Depuis le début du siècle et l’avènement des usages numériques, une question récurrente se pose à l’univers du commerce : le digital va t-il tuer les enseignes physiques ? Si certains commerçants traditionnels semblent le penser, d’autres ont choisi de faire de l’adversaire un allié. Le phygital (contraction de physique et de digital) s’affirme en effet comme alternative pérenne à la migration des clients sur Internet : en utilisant à son profit des outils digitaux, les retailers entendent bien rénover leur image et leur offre expérientielle.
Les magasins physiques, ou « brick and mortar », craignent l’abandon de leurs rayons au profit d’une offre numérique très compétitive : choix pléthorique, ubiquité, instantanéité, logistique fluide, ainsi qu’une certaine agressivité tarifaire (en partie liée aux faibles coûts fixes des entreprises digitales).
Ces craintes s’avèrent justifiées : on constate depuis plusieurs années la migration progressive des achats vers les réseaux de vente sur Internet, menés par des plateformes impériales telles qu’Amazon mais aussi des sites spécialisés. Par conséquent, le phénomène de showrooming s’est matérialisé dans de nombreux secteurs, transformant les commerces traditionnels en simples vitrines : les clients viennent en magasin uniquement pour observer et tester les produits, avec l’intention d’effectuer leurs transactions en ligne. En 2013, l’institut américain Gallup indiquait déjà que 10% des clients avaient adopté cette pratique, et cette tendance reste à la hausse. Dans les années 2010, l’impact du showrooming sur la performance des commerces s’est vu multiplié avec l’explosion de la consommation mobile, qui permet une consultation des prix rapide et une comparaison directe. Google annonçait en mai 2015 un renforcement de l’orientation stratégique vers les mobiles, ces terminaux représentant désormais plus de la moitié des 100 milliards de requêtes mensuelles. Ces atouts n’ont pas été ignorés par les géants du web qui en font un avantage stratégique : Amazon a par exemple développé une application qui permet de scanner les codes barres en magasin afin d’arriver automatiquement sur la fiche produit de leur propre site. Deloitte Digital estime ainsi qu’en 2016, l’influence négative des smartphones sur les ventes en magasin pourrait se chiffrer à 689 milliards de dollars… Un constat qui réaffirme la nécessité de repenser la valeur ajoutée du magasin et d’inventer de nouveaux scénarii d’achat.
Toutefois, cette menace incarnée par le digital pourrait se transformer en opportunité pérenne pour les retailers. Ces mêmes smartphones qui portent atteinte aux ventes physiques offrent paradoxalement un vivier de nouveaux usages pour stimuler l’attention, renforcer la confiance, et améliorer globalement l’expérience client. Aujourd’hui, le digital-in-store se démocratise et les magasins adoptent une approche phygital, à travers des dispositifs très diversifiés : écrans interactifs, projets communautaires, click-and-collect… A chaque site sa problématique.
Parmi ces innovations, le iBeacon se propose d’optimiser le parcours client et de maximiser la rentabilité de sa visite en magasin. Grâce à un système de beacons (ou balises), cette technologie développée par Apple localise et identifie les téléphones mobiles à proximité (iOS ou Android). Le fonctionnement est proche de celui du wifi : chaque balise interagit avec les terminaux situés dans son périmètre en émettant un signal sur une faible distance (quelques dizaines de mètres). Afin de perfectionner la pertinence du signal, chaque émetteur est marqué par un identifiant qui révèle à la fois le type de dispositif installé, le magasin et le rayon concernés. Les applications que cette technologie permet d’envisager sont aussi variées que le suivi efficace de l’itinéraire des clients au sein du point de vente, les pushs sponsorisés par des marques en fonction de leur emplacement dans les rayonnages, l’optimisation des flux de visiteurs, les jeux… Des données de fréquentation qualitatives et quantitatives, qu’il était autrefois impossible d’enregistrer et d’analyser, sont aujourd’hui à la portée des retailers !
Dans la frénésie qui accompagne le déploiement du phygital, on peut craindre une confusion quant aux objectifs poursuivis par les enseignes. Julie Hermann, une spécialiste qui a fondé Focus Shopper (agence spécialisée dans les études sur les consommateurs), a expliqué à LSA qu’au delà des bénéfices commerciaux, le positionnement devait rester shopper-centric avant tout : « Si un client se déplace en boutique, il fait un effort, alors il faut qu’il ait un intérêt à venir ». L’un des écueils à éviter consiste à ajouter une étape dans le parcours d’achat du client, ou de lui demander d’accomplir une action artificielle vis-à-vis de ses habitudes. Ces développements contre-intuitifs détériorent l’expérience client et pourraient résulter en une désaffection des lieux s’ils sont connectés pour de mauvaises raisons. L’accessibilité et la fluidité qui sont à l’avantage du service iBeacon pourraient également représenter une menace, si elles laissent place à un piratage des balises qui détournerait les messages destinés aux clients ou enverrait des messages clandestins en exploitant une base de données utilisateurs piratée.
Darty, la Mairie de Paris, Total… Nombreuses sont les entreprises qui ont déjà investi dans la digitalisation de leurs lieux physiques. Pourvu qu’elles s’inspirent directement des remontées des clients et des besoins réels, qu’elles soient justifiées et garantissent la sécurité des données personnelles… Les initiatives digitales pourraient révolutionner le rôle social du magasin et réintégrer la personnalisation dans des boutiques par trop standardisées.