Lancé le 20 octobre dernier, le « Netflix à la française » propose une expérience inédite dans l’univers de la SVOD.
La SVOD, au cœur de la mutation des usages
La consommation des contenus connaît depuis quelques années des mutations profondes qui bouleversent l’ensemble de la chaîne de valeur. Le délinéaire ne cesse de progresser, et la vidéo à la demande porte la croissance de l’industrie des contenus au niveau mondial. C’est dans ce contexte que les plateformes de SVOD, ces services de vidéos à la demande par abonnement, sont en plein essor, avec 3 acteurs qui trustent le marché : Netflix, Disney+ ainsi qu’Amazon Prime Video. Ces plateformes rencontrent une adhésion massive du public, avec Netflix et Amazon qui captent près de 70% des parts de marchés de la SVOD au niveau européen. Alors que le taux de pénétration de la SVOD devient conséquent dans de nombreux pays, que le nombre d’abonnement par foyer ne cesse d’augmenter (2,2 aux Etats-Unis en 2019), la France fait figure d’élève en retard, avec un marché de la SVOD encore en consolidation.
En 2019, 18 millions de Français ont utilisé un service de SVOD. Ce chiffre témoigne d’une part de l’intérêt que porte notre pays à ce mode de consommation des contenus, d’autre part de la marge de progression encore possible lorsque l’on compare la France à ses voisins européens : entre 70 et 90% de taux de pénétration pour les pays nordiques, près de 45% pour les Pays-Bas (source : études Kagan 2018). C’est dans ce contexte que les grands groupes audiovisuels français ont voulu à leur tour tenter l’expérience, et proposer un service de SVOD à la française. Le 15 juin 2018, le Groupe TF1, France Télévisions et M6, annonçaient ainsi leur ambition de créer une plateforme commune, enterrant la hache de guerre afin de concurrencer les géants américains, et d’adapter leurs modes de diffusions aux nouvelles attentes des consommateurs.
Salto, une réponse française
Il aura fallu attendre plus de 2 ans pour que le service devienne accessible dans l’Hexagone, mais le 20 octobre 2020, Salto est finalement lancé. D’abord disponible en OTT (accessible sur internet), des accords auraient depuis été trouvés avec plusieurs Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI), afin d’être intégré aux box des opérateurs. Bouygues (propriétaire du Groupe TF1) et Orange seraient ainsi en passe de proposer Salto à leurs utilisateurs.
La promesse est-elle au rendez-vous pour les passionnés de contenus français ? Gilles Pélisson, PDG du Groupe TF1 et Président du Conseil de Surveillance de la plateforme, insistait bien lors du Festival Médias en Seine en octobre dernier sur le fait qu’il s’agissait de proposer une offre complémentaire aux services proposées par les géants de la SVOD. En clair, l’ambition initialement affichée de devenir le « Netflix à la française » a été revue à la baisse, et pour cause : la capacité d’investissement de Salto s’élèverait à 250 millions d’euros sur les 3 prochaines années, là où Netflix dépense près de 17 milliards d’euros… pour l’année 2020.
Salto n’a pour autant pas à rougir de sa prestation jusqu’alors. Avec 10 000 heures de contenus disponibles dès son lancement, la plateforme réunit le meilleur des catalogues des 3 groupes, le direct de l’ensemble de ces chaînes, ainsi que de nombreux inédits de grands succès américains ou canadiens. Thomas Follin, Directeur Général de Salto, insiste sur le fait de mettre en avant les contenus, quel que soit leurs types de diffusion (direct, replay, avant premières…). La plateforme se veut différenciante de ces compétiteurs, en excluant les mécanismes de recommandations de contenus personnalisés qui ont été tant décriés sur Netflix ou encore Amazon Prime. Coups de cœur de personnalités, Thématiques (Plaid et chocolat chaud, frissons…), Sélection des critiques, Collections (Belmondo, Catherine Deneuve, François Truffaut…), l’angle est décidément mis sur les contenus, avec l’idée de prolonger l’expérience vécue autour de la télévision, de vivre des émotions partagées, avec des marques fédératrices. On retrouve bien là le slogan de Salto, « On a tout à voir avec vous ». Exit l’ultra personnalisation, les séries sur la politique danoise, place aux contenus au plus proches des préoccupations des Français (à l’exception de quelques séries anglo-saxonnes).
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, alors que seulement 3 semaines après son lancement, Le Figaro révélait que près de 100 000 abonnés s’étaient laissés tenter par l’expérience. Les données démographiques présentées par Thomas Follin sur Europe 1 dans l’émission Culture Médias de Philippe Vandel permettent d’ailleurs de remettre en question la vision stéréotypée des consommateurs de SVOD. Un quart des utilisateurs auraient ainsi plus de 50 ans, et près de 80% d’entre eux habiteraient hors de Paris, reniant avec l’image d’un public jeune et de CSP+. Salto fédère, avec l’ambition affichée par son Directeur Général d’être le plus inclusif possible. Autre enseignement tiré des premières semaines d’exploitation, une consommation de près de 2h par jour en moyenne, qui grimpe jusqu’à 2h30 le week-end, témoignant de l’ancrage de l’usage de ce nouveau service (10 connexions par semaine et par foyer en moyenne). Ces chiffres sont tout de même à relativiser, dans la mesure où le 1er mois d’abonnement est offert, et qu’il faudra attendre longtemps encore avant de tirer un bilan du taux de conversion d’abonnements.
Un modèle économique viable ?
C’est bien là que le bât blesse. La guerre des contenus fait rage, avec une multiplication des offres disponibles auprès des consommateurs. Apple TV+, HBOmax, Peacock, tous rêvent de grandeur, de faire de l’ombre aux mastodontes, et ce via 2 leviers : les contenus proposés, et le prix. En la matière, le catalogue de Salto, s’il révèle quelques agréables surprises, et malgré son positionnement innovant, soutient difficilement la comparaison. La grille tarifaire définie est là aussi particulièrement ambitieuse : avec un prix d’appel situé à près de 7€, soit à peine 1€ de moins que Netflix, mais similaire à Disney+, Salto vise la rentabilité d’ici 5 ans. Avec la volonté à moyen terme de pouvoir investir dans la production de contenus originaux, diffusé en exclusivité sur sa plateforme, stratégie particulièrement employée par Netflix afin d’accroître sa stickiness.
On est finalement en droit de s’interroger sur le fait de lancer un service de SVOD à destination nationale. Britbox au Royaume-Uni (BBC et ITV), ZDF en Allemagne, ViaPlay dans les pays nordiques (Nent), de nombreux acteurs de l’audiovisuels européens, publics comme privés, visent à adresser un public à une échelle modeste. Delphine Ernotte, Présidente de France Télévisions, insistait pourtant dans une Tribune du Monde en 2017 sur la capacité de l’audiovisuel public européen de peser sur la scène internationale : leur capacité d’investissement dans les contenus s’élevait en cumulé à 14 milliards d’euros par an, permettant d’envisager une véritable concurrence aux géants de la SVOD. Difficile de ne pas rêver d’une plateforme européenne, permettant le visionnage des grands contenus produits par l’Europe. Borgen (Danemark), 10% ou Call My Agent (France), les 1ères saisons de La Casa de Papel (Espagne), tous ces succès que l’on retrouve sur Netflix ont d’abord été produits et distribués par des groupes audiovisuels nationaux. Arte tente bien de prendre les rênes d’une plateforme européenne de contenus, sans pour autant adhérer à l’idée d’un abonnement payant.
Il faudra s’armer de patience avant de pouvoir déclarer avec certitude que Salto a su s’ancrer dans les usages et dans le quotidien des Français. Si l’ambition portée par la plateforme est à la hauteur des enjeux de la mutation des usages de consommation des contenus, tout est encore à construire, afin de proposer un catalogue exclusif, pertinent, en phase avec les attentes des consommateurs. Salto est-il en passe de réussir son pari ?
Thibaud Mousset
Pascal Lechevallier, La SVOD européenne estimée à 53 milliards d’euros de recettes en 2022, ZD Net le 18 février 2018
Pascal Lechevallier, La SVOD européenne estimée à 53 milliards d’euros de recettes en 2022, ZD Net le 18 février 2018
Matteo Tiberghien, Dans l’Europe de la SVOD, l’audiovisuel public se la joue David contre Goliath, Nouveaux Médias le 13 aout 2020
https://nouveauxmedias.fr/europe-svod-audiovisuel-public-david-contre-goliath/
Benjamin Fau, Les points forts et les faiblesses de Salto, la SVOD à la française, Le point POP le 22 octobre 2020
Bastien Lion, Salto plus ambitieux que jamais deux mois après son lancement, Les Numériques le 18 décembre 2020
Philippe Vandel, Salto : quel bilan après un mois d’existence ?, Podcast Europe 1 le 24 novembre 2020
Gilles Pélisson, la SVOD peut-elle s’imposer face à la TV traditionnelle, Conférence Médias en Seine le 19 novembre 2020
https://www.mediasenseine.com/fr/conferences/la-svod-peut-elle-simposer-face-a-la-tv-traditionnelle/