Les majors et les géants du streaming font du charme aux talents les plus en vogue ou prometteurs dans une bataille féroce pour capter l’attention du public.
Que ce soit dans l’industrie
du cinéma ou de la télévision, il est tout particulièrement lucratif d’être un talent
convoité par les temps qui courent. Les nombreux contrats annoncés en janvier
lors du Winter Press Tour de la Television Critics Association, grande messe
annuelle définissant les principales tendances télévisuelles de l’année à venir
aux Etats-Unis, en témoignent. C’est Amazon Prime qui s’est le plus démarqué lors
de cette édition en annonçant des contrats avec Steve McQueen (12 years a
Slave), Gael García Bernal (Mozart in the Jungle) et Diego Luna (Rogue
One : A Star Wars Story)[1].
Ces accords conclus avec des personnalités habituées du grand écran ont donc
été passés au nez et à la barbe des majors hollywoodiennes. Plus que cela, en octobre
dernier, David Benioff et D.B. Weiss, les créateurs de Game of Thrones, décidaient
de quitter le navire Disney pour embarquer sur celui de Netflix en renonçant à réaliser
la prochaine trilogie Star Wars. A grands coups de billets verts – plusieurs
médias américains portent à 250 millions de dollars le montant inscrit au contrat[2]
– la plateforme est donc parvenue à détourner le duo d’une des franchises les
plus populaires (et lucratives) de l’histoire du cinéma. Ces cas ne sont pas
isolés : de très nombreux artistes et cadres occupant des postes clés au
sein de majors ont été récemment démarchés par des services de streaming. En
octobre 2019, le LA Times publiait une animation synthétisant ce phénomène qu’il
qualifie « d’exode des talents ». On peut ainsi y voir représenter
les flux de personnalités que Netflix, Amazon, Apple et Hulu sont parvenus à
attirer dans leurs filets[3].
Produire du contenu attractif pour ne pas perdre pied face à la concurrence
Avec l’arrivée du numérique et la multiplication des écrans, certaines majors ont été poussées à créer leur propre plateforme de streaming pour s’adapter à l’évolution de la façon dont sont consommées les œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Avec le lancement de Disney+ et l’arrivée prochaine de HBO Max (la plateforme de WarnerMedia), la guerre du streaming s’intensifie et la bataille pour les talents se déroulent désormais tant le terrain du cinéma que sur celui des séries. Plus que jamais, les spectateurs sont confrontés à une multitude d’offres et à une abondance abyssale de contenu. Comment sortir du lot ? Comment attirer le consommateur dans les salles obscures ou l’inciter à s’abonner à son service ? Que ce soit sur grand ou petit écran, la bataille pour l’attention du public est plus que jamais d’actualité. Dans cette optique, studios et plateformes de SVOD conçoivent les talents comme de véritables avantages compétitifs, bien plus que de simples arguments marketing. La recherche de programmes de qualité se fait si forte et pressante que les talents viennent à manquer et l’ensemble de la filière se retrouve sous pression. Les rivalités entre cinéma, télévision traditionnelle et plateformes ne font que croître, les premières reprochant à la dernière d’aspirer les talents révélés par leurs soins[4].
Une compétition économique sur fond de conflits idéologiques
Pour attirer les talents, chaque camp fait valoir ses arguments et rapidement la compétition économique se transforme en débat d’idées. Un film est-il fait pour être visionné sur un écran de télévision ou de smartphone ? Telle est la question qui divise l’industrie du cinéma et les plateformes et sur laquelle chacune à une position bien définie. D’un côté, Hollywood argue que découvrir pour la première fois un film en streaming depuis son canapé ou dans les transports en commun amoindri l’expérience du spectateur et l’œuvre elle-même s’en retrouve desservie. En face, Netflix explique que son offre rend plus accessibles des films à tout un pan du public ayant moins la possibilité, le temps ou les moyens de se rendre dans les salles obscures. Interrogé cette semaine sur l’exposition du film The Irishman de Scorsese, Ted Sarandos, le patron de Netflix, expliquait ainsi que « l’audience pour The Irishman est aussi grande que ce qui aurait pu se faire au cinéma » avec plus de 40 millions de foyers ayant au moins lancé le film long de plus de 3h. Au-delà de la façon de consommer les films, ce sont aussi les méthodes de Netflix qui sont remises en cause. Pour les producteurs, conclure un deal avec le géant du streaming c’est aussi renoncer à son droit moral sur l’œuvre puisque la plateforme, en contrepartie d’une rémunération généreuse, en acquiert les droits globaux. Les médias traditionnels, télévision linéaire comme cinéma, se targuent donc de mieux respecter et mettre en valeur le travail des talents. Charlotte Moore, la directrice des contenus de la BBC déclarait ainsi récemment : « Nous ne voulons pas vous posséder. Vous disposez de votre programme et de votre propriété intellectuelle. »[5]. A l’inverse, certains talents préfèrent même se tourner vers les plateformes plutôt que vers les studios en espérant y trouver plus de liberté de création. Netflix et ses comparses, moins soumis à la pression de l’audience et du box-office, peuvent souvent se permettre de valider des projets plus innovants. Cette semaine, Ted Sarandos affirmait que Netflix était parti pour s’inscrire durablement dans l’industrie du cinéma en cherchant à remplir le vide créatif laisser par les studios dont tous les efforts se concentrent sur les quelques gros blockbusters garantissant leur survie. La plateforme pense pouvoir capter de l’audience en produisant des drames pour adultes et des comédies romantiques légères, genres tous deux mis de côté par les majors au profit de films de superhéros[6]. Netflix sait comment s’y prendre pour convaincre les personnalités convoitées de rejoindre ses rangs : la plateforme travaille vite, assure à l’œuvre une audience étendue et globale et est aux petits soins en mettant tout en œuvre pour que ses talents puissent travailler dans les meilleures conditions possibles, comme par exemple en leur fournissant du matériel de communication de pointe pour organiser des téléconférences[7].
Une guerre mettant en lumière l’amenuisement de la frontière entre cinéma et télévision
Maintenant que certaines majors possèdent leur propre plateforme de streaming, les contours de l’industrie deviennent de plus en plus flous et les talents y circulent beaucoup plus librement. Le genre sériel s’est considérablement transformé au cours de la dernière décennie pour se rapprocher du cinéma sous certains aspects : liberté narrative, qualité de production, augmentation des budgets, esthétique de l’image… Là où un temps on pouvait distinguer d’un côté les professionnels du cinéma et de l’autre ceux de la télévision, les talents naviguent maintenant en toute fluidité entre le grand et le petit écran. Le cinéma, longtemps perçu comme la discipline la plus noble, se retrouve de plus en plus concurrencer par les séries dont la qualité et la popularité ont sensiblement augmenté ces dernières années. On ne compte plus le nombre de réalisateurs ou stars de cinéma s’étant lancés dans des projets de séries. Les plateformes jouent bien sûr un rôle clé dans ce phénomène.
La concurrence entre services de SVOD et Hollywood pour conquérir les talents se joue donc tant sur le cinéma que les séries et revêt une dimension économique alimentée par des débats idéologiques. Les réalisateurs, acteurs, auteurs et autres personnalités convoitées contribuent un peu plus à redéfinir les contours de l’industrie à chaque contrat signé. Il devient ainsi de plus en plus compliqué d’opposer frontalement Hollywood aux plateformes de SVOD, les premiers devenant diffuseurs et les derniers producteurs. Toujours pris dans la tempête déclenchée par l’arrivée du numérique, l’industrie et ses acteurs, désorientés, continuent leur transition en s’accrochant à la seule bouée de sauvetage palpable qui semble pour l’instant émerger : les talents.
Marion Prunier
[1] https://www.lefigaro.fr/medias/la-guerre-des-talents-fait-rage-entre-hollywood-et-les-plateformes-20191223
[2] https://www.lefigaro.fr/medias/la-guerre-des-talents-fait-rage-entre-hollywood-et-les-plateformes-20191223
[3] https://variety.com/2020/tv/news/ted-sarandos-netflix-the-irishman-movies-animation-1203487543/?fbclid=IwAR3wT2cUfYFnRImclJ7ZAnpa8vspPHl0UIjlU29_SHlMLlMEre8BbrpS_y0
[4] https://www.lecho.be/entreprises/divertissement/hollywood-vs-silicon-valley-la-guerre-est-declaree/10112455.html
[5] https://www.indiewire.com/2020/01/tca-2020-winners-losers-winter-press-tour-1202204810/
[6] https://www.francetvinfo.fr/culture/series/netflix/les-createurs-de-game-of-thrones-renoncent-a-realiser-une-trilogie-star-wars-pour-la-plateforme-de-streaming-disney_3680393.html
[7] https://www.latimes.com/projects/la-et-netflix-job-report/