Dans une société où l’impatience est devenue une valeur cardinale, le temps de chargement des pages devient presque insupportable aux utilisateurs et bride la consommation des contenus sur mobile. C’est justement l’une des promesses de Facebook avec sa nouvelle fonctionnalité Instant Articles. Le principe : permettre à des médias partenaires de publier leurs articles directement (et gratuitement) sur l’appli mobile du réseau social.
Inauguré en octobre aux Etats-Unis, ce nouveau format de publication garantit aux utilisateurs une expérience de lecture sur mobile nettement améliorée grâce à un temps d’affichage présenté comme quasiment instantané. Mais côté éditeurs, la promesse, moins évidente, suscite un débat animé entre éditeurs-partisans et éditeurs-détracteurs du nouveau format, autour d’un enjeu fort de captation et de monétisation de l’audience.
Dans la première catégorie, on retrouve Lagardère Active, 20 Minutes ou encore Condé Nast qui figurent parmi les premiers à avoir adopté le format depuis son lancement en Hexagone le 26 novembre dernier. Il faut dire que Facebook et sa puissance de frappe, combinée à une expérience utilisateur enrichie, représentent une opportunité rare pour un éditeur de dynamiser son audience en augmentant la viralité de ses contenus. Et côté monétisation, Facebook s’est montré plutôt généreux : l’éditeur récupère 100% des revenus des espaces qu’il commercialise lui-même et 70% de l’inventaire vendu directement par le réseau Facebook Audience Network. Parmi ces early adopters, Denis Olivennes, PDG de Lagardère Active, qui vient d’intégrer Paris Match au dispositif, y voit également le moyen de récupérer de la data. « Nous aurons accès aux mêmes données de comportement et de navigation que celles de nos propres sites et cela viendra enrichir nos plateformes de donnés ».
Pourtant, des titres aussi prestigieux que Le Monde, Libération ou Le Figaro refusent de se laisser séduire par ces sirènes venues tout droit de Californie. Leurs responsables ne souhaitent pas prendre le risque de mettre en danger leur audience et de perdre le contrôle des points de contact avec leurs lecteurs. C’est notamment la position de Louis Dreyfus, président du Directoire du groupe Le Monde, qui considère que le risque de cannibalisation de l’audience est trop important. « Avec Instant Articles, l’article est sorti de son environnement et il porte le risque d’étouffer la marque ». Autrement dit, le lien externe qui apparaît aujourd’hui sur Facebook a une valeur qu’il ne faut pas sous-estimer : il garantit le renvoi de l’internaute sur le site du Monde, où il pourra alors naviguer et passer d’un contenu à l’autre. Un autre sujet de discorde vient s’ajouter à celui de l’environnement : les éditeurs américains partenaires (The Washington Post, The New York Times, …), qui expérimentent le format depuis quelques mois maintenant, se plaignent d’avoir des difficultés à monétiser leurs pages. Sous le format Instant Articles, ils ne disposent en effet que d’une seule bannière (250*320 mm) tous les 500 mots, les bandeaux en « rich media » n’étant pas prévus. Un potentiel de revenus publicitaires amoindri donc, même s’il y a moins de risques d’être rejeté par un « adblocker ».
Le débat semble ouvert pour longtemps car Facebook ne fait pas cavalier seul sur le front de la guerre des contenus. C’est toute la Silicon Valley qui s’engage : Apple a lancé Apple News, Twitter a inauguré l’application Moments en partenariat avec The New York Times, Buzzfeed ou encore Mashable, et Google fourbit ses armes avec le projet AMP (Accelerated Mobile Pages). Plus qu’un enjeu de captation d’audience, il s’agit d’un véritable enjeu de souveraineté pour les GAFA, avec à la clé la propriété et le contrôle des données du plus grand nombre. A ce titre, Facebook vient d’annoncer l’ouverture du programme Instant Articles à tous les éditeurs dès le 12 avril, alors que celui-ci n’était encore réservé qu’à une sélection de médias partenaires.