Les Médias Sociaux : lanceurs d’alerte ou méfiance ?

A l’ère du numérique, 58% de la population mondiale utilise les médias sociaux dont 46% sont des femmes. Faisant désormais partie intégrante de nos vies, ces derniers ne sont pas sans impact sur notre société. Il suffirait de citer LinkedIn pour l’accès au marché de l’emploi ou encore Instagram pour la monétisation des influenceurs pour comprendre les enjeux liés à ces médias. Concernant Instagram, il s’agit à l’origine d’un service de partage de photos et de vidéos avec ses « followers ». En 2015, 41% des utilisateurs avaient entre 16 et 24 ans. D’après les derniers chiffres Hootsuite 2021, 70% des utilisateurs actifs mensuels ont moins de 34 ans. Le média social est également devenu le théâtre de mouvements contestataires, comme les photos de profil bleu pour soutenir les Ouïghours lancé par Glucksman.  Comme nous allons le voir, c’est également devenu le lieu de revendications salariales, et de dénonciations d’harcèlement ou de comportements sexistes.

                Il s’agit notamment du cas de Chloé[1], salariée dans une entreprise de communication. Extenuée par des blagues sexistes et par un management dégradant, elle écrit un message au compte « BalanceTonAgency ». Le lendemain, en arrivant au travail, tout le monde en discute. L’entreprise s’inquiète et le top management se réunit. Un peu plus tard, des mesures sont prises pour les salariés, contre le harcèlement ou encore pour sensibiliser. Il s’agit d’un exemple, mais il en existe des milliers d’autres. Comme Chloé, de nombreuses personnes se sont plaintes de comportements sexistes notamment. Le phénomène a pris une ampleur inespérée.

Balance ton Agency : D’un compte Instagram à la réalité 

Créée en Septembre 2020 par une femme sortie de l’anonymat depuis peu, ce compte a très vite été propulsé dans le milieu de la communication et de la publicité. Le but est de dénoncer le harcèlement moral et sexuel vécu dans les agences de ce milieu. Et pour se faire, rien de mieux qu’Instagram. Dès Octobre 2020, plusieurs témoignages sont arrivés contre l’un des grands patrons, aussi président de l’Association des Agences-conseils en Communication. Après une réunion de crise avec tous les grands patrons du milieu, il démissionne face à des accusations accablantes. Depuis, le compte culmine désormais plus de 380K followers sur Instagram, obligeant les organisations à changer leurs méthodes.

« Tu ferais mieux de bosser au lieu de te pavaner dans les couloirs avec tes talons », « Tu es jolie aujourd’hui, on a envie de te sodomiser. » Ce sont le type de comportement dénoncé sur ce compte. Avec l’ampleur qu’il a pris, les organisations ont dû réagir, et changer. Ce compte exacerbe l’échec des ressources humaines dans les agences, là pour défendre les intérêts de l’agence et non aider le salarié. Les problèmes de harcèlement venant essentiellement du top management, il est difficile pour un employé de s’en plaindre en interne. Mais la norme change. Le futur président de l’AACC a produit une lettre d’engagement, puis a proposé différentes initiatives pour lutter contre le sexisme au travail.  Ce compte a notamment permis de mettre en place différentes enquêtes internes et procès aux prud’hommes. Il a même entraîné la démission de Julien Casiro le patron de Braaxe accusé d’avoir eu des comportements hautement inappropriés au travail. D’autres organisations ont pris des mesures en interne, licenciement, mise en place d’une cellule d’écoute, intérêt accru porté sur les employés, sensibilisation aux harcèlements. Mais tout cela a un coût, la créatrice de ce compte est elle-même poursuivie en justice par trois entreprises pour diffamation : Cimaya, Comfluence et Braaxe. Néanmoins, il semblerait que le monde de la publicité ne soit pas la seule victime de ce type de management.

Des pratiques dénoncées dans d’autres cadres : BalancetonBar, BalancetaStartup, etc.

                Il suffit de taper « Balanceta… » pour s’apercevoir de l’ampleur du phénomène. Des dizaines de comptes dénoncent des comportements dérangeants dans tous les secteurs. Parmi eux, deux sont de plus en plus connus : Balance ton bar et Balance ta Startup.

Ce dernier connait un succès malheureusement fulgurant : plus de 180K followers sur Instagram en un an.

Le principe est le même : libérer la parole dans l’écosystème de startups. Quelques-unes des start-ups épinglées : Chefin, Qapa, Side, Meero, Lydia, Swile, Doctolib, ou encore Lou Yetu. Quelques années auparavant, un article de blog écrit par une ancienne salariée d’Uber avait provoqué la démission et le changement de tout le top management d’Uber. Désormais, les salariés ont le pouvoir de ternir l’image de l’entreprise si cela ne leur plait pas. Ce compte souligne également le manque de mixité présent dans ce milieu. Les femmes sont beaucoup moins nombreuses dans les milieux de la Tech, et du numérique. 59,9% des femmes dans la Tech déclarent avoir fait l’expérience de harcèlement sexuel au travail ou connaitre quelqu’un qui en a fait l’expérience (rapport State of Startups 2018). Néanmoins, il est vrai que les salariés ont des attentes plus grandes envers des startups que des grands groupes. La philosophie et l’écosystème qui viennent avec le mot « start-up » engendre un rêve, une attente supérieure à celle d’un poste dans une boite du CAC 40. Ainsi, un type de management sera plus à même d’être critiqué dans ce microcosme que s’il est appliqué chez Renault. Pour finir, en phase d’hyper-croissance, le recrutement est quasi hebdomadaire et les soft skills ne sont pas toujours alignés avec les besoins. De surcroît, avec peu de diversité cela est une recette de dénonciation de la part des salariés.

Concernant Balance ton Bar, le but est radicalement différent. Avec un compte par grande ville, celui de Paris a 37K followers. Il publie des témoignages de personnes droguées dans des bars, pratique illicite qui persiste et se développe de plus en plus. « Un serveur m’a droguée le soir où on a gagné la Coupe du monde», «Je ne pouvais plus marcher, plus parler», «Je me suis réveillée chez moi avec trois préservatifs usagés autour de moi» sont des témoignages lisibles sur le compte. La procureure de Paris a même annoncé ouvrir une procédure judiciaire à la suite de plusieurs plaintes et témoignages. Ce compte souhaite faire basculer la honte de l’autre côté : ce n’est pas la faute des femmes d’avoir été inadvertants, mais du bar de ne pas s’occuper de sa clientèle et parfois même d’être complice de ces pratiques.

Le libre arbitre remit en cause ?

Tous ces témoignages, à l’aube de #Metoo, posent une réelle question philosophie. Le libre arbitre, cette faculté de penser par soi-même, est-elle en danger ? Comme nous pouvons le lire ci et là, ce « tribunal populaire » fait fi des institutions, condamne publiquement sans même passer par la justice, et dénonce de manière anonyme. Est-ce dont ça, la société de demain interconnectée ? Dans le cas de BalancetonAgency, seule 5 témoignages suffisent à l’écriture d’un post. Cela peut poser des questions déontologiques, puisqu’il est très facile de trouver cinq collègues pour dénoncer un manager. Concernant BalanceTaStartUp, dénonciations ou calomnies, ces paroles pourraient être manipulées par des concurrents bien contents d’étriper un rival devenu gênant. La créatrice de BTA souhaite qu’il existe des façons de faire plus légales, plus encadrées, et que les moyens mis en place ainsi que la justice ne sont pas de leur côté. Les réseaux sociaux permettent donc de redonner du pouvoir à ceux qui n’avaient plus de voix, mais malheureusement certains excès et/ou faux témoignages peuvent ternir cette belle initiative.

A titre d’exemple, une jeune femme s’est récemment exprimée concernant une expérience de viol vécue dans un hôtel Resort au Zanzibar (présent ici). Face aux accusations accablantes, des milliers d’internautes se sont précipités sur la page de l’hôtel pour diminuer le rating, passant de 4,4 à 1,3. Le lendemain, une fois la tempête des réseaux sociaux passée, la note est revenue à 4,4 et tous les témoignages ont été supprimés. Dans ce cas comme dans les précédents, la question est la même : Les réseaux sociaux doivent-ils jouer un rôle de lanceur d’alerte, chamboulant ainsi le système actuel, ou seulement la justice peut donner raison ou tort aux individus ?

Ewen MARGUET


[1] Chloé est un pseudonyme choisi dans le cadre de notre article

Source:

https://start.lesechos.fr/societe/engagement-societal/exclusif-balance-ton-agency-sort-de-lanonymat-anne-boistard-se-confie-1348679

https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/vie-entreprise/harcelement-au-travail-5-conseils-pour-reagir-1348130

https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/balance-ton-agency-crise-changement

https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/management-toxique-startups

https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/balance-ton-bar-une-enquete-ouverte-pour-viol-a-nancy-apres-un-temoignage-anonyme_4937267.html

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