Le marketing digital au service de la politique

Le marketing politique a la particularité d’utiliser les techniques du marketing commercial classique pour promouvoir des idées. Ainsi, il agit sur le produit, en l’occurrence un candidat ou une idée, de manière à favoriser son adéquation avec les consommateurs (l’électorat, le citoyen, l’adhérent), créer la différence avec le produit concurrent, le faire connaitre par le plus grand nombre de consommateurs et avec un minimum de moyen afin d’optimiser les achats (suffrage, soutiens, adhésions). Il existerait donc un marché électoral, caractérisé par une offre, une demande et des marques.

Dès lors, il est possible d’assimiler la communication politique au marketing mix articulé autour des 4P :

Product : candidat – programme – parti

Price : Frais de campagne – nombre de voix

Place : lieux visités par le candidat – lieux de tractage et de promotion du candidat

Promotion : affiches – tracts – meetings – médias

S’il s’apparentait plus à un marketing de communication avant l’explosion du digital, il a pris une toute nouvelle dimension avec l’exploitation des capacités et outils du marketing digital. Comment la politique s’est-elle appropriée les techniques du marketing digital au point qu’elles en deviennent indispensables à la victoire ?

Le branding

Le marketing est le propre des marques, et l’essence de celles-ci, c’est la concurrence, ce qui est également l’essence de la politique dans une société démocratique. Le terme de branding désigne une logique d’action marketing ou publicitaire qui cherche à positionner une marque commerciale dans l’esprit du consommateur. A l’aune de cette définition, on pourrait se demander si les partis et les hommes politiques ne seraient pas devenus des marques comme les autres. Selon Marcel Botton, « les partis et a fortiori les hommes politiques sont des marques » : même besoin de notoriété et d’attractivité, mêmes outils marketing et même combat concurrentiel.

Le personnal branding prend d’ailleurs souvent le pas sur l’image des partis, toujours selon Marcel Botton « Marine Le Pen incarne son parti, tout autant que George Clooney incarne Nespresso »[1]. Très attachée à son image, Marine Le Pen a, par ailleurs, pratiqué le « rebranding » du Front National en donnant naissance au « Mouvement Bleu Marine » lors des élections présidentielles de 2012, exemple d’une adaptation du discours et de l’offre au contexte d’une campagne et aux attentes de nouveaux électeurs potentiels.

Le community management

Le réseau social aux messages en 140 caractères s’est imposé comme l’outil de marketing digital privilégié des personnalités politiques. D’abord utilisé pour créer une relation de proximité avec les internautes, Twitter est devenu le lieu incontournable du buzz. Toutes les marques ont ainsi créé un compte et investis dans des community manager pour tenter de sortir leur épingle du lot dans le flux d’information continu du réseau social. Ils entretiennent ainsi leur image de marque afin de pénétrer le quotidien des internautes, dont la majorité a tendance à voter pour une personnalité plus que pour un programme politique.

Les politiques ont misé sur une présence importante sur Twitter, et il le leur rend bien : le réseau social a bien souvent influé sur le résultat des élections. Récemment, Jean-Frédéric Poisson, pourtant inconnu du grand public, a déchainé la twittosphère et ainsi gagné une notoriété inespérée, les hashtags « poisson » et « clashpoisson » ayant écrasé ceux concernant ses concurrents.

Les applications smartphone

Développer une application smartphone est un élément incontournable pour cibler les fameux « millenials ». Tout comme les annonceurs, les politiques tentent désespérément de séduire les jeunes.  Hillary Clinton l’a bien compris et a lancé une application qui renouvelle la façon de mobiliser les militants. Réalisée par des développeurs de DreamWorks, cette application propose des défis quotidiens à remplir : s’inscrire à la mailing list, reposter une publication d’Hillary Clinton sur les réseaux sociaux ou encore se rendre au siège local du Parti démocrate pour aider à la campagne sur le terrain. Pour chaque mission accomplie, le supporter reçoit des points qu’il peut échanger contre un autographe de la candidate. Cette stratégie semble intelligente dès lors qu’elle rend l’expérience partisane ludique et permet au parti de récolter de nombreuses datas.

 

Le data mining, nouveau levier d’action politique

La qualification ultra-ciblée des bases de données permise par les outils de gestion de communautés citoyennes deviennent des atouts majeurs du marketing politique. Démocratisées par Barack Obama lors de sa campagne de 2008, de nouveaux programmes de gestion/CRM optimisés permettent aux politiques de mieux qualifier leurs bases de données et cibler davantage leurs actions sur le terrain comme sur le web. A l’époque, le candidat américain s’était entouré de jeunes informaticiens venus de Google et Facebook qui avaient mis en place un projet data reposant sur trois piliers :

  1. L’agrégation de données sociodémographiques et nominatives sur une base géographique (données publiques)
  2. Corrélation prédictive des votes en fonction de l’historique des résultats électifs précédents par zone géographiques (données publiques)
  3. Corrélation avec les sondages d’opinions et les études ad hoc réalisés afin de connaitre les thèmes de bascule propres à influencer le vote des électeurs indéterminés en fonction des zones d’habitation.

En France, les candidats à la primaire de la droite, Alain Juppé en tête, ont suivi les traces de l’ancien président américain, et ont fait appel à Nation Builder pour optimiser leur campagne. Cette plateforme permet d’administrer un site, de collecter des contacts et des données et d’organiser des campagnes militantes. L’aspect interactif est essentiel : les équipes d’un candidat sur le terrain l’alimentent avec les informations qu’elles recueillent et le candidat peut envoyer ces équipes faire campagne auprès de publics ultra-ciblés. Il n’y a pas de limite à un outil qui permet maximiser toute information personnelle afin de décrocher un vote, un don ou un coup de main pour une opération de tractage.

Ces nouveaux outils basés sur la data, permettent d’optimiser les dépenses marketing en e-mailing. Tout comme le font les annonceurs commerciaux, l’e-mailing politique pratique le retargeting (notamment à destination des indécis) et l’A/B testing (deux versions de courriels sont envoyées à deux panels de sympathisant et un bilan est réalisé pour savoir laquelle est la plus efficace : ouverture, taux de clics sur la pièce jointe, réponse etc.) 

La stratégie digitale à suivre : le cas Beppe Grillo

Tout commence en 2005 avec la création de son blog. Beppe Grillo caricature et dénonce les classes politiques italiennes, et partage ses coups de gueule. Son blog est l’un des plus lus d’Italie et atteint la 9ème position des blogs les plus populaires au monde. Il mise sur l’international en enrichissant d’une version anglaise et japonaise son blog, dont les visites augmentent au niveau mondial. C’est près de 150 000 et 200 000 visiteurs par jour en Italie.

Celui qu’on surnomme le « messie » utilise les réseaux sociaux et son blog pour créer des rassemblements contestataires dans toute l’Italie. Dès 2007, il parcourt l’Italie avec son « Vaffanculo Day ». Il utilise le portail du réseau social Meet Up pour former des groupes locaux à travers le monde (aujourd’hui 856 groupes, dans 14 pays qui comportent environ 120 000 membres) et créer des leaders d’opinion. Boycottant les plateaux télé, ses différents meetings du « Tsunami Tour » sont retransmis en direct sur son site, ainsi que sur sa chaîne Youtube (La Cosa). Son écosystème digital est prolifique, le relayage des informations sur les différents sites permet de créer un nouveau moyen de répandre ses idées en dehors des médias traditionnels. Il a également développé sa propre application. Aujourd’hui sa page Facebook compte 1,2 millions de fans, 1 044 491 followers sur Twitter et près de 110 millions de vues sur ses vidéos Youtube.

[1] Marcel Botton, « Les hommes politiques sont des marques comme les autres », 2008

 

Noémie Hennig

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