Télévision et VR : un mariage heureux ?


Dans cette ère de transformation digitale, la télévision cherche sa place. Ses recettes publicitaires stagnent alors que les diffuseurs se multiplient et la génération Y s’en désintéresse. Si la télévision reste encore le média de masse par excellence, que son expertise en matière de production de contenus lui garantit encore sa valeur, la question est : pour combien de temps encore ?

Internet a fait émerger une concurrence protéiforme et donne le sentiment aux jeunes générations que le poste de télévision est devenu un format poussiéreux. Comment rivaliser avec Youtube qui prône les UGC (users generated content) ? Comment donner du sens à la linéarisation des programmes quand le public s’habitue à l’ATAWAD (AnyTime, AnyWhere, AnyDevice), fortement aidée par les OTT ? Comment convaincre le téléspectateur de continuer à regarder un écran au milieu du salon dans un univers multi-devices ? Certains l’affirment haut et fort : la télévision est morte. Je ne le crois pas.

Le secteur télévisuel doit changer, c’est certain. C’est souvent la conséquence de l’apparition d’un nouveau média sur les anciens pour que ces derniers ne disparaissent pas. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait. Les grands groupes audiovisuels français développent leur stratégie numérique : catch up TV, transmédia, départements « nouvelles écritures », etc. Or, pour les raisons citées plus haut, l’incursion dans le numérique est difficile et une monétisation de ses contenus encore peu satisfaisante. Pourtant, il y a des motifs d’espoir. Le premier est qu’Internet aura confirmé l’intérêt phénoménal des utilisateurs pour les contenus : la vidéo est partout. Cela tombe bien, c’est le cœur de métier de la télévision. L’autre bonne nouvelle est le développement des technologies et les nouveaux modes de diffusion. Le dernier MIPTV l’aura bien compris et, parmi d’autres choses, la VR a tenu une place importante.

On définit communément la réalité virtuelle comme étant une technologie capable de projeter un individu dans un monde conçu numériquement. Les gamers en ont déjà fait l’expérience et elle semble convaincre. Mais la réalité virtuelle ne sera pas réservée qu’aux jeux vidéo, toutes les industries ont à y gagner, en premier lieu les diffuseurs. Alors, Télévision et VR : mariage heureux à venir ? Si les perspectives sautent aux yeux des parties prenantes, encore faudra-t-il réussir à lever les obstacles d’une technologie… vieille de plus de 20 ans déjà.

 

D’intéressantes perspectives pour les diffuseurs et annonceurs…

L’Internet c’est la transformation des usages. Le public est passé de la passivité à l’interactivité, de la masse à l’individualisation. Aujourd’hui, l’individu a pris une place centrale, pour les marques, pour le marketing. Pourquoi la VR semble-t-elle si intéressante ? Je vais citer Eric Scherer, directeur de la prospective chez France Télévisions, qui résume ainsi les choses : la VR est « un média qui coche toutes les cases de l’époque : interactivité, personnalisation, mobilité, immersion ».

C’est avant tout la promesse de nouveaux contenus : nouvelles formes, nouvelles expériences. La plupart des genres télévisuels semblent adaptés à emprunter ces nouveaux codes. Du côté des programmes de stock (information, divertissements, etc.), une forte interaction devient désormais possible. Les jeux, par exemple, restent une valeur sûre pour les chaînes et ont, de tout temps, cherché à impliquer l’audience dans ceux-ci (appels, votes, questions, etc.). La VR rendrait alors possible une participation en bonne du forme du téléspectateur de chez lui, et non plus restreint à groupe de candidats. Peut-on imaginer un jeu d’envergure national, voir international, avec un nombre de participants conséquents ?

Du côté du stock, on pense en premier lieu à la fiction. La VR aura, tel un jeu vidéo, la capacité de projeter l’individu dans l’histoire, de lui donner un rôle. Certains broadcasters, à l’image de Showcase avec la websérie Halcyon, emprunte déjà ce chemin. Autrement dit, ce serait l’apparition d’une narration innovante qui garantirait un engagement total de la part du « VRspectateur » . En outre, le documentaire est un genre particulièrement friand des expérimentations, avec l’exemple de Arte qui s’est émancipé du petit écran avec le projet The Enemy, au budget conséquent (1,6 millions d’euros), exclusivement conçu pour la réalité virtuelle. Couplé à son expertise en matière de production, la VR est bel et bien une voie crédible pour la télévision et l’exploitation de nouveaux formats éditorialisés.

Aussi La VR n’exclut pas la convivialité. Bien au contraire, le social prendrait là encore une nouvelle dimension : on pourrait partager – vivre – un contenu en temps réel, une histoire en commun, ou même tout simplement regarder un format dans un univers virtuel à plusieurs. Une télévision plus sociable est une aubaine pour les annonceurs. Souvent une « purge d’audience », la coupure publicitaire pourrait trouver ici un nouvel élan et interagir avec l’audience. Là aussi, fin à la passivité, une publicité par exemple « gamifiée » mais surtout personnalisée pourra continuer d’éveiller l’intérêt de l’individu en l’immergeant dans l’univers de la marque.

 

mais de nombreux défis restent à relever

Les perspectives offertes par la VR semblent révolutionnaires. Par ailleurs, selon certains analystes financiers, le marché de la réalité virtuelle est promis à un avenir radieux : il devrait dépasser celui de la télévision d’ici 2025. Cependant, en ce qui concerne le secteur audiovisuel, s’il n’est pas à douter de la plus-value apportée en matière de consommation de contenus, certaines barrières actuelles seront nécessairement à dépasser si la télévision veut voir en la VR un avenir, cela à plusieurs niveaux.

On peut considérer dans un premier temps un facteur psychologique. Souvenez-vous, en 2010, la révolution 3D qui accompagnait les salles de cinéma était aussi promise à nos téléviseurs. Les grands constructeurs, à l’image de Samsung ou bien encore LG, se sont empressés de proposer un gamme de télévision 3D. Une fois l’effet de curiosité passé, cette technologie a vite décliné. Peu y ont adhéré, les diffuseurs en premier lieu. Mais surtout, les téléspectateurs ont tout simplement rechigné à devoir porter un dispositif. C’est contraignant. Or, la VR suppose nécessairement un dispositif pour pouvoir en profiter. Si les hardcore gamers semblent apprécier la VR pour jouer, en sera-t-il de même pour le téléspectateur lambda ? Aujourd’hui les casques sont massifs, encombrants et isolent physiquement. De plus, une immersion intégrale, plus tactile, va imposer davantage d’accessoires qu’un simple casque… L’objectif pour la VR sera de se rendre la moins invasive possible pour ne pas freiner les utilisateurs.

Au niveau marketing aussi : comment réussir à « montrer » cette technologie ? C’est un véritable défi auquel les constructeurs devront répondre. En effet, comment inciter à consommer une technologie que seule son utilisation permettra d’évaluer ? L’immersion offerte par la VR ne peut être retranscrite dans une publicité, aussi bien offline ou online, elle sera donc difficile à vendre.

La conception des contenus est l’autre aspect crucial. Dans l’histoire des médias, une même logique s’est à chaque fois répétée : quand un nouveau médium apparaît, il a tendance à exploiter les contenus des anciens médias dans un premier temps. Par exemple, lorsque la télévision est apparue, elle diffusait au départ des bulletins radiophoniques. Il est donc vital que les formats prévus pour la VR soient pensés pour celle-ci et ne pas se contenter  d’y « pousser » la télévision traditionnelle. De même, le défi narratif est énorme : comment raconter une histoire si l’on ignore par avance le comportement de l’individu (que regardera-t-il ? Ou s’orientera-t-il ? ) : comment le guider dans un environnement 360° ? Si la VR est une opportunité pour tous conteurs (la promesse d’une véritable immersion), encore frauda-t-il en assurer une certaine cohérence.

Enfin, ce sont aussi les conditions de production qui s’en trouveront impactées. Réaliser un programme TV, qu’il soit de flux ou de stock, reviendra de plus en plus à le penser comme un jeu vidéo. De nouveaux métiers seront à considérer pour tourner une fiction ou un divertissement : des développeurs, des ingénieurs, etc. En voit-on aujourd’hui dans les devis des producteurs ? Non bien sûr. Il va falloir s’attendre à une explosion des coûts de production, un investissement qui dépendra du taux d’adoption de cette technologie.

 

Conclusion

La VR est une technologie prometteuse, au cœur de nombreux intérêts aujourd’hui. Si elle semble dépasser le simple effet de mode, son adoption concrète par l’industrie audiovisuelle est loin d’être acquise. Mais les chaînes affichent une volonté certaine de creuser la question, ce qui est déjà un bon signe.

En creux, cela signifie surtout que la télévision, en l’état actuel, a un besoin urgent de se renouveler pour reconquérir un jeune public. La VR est-elle l’ultime solution ? Difficile à affirmer mais les nouvelles technologies doivent être au cœur de la réflexion des chaînes.

 

Benjamin Mollié

 

 

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