TikTok : future plateforme de référence pour les films et les séries ?

Envie de regarder le nouveau film « Barbie » gratuitement ? C’est possible sur TikTok, à condition d’accepter son découpage en 49 parties.

Sur TikTok, la diversité du contenu est frappante. On y trouve aussi bien des vidéos de danse virales, que des sketches comiques hilarants ou encore des conseils sur les relations amoureuses. En résumé, peu importe ce que vous recherchez ou pas, TikTok saura quelle vidéo vous montrer. 
Depuis quelques mois, un nouveau type de contenu prend de l’ampleur ou du moins, commence à faire parler.

Après avoir bouleversé l’industrie de la musique, TikTok s’attaque à celle de l’audiovisuel

Comme beaucoup de plateforme l’ont été avant elle, TikTok se transforme progressivement en « pirate de l’audiovisuel ». En effet, il est maintenant possible de regarder des films, des séries et des émissions télévisées, découpés en plusieurs parties et diffusés par des comptes TikTok dédiés à ce type de contenus. Ces contenus sont majoritairement mis en ligne de manière illégale. Les enregistrement clandestins, qu’il soient de films projetés au cinéma ou de contenus disponibles sur les plateformes de streaming, tous y passent. En outre, des séries populaires telles que « South Park » ou « Malcolm » sont présentes sur TikTok depuis un certain temps.


tractlljc4t sur TikTok

Ce mode de consommation peut sembler quelque peu déroutant. Cependant, il gagne en popularité au sein de la plateforme, et cela s’explique par plusieurs facteurs. 

Tout d’abord, ces séquences ont une capacité remarquable à capter et retenir l’attention des utilisateurs. En découpant un épisode de série en plusieurs parties, un compte peut publier une vidéo consistant uniquement en une scène riche en suspense, incitant ainsi les spectateurs à vouloir connaître la suite.
De plus, TikTok développe des fonctionnalités qui facilitent la consommation de ce type de contenus comme le « Clear Mode » ou le mode « Plein écran ».

Le rôle fondamental de l’algorithme de recommandation

Image par Katamaheen de Pixabay

Dans le fil d’actualité « Pour toi », les contenus découpés en plusieurs parties sont proposés aux utilisateurs de manière aléatoire,  ce qui contribue à la popularité de ce format. Dans un univers d’hyperchoix où une multitude d’options est constamment disponible, la fatigue décisionnelle se fait ressentir. Exacerbée par les choix infinis sur des plateformes comme Netflix, TikTok évite à l’utilisateur de se trouver dans cette situation d’anxiété en le conduisant directement au contenu. « Je suis déjà là, je suis déjà en train de le regarder, je suis déjà en train de faire défiler sur TikTok. » Voici ce que déclare un utilisateur à propos de TikTok (Wall Street Journal, 2023). Pas besoin d’aller sur une plateforme de streaming ou sur la télévision : TikTok dit à l’utilisateur quoi regarder. En résumé, avec l’algorithme de recommandation, les contenus sont presque servis sur un plateau d’argent.

L’algorithme de recommandation de TikTok contribue à mettre en lumière ces extraits dans les « Pour toi », permettant aux comptes TikTok de toucher un public plus large et d’augmenter leur visibilité. L’algorithme favorisant les vidéos regardées jusqu’à la fin, la plupart des contenus sont découpés par tranches de 3 à 5 minutes, bien que les vidéos peuvent aller jusqu’à 10 minutes. Ces vidéos courtes jouent aussi avec la frustration ressentie par l’utilisateur qui sera pousser à aller regarder d’autres vidéos ou à demander en commentaires quand est-ce que la partie suivante sera disponible. Il est important de noter que les commentaires jouent aussi un rôle important dans la recommandation par l’algorithme. 

Afin de ne pas se faire repérer par les algorithmes de modération, les créateurs ne publient pas les différentes parties d’un même contenu à la suite. Les parties sont souvent « uploadées » sur la plateforme à des heures ou jours d’intervalle, laissant le temps à la publication d’autres contenus. Autre particularité de ces vidéos, il est très rare de voir inscrit dans les descriptions le nom original du film, de la série ou de l’émission en question. Il s’agit d’une autre astuce utilisées pour éviter que la vidéos soient retirées de manière automatique de la plateforme.

Bien que ce type de visionnage puisse paraître atypique, il s’inscrit donc dans une stratégie de captation et de rétention de l’attention tout en exploitant les mécanismes propres à l’algorithme de TikTok pour maximiser la portée et l’impact du contenu publié.

Le cinéma se fait pirater, il prend les devants !

En 2020, Quibi, le service de streaming de vidéos courtes venu tout droit d’Hollywood n’a pas tenu longtemps sur le marché. Bien que ce fut un échec, le potentiel de ce type de contenu paraît aujourd’hui plus important que ce qu’il était il y a quelques années. Comme annoncé lors du festival Médias en Seine à Paris en 2023, l’une des prochaines tendances média qui se dessine est la nécessité de maitriser le format de vidéos verticales (Reuters Institute, 2023).

Neil Shyminsly, expert en Pop culture et professeur d’anglais au Cambrian College, affirme qu’ « il y a une crainte croissante que la programmation télévisuelle devienne de plus en plus courte à mesure que le succès est déterminé par l’algorithme de TikTok. » (CBCNews, 2023). 

Photo de Hannah Wernecke sur Unsplash

Effectivement, certains grands studios se sont déjà lancés dans la publication de contenus en plusieurs parties. Le 3 octobre 2023, à l’occasion du Mean Girls Day, Paramount à rendu disponible le temps d’une journée le film Mean Girls en intégralité, découpé en 23 parties sur son compte TikTok. « Les paramètres semblent évoluer », a déclaré Alex Alben, professeur de droit de l’internet et de la confidentialité à la Faculté de droit de l’UCLA. « Quelqu’un au sein du studio est en train de peser le fait qu’ils bénéficieraient davantage de la diffusion d’un extrait de leur film par des millions de personnes plutôt que de chercher à l’interdire. » (NewYorkTimes, 2023). Un représentant de Paramount a expliqué que la publication de « Mean Girls » sur TikTok visait à accroître la visibilité du film auprès d’un nouveau public potentiel (NewYorkTimes, 2023). Un coup marketing de la part du studio ? Très probable, sachant que le jour même, la sortie du nouveau « Mean Girls » au cinéma début janvier 2024 a été annoncée.

D’autres studios et plateformes de streaming ont très vite suivi. En août 2023, Peacock a publié un épisode de 2023 de la version américaine de « Love Island » ainsi qu’un épisode de « Killing It » divisé en 5 parties. Voici ce qu’Anupam Chander, professeur de droit et technologie à Georgetown, dit à ce propos : « Il peut être utile pour les détenteurs des droits d’auteur de voir leur travail distribué à un public plus large afin de susciter davantage d’intérêt pour ce travail et générer des ventes ultérieures. ». En réalité, certains détenteurs des droits de ces contenus, qu’ils soient publiés légalement ou non, pourraient profiter de cette tendance. Dans les faits, cela peut permettre de remettre au gout du jours d’anciens contenus et de booster la popularité de ceux qui en ont besoin. Il faut reconnaître que la capacité de TikTok à engager son public est forte et va au-delà des jeunes générations (InsiderIntelligence, 2023).

De nouvelles productions uniquement dédiées à TikTok

TikTok a vu émerger de nouvelles productions uniquement dédiées à sa plateforme. Dès 2020, plusieurs séries australiennes ont vu le jour telles que Love Songs, publiée par épisodes de 10 minutes ou Scattered, publiée en 38 épisodes de 1 minute. Récemment, Adam McKay, avec sa société de production Yellow Dot Studios, est devenu le premier producteur hollywoodien à investir dans une série diffusée uniquement sur TikTok. Intitulée « Cobell Energy », elle est diffusée depuis le 14 novembre 2023 sur la plateforme à raison de 2 épisodes par semaine.

cobellenergy sur Tiktok

Et le respect des droits d’auteur dans tout ça ?

Il est évident que la publication illégale de contenus sous droits pose question. Réguler ce type de contenus sur TikTok devient un challenge très complexe en comptant les 34 millions de vidéos postées par jour sur la plateforme. Comment gérer le sentiment de non-respect du travail accompli pour la réalisation d’un film, d’une série etc. ? Publier un contenu en plusieurs parties porte-t-il atteinte à la nature même de celui-ci ? Comment gérer le partage de revenu ? Beaucoup de questions n’ayant pas de réponses encore assez concrètes. 

Pour remédier à ces publications, trop nombreuses, de contenus allant à l’encontre des conditions d’utilisation de la plateforme, TikTok a mis en place un algorithme de détection des contenus sous droits d’auteur. En plus de cela, les détenteurs de ces droits ainsi que les utilisateurs peuvent signaler à la plateforme un contenu qu’ils considèrent comme « piraté ».
Avec l’arrivée du Digital Services Act en Europe, de nombreuses plateformes comme TikTok se sont vues imposées la mise en place de mécanismes de signalement mais aussi de contrôle plus soutenus de ces contenus illicites. En septembre 2023, TikTok a annoncé avoir supprimé plus de 4 millions de contenus jugés comme illicites par l’Union Européenne.

Finalement, il ne reste plus qu’à voir si ce type de consommation et de diffusion dépassera le stade de tendance et réussira à s’installer dans le temps.

Margot Brenier


Bibliographie

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Comment TikTok influence l’industrie cinématographique ? 

Tiktok prend de plus en plus de place dans l’industrie cinématographique, que ce soit à travers les publicités qui font la promotion de films sur la plateforme, des critiques de films, des courts métrages réalisés par les créateurs de contenus ou encore la rediffusion d’extraits de films.  Le 3 octobre 2023, Paramount est allé encore plus loin et a diffusé sur la plateforme la totalité du film Mean Girls (2004). Le film avait alors été découpé en 23 parties. La date du 3 octobre fait directement référence au film puisqu’il s’agit du « Mean Girls Day » qui est devenu un véritable symbole de la culture populaire (Croquet & Trouvé , 2023). Nous pouvons également supposer que ce coup marketing a été effectué afin de relancer l’engouement pour Mean Girls alors qu’un remake est sorti le 10 janvier 2024. Paramount a alors su s’adapter à une tendance Tiktok qui propose un découpage de différents contenus (afin de s’accorder au format) allant d’un film, une série ou encore un reportage.

La promotion, le point décisif

Lors la sortie d’un film, le marketing est un facteur essentiel et déterminant pour son parcours. D’après Laurent Creton, l’objectif du marketing dans le cinéma « est de satisfaire dans les meilleures conditions les attentes et les besoins de la clientèle afin d’optimiser l’adéquation du produit avec son marché » (Creton, 2020). Si nous reprenons notre exemple Paramount et Mean Girls, c’est exactement ce que le studio a fait. Il a su adapter son format à la cible choisie (une cible jeune 15-24 ans) et au format proposé par Tiktok.

La promotion se crée autour du film et une « image de marque » se crée. L’exemple parfait est le film Barbie, sortie en 2023. Sans un budget colossal de 150 millions de dollars, l’influence du film n’aurait certainement pas été la même (Jouin, 2023). L’été 2023 fut un été en rose. Tout était aux couleurs de la célèbre Barbie, de nombreuses marques se sont également associées pour créer des collections spéciales telles que Crocs, O.P.I, AirBnb, Zara, Maserati ou encore Buger King. Grâce à cette diversité de marques et de représentations, l’influence de Barbie n’a fait que croître. Evidemment, les tendances Tiktok ont également suivi à travers plusieurs hashtags. Nous pouvons citer le #Barbiefoot où les utilisateurs reproduisent une scène du film ou Margot Robbie enlève ses talons ; #Barbieshake qui consiste à boire un milkshake rose avant de se transformer en Barbie ou encore le #Barbiemovie qui rassemble tous types de contenus autour du film. D’autres hashtags tel que #NotMyKen a lui aussi fait réagir avant la sortie du film. Cet hashtag dénonçait le fait que Ryan Gosling soit trop âgé pour jouer le rôle de Ken. Aux vues du succès du film, cet hashtag n’a pas entaché sa réputation. Tiktok, en tant que relayeur de contenu a réellement fait partie du processus de marketing 360 pour le film, a accru sa visibilité et a sans doute poussé de nombreuses personnes à se rendre en salles (1,446 millliards de dollars au box office).

Tiktok se place ainsi comme un outil marketing incontournable pour les films et leur éventuel succès. Pourquoi ? Grâce à son fort taux d’engagement, son format court/créatif et sa viralité.

Insaisissable et imprévisible

En 2023, la sortie du film Le Consentement restera un cas d’école en ce qui concerne l’influence de Tiktok sur le parcours d’un film. Le Consentement relate l’histoire de Vanessa Spingora, 14 ans, alors sous l’emprise de Gabriel Matzneff, célèbre auteur des années 1980. C’est une adaptation du roman Le Consentement de Vanessa Spingora. Lors de la première semaine d’exploitation, le film a cumulé environ 59 000 entrées. Habituellement, après la première semaine, les entrées pour un film sont divisées par deux et particulièrement pour les films d’auteurs. C’est exactement l’inverse qui est arrivé pour Le Consentement, en trois semaines, les entrées ont triplé pour arriver à un pic d’entrées de 142 000 et redescendre. Au total, le film aura comptabilisé 616 000 entrées (AlloCiné , 2023). Ces chiffres records s’expliquent par l’émergence d’une tendance Tiktok qui avait pour but de se filmer avant et après avoir vu le film. La vidéo de « l’après » met en évidence de façon nette le choc ressenti par les utilisateurs.

Le #leconsentementfilm dénombre plus de 7,8 millions de vues sur Tiktok et les vidéos liées au film ont été vues plus de 20 millions de fois (Vasseur, 2023). Marc Missonier, producteur du film avait alors déclaré, « Les ados se sont emparés du film par eux-mêmes. Il faut rester modeste par rapport à ça, c’est impossible à programmer. Mais le film les a touché au cœur, c’est certain ». Il reconnaît « n’avoir pas prévu ce phénomène ». Du fait de la popularité du film sur Tiktok, un public jeune s’est rendu en salle et un réel engouement est né. De plus, par son sujet, le film a certainement raisonné pour de nombreux jeunes qui sont de plus en plus engagés et favorisent la liberté de la parole sur des sujets tels que les violences sexuelles. Ainsi, en plus de donner de l’élan à ce film d’auteur, via la plateforme Tiktok, des sujets sociétaux sont abordés et permet une certaine forme de libération de la parole. Comme nous l’avons précédemment évoqué, Tiktok est un réseau social important dans la promotion d’un film mais cet évènement n’était pas prévu par le distributeur. La plateforme « n’a pas amplifié le succès du Consentement, il l’a créé » (Guerrin, 2023). A l’inverse de l’exemple du film Barbie où le réseau social avait justement été utilisé pour élargir le succès du film. Tiktok se démarque alors par sa viralité insaisissable et imprédictible.

Plus récemment, le film Saltburn a également pu profiter de la viralité de Tiktok et accroitre sa notoriété. Il s’agit d’un cas légèrement différent puisqu’il s’agit d’un film sorti sur Prime Video le 22 décembre 2023 et non en salle. Il est donc plus difficile de quantifier les vues puisque Prime Video ne partage pas ses données. Cependant, nous pouvons tout de même remarquer l’importance du film sur Tiktok. Saltburn, réalisé par Emerald Fennell, raconte l’histoire d’un étudiant de l’Université d’Oxford qui va se plonger dans l’univers aristocratique grâce à son camarade de classe qui l’invite dans son vaste domaine familial. A nouveau, ce film a fait parler de lui sur Tiktok pour ses scènes choquantes, les utilisateurs se filmaient alors en train de réagir. Le #Saltburn dénombre plus de 5,5 milliards de vues. Tiktok a également propulsé la chanson « Murder On The Dancefloor » de Sophie Ellis Bextor qui apparait à la fin du film. Scène durant laquelle Barry Keoghan déambule et danse dans le manoir. Cette scène finale a alors été reproduite par de nombreuses personnes sur Tiktok. La chanson « Murder On The Dancefloor » a été utilisée plus de 226 00 fois et a été écoutée plus de 1,5 millions de fois le soir du nouvel an soit une augmentation de 340% par rapport à l’année dernière (La Dépêche, 2024). Que ce soit en salle ou sur les plateformes, Tiktok offre une certaine accessibilité du cinéma au jeune public.

Quelles perspectives ?

Après avoir bouleversé l’industrie musicale, Tiktok s’en prend au fonctionnement de l’industrie cinématographique. De par un fort taux de complétion et d’engagement, le système de vidéos courtes mis en place influence directement la décision de l’utilisateur : regarder un film ou non. A noter, « 52 % des utilisateurs de TikTok ont découvert un nouvel acteur, un nouveau film ou une nouvelle émission de télévision sur TikTok. Ce taux démontre à nouveau le pouvoir que la plateforme afin de susciter des tendances et une popularité pour les films (Davies, 2023 ). Tiktok place le spectateur au cœur de la dynamique.

Après avoir étudié la façon dont Tiktok s’implante dans le but de créer un engouement et pousser le public à aller au cinéma ou regarder des films, nous pouvons ouvrir notre sujet nous demander si Tiktok ne serait pas finalement un concurrent à l’industrie cinématographique.  La plateforme opère un réel changement dans les habitudes de ses utilisateurs. Comme nous l’avons évoqué, il est possible de regarder des films en plusieurs parties. Au-delà d’être utilisé comme un outil de marketing, un outil propulseur, la plateforme Tiktok pourrait elle-même en être actrice. En 2023, Tiktok, partenaire officiel du Festival de Cannes avait déjà organisé son propre festival de court-métrages. Le « Tiktok Short Film » qui permettait aux cinéphiles du réseau social de soumettre leur création, une vidéo verticale originale de plus d’une minute. Néanmoins, cet élan peut remettre en question la légitimité de Tiktok à se positionner comme acteur du cinéma.

Solène TAGMOUNT

Références

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Creton, L. (2020). La marketing cinématographique . Dans L. Creton, Economie du cinéma (p. 157 à 177). Armand Colin .

Croquet , P., & Trouvé , P. (2023, Octobre 5). Sur TikTok, le succès des films et reportages « saucissonnés ». Récupéré sur Le Monde : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/05/sur-tiktok-le-succes-des-films-et-reportages-saucissonnes_6192690_4408996.html

Davies, R. (2023 , Avril 21). TikTok is changing the film industry by putting the power back in the hands of fans. Récupéré sur Why Now: https://whynow.co.uk/read/tiktok-is-changing-the-film-industry-by-putting-the-power-back-in-the-hands-of-fans

Guerrin, M. (2023, Novembre 17). « En assurant le succès du film “Le Consentement”, grâce à un public jeune et populaire, TikTok réussit là où des politiques culturelles échouent depuis des décennies ». Récupéré sur Le Monde: https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/en-assurant-le-succes-du-film-le-consentement-grace-a-un-public-jeune-et-populaire-tiktok-reussit-la-ou-des-politiques-culturelles-echouent-depuis-des-decennies_6200560_3232.html

Jouin, S. (2023, Octobre 10). Barbie : une campagne marketing aux 150 millions de dollars. Récupéré sur Affect: https://www.afffect.fr/blog/barbie-une-campagne-marketing-aux-150-millions-de-dollars

La Dépêche. (2024, Janvier 2024). « Saltburn », le film tendance sur les réseaux sociaux. Récupéré sur La Dépêche : https://www.ladepeche.fr/2024/01/11/saltburn-le-film-tendance-sur-les-reseaux-sociaux-11691380.php

Vasseur, V. (2023, Octobre 23). « Le consentement » : comment une tendance TikTok a relancé cette adaptation du roman de Vanessa Springora. Récupéré sur France Inter: https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-consentement-sur-tiktok-le-film-adapte-du-roman-de-vanessa-springora-plebiscite-par-les-jeunes-1978640

Sur petits et grands écrans, l’animation française à la conquête du monde : les raisons stratégiques d’une success story tricolore

Le point commun entre les films Super Mario Bros, Ninja Turtles : Teenage Years, Miraculous et Migration ? Ce sont des productions Made in France ET de véritables hits à l’international. Depuis plusieurs décennies, la France est parvenue à développer une véritable expertise dans le secteur de l’animation, attirant l’attention de l’industrie cinématographique mondiale, y compris les géants d’Hollywood et du marché de l’animation japonaise. On parle aujourd’hui « d’âge d’or » de l’animation française, appréciée non seulement pour sa créativité et sa qualité technique, mais aussi pour sa capacité à toucher un public très diversifié. De nos jours, les plus grands studios américains et japonais s’arrachent les talents français, tandis que les sociétés d’animation tricolores sont sollicitées sur des licences d’envergure internationale (entre autres, Star Wars, League Of Legends, Super Mario, Les Tortues Ninja…). Focus sur les atouts stratégiques contribuant à la réussite de cette « exception culturelle française. »

UN SOCLE ÉDUCATIF UNIQUE 

La France dispose d’un terreau particulièrement fertile d’écoles renommées spécialisées dans l’animation ; Les Gobelins, l’ESMA, Rubika, ARTFX et MoPA figurent parmi les meilleures formations d’animation au monde d’après le classement établi par l’Animation Career Review. Ces écoles fournissent aux étudiants toutes les compétences nécessaires pour exceller dans le secteur, elles sont notamment réputées pour leur capacité à enseigner toutes les techniques d’animation, 2D comme 3D, là où les écoles américaines ont par exemple fait le choix de pleinement se focaliser sur la 3D au tournant des années 2000, délaissant les techniques d’animation traditionnelles. À l’inverse, le Japon a longtemps manifesté sa réticence à l’égard de la 3D, accusant aujourd’hui un lourd retard technologique et artistique sur ses pays concurrents. La diversité des techniques et des influences artistiques est au coeur des formations françaises. Elles sont en lien étroit avec l’industrie, car ce sont généralement des professionnels en activité qui enseignent dans ces écoles. La France offre ainsi aux jeunes des formations d’une grande qualité, perpétuellement alimentées par les meilleurs professionnels du secteur. 

Contrairement à ses voisins anglo-saxons, ces formations s’étalent sur plusieurs années et sont généralement peu coûteuses. Face à l’explosion de la demande internationale, ces écoles, autrefois peu connues et relativement « niches », font désormais face à une explosion de leurs effectifs. D’après une étude du CNC, le nombre d’étudiants spécialisés en animation devrait doubler d’ici 2030. Ces écoles sont regroupées au sein du RECA, un réseau d’intérêt général qui vise à « favoriser la lisibilité de l’offre en formation dans le secteur de l’animation » et « faciliter le dialogue entre les écoles et avec les professionnels dans le respect d’une déontologie commune » selon ses fondateurs. Les écoles françaises bénéficient ainsi d’une visibilité internationale, convoitées par les jeunes talents du monde entier. 

UN SOUTIEN INSTITUTIONNEL INDÉFECTIBLE

L’animation en France bénéficie du soutien des institutions culturelles et gouvernementales. Le CNC soutient financièrement la production d’œuvres animées françaises : en 2022, les aides du CNC couvraient 18% des devis en animation. Pour la télévision, 50 programmes français ont été aidés en 2022, soit plus de 1600 épisodes. À noter que France Télévisions demeure depuis plus de 10 ans le premier groupe européen commanditaire de programmes d’animation français. Au cinéma, 13 productions animées d’initiative française ont été aidées par le CNC en 2022, c’est un record. 

Le CNC vise également à instaurer un cadre réglementaire favorable au développement de cette industrie à l’international. Particulièrement depuis plusieurs années, encourager l’animation Made in France est devenu un véritable enjeu pour faire face à la compétitivité accrue des autres pays. Depuis 2016, le crédit d’impôt international (C2I) favorise les collaborations internationales. Les entreprises étrangères sont davantage enclines à travailler avec des studios d’animation français, car en plus de leur précieux savoir-faire, les dispositifs fiscaux mis en place sont très avantageux. En 2022, 52 œuvres d’animation agréées au C2I ont généré près de 190M€ de dépenses en France ; c’est deux fois plus qu’en 2019. Dans le contexte du plan d’investissement national France 2030 et de l’appel à projet La grande fabrique de l’image (sous la supervision du CNC), le soutien envers la filière devrait se consolider. L’objectif est d’abord de soutenir de manière durable les projets portés par des acteurs majeurs comme Illumination MacGuff (Moi Moche et Méchant, les Minions, SuperMario Bros), Xilam (Oggy et les cafards, J’ai perdu mon corps), Blue Spirit (Ma vie de Courgette, Blue Eye Samurai) ou Mikros Images (Bob L’éponge, Pat’Patrouille, Asterix) ; tout en favorisant le développement de studios créatifs en croissance, comme MIAM ! (Edmond et Lucy) et Fortiche (Arcane, Rocket & Groot).  

UNE « FRENCH TOUCH » DÉSIRÉE

La France est reconnue pour son cinéma d’auteur, et cela s’applique également à l’animation. Les créateurs français ont souvent la liberté artistique nécessaire pour développer des projets originaux et innovants, contribuant ainsi à l’émergence de films d’animation uniques. Chez son voisin outre-atlantique, il est d’usage de constituer des pools d’auteurs et de réaliser une multitude d’études de marché afin de déceler le plus précisément possible les attentes du public, dans une logique de rentabilité et de minimisation des risques. En France, le modèle est beaucoup plus léger, la vision de « l’auteur » demeure au coeur des processus de création : d’une certaine façon, chaque œuvre est un prototype. La diversité de techniques utilisées, des influences et des scénarios déployés ont façonné ce style d’animation unique, une « french touch » reconnue mondialement pour son exigence, sa qualité, son design et sa sensibilité. Les oeuvres sont si éclectiques qu’elles parviennent à capter les publics du monde entier : en 2023, nos salles obscures ont accueilli l’ambitieux polar de SF Mars Express, le somptueux conte onirique Sirocco ou encore la comédie haut en couleur Linda veut du poulet ! Ces films, bien que très différents, ont pour facteur commun leur succès, critique comme commercial. 

Leur carrière est boostée par l’international avec souvent la moitié du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger, à l’instar du film français Le Petit Prince (2015) qui a enregistré 18 millions d’entrées sur 65 territoires. Pour Marc du Pontavice, PDG des studios Xilam, la réussite de l’exportation française s’explique par la qualité unique de l’animation : « Les Européens et particulièrement les Français ont appris le métier dans un creuset d’influences très variées et ont créé leur propre identité graphique qui du coup s’exporte très bien. Elle est très universelle, moins américano-centrée ou japono-centrée que nos concurrents. » La FRanime s’exporte si bien à l’international que certains auteurs français se retrouvent propulsés aux manettes de superproductions françaises d’initiative étrangères, à l’instar de Benjamin Renner (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard), réalisateur sur Migration (Universal, Illumination). 

DES COLLABORATIONS INTERNATIONALES

La France a su établir des collaborations fructueuses avec des studios étrangers, européens, américains et japonais. En 2022, 7 films d’animation sur 10 étaient des coproductions internationales. Les producteurs se tournent vers leurs voisins européens et internationaux pour trouver des fonds et veiller à l’adéquation entre le produit final et les publics internationaux. Selon le CNC, entre 2012 et 2021, le financement international représentait 25% du financement global des films d’animation d’initiative française. Aujourd’hui, le taux approche les 30%. La production d’animation française se veut donc par principe international, avec 80% à 90% de coproductions européennes.

Notons le rôle croissant des plateformes dans la production française. Les quelque 120 studios d’animations français collaborent de plus en plus régulièrement avec les plateformes de streaming : en 2020, Xilam réalisait plus de 50% de son chiffre d’affaires avec Netflix et Disney+.  « Il y a 5 ans, l’essentiel de notre chiffre d’affaires provenait des chaînes françaises et des réseaux de chaînes étrangères » relève Marc du Pontavice. Ces plateformes ont tendance à privilégier l’animation destinée à un public adulte, là où les chaînes de télévision publiques et européennes se focalisent davantage sur l’animation pour enfants. Cependant, l’animation pour adulte progresse partout, chaînes comme plateformes sont conscientes des vastes poches de marché sur ce segment. Les récentes séries Netflix à succès Arcane et Blue Eye Samurai en sont les parfaits exemples. Arcane, produite par le jeune studio français Fortiche, est l’une des séries animées les plus chères de l’histoire, avec un budget avoisinant les 80M$, soit dix fois le budget d’une série d’animation classique. Blue Eye Samurai, produite par Blue Spirit, a été renouvelée par Netflix moins d’une semaine après sa sortie, preuve de son incontestable succès. Ce type de séries, largement saluées par la critique pour la singularité et la beauté de leurs graphismes, a le vent en poupe sur les plateformes.

PERSPECTIVES DE MARCHÉ

Ainsi, la haute qualité d’animation demeure l’avantage concurrentiel principal de la FRanime, c’est un atout stratégique puissant mais fragile, challengé par de multiples enjeux. Pensons notamment aux avancées technologiques majeures que connait ce secteur actuellement, particulièrement sur le terrain de l’intelligence artificielle : Jeffrey Katzenberg, le co-fondateur de DreamWorks, estime que 90 % des artistes pourraient être remplacés par l’IA dans les années à venir. Les besoins en main d’oeuvre pourraient structurellement diminuer, créant davantage de compétition entre les animateurs…

Benjamin Attia

SOURCES

Sébastien Denis, « De Toy Story à J’ai perdu mon corps : III. L’animation industrielle et ses alternatives, NECTART, 17, 84-93

« Le marché de l’animation en 2022 », CNC, 13/06/2023

Jérôme Lachasse, « Pourquoi le cinéma d’animation français est le plus envié au monde », BFM, 16/06/2023

« Cinéma d’animation : les écoles françaises s’imposent à l’international », CNC, 01/09/2022

« Le cinéma d’animation français brille dans les salles obscures du monde entier », Gouvernement, 16/01/2024

Maxime Delcourt, « Le cinéma d’animation, grand fleuron de la France à l’étranger », Slate FR, 21/08/2023

Jérôme Lachasse, « Pourquoi l’animation pour adultes est si difficile à produire », BFM, 17/06/2023

Miotisoa Randrianarisoa & J. Paiano, « 90 % des artistes des studios de films d’animation risqueraient d’être remplacés par l’IA », 11/01/2024. 

Cinéma et jeu vidéo : deux arts irréconciliables ? 

Tomb Raider, Silent Hill, Assassin’s Creed, Uncharted…depuis la sortie de Super Mario Bros dans les années 90, les jeux vidéo sont régulièrement adaptés pour le grand écran. Une source d’inspiration inépuisable  pour l’industrie du cinéma, comme en témoigne la sortie d’un nouveau film – un dessin animé cette fois – consacré au petit bonhomme à casquette rouge. Bien que ces aventures épiques soient souvent controversées, elles témoignent de la popularité croissante des jeux vidéo en tant que source d’inspiration pour l’industrie cinématographique.
En 1998, les frères Le Diberder déploraient déjà les « résultats lamentables » des adaptations cinématographiques de jeux vidéo, à l’instar de  Final Fantasy: The Spirits Within, fustigé à la fois par  la critique et les fans du jeu. Beaucoup justifient  ces échecs par les faiblesses des jeux d’origine. Néanmoins,  il serait pertinent de s’interroger davantage sur les différences fondamentales entre ces deux médias qui les rendent incompatibles.

Le risque de vouloir faire plaisir à tout le monde

Les franchises de jeux vidéo sont devenues de véritables phénomènes de société, avec des communautés de joueurs actives et passionnées. De nombreux cinéastes y voient donc  une opportunité de « surfer » sur la notoriété déjà bien installée de certains univers, tout en attirant un nouveau public par le cinéma, un média plus accessible. Ainsi, si des films comme Resident Evil ou Assassin’s Creed ont connu un certain succès au box-office, c’est notamment parce que ces deux licences étaient  déjà bien connues du grand public. Elles ont ainsi pu compter sur un public de curieux, non initié, mais aussi sur  leurs  fans, présents pour  s’assurer de la fidélité du film au jeu d’origine.
Par ailleurs, adapter une licence au cinéma permet de démocratiser le jeu vidéo auprès du  grand public. Mais ce double ciblage, qui espère transformer les cinéphiles en gamers et inversement,  pose problème. En voulant faire plaisir à tout le monde, bon nombre de réalisateurs et scénaristes se sont perdus concernant la direction à donner à leur adaptation, donnant lieu à des maladresses mémorables. C’est notamment ce qui a été reproché à la première adaptation de Super Mario Bros au cinéma, en 1993 : en voulant constamment rappeler l’œuvre originale tout en le rendant accessible, beaucoup de références se sont retrouvées placées aléatoirement dans le film et sans vraiment de réflexion. Dans leurs critiques, de nombreux  fans de la franchise ont été même jusqu’à les  juger « ridicules ».

L’art subtile d’adapter avec succès les jeux vidéo au cinéma 

La narrativité

Dans l’un de ses écrits, l’universitaire américain spécialisé dans les médias, Henry Jenkins, explique que l’adaptation cinématographique des jeux vidéo est un exercice complexe car certaines caractéristiques propres à ce médium ne sont pas facilement transposables à l’écran. En effet, contrairement au cinéma, où la narrativité est au cœur de chaque construction, les jeux vidéo offrent une grande liberté au joueur qui peut influencer le déroulement de l’histoire. Cette spécificité particulièrement importante pour les joueurs, est difficile à reproduire dans un film où la narration est prédéterminée.

Au cinéma, le récit est essentiellement séquentiel ou linéaire et influence donc la façon dont le film est perçu et compris, ainsi que les choix esthétiques du réalisateur. Les films utilisent des techniques cinématographiques telles que les dialogues et les cinématiques pour raconter l’histoire de manière cohérente. Le public est ainsi un observateur passif, qui suit le déroulement du récit sans avoir de prise sur son issue.

Dans les jeux vidéo, en revanche, la narration est souvent non-linéaire, le joueur est un participant actif à la construction de l’histoire. Cela crée une différence majeure dans la construction du scénario par rapport au cinéma, où la narration est essentiellement linéaire et le public est un observateur passif. En outre, le temps de jeu d’un jeu vidéo, qui peut s’étendre sur 15 à 30 heures, contraste avec la durée d’un film, qui est généralement comprise entre 1h30 et 3h, limitant ainsi la possibilité de développer des personnages et des émotions complexes.

Pour les frères Le Diberder, auteurs de « Qui a peur des jeux vidéo », ce sont ces différences en termes de structure narrative qui créent un fossé entre cinéma et jeux vidéo.

L’interactivité

Ce fossé est renforcé par la présence (ou l’absence) d’interactivité. En effet, bien que la dimension narrative existe au sein des jeux vidéo, elle se retrouve éclipsée par ce que l’on peut appeler « l’interaction narrative » qui correspond à la notion de « jouabilité ». 

Et pour cause, le gameplay des jeux vidéo, qu’Alexis Blanchet (enseignant et chercheur français en cinéma et nouveaux médias) définit comme « l’agencement des règles imposées par le jeu et les possibilités d’appropriation de ces règles par le joueur » dans son ouvrage « Des pixels à Hollywood : cinéma et jeu vidéo, une histoire culturelle et économique » est difficilement imitable pour le cinéma. En effet, des mécanismes tels que le choix des dialogues et les embranchements narratifs ne peuvent pas facilement être reproduits au cinéma.

Dans son article consacré aux relations entre cinéma et jeu vidéo, Sandy Baczkowski conclut simplement que « On ne regarde pas un jeu, on y joue. On ne joue pas à un film, on le regarde » : devant un film, nous sommes des spectateurs, tandis que devant un jeu vidéo nous sommes de véritables joueurs. Ainsi, un jeu vidéo pourra, par exemple, offrir plusieurs histoires ou fins différentes selon les interventions du joueur, tandis que les films ont une fin unique pour tous les spectateurs.

L’immersion dans l’espace-temps

Au niveau de l’espace-temps, là aussi les deux médias diffèrent : lorsque le cinéma se caractérise par une proposition d’un récit en image, le jeu vidéo, quant à lui, est un univers numérique dans lequel les joueurs sont amenés à plonger, s’immerger voire s’enfermer pour vivre des aventures hors du temps et de l’espace. En effet, ils se déplacent au sein de l’espace et ainsi du temps, libérant le présent du jeu pour répondre à une logique de mémoire virtuelle. Le cinéma sollicite donc principalement le regard, la vue, tandis que le jeu vidéo correspond également à une dimension tactile et corporelle.

Des convergences indéniables :  le cinéma transludique

Ainsi, il paraît évident que le cinéma et le jeu vidéo répondent à des logiques qui sont, par essence, différentes à plusieurs niveaux, rendant impossible l’adaptation d’un jeu vidéo en film. 

Néanmoins, on observe ces dernières années que des convergences entre le cinéma et la vidéoludique apparaissent et se renforcent. Au cinéma, les expériences sont de plus en plus immersives : on parle alors de « remédiatisation », que Jay David Bolter et Richard Gursin définissent dans leur ouvrage « Remediation : Understanding New Media », comme la reprise des formes et techniques d’un média par un autre. On constate qu’au cinéma apparaissent des stratégies de remédiatisation pour créer davantage d’immersion pour le spectateur. Les réalisateurs utilisent des techniques de narration spécifiques pour immerger le public dans l’histoire, grâce au montage, à la mise en scène, etc… Ces techniques sont accompagnées par les avancées technologiques de ces dernières années, telles que la 3D, la 4D, les effets spéciaux, le son spatialisé, la technologie Dolby Atmos, la VR, etc… Par exemple, le film de Christopher Nolan, Dunkerque, transporte les spectateurs directement dans l’action des événements de la Seconde Guerre mondiale grâce à sa narration non linéaire, combinée à une cinématographie immersive et à une bande sonore stressante. 

A partir de ce phénomène, Martin Picard théorise l’idée de « cinéma transludique » dans sa thèse intitulée « Pour une esthétique du cinéma transludique : Figures du jeu vidéo et de l’animation dans le cinéma d’effets visuels du tournant du XXIe siècle ». Il définit ce concept comme une forme de cinéma qui aurait plus à voir avec l’esthétique des jeux vidéo et des nouveaux médias en général qu’avec les codes cinématographiques classiques du cinéma. Un film transludique reste un film « traditionnel » du fait qu’il comporte un récit avec un début, un milieu, une fin, axé sur la progression d’un ou plusieurs personnages. Les spectateurs ne peuvent donc pas intervenir dans l’action et avoir un impact sur son déroulement. Néanmoins, il intègre des éléments vidéoludiques dans sa narration et sa mise en scène et s’impose donc comme le résultat de la convergence de différentes influences, notamment à travers l’attitude ludique qui permet d’impliquer davantage le spectateur sans pour autant lui donner la maîtrise du récit, tout en conservant des conceptions et des idées qui existent depuis toujours au cinéma.

Anne-Lise Magnien

Sources

Picard M. (2009), Pour une esthétique du cinéma transludique

Marti Marc (2012), Jeux vidéo et logiques narratives

Maison des Sciences de l’Homme (2019), Culture vidéoludique !

Alix Odorico (2021), Ces raisons qui expliquent pourquoi les adaptations des jeux vidéo en film sont souvent ratées

Di Crosta Marida (2009), Entre cinéma et jeux vidéo : l’interface-film

Comment produire des films de manière écologique ?

Le dérèglement climatique est sans précédent et il faut agir d’urgence pour en freiner l’impact catastrophique. C’est le constat que fait le GIEC dans son sixième rapport d’évaluation, en soulignant le pouvoir d’action des États et des entreprises. « Dans tous les secteurs, nous disposons de solutions pour réduire au moins de moitié les émissions d’ici à 2030 » déclarait le groupe d’experts dans son communiqué de presse du 4 avril 2022. [1]

En parallèle, la prise de conscience collective prend de l’ampleur, et se reflète notamment au cinéma. Il y a en effet de plus en plus de films qui sensibilisent – frontalement ou de manière indirecte – à la défense de l’environnement et portent une voix engagée. Le long métrage Don’t Look Up : Déni cosmique illustre bien cela à travers le succès qu’il a eu. Mais cette représentation s’oppose parfois à la pollution engendrée par la production cinématographique.

Si le secteur du cinéma ne figure pas parmi la liste des industries les plus polluantes, son impact écologique est loin d’être négligeable. Une étude de 2006 menée par l’université de Californie à Los Angeles (UCLA)[2] montrait alors que l’industrie californienne du cinéma émet 140 000 tonnes par an d’émissions d’ozone et de particules diesel. Cela représente une pollution en Californie supérieure à celle de tous les autres secteurs, à l’exception de celui du pétrole.

En France, l’empreinte du secteur audiovisuel est estimée à 1,7 millions de tonnes de CO2 par an, selon une étude menée en 2020 par Ecoprod[3], une association soutenue par le CNC et l’Afdas et fondée par des acteurs majeurs de l’audiovisuel français. C’est à ce jour la seule étude chiffrée à ce sujet.

Une autre étude publiée par la Commission de la Région Ile-de-France [4] en 2008 s’est penchée sur l’empreinte écologique d’un tournage, en identifiant « les principaux postes de consommation de matière ou de ressources » de la filière, mais c’est une étude prospective dont la portée reste limitée.

Dans un contexte où l’urgence climatique exhorte tous les acteurs à fournir des efforts, il est aujourd’hui primordial que l’industrie du cinéma œuvre à réduire son impact environnemental. Au-delà d’un classement des industries les plus polluantes, il s’agit avant tout mettre en place une dynamique générale adoptée et actée par la société dans sa globalité, et surtout encouragée par une politique publique déterminée.

Quels leviers d’action pour mettre en place une éco-production ?

Un film est dans la grande majorité des cas porté par une société de production, qui comme toute société a souvent un bureau et des employés permanents. La société est donc un premier espace d’action où l’on peut mettre en place des mesures écologiques, telles que la limitation de l’usage numérique, l’économie d’énergie, le recyclage, etc. Mais ces plans d’action sont déjà plutôt bien connus et identifiés, et il s’agit ici de traiter des spécificités du cinéma et plus particulièrement d’un moment clé de la fabrication d’un film, à savoir le tournage.

Selon l’étude de la Commission Ile-de-France, ce qui pollue le plus dans un tournage est l’impact généré par le transport des gens et des choses (ce qui correspond par ailleurs à un poste budgétaire souvent relativement élevé).

Un article du journal Les Échos [5] rapporte un extrait d’un entretien avec un membre de l’équipe de La Vie d’Adèle :  “On a tourné la majeure partie de Mektoub my Love à Sète. Puis, Abdellatif Kechiche nous a fait partir au Portugal. Pour une seule scène, qu’il a finalement coupée au montage.” “Tous ?” “Oui, toute l’équipe, en avion, pour deux semaines.”

Cela illustre les proportions que peut parfois prendre le transport de toutes les équipes artistiques et techniques pour tourner dans des décors naturels. Si jusque-là la question ne se posait pas, il faut désormais pouvoir envisager de limiter les déplacements et choisir les moyens de transport les plus écologiques.

Un autre poste riche en pollution est celui du matériel utilisé, qui est de plus en plus performant sur le plan technologique mais par la même occasion plus énergivore. Certaines lampes ou caméras permettent par exemple un rendu optimal pour des hautes définitions dont les écrans de cinéma ne disposent même pas.

Quels sont les dispositifs existants en France ?

L’association Ecoprod citée plus haut et créée en 2009 compte parmi les acteurs les plus actifs en matière d’éco-production. L’association a créé en 2010 l’Ecoclap, un calculateur d’empreinte carbone dédié à l’audiovisuel et dont les sociétés de production peuvent se servir pour atteindre leurs objectifs. Leur plateforme offre également des fiches pratiques, des formations, un guide de tournage, etc.

La startup Pixetik est quant à elle spécialisée dans le placement de produits écoresponsables, tandis que l’agence de conseil Secoya Ecotournage s’applique à mettre en place des stratégies RSE pour les sociétés de l’audiovisuel.

Ces initiatives se multiplient en France, mais elles restent marginales. Car pour faire appel à une agence de conseil comme celles-ci, il faut dépenser davantage et embaucher davantage, puisque souvent cela nécessite la désignation d’un eco-manager chargé de coordonner cet aspect-là.

Qu’est-ce qui inciterait donc les sociétés de production à se rajouter une contrainte supplémentaire ?

C’est là que le CNC intervient via son plan Action ! lancé en 2021 à travers 3 étapes :

  • La première durant 2022 consiste à sensibiliser les acteurs de la filière aux impératifs de la transition écologique et énergétique, via la mise en place de formations non obligatoires et la valorisation des initiatives
  • La deuxième courant 2023 qui introduit l’obligation de fournir un bilan carbone pour tout projet financé par le CNC
  • La troisième et dernière étape qui conditionne l’obtention des aides au respect de certains seuils d’émission

Pour l’instant il n’y pas vraiment d’impact sur les sociétés de production car la phase de sensibilisation n’impose pas d’obligations, mais si le plan Action ! se déroule comme prévu, l’empreinte écologique des films en sera grandement améliorée. Toutefois, le champ d’action du CNC se limitera aux films qui dépendent des aides du CNC, et n’englobera donc pas les grosses productions de studios dont les films sont les plus couteux et énergivores.

Youssef BRICHA


[1] https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2022/04/IPCC-AR6-WG-III-PressRelease-French.pdf

[2] https://www.theguardian.com/world/2006/nov/15/filmnews.usa

[3] https://www.ecoprod.com/fr/les-outils-pour-agir/etudes.html

[4] http://www.filmvar.com/userfiles/file/Etude%20Empreinte%20Ecologique.pdf

[5] https://start.lesechos.fr/societe/environnement/le-cinema-aussi-pollue-la-planete-1174928

Jeux vidéo et cinéma : Une love story

La frontière entre le jeu vidéo et le cinéma semble ne jamais avoir été aussi petite qu’à cet instant. Utilisant parfois les mêmes technologies comme la motion capture, ces 2 univers ne cessent de s’inspirer réciproquement.

Des points de convergence – L’exemple de The Volume

Pour la série The Mandalorian, première série Star Wars en images réelles, 2 des plus grands acteurs mondiaux du cinéma et du jeu vidéo se sont associés afin de créer une technologie qui pourrait révolutionner la façon de produire des contenus audiovisuels. ILM (Industrial Light & Magic), boîte d’effets spéciaux créé par Georges Lucas et aujourd’hui un des leaders du marché, a décidé de travailler avec Epic games, grosse boite de production de jeu vidéo et notamment du jeu à succès Fortnite. En résulte « The Volume », véritable incrustation du jeu vidéo dans le monde du cinéma.

The Mandalorian / Saison 1 – Lucasfilm

Le principe de cette technologie est simple: remplacer la technique du fond vert et de l’incrustation en post-production, considérées comme longues et couteuses. ILM et Epic games ont alors créé un immense écran LED à 270° de 6 mètres de haut sur 22 mètres de long où l’on peut projeter le décor voulu en temps réel (un désert, une montagne, une planète…).

The Mandalorian / Saison 1 – Lucasfilm

Tout cela fonctionne avec un moteur 3D, le Unreal Engine 4 d’Epic games. Ces moteurs 3D ont la particularité de pouvoir générer quasi instantanément des effets spéciaux et de les diffuser sur grand écran. On pourrait dire qu’il n’y a rien de révolutionnaire là-dedans étant donné que les films en noir et blanc utilisaient déjà ce type de technique à l’époque : des personnages au premier plan avec un écran diffusant un décor en arrière-plan. Seulement ici, en plus d’avoir des environnements d’un réalisme bluffant, la caméra possède également des capteurs permettant au décor de s’adapter en fonction de ses mouvements. Ainsi à l’image d’un jeu vidéo, on se retrouve dans un environnement 3D photo réaliste où le réalisateur peut naviguer afin de filmer comme il le souhaite la scène. Le principe est le même que dans un jeu à la 3e personne comme Fortnite sauf qu’ici on filme avec les acteurs d’une série. La caméra est la manette et le réalisateur est le joueur.

Jon Favreau, show runner de la série a d’ailleurs déclaré :

« Cette technologie va révolutionner la manière de filmer »

Jon Favreau

Selon nous, ce n’est pas simplement la manière de filmer qu’elle va bouleverser mais également la manière de produire des contenus.

Réponse aux problématiques de production : moins chers, plus rapide

Déjà sur la partie artistique, une telle technologie permet aux équipes de directement voir le rendu sur le plateau. Pour les acteurs, ils sont plongés au cœur de la scène, dans ces décors somptueux et arrivent ainsi à s’immerger beaucoup plus facilement qu’en face d’un fond vert. Enfin en termes d’éclairage, ils ne correspondent pas toujours bien avec les décors qu’on incruste des mois après le tournage par CGI (computer generated imagery). Avec cette technologie, on facilite le travail du directeur de la photographie qui n’a plus à anticiper ce que l’éclairage devrait rendre sur le décor qui va être créer des mois plus tard.

Pour ce qui est de la partie production. La réduction de coûts est considérable. Certes il faudra plus de temps en préparation afin de créer tous les environnements numériques. Néanmoins la post production, souvent très couteuses en effets spéciaux, sera extrêmement réduite. De plus on gagne en efficacité. Le même jour sur le même décor on peut tourner sur des tas d’environnements différents. Si on se rend compte que quelque chose ne fonctionne pas sur le plateau, on peut le changer quasi instantanément. On n’est plus obligé d’aller tourner dans un vrai désert par exemple et de déplacer tout une équipe ce qui est souvent extrêmement couteux. Les ingénieurs d’Epic games ont d’ailleurs penser la création de ces environnements en préproduction sous forme de plateforme collaborative ce qui permet aux différentes équipes : réalisation, photographie, décors… d’apporter des modifications quand ils le souhaitent plutôt que d’attendre parfois des semaines.

L’ensemble de la production est finalement accéléré. Hors nous sommes dans un monde où les choses vont de plus en plus vite, en particulier en ce qui concerne les séries où savoir maitriser son temps de production est essentiel. Avec la plupart des studios qui veulent désormais sortir une saison par an et ce en bluffant toujours plus les spectateurs, c’est typiquement le genre de technologie qui peuvent résoudre ces problématiques.

Une histoire d’amour ancienne

Si sur l’exemple de The volume, on voit le jeu vidéo apporter une révolution dans le cinéma, c’était plutôt l’inverse qui s’opérait jusqu’à présent. Le cinéma a largement contribué à la démocratisation du jeu vidéo et ce depuis la première adaptation vidéoludique d’une franchise cinématographique, Shark Jaws sortie en 1975, inspirée du film de Steven Spielberg, Jaws. S’en est suivi de nombreuses adaptations permettant aux studios de cinéma d’exploiter au mieux leurs droits et de toucher une audience plus large. Pour le jeu vidéo, ce dernier a gagné en crédibilité afin de pouvoir se revendiquer 45 ans plus tard comme le 10e art.

Depuis le jeu vidéo ne cesse de se rapprocher du cinéma, de ses univers, de son esthétisme. Celui-ci a longtemps opéré un mimétisme d’image cinématographique ayant marqué la population, allant jusqu’à recruter des grands acteurs de cinéma pour jouer dans ses productions tels que Norman Reedus, William Dafoe ou plus récemment Keanu Reeves.

A l’inverse les adaptations de jeu vidéo aux cinémas sont loin de faire l’unanimité, donnant des films pour la plupart oubliables comme la très regrettable adaptation Super Mario Bros sortie en 1993. Néanmoins le cinéma utilise toujours plus d’images de synthèse, grande caractéristique du jeu vidéo, et voit également arriver des scénarios interactifs comme avec le Bandersnatch de chez Netflix

Black Mirror – Bandersnatch – Netflix 2018

Vers une rupture au profit du jeu vidéo ?

Le jeu vidéo prend une place de plus en plus importante. Pendant de nombreuses années il a eu une connotation assez négative, beaucoup le considérant comme chronophage, antisocial ou encore addictif. Même si ces problématiques demeurent, elles s’effacent progressivement en raison du potentiel énorme que constitue ce marché. S’étant appuyer sur le cinéma pour gagner en crédibilité, les jeux vidéo peuvent désormais s’émanciper. Défendu sur un précédent article de ce blog, on peut quasiment les considérer comme de véritables médias sociaux. On se pose alors la question : allons-nous assister à un futur où le jeu vidéo aurait englober toutes les industries créatives ?

Source: Unsplash

Le cinéma était la réunion de plusieurs industries créatives à son émergence : la peinture, la musique, l’art de la scène, la photographie. En plus de ces éléments, le jeu vidéo vient rajouter une couche supplémentaire, celle du spectateur comme véritable acteur de l’oeuvre. Il n’est plus passif comme au cinéma, il devient partie prenante et décide. On touche à de l’ultra personnalisation, on a presque un jeu vidéo par personne. En découle une expérience unique, à l’inverse d’un film qui est le même pour chaque personne qui le visionne. Cette puissance grandissante du jeu vidéo pourrait ainsi l’amener au centre de l’attention culturelle pour les années à venir.

Un futur à écrire à deux

Et le cinéma dans tout ça ? Sera-t-il dévoré par l’ogre jeu vidéo et cette tendance d’ultra personnalisation ? Rien n’est moins sûr. Les œuvres culturelles communes, dont les « films cultes » font partis, ont la particularité de créer du lien social, les spectateurs ayant l’impression d’avoir partager la même expérience, les mêmes émotions, le même ressenti, que les autres. C’est ainsi que l’être humain se construit, en créant ou non des groupes d’affinités selon ce qu’ils ont vécu au travers de ces œuvres. A l’inverse, l’ultra personnalisation crée moins d’univers communs sur lesquels les spectateurs peuvent s’accorder.

Ceci expliquerait d’ailleurs le succès de Twitch. Pourquoi les joueurs adorent regarder des streamers pendant des heures ? Ils pourraient tout simplement créer leur propre expérience de jeu, unique, personnalisée, plutôt que de regarder l’expérience d’un autre. C’est une construction sociale. En regardant des lives de joueurs qu’ils apprécient, ils ont l’impression d’appartenir à une communauté, quelque chose qui semble beaucoup plus difficile à créer avec de l’ultra personnalisation. On a plusieurs exemples récents des limites de la personnalisation, à commencer par Netflix. Celui qui revendiquait d’avoir créer « un Netflix par personne » finit par proposer un Top 10 basé sur un critère aussi basique que le territoire.

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Au cinéma, il y aurait des millions de façons de représenter chaque histoire. Pourtant c’est le fait d’avoir derrière chaque film un réalisateur avec une vision qui nous touche. C’est cette vision unique qui crée du lien, tout comme l’expérience d’un streamer crée du lien pour l’ensemble de la communauté qui le suit. Cette même expérience que l’on retrouve dans une salle de cinéma, chaque spectateur étant rivé sur une œuvre : joie, pleurs, colère, rires… en ressortent, les mêmes émotions ressenties au même moment.

Le cinéma et le jeu vidéo ont encore un futur à écrire ensemble, en continuant à s’agrémenter, chacun ayant à apprendre de l’autre afin de nous faire vivre des émotions. La fusion de ces 2 modèles pourrait bien constituer l’avenir du monde culturel.

Tom Flamand

Source: Unsplash

Sources

Master_Chef. « Cinéma et jeux vidéo : univers parallèles ? | Culture Games – Culture, Encyclopédie et Histoire du jeu vidéo ». Consulté le 16 décembre 2020. https://www.culture-games.com/transmedia/cinema-et-jeux-video-univers-paralleles.

Upopi. « Jeu vidéo et cinéma – 1e partie | Ciclic ». Consulté le 16 décembre 2020. https://upopi.ciclic.fr/analyser/d-un-ecran-l-autre/jeu-video-et-cinema-1e-partie.

Redbull « Jeux vidéo et cinéma: “je t’aime, moi non plus” Gaming ». Consulté le 16 décembre 2020. https://www.redbull.com/fr-fr/jeux-video-cinema.

usine-digitale.fr. « L’équipe de The Mandalorian dévoile les innovations technologiques derrière la série ». Consulté le 16 décembre 2020. https://www.usine-digitale.fr/article/l-equipe-de-the-mandalorian-devoile-les-innovations-technologiques-derriere-la-serie.N932724.

Unreal Engine. Real-Time In-Camera VFX for Next-Gen Filmmaking  | Project Spotlight | Unreal Engine, 2019. https://www.youtube.com/watch?v=bErPsq5kPzE&feature=youtu.be.

ILMVFX. The Virtual Production of The Mandalorian, Season One, 2020. https://www.youtube.com/watch?v=gUnxzVOs3rk&feature=youtu.be.

Canal+ obligé de repenser complètement sa stratégie pour éviter sa disparition

Les origines du géant de la télévision à péage 

En 1984, les créateurs de Canal+ avaient pour ambition de créer une chaîne de télévision généraliste nationale française privée et cryptée, axée sur le cinéma et le sport, différente et libre. 

En effet, du fait de son importance dans le circuit de financement des longs-métrages, Canal+ est devenue la seule chaîne payante diffusant les films en avant première, c’est à dire avant leur diffusion sur les chaînes de télévision gratuites. Elle s’est également progressivement placée sur le devant de la scène en tant qu’acheteuse de droits sportifs (notamment avec les droits de diffusion des matchs de football).

Depuis ses débuts, Canal+ opère avec la même stratégie. Ce groupe de médias audiovisuels se démarque en tant qu’agrégateur de contenus mais également en tant que fabricant et producteur de contenus originaux.

Cependant, il semble pertinent de s’interroger sur la longévité de son modèle économique. En ce sens, il est intéressant d’observer les menaces pesant, aujourd’hui, sur une entreprise autrefois si performante et les moyens mis en place par celle-ci pour y faire face. 

L’innovation au coeur de la stratégie de Netflix, son principal concurrent

Apparu à la fin des années 1990 et, aujourd’hui, leader mondial du streaming vidéo, Netflix fait de l’ombre à Canal+. Cette plateforme de vidéo-à-la-demande par abonnement représente l’une des principales raisons de la remise en cause de son modèle. 

Tout a commencé lorsque Reed Hasting, son fondateur, s’est emparé d’une innovation datant de 1997, l’apparition des DVD, pour créer une entreprise qui envoie et reçoit les films par la Poste.

À la fin de la décennie 2010, en pleine croissance, Netflix procède à une transformation radicale de sa stratégie de distribution et diversifie ses activités en développant la distribution de film dématérialisée grâce au streaming et à la distribution sur PC. En prenant cette décision, Reed Hasting s’auto-cannibalise : il crée, en interne, son propre concurrent.

Par conséquent, l’apparition et la croissance de Netflix ouvrent l’entrée sur le marché à d’autres concurrents tels qu’Amazon Prime Video, OCS… et bientôt Apple+, Disney+ et d’autres encore. 

Sachant que l’innovation a un impact majeur sur l’activité économique d’une entreprise et sur le service rendu à l’utilisateur, il est désormais nécessaire pour l’entreprise voulant évoluer tout en restant compétitive de se « disrupter » elle-même en changeant ses métiers et ses compétences historiques. Les nouvelles plateformes de streaming l’ont bien compris, surtout Netflix qui a littéralement révolutionné nos habitudes de consommation des contenus audiovisuels. 

En effet, la plateforme doit sa réussite à son système de recommandation personnalisé qui utilise une variété d’algorithmes permettant de faire correspondre les contenus proposés aux utilisateurs à leurs préférences. De plus, en passant d’une offre de location de DVD à une offre de divertissement, elle s’est différencié sur la création de programmes originaux. Le but étant de créer de l’intérêt, Netflix n’a fait qu’agrandir sa base de fans fidèles.

Il parait ainsi évident que, peu à peu, mais rapidement, l’univers concurrentiel de Canal+ a changé et son monopole s’est vu faiblir. Le premier groupe de médias audiovisuel français, qui « revendiquait de ne pas faire de la télévision mais en était un expert, a été dépassé sur son marché par des concurrents qui ne sont pas des chaînes de télévision ».


L’inévitable transformation radicale de la stratégie du groupe Canal+

Le groupe média a donc dû se confronter à une inflation de ses coûts de production ou de l’achat de droits (notamment de droits sportifs), car ses concurrents, souvent dans la recherche d’une rentabilité massive de leurs investissements à l’échelle mondiale, ont eu tendance à dépenser des sommes folles. 

Face à toutes ces évolutions et menaces, Canal+ s’est donc retrouvé dans l’obligation de se réinventer et de miser sur ses atouts de toujours pour éviter de disparaitre. Grâce à ses « créations originales », le groupe a développé un plus grand nombre de séries d’une qualité unique, à haute valeur ajoutée pour ses abonnés. 

En 2020, Canal+ aura produit plus de séries que dans son histoire entière : 12 séries seront proposées aux abonnés cette année (environ une par mois).

Mais cela n’est pas suffisant pour assurer la pérennité du groupe. Par conséquent, Canal+ optimise sa transformation en gardant l’objectif de toujours augmenter sa base de clients pour amortir ses coûts. Pour ce faire, Maxime Saada compte sur l’internationalisation de Canal+, il s’agit désormais d’un « groupe mondial avec 20 millions d’abonnés dont 12 millions hors de France ». 

Malgré la baisse des abonnements en direct, il affirme avoir compris que « la seule stratégie qui peut fonctionner, c’est la stratégie mondiale ». Le Président de Canal+ vise donc à étendre l’influence de l’entreprise sur tous les territoires (en Afrique, en Asie, Europe de l’Est et Centrale…).

Afin de prouver qu’il peut tirer parti de la révolution numérique et de l’explosion de la création de contenus, Canal+ doit imaginer de nouveaux services personnalisés pour ses abonnés et élaborer de nouvelles offres pour séduire et attirer de nouveaux abonnés. Dans cette logique, l’inespéré s’est produit le 15 octobre dernier, lorsqu’un accord a été conclu entre Canal+ et Netflix permettant aux abonnés du pack Ciné/Séries de Canal+ d’être aussi abonnés à 20 chaînes cinéma et Netflix à partir de 15 euros par mois.

Toutefois, même si Netflix et Canal + ont déjà coproduit ensemble plusieurs programmes, comme les séries « Safe » ou « Les Demoiselles du téléphone », aucune clause dans cet accord n’étendrait un partenariat aux coproductions de films ou de séries.

Maxime Saada précise qu’à travers cet accord il était question de résoudre plusieurs problèmes.  Effectivement, depuis quelques temps (comme expliqué précédemment), de nombreuses offres ont vu le jour et certaines sont encore en cours d’élaboration (notamment celles de Warner Bros, Universal…). Cela a ainsi provoqué une fragmentation de l’offre et l’apparition d’une contrainte pour les utilisateurs qui étaient désormais obligés de devoir sans cesse passer d’une application à une autre pour pouvoir choisir leurs programmes, ainsi qu’un enjeu de prix conséquent. De plus, cela a également engendré la fragmentation des droits sportifs représentant également un problème de prix pour les abonnés. 

Donc, tout en sachant que Netflix n’a imposé aucune exclusivité de la part de Canal+, leur accord a permis la diminution de tous ces problèmes. Désormais, il ne semble pas impossible, voire envisageable, pour Canal+ de commencer des négociations afin de pouvoir intégrer Amazon, Apple… à ses offres. Il en a d’ailleurs été question avec OCS dont Canal+ est, à l’heure actuelle, le premier distributeur en France (devant Orange) et avec géant américain Disney, avec lequel un nouvel accord a été conclu en vue de la distribution exclusive en France du service de vidéo à la demande Disney+ à partir de mars 2020.

Les enjeux de 2020

En voulant assurer sa mutation, en tant que chaine cryptée, vers le streaming numérique, Canal+ pourrait finir par se retirer de la TNT fin 2020 ou candidater “sous conditions”. En effet, l’autorisation accordée par le CSA à Vivendi pour la diffusion de la chaîne Canal+ sur la TNT expire le 5 décembre 2020. Si Canal+ souhaite conserver sa position de quatrième chaîne sur la télévision hertzienne, le groupe devra représenter sa candidature sauf s’il décide de se retirer pour se concentrer sur le satellite et les FAI. Le CSA lancera donc très prochainement un appel à candidatures afin d’attribuer la ressource hertzienne rendue disponible. 

Cet décision fait ainsi partie des différents enjeux dans la processus de réflexion stratégique de Canal+. Maxime Saada affirme ainsi que « la question se pose » car les « coûts de diffusion propres à la TNT sont extrêmement élevés ».

Il s’agit donc d’une décision importante car elle risquerait de faire perdre à Canal+ un partie non négligeable de sa base client : 

  • Les abonnements TNT représentent près de 10% de la base totale soit près de 500 000 abonnés (offre chaînes Canal+).
  • 200 000 abonnés utilisent la TNT comme second écran, en complément de leur abonnement principal par internet ou satellite. 

Ainsi, jusqu’à 700 000 abonnés utilisent la réception TNT pour regarder la chaîne.

Néanmoins, Maxime Saada se félicite en avançant « En quelques mois, nous avons sécurisé pour nos abonnés l’accès à Netflix, à la Ligue des champions et à l’Europa League dès 2021, à la Ligue 1 jusqu’en 2024 et désormais à Disney+, aux chaînes Disney en exclusivité, aux films Disney et Fox seulement huit mois après leur sortie en salle. » 

Malgré les enjeux majeurs auxquels Canal+ doit encore se confronter, les efforts déployés par le groupe semblent payer et les résultats prometteurs. 

Mathilde Bureau

« Netflix, 10 innovations qui ont changé le monde ». Le VPN, janvier 2019. Disponible sur : https://www.le-vpn.com/fr/netflix-10-innovations-ont-change-monde/

STARON, Alain. « Quelle stratégie pour survivre à Netflix ? ». Forbes, juillet 2019. Disponible sur : https://www.forbes.fr/business/canal-quelle-strategie-pour-survivre-a-netflix/

BARROUX, David. « Pourquoi Canal+ a l’obligation de se réinventer ? ». Les Echos, aout 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/2016/03/pourquoi-canal-a-lobligation-de-se-reinventer-1110379

« Netflix distribué par Canal+ : « On a compris que seule une stratégie mondiale peut fonctionner », affirme Maxime Saada ». France Info, septembre 2019. Disponible sur : https://www.francetvinfo.fr/culture/series/netflix/video-netflix-distribue-par-canal-on-a-compris-que-la-seule-strategie-qui-peut-fonctionner-c-est-la-strategie-mondiale-affirme-maxime-saada_3620051.html

BARONIAN, Paul. « Netflix sur Canal+, c’est pour le 15 octobre ». Le Parisien, septembre 2019. Disponible sur : http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/netflix-sur-canal-c-est-pour-le-15-octobre-16-09-2019-8153070.php

RABY, Maxime. « Canal+ : la chaîne cryptée pourrait se retirer de la TNT fin 2020 ou candidater “sous conditions” ». Univers Freebox, janvier 2020. Disponible sur : Canal+ : https://www.universfreebox.com/article/54048/canal-la-chaine-cryptee-pourrait-quitter-la-tnt-ou-candidater-sous-conditions

« Canal+ sera le distributeur exclusif du service VOD de Disney en France ». Le Monde, décembre 2019. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/15/canal-sera-le-distributeur-exclusif-du-service-vod-de-disney-en-france_6022949_3234.html

Le consommateur de programmes audiovisuels: dictateur de tendances?

Selon le rapport annuel du CNC de l’année 2018 qui fait un état des lieux du cinéma en France, 684 films sont sortis en salle cette année, dont 356 productions françaises. Pour pouvoir voir tous les films de 2018 en un an, il faudrait regarder environ deux films par jour.

C’est sans compter sur les 2366 films diffusés à la télévision française cette année, comptant à la fois téléfilms et rediffusions.
C’est également prendre en considération les milliers de films disponibles sur les plateformes de vidéo à la demande, qui a généré cette année 671,9 millions d’euros de revenus.
Enfin, ces résultats n’incluent pas non plus les sorties de films
uniquement sur les plateformes de streaming comme Amazon Prime Video ou Netflix.

Des chiffres évocateurs

Ces chiffres nous permettent de tirer deux conclusions.
La première montre que par rapport au nombre de personnes travaillant dans l’industrie du cinéma en France, il y a en fait peu de films qui sortent, démontrant la difficulté de produire un film dans notre pays.
La seconde, évidente, est que le consommateur de films est confronté à un choix extrêmement exhaustif.
Il ne pourra pas tout regarder et cette situation le fait devenir alors maître du jeu. Si l’audience a toujours été mesure du succès d’un film, elle est dorénavant bien plus fragmentée qu’il y a cinquante ans car nous sommes dans une ère de l’hyper choix.

Une évolution des pratiques de production

Dès le début des années 2010, on assiste à une explosion du monde de la série, qui est lui-même caractérisé par des tensions (les productions coûteuses et qualitatives HBO contre les productions moins coûteuses, plus rapides et parfois plus « grand public » de Netflix.)
Ainsi, de plus en plus de réalisateurs du cinéma se mettent à créer des série ou réaliser des épisodes: Scorsese avec Boardwalk Empire, Jean-Marc Vallée avec Big Little Lies, Baz Lurhmann avec The Get Down.
L’esthétique de la série se précise avec des séries presque
Hollywoodiennes comme Game Of Thrones, ou des styles distinctifs avec des univers très puissants comme Peaky Blinders.
Cette situation a pour conséquence principale que le consommateur est devenu maître des tendances, car c’est à celui qui attire le plus de monde de montrer la voie à suivre pour tous.


La série et le film comme objets de consommation

En ce qui concerne la consommation de films et de séries, on peut établir une sorte de jugement de valeurs basé sur les goûts et les pratiques.
Dans « Théorie de la classe de loisir » (1923), Veblen parle d’un art de la consommation réservé aux élites sociales.
Dans le cas de ces deux contenus audiovisuels, les individus les plus cultivés vont compter parmi leurs films préférés des grands classiques hollywoodiens ou des séries diffusées sur Canal+, chaîne payante.
L’accès à ces contenus est plus difficile et la culture de masse (les films de super-héros, les comédies snobées aux Césars) est considérée comme «vulgaire » par ces élites.
Par ailleurs, une personne de classe moyenne va plutôt consommer les films et séries diffusés à la télévision (par exemple « Le Père Noël est une ordure », disponible sur les chaînes pratiquement chaque Noël).
Toute la société ne pourrait échapper à ce conditionnement intellectuel. La culture de masse transformerait la subjectivité et uniformiserait les goûts et
les aspirations des classes sociales.
Les goûts des uns et des autres ont une portée symbolique qui révèle quelque chose de la personnalité de son public.

Toutefois, la révolution digitale a une fois de plus fait évoluer ces pratiques et les goûts du public en rendant accessible bien plus de contenus à travers les plateformes de replay ou de streaming. La disponibilité des films piratés illégalement permet également à ceux qui ne peuvent pas se permettre un abonnement mensuel de regarder des films et des séries reconnues et primées. Ces distinctions sociales s’en retrouvent bouleversées, avec une segmentation du public.


Le public n’est plus un corps homogène déterminé par des règles, mais une multitude de fragments d’individualité.
Ces fragments sont étudiés par des algorithmes qui déterminent des
recommandations basés sur les contenus choisis au préalable.
C’est non seulement valable pour Netflix, mais aussi pour n’importe quelle plateforme sur laquelle on peut trouver des rubriques « vous aimerez aussi… ».
On détermine donc un public avec une une moyenne de cible composée d’individus de différents âges, sexes, classes de la société, c’est en ce sens
une notion quantitative.
Avec ces algorithmes, on continue de soumettre le consommateur à un rapport de force qu’il ne maîtrise pas totalement, mais plus qu’avec la télévision qui impose sa grille de programmes.
Cependant, un média va toujours chercher la diffusion maximum auprès d’une audience, il est donc important que les contenus soient tout de
même accessibles par tous. Paradoxalement, on est confrontés à une volonté de média de masse individualisé. On en arrive à un schéma cyclique : les pratiques font évoluer la consommation, de même que la consommation fait évoluer les pratiques.

Mais alors, comment peut-on considérer que la tendance est aujourd’hui dictée par le consommateur, si le diffuseur choisit quel contenu diffuser à qui ?

En 2008, Anne-Marie Dujarier défend l’idée que le consommateur est de plus en plus mobilisé comme partie prenante du processus de production. Elle parle notamment de crowdsourcing (dans la cadre de l’entreprise, mais que l’on va appliquer ici aux séries et films).
L’idée est de faire du consommateur un travailleur productif sans qu’il le sache : il va faire des choix qui vont déterminer le succès global d’un projet. Il va être encouragé à commenter les programmes qu’il regarde.
On peut par exemple utiliser l’exemple de la saison 8 de Game Of Thrones,
dont le hashtag #GOTS8EP suivi du numéro de l’épisode s’est retrouvée tous les lundis matins en Top Tendances Twitter pendant toute la durée de la diffusion de la saison.


Le consommateur va également choisir sa pratique du média : homochrome (la temporalité lui est imposée par le média, comme le cinéma) ou hétérochrome (il choisit sa temporalité).
A noter aussi que selon le média, il va y avoir ou non une logique de rendez-vous ou d’immédiatement. Avec Netflix, le média propose une production quasi-quotidienne, qui encourage le binge- watching. A l’inverse, HBO va proposer des rendez-vous ponctuels pour événementialiser la sortie des contenus.
Ces choix de pratiques et de contenus font donc du consommateur le dictateur de ce qui fonctionne, même si ce n’est pas attendu.
On peut prendre pour exemple la série Casa de Papel, série télévisuelle espagnole dont les droits internationaux ont été rachetés par Netlix. Elle a été l’une des séries les plus regardées en Europe en 2018, connaissant un succès tel qu’elle fut renouvelée pour une saison 3 contre toute attente.

Il existe donc un contrat de lecture entre le spectateur, qui a des attentes d’un contenu, qui est créé par un producteur avec une idée, diffusé par un média qui doit répondre à ces attentes.
Le média doit en règle générale se plier aux désirs du consommateurs, aller dans sa direction et le rencontrer sur son terrain pour connaître un succès national ou global.

Sarah Hamdad

Sources:

La compétition acharnée entre Hollywood et les plateformes de SVOD pour attirer les talents

Les majors et les géants du streaming font du charme aux talents les plus en vogue ou prometteurs dans une bataille féroce pour capter l’attention du public.

Que ce soit dans l’industrie du cinéma ou de la télévision, il est tout particulièrement lucratif d’être un talent convoité par les temps qui courent. Les nombreux contrats annoncés en janvier lors du Winter Press Tour de la Television Critics Association, grande messe annuelle définissant les principales tendances télévisuelles de l’année à venir aux Etats-Unis, en témoignent. C’est Amazon Prime qui s’est le plus démarqué lors de cette édition en annonçant des contrats avec Steve McQueen (12 years a Slave), Gael García Bernal (Mozart in the Jungle) et Diego Luna (Rogue One : A Star Wars Story)[1]. Ces accords conclus avec des personnalités habituées du grand écran ont donc été passés au nez et à la barbe des majors hollywoodiennes. Plus que cela, en octobre dernier, David Benioff et D.B. Weiss, les créateurs de Game of Thrones, décidaient de quitter le navire Disney pour embarquer sur celui de Netflix en renonçant à réaliser la prochaine trilogie Star Wars. A grands coups de billets verts – plusieurs médias américains portent à 250 millions de dollars le montant inscrit au contrat[2] – la plateforme est donc parvenue à détourner le duo d’une des franchises les plus populaires (et lucratives) de l’histoire du cinéma. Ces cas ne sont pas isolés : de très nombreux artistes et cadres occupant des postes clés au sein de majors ont été récemment démarchés par des services de streaming. En octobre 2019, le LA Times publiait une animation synthétisant ce phénomène qu’il qualifie « d’exode des talents ». On peut ainsi y voir représenter les flux de personnalités que Netflix, Amazon, Apple et Hulu sont parvenus à attirer dans leurs filets[3].


Produire du contenu attractif pour ne pas perdre pied face à la concurrence

Avec l’arrivée du numérique et la multiplication des écrans, certaines majors ont été poussées à créer leur propre plateforme de streaming pour s’adapter à l’évolution de la façon dont sont consommées les œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Avec le lancement de Disney+ et l’arrivée prochaine de HBO Max (la plateforme de WarnerMedia), la guerre du streaming s’intensifie et la bataille pour les talents se déroulent désormais tant le terrain du cinéma que sur celui des séries. Plus que jamais, les spectateurs sont confrontés à une multitude d’offres et à une abondance abyssale de contenu. Comment sortir du lot ? Comment attirer le consommateur dans les salles obscures ou l’inciter à s’abonner à son service ? Que ce soit sur grand ou petit écran, la bataille pour l’attention du public est plus que jamais d’actualité. Dans cette optique, studios et plateformes de SVOD conçoivent les talents comme de véritables avantages compétitifs, bien plus que de simples arguments marketing. La recherche de programmes de qualité se fait si forte et pressante que les talents viennent à manquer et l’ensemble de la filière se retrouve sous pression. Les rivalités entre cinéma, télévision traditionnelle et plateformes ne font que croître, les premières reprochant à la dernière d’aspirer les talents révélés par leurs soins[4].

Une compétition économique sur fond de conflits idéologiques

Pour attirer les talents, chaque camp fait valoir ses arguments et rapidement la compétition économique se transforme en débat d’idées. Un film est-il fait pour être visionné sur un écran de télévision ou de smartphone ? Telle est la question qui divise l’industrie du cinéma et les plateformes et sur laquelle chacune à une position bien définie. D’un côté, Hollywood argue que découvrir pour la première fois un film en streaming depuis son canapé ou dans les transports en commun amoindri l’expérience du spectateur et l’œuvre elle-même s’en retrouve desservie. En face, Netflix explique que son offre rend plus accessibles des films à tout un pan du public ayant moins la possibilité, le temps ou les moyens de se rendre dans les salles obscures. Interrogé cette semaine sur l’exposition du film The Irishman de Scorsese, Ted Sarandos, le patron de Netflix, expliquait ainsi que « l’audience pour The Irishman est aussi grande que ce qui aurait pu se faire au cinéma » avec plus de 40 millions de foyers ayant au moins lancé le film long de plus de 3h. Au-delà de la façon de consommer les films, ce sont aussi les méthodes de Netflix qui sont remises en cause. Pour les producteurs, conclure un deal avec le géant du streaming c’est aussi renoncer à son droit moral sur l’œuvre puisque la plateforme, en contrepartie d’une rémunération généreuse, en acquiert les droits globaux. Les médias traditionnels, télévision linéaire comme cinéma, se targuent donc de mieux respecter et mettre en valeur le travail des talents. Charlotte Moore, la directrice des contenus de la BBC déclarait ainsi récemment : « Nous ne voulons pas vous posséder. Vous disposez de votre programme et de votre propriété intellectuelle. »[5]. A l’inverse, certains talents préfèrent même se tourner vers les plateformes plutôt que vers les studios en espérant y trouver plus de liberté de création. Netflix et ses comparses, moins soumis à la pression de l’audience et du box-office, peuvent souvent se permettre de valider des projets plus innovants. Cette semaine, Ted Sarandos affirmait que Netflix était parti pour s’inscrire durablement dans l’industrie du cinéma en cherchant à remplir le vide créatif laisser par les studios dont tous les efforts se concentrent sur les quelques gros blockbusters garantissant leur survie. La plateforme pense pouvoir capter de l’audience en produisant des drames pour adultes et des comédies romantiques légères, genres tous deux mis de côté par les majors au profit de films de superhéros[6]. Netflix sait comment s’y prendre pour convaincre les personnalités convoitées de rejoindre ses rangs : la plateforme travaille vite, assure à l’œuvre une audience étendue et globale et est aux petits soins en mettant tout en œuvre pour que ses talents puissent travailler dans les meilleures conditions possibles, comme par exemple en leur fournissant du matériel de communication de pointe pour organiser des téléconférences[7].

Une guerre mettant en lumière l’amenuisement de la frontière entre cinéma et télévision  

Maintenant que certaines majors possèdent leur propre plateforme de streaming, les contours de l’industrie deviennent de plus en plus flous et les talents y circulent beaucoup plus librement. Le genre sériel s’est considérablement transformé au cours de la dernière décennie pour se rapprocher du cinéma sous certains aspects : liberté narrative, qualité de production, augmentation des budgets, esthétique de l’image… Là où un temps on pouvait distinguer d’un côté les professionnels du cinéma et de l’autre ceux de la télévision, les talents naviguent maintenant en toute fluidité entre le grand et le petit écran. Le cinéma, longtemps perçu comme la discipline la plus noble, se retrouve de plus en plus concurrencer par les séries dont la qualité et la popularité ont sensiblement augmenté ces dernières années. On ne compte plus le nombre de réalisateurs ou stars de cinéma s’étant lancés dans des projets de séries. Les plateformes jouent bien sûr un rôle clé dans ce phénomène.

La concurrence entre services de SVOD et Hollywood pour conquérir les talents se joue donc tant sur le cinéma que les séries et revêt une dimension économique alimentée par des débats idéologiques. Les réalisateurs, acteurs, auteurs et autres personnalités convoitées contribuent un peu plus à redéfinir les contours de l’industrie à chaque contrat signé. Il devient ainsi de plus en plus compliqué d’opposer frontalement Hollywood aux plateformes de SVOD, les premiers devenant diffuseurs et les derniers producteurs. Toujours pris dans la tempête déclenchée par l’arrivée du numérique, l’industrie et ses acteurs, désorientés, continuent leur transition en s’accrochant à la seule bouée de sauvetage palpable qui semble pour l’instant émerger : les talents.

Marion Prunier


[1] https://www.lefigaro.fr/medias/la-guerre-des-talents-fait-rage-entre-hollywood-et-les-plateformes-20191223

[2] https://www.lefigaro.fr/medias/la-guerre-des-talents-fait-rage-entre-hollywood-et-les-plateformes-20191223

[3] https://variety.com/2020/tv/news/ted-sarandos-netflix-the-irishman-movies-animation-1203487543/?fbclid=IwAR3wT2cUfYFnRImclJ7ZAnpa8vspPHl0UIjlU29_SHlMLlMEre8BbrpS_y0

[4] https://www.lecho.be/entreprises/divertissement/hollywood-vs-silicon-valley-la-guerre-est-declaree/10112455.html

[5] https://www.indiewire.com/2020/01/tca-2020-winners-losers-winter-press-tour-1202204810/

[6] https://www.francetvinfo.fr/culture/series/netflix/les-createurs-de-game-of-thrones-renoncent-a-realiser-une-trilogie-star-wars-pour-la-plateforme-de-streaming-disney_3680393.html

[7] https://www.latimes.com/projects/la-et-netflix-job-report/

Réforme audiovisuelle : la contre-attaque des dinosaures, vraiment ?

« Netflix, Apple TV+ et Amazon Prime aujourd’hui, Disney+, Peacock et HBO Max demain… L’histoire s’accélère alors que la loi a pris du retard », a déclaré le PDG du groupe TF1, Gilles Pélisson. C’est justement dans le but de rattraper ce retard que le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, de son intitulé exact, sera très prochainement examiné par l’Assemblée nationale. Il fera alors l’objet d’amendements qui seront source de satisfaction ou de déception pour les acteurs historiques, soucieux de voir les normes juridiques s’adapter et prendre en compte la concurrence impulsée par les nouveaux entrants.  

Franck Riester, présentant certaines mesures phares de la réforme audiovisuelle au micro d’Europe 1, 22 septembre 2019.

Une réforme qui souhaite tirer les conséquences de l’évolution des usages

HBO Max, Disney+, AppleTV+, Amazon Prime, Netflix… Le marché de la SVOD (vidéo à la demande sur abonnement) ne cesse de se développer et d’attirer de nouveaux publics. Aujourd’hui, le Centre national du cinéma (CNC) estime que Netflix est la cinquième chaîne de France en termes d’audiences. Une profonde transformation des habitudes de consommation des contenus audiovisuels est en cours.

Les premiers services de vidéo à la demande sont apparus en 2005 en France. Ils ont ensuite connu un véritable boom en 2014 avec l’arrivée de Netflix sur le territoire national. En 2019, la Motion Picture Association of America (MPAA) estimait le nombre d’abonnés à un service de SVOD à 650 millions. Depuis, ce nombre n’a cessé de croître.

Cette croissance des abonnements s’accompagne d’une baisse générale des audiences télévisuelles sur le direct. Pour s’adapter à ces nouveaux usages, les chaînes de télévision développent de nouveaux projets tels que la plateforme de replay SALTO (commune à M6, France Télévisions et TF1) ainsi que des co-productions avec ces nouveaux acteurs, ce fut notamment le cas entre TF1 et Netflix concernant Le Bazar de la Charité.

Une volonté de rétablir une concurrence plus juste et équitable

Face à ces changements, les acteurs historiques de la télévision en linéaire demandent une adaptation de la législation et de la réglementation afin de rétablir une concurrence équitable entre les différentes parties. En effet, les chaînes estiment que les obligations qui pèsent sur elles devraient également peser sur les plateformes de vidéo à la demande.

Le projet de réforme audiovisuelle était relativement consensuel jusqu’à ces derniers mois. Puis, au fur et à mesure de la rédaction du projet par le Ministère de la Culture, les chaînes (notamment Canal+, TF1, M6 et NextRadio) ont laissé transparaître leurs doutes et insatisfactions. Elles estiment que le projet de loi n’est pas à la hauteur des ambitions initialement affichées, qu’il ne prend pas suffisamment en compte la force de la concurrence qui se joue aujourd’hui dans le paysage médiatique.

Vers un assouplissement des obligations des acteurs historiques

Le projet de loi voudrait alléger les devoirs des chaînes de télévision afin de leur permettre de se maintenir devant leurs concurrents. Notamment, le projet de loi simplifie la production cinématographique en offrant aux chaînes la possibilité de globaliser leur effort au sein d’un même groupe et non pas de le calculer chaîne par chaîne.

Les chaînes se voient également accorder une liberté plus grande quant à l’organisation de leur grille de programmation. En effet, l’encadrement de la grille horaire et journalière de diffusion des films de cinéma est rendue caduque. Il n’y aura plus de jours interdits pour la diffusion de films de cinéma à la télévision.

Le projet de loi a pour objectif de permettre aux acteurs historiques de renforcer leurs recettes publicitaires, lesquelles sont au cœur de leur business model. En effet, le nombre de coupures publicitaires autorisées au cours de la diffusion d’une œuvre cinématographie est porté à trois contre deux auparavant.

La mise en place de nouvelles contraintes sur les épaules des plateformes

Le chapitre I du titre I du projet de loi présente les mesures relatives à la création. Parmi ces mesures figure l’extension des obligations en terme d’investissement dans la production des services établis en France aux services non établis en France mais qui visent le public francais. Cette disposition aurait pour effet, par exemple, de soumettre Netflix à de nouvelles obligations économiques.

Les plateformes en ligne seront désormais soumises à la compétence de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) qui est la nouvelle autorité de régulation du secteur ; elle est le fruit de la fusion entre le CSA et la HADOPI. Les plateformes se verront donc dans l’obligation de respecter les normes de régulation définies par l’ARCOM.

Des obligations encore trop lourdes sur les épaules des chaînes linéaires

Les acteurs historiques déplorent le fait que le projet de loi ne consacre finalement pas la levée des secteurs interdits de publicité à la télévision alors même que l’Autorité de la concurrence y était initialement favorable.

Ils estiment que ce maintien est injustifié étant donné que les plateformes en ligne ne connaissent aucun secteur interdit de publicité.

L’Autorité de la concurrence a également pointé du doigt l’asymétrie des droits entre les diffuseurs et les plateformes. En effet, lorsqu’elle finance une série (parfois jusqu’à 70%), la chaîne de télévision détient les droits de diffusion sur une période limitée (environ 48 mois) alors même qu’un acteur tel que Netflix peut détenir ces droits sur plusieurs années.

Maxime Saada, le PDG de Canal+, déplorait le fait que Canal+ ait «  sorti la saison 4 du Bureau des légendes, dont nous avons financé 70 % pour un peu plus de 15 millions d’euros, mais nous n’avons déjà plus les droits de la saison 1. Netflix, Amazon ou les autres les récupèrent contre une bouchée de pain. Nous n’avons aucun droit sur la série Versailles, dont nous avons financé plus de la moitié et que nous avons diffusée, et aujourd’hui, aux États-Unis, c’est un contenu estampillé Netflix original ».

Il convient de rappeler que les dispositions présentées dans cet article sont susceptibles d’évoluer, la réforme audiovisuelle n’est pour l’instant qu’au stade de projet avant son adoption définitive par les deux chambres parlementaires. Les chaînes historiques peuvent encore défendre leurs positions lors de cette phase parlementaire.

Loren Fadika

Sources :

http://www.scam.fr/detail/ArticleId/5547/Directive-SMA-un-compromis-favorable-a-la-creation-audiovisuelle
https://www.lepoint.fr/medias/reforme-de-l-audiovisuel-ce-qui-va-changer-pour-les-telespectateurs-01-12-2019-2350683_260.php
https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/reforme-audiovisuelle-lespoir-decu-des-chaines-privees-1148047
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