se servant des données collectées. Ainsi, les entreprises qui souhaitent diffuser leurs annonces doivent acheter des espaces d’affichage en ligne, en précisant le profil d’utilisateurs cible souhaité. En fonction de ces critères, les algorithmes des réseaux sociaux diffusent les publicités aux utilisateurs ciblés. 

Mais depuis quelque temps, les réseaux sociaux ont fait face à des problèmes de rentabilité. La publicité ne génère plus autant de revenus qu’auparavant en raison de l’affaiblissement du marché publicitaire, de différents scandales concernant l’usage des données, le renforcement de la législation de la protection des données personnelles. Le groupe Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) a même enregistré une baisse de revenus annuels, en 2022, pour la première fois depuis son entrée en bourse en 2012. L’ère de la gratuité des réseaux sociaux est-elle en train de se clore ? « Nous sommes au commencement de la fin d’une ère. (…) L’économie de l’attention qui a transformé les plateformes sociales en entreprises les plus profitables au monde a fini par se tirer une balle dans le pied. », explique  Clara Lindh Bergendorff dans les colonnes de Forbes.

Le modèle économique des réseaux sociaux est en plein évolution : les offres d’abonnement se multiplient.

Nous assistons à une évolution du modèle économique des réseaux sociaux où l’ère de la gratuité semble de disparaitre au profit de l’abonnement. En effet, le modèle de l’abonnement permet d’assurer des rentrées de revenus récurrents et stables pour faire face à la forte volatilité des revenus liés à la seule publicité.

Linkedin a montré que cela fonctionne et la mise en place de l’abonnement est inévitable : la publicité ne représente que 20% du chiffre d’affaires total de l’entreprise. En effet, les services de recrutement et les abonnements constituent ses principales sources de revenus. Selon le site Kinsta, 39% des utilisateurs de Linkedin payent pour un de ces abonnements. Linkedin a réussi à développer des formules payantes le permettant d’avoir un modèle économique durable. 

« Sur LinkedIn, il y a toute une offre d’abonnements payants et là, ça fonctionne. On les achète parce qu’on veut avoir plus de visibilité ou alors quand on est recruteur. On a besoin de ces offres »

Emmanuel Berne

« C’est payant, mais vous êtes quand même le produit »

Instagram et Tiktok testent actuellement un système d’abonnement premium à certains créateurs. Snapchat a lancé sa formule payante nommée Snapchat+. Twitter a lancé Twitter Blue, Meta avec Meta verified… Ces offres payantes donnent accès à des fonctionnalités exclusives aux abonnées telles que la vérification des comptes, l’accès au service client, plus de visibilité,… afin d’encourager les internautes à rester actifs.

«L’idée est d’améliorer l’authenticité [des profils et donc des échanges] et la sécurité sur nos services.»

Mark Zuckerberg, PDG de Meta

La question se pose alors de savoir si les utilisateurs sont-ils prêts à payer. Les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Instagram ou Tiktok proposent-ils des offres suffisamment intéressantes pour inciter les usagers à payer l’abonnement ?  

Il semblerait que ce ne serait pas aussi facile de faire payer les utilisateurs parce que les réseaux sociaux ont proposé leurs services gratuitement pendant bien trop longtemps. En effet, la formule « c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit » est ancrée dans la culture populaire. Pour que la formule « c’est payant, mais vous êtes quand même le produit » puisse succéder à la première, il faut une nouveauté qui soit vraiment intéressante pour séduire les utilisateurs et pour faire passer la pilule du payant.  

Sophie Hong Vy Nguyen-Massicot

Bibliographie :

  • Baudot, J. (s. d.). Modèle économique des réseaux sociaux. http://www.jybaudot.fr/Management/reseauxsociaux.html
  • Bergendorff, C. L. (2021, 12 mars). From The Attention Economy To The Creator Economy : A Paradigm Shift. Forbes. https://www.forbes.com/sites/claralindhbergendorff/2021/03/12/from-the-attention-economy-to-the-creator-economy-a-paradigm-shift/?sh=3a183e20faa7
  • Diallo, K., & Diallo, K. (2022). Réseaux sociaux : les utilisateurs sont-ils prêts à payer ? L’Éclaireur Fnac. https://leclaireur.fnac.com/article/107960-reseaux-sociaux-les-utilisateurs-sont-ils-prets-a-payer/
  • Laratte, A. (2022, 6 novembre). Payer pour avoir un badge bleu sur Twitter ? C’est désormais possible dans certains pays. leparisien.fr. https://www.leparisien.fr/high-tech/payer-pour-avoir-un-badge-bleu-sur-twitter-cest-desormais-possible-dans-certains-pays-05-11-2022-W73TOEMLEFFZFOFZKP5OYB2XXI.php
  • Osman, M. (2023). Mind-Blowing LinkedIn Statistics and Facts (2023). Kinsta®. https://kinsta.com/blog/linkedin-statistics/
  • Afp, C. A. (2023, 20 février). A son tour, Meta lance une offre payante. Capital.fr. https://www.capital.fr/entreprises-marches/a-son-tour-meta-lance-une-offre-payante-1460713
  • Laratte, A. (2023, 20 février). Facebook, Twitter, Instagram. . . la fin des réseaux sociaux gratuits ? leparisien.fr. https://www.leparisien.fr/high-tech/facebook-twitter-instagram-la-fin-des-reseaux-sociaux-gratuits-20-02-2023-QAJ3NAJT2BEXTM3KEPQ2UFASXQ.php
  • Wurlod, O. (2023, 20 février). Payer pour Instagram et Facebook : L’ère des réseaux sociaux 100 % gratuits se termine. 24 heures. https://www.24heures.ch/lere-des-reseaux-sociaux-100-gratuits-se-termine-300382518290
  • Statista. (s. d.). Social Media Advertising – Global | Market Forecast. https://www.statista.com/outlook/dmo/digital-advertising/social-media-advertising/worldwide

Balenciaga et les réseaux sociaux : la cancel culture a-t-elle encore frappé ?

Boycott, dénonciations et lynchage, les réseaux sociaux en tant qu’espace public et lieu d’expressions, sont également les théâtres de polémiques et controverses. Au fil des années, ils sont devenus des armes pouvant avoir des impacts positifs comme négatifs considérables.

63.1 milliards. C’est le nombre d’internautes dans le monde entier recencés en avril 2022 et parmi eux, 4.7 milliards sont utilisateurs de réseaux sociaux.

Aujourd’hui incontournables, les réseaux sociaux sont de véritables outils marketing afin de se faire connaître et d’avoir accès à la notoriété. En adoptant certains codes, il est aisé d’être propulsé sur le devant de la scène. C’est pourquoi la plupart des marques et notamment les marques de luxe ont commencé à axer leurs stratégies sur leurs campagnes de communication en ligne. Cependant, cet accès simplifié à la célébrité est également à double tranchant, la moindre erreur pouvant être fatale. Balenciaga en a d’ailleurs fait les frais en novembre dernier avec ses deux campagnes impliquant de la pédopornographie et la mise en scène d’enfants avec des accessoires associés à des pratiques SDM.

Les réseaux sociaux : une nouvelle vitrine des marques de luxe

La communication sur les réseaux sociaux est devenue monnaie courante .

De fait ils offrent une couverture très intéressante afin de pénétrer en profondeur le marché. Les marques ont recours notamment à des stratégies d’influences. En ayant recours à des individus bénéficiant d’une certaine popularité tout en ayant une image en adéquation avec la marque, la visibilité et la crédibilité des enseignes s’en retrouvent d’autant plus affirmées. Il n’est pas rare de retrouver des célébrités égéries de marque de luxe.

Nous pouvons citer en exemple Kim Kardashian égérie de Balenciaga ou encore Lea Seydoux, égérie de Louis Vuitton. La crise du covid19 est également passée par là. Entre les différentes contraintes sanitaires sans oublier les confinements, les réseaux sociaux étaient l’unique moyen de conserver un lien avec les consommateurs, les évènements en présentiels étant bannis et les ouvertures de nouvelles boutiques suspendues.  Très vite, les résultats sont apparus puisque de 2020 à 2022, Louis Vuitton est passé de 35.1 à 52.5 millions de followers et d’autres de ses pairs l’ont suivi dans cette ascension comme Gucci, Dior ou encore Balenciaga.

Selon le classement luxe Digital , parmi les marques les plus populaires en ligne Gucci, Dior et Channel arrivent en tête de la liste. Cependant, d’autres enseignes comme Gucci ou Balenciaga sont très populaires sur les réseaux sociaux. Le 29 avril 2023, Louis Vuitton comptabilise 52.7 millions de followers, Chanel 55.7 millions, Gucci 51.5 millions alors que Dior ne comptabilise que 43.9 millions. Ces données soulignent que bien que certaines marques soient plus recherchées en ligne que d’autres, toutes peuvent bénéficient d’une visibilité médiatique plus importante et donc d’un levier de manœuvre non négligeable afin d’accroître leur influence.

Ce levier est maximisé par un contenu étudié et une logique d’engagement mis en place. Le partage régulier de contenus concernant les nouvelles collections mais également les évènements phares de la marque de type défilés ou soirées mondaines, jusqu’à s’étendre à la publication des interviews de leurs collaborateurs et égéries, ont permis d’impliquer les consommateurs dans le quotidien et l’intimité des enseignes.

Les marques ont également appris à adopter leur contenu en fonction des différentes cibles des différentes plateformes, afin d’apparaître authentiques et accessibles pour tous. Chacun doit pouvoir s’identifier et se projeter au travers de leur histoire et de leurs créations.

Le joyau français de Kering : un habitué des provocations

Balenciaga, maison française de Kering, est connue pour utiliser les réseaux sociaux afin de faire parler d’elle et de ses créations. En effet, la marque fait régulièrement l’objet d’articles et de buzzs sur les réseaux sociaux avec des créations jugées provocantes et parfois à la limite de l’indécence. Nous pouvons penser à la mise en vente de baskets déchirées à plus de 1000 euros en mai 2022. L’objet de cette création était de souligner la durabilité des chaussures et donc que les articles Balenciaga ont pour vocation d’accompagner leurs utilisateurs tout au long de leur vie.

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Autre prouesse créative non pas moins épargnée par les critiques, la mise en vente de sacs à main inspirés de sacs poubelles, mais à un prix bien éloigné de ces objets domestiques.

Le directeur artistique de Balenciaga a cependant toujours affirmé sa position et l’a exprimé lors d’une interview suite au défilé de la collection automne-hiver 2022-2023.

« Je ne pouvais vraiment pas rater l’occasion de concevoir le sac-poubelle le plus cher du monde. Qui n’aime pas les scandales dans la mode ? »

Demna Gvasalia Women Wear’s Daily, 6 mars 2022

Ainsi, certaines enseignes vont jouer de leur visibilité et du pouvoir de diffusion des réseaux sociaux afin de faire parler d’elle et de gagner en visibilité. Cependant visibilité n’est pas synonyme de popularité.

Balenciaga : une campagne dévastratrice

En novembre 2022, Balenciaga a connu une véritable descente aux enfers avec une campagne sur les réseaux jugée inadmissible par l’opinion public.

En effet, sur Instagram la marque avait partagé des photos afin de promouvoir de nouveaux objets en vente, la marque souhaitant étendre son domaine d’expertise au-delà du prêt à porter. Jusqu’à là rien à redire, puisqu’il est devenu monnaie courante chez les marques de luxe, d’élargir leur champ d’action comme l’a fait Dior avec l’ouverture de son café à Paris. Cependant Balenciaga a poussé la chose plus loin que ce qu’elle n’aurait dû en mettant en scène des enfants avec des peluches portant des accessoires associés à des pratiques BDSM. L’opinion publique a lynché la marque, l’accusant de sexualiser des enfants et donc d’avoir un comportement absolument intolérable. Après avoir gardé le silence pendant plusieurs jours tandis que la toile se déchainait sur cette campagne, la marque a présenté publiquement ses excuses et a retiré les photos compromettantes.

Cela aurait pu passer pour une simple erreur et l’histoire en serait restée là mais quelque semaine après, le joyau de Kering a de nouveau fait parler de lui avec la promotion d’un sac Balenciaga x-Adidas sur une pile de documents. En zoomant sur ces documents, le public s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un compte rendu d’un procès statuant que « la promotion et la publicité de la pornographie infantile relève de la liberté d’expression ».

Encore une fois, la marque a présenté ses excuses publiques et cette fois-ci, elle a remis la faute sur l’équipe chargée de la campagne. Balenciaga a totalement nié être au courant du contenu de la campagne et a même engagé des poursuites judiciaires contre l’équipe concernée.

Malgré cette initiative, le scandale a pris une telle ampleur que rapidement les effets se sont faits ressentir. Le lendemain du premier scandale, les actions du joyau Kering ont connu une chute de 0.02%. Cette chute pourrait impacter au long terme la maison dans sa croissance fulgurante initiée en 2019 . De fait, la firme réalisait un chiffre d’affaire de 927 millions de dollars en 2019 jusqu’à atteindre les 1.189 milliards en 2021. Dans le communiqué officiel des résultats annuels Kering n’a communiqué aucun résultat concernant Balenciaga. « Balenciaga a réalisé une excellente année, en dépit d’un mois de décembre difficile », cette phrase est l’unique information dont nous disposons. Cependant le directeur général délégué de Kering a admis que « la regrettable controverse  » dont Balenciaga avait fait l’objet a fortement impacté les résultats de cette maison. Kering a par ailleurs estimé que « les procédures avaient été correctement suivies mais une erreur de jugement » aurait été la cause de ces deux scandales ayant eu lieu en une seule année. Cela a poussé la maison à revoir ses procédures et à mettre en place de nouvelles mesures .

« Plus que de changer les personnes, il est question de renforcer l’organisation en favorisant davantage de diversité et d’intelligence collective ainsi que la capacité à exprimer une opinion différente dans les jugements »

Jean Marc Duplaix directeur financier de Kering dans Fashion work

Un bad buzz médiatique sur tous les plans

Même si la crise ne semble pas avoir eu d’effets exorbitants sur le résultat , la maison connait une véritable crise concernant son image, jamais vue jusqu’alors.

En raison de la polémique, elle a fait l’objet d’un bad buzz international. Les stars et célébrités se sont rapidement désolidarisées de la marque. L’égérie du moment Kim Kardashian avait notamment annoncé sur Twitter qu’elle reévaluait son partenariat avec Balenciaga.

 

« I have been quiet for the past few days, not because I haven’t been disgusted and outraged by the recent Balenciaga campaigns, but because I wanted an opportunity to speak to their team to understand for myself how this could have happened.« 
Kim Kardashian (@KimKardashian) 27 novembre 2022

D’autres stars ont retiré de leurs réseaux sociaux tout contenu associé à la marque comme Alexa Demie, actrice emblématique de la série Euphoria. Cela s’est même étendu à certains partenaires qui ont enlevé de leurs stands les produits Balenciaga comme la marketplace The Closet à Dubai.

Sur Tiktok, la réaction a été la plus violente. On a pu voir pendant plusieurs semaine des vidéos d’internautes et d’influenceurs déchirants et brûlants leurs articles Balenciaga. Un hashtag #cancelbalenciaga a même été créé pour l’occasion et le 28 novembre il cumulait plus de 25.5 millions de vues et le 30 avril, 310.7 millions de vues. Rappelons que Tiktok cible principalement les jeunes de 13 à 20 ans, avec cette campagne Balenciaga a perdu de son prestige et de son attractivité auprès d’une cible qu’elle avait réussi à conquérir parmi les plus jeunes.

Un calme jusqu’au prochain scandale ?

S’il semble que les choses se soient calmées pour le petit joyau français de Kering, cela n’aura pas été sans conséquences. Bien qu’étant habituée à faire la une en raison de créations provocantes et originales, cette fois-ci le buzz aurait eu un effet plus que négatif et il est probable qu’au prochain scandale, la marque soit « cancel » pour de bon.

Mathilde Delevoye

Références

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Assaut du Capitole : entre désinformation et incitations à la violence

Quelles responsabilités pour Facebook et Twitter ?

Le 6 janvier 2021, des partisans de Donald Trump envahissent le Capitole, là où siège le Congrès américain. Une seule idée en tête : empêcher la certification de la victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine de 2020. 
Retour sur le rôle joué par ces réseaux sociaux lors de cet évènement majeur de l’histoire américaine.

Une préparation pré-élection présidentielle 2020 afin d’éviter le scandale de 2016

Photo de little plant sur Unsplash

Dans le contexte des élections présidentielles américaines de novembre 2020, il était inconcevable pour Facebook de revivre un scandale de la même ampleur que celui de 2016. En 4 ans, la plateforme a œuvré à la mise en place de mesures concrètes ayant pour but de protéger l’intégrité de la nouvelle élection, limiter la diffusion de fausses informations et lutter contre l’incitation à la haine et à la violence.

Mark Zuckerberg avait affirmé en octobre 2020 que le règlement de la plateforme empêcherait tout candidat de «déclaré victoire prématurément» et de «délégitimer les résultats de l’élection». Afin de limiter la désinformation, Facebook a implémenté la «War Room». Cette cellule de vérification analyse en temps réel les abus signalés sur les élections. Dani Lever, responsable des affaires publiques de Meta a affirmé que Facebook avait mis en pause ses campagnes publicitaires politiques et supprimé le groupe StopTheSteal début novembre 2020.  Le groupe qui comptait 360 000 utilisateurs parmi ses rangs, mettait en doute la légitimité de l’élection en diffusant la théorie du «Big Lie».

Pour Twitter, c’est seulement 2 mois après l’attaque que l’ex CEO Jack Dorsey affirma que la plateforme avait effectivement joué un rôle dans la diffusion de fausse informations et dans l’organisation de cette attaque. Twitter avait misé sur des pratiques de marquage de tweets et de déréférencement. 

Lorsqu’un tweet contenait des informations trompeuses au sujet de l’élection, il était étiqueté d’un avertissement. Une autre mesure plus radicale a été mis en place d’octobre 2020 jusqu’à l’élection. Si certains messages de personnalités politiques et/ou influentes contenaient des propos non vérifiés et trompeurs, une bannière contenant un avertissement sur le contenu empêchait de lire le tweet. Les tweets ciblés étaient privés d’interactions (retweet, like, commentaire). En amont de l’élection, Twitter avait décidé début 2020 d’instaurer des messages de fact checking à la fin des tweets contenant du contenu trompeur.

@realDonaldTrump sur Twitter

Des baisses de vigilance sous l’impulsion de la liberté d’expression 

Après l’annonce des résultats, Facebook était soulagé. L’opération s’était déroulée sans encombre. Certaines mesures, temporaires, ont donc été retirées.
Facebook a décidé de démanteler la cellule Civic Integrity Team composée d’experts qui détectaient et combattaient la désinformation et les discours haineux. Ces changements ont commencé à inquiéter plusieurs employés du réseau social. A partir de la fin des élections, certains employés ont remarqué que le nombre de signalements pour des messages contenant de fausses informations augmentaient fortement. 
Des documents internes, révélés par la lanceuse d’alerte Frances Haugen, ont soulignés les manquements de Facebook en termes de lutte contre la désinformation et d’incitation à la violence ayant joué un rôle dans l’attaque du Capitole.
Des pistes d’amélioration du règlement ont été proposées pour contrer la désinformation mais déclinées par la hiérarchie. L’une des raisons avancées par la direction est que cela ne ferait qu’augmenter le nombre de signalements erronés et diminuerait l’engagement sur la plateforme. Comme précisé par Haugen lors de son témoignage au Sénat, Facebook semble vouloir faire passer son « profit avant la sécurité » et « avant la population ».

Image par El Sun de Pixabay

La suppression du groupe StopTheSteal n’a non plus été d’une grande efficacité. Cela donna un boost de popularité aux groupes moins importants contenant des propos #StoptheSteal. Les membres du groupe d’origine se sont juste dispatchés. StopTheSteal était bien plus qu’un groupe Facebook et la plateforme n’a pas vraiment œuvré à contrôler et signaler ces groupes complotistes. 

Sur Facebook, les algorithmes jouent un rôle majeur dans la diffusion de ces fausses informations. Dans les documents révélés, il a été confirmé qu’il n’a fallu que 2 jours pour qu’un utilisateur, suivant quelques personnalités/médias conservateurs, ait des recommandations conspirationnistes et 1 semaine pour que des contenus du groupe QAnon lui soient recommandés.

L’une des révélations majeure des Facebook Files était la mise en place d’une politique de fact-checking XCheck permettant de limiter les faux signalements de comptes. Certaines personnalités politiques et comptes les plus suivis bénéficiaient d’une vérification des signalement à part. Cependant, certaines de ces personnalités soumises à ce système se retrouvaient «whitelisted» et exemptées du règlement de Facebook : «Contrairement au reste de notre communauté, ces personnes peuvent enfreindre nos normes sans aucunes conséquences».

De son côté, Twitter a aussi failli. 
Il n’a pas su prendre en considération les avertissements de ses employés sur les risques de la mauvaise gestion de la désinformation et des incitations à la violence sur la plateforme après les élections de 2020. Malgré les efforts et les signalements reportés par Twitter Safety Policy team, en charge de la rédaction du règlement de la plateforme, aucune mesure supplémentaire n’a été prise. Les dirigeants semblaient plus inquiets de déclencher la colère des supporters du président sortant plutôt que de préserver le discours électoral (Draft Comittee Report, The Washington Post, 2023).

Un règlement proposé par la Twitter Safety Policy team visant les messages qui incitaient indirectement à la violence («coded incitement to violence» CIV) n’a pas été retenu par les dirigeants, considérant que les messages visés pouvaient être interprétés dans un autre contexte. Le supposé règlement portait notamment sur ce message: «stand back and stand by». Il avait été utilisé par le président Trump pour s’adresser plus tôt dans l’année au groupe d’extrême droite Proud Boys connu pour ses idées fortes et ses comportements violents. Peu de temps après, cette expression était devenu le cri de ralliement de groupes de supporters Trump sur Twitter.

Twitter a pris l’initiative d’écouter les signalements déposés par des organisations comme Fair Fights luttant pour des élections justes aux États-Unis. Ces tweets, directement liés à l’incitation à la violence au nom d’une élection truquée, ont reçu des avertissements mais n’ont cependant pas été retirés. Pour Twitter, ces messages restaient dans le cadre de la liberté d’expression et n’avaient en aucun cas dépassé les limites du règlement.
Twitter montre ici des signes de relâchement quant à la gestion des messages haineux et de la désinformation.

Un rapport de la MDPI révéla qu’afin d’éviter les signalements, des hashtags contenants des fautes étaient utilisés massivement. Des tweets relatifs aux suspicions de corruption des Biden utilisaient majoritairement le #bidencrimefamiily plutôt que #bidencrimefamily. Cela devait déjouer les mesures mises en place par le règlement de la plateforme tout en ralliant les supporters autour de théories conspirationnistes.

@realDonaldTrump sur Twitter

Le 19 décembre 2020, Trump écrivait : «Big protest un D.C. on January 6th». Par la suite, le nombre de tweets utilisant les CIV «locked and loaded» et «civil war» ont augmenté de manière exponentielle.

Selon un ancien employé de la plateforme, il a fallu attendre l’attaque du 6 janvier 2021 pour que Twitter demande à la Safety Policy team de mettre en place en urgence la CIV Policy. Cependant, toujours incomplète dû à son blocage quelques mois plus tôt, son application était imparfaite.

Au Capitol, les attaquants documentaient leur avancée sur Twitter, obligeant les responsables de la modération à supprimer/bannir en direct les contenus et hashtags problématiques. D’autres hashtags, remontés dans les tendances, ont dû être déréférencé comme #CivilWar.

Une prise de conscience sur l’importance de la désinformation et de l’incitation à la haine ?

Donald J.Trump sur Facebook

Dani Lever confirme la suppression des contenus ayant comme la mention StoptheSteal dès l’instant de l’attaque ainsi que la suspension du compte de Donald Trump pendant 24 heures. Comme l’a annoncé Facebook, cela fut étendu à 2 semaines puis à une durée indéterminée. 

C’est finalement il y a un peu plus d’un mois, le 17 mars 2023, que l’ancien président fait son retour avec une vidéo et 3 mots : I’M BACK !


Facebook s’est engagé à renforcer l’obligation des administrateurs de groupes de vérifier les messages postés, à désactiver les interactions sur les posts provenant de groupes avec des taux élevés de discours haineux/violents et à déréférencer les contenus qui enfreindraient les règlements.

Après l’attaque, Twitter a suspendu le compte @realDonaldTrump (une première fois pendant 12 heures puis de manière permanente). Fin 2022, après l’arrivée d’Elon Musk à la tête de Twitter, son compte a été à nouveau débloqué. Plus de 70000 comptes ont été bloqués, des mesures ont été ajoutées à la Civic Integrity Policy, les comptes affiliés aux contenus conspirationnistes ont été déréférencés et certains sujets ne pourront plus apparaître dans les tendances.

Bien que les attaquants présents au Capitol ainsi que Donald Trump sont responsables de leurs actions, il est clair que les réseaux sociaux ont joué un rôle majeur dans la préparation en amont de cet évènement. Même si le January 6th Comittee a décidé de s’attarder sur la responsabilité de Trump, cette affaire aura été l’opportunité pour ces grands réseaux sociaux d’être mis face aux conséquences de leurs décisions.

Margot Brenier


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https://blog.twitter.com/en_us/topics/company/2020/suspension

Comment les deepfakes peuvent impacter la santé sur les réseaux sociaux ?

Vous avez déjà pu tomber sur la fameuse vidéo de Barack Obama insultant Donald Trump ou encore sur celle de Zelensky diffusée sur une chaîne d’information officielle ukrainienne. Certains adeptes du deepfake, s’amusent à inventer des visages qui n’existent pas, à parler à la place de personnalités publiques…

Cependant, l’usage du deepfake souligne des risques en termes de droits à l’image et désinformation de masse.

https://youtu.be/cQ54GDm1eL0?t=23

Le deepfake consiste en la création de photos, d’audios ou de vidéos utilisant le visage d’une personne existante ou non, rendus crédibles grâce à l’intelligence artificielle. Contraction de Deep Learning et fake, cette technologie repose sur les GANs (Generative Adversarial Networks), produisant un contenu très réaliste.

Le champ des possibles du deepfake s’élargit. Du visage d’une personne sur le corps d’un autre, à la création d’une personne qui n’existe pas ou encore à la possibilité de prendre l’apparence d’une personne sur une vidéo et de « cloner » sa voix, le Deepfake ne cesse de gagner en réalisme.

Cependant, nous pouvons nous interroger quant aux dangers auxquels les internautes sont exposés via l’utilisation de cette technologie. Rappelons que le premier Deepfake a été publié sur Reddit, plateforme sur laquelle un utilisateur mettait en scène des célébrités comme Natalie Portman ou Jessica Alba dans de fausses vidéos pornographiques. Une entrée plutôt fracassante…

Cette technologie est d’autant plus répandue par l’usage des réseaux sociaux et pourrait fortement nuire à la santé de tous.

De ludique à politique, comment peuvent-ils impacter la santé via les réseaux sociaux ?

L’impact sur le secteur de la santé

Commençons par l’aspect négatif :

L’influence des deepfakes sur la santé commence à préoccuper les experts.

Certains deepfakes sont utilisés pour compromettre la confidentialité des données de santé des patients. Les cybercriminels peuvent ainsi publier sur les réseaux des enregistrements vocaux ou des vidéos semblant provenir de professionnels de la santé ou autorité comme l’OMS mais qui sont en réalité des pièges à clics. Les risques sont qu’ils y fassent fuiter les données personnelles des malades.

D’un point de vue purement médical, une vidéo peut, par exemple, être diffusée et faire croire que quelqu’un a été guéri d’une maladie via un traitement spécifique. Un politique peut sembler dire ou agir à l’opposé des recommandations de santé publique…

Ces pratiques peuvent pousser à adopter des comportements préjudiciables, conduisant, qui plus est, à des fraudes à l’assurance maladie et des perturbations des soins de santé.

Par conséquent, il est important que les utilisateurs des réseaux sociaux soient conscients de la possibilité de deepfakes médicaux et qu’ils vérifient toujours l’authenticité des informations avant de les partager.

De surcroît, l’augmentation de deepfakes aux visages « parfaits » sur les réseaux va de pair avec l’accroissement du taux de chirurgie esthétique.

« En moyenne, sur cette tranche d’âge (18-34 ans), la proportion de femmes qui poussent les portes des cabinets de chirurgie esthétique est de l’ordre de 80%. »

Chirurgie esthétique : favorisée par les réseaux sociaux, la tendance explose chez les jeunes (rtl.fr)

Heureusement il n’y a pas que du mauvais au deepfake :

Parfois le trucage de voix peut être utilisée à des fins positives. La voix pouvant être trafiquée, certaines communications du secteur de la santé pourrait mieux « passer » aux yeux des utilisateurs.

« Si l’on prend l’exemple d’une campagne de santé publique, avec 2-3 % de personnes convaincues en plus, les Deepfake peuvent sauver des vies. »

Deepfake, entre réel progrès et enjeux éthiques (bpifrance.fr)

Par ailleurs, la langue des signes n’étant encore que très peu répandue, en particulier sur les réseaux sociaux, les deepfakes pourraient améliorer le quotidien de personnes atteinte de mutisme. Leur message pourrait avoir plus d’impact et entraîner plus d’engagement.

De plus, les deepfakes pourraient contribuer aux progrès de la science. Un des exemples relevés serait leur capacité à repérer des organes malades au travers de la radiographie, aidant ainsi les médecins à effectuer un diagnostic. Les réseaux sociaux pourraient alors y développer la diffusion de ces savoirs (pour les étudiants en médecine par exemple).

Images d’IRN générées grâce aux GANs

L’impact sur la santé mentale

Commençons à nouveau par le négatif :

Les deepfakes peuvent également avoir un impact sur la santé mentale des gens sur les réseaux sociaux.

Une personne peut être victime de cyberharcèlement et voir sa réputation salie par du deepfake utilisant son visage dans un contexte faux et défavorable. Ces risques touchent principalement les femmes pouvant être victimes de Revenge porn. Cependant, certaines victimes doutent de leur statut avançant qu’elles n’étaient pas réellement présentes sur ces vidéos et guérissent difficilement de ce traumatisme.

Par ailleurs, les deepfakes peuvent conduire à une usurpation d’identité de la part de cybercriminels se faisant passer pour d’autres via des notes vocales crédibles. Cette situation provoque une perte de confiance et instaure un climat de « paranoïa » .

D’autre part, il est désormais facile pour les utilisateurs de se créer une « fausse vie » et de « faux attributs physiques », qu’ils partageraient sur les réseaux sociaux. Des biais raciaux, sexistes et des critères de beauté « standards » inatteignables y sont, d’ailleurs, cachés sous la table. En effet, les deepfakes ont souvent tendance à blanchir, rajeunir ou vieillir les utilisateurs, à donner des traits plus fins pour une femme et inversement pour les hommes. Cette théologie de la perfection physique prônant le transhumanisme enferme les users dans un carcan de mensonges, complexes et de frustrations.

Le feed d’un jeune se voit donc de plus en plus lisse : une jeune femme magnifique dans un paysage de rêve alors que tout s’avère souvent truqué (fond vert). Cette surexposition constante au « parfait » pousse certains utilisateurs à ne plus se reconnaitre et à accepter leur faux visage à mesure que leur taux de likes augmente. Ce qui induit des troubles en termes de définition et limites de soi avec la question suivante : « Où s’arrête le vrai Moi, où commence mon faux personnage ». Pas étonnant que le taux de chirurgie esthétique augmente….

« Chaque fois que j’obtenais un “j’aime” sur une photo, je sentais ces endorphines comme si c’était moi, comme si quelqu’un que je connais aimait une photo de moi »

https://leclaireur.fnac.com/article/220141-apres-les-vraies-fausses-vies-sur-les-reseaux-sociaux-place-aux-vies-truquees-grace-a-lia/

Mais l’aspect positif donne un brin d’espoir :

Avez-vous déjà entendu parler de la Deepfake Therapie ? Une étude publiée dans la revue Frontiers in Psychiatry a mis en avant deux victimes d’agressions sexuelles dialoguant sur la plateforme Zoom avec leur faux agresseur, en présence de leur thérapeute. Elle s’est avérée fructueuse puisque l’une des victimes a vu ses stress post-traumatiques diminuer en une semaine. Précisons que l’agresseur s’exprime « avec empathie sans chercher à revictimiser le patient » . Ce type de plateforme existe déjà notamment DeepTherapy.ai, dans laquelle certains endeuillés parlent avec un défunt. Il faut cependant savoir limiter son utilisation car en faussant le vrai, certaines séquelles peuvent subsister. Cette pratique pourrait s’étendre de la médiation pour le divorce au harcèlement des enfants.

Certaines personnes n’arrivent pas à tourner la page concernant une personne étant donnée la visibilité que donnent les réseaux sociaux et cette pratique pourrait fortement les aider.

Conclusions et résolutions qui en découlent

Les deepfakes constituent donc le sujet emblématique des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle. Nous devons ainsi tenir compte de la portée de cette IA afin de protéger la santé de tous.

Heureusement, une réglementation vient encadrer les dérives des deepfakes.

Ainsi, l’utilisation de deepfakes pour tromper les internautes sur l’identité d’une personne peut être punie par la loi.

Aux États-Unis, par exemple, le Congrès a adopté la loi de lutte contre la cybercriminalité (Cybercrime Enforcement Act) en 2019, qui criminalise la production et la distribution de deepfakes dans le but de tromper ou de nuire à une personne. La loi impose des peines allant jusqu’à 10 ans de prison.

En France, les deepfakes peuvent être considérés comme de l’escroquerie ou de l’usurpation d’identité, voire de la diffamation, selon la loi sur la liberté de la presse. Ainsi, un deepfake non mentionné comme tel est illégal. La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information permet de stopper la diffusion massive de désinformation.

Au niveau européen, le projet de règlement sur les services numériques (« Digital Services Act ») prévoit des mesures pour lutter contre les risques systémiques découlant des plateformes en ligne et moteurs de recherche, en particulier contre tout effet négatif sur le discours civique.

D’autre part, la Commission européenne a publié un code de conduite européen renforcé pour lutter contre la désinformation. Le Conseil de l’Union européenne a adopté une résolution en 2021 appelant à une réglementation renforcée des deepfakes pour lutter contre la désinformation et les menaces pour la sécurité.

Enfin, plusieurs solutions ont été développées par les grands acteurs du numérique pour détecter et lutter contre les deepfakes, comme le Deepfake Detection Challenge de Facebook, AWS, Microsoft et Partnership in AI, ainsi que la plateforme InVID pour aider les journalistes à détecter les vidéos truquées.

Désormais, il est obligatoire de préciser si un contenu est Deepfake ou non.

Cependant, cette réglementation pose également des défis en matière de liberté d’expression et de droits de la personne, la ligne entre manipulation de contenu malveillant et parodie étant souvent floue.

Ce qui importe donc le plus est d’être conscient que les réseaux sociaux ne sont pas la vraie vie…

Chirel Darmouni.

Sources

Les nouvelles sources d’informations sur les réseaux sociaux : l’exemple d’HugoDécrypte

En 2015, alors qu’il est en première année à Sciences Po, Hugo Travers, dit HugoDécrypte, crée sa chaîne YouTube, qu’il présente comme un média qui se veut ouvert aux jeunes et informatif via un traitement journalistique de l’actualité. 6 ans plus tard, il est à la tête d’une entreprise de 25 employés postant quotidiennement des condensés d’actualités sur TikTok, Instagram, Twitch, Snapchat, Twitter et même Spotify sous format audio. Aujourd’hui, son média semble avoir conquis les jeunes audiences sur les réseaux sociaux, alors que de nombreux médias s’interrogent sur la façon dont ils pourraient capter ce public réputé fragile et désintéressé.

De nouvelles formes d’information

A seulement 25 ans, le média HugoDécrypte compte à ce jour 1305 publications sur Instagram pour 2.5 millions de followers, 1400 vidéos sur Youtube pour 1.89 million d’abonnés et 266 millions de likes sur TikTok, pour 4.2 millions de followers. Le média est devenu le media par excellence sur les réseaux sociaux. 

Le média HugoDécrypte s’engage à rendre accessible n’importe quel sujet au plus grand nombre. Ce principe de vulgarisation permet à un jeune de 14 ans de comprendre et de s’intéresser à des sujets d’actualité. Sur le fond, un sujet pourra donc tout autant intéresser un adolescent que quelqu’un qui maitrise déjà le sujet.

Le concept de la chaîne est simple : Hugo décrypte l’actualité et les sujets de société qui intéressent les jeunes, en utilisant des exemples concrets et des images pour illustrer ses propos. Ses vidéos sont courtes, souvent moins de dix minutes, et vont droit au but. Il aborde des sujets variés, allant de la politique aux nouvelles technologies, en passant par les enjeux environnementaux ou encore les phénomènes de société.

La force du média est la compréhension des stratégies et enjeux propres à chaque réseau social. Chaque réseau à ses codes, son public est ses modes d’utilisation. Le média propose une réflexion stratégique sur les contenus qui seront diffusés. Sur Youtube, on retrouve les « Actus du jour » (entre 10 et 15 minutes d’infos par jour) ainsi que des reportages. Le vidéaste détient également une chaine secondaire à 900K abonnés sur lesquels il poste des grands formats, reportages, débats… Sur Instagram, il privilégiera des formats écrits (carrousels) intuitifs et visuels ainsi, que des courts extraits pour les Reels. Sur TikTok, il postera des formats courts et impactants. Le média compte également un compte Twitter et une chaîne Twitch sur laquelle Hugo anime un talk-show tout les mercredis.

Enfin, le fait de passer par ces canaux d’information renforce le degré de transparence entre le média et les consommateurs. Le manque de transparence sur la manière dont les médias traditionnels diffusent les informations leur est souvent reproché. Chez HugoDécrypte, les personnes qui suivent le média peuvent facilement faire un retour sur les contenus. Cela participe au maintien de la confiance envers le média.

Capter un public jeune et défiant par l’horizontalité 

Selon le 35ème baromètre de confiance dans les médias publié en janvier 2022 par Kantar & La Croix, la rupture entre la jeunesse française et les supports de radio, de télévision et de presse écrite s’accroît chaque année. Chez les 18-24 ans, l’intérêt pour l’actualité a chuté de 51 % à 38 % en l’espace d’un an. Cette jeune population estime également que certains sujets qui leur sont chers n’ont pas été assez traités par les médias traditionnels (comme le dérèglement climatique par exemple).

Ainsi, dans un contexte compliqué où l’actualité est négative, les 18-25 ans s’intéressent de moins en moins aux médias dits « traditionnels ». C’est là que les nouveaux médias, tels que HugoDécrypte, prennent de l’importance en s’implantant sur les réseaux sociaux où les jeunes se trouvent déjà. Ce qu’il représente correspond parfaitement à ce que les jeunes recherchent : des informations rapides, concises et expliquées par une personne sympathique de 25 ans. Alors que la fiabilité de l’information sur les réseaux sociaux était la principale source de méfiance, HugoDécrypte change la donne en se présentant comme fiable, transparent et pluraliste. Sa stratégie marketing est efficace; son public ressent une proximité et une spontanéité, alors que tout est en réalité minutieusement préparé. Selon Hugo Travers, le succès de son média repose sur la confiance mutuelle avec les internautes. En somme, cela pourrait être notre « pote ». Un « pote » que l’on peut peut retrouver sur la chaîne de Squeezie le lundi, puis sur sa chaîne le mardi en train d’expliquer le conflit israélo-palestinien.

Cette nouvelle façon de penser les médias, sur les réseaux sociaux, se caractérise par une approche horizontale. Contrairement aux médias traditionnels où l’information est diffusée de manière verticale, avec des experts et des journalistes diffusant l’information vers le public, les médias sur les réseaux sociaux impliquent davantage les utilisateurs dans la production et la diffusion de l’information. Les réseaux sociaux permettent une interaction directe entre les producteurs et les consommateurs, offrant ainsi une approche plus démocratique et collaborative. Cette approche permet aux utilisateurs de partager leur point de vue, de poser des questions, de discuter et d’interagir avec les autres utilisateurs, créant ainsi une communauté d’intérêts autour du média et une nouvelle façon de s’informer. Bien que l’envie de transparence et de dialogue entre un média et sa communauté ait toujours existé, elle s’est longtemps heurtée à un modèle de diffusion descendant où le média transmettait l’information et le public la recevait. Avec l’avènement des réseaux sociaux, il y a davantage d’horizontalité dans les échanges. 

Un virage à emprunter pour les médias traditionnels

Ainsi, si l’on suit le modèle à succès d’HugoDécrypte, la digitalisation des contenus proposés est primordiale à la survie des médias traditionnels. Depuis quelques années, on observe ainsi la transition des médias traditionnels vers les réseaux sociaux. Même si les médias traditionnels ne sont pas voués à disparaître, de plus en plus investissent les réseaux sociaux. Par exemple, le Monde a très rapidement proposé ses contenus sur les réseaux sociaux : Snapchat, Youtube, Facebook Instagram et plus récemment TikTok. Aujourd’hui, Le Monde compte 1.7m de followers sur Instagram, 1.54m d’abonnés sur YouTube et 800k followers sur TikTok. Dès lors, celui-ci s’ancre dans l’esprit des jeunes de 18-25 ans comme un média moderne et dans l’ère du temps.

Les médias traditionnels comme la télévision, la radio et les journaux ont des relations complexes avec l’utilisation du big data et la façon dont l’information est numérisée. Cela est dû aux opportunités de croissance que cela peut apporter mais également au chamboulement de leur business model. Tout cela a un impact sur la façon dont l’information est produite, consommée et payée.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, la transition vers une nouvelle façon de fonctionner pour les médias est devenue presque nécessaire. Les médias doivent s’adapter à cette nouvelle réalité pour continuer à être pertinents et atteindre leur public. Cela implique des changements dans la façon dont ils produisent, diffusent et monétisent l’information.

Jean Pisanté


Bibliographie

Léa Iribarnegaray (20 Octobre 2020): « HugoDécrypte » et sa petite entreprise. LeMonde.fr. https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/09/22/hugo-decrypte-et-sa-petite-entreprise_6095649_4401467.html

Astrid-Edda Caux et Rita Faridi (12 Octobre 2018): HugoDécrypte en long, en large, et en Travers. La Péniche. https://www.lapeniche.net/hugodecrypte-en-long-en-large-et-en-travers/

Kati Bremme (20 Janvier 2022): Baromètre Kantar-La Croix : les médias attendus comme acteurs de la démocratie. Méta-Média.fr. https://www.meta-media.fr/2022/01/20/barometre-kantar-la-croix-les-medias-attendus-comme-acteurs-de-la-democratie.html

Léa Iribarnegaray (05 avril 2022): Jean Massiet, HugoDécrypte, « Brut »… Comment de nouveaux producteurs d’infos captent les jeunes sur les réseaux sociaux. LeMonde.fr. https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/04/05/jean-massiet-hugodecrypte-brut-comment-de-nouveaux-producteurs-d-infos-captent-les-jeunes-sur-les-reseaux-sociaux_6120599_4401467.html

Randa El Fekih (25 janvier 2023): Hugo Travers : « Seuls les médias qui réussiront leur transition en ligne survivront ». MediaConnect.com. https://mediaconnect.com/hugo-travers-seuls-les-medias-qui-reussiront-leur-transition-en-ligne-survivront/?lang=fr

Olivier Meier (05 juillet 2022): LES MÉDIAS TRADITIONNELS FACE À LA NUMÉRISATION DE L’INFORMATION. Management&datascience. https://management-datascience.org/articles/20406/

Randa El Fekih (25 janvier 2023): Hugo Travers : « Seuls les médias qui réussiront leur transition en ligne survivront ». MediaConnect.com.

Les bulles de filtre : une influence sociale et politique ?

Parmi les nombreuses critiques récentes issues de la presse occidentale du réseau social TikTok, revient souvent l’idée que l’application du géant chinois Byte Dance favoriserait la création de bulles de filtre, et ce bien plus que ses concurrents comme Facebook, Instagram, Twitter ou même LinkedIn.

L’existence des bulles de filtre

Concept souvent répandu au sein des presses presque lobbystes « anti réseaux sociaux » mais finalement assez peu démontré, la bulle de filtre est décrite par Eli Rider comme « l’état dans lequel se trouve un internaute lorsque les informations auxquelles il accède sur Internet sont le résultat d’une personnalisation mise en place à son insu ».

Ainsi, en utilisant diverses données collectées sur les utilisateurs, des algorithmes déterminent les contenus qui leur seront accessibles. L’expression « bulle de filtres » illustre l’isolement résultant de ce mécanisme : chaque utilisateur navigue dans une version unique du web, adaptée à ses préférences et créant donc une « bulle » personnalisée.

Stratégies d’audience et algorithmes

En conséquence de leurs modèles d’affaires centrés sur le contenu et la data, les grandes entreprises d’internet développent des stratégies d’audience reposant sur la hiérarchisation des pages web dictée par l’implémentation d’algorithmes, comme le Page Rank de Google, qui offre plus de visibilité aux pages les plus citées, liées et commentées. Et l’on retrouve également ces mêmes types de stratégies sur les réseaux sociaux.

Dans A quoi rêvent les algorithmes ? , Dominique Cardon explique que « les calculateurs reproduisent l’ordre social ».

Ces algorithmes trient et hiérarchisent les informations, sans que l’on sache précisément leurs composantes techniques. Ces actions ont des visées commerciales, en présentant aux utilisateurs des publicités adaptées à leur profil. On assiste donc à une « personnalisation » de l’information.

De plus, les algorithmes renforcent la culture du « winner takes all » : grâce aux recommandations, plus un contenu est vu, plus il sera suggéré à d’autres utilisateurs. Celui-ci entre alors dans un cercle vertueux (ou vicieux ?), au détriment des autres contenus qui sont complètement négligés. C’est pour cette raison que les algorithmes ont tendance à rendre certaines informations invisibles. Et ces derrière ces deux concepts que se cache celui de la chambre d’écho, au cœur du débat sur les bulles de filtre. Cette notion fait référence à l’idée que les réseaux sociaux, en créant un environnement cognitivement homogène, nous renvoient une image emprisonnant de nous-mêmes, validant ainsi nos opinions et croyances préexistantes et annihilant notre libre arbitre.

Renforcement de l’entre-soi idéologique et fragmentation de la réalité sociale

Ce constat un tant soit peu dramatique est susceptible d’entraîner des conséquences directs sur la politisation des individus. L’entre-soi idéologique serait donc favorisé par Internet et plus particulièrement par les réseaux sociaux. Les forums tels que « jeuxvideo.com » sont connus pour abriter une communauté d’extrême droite ou de droite radicale, créant une chambre d’écho où ces idées sont renforcées. Les utilisateurs opposés à ces idéologies évitent généralement ce site, ce qui explique le faible nombre de signalements. En revanche, Facebook et Twitter rassemblent des communautés et opinions diverses, ce qui peut entraîner des confrontations idéologiques et plus de signalements de contenus discriminatoires. De plus, les algorithmes de recommandation sur des plateformes comme Instagram ou TikTok maintiennent ces bulles en utilisant les traces numériques telles que les likes, les re-visionnages ou les commentaires sur du contenu d’extrême droite par exemple. Le contenu suivant sera alors influencé par ces traces. Cela conduit à une information biaisée, concentrée sur des thématiques réactionnaires, identitaires, racistes ou xénophobes.

En fin de compte, les individus se retrouvent dans une réalité fragmentée, contribuant ainsi à la segmentation de la société. Les groupes sociaux continuent d’exister sur Internet et l’idée d’un internet en dehors du monde est illusoire. Les nouvelles technologies ne modifient pas fondamentalement les rapports sociaux hors ligne. Les conflits et dynamiques sociales existent indépendamment de l’Internet. Les individus ont une existence sociale qui dépasse le contexte en ligne et leur comportement sur Internet est souvent influencé par leur réalité sociale et leur identité en dehors de la sphère numérique. Cependant, cette existence sociale est renforcée par ces réseaux. Pendant les années 2015 et 2016, marquées par une vague d’attentats terroristes en France, le nombre de signalements de contenus haineux en ligne a connu une augmentation significative. Les catégories de contenus les plus signalées étaient celles impliquant des « provocations publiques à la haine et la discrimination raciale, ethnique ou religieuse », des « apologies de crimes de guerre et contre l’humanité », ainsi que des « injures ou diffamations xénophobes ou discriminatoires ».  Cette corrélation entre les événements majeurs tels que les attentats et l’augmentation des signalements démontre en partie que les réseaux sociaux peuvent refléter voire amplifier les phénomènes sociaux qui se produisent à l’extérieur comme en témoigne l’augmentation des rixes mortels entre jeunes dans les quartiers populaires.

Au-delà des limites des bulles de filtre : la démocratisation de l’espace public

Ce constat ne doit cependant pas devenir dogmatique car Internet reste selon Dominique Cardon un des meilleurs moyens de démocratisation  de l’espace public. Dans La démocratie Internet, Internet est décrit comme le moyen d’un élargissement de l’espace public, favorisant sa démocratisation. L’auteur soutient que l’apparition de nouveaux acteurs dans l’espace public a entraîné la levée des obstacles qui bloquaient l’accès à la parole, et a multiplié des formes des expressions publiques plus subjectives, personnelles et privées via les réseaux sociaux.

« Internet pousse les murs de l’espace public, tout en enlevant le plancher ».

Internet a bouleversé la hiérarchie des émetteurs de savoir et de vérité, autrefois presque incontestable dans les médias de masse traditionnels. Aujourd’hui, l’autorité ne repose plus uniquement sur quelques institutions médiatiques établies, telles que les journaux, les chaînes de télévision et les radios. Internet a permis à n’importe qui de devenir un émetteur potentiel de savoir et d’informations. Les plateformes en ligne, comme les blogs, les réseaux sociaux et les sites web indépendants, offrent à chacun la possibilité de partager ses idées, opinions et connaissances avec un public potentiellement mondial. Cette démocratisation de la production de contenu a donné lieu à une multitude de sources d’information accessibles aux individus, renforçant en théorie l’idée de neutralité globale des réseaux. Cela remet en question les médias de masse, les nouveaux médias étant perçus à différents moments comme une avancée, une libération des formes de communication traditionnelles, favorisant une meilleure interconnexion entre les individus et un nouveau lien social.

Fractures informationnelles et polarisation du paysage médiatique

Si le marché de l’information s’est profondément transformé avec l’émergence des réseaux, les médias traditionnels restent assez consommés en particulier en France. Il semble donc intéressant d’analyser la polarisation de l’espace médiatique français pour comprendre les fractures informationnelles auxquelles contribuent les bulles de filtres des nouveaux médias.

Selon un rapport publié par l’Institut Montaigne, Bruno Patino, Dominique Cardon et Théophile Lenoir affirment que le champ médiatique en France est structuré selon un axe vertical, avec d’un côté les médias du centre et de l’autre les médias périphériques, tandis qu’aux États-Unis, il est polarisé selon un axe gauche droite horizontal. Cependant, quel que soit le pays, les réseaux sociaux proches du centre sont utilisés par une population d’individus diplômés de l’enseignement supérieur : « C’est en fait un monde social qui élargit le champ des dominants : hommes politiques, journalistes, urbains, etc. ».

Ainsi, cette polarisation se répercute sur les réseaux sociaux. Dans les médias du centre, les plus institutionnalisés, dont Twitter et Facebook sont relativement proches, la circulation de l’information fonctionne différemment que dans les espaces les plus éloignés de ce centre. Une fraction de la population se voit exclue de l’espace public prédominant où elle forge sa relation avec le monde, en s’opposant aux médias centraux. Les « fake news » résultent alors d’une opposition sociale entre le public central et le public périphérique. Pour qu’une fausse information soit crédible, elle doit être soutenue par une personne ayant une certaine autorité. Ce phénomène, appelé « blanchiment d’information » développé par Dominique Cardon, implique que des personnalités influentes légitiment cette information. Les « fake news » ne peuvent se propager que si des individus y croient, les diffusent, les ciblent et les adaptent pour les intégrer à l’agenda médiatique, souvent en créant une communauté. Les milieux d’extrême droite identitaires utilisent principalement cette tactique en diffusant des informations exagérées, manipulées ou sorties de leur contexte, renforçant ainsi les bulles de filtres et confortant leurs partisans. Et on assiste de plus en plus à un glissement dangereux de certains médias et réseaux sociaux.

Une influence palpable pour qui ?

En conclusion, Internet et les réseaux sociaux reflète nos comportements dans le monde réel en les modifiant légèrement. Si un individu évolue dans un environnement socialement homogène, fermé ou de niche comme les mouvements identitaires, la « bulle » aura une influence significative amplifiante. Nonobstant, beaucoup de progrès techniques offrent désormais la possibilité aux individus même marginalisés de retrouver leur libre arbitre par un contrôle technique des filtres.

Mais pour la majorité de la population, il est compliqué de prouver que les réseaux sociaux via les bulles de filtre emprisonnent les individus. Les réseaux sociaux formeraient en fait une multitude de communautés où les informations circuleraient entre elles via les liens faibles augmentant ainsi la neutralité. En outre, l’irrationalité psychologique des individus est telle qu’il est difficile d’affirmer avec certitude que les propositions de contenu des algorithmes exercent une grande influence sur nos comportement sociaux et politiques, pour une majorité modérée aux sources informationnelles diverses en tout cas…

Bibliographie

  • Dominique Cardon : A quoi rêvent les algorithmes ?
  • Dominique Cardon : La Démocratie d’Internet
  • Institut Montaigne : Bruno Patino, Dominique Cardon et Théophile Lenoir
  • ENS Lyon
  • Wikipédia
  • Le Monde
  • Le Bilan
  • Le Figaro
  • Radio France
  • L’Obs
  • France Culture
  • Libération
  • Le Parisien
  • Le Journal du Net
  • La Gazette des Communes
  • L’internaute

Un article écrit par Jonathan Lévy Guillain

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