La vidéo à la demande (VOD) a révolutionné la manière dont nous consommons des contenus audiovisuels, dépassant pour la première fois en 2023 la consommation de contenu de façon linéaire (53% des contenus audiovisuels sont aujourd’hui consommés de manière délinéarisée contre 47% en linéaire*). Ce mode de consommation offre en effet une flexibilité sans précédent dans le choix et l’accès à des films, des séries et autres programmes. Pour rappel la VOD se divise en 2 modèles différents : la VOD à l’acte (TVOD), c’est à dire la location ou l’achat (EST) d’un contenu, permettant de le visionner moyennant un paiement unique, et la VOD par abonnement (SVOD), offrant un accès illimité à une bibliothèque de contenus moyennant un abonnement mensuel. Depuis la crise sanitaire, les plateformes de SVOD n’ont cessé de se développer jusqu’à aujourd’hui représenter plus de 88% du marché de la VOD**. Pour autant, la TVOD n’est pas à négliger puisque dans l’achat de contenu audiovisuel, elle s’est pour la première fois en 2022* imposée face au chiffre d’affaires des ventes de vidéo physique. Ainsi comment la TVOD réussit-elle à se démarquer face à l’explosion de la SVOD ?
Il est important dans un premier temps de préciser qu’au sein de la TVOD, Les dynamiques sont en train d’évoluer, en effet, même si la location représente encore 66,1 % du marché de la TVOD, contre 33,9% pour l’EST**, on assiste petit à petit à un développement de l’EST, puisqu’en 2023, on observe une hausse de 8,3% de ce marché, contrairement à la location qui elle stagne voire est en légère baisse (-0,3%)*
De plus, lorsque l’on s’intéresse plus précisément aux contenus consommés par les utilisateurs de TVOD, on peut voir que même si les contenus audiovisuels (fictions et animation) représentent la majeure partie des contenus disponibles (69%)**, les contenus les plus consommés sont les films et les DTV (notamment les films américains), qui totalisent 207,4M€ de chiffre d’affaires en 2022**. Ce qui peut sans doute s’expliquer par le côté plus attractif des contenus cinématographiques.
De plus, la TVOD est le catalogue de contenu disponible le plus exhaustif qui existe aujourd’hui. En effet, en 2022, 82 497 références étaient actives en TVOD (location et vente), contre 75 989 en 2021 (+8,6 %)**. Cela prouve que ce catalogue continue de s’étoffer au fil des années avec notamment les films et contenus audiovisuels de l’année en cours mais également des films de patrimoine restaurés par exemple. Cela permet ainsi au consommateur de visionner le film qu’il souhaite immédiatement sans être dépendant des catalogues des plateformes de SVOD qui acquièrent et perdent les droits des contenus très fréquemment. La TVOD a également l’avantage de proposer des contenus dits “frais” (6 premiers mois de l’édition vidéo.)
En effet, grâce à la chronologie des médias, la TVOD est la première façon de voir un film après sa sortie cinéma. Ainsi l’exclusivité incite les consommateurs à acheter le film. Cela a cependant l’inconvénient d’être étroitement lié aux succès des films en salle. En effet, lorsque l’on regarde le top 5 des contenus les plus achetés en VOD en 2022, 4 de ces films faisaient partie du top 5 box office de l’année 2022**. Ainsi il est arrivé que le manque de succès et plus généralement de films en salles engendre une baisse importante de la TVOD, comme ce fut le cas en 2021 lors de la crise sanitaire. Malgré tout, cette exclusivité est un argument de taille qui permet encore aujourd’hui à la TVOD de perdurer face au modèle de la SVOD voire de se développer à petit pas d’année en année
L’un des derniers avantages de la TVOD est qu’au contraire des plateformes de SVOD, celle si peut plus facilement d’organiser des périodes de promotions (au même titre que la vidéo physique) car il est plus facile pour ce modèle de rogner sur ses marges assez confortables pour générer davantage de ventes, ce qui est plus difficile pour les plateformes de SVOD qui peinent déjà à être à l’équilibre aujourd’hui.
Ainsi la TVOD tend à se maintenir voire se développer face aux plateformes de SVOD grâce à l’attractivité et l’exclusivité de ses contenus et grâce à un basculement des pratiques des acheteurs de vidéo physique vers toujours plus de digital. Néanmoins, cet équilibre semble fragile et peut vite être déstabilisé par des éléments extérieurs comme l’offre de films en salle mais aussi et surtout par un raccourcissement de la fenêtre d’exclusivité d’exploitation d’un film assuré par la chronologie des médias. Enfin son développement est aujourd’hui malheureusement assez négligeable face au mastodonte qu’est devenu le modèle de la SVOD.
Sources :
* Observatoire de la Vidéo à la Demande du 23 janvier 2024
S’il y a 10 ans les plateformes SVOD commençaient à faire leur apparition, aujourd’hui elles occupent une place importante sur le marché de l’attention et gagnent du terrain par rapport à la télévision classique et les autres médias traditionnels. Selon une étude d’Ampere Analysis (1), en 2023 la consommation en ligne a représenté 53% de la consommation vidéo, dépassant ainsi la consommation linéaire ( 47%) sur les 18-64 ans. L’écart est encore plus grand chez les 18-24 en France avec 83 % de la consommation en ligne contre 17% en linéaire et sur l’ensemble de la population dans les autres grands pays européens et aux États-Unis.
Netflix a annoncé la semaine dernière avoir dépassé son objectif pour le dernier trimestre de 2023 avec 13.1 millions d’abonnés supplémentaires et cumule désormais 260 millions d’abonnés à travers le monde. Ses principaux concurrents sont Prime Vidéo avec plus de 200 millions d’abonnés, Disney + avec 150 millions d’abonnés et Paramount avec 63 millions d’abonnés. Cette barre symbolique de 250 millions d’abonnés a pu être franchie en partie grâce à sa stratégie contre le partage de mots de passe et à la création d’une nouvelle offre moins chère avec publicité, offre avec publicité qui est maintenant disponible chez ses concurrents Prime Vidéo et Disney+. Mais dans le futur ces mesures vont atteindre leurs limites et pour les plateformes de streaming une diversification des contenus sera nécessaire.
Le marché de la vidéo à la demande est un marché très concurrentiel sur lequel de nouveaux entrants font régulièrement leur apparition. Avec une multiplication des offres d’abonnements disponibles et face à l’abondance des contenus, les utilisateurs sont souvent contraints de faire en choix concernant le service choisi. Ce choix se fait non seulement en prenant en compte leur enveloppe “loisirs” disponible qui se voit diminuer à cause de leur baisse de pouvoir d’achat, mais aussi en fonction des contenus disponibles.
Netflix et Prime Vidéo : au delà de la fiction
La fiction et le sport sont les deux types de contenus qui traditionnellement attirent les abonnés et cela semble être une des stratégies de diversification depuis plusieurs années déjà. En effet, nous avons tous vu Amazon gagner une bataille symbolique face à France TV pour la diffusion du quart de finale qui opposait Rafael Nadal à Novak Djokovic lors du tournoi de Roland Garros en 2022. Et le tennis ce n’est pas le seul terrain sur lequel le géant américain est allé afin d’élargir son parc d’abonnés. Depuis 2021, Amazon diffuse un paquet des matchs de la Ligue 1 et a déjà acquis les droits TV pour la période 2024-2029. Selon le baromètre de NPA conseil, le “Pass Ligue 1” est estimé à 1,7 millions d’abonnés et cela ne serait pas un investissement rentable pour la plateforme. En revanche, en Angleterre, au moment de l’acquisition des droits de la Premier League Prime Vidéo a vu une croissance de 35% de son parc d’abonnés (2).
En ce qui concerne Netflix, depuis son lancement la plateforme avait opté pour une stratégie différente concernant les contenus sportifs. Afin d’éviter de payer les droits de diffusion très élevés, Netflix avait opté pour la production des documentaires comme “Break Point” ou encore “Tour de France : au coeur du peloton” qui ont été dans le top des programmes les plus visionnés. De plus, pour se lancer dans le live streaming, la plateforme s’est concentrée sur l’organisation des événements comme la Netflix Cup durant laquelle des binômes des golfeurs et des pilotes se sont affrontés dans une course à Las Vegas en novembre dernier. Néanmoins, cette stratégie semble évoluer avec l’annonce la semaine dernière d’un accord de 5 milliards de dollars avec World Wrestling Entertainment pour la diffusion des principaux événements (3).
Sur un marché de l’attention sur lequel chaque acteur souhaite capter le plus les utilisateurs, un autre type de contenu est plébiscité par les plateformes : les jeux vidéo. En effet, les jeux vidéo ont la capacité d’augmenter le temps d’écoute, car à la différence de la fiction et des contenus sportifs, en dans la consommation des jeux vidéos, les abonnés ne sont plus des simples spectateurs et participent activement à leur expérience. Netflix s’est déjà positionné sur le sur ce type de contenus et a annoncé une croissance dans le taux d’engagement sur son offre des jeux vidéo notamment porté par le lancement de la trilogie Grand Theft Auto (4). La compagnie a déjà annoncé le développement des jeux vidéo à partir de ses franchises comme Squid Games, Mercredi ou encore Black Mirror.
Disney+ et Paramount, quant à eux, ne proposent pas actuellement de jeux vidéo. Étant donné que les deux studios possèdent d’importantes IP au vu de leur passé cinématographique, cette possibilité n’est pas à exclure dans les années à venir.
Quels autres contenus et fonctionnalités ?
Dans la poursuite de la croissance, une convergence médiatique pourrait apparaître sur les plateformes de streaming, car afin de garder leur parc d’abonnés et pour en acquérir de nouveaux, les offres devront se distinguer en termes de valeur perçue par les utilisateurs. Ainsi, il n’est pas impossible de voir de nouvelles fonctionnalités et d’autres types de contenus faire leur entrée chez Netflix, Prime ou Disney.
Selon une étude de Insider Intelligence (5), concernant le temps d’utilisation en moyenne, TikTok a dépassé Youtube (58 minutes par jour contre 48,7 minutes) et se rapproche de Netflix (62 minutes par jour). Or, les deux “poursuivants” de Netflix sont basés sur les contenus produits par les utilisateurs (UGC). Même si pour les plateformes de streaming ouvrir la possibilité aux abonnés de publier des contenus viendrait avec des réels enjeux de régularisation, cette hypothèse pourrait permettre d’accroître le temps d’attention. Le développement d’une telle fonctionnalité aurait d’autres avantages. D’un côté pour les plateformes qui sont déjà présentes sur les réseaux sociaux dans leur objectif de promotion et de communication, elles pourraient utiliser les mêmes contenus au sein de la plateforme et créer un engouement autour des programmes disponibles. D’un autre côté, pour les créateurs de contenus cela pourrait être un moyen de favoriser la création autour du service de streaming sur les médias sociaux et une nouvelle manière de monétiser les vidéos crées.
Aujourd’hui on peut voir des extraits des films ou séries défiler sur nos réseaux sociaux, mais très souvent même si l’on les enregistre, ils tombent dans l’oubli. La possibilité de les avoir au sein du diffuseur originel de la série peut nous permettre de l’ajouter à une liste des contenus que l’on souhaite regarder.
Un autre élément qui manque sur les plateformes de streaming et qui peut faire augmenter l’engagement, c’est le sentiment de communauté. En effet, n’est malheureusement pas possible de regarder ensemble ou d’échanger avec d’autres personnes passionnées par le même contenu au sein d’une plateforme. Or, en ayant la possibilité de le faire, notre temps d’utilisation pourrait augmenter.
L’essor du streaming et l’augmentation rapide des contenus audiovisuels en ligne, combinés à l’évolution de nos habitudes de consommation, ont radicalement transformé l’industrie du cinéma traditionnelle. Cette métamorphose a engendré un nouvel écosystème où les films sont diffusés via une multitude de canaux et génèrent des revenus de diverses sources. Selon Peter Broderick (producteur américain), nous sommes en présence d’un « Nouveau Monde de la Distribution« , qui se distingue par des coûts réduits, des stratégies personnalisées, des sources de revenus variées et un accès direct aux spectateurs.
Dans ce cadre, Internet occupe une place centrale dans la désintermédiation de l’industrie cinématographique, affaiblissant les intermédiaires traditionnels tels que les distributeurs et les exploitants, au profit d’une relation directe entre producteurs et consommateurs. Autrefois, la chronologie des médias, qui garantissait plusieurs fenêtres d’exploitation pour les films, permettait de segmenter les sources de revenus, de la sortie en salle à la diffusion en DVD, puis à la télévision payante et gratuite. Cependant, avec l’apparition des services de vidéo à la demande, de plus en plus proches de la sortie en salle, chaque fenêtre d’exploitation se rétrécit.
La chronologie des médias actuelle en France…
Initialement conçue pour protéger les salles de cinéma de la concurrence de la télévision, puis de la vidéo, la chronologie des médias avait pour objectif de garantir un équilibre dans le paysage audiovisuel. La France s’est distinguée en adoptant une approche singulière, tant au niveau européen qu’international, en édictant des textes contraignants. Ces derniers étaient d’abord intégrés aux cahiers des charges des chaînes publiques durant l’ère du monopole dans les années soixante et soixante-dix, puis inscrits dans la loi en 1982. Aujourd’hui, ces principes sont régis par des décrets découlant d’accords interprofessionnels.
En effet, la chronologie des médias est ponctuellement actualisée, pour tenir compte des usages qui émergent, de l’arrivée de nouveaux concurrents et de l’évolution du paysage audiovisuel. Révisée en 2018 puis en 2022, voici les grandes lignes de la chronologie des médias actuelle :
… et à l’international ?
Un bref tour d’horizon à l’étranger révèle qu’aucun autre pays au monde ne possède une réglementation aussi rigoureuse et précise que la France en matière de chronologie des médias. La directive européenne SMA accorde aux États membres la liberté d’appliquer des règles plus strictes ou plus détaillées que celles prévues au niveau européen pour les services relevant de leur compétence.
Cependant, la majorité des pays ont choisi de ne pas légiférer sur la question de la chronologie des médias. Certains pays européens, à l’instar de l’Allemagne, ont néanmoins adopté des dispositions législatives, bien que moins contraignantes. En Allemagne, par exemple, l’obtention d’aides publiques est conditionnée au respect de délais de diffusion spécifiques : six mois pour les services à la demande, douze mois pour les chaînes de télévision payantes et dix-huit mois pour les chaînes de télévision gratuites. Le Portugal dispose également d’une réglementation via un décret-loi datant de 2006, mais les dispositions de ce décret peuvent être modifiées dans le cadre d’accords entre les ayants droit et les diffuseurs.
En outre, dans ces pays, une œuvre qui ne sort pas en salle peut être diffusée directement à la télévision ou sous forme de DVD, ce qui n’est pas possible en France actuellement, risquant de perdre une part significative des financements prévus pour une sortie en salles. Cependant, la plupart des autres pays, comme la Grèce, l’Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark, la Roumanie, n’ont tout simplement pas de dispositions sur la chronologie des médias, tout comme aux États-Unis où la question de la diffusion est réglée contractuellement, film par film.
Les « petits films » souffrent-ils de la chronologie des médias ?
En 2013, le Bureau Européen des Unions des Consommateurs (BEUC) a souligné que la chronologie des médias en vigueur ne correspondait pas à la réalité du marché, en particulier en donnant la priorité à l’exploitation en salle malgré l’émergence des nouveaux canaux de distribution comme les services de SVOD1. Selon le BEUC, l’ordre chronologique des fenêtres d’exploitation nuit particulièrement aux films « modestes » dont les budgets de promotion sont limités. Ainsi, rendre les œuvres disponibles rapidement après leur sortie en salle serait plus avantageux sur le plan commercial.
L’ordre traditionnel de sortie des films est de plus en plus remis en question, comme le souligne Xavier Rigault, producteur français et co-président de l’Union des producteurs de cinéma. Selon lui, permettre à un film de sortir directement en vidéo pourrait contribuer à « décongestionner les salles » et à réduire le piratage des œuvres, un problème majeur actuellement au sein de l’industrie du cinéma. Actuellement, lorsqu’un film est retiré rapidement de l’affiche, il doit attendre quatre mois avant de pouvoir être diffusé en vidéo. Cependant, promouvoir cette « deuxième sortie » nécessite un nouvel investissement dans une campagne publicitaire, ce qui pose un réel défi pour de nombreux distributeurs. Cette difficulté est accentuée par le fait que la durée de vie d’un film en salle est courte, généralement entre 10 et 15 jours, en raison du nombre important de films sortant chaque semaine, d’autant plus que les blockbusters américains laissent peu de place à la diversité.
Qu’est-ce qu’une œuvre cinématographique en 2024 ?
La salle de cinéma a longtemps représenté le principal lieu d’exploitation des films, étant même déterminante dans la définition d’une « œuvre cinématographique », qui est officiellement reconnue comme telle une fois qu’elle a obtenu un visa d’exploitation, lequel nécessite une diffusion en salles.
Cependant, de nos jours, de plus en plus de diffuseurs produisent leurs propres contenus, parfois réalisés par des cinéastes renommés, qui suivent les mêmes codes que les films traditionnels, mais sont diffusés exclusivement sur leurs plateformes de streaming, contournant ainsi le circuit traditionnel des cinémas. Cette évolution soulève la question de savoir si des films tels que « A l’Ouest rien de nouveau » (Edward Berger, 2022), « The Killer » (David Fincher, 2023), « The Power of The Dog » (Jane Campion, 2021), ou encore « The Irishman » (Martin Scorsese, 2019) doivent être considérés comme des œuvres cinématographiques, même si leur première diffusion se fait sur une plateforme de SVOD telle que Netflix. Malgré cela, ces films démontrent une qualité de réalisation, d’écriture et de technique qui les distingue davantage des téléfilms que des œuvres cinématographiques conventionnelles.
Cette question de classification suscite des débats, notamment lors de festivals de renom comme Cannes, où les films non destinés à sortir en salles en France ne sont pas éligibles à la compétition. En revanche, la Mostra de Venise a décerné le Lion d’Or à une production Netflix (« Roma » d’Alfonso Cuaron, 2018) et les Oscars ont récompensé en 2021 le dernier film de Jane Campion, « The Power of the Dog« .
Cependant, au-delà de cette question de désignation, se pose celle de l’accès aux mécanismes de financement de la production cinématographique. Il est donc crucial de déterminer si de telles œuvres peuvent bénéficier des aides financières du CNC, même si elles ne sortent pas en salles. De nombreuses voix plaident en faveur d’un assouplissement de l’obligation de première diffusion en salles, proposant que les films puissent obtenir leur statut cinématographique en étant diffusés directement en vidéo, ce qui pourrait favoriser une diversification des modes d’exploitation et une évolution du paysage cinématographique français.
Quel avenir pour la chronologie des médias ?
Face à l’évolution rapide des plateformes de SVOD, les autorités pourraient choisir une approche plus flexible en assouplissant les règles de la chronologie des médias, en renonçant à son caractère contraignant au profit de recommandations, éventuellement assorties d’incitations fiscales ou budgétaires. Cette tendance reflète celle observée dans de nombreux pays étrangers, où les ayants droit ont plus de latitude dans la gestion de la chronologie des médias, permettant ainsi une plus grande souplesse dans la diffusion des films. Cette approche favorise l’expérimentation et pourrait permettre de distinguer les approches bénéfiques à long terme de celles moins favorables.
Selon Jean-Yves Mirski, délégué général du Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), il y a une tendance à réduire les délais entre la sortie en salle et la diffusion sur d’autres supports. La sortie universelle, où un film est lancé simultanément sur tous les supports, est de plus en plus envisagée. Cette pratique n’est plus taboue, notamment depuis la sortie du film de Steven Soderbergh, « Bubble« , en 2006, qui est sorti au cinéma et sur la chaîne coproductrice HDNET, puis en DVD quatre jours plus tard. Des stratégies similaires sont de plus en plus courantes, comme la diffusion en VOD premium avant la sortie en salles de « Melancholia » de Lars von Trier en 2011, ou la mise à disposition gratuite sur YouTube du film « Home » de Yann Arthus-Bertrand dix jours avant sa sortie en salles, à la télévision et en DVD, qui a rencontré un réel succès auprès du public (à noter qu’il s’agit d’un film militant destiné à être vu par l’audience la plus étendue possible).
Cependant, bien que certaines expériences de diffusion simultanée sur plusieurs supports rencontrent un succès réel, elles restent exceptionnelles et résultent souvent d’un financement particulier ou d’une stratégie publicitaire spécifique.
Il est ainsi légitime de remettre en question l’intervention de l’État dans l’établissement de la chronologie des médias. Plutôt que d’imposer des règles, pourquoi ne pas laisser chaque acteur décider de ses propres règles en concluant des contrats avec les détenteurs des droits de films et les différents circuits de distribution ? En d’autres termes, serait-il possible de privilégier les mécanismes du marché, basés sur l’offre et la demande, plutôt que des décisions publiques dans le domaine de la chronologie des médias ? Les professionnels du secteur se verront confrontés à ces questions dans les années à venir, avec une nécessité de révision de la chronologie des médias envisagée d’ici début 2025.
L’année 2023 avait déjà marqué un tournant pour le streaming vidéo. Mais aujourd’hui, de nombreuses restructurations sont en train d’aboutir, entrainant une modification de l’industrie et de ses acteurs. De nouvelles orientations stratégiques émergent et chamboulent profondément les plateformes de streaming. Déjà bien établies, Amazon Prime, Disney+ et Netflix font souffler un vent nouveau sur leurs modèles, et poussent leurs concurrents et nouveaux acteurs à faire de même. Les business modèles sont redéfinis, et innovés pour permettre une rentabilité toujours plus forte, dans un contexte d’hyper saturation des contenus, et d’inflation.
Avec la « streamflation » (Pour L’Éco), la hausse des prix des abonnements aux services de streaming, il est primordial pour les grands acteurs, comme Netflix et Disney+ et leurs positions dominantes, de retenir leurs abonnés malgré ces hausses. En 2023, Netflix a subi une légère baisse de 3% dans son nombre global d’abonnés par rapport à 2022 (Capital). C’est dans cette dynamique que de nouvelles stratégies se développent.
La télévision et les télécoms : à la poursuite du streaming
Les chaînes de télévision s’imposent de plus en plus dans le paysage du streaming vidéo. Passant d’un modèle linéaire à un modèle non-linéaire, ils marquent leur présence dans un milieu déjà saturé par divers acteurs. Que ce soit Arte, France Télévisions, TV5 Monde… les chaînes de télévisions optent pour le streaming et s’adaptent à la transformation digitale. Via le replay des programmes ou la production de contenus originaux, ces acteurs traditionnels viennent à la conquête du numérique et proposant pour la plupart, des offres gratuites, reposant ou non sur la publicité : une manière de se différencier des grands acteurs du marché. Le lancement de TF1+, le 8 janvier dernier, apporte un nouvel air dans le streaming proposé par la télévision et repose, selon le PDG Rodolphe Belmer, sur une stratégie à double volet (Satellifacts). D’une part, la filiale de Bouygues vise à renforcer son positionnement dominant dans le secteur du linéaire. D’autre part, TF1 met l’accent sur le développement de son offre de streaming, en se concentrant particulièrement sur le divertissement et l’information, les deux principaux axes éditoriaux du groupe. La plateforme gratuite accessible sans abonnement arrive après la fermeture de Salto en mars dernier (Ibid), et vise à devenir la première plateforme de streaming gratuite en France et en Europe, accessible sur divers écrans et opérateurs à partir de mars 2024 (Le Figaro). TF1+ s’avère déjà être un franc succès pour la chaîne, avec une augmentation significative de son audience et une croissance de 70 % de ses utilisateurs quotidiens et de 80 % du nombre de vidéos visionnées, en comparaison à la même période de l’année précédente sur les mêmes plateformes. De plus, elle souligne le succès de son service TF1+, qui a attiré trois fois plus de nouveaux comptes créés depuis le 8 janvier par rapport à la moyenne de l’année 2023 (Satellifacts).
Les chaînes de télévision ne sont pas les seules à s’attaquer au streaming vidéo. L’opérateur télécom et le fournisseur d’accès à Internet, Free, a créé cette année, en mars 2023, sa nouvelle interface de VOD gratuite financée par la publicité (AVOD), accessible à tous les abonnés Freebox. Avec une offre proposant plus de 300 films et séries, Free tente de s’installer sur le marché du streaming en cannibalisant ses abonnés. Une nouvelle étape pour le monde des télécoms, et un nouveau concurrent pour les plateformes de streaming (CB News).
Dans ce paysage en constante évolution, où les frontières entre télévision traditionnelle et streaming vidéo s’estompent, les acteurs historiques et nouveaux venus se lancent dans une course stratégique pour l’innovation. Cette expansion rapide du marché du streaming, enrichie de modèles diversifiés et de stratégies dynamiques, ouvre la voie à un avenir où la créativité et l’adaptabilité définiront le succès dans un secteur de plus en plus concurrentiel.
Les contenus des plateformes : productions originales ou contenus sous licence ?
Netflix semble asseoir, encore et toujours, sa place de numéro 1 dans l’univers du streaming vidéo, laissant aux autres participants comme Disney et Warner Bros, des difficultés à s’assumer, et devant trouver de nouvelles stratégies pour fonctionner. En effet, bien que Bob Iger de Disney ait précédemment établi une comparaison audacieuse entre le prêt de contenu à Netflix et la distribution de technologies nucléaires à des nations du tiers-monde, il apparaît désormais que Disney trouve une nécessité financière dans les revenus générés par ces échanges de contenu (Variety). Récemment, Disney a conclu un accord avec Netflix, incluant le partage des droits de streaming pour « Grey’s Anatomy » et la licence de 41 autres séries à Netflix. Disney bénéficie ainsi de revenus de licence nécessaires pour ses projets de développement. Netflix, quant à lui, a une stratégie similaire, se concentrant sur le contenu sous licence qui représente une part importante de son temps de visionnage. Disney prévoit de réduire ses dépenses de contenu en 2024, se concentrant davantage sur les sports, tandis que « Grey’s Anatomy » devrait compenser la baisse de l’engagement en streaming (Ibid).
Imitant Warner Bros. Discovery, Disney a accru l’envoi de ses contenus, y compris d’anciennes séries HBO et de films de super-héros, à Netflix. Cette approche a transformé un déficit de trésorerie de 930 millions de dollars en 2021 en un excédent de 2 milliards en 2023. Actuellement, les studios favorisent les licences plutôt que de produire en masse du contenu original, avec 45% du visionnage Netflix basé sur du contenu sous licence en 2023. Disney prévoit de réduire ses dépenses en contenu, se concentrant sur les sports, ce qui limitera la création de nouvelles séries originales (Ibid).
Cependant, le géant américain du streaming aux lettres rouges, crée par Reed Hastings, a annoncé vouloir investir 17 milliards de dollars cette année dans la production originale de contenus, tout en adaptant sa stratégie initiale. Le nouveau but est de réduire la sortie à environ 25 à 30 films chaque année, au lieu de la cinquantaine de films produits dans le passé (L’Echo).
Dans cette ère de transformation stratégique, l’utilisation de contenus sous licence pourrait devenir la norme pour les plateformes de SVOD (Subscription Video On Demand). Cela permettrait non seulement de réduire les coûts, mais aussi d’assurer une rentabilité durable dans un marché de plus en plus concurrentiel.
La fusion des plateformes : une stratégie émergente
Face à la montée des prix, les plateformes de streaming cherchent à se regrouper pour devenir plus attractives. Un exemple notable est MyCanal, qui intègre divers contenus et plateformes dans ses offres. La cession de OCS, plateforme de SVOD d’Orange, à Canal+, tout juste approuvée par l’Autorité de la Concurrence, appuie le certain intérêt qui existe pour les services de streaming de proposer plusieurs offres dans leurs abonnements. Les fusions entre plateformes gagnent en popularité parmi les géants du streaming. En France, Amazon Prime a rejoint ce mouvement proposant à ses clients le Pass Warner, donnant accès au catalogue HBO, de Warner TV, d’Adult Swim, de Toonami, de Cartoon Network, de Discovery Channel, d’Eurosport ou encore de CNN propriété du studio Warner Bros. Ce principe de « bundler » des offres, regrouper plusieurs services dans une seule interface, croit de plus en plus au sein des stratégies du streaming vidéo. Récemment, Apple TV+ et Paramount+ sont entrés en discussions concernant la possibilité de proposer leurs deux services dans un package (Variety). Cette idée pourrait s’avérer être très bénéfique pour la plateforme de Apple, disposant d’un catalogue de contenus très réduit comparé à Disney+ par exemple. Le fait de proposer deux services en un apporte également une attractivité supplémentaire aux deux produits (Ibid).
Par ailleurs, la fusion envisagée entre Warner Bros. Discovery et Paramount Global dépasse la simple SVOD, visant un champ d’action plus large. Cette éventuelle fusion a pour but de consolider leurs actifs dans divers domaines comme la télévision, le cinéma, le sport et le streaming, pour se positionner face à des concurrents tels que Netflix et Disney. Une telle fusion permettrait également d’enrichir leur collection de franchises cinématographiques et de réseaux de télévision (Variety).
Dans ce contexte évolutif, il est plausible d’envisager un avenir où un modèle à la MyCanal prédomine, une plateforme unique offrant un accès à diverses options de streaming, là où aujourd’hui, les Français sont abonnés en moyenne à 1,9 plateformes de streaming (L’Opinion). Cette centralisation pourrait répondre à la saturation des plateformes de SVOD actuelles, tout en gardant à l’esprit que d’autres modèles, tels que les FAST(Free Ad-supported Streaming Television) et l’AVOD (Advertising Video On Demand), gagnent également en popularité et diversifient le paysage du streaming.
Le monde du streaming vidéo est entré dans une ère de transformation profonde, avec des acteurs majeurs redéfinissant leurs approches pour s’adapter à un marché en constante évolution. Alors que les fusions et les stratégies de contenu sous licence deviennent des leviers cruciaux pour la compétitivité, l’avenir du streaming pourrait révéler des collaborations et des innovations encore inédites. Cette dynamique laisse entrevoir un paysage du streaming en perpétuelle mutation, où adaptation et créativité seront clés pour captiver un public mondial de plus en plus exigeant.
Emma Bauchet
Références
“TF1+: devenir «la destination gratuite de référence pour le divertissement familial et l’info »” Satellifacts, 21 dec 2023.
« TF1+ : 1er bilan à 10 jours « couronné de succès » ; lancement sur la Freebox Pop le 22 janvier », Satellifacts, 19 Jan 2024.
La retransmission sportive est devenue de plus en plus prisée des chaînes gratuites et payantes pour réaliser d’importantes audiences, fidéliser les spectateurs et générer de substantielles recettes publicitaires.
Mais ce marché stratégique a aussi suscité l’intérêt des géants technologiques et les GAFA, Amazon et Apple, ont récemment consolidé leur présence sur ce secteur.
Selon une étude de l’ARCOM parue en 2022, l’audience moyenne annuelle des retransmissions sportives, qu’il s’agisse d’événements récurrents ou d’émissions, connaît une légère baisse sur les chaînes TV historiques de la TNT depuis 2014.
Cette tendance concomitante de la montée en puissance des nouveaux arrivants du secteur souligne une évolution du paysage médiatique, marquée par des dynamiques changeantes et des enjeux concurrentiels croissants.
Un marché de la retransmission sportive en mutation
La multiplication des éditeurs et l’arrivée de plateformes américaines à gros moyens, dont certaines, à l’image d’Amazon Prime Video, sont déjà bien établies sur le marché français de la captation sportive, ne cesse d’ébranler le marché global des droits TV en constante hausse depuis 2012 (+57% entre 2012 et 2019) selon l’ARCOM.
La diffusion des internationaux de tennis français reflète bien les mutations du marché.
Le tournoi, historiquement diffusé uniquement par les chaînes du service publique (France TV) a désormais, depuis 2019, ses sessions de nuit proposées par Amazon sur sa plateforme vidéo. Suite à la renégociation des droits en 2019, la FFT avait ainsi pu se réjouir d’avoir augmenté ses revenus issus des droits TV de « plus de 25% ».
Elle a toutefois suscité de nombreuses critiques sur la méthode utilisée pour atteindre ces recettes « d’environ 25 millions d’euros » avec les droits de diffusion (lot 2+ Co-diffusion ½ finales et finales) cédés à Amazon. On pense par exemple à la polémique autour du quart de finale opposant Novak Djokovic à Rafael Nadal diffusé uniquement sur Prime Video et privant de nombreux fans de tennis de suivre cette rencontre gratuitement.
On pourrait citer également le groupe TF1 qui a perdu au profit de Canal+ les droits de retransmission de la F1 alors qu’il en était le diffuseur historique jusqu’en 2012.
De même, W9, diffusa de 2010 à 2018 des matchs de la ligue Europa jusqu’à ce que le groupe payant RMC en reprennent les droits.
Sur un marché des droits sportifs aux tendances inflationnistes, les chaînes gratuites se font de plus en plus concurrencer sur la diffusion des compétitions majeures.
L’analyse de l’ARCOM, montre aussi une réelle érosion des heures de retransmissions sportives en télévision gratuite (cf. graphique).
Elle constate également une écrasante domination des chaînes payantes, sur le secteur de la captation sportive, en termes d’heures de diffusion malgré une diminution du nombre de chaînes payantes diffusant des programmes sportifs depuis plusieurs années. Ainsi, sur les 145 335 heures de programmes sportifs diffusés en 2019, 95 % sont proposées par des chaînes payantes (137 553 heures), contre 5 % par des chaînes gratuites (7 024 heures).
Cependant, les chaînes gratuites restent compétitives sur la diffusion sportive, portée par les chaînes du service public
Car, en dépit de la hausse des droits TV et de l’érosion constante des heures de retransmission sportive depuis 2016, les chaînes gratuites conservent les droits de diffusion des courts extraits d’évènements sportifs et bénéficient d’une liste de diffusion d’évènements sportifs d’importance majeur établie par la loi relative à la liberté de communication.
Par ailleurs, hors de ce cadre juridique, elles détiennent toujours des droits de diffusion stratégiques payants comme certains matchs attractifs de coupe du monde de football pour TF1 ou des matchs d’Europa League pour le groupe M6.
La chaîne thématique L’Équipe reste aussi très attractive pour les « fans » de sport avec de nombreux contenus sportifs (émissions, gala du ballon d’or, reportages, extraits de match et résumés) comme certains matchs de coupe du monde en phase éliminatoire, par exemple, ou l’intégralité de la ligue des nations, d’intérêt plus « secondaire ».
Laurent-Éric Le Lay, l’actuel directeur des sports de France Télévisons soulignait dans un entretien au journal Le Point en 2021 qu’au-delà de la loi précitée : « le sport a besoin d’être vu par le plus grand nombre ».
Même si la tendance globale à la baisse de la diffusion de contenus sportifs audiovisuels en télévision gratuite s’inscrit dans un mouvement plus global de baisse de consommation de contenus sur ces chaînes, les retransmissions sportives atteignent souvent des niveaux d’audience très élevés en télévision gratuite, notamment en « prime time ».
Les chaînes gratuites ont en effet, pour l’instant, une plus grande capacité à toucher une cible large que les chaînes et les plateformes payantes car elles touchent une audience moins spécialisée qui découvre ainsi de nouvelles disciplines sportives.
« …quand vous êtes diffusés sur une chaîne gratuite, vous avez des audiences incroyablement supérieures. Et parmi cette audience se trouvent des gens qui sont moins fans et qui découvrent de nouveaux sportifs et de nouvelles disciplines » (Le Lay, L-E)
Source : article de Rebucci, J. LePoint.fr
Elles se positionnent généralement sur des compétitions « événementielles » et développent un solide « partenariat avec l’organisateur de la compétition » et « les fédérations », pour toucher le plus grand nombre de spectateurs. La qualité de la relation entre les chaînes historiques et les ligues sportives professionnelles compte également dans cette course aux retransmissions sportives, les ligues cherchant les partenariats et les modèles de diffusions les plus adaptés à leurs sports et à leurs besoins.
Laurent Éric Le Lay, rappelle dans l’entretien mentionné ci-dessus que la valorisation d’événements « passe … aussi par la capacité des chaînes gratuites à réaliser divers reportages et émissions autour du sport et des athlètes concernés ».
Les chaînes payantes, visent ainsi plus fréquemment des compétitions à dimension « feuilletonnante » (ligue 1, Top 14) et une programmation régulière avec un objectif de fidélisation de leur audience.
Les chaînes gratuites restent compétitives sur la retransmission sportive mais à quel prix et pour combien de temps ?
La compétitivité des chaînes gratuites sur le marché de captation sportive reste cependant très liée à leurs capacités d’investissements et d’acquisitions de droits TV d’évènements sportifs qu’ils soient « secondaires » ou « premium ».
Mais les chaînes gratuites enregistrent des taux de croissance de leurs CA globalement peu dynamiques. Le groupe FTV enregistre une baisse de 9% sur la période 2012-2022, en raison de la baisse des dotations de l’État et des recettes publicitaires. Le taux de croissance des chaînes privées gratuites est en baisse de -2% depuis 2006. Les chaînes historiques TF1 et M6, ont vu leurs CA baisser constamment sur cette période. Cela s’explique, en partie, par une baisse du chiffre d’affaires publicitaire pour la grande majorité des groupes TV. Les chaînes historiques privées TF1 et M6 ont ainsi constatées une baisse de 23% de leurs recettes publicitaires depuis 2006 (-518 M €). Moins impacté, car dépendant à 80% des recettes publiques, le groupe France TV constate tout de même une diminution de 4% de ses recettes liées à la publicité sur la période (-137 M €).
Cette situation, surtout quand on sait que les chaînes privées dépendent à plus de 50% des investissements des annonceurs, (cf. Bilan financier des chaînes gratuites – 2022 – Arcom), si elle devait perdurer ou s’accentuer questionne la capacité future des chaines gratuites à investir encore sur du contenu sportif « premium » et pas seulement « secondaire » et dont la rentabilité n’est pas immédiate lors de sa diffusion.
D’autant que les plateformes GAFA comme Amazon deviennent de plus en plus attractives pour les annonceurs et acquièrent de nouveaux droits TV sportifs au détriment des chaînes gratuites françaises (mais aussi des chaînes à péage).
Valorisés à plusieurs centaines de milliards de dollars, les éditeurs numériques américains s’intéressent de plus en plus aux retransmissions sportives.
On les voit arriver sur ce marché, y compris en France, avec Amazon en tête de peloton.
Dès lors, l’effet de ciseau crée par la contraction des chiffres d’affaires des chaines gratuites suite notamment à la réduction des revenus publicitaires et la force de frappe économique des plateformes pourrait bien fragiliser à terme les chaines gratuites sur le segment de la captation des événements sportifs.
Face à la numérisation croissante des usages, les services de vidéos par abonnement américain sont progressivement intégrés aux modèles de financement du cinéma et de l’audiovisuel. Ceci est particulièrement vrai depuis l’actualisation de la directive SMA en 2018. Ce texte régit, à l’échelle européenne, la coordination des législations nationales couvrant tous les médias audiovisuels. Les États-membres de l’Union Européenne ont dû transposer le contenu de cette directive en droit interne avant septembre 2020.
Tandis que les précédentes versions de la directive concernaient les obligations des éditeurs nationaux, cette actualisation vient élargit le champ d’application aux plateformes de partage et de vidéos, aux réseaux sociaux, et au livestreaming. A l’échelle des États-membres, il existe des disparités d’application de cette directive. Tandis que certains États ont pris le parti de ne rien imposer aux services de SVOD, d’autres États comme la France ont signé des conventions historiques avec les plateformes de streaming américaines.
Les composantes et les objectifs de l’actualisation de la directive SMA
Dans la continuité de la directive SMA de 2007 et des modifications qui lui ont été apportées en 2010, l’actualisation de 2018 traduit la volonté de défendre une production audiovisuelle européenne.
Elle exige des pays membres qu’ils œuvrent, par les moyens appropriés, pour que les productions européennes soient majoritaires dans les émissions de télévision. Les États membres doivent par ailleurs encourager les organismes de radiodiffusion télévisuelle à inclure dans leurs programmations une part adéquate de coproductions européennes ou d’œuvres européennes originaires d’un autre pays. Les États membres doivent aussi veiller à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent au moins 10% de leur temps d’antenne et 10% de leur budget de programmation à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants.
De leur côté, les services de médias audiovisuels à la demande doivent favoriser la production et la diffusion d’œuvres européennes afin de promouvoir activement la diversité culturelle. Ce soutien aux œuvres européennes peut par exemple prendre la forme de contributions financières de ces services à la production d’œuvres européennes, ou à l’acquisition de droits sur ces œuvres. Ce soutien peut aussi se matérialiser par le respect d’un pourcentage minimal d’œuvres européennes dans les catalogues de vidéos à la demande, ou de la présentation attrayante des œuvres européennes dans les guides électroniques des programmes.
Tandis que la directive SMA impose des quotas d’œuvres d’origine européenne et d’œuvres indépendantes aux organismes télévisuels, elle encourage les plateformes à favoriser la production et la diffusion d’œuvres européennes, sans donner d’objectifs chiffrés. C’est pour cette raison que les transposition en droit internet des articles concernant les plateformes de SVOD diffèrent beaucoup d’un pays à l’autre.
Une inégale transposition de l’article 13(6) en droit interne
Tandis que de nombreux pays européens n’ont pas imposé de nouvelles obligations aux services de vidéo à la demande, certains pays comme la France sont rapidement entrés en négociations avec les plateformes américaines.
Le cas français
Les précédents textes législatifs consacrés aux SMAD – je pense ici au décret du 12 novembre 2010 relatif aux SMAD – encadraient uniquement l’activité des SMAD établis en France : les services de SVOD les plus populaires n’étaient donc pas concernés par ces textes. Netflix, Amazon Prime et Disney + sont désormais concernés par ces textes européens grâce à l’extension des obligations aux services établis dans d’autres pays.
Il est ainsi prévu que les services américains de vidéo à la demande par abonnement doivent consacrer 20% ou 25% de leur chiffre d’affaire réalisé en France dans des dépenses consacrées au cinéma et à l’audiovisuel français et européens. 85% de ces dépenses devront être consacrées aux œuvres d’expression originale française. Le décret prend aussi en compte la production indépendante en exigeant des éditeurs qu’ils consacrent une grande partie de leurs obligations d’investissement dans ces productions.
Ces investissement doivent majoritairement prendre la forme de préachats avant diffusion. Ils pourront aussi se matérialiser par des achats de droits de diffusion d’œuvres existantes ou à des restaurations d’œuvres de patrimoine français.
En contrepartie de ces investissements, les plateformes américaines ont obtenu une modification de la chronologie des médias. Les délais pour voir des films à la télévision ou sur un service de SVOD ont été réduits de 36 à 17 mois, voire 15 en cas d’accord avec le cinéma français – c’est le cas pour Netflix. Pour en savoir plus, ne pas hésiter à consulter l’article de Marc Le Roy pour l’INA.
Ce n’est pas la première fois que la France impose aux géants américains de financer le système de création audiovisuel national. La SVOD américaine paie également depuis 2018 la taxe vidéo – qui comprend notamment la taxe sur les entrées dans les salles de cinéma – qui alimente le budget du CNC. L’exception culturelle française se verra ainsi financer à hauteur de 200 millions d’euros supplémentaires en obligation d’investissement, et ce montant est voué à augmenter chaque année.
Et ailleurs en Europe ?
Selon Alexandra Labret, directrice générale du European Producers Club, la France est le pays européen le plus ambitieux, à ce jour, dans les obligations imposées aux plateformes de SVOD américaines.
Comme le détaille Variety dans cet article, l’Italie est aujourd’hui le seul pays qui tente d’imiter la France, mais pour l’instant sans succès. Aucun accord n’a été trouvé après des mois de négociations. Le pays a tout de même promulgué unilatéralement une législation en 2021 qui impose un quota d’investissement compris entre 12,5% et 20% des revenus locaux des plateformes.
Les producteurs italiens se battent pour empêcher les plateformes d’acquérir des droits d’auteur en négociant directement avec des acteurs locaux car ils veulent garder la main sur le développement des nouvelles créations italiennes. En outre, l’Italie a une fiscalité intéressante en matière de production puisque les producteurs locaux bénéficient d’un abattement fiscal de 30% sur ces dépenses. Netflix, en coproduisant avec des acteurs locaux, profite indirectement de cette fiscalité.
Les exemples français et italiens illustrent les innombrables spécificités des systèmes de financement de l’audiovisuel en Europe et matérialisent les difficultés d’application des textes européens.
Pour en savoir plus : L’observatoire européen de l’audiovisuel a mis en place un outil permettant de savoir quels pays ont transposé la directive SMA, et de quelle manière. Cette base de données est particulièrement précieuse pour comparer la façon dont différents pays ont transposé un article en particulier.
Une nouvelle manifestation du protectionnisme culturel français
Cette surtransposition du droit européen incarne parfaitement ce qu’on appelle l’exception culturelle française. L’exception culturelle garantit la survie d’un système d’aide et de protection, et permet de rester compétitif face aux géants américains. Ce système de redistribution semble encore avoir de beaux jours devant lui – dans le domaine culturel, en tout cas.
Cependant, on peut craindre que les plateformes s’accaparent les productions françaises et européennes. La création française sera-t-elle aussi riche et diversifiée dans 20 ans, quand les plateformes auront fait leur place dans le système de financement du cinéma français ? Faut-il craindre une homogénéisation des contenus ? L’influence des géants américains sur les contenus permettra-t-elle de faire revenir du public en salle ?
Le marché de la SVOD s’apparente à un oligopole à frange concurrentielle, comme pour beaucoup d’acteurs des industries culturelles. On retrouve quelques géants qui accaparent la majorité du marché alors qu’une quantité de petits acteurs se partage une part de marché très réduite.
Au rang de leaders mondiaux, on retrouve évidemment Netflix et ses quelques 230 millions d’abonnés révélés avec le rapport financier du dernier trimestre de l’année 2022, devant Amazon Prime et Disney+. Toutefois, c’est bien Walt Disney Company qui s’impose en tant que leader si l’on comptabilise les abonnés de ses 3 plateformes : Hulu, Disney+ et ESPN+.
Mais dans cet environnement ultra-concurrentiel et dynamique, quels seront les vrais leaders d’aujourd’hui et surtout, quels seront ceux de demain ?
Les États-Unis sont souvent utilisés comme point de comparaison afin de prévoir les tendances de marché. Les industries culturelles n’échappent pas à ce constat et l’économie de la SVOD non plus. En effet, bien que le déploiement et l’adoption de la SVOD soit un phénomène mondial, les différents marchés géographiques n’affichent pas tous la même maturité.
Étude du cabinet Parks Associates parue en 2022
Les plateformes de SVOD américaines, hégémoniques dans le monde, s’appuient toutes plus ou moins sur des studios de production, préexistants ou non, mais surtout sur des majors et/ou des activités parallèles comme les GAFAM Amazon et Apple, que d’autres tentent de compenser avec le déploiement d’une offre publicitaire.
Prime semble tenter de concurrencer tous les acteurs en capitalisant sur son propre studio, à la manière d’Apple et de Netflix, ainsi qu’à l’aide d’une major historique rachetée l’année passée, MGM (et sa plateforme, MGM+, ex-EPIX). Une stratégie qui semble porter ses fruits puisque le géant se positionne à présent en tant que leader sur le marché américain en termes d’abonnements et de streams.
Netflix, dans la lumière l’année passé face à sa chute d’abonnés, demeure néanmoins une marque importante et plébiscité dans le monde, notamment chez les jeunes et aux États-Unis. Les enjeux pour le géant semblent résider dans sa capacité à générer de la valeur face à des concurrents supportés par de grands groupes puissants auxquels il a répondu avec le déploiement d’une offre publicitaire.
Face à ces acteurs, Walt Disney s’impose également un peu plus grâce à sa franchise incontournable mais surtout ses trois plateformes distinctes (Disney+, ESPN+, Hulu) qui lui permettent en cumulé de s’imposer devant Netflix dans la course aux abonnés. Une véritable solution pour le groupe qui lui permet également de lutter contre la volatilité des jeunes abonnés, tout en leurs proposant une offre publicitaire sur ses plateformes Disney et Hulu qui disposent d’un bon taux de pénétration auprès des jeunes.
Autre membre des GAFAM, Apple et sa plateforme AppleTV+ affiche de bons résultats mais ne s’appuie ni sur des studios extérieurs au sien (malgré sa tentative d’achat de la société de production en vogue A24, en 2021 selon Variety) ni sur un modèle de publicité. Le géant du numérique, à la manière d’Amazon, peut néanmoins compter sur son importante activité de vente de terminaux audiovisuels, lui procurant un certain avantage de par sa présence sur la fin de la chaîne de valeur de l’audiovisuel.
Paramount+ semble également se positionner de manière intéressante dans cette course avec un modèle sans publicité pour le moment, à la manière d’Apple et Prime. Cet acteur dispose également de gros moyens financiers, d’une diversité et d’une innovation au sein de ses activités (lancement de la FAST FuboTv) au sein d’un groupe possédant à la fois un studio et des salles de cinéma via sa maison mère, National Amusement.
Autre gros acteur américain, HBO max, plateforme de Warner-Discovery, depuis leur fusion l’année passée, s’appuie à la fois sur une major de l’industrie et sur une offre publicitaire avec des contenus plébiscités dans l’industrie, réelle valeur ajoutée créative. Tout comme Peacock (la plateforme du groupe NBC-Comcast qui inclut notamment Universal studio et ses filiales telles que DreamWorks et Illumination Pictures) et Lionsgate+ (la plateforme du groupe et studio américano-canadien éponyme) qui fonctionnent selon le même modèle.
Enfin Youtube TV, également plébiscité chez les jeunes américains de la GenZ, donne un indice sur les futures tendances. La plateforme de Google, positionnée sur un contenu très différent, n’en demeure pas moins annonciatrice de changements plus profonds dans la consommation de contenus, nous orientant aussi vers la future place des réseaux sociaux dans l’économie du contenu ou des FAST, en pleine essor grâce aux TV connectées.
Le marché de la SVOD aux États-unis étant aujourd’hui considéré comme saturé, certaines tendances pourraient néanmoins continuer d’apparaître et bouleverser d’autres marchés géographiques.
Que peut-on en déduire pour la France, l’Europe et le reste du monde ?
La France
Le marché français de la SVOD, bien qu’ayant une maturité moindre par rapport au marché américain devient de plus en plus difficile à pénétrer. On retrouve, d’après JustWatch, les géants Netflix, Prime, Disney+ et, à moindre mesure, Apple TV ainsi que l’acteur local Canal+ qui renforce son marché avec le rachat récent d’OCS, illustrant l’échec des télécoms à s’imposer dans ce secteur. Salto, acteur du secteur a quant à lui définitivement quitté le marché, ne parvenant pas à faire briller l’alliance des chaînes TV des groupes Bouygues et RTL.
Le marché reste cependant mouvant dans ce secteur comme l’illustre le départ et le rachat évoqué ci-dessus. On note également l’arrivée express de Lionsgate+, déjà disparu de nos écrans tandis que Paramount+ a fait son grand lancement français fin 2022. HBOmax a décidé d’amorcer une arrivée en douceur sur le marché via un partenariat avec Prime video qui diffusera les contenus de la plateforme avec son offre Pass Warner dès le mois de mars prochain dans l’attente d’un potentiel lancement de manière indépendante pour l’année prochaine.
Face à ces nouveaux arrivants, Canal + semble tout de même en posture de consolider sa position. L’entreprise dispose en effet de son propre studio, porté par le groupe Vivendi, actif dans la presse (Prisma), la publicité (Havas), l’édition (Lagardère, Éditis) et plus récemment le jeu vidéo (Gameloft).
Reste toutefois des acteurs minoritaires tels que Mubi, SOFAVOD, La cinetek, Universcine ou FilmoTV (disponible via des offres de FAI) qui s’installent avec des offres de niche moins large à destination des cinéphiles.
Europe, Asie, Afrique
En dehors de la France et des États-Unis, les leaders du marché demeurent sensiblement les mêmes. Cependant, certaines plateformes telles que, DAZN, le “netflix du sport”, Showmax, la plateforme Sud-Africaine qui se classe en 3e position sur l’ensemble du continent Africain selon une étude de digital TV research ou encore Jio en Inde (avec Jio TV et Jio Cinema) tentent de se faire une place.
En somme
L’hégémonie américaine tend à se renforcer, s’implantant de manière autonome à l’aide d’acteurs américains déjà implantés ou via la collaboration ou la création de coentreprises avec des acteurs locaux. On peut continuer de s’interroger sur l’avenir de Sony dans cet écosystème. Bien ancré dans différents secteurs tels que celui du jeu vidéo, Sony incarne la dernière major américaine n’ayant pas encore éclos sur le marché de la SVOD, bien qu’elle propose une offre très limitée et Premium, Bravia Core.
Concernant le modèle économique, seuls Prime, Paramount et Apple ne proposent pas d’offre moyennant de la publicité. On peut supposer qu’elles y parviendront également progressivement. Cette alternative offrant à la fois un revenu complémentaire et une cible intéressante dans l’ère actuelle du phénomène de « churn and return », bien connu de la genZ et des millenials.
Les différences culturelles persistantes dans le monde peuvent toutefois représenter une opportunité d’émergence pour des acteurs non-américains qui pourraient s’allier avec ces derniers. Enfin, l’indépendance dans ce secteur semble s’avérer de plus en plus complexe, destinée à viser un marché de niche, plus petit, dans une économie de la SVOD elle-même en concurrence avec des social medias et notamment Youtube. La qualité des contenus et la “découvrabilité” de ces derniers n’en seront que de plus en plus importantes dans les années à venir.
Traditionnellement diffusés par les chaines de télévision, publiques ou privées, les évènements sportifs attirent de plus en plus les géants du numérique.
Le dernier gros coup en date a été réalisé par Google en décembre dernier, en obtenant la diffusion sur YouTube des matchs du dimanche de la NFL, le championnat de football américain, durant 7 ans. Pour remporter ce prestigieux « Sunday Ticket », la note est élevée puisque le New York Times l’estime à 2,5 milliards de dollars par an.
Les rencontres seront une option en plus sur YouTube TV, un service qui donne accès à de nombreuses chaînes de télévision aux Etats-Unis. Les Américains pourront également y avoir accès « à la carte », grâce aux YouTube Primetime Channels. Avec la NFL, YouTube espère augmenter son nombre d’abonnés qui, en juillet dernier, atteignait déjà 5 millions. Certes c’est une plateforme de streaming, mais puisque c’est également un distributeur, cela pourrait être bénéfique aux chaînes linéaires présentes dans le bouquet de YouTube TV.
Jusqu’à présent, YouTube ne touchait pas au direct et s’arrêtait au contenu en lien avec le sport. La plateforme disposait d’ailleurs déjà d’un partenariat avec la NFL, et diffusait des vidéos des coulisses de la compétition, ou des talk-shows. Google fait donc à son tour officiellement son entrée dans la retransmission du sport en direct.
D’autres géants ont passé le cap avant lui.
Où en sont les autres ?
Cet accord à 2,5 milliards de dollars montre à quel point les GAFA ont une importance croissante sur le marché des droits sportifs mondiaux. Depuis plusieurs années, certaines entreprises, notamment des plateformes SVOD, tentent de se diversifier et d’investir dans la diffusion du sport, un domaine à fort potentiel. C’est d’autant plus attractif pour des acteurs qui basent leur business model sur la publicité (comme Facebook) car les audiences sont généralement très fortes. Un acteur comme Amazon y voit également l’opportunité d’attirer de nouveaux clients vers son abonnement Prime, qui inclut à la fois des livraisons gratuites et une plateforme vidéo, et ainsi vers son site marchand.
À part Google et la NFL, quels deals ont été conclus ?
En 2022, Apple a annoncé avoir acheté les droits de l’intégralité des rencontres de la Major League Soccer (MLS), le championnat de football nord-américain. 250 millions de dollars au minimum par saison jusqu’en 2032, c’est ce qu’aurait accepté de payer l’entreprise. Pour regarder ces matchs, les utilisateurs pourront se rendre sur Apple TV, la plateforme de streaming d’Apple, et devront payer un abonnement supplémentaire. Avant cela, un partenariat avait été conclu entre Apple et la Ligue majeure de baseball (MLB), avec une diffusion de deux matchs en direct le vendredi, ainsi que des émissions comme le Friday Night Baseball. Cette retransmission n’est pas encore disponible en France mais elle l’est dans de nombreux autres pays, y compris des pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie.
De son côté, Disney a déboursé 3 milliards de dollars pour conserver les droits télévisés traditionnels du cricket en Inde, une discipline qui attire des millions de téléspectateurs. Cependant, le groupe a perdu les droits de diffusion de la compétition en streaming qui sont extrêmement précieux, avec une consommation de contenus sportifs sur portable qui explose. C’est un gros coup dur pour Disney qui pourrait perdre jusqu’à 20 millions d’abonnés sur Disney+. A travers les chaînes ABC et ESPN, qu’il détient à 80%, le groupe Disney a mis la main sur d’autres droits sportifs, notamment ceux de la NBA. Ces derniers prendront fin en 2025, mais Disney veut les renouveler.
Amazon, vrai leader
Dans la conquête des droits sportifs, Amazon reste l’acteur le plus avancé. On se souvient de son entrée fracassante dans la diffusion du football français lorsque le géant a obtenu les droits de 80% des matchs de Ligue 1 et de l’intégralité de ceux de Ligue 2 pour la modique somme de 250 millions d’euros par an. Il est désormais possible de contempler les dribbles endiablés de Neymar Jr en passant par la plateforme Prime Video, à condition d’avoir payé l’abonnement supplémentaire (le « Pass Ligue 1 »).
Avant cela, Amazon avait déjà acheté les droits exclusifs de certaines rencontres de Roland Garros. Cet accord a fait grand bruit, certains estimant que les sports comme le tennis ou le cyclisme n’ont rien à faire sur des plateformes SVOD. En effet, les fans pouvaient jadis regarder tout Roland Garros gratuitement sur les différentes chaînes de France Télévisions. Ils doivent désormais s’abonner et débourser de l’argent.
Amazon avance également ses pions hors de France. Aux Etats-Unis, Prime Video retransmet les matchs du jeudi soir de la NFL ainsi que certains matchs de baseball des Yankees. La plateforme diffuse également plusieurs rencontres de la Premier League anglaise. Le groupe a même réussi à mettre la main sur les droits de la Ligue des Champions dans plusieurs pays comme l’Allemagne et l’Italie. A l’approche de la fin du mariage NBA-ESPN/TNT, les chaînes de Disney et Warner Bros, Amazon apparaît de plus en plus comme un sérieux concurrent qui pourrait rejoindre la prochaine bataille des droits du basketball. Le combat risque d’être intense, et le prix de la compétition devrait atteindre des records.
Face à la croissance exponentielle de son offre de contenus sportifs, Amazon pourrait innover. Selon certains médias, une application entièrement dédiée au sport serait en développement. Cette dernière permettrait à la fois d’alléger la plateforme Prime Video, mais aussi de mettre davantage en valeur son catalogue sportif. L’idée peut être intéressante, mais ce serait néanmoins un challenge pour Amazon qui se verrait obligé d’investir encore plus dans ce domaine. L’entreprise pourrait être tentée de mettre en place un coût supplémentaire pour avoir accès à ces contenus sportifs sur l’application. Peu d’informations ont filtré et il est tout à fait possible qu’elle ne voie jamais le jour. Cependant, ce projet montre à quel point Amazon ne compte pas s’arrêter là, et souhaite s’imposer comme un véritable leader dans la diffusion du sport en direct. C’est ce que viennent confirmer les propos du PDG de l’entreprise, Andy Jassy, qui a déclaré “I think you’ll continue to see us investing in sports. Sports is such a unique asset. If you look every year at the most watched programs, sports often occupies 75% of those spots. They drive live engagement and they drive Prime subscriptions”
Quid de Netflix ?
Amazon, Google, Apple, Disney…presque tous les géants du numérique se mettent à investir dans le sport en direct. Mais où en est Netflix ?
Comme ses nombreux concurrents, Netflix tente de se diversifier. A la fin de l’année 2022, les spéculations grandissaient sur son entrée ou non sur le marché des droits sportifs. En effet, un premier pas a été fait dans ce domaine, avec des séries en lien avec le sport. On peut citer Formula 1 qui a eu un succès retentissant. Avec ce triomphe, Netflix pourrait avoir l’envie de se mettre à diffuser du sport en direct. La plateforme aurait en outre essayé d’obtenir les droits de diffusion en direct de la Formule 1 (aux Etats-Unis), mais aurait échoué face à Disney. Les droits de diffusion trop onéreux l’auraient également fait renoncer à retransmette des matchs de tennis de l’ATP Tour dans certains pays européens.
Des rumeurs ont suggéré que Netflix serait en train de discuter avec certaines ligues, dans le but de diffuser des sports moins connus tel que le surf. Cependant, en décembre 2022, le co-PDG de l’entreprise a déclaré qu’elle ne pouvait pas se permettre d’investir dans les droits sportifs. Ce n’est pas faute d’intérêt, il ne ferme pas la porte, mais il indique que pour le moment, ils ne voient pas comment rendre cet investissement rentable.
GAFA et chaînes de télévision, une compétition peu équilibrée
En se mettant à diffuser du sport en direct, les GAFA viennent concurrencer les chaînes de télévision. Mais peut-on vraiment parler d’une concurrence ? En tout cas, elle semble assez déséquilibrée. Pour obtenir les droits des compétitions qu’ils souhaitent, les géants du numérique dépensent des sommes astronomiques face auxquelles les chaînes ne peuvent tout simplement pas rivaliser. Les montants de ces droits atteignent des sommets qui auraient paru inenvisageables il y a quelques années. D’autant plus que le retour sur investissement est dur à évaluer. Un acteur comme Amazon peut se permettre de perdre de l’argent. Sa stratégie vise plus à gagner en visibilité qu’à s’enrichir directement.
Actuellement, les GAFA semblent assez intouchables, et on a du mal à imaginer un futur où ils ne contrôleraient pas dans son intégralité la diffusion des sports en direct. Pour survivre, les chaînes de télévision devront se réinventer et innover. Cependant, l’argent ne fait pas tout et les échecs sont possibles, comme celui de Médiapro avec Téléfoot. Les GAFA doivent réussir à mobiliser les audiences, à recruter des abonnés, à une époque où le piratage explose.
Le « Netflix effect » peut se référer à de nombreux phénomènes : l’impact que Netflix et ses contenus ont sur la manière de regarder la télévision et le cinéma, sur la popularité d’un acteur, sur le comportement des consommateurs, leurs pratiques culturelles entre autres, les conséquences économiques sur les industries relatives aux contenus… Il peut être vu d’une certaine manière comme un objet marketing permettant de mettre en lumière un produit, un service ou plus globalement une industrie.
Les prémices de ce phénomène peuvent s’entrevoir dans l’histoire du cinéma américain noyé dans un flot de films « coproduits » et financés par l’armée et le Pentagone. Et ce, le plus souvent, dans une logique de promouvoir un soft power, une certaine vision de la guerre et un patriotisme exacerbé. En France, Le Bureau des Légendes, a largement contribué à redorer le blason d’une institution -la DGSE- alors en perte de vitesse et en manque de popularité.
Dans leurs finalités, les séries Netflix ne changent donc pas vraiment des références susdites : elles impactent directement la perception du public sur une industrie ou une institution. Néanmoins, dans le cas des séries Netflix, au-delà d’un simple objet d’« influence », nous pouvons parler de véritables objets marketing dont les finalités sont essentiellement économiques : ventes, hausse d’audience, de popularité d’un produit, d’un service, d’une industrie… De plus, ces « séries marketing » s’appuient sur une audience extrêmement large, en l’occurrence celle de Netflix, qui amplifie largement l’impact qu’elles peuvent avoir sur la sphère réelle.
L’étude du cas de la série Netflix Formula 1 : Drive to Survive, créée en collaboration avec la Formula One Management, nous permet de mieux comprendre ce « Netflix effect » appliqué au monde de la Formule 1 et plus largement au monde du sport. Un effet qui s’est également fait ressentir sur d’autres secteurs : la vente des livres Arsène Lupinde Maurice Leblanc via la série Lupin avec Omar Sy, ou bien sur la vente de jeux d’échec (et plus largement la popularité du jeu) avec la série The Queen’s Gambit.
Les nouveaux usages du numérique comme catalyseur du « Netflix effect »
Ce « Netflix effect » ne saurait exister, bien évidemment, sans les nouveaux usages du numérique qui précédent l’avènement de la plateforme de Los Gatos, puis qui ont été induit par cette dernière. Si une série, une œuvre audiovisuelle plus globalement, peut avoir tant d’impact sur une industrie, c’est bien parce que le rapport du consommateur à celle-ci a changé. La plateforme qui la diffuse dispose d’un arsenal d’outils technologiques permettant l’attraction et la fidélisation d’une audience très large. L’avènement du numérique, des réseaux sociaux ont quant à eux favorisé le partage et la promotion de ce contenu dans une sphère plus globale que les seuls spectateurs de Netflix.
Le binge-watching, popularisé par la firme de Los Gatos, a largement contribué à augmenter l’importance que peut avoir une série dans le comportement des consommateurs. Un visionnage plus intensif (exit les visionnages hebdomadaires promulgués par les chaînes de télévision) qui a contribué à accroître l’engagement des consommateurs et leur fidélisation. La recommandation induite par des algorithmes de plus en plus perfectionnés vient renforcer ce phénomène.
Une consommation différente des séries, plus intense, combinée à un usage frénétique des réseaux sociaux, permettent ainsi de rendre très populaire un contenu et de générer des retombées conséquentes sur le secteur qui peut lui être associé (en l’occurrence la Formule 1 dans le cas de Drive to survive). Avec l’audience potentiellement atteinte par une série (ceux qui l’ont regardé, mais aussi ceux qui ont en entendu parler via le partage et les réseaux sociaux), il se pose indéniablement la question du caractère marketing de ces œuvres qui semblent à l’origine relevées simplement du domaine créatif et artistique.
Une volonté pour davantage de contenus des coulisses
Un des principaux facteurs de ce « Netflix effect » se trouve dans la volonté même de ce que souhaite retrouver le spectateur dans un contenu de divertissement audiovisuel, et notamment dans le secteur du sport où les personnalités sont ultrapopulaires et starifiées. C’est-à-dire, un désir pour davantage de contenus en « off », où les sportifs sont humanisés et authentiques. Cette demande semble trouver ses racines dans l’essor du numérique et l’ultra-connexion avec l’accès facilité au « quotidien » des sportifs via les réseaux sociaux. Plus largement, on peut parler d’un désir pour des contenus originaux, innovants, plus personnels par rapport à la diffusion linéaire classique du sport à la télévision. On comprend ainsi pourquoi de plus en plus de diffuseurs traditionnels TV diffusent davantage ce type de contenus. Récemment, TF1 a diffusé de nombreuses images des coulisses de la Coupe du Monde de Football 2022 : dans les vestiaires, à l’hôtel de l’équipe de France… puis un documentaire « résumé » sorti seulement 2 jours après la fin de la compétition.
La compréhension du comportement du spectateur pour rendre la série plus populaire
L’analyse des données, de visionnage notamment, par la plateforme Netflix permettent de mieux comprendre et déterminer les tendances, mais aussi les structures de scénarios et construction des personnages qui fonctionnent le mieux sur le spectateur. Ces analyses, aux prémices de la création d’une série mais aussi d’une saison à l’autre, permettent à Netflix d’adapter le déroulé, la construction de sa série pour contribuer à la rendre plus populaire. Dans le cas de Drive to survive, le champion néerlandais Max Verstappen, a souligné la mise en scène de rivalités comme étant « fausses ». Les choix de montage et la narration, essentiels à la « dramatisation » de la série, ont également été critiqué, prenant des distances trop importantes avec la réalité. Néanmoins, il en reste que la compréhension et l’analyse de la demande et du comportement du consommateur ont permis le succès phénoménal de Drive to Survive, qui s’est directement répercuté sur le secteur de la formule 1.
Un impact majeur sur le secteur de la Formule 1
L’impact réel de Drive to survive a été considérable pour le secteur de la Formule 1, la faisant passer de sport désuet, ayant du mal à renouveler son audience, à un véritable phénomène touchant un public de plus en plus jeune. Si la quantification précise de l’impact réel de la série sur la Formule 1, depuis son lancement en mars 2019, est compliquée à estimer, certains indicateurs permettent de mettre en évidence une augmentation de la popularité de la Formule 1 auprès d’un public de plus en plus large et des revenus qu’elle génère.
Quelques chiffres, diffusés en mars 2022 (source :Stake), viennent illustrer cet impact :
De 2018 à 2021, l’affluence aux Grand Prix de Formule 1 aux Etats-Unis est passé de 264 000 à plus de 400 000 spectateurs. Les revenus sont passés de 1,15 milliards de dollars en 2020 à 2,14 milliards en 2021.
Le cours des actions du Formula One Group (NASDAQ : FWONA) a connu un rendement de +62% depuis la première saison de Drive to Survive en mars 2021
Une croissance considérable du nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux : plus de 50 millions d’adeptes avec une croissance annuelle de 40% depuis le lancement de la série, et un taux d’engagement très important.
Des audiences TV en forte hausse : une moyenne d’environs 70 millions de téléspectateurs, avec un pic à 108,7 millions pour la dernière course de la saison 2021 à Abu Dhabi (soit 7 millions de plus que le Super Bowl LVI deux mois après)
Un nombre total de fans proche de dépasser le milliard, dont 77% des nouveaux fans des deux dernières années dans la tranche d’âge 16-35 ans.
En raison de sa portée et son impact, une série Netflix peut donc représenter un véritable objet marketing au bénéfice de la plateforme, mais aussi au profit d’une industrie en particulier. La série Formula 1 : Drive to survive en est le parfait exemple : elle a à elle seule révolutionné le monde la Formule 1, alors en perte de vitesse, lui permettant de se régénérer et d’en faire un sport attractif pour la jeune génération.
Pierre Bosson
Sources
Garry Lu, “The Netflix Effect: A Breakdown Of How ‘Drive To Survive’ Changed Formula 1”, bosshunting.com.au, https://www.bosshunting.com.au/sport/f1/how-netflix-changed-formula-1/, Mis à jour le 13 janvier 2023
Bilal Berkat, “L’effet Netflix: comment nos séries préférées nous poussent à consommer ?, fastncurious.fr, 4 juin 2021 http://fastncurious.fr/2021/06/04/leffet-netflix-comment-nos-series-preferees-nous-poussent-a-consommer/
Andy Robinson, “The Netflix Effect & How Pop Culture Impacts Ecommerce”, venturestream.co.uk, 14 janvier 2021, https://venturestream.co.uk/blog/the-netflix-effect-how-pop-culture-impacts-ecommerce/
Farah El Amraoui, “Comment Netflix a réussi à influencer nos pratiques culturelles”, bondyblog.fr, 1 avril 2021, https://www.bondyblog.fr/culture/comment-netflix-a-reussi-a-influencer-nos-pratiques-culturelles/
Carlos Serra, “How a Netflix Docuseries Set Off a Rise in F1 Popularity”, resources.audiense.com, 10 février 2022, https://resources.audiense.com/blog/the-netflix-effect-how-an-f1-docuseries-set-off-a-meteoric-rise-in-popularity-in-the-us
Agathe Huez, “La visualisation de données, un facteur de réussite pour Netflix”, toucantoco.com, https://www.toucantoco.com/blog/visualisation-de-donnees-reussite-de-netflix-explication
Le 4 novembre 2022, les médias annonçaient l’arrêt de la plateforme de streaming Lionsgate + en France ainsi que dans sept autres pays européens. La cause ? Des pertes financières, qui font suite à une réorganisation de la société, et un nombre d’abonnés très restreint face aux grands autres acteurs. La plateforme française Salto connaît également des difficultés, faute de programmation attractive et de coordination entre les maisons-mères. Mais cela va également de pair avec un environnement concurrentiel qui ne cesse de croître sur le marché du streaming SVOD. Après l’arrivée et le déploiement de Netflix dans sa forme actuelle dès 2007, d’autres acteurs sont ensuite déployés sur le marché SVOD en raison de l’attractivité de ce modèle : OCS, Disney +, Prime Video, Apple TV+, Canal + Série…sans oublier HBO Max, encore indisponible en France. En France, pour la seule fin d’année 2022, nous pouvons noter l’arrivée de deux nouveaux acteurs : Paramount + et Universal +. Tous les studios américains veulent aujourd’hui se doter de leur plateforme de streaming afin de devenir acteurs sur ce marché florissant…
Source : Pixabay.fr
Et pourtant, ce qui était auparavant une offre rare, unique et novatrice avec Netflix, est devenu une norme accessible par pléthore de supports dans un environnement ultra-concurrentiel. Le sort de Lionsgate + et Salto le montre bien. Aussi, les utilisateurs ont pour la plupart multiplié les abonnements pour pouvoir accéder à un maximum de contenus à la demande comme au Royaume-Uni où 16,9 millions de foyers sont abonnés à un service de streaming à la demande par abonnement, et pour une moyenne d’abonnement à 2,4 services par foyer en avril 2022, selon l’étudeKantarrelayée par Zdnet. Aux USA, 53 % des dépenses mensuelles en SVOD dépassent les 20 $ d’aprèsl’étude Nielsen, pour en moyenne un abonnement à 4 services par foyer. Ou encore,d’après le Baromètre OTT de NPA Conseil/Harris Interactive, la France compte en moyenne l’usage de 1,9 services par utilisateur, pour une dépense moyenne qui atteint 17,5€ par mois en juin 2022. De plus, 53,2 % de Français se déclarent utilisateurs réguliers d’au moins un service fin 2022. Néanmoins, cette accumulation peut devenir difficilement supportable financièrement, et l’inflation y participe grandement. Et pour cause, environ 937000 foyers britanniques ont procédé à des désabonnements entre janvier et septembre 2022. De plus, d’après l’étude de Médiamétrie/Harris Interactive d’octobre 2022, les 15-24 ans français sont de plus en plus nombreux à abandonner les services SVOD, privilégiant les interfaces et réseaux sociaux comme YouTube ou TikTok.
Cela pousse donc les acteurs à déployer des stratégies afin de capter rapidement de nouveaux abonnés.
S’agréger à une base d’abonnés pré-existante
Aujourd’hui, les nouveaux acteurs du streaming se distinguent difficilement, car d’autres plateformes sont déjà bien implantées sur le marché. Le nouvel acteur peut alors s’appuyer sur une base d’abonnés déjà existante pour faciliter son intégration, mobilisant ainsi un partenariat avec un autre service. C’est ce que nous pouvons observer lorsqu’un acteur souhaite s’implanter sur un marché étranger comme la France. Netflix, Disney + ou plus récemment Paramount +, n’ont pas hésité à développer un partenariat avec le Groupe Canal +, qui agrège les plateformes sur son interface MyCanal. Au lieu d’inciter les utilisateurs à souscrire à un énième abonnement, ce qui pourrait les rebuter à devoir créer un nouveau compte sur des plateformes moins attractives et moins intégrées pour certaines, il leur suffit de les inviter à procéder à une seule inscription sous forme de “package” pour un service élargi. Les nouveaux acteurs peuvent ainsi bénéficier d’un panel d’abonnés déjà existants et concentrés sur un service unique.
Interface des chaînes et plateformes disponibles sur MyCanal Source : MyCanal – Canalplus.com
Warner Bros. Discovery aura tenté une stratégie autre, en se portant candidat au rachat d’Orange Content, qui inclut notamment OCS – diffuseur des séries HBO depuis 2008 en France – avec pour objectif de transiter les 3 millions d’abonnés OCS vers son service HBO Max lors de son lancement dans l’hexagone. Un fort potentiel pour le groupe quand on sait que les abonnés OCS sont des habitués des programmes HBO, qui seraient ensuite disponibles sur la nouvelle plateforme de la Warner. D’autant qu’OCS a perdu son contrat avec HBO à l’issue de l’année 2022. Néanmoins, outre le lancement d’HBO Max mis en suspend en France, la Warner n’a pas pu acquérir OCS, en raison du droit de préemption de Canal + sur cette vente.
Elargir l’offre, le service et les forfaits
Alors que les acteurs historiques comme Netflix ne proposaient jusqu’alors qu’un service de SVOD avec une offre de films et de séries, nous avons pu notamment observer que les plateformes à l’instar de Prime Video se tournent vers des programmes que nous retrouvions initialement sur les services linéaires de télévision. La plateforme d’Amazon s’est en effet dotée de diffusions de programmes sportifs, comme Roland Garros ou la Ligue 1 et la Ligue 2 de Football par l’achat de lots par exemple. Pouvoir apporter des programmes plus diversifiés à l’instar du sport est une autre méthode de développement des abonnements et des profils qui s’opère par la diversification de l’offre. La télé-réalité se retrouve également sur les plateformes SVOD généralistes, avec Netflix ou encore Salto qui propose des programmes issus des chaînes TV de ses maisons-mères.
Outre l’offre éditoriale en développement offerte par les plateformes, nous pouvons également revenir sur l’enjeu financier qui a poussé les anglo-saxons à se désabonner. Nous avons en effet pu noter que les tarifs des offres de plateformes de streaming comme Netflix ou Disney + n’ont cessé d’augmenter depuis leurs lancements, qui se justifient par un modèle déficitaire depuis plusieurs années, avec une croissance atone, et des abonnés qui ne sont pas rentables, comme l’a relevé Alain Le Diberder. Netflix a d’ailleurs procédé au licenciement de 450 employés entre mai et juin 2022 afin de faire des économies en période de crise suite à la perte d’abonnés et une croissance en baisse des revenus. Cette situation économique pousse même la plateforme à durcir ses règles en cas de partage illégal de compte, considéré comme un manque à gagner.
L’ajout de la publicité devient donc une alternative pour compenser ces difficultés : Disney + et Netflix sont alors précurseurs en la matière, et proposent d’ajouter de la publicité à leurs programmes avec en retour des forfaits moins chers, sans pour autant abandonner l’offre sans publicité. Certains sondages ont montré que certains utilisateurs seraient enclins à s’abonner à des forfaits moins chers, quitte à avoir de la publicité. D’après l‘étude du Baromètre OTT publiée en novembre, 44 % des Français interrogés déclarent vouloir devenir ou demeurer abonnés à Netflix, dont un tiers à l’offre avec publicité. Ce chiffre s’élève à 25 % pour Disney +, dont deux tiers au forfait avec publicité. De la même manière, d’après l’étuderelayée par Zdnet, 44 % des Britanniques abonnés à Netflix déclaraient en avril 2022 ne pas être dérangés par la publicité si l’abonnement coûtait moins cher. Cela porterait la pénétration de ces plateformes à la hausse. A cela s’ajouterait une meilleure monétisation des comptes, avec les revenus publicitaires. Une solution qui demande encore à faire ses preuves, mais qui pourrait stimuler le nombre d’abonnés.
Synergie entre les services
Enfin, les acteurs qui peuvent se le permettre vont encore plus loin et créent une synergie entre leurs services. Ce sont ceux qui peuvent détenir des données sur leurs utilisateurs et qui ont suffisamment d’activité pour en accumuler qui peuvent à ce jour développer une telle stratégie. Si Amazon était en mesure de créer une telle synergie dès le départ entre son service de vente en ligne et sa plateforme de streaming avec des forfaits préférentiels pour cumuler l’accès à ses services, Disney a également annoncé récemment vouloir faire de même. Le groupe développe une offre combinant celle de la plateforme Disney + et celle de ses sites de vente de produits dérivés et de parcs à thème. Les abonnés de Disney + bénéficieront d’avantages exclusifs. Cette synergie de services permettrait aux plateformes de proposer une valeur ajoutée aux utilisateurs, ce qui pourrait accroître le nombre de souscripteurs. Par ailleurs, elle permettrait de valoriser la donnée et de proposer des services personnalisés en dressant des profils plus précis des utilisateurs. En effet, les données générées par les seules plateformes de streaming sont faibles et peu exploitables. Enfin, rassembler les données des utilisateurs et faciliter leurs flux entre services offrirait une meilleure qualité de service, valorisant l’activité des plateformes.
Ainsi, nous pouvons observer que les acteurs de la SVOD doivent redoubler d’efforts pour rendre attractive leur offre, quitte à procéder à un développement nouveau de leur activité qui dépasse la seule activité du streaming. Les prochains mois ou prochaines années nous montreront quels sont les acteurs les plus armés pour faire face à ce marché ultra-concurrentiel du contenu numérique. L’acquisition et l’exploitation de la donnée semblent aujourd’hui primordiales pour créer un service personnalisé aux utilisateurs dans cette course à l’attention, tandis que l’arrivée imminente de nouveaux modèles comme la FAST devrait également bouleverser ce marché.
En périphérie du marché de la SVOD, de petites plateformes peuplées d’irréductibles cinéphiles résistent encore et toujours à l’envahisseur. Incapables de rivaliser avec les catalogues des géants qui dominent le secteur, ces indépendants ont modelé des offres spécialisées afin de se démarquer de ces derniers.
Une structure de marché propre aux industries culturelles
La plupart des industries culturelles et créatives sont décrites par les économistes comme étant des oligopoles à frange. Ce terme désigne un secteur composé de la manière suivante : quelques grandes entreprises contrôlent l’essentiel du marché tandis qu’un tissu d’entreprises plus modestes s’en dispute une petite partie à la périphérie (la « frange »). Si on considère le secteur de la SVOD, l’essentiel du marché est dominé par Netflix, Prime Vidéo et Disney+, présents à eux trois dans plus de 60% des foyers français. En marge de ce marché, plusieurs acteurs se partagent une frange qui s’apparente au segment cinéphile de ce dernier. Les plateformes de cette niche ciblent en effet des utilisateurs curieux, amateurs de cinéma et plus généralement impliqués de façon active dans des activités culturelles. Parmi celles-ci, on retrouve les plateformes françaises LaCinetek, Universciné, FilmoTV, Tënk ou encore le britannique Mubi.
Un rôle de curateur…
Alors que les plateformes « généralistes » proposent des contenus destinés au plus grand nombre, les plateformes « cinéphiles » disposent d’offres différenciées qui constituent leur avantage concurrentiel. Leur attractivité provient des caractéristiques de leur catalogue, mais aussi d’une éditorialisation plus poussée. Elles délaissent ainsi le cinéma grand public pour se spécialiser dans des œuvres plus exigeantes et méconnues appartenant à des genres, thématiques ou périodes précises. D’autre part, elles offrent un accompagnement éditorial plus approfondi que de simples recommandations basées sur un algorithme. À la manière d’un ciné-club, les œuvres proposées sont par exemple mises en avant par des cycles thématiques à visée pédagogique ou assorties de renseignements facilitant leur compréhension et mise en contexte. La qualité et la diversité de leur programmation les rapprochent donc d’un cinéma indépendant Art et Essai, à la différence que les projections se font à domicile et sont délinéarisées.
En plus de son fameux « film du jour », Mubi propose des programmes spéciaux tels que des rétrospectives de cinéastes et des zooms sur des festivals ou mouvements cinématographiques. Quant à LaCinetek, on y trouve des listes de recommandations pensées par des réalisateurs prestigieux ainsi qu’une sélection thématique renouvelée mensuellement. Bien que plus classiques d’un point de vue éditorial, UniversCiné et FilmoTV se distinguent malgré tout par l’éclectisme de leurs catalogues et par la place centrale qu’y trouve le cinéma d’auteur. Enfin, Tënk se spécialise dans les documentaires et renouvelle chaque semaine sa sélection. Ces services insistent donc sur la qualité des œuvres proposées et misent sur leur rôle de curateur pour attirer des spectateurs assidus trouvant difficilement leur bonheur dans le flot de contenus déversé par les plateformes classiques.
… sans pour autant désorienter l’utilisateur
Ces services spécialisés s’efforcent toutefois de ne pas bousculer les conventions établies par les pionniers du secteur. Afin de ne pas perdre l’utilisateur habitué à naviguer sur Netflix et autres, ils respectent en effet certaines modalités graphiques et commerciales. L’utilisateur reste donc en terrain connu, tant du point de vue de l’ergonomie que de la formule d’abonnement. Les interfaces de Mubi, UniversCiné, FilmoTV et Tënk sont par exemple toutes composées d’une grille de pastilles correspondant chacune à un film. Celles-ci sont par ailleurs classées par lignes horizontales thématiques, ce qui permet de scroller à la fois vers le bas (à travers les catégories) et vers la droite (au sein d’une catégorie). De la même manière, l’accès à ces services ne vaut pas plus d’une dizaine d’euros par mois et ne nécessite pas d’engagement de la part de l’utilisateur. À cela s’ajoute des fonctionnalités plus classiques comme la possibilité d’avoir une liste d’envies ou de recommander les œuvres visionnées.
Défaut de notoriété et viabilité économique fragile
Bien que cette frange concurrentielle soit bénéfique à la diversité de l’offre, les plateformes cinéphiliques parviennent difficilement à acquérir une visibilité suffisante. En raison de l’offre surabondante de contenus sur le marché, l’attention du consommateur est devenue une ressource rare et la capter nécessite d’importants moyens. La fragilité financière de ces acteurs les contraint à miser sur des moyens de communication plus ciblés pour se signaler au public. Une des solutions privilégiées est de favoriser l’apparition de « méta-informations » autour des biens culturels qu’ils distribuent, en sollicitant notamment des partenariats avec un certain nombre de prescripteurs culturels tels que des réseaux culturels (SensCritique, Letterboxd), la presse spécialisée ou encore des influenceurs culturels (vidéos/podcasts). Ces méta-informations proviennent des consommateurs des œuvres et sont destinées à signaler leur qualité aux autres utilisateurs. Il peut ainsi s’agir d’une recommandation sur les réseaux sociaux, d’une critique positive sur un site spécialisé ou simplement d’un article de presse. Le nombre d’abonnés de ces plateformes reste néanmoins plafonné par la nature même des œuvres distribuées, souvent anciennes sinon méconnues. Celui-ci se compte en milliers, et non en millions comme c’est le cas pour les grandes plateformes.
En France, les plateformes cinéphiles sont soutenues par des subventions publiques car elles distribuent des biens culturels différenciés et permettent de satisfaire un type de préférences «insuffisamment satisfait par le simple jeu du marché » (Benhamou et Moureau, 2007). Toujours est-il qu’elles rentrent difficilement dans leurs frais en raison de la faible demande et du manque de notoriété inhérents à la niche qu’elles ont investie. Elles font face à des coûts fixes conséquents par rapports aux recettes que génère leur activité : création et maintenance technique de la plateforme, acquisitions de droits ou encore community management pour faire vivre leur marque. Face à la force de frappe des plateformes américaines, il ne serait pas surprenant que ces indépendants entament un processus de regroupement, au moins à l’échelle nationale. La mutualisation de leurs ressources financières conjuguée à la réunion de leurs catalogues semble inéluctable pour que ce segment de marché perdure. D’autant plus que les acteurs dominants ne se satisfont plus du seul grand public et lorgnent sérieusement du côté de la niche cinéphile. On a notamment pu observer cela avec le partenariat entre Netflix et MK2 concernant de nombreux films d’auteur. Les œuvres de Truffaut, Chaplin, Resnais ou encore Demy avaient toutes rejoint la célèbre plateforme. Cela s’applique également à Prime Vidéo, qui fait de l’œil au cinéphile avec les distributions récentes de The Tragedy of Macbeth(Joel Coen) ou Spencer(Pablo Larraín).
Alexandre Neyraud
Bibliographie:
Baromètre de la vidéo à la demande (VàD /VàDA) – Novembre 2021. CNC.
Christel Taillibert. « Vidéo à la demande cinéphile et stratégies entrepreneuriales : l’exemple de MUBI ». 2015.
François Mairesse et Fabrice Rochelandet. Économie des arts et de la culture. Armand Colin, 2015.
Françoise Benhamou et Nathalie Moureau. « L’économiste et la question du goût. Intégration ou dénégation d’un concept ? ». Assouly O. Goûts à vendre. Essai sur la captation esthétique, Editions du Regard, pp.207-222, 2007
Olivier Thuillas et Louis Wiart. « Les plateformes de VOD cinéphiliques : des stratégies de niche en questions » , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°20/1, 2019, p.39 à 55.
Lancé le 20 octobre dernier, le « Netflix à la française » propose une expérience inédite dans l’univers de la SVOD.
La SVOD, au cœur de la mutation des usages
La consommation des contenus connaît depuis quelques années des mutations profondes qui bouleversent l’ensemble de la chaîne de valeur. Le délinéaire ne cesse de progresser, et la vidéo à la demande porte la croissance de l’industrie des contenus au niveau mondial. C’est dans ce contexte que les plateformes de SVOD, ces services de vidéos à la demande par abonnement, sont en plein essor, avec 3 acteurs qui trustent le marché : Netflix, Disney+ ainsi qu’Amazon Prime Video. Ces plateformes rencontrent une adhésion massive du public, avec Netflix et Amazon qui captent près de 70% des parts de marchés de la SVOD au niveau européen. Alors que le taux de pénétration de la SVOD devient conséquent dans de nombreux pays, que le nombre d’abonnement par foyer ne cesse d’augmenter (2,2 aux Etats-Unis en 2019), la France fait figure d’élève en retard, avec un marché de la SVOD encore en consolidation.
En 2019, 18 millions de Français ont utilisé un service de SVOD. Ce chiffre témoigne d’une part de l’intérêt que porte notre pays à ce mode de consommation des contenus, d’autre part de la marge de progression encore possible lorsque l’on compare la France à ses voisins européens : entre 70 et 90% de taux de pénétration pour les pays nordiques, près de 45% pour les Pays-Bas (source : études Kagan 2018). C’est dans ce contexte que les grands groupes audiovisuels français ont voulu à leur tour tenter l’expérience, et proposer un service de SVOD à la française. Le 15 juin 2018, le Groupe TF1, France Télévisions et M6, annonçaient ainsi leur ambition de créer une plateforme commune, enterrant la hache de guerre afin de concurrencer les géants américains, et d’adapter leurs modes de diffusions aux nouvelles attentes des consommateurs.
Salto, une réponse française
Il aura fallu attendre plus de 2 ans pour que le service devienne accessible dans l’Hexagone, mais le 20 octobre 2020, Salto est finalement lancé. D’abord disponible en OTT (accessible sur internet), des accords auraient depuis été trouvés avec plusieurs Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI), afin d’être intégré aux box des opérateurs. Bouygues (propriétaire du Groupe TF1) et Orange seraient ainsi en passe de proposer Salto à leurs utilisateurs.
La promesse est-elle au rendez-vous pour les passionnés de contenus français ? Gilles Pélisson, PDG du Groupe TF1 et Président du Conseil de Surveillance de la plateforme, insistait bien lors du Festival Médias en Seine en octobre dernier sur le fait qu’il s’agissait de proposer une offre complémentaire aux services proposées par les géants de la SVOD. En clair, l’ambition initialement affichée de devenir le « Netflix à la française » a été revue à la baisse, et pour cause : la capacité d’investissement de Salto s’élèverait à 250 millions d’euros sur les 3 prochaines années, là où Netflix dépense près de 17 milliards d’euros… pour l’année 2020.
Salto n’a pour autant pas à rougir de sa prestation jusqu’alors. Avec 10 000 heures de contenus disponibles dès son lancement, la plateforme réunit le meilleur des catalogues des 3 groupes, le direct de l’ensemble de ces chaînes, ainsi que de nombreux inédits de grands succès américains ou canadiens. Thomas Follin, Directeur Général de Salto, insiste sur le fait de mettre en avant les contenus, quel que soit leurs types de diffusion (direct, replay, avant premières…). La plateforme se veut différenciante de ces compétiteurs, en excluant les mécanismes de recommandations de contenus personnalisés qui ont été tant décriés sur Netflix ou encore Amazon Prime. Coups de cœur de personnalités, Thématiques (Plaid et chocolat chaud, frissons…), Sélection des critiques, Collections (Belmondo, Catherine Deneuve, François Truffaut…), l’angle est décidément mis sur les contenus, avec l’idée de prolonger l’expérience vécue autour de la télévision, de vivre des émotions partagées, avec des marques fédératrices. On retrouve bien là le slogan de Salto, « On a tout à voir avec vous ». Exit l’ultra personnalisation, les séries sur la politique danoise, place aux contenus au plus proches des préoccupations des Français (à l’exception de quelques séries anglo-saxonnes).
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, alors que seulement 3 semaines après son lancement, Le Figaro révélait que près de 100 000 abonnés s’étaient laissés tenter par l’expérience. Les données démographiques présentées par Thomas Follin sur Europe 1 dans l’émission Culture Médias de Philippe Vandel permettent d’ailleurs de remettre en question la vision stéréotypée des consommateurs de SVOD. Un quart des utilisateurs auraient ainsi plus de 50 ans, et près de 80% d’entre eux habiteraient hors de Paris, reniant avec l’image d’un public jeune et de CSP+. Salto fédère, avec l’ambition affichée par son Directeur Général d’être le plus inclusif possible. Autre enseignement tiré des premières semaines d’exploitation, une consommation de près de 2h par jour en moyenne, qui grimpe jusqu’à 2h30 le week-end, témoignant de l’ancrage de l’usage de ce nouveau service (10 connexions par semaine et par foyer en moyenne). Ces chiffres sont tout de même à relativiser, dans la mesure où le 1er mois d’abonnement est offert, et qu’il faudra attendre longtemps encore avant de tirer un bilan du taux de conversion d’abonnements.
Un modèle économique viable ?
C’est bien là que le bât blesse. La guerre des contenus fait rage, avec une multiplication des offres disponibles auprès des consommateurs. Apple TV+, HBOmax, Peacock, tous rêvent de grandeur, de faire de l’ombre aux mastodontes, et ce via 2 leviers : les contenus proposés, et le prix. En la matière, le catalogue de Salto, s’il révèle quelques agréables surprises, et malgré son positionnement innovant, soutient difficilement la comparaison. La grille tarifaire définie est là aussi particulièrement ambitieuse : avec un prix d’appel situé à près de 7€, soit à peine 1€ de moins que Netflix, mais similaire à Disney+, Salto vise la rentabilité d’ici 5 ans. Avec la volonté à moyen terme de pouvoir investir dans la production de contenus originaux, diffusé en exclusivité sur sa plateforme, stratégie particulièrement employée par Netflix afin d’accroître sa stickiness.
On est finalement en droit de s’interroger sur le fait de lancer un service de SVOD à destination nationale. Britbox au Royaume-Uni (BBC et ITV), ZDF en Allemagne, ViaPlay dans les pays nordiques (Nent), de nombreux acteurs de l’audiovisuels européens, publics comme privés, visent à adresser un public à une échelle modeste. Delphine Ernotte, Présidente de France Télévisions, insistait pourtant dans une Tribune du Monde en 2017 sur la capacité de l’audiovisuel public européen de peser sur la scène internationale : leur capacité d’investissement dans les contenus s’élevait en cumulé à 14 milliards d’euros par an, permettant d’envisager une véritable concurrence aux géants de la SVOD. Difficile de ne pas rêver d’une plateforme européenne, permettant le visionnage des grands contenus produits par l’Europe. Borgen (Danemark), 10% ou Call My Agent (France), les 1ères saisons de La Casa de Papel (Espagne), tous ces succès que l’on retrouve sur Netflix ont d’abord été produits et distribués par des groupes audiovisuels nationaux. Arte tente bien de prendre les rênes d’une plateforme européenne de contenus, sans pour autant adhérer à l’idée d’un abonnement payant.
Il faudra s’armer de patience avant de pouvoir déclarer avec certitude que Salto a su s’ancrer dans les usages et dans le quotidien des Français. Si l’ambition portée par la plateforme est à la hauteur des enjeux de la mutation des usages de consommation des contenus, tout est encore à construire, afin de proposer un catalogue exclusif, pertinent, en phase avec les attentes des consommateurs. Salto est-il en passe de réussir son pari ?
Thibaud Mousset
Pascal Lechevallier, La SVOD européenne estimée à 53 milliards d’euros de recettes en 2022, ZD Net le 18 février 2018
Pascal Lechevallier, La SVOD européenne estimée à 53 milliards d’euros de recettes en 2022, ZD Net le 18 février 2018
Lorsque Netflix crée sa plateforme en 2007, ils mettent en place une stratégie de « blue ocean », c’est à dire utiliser simultanément des stratégies de différenciation et de faible coût (rappelons qu’ils n’ont rien produit avant 2013), afin de conduire à la création d’un nouveau marché et d’une nouvelle demande. C’est un marché dans lequel Netflix a longtemps nagé seul. Néanmoins, l’un des principaux aspects de la stratégie de « blue ocean » est qu’elle ne dure pas éternellement. Devant le succès d’une telle offre (195 millions d’abonnés à ce jour), d’autres entreprises sont entrées sur le marché. Et un raz-de-marée de plateformes a eu lieu ces deux dernières années.
Que ce soit les majors américaines (Disney+, HBO Max pour Warner, Paramount+, Peacock pour Universal), les chaînes de télévision (Britbox pour la BBC et ITV au Royaume-Uni, Salto en France), ou même des entreprises non spécialisées dans le secteur audiovisuel (Amazon et Apple), nombreux sont ceux qui ont créé leur propre plateforme. Aujourd’hui, le streaming est devenu un secteur extrêmement concurrentiel. Et la crise sanitaire, en forçant les gens à rester chez eux, n’a fait qu’aggraver cette concurrence. En effet, nombreux sont ceux qui, à la recherche de divertissement, ont souscrit à plusieurs plateformes. Mais lorsque la crise sera passée, garderont-ils tous leurs abonnements ?
Quoi qu’il en soit, cette multiplication des plateformes engendre une saturation du marché et toutes n’y trouvent pas leur place, comme l’a montré l’échec de Quibi, une plateforme spécialisée dans du contenu premium destiné aux smartphones, qui a déposé le bilan après seulement 6 mois.
C’est ici que réside le problème: les plateformes se sont démultipliées et les gens ne sont pas prêts à souscrire à un trop grand nombre. Quand Netflix est arrivé, l’un des intérêts principaux était le fait de trouver un catalogue riche, avec des programmes de tous les studios. Maintenant qu’ils ont créé leur plateforme, le contenu s’est dispersé. Et malgré la popularité du streaming, le budget des utilisateurs est limité, comme on peut le voir sur cette étude américaine:
Le coût étant le facteur de désabonnement le plus important, de plus en plus de foyers se tournent vers les services AVOD.
L’AVOD, un business model qui gagne du terrain
L’AVOD est l’acronyme de « Advertising video on demand », ce qui signifie que le financement du service vidéo se fait grâce à la publicité. Alors que Netflix avait justement développé un système sans publicité, il semble que cette dernière soit finalement l’une des solutions au problème de la « subscription fatigue », cette lassitude face à la démultiplication des offres par abonnement (surtout si l’on ajoute un abonnement à un service de musique, le câble TV, etc). Une étude du Trade Desk et YouGov a montré que plus d’un tiers des américains préfèrent utiliser une plateforme gratuite avec publicité ou payer un prix réduit pour des abonnements comprenant certaines publicités. Dans le cas spécifique de Netflix, l’étude montre qu’environ un tiers des abonnés seraient prêts à passer à une offre financée par la publicité si elle était proposée. Ainsi, l’AVOD a une réelle demande.
En 2020, selon Deloitte, le marché de l’AVOD devrait représenter 32 milliards de dollars US. C’est moitié moins que la SVOD, mais c’est un secteur en forte croissance (47% en 2020). Notons également qu’en Asie, les plateformes, qui ont plusieurs centaines de millions d’utilisateurs, fonctionnent principalement sur le business model de l’AVOD, et c’est seulement depuis quelques années qu’elles proposent un abonnement. Aujourd’hui encore, une bonne partie de leurs revenus provient de la publicité, comme c’est le cas par exemple pour iQIYI, la plateforme chinoise de Baidu:
La plateforme la plus connue d’AVOD est Youtube, qui a d’ailleurs du mal à imposer son offre premium sans publicité. Nous pouvons aussi mentionner Facebook et Snapchat. Ces trois services proposent en effet du contenu vidéo original et exclusif, accessible gratuitement: Youtube Originals (« The Age of AI » avec Robert Downey Jr.), Facebook Watch (« Sorry for your loss » avec Elizabeth Olsen) et Snap Original (« Coach Kev » avec Kevin Hart).
Mais il existe également des plateformes entièrement dédiées à l’AVOD, qui comptent pour certaines des millions d’utilisateurs. Au vu du succès de l’AVOD et de sa forte croissance, la plupart des entreprises ayant déjà une offre SVOD investissent en rachetant ou créant une plateforme AVOD. C’est par exemple le cas d’IMDb TV pour Amazon, de Tubi acheté par la Fox pour 440 millions de dollars ou encore Pluto TV acquis par ViacomCBS pour 340 millions de dollars. Ces 3 plateformes AVOD ont entre 20 et 40 millions d’utilisateurs, essentiellement aux Etats-Unis. Notons également les offres hybrides, comme Peacock de NBCUniversal et Hulu appartenant à Disney, également très populaires. La première, lancée en avril 2020, a déjà atteint 22 millions d’abonnés, mais la part d’AVOD n’a pas été communiquée.
Car la plateforme propose en effet 3 offres différentes: la version premium à $9,99 (formule SVOD), la version gratuite financée par 5 minutes de publicité par heure mais avec un catalogue restreint (formule AVOD) et la formule hybride pour $4,99 avec accès à tout le catalogue avec la même quantité de publicité. En ce qui concerne Hulu, 70% de ses 32 millions d’utilisateurs ont souscrit à la formule hybride avec publicité.
En Europe, le numéro un est Rakuten TV, avec 8 millions d’abonnés. Le Royaume-Uni et l’Allemagne sont les locomotives de l’AVOD. En ce qui concerne la France, « elle a deux ou trois ans de retard sur ces deux marchés » selon Sébastien Robin, consultant spécialiste de l’OTT. En même temps, l’offre disponible est encore restreinte. Actuellement, les porte-drapeaux de ce marché sont les offres de replay: MyTF1 et 6play.
Rentabilité et contenu
Les plateformes avec une offre hybride y gagnent-elles à proposer une offre gratuite? Qu’en est-il de la rentabilité de l’AVOD par rapport à la SVOD? Selon Deloitte, le revenu annuel moyen par utilisateur (ARPU) d’une plateforme SVOD est de $98, contre environ $60 pour une plateforme AVOD. Dans le cas spécifique de Hulu, d’après Matthew Ball, ancien responsable de la stratégie chez Amazon Studios, les abonnements à $5,99, avec un peu de publicité, seraient plus rentables que les abonnements premium à $11,99. En effet, le revenu mensuel moyen par utilisateur serait d’environ $15 : $5,99 + $9 de publicité. Le potentiel est si grand que l’entreprise a renoncé à 500 millions de dollars de revenus annuels en baissant son prix financé par la publicité afin d’encourager les utilisateurs premium à «rétrograder» et pour que les nouveaux abonnés choisissent le niveau avec publicité.
En outre, la plus grosse dépense des plateformes provient de l’acquisition de contenu. Or les plateformes AVOD peuvent baser les contrats d’acquisition sur les ventes publicitaires, ce qui permet aux dépenses de contenu d’être en cohérence avec les revenus. Et toujours concernant ce contenu, les utilisateurs bénéficiant d’une offre gratuite n’ont pas les mêmes attentes en terme de qualité. En effet, si les utilisateurs payent chaque mois, c’est pour avoir du contenu premium, c’est-à-dire exclusif ou nouveau et de bonne qualité, là où sur une plateforme gratuite, ils acceptent de regarder une veille série comme Friends. Or le coût pour la énième diffusion d’une série n’est pas du tout le même que celui de la production de séries originales.
Ainsi, les catalogues des services AVOD sont-ils de moindre qualité que la SVOD? Comme on l’a vu précédemment, les formules AVOD de Hulu ou Peacock ne donnent pas accès au même catalogue que la formule SVOD. La formule premium de Peacock donne par exemple accès à 5000 heures en plus de contenu. Et les nouveautés sont parfois disponibles avant pour les abonnés premium. Mais cette tendance pourrait être sur le point de changer. En effet, certaines entreprises espèrent miser sur leur service AVOD en proposant du contenu original ou exclusif, comme par exemple IMDb TV qui a diffusé en exclusivité la série anglaise « Alex Rider » aux Etats-Unis, ou Crackle de Sony qui produit ses propres films et séries.
Enfin, le développement du business model de l’AVOD va de pair avec l’amélioration des stratégies adtech et de la donnée. Afin de ne pas exaspérer les utilisateurs avec des publicités trop redondantes ou nombreuses, les plateformes prévoient un temps limité à 5-7 minutes de pubs par heure, ce qui reste bien inférieur à la télévision. Elles mettent également de la publicité ciblée, à partir des données socio-démographiques et comportementales collectées sur les utilisateurs, comme cela se fait sur Internet, mais de façon plus premium. Les marques peuvent par exemple mettre leur publicité sur une série spécifique, ou cibler une audience précise, le tout dans un environnement propice à leur brand safety. Mais, si la plateforme est gratuite, c’est que l’utilisateur en est le produit…
Ainsi, face à un marché de la SVOD saturé et dominé par des grands groupes et face à la « subscription fatigue », l’AVOD possède un réel atout – sa gratuité- et devrait rapidement prendre des parts de marché à la SVOD. A moins qu’elles ne soient tout simplement complémentaires.
Auriane Morel
SOURCES
BALL Matthew, « The Flaws of « Subscription Fatigue », « SVOD Fatigue », and the « Streaming Wars » », 10 février 2020: https://www.matthewball.vc/all/misnomers
Les majors et les géants du streaming font du charme aux talents les plus en vogue ou prometteurs dans une bataille féroce pour capter l’attention du public.
Que ce soit dans l’industrie
du cinéma ou de la télévision, il est tout particulièrement lucratif d’être un talent
convoité par les temps qui courent. Les nombreux contrats annoncés en janvier
lors du Winter Press Tour de la Television Critics Association, grande messe
annuelle définissant les principales tendances télévisuelles de l’année à venir
aux Etats-Unis, en témoignent. C’est Amazon Prime qui s’est le plus démarqué lors
de cette édition en annonçant des contrats avec Steve McQueen (12 years a
Slave), Gael García Bernal (Mozart in the Jungle) et Diego Luna (Rogue
One : A Star Wars Story)[1].
Ces accords conclus avec des personnalités habituées du grand écran ont donc
été passés au nez et à la barbe des majors hollywoodiennes. Plus que cela, en octobre
dernier, David Benioff et D.B. Weiss, les créateurs de Game of Thrones, décidaient
de quitter le navire Disney pour embarquer sur celui de Netflix en renonçant à réaliser
la prochaine trilogie Star Wars. A grands coups de billets verts – plusieurs
médias américains portent à 250 millions de dollars le montant inscrit au contrat[2]
– la plateforme est donc parvenue à détourner le duo d’une des franchises les
plus populaires (et lucratives) de l’histoire du cinéma. Ces cas ne sont pas
isolés : de très nombreux artistes et cadres occupant des postes clés au
sein de majors ont été récemment démarchés par des services de streaming. En
octobre 2019, le LA Times publiait une animation synthétisant ce phénomène qu’il
qualifie « d’exode des talents ». On peut ainsi y voir représenter
les flux de personnalités que Netflix, Amazon, Apple et Hulu sont parvenus à
attirer dans leurs filets[3].
Produire du contenu
attractif pour ne pas perdre pied face à la concurrence
Avec l’arrivée du numérique et la multiplication des écrans, certaines majors ont été poussées à créer leur propre plateforme de streaming pour s’adapter à l’évolution de la façon dont sont consommées les œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Avec le lancement de Disney+ et l’arrivée prochaine de HBO Max (la plateforme de WarnerMedia), la guerre du streaming s’intensifie et la bataille pour les talents se déroulent désormais tant le terrain du cinéma que sur celui des séries. Plus que jamais, les spectateurs sont confrontés à une multitude d’offres et à une abondance abyssale de contenu. Comment sortir du lot ? Comment attirer le consommateur dans les salles obscures ou l’inciter à s’abonner à son service ? Que ce soit sur grand ou petit écran, la bataille pour l’attention du public est plus que jamais d’actualité. Dans cette optique, studios et plateformes de SVOD conçoivent les talents comme de véritables avantages compétitifs, bien plus que de simples arguments marketing. La recherche de programmes de qualité se fait si forte et pressante que les talents viennent à manquer et l’ensemble de la filière se retrouve sous pression. Les rivalités entre cinéma, télévision traditionnelle et plateformes ne font que croître, les premières reprochant à la dernière d’aspirer les talents révélés par leurs soins[4].
Une compétition économique
sur fond de conflits idéologiques
Pour attirer les talents, chaque camp fait valoir ses arguments et rapidement la compétition économique se transforme en débat d’idées. Un film est-il fait pour être visionné sur un écran de télévision ou de smartphone ? Telle est la question qui divise l’industrie du cinéma et les plateformes et sur laquelle chacune à une position bien définie. D’un côté, Hollywood argue que découvrir pour la première fois un film en streaming depuis son canapé ou dans les transports en commun amoindri l’expérience du spectateur et l’œuvre elle-même s’en retrouve desservie. En face, Netflix explique que son offre rend plus accessibles des films à tout un pan du public ayant moins la possibilité, le temps ou les moyens de se rendre dans les salles obscures. Interrogé cette semaine sur l’exposition du film The Irishman de Scorsese, Ted Sarandos, le patron de Netflix, expliquait ainsi que « l’audience pour The Irishman est aussi grande que ce qui aurait pu se faire au cinéma » avec plus de 40 millions de foyers ayant au moins lancé le film long de plus de 3h. Au-delà de la façon de consommer les films, ce sont aussi les méthodes de Netflix qui sont remises en cause. Pour les producteurs, conclure un deal avec le géant du streaming c’est aussi renoncer à son droit moral sur l’œuvre puisque la plateforme, en contrepartie d’une rémunération généreuse, en acquiert les droits globaux. Les médias traditionnels, télévision linéaire comme cinéma, se targuent donc de mieux respecter et mettre en valeur le travail des talents. Charlotte Moore, la directrice des contenus de la BBC déclarait ainsi récemment : « Nous ne voulons pas vous posséder. Vous disposez de votre programme et de votre propriété intellectuelle. »[5]. A l’inverse, certains talents préfèrent même se tourner vers les plateformes plutôt que vers les studios en espérant y trouver plus de liberté de création. Netflix et ses comparses, moins soumis à la pression de l’audience et du box-office, peuvent souvent se permettre de valider des projets plus innovants. Cette semaine, Ted Sarandos affirmait que Netflix était parti pour s’inscrire durablement dans l’industrie du cinéma en cherchant à remplir le vide créatif laisser par les studios dont tous les efforts se concentrent sur les quelques gros blockbusters garantissant leur survie. La plateforme pense pouvoir capter de l’audience en produisant des drames pour adultes et des comédies romantiques légères, genres tous deux mis de côté par les majors au profit de films de superhéros[6]. Netflix sait comment s’y prendre pour convaincre les personnalités convoitées de rejoindre ses rangs : la plateforme travaille vite, assure à l’œuvre une audience étendue et globale et est aux petits soins en mettant tout en œuvre pour que ses talents puissent travailler dans les meilleures conditions possibles, comme par exemple en leur fournissant du matériel de communication de pointe pour organiser des téléconférences[7].
Une guerre mettant en lumière
l’amenuisement de la frontière entre cinéma et télévision
Maintenant que certaines
majors possèdent leur propre plateforme de streaming, les contours de l’industrie
deviennent de plus en plus flous et les talents y circulent beaucoup plus
librement. Le genre sériel s’est considérablement transformé au cours de la
dernière décennie pour se rapprocher du cinéma sous certains aspects : liberté
narrative, qualité de production, augmentation des budgets, esthétique de l’image…
Là où un temps on pouvait distinguer d’un côté les professionnels du cinéma et
de l’autre ceux de la télévision, les talents naviguent maintenant en toute
fluidité entre le grand et le petit écran. Le cinéma, longtemps perçu comme la discipline
la plus noble, se retrouve de plus en plus concurrencer par les séries dont la
qualité et la popularité ont sensiblement augmenté ces dernières années. On ne
compte plus le nombre de réalisateurs ou stars de cinéma s’étant lancés dans
des projets de séries. Les plateformes jouent bien sûr un rôle clé dans ce
phénomène.
La concurrence entre services de SVOD et Hollywood pour conquérir les talents se joue donc tant sur le cinéma que les séries et revêt une dimension économique alimentée par des débats idéologiques. Les réalisateurs, acteurs, auteurs et autres personnalités convoitées contribuent un peu plus à redéfinir les contours de l’industrie à chaque contrat signé. Il devient ainsi de plus en plus compliqué d’opposer frontalement Hollywood aux plateformes de SVOD, les premiers devenant diffuseurs et les derniers producteurs. Toujours pris dans la tempête déclenchée par l’arrivée du numérique, l’industrie et ses acteurs, désorientés, continuent leur transition en s’accrochant à la seule bouée de sauvetage palpable qui semble pour l’instant émerger : les talents.
Television is declared as dead by many specialists : general audiences have known a decrease since ten years, and it is getting old. The television viewer’s average age has reached fifty. This is a problem as the targeted young audience is not behind its television anymore. Those market shares are returning to digital medias, which are monopolizing younger’s attention. The diminution of television advertising revenues are a major threat to its ecosystem. It could in fact affect its investments, on which channels have obligation as french companies. But, despite this announcement, the leading historical channels have seem to resist. According to Mediametrie, on 2018, TF1 has kept good audience ratings on every program’s type, France Television has profited from better audiences, and Arte’s prime time have beaten records. In fact, if the audience on linear program is decreasing, the global audience on every screen is increasing. Therefore, the issue to historical actors channels is to adapt to the new ways of watching television. Subscriptions to streaming services are growing steadily. But some figures are still putting in question the whole victory of platforms, as those concerning the pay TV in Australia for instance. Where, then, is the competition standing between french television and SVOD platform on its territory ?
Since a few years, SVOD platforms as Netflix, Hulu, or Amazon Prime Video have known an impressive growth, seeing their subscriber rate and turnover blow up, enabling them to invest always more in production. Netflix has seduced more than 4 million people in France. Its success is due to the proposition of a content constantly renewed, which is taught in order to fit with every taste. This emergence is questioning this well established media ecosystem, and especially the advertising market on which it is supported. Most of the SVOD platforms are not based on the same types of business models. But, advertisers are less interested by television advertising slots because of the increasing mass of cord cutters, besides who are young. The new ways of doing advertising have seemed to conquer television, even if experimentation are still at their early stage. A personalized advertising could be for some the solution to this cord cutting phenomena, and bring back efficiency in this business through a programmatic system. Some specialists have also evoked a sort of Shazam application in order to screen a product on TV. However, this loss of revenues to television has been a threat those recent years.
Initiatives have thus been taken to get back audiences, and especially young viewers. In France, Molotov has imposed itself as the aggregator for linear television content. But its financial situation is still unstable. Recently, it has been announced that Molotov has failed to achieve its CEO ambition to raise some tens millions euros to finance its international expansion. It has been evoked the buying of its technology by France Television. In fact, even if Molotov had have seven million users at the end of 2017, after a period of rapid growth, it has struggled to develop a viable economic model for its service. The situation of Molotov shows how much it could be complicated to television to structure its offer on digital. But it has also announced the new paradigm, in which the customer won’t distinguish linear from de-linear as it will appear as a whole.
According to an NPA study, Netflix has imposed itself as the sixth channel of the audiovisual landscape. But the study doesn’t declare the end of linear television. Notably because the audience of flow programs (television games or entertainment) is stable, as a solid anchorage point for television. Plus, the offer of premium TV in France is not very developed, which is the sign that nobody would accumulate various SVOD subscription. And furthermore, television channels have developed on the digital. Besides the creation of replay platforms or their implantation on Molotov or Youtube, some channels have decided to expend their digital presence by the development of deals with OTT services. For instance recently, TF1 has struck a new distribution deal with Videofutur, a service which provides linear and on-demand services over public fibre networks. The deal will see free-to-air TF1 channels distributed over Videofutur’s network along with on-demand content associated with these channels. The agreement provides Videofutur subscribers with access to programmes available on catch-up from MYTF1 with extended distribution windows, some avant-premieres of shows and new functionalities.
Nevertheless, television channels still have to develop their brand on the digital landscape. They have to diffuse more content on the models of the American networks. In addition to catch up tv, channels are now developing VOD programs, even if it remains hard to monetize advertising on those spaces. Moreover, global SVOD platforms project are now implemented by some players, countrywide or at the European level, in order to gather the investment power of television channels, facing giants as Netflix or HBO. In terms of programmation, the competition on fiction content has been tougher, as Netflix and its Dantesque investments in production make the rhythm of production faster. So far, television has reinforce its position in TV reality, short programs, documentaries, or even animation.
Platforms are new competitors for people’s attention, and the daily time spent on medias are not extensible, even if it’s higher than ever. Channels are thus reorganizing their strategies to face this new paradigm.
Depuis quelques années les plateformes de SVOD (Suscription Video On Demand) connaissent une croissance sans précédent tant au niveau des abonnés, et donc de leur chiffre d’affaire, que par rapport à leur investissement dans la production audiovisuelle mondiale. Cela se traduit par l’apparition de nouvelles plateformes et par l’ascension d’acteurs majeurs et dominants sur le marché de la distribution comme Netflix, Amazon Prime ou encore Hulu.
En effet, plus de 64% des foyers américains possèdent un abonnement à une plateforme SVOD et l’on estime que 2.5 millions de personnes sont abonnés à Netflix en France.
Le modèle économique de ces plateformes est fondé sur la croissance du nombre de leurs abonnés. Elles tentent donc de proposer des services de plus en plus qualitatifs, avec une offre de contenus variés et des suggestions adaptées à leurs clients.
L’émergence de ce nouveau mode de consommation remet en cause lourdement les rouages traditionnels de cette industrie qui, jusqu’alors, s’appuyait fortement sur la publicité dans ses canaux de revenus. Or, toujours dans l’idée d’offrir un meilleur service à leurs abonnés, les plateformes SVOD ont opté pour un modèle dans lequel la publicité n’a plus sa place. Alors même que l’obsolescence de la publicité à la télévision semble déjà programmée, comment les annonceurs peuvent-ils s’adapter et utiliser les médias digitaux alors même qu’ils en sont exclus par les plateformes ?
Au-delà de priver les publicitaires d’accéder à leurs abonnés, Netflix ou encore Amazon Prime vidéo sont devenus petit à petit leurs concurrents. Ce n’est pas une concurrence autour d’un même service ou d’un même produit dont nous parlons ici, mais bien une compétition pour capter l’attention des personnes. L’attention de chacun, pour une publicité, une vidéo sponsorisée, ou encore un film, n’est pas extensible. En effet, lorsque les abonnés des plateformes SVOD regardent leur série préférée, c’est autant de temps consacré qui ne profitera pas à la publicité. On estime aujourd’hui aux Etats-Unis, que les abonnés à Netflix sont exposés à 160 heures de publicité en moins à cause de la plateforme.
Dans ce contexte peu favorable pour les annonceurs, quelles sont les réponses pouvant être apportées ?
Intégrer de la publicité dans le contenu des plateformes semble être une tendance de plus en plus importante. Aussi, on parle de placement de produit qui s’intègre directement dans les films et séries que les plateformes diffusent.
Créer des publicités plus innovantes qui réussissent à fédérer les fans d’une série d’une plateforme SVOD et qui crée ensuite un certain buzzs sur la toile, voilà le nouveau créneau. Certaines agences se veulent spécialistes de ces nouveaux types de publicités, aussi appelés « Native advertising ». L’agence Darewin par exemple, qui a pour client Netflix, a su faire parler de la série House of Card en faisant twitter Franck Underwood lors de l’utilisation intempestive du 49.3 en France.
Les annonceurs devrait donc peut être prendre exemple sur la communication des plateformes SVOD pour gérer leur campagne. En effet, bien que Netflix ou Amazon Prime Vidéo se privent de revenus financiers conséquents (estimés pour la première à près de 2.2 milliards de dollars par an) en refusant d’intégrer de la publicité à leurs plateformes, ils ne changeront surement pas d’avis et maintiendront une stratégie d’affaire qui fonctionne très bien. Alors, pourquoi changer une équipe qui gagne ?