Salto, quel bilan plus d’un an après son lancement ?

Image : Salto.fr

Un marché en pleine extension

Selon le CNC, de janvier à avril 2021, le marché de la SVOD a atteint 30,2 millions d’euros en France, avec une augmentation de 12% par rapport à 2020. La SVOD représente actuellement 86% du marché de la vidéo.

Le marché est en nette évolution, poussé par l’arrivée du covid qui a entraîné la fermeture des salles, et augmenté la réservation de sortie en exclusivité par les studios sur les plateformes. Le marché de la SVOD est en expansion aussi bien à l’échelle de la  France qu’à l’ échelle européenne : 62% d’habitants adhérent à une plateforme. Actuellement, la plupart des contenus proposés sont des séries. Elles représentent 74% des investissements, avec 13% de films d’animation, 9% de production de films et 3% de documentaires.

Salto : nouveau concurrent sur le marché de la SVOD

Le 15 octobre 2020, le nouveau “Netflix français” est lancé, une plateforme de SVOD commune à TF1, M6, et Francetv, à l’initiative de la dernière. L’offre propose d’accéder aux programmes des trois chaînes partenaires, avec des exclusivités françaises (comme la série Germinal) ou étrangères et des créations originales. Certains programmes comme “L’amour est dans le pré” ou “Les marseillais VS le reste du monde” sont présentés en avant-première pour attirer des utilisateurs sur la plateforme. En outre, 20 chaînes de télévisions sont accessibles en replay et en direct. 

L’objectif de cette nouvelle plateforme est de concurrencer les géants américains et d’adapter les modes de consommation aux nouveaux usages, notamment en captant des auditeurs plus jeunes. À son lancement, la plateforme espère être rentable trois ans plus tard. 

Un bilan décevant

Selon Thomas Rabe (ancien président-directeur général de Bertelsmann), pour concurrencer les géants, un service de vidéo à la demande doit toucher 20% des foyers dans un pays comme la France. Selon Delphine Ernotte, présidente de France TV, interviewée sur France Inter, la plateforme attire actuellement autour de 700 000 abonnés. Le chiffre ne précise pas s’il s’agit seulement des abonnés payants ou s’il inclut le mois offert par la plateforme. En septembre 2021, le service avait un taux de pénétration de 2,4%. A titre de comparaison, Netflix comptait 750 000 abonnés moins d’un an après son lancement sur le marché.

En Allemagne et aux Pays-Bas, TvNow et Videland, qui appartiennent au groupe RTL, ont 1,8 millions d’abonnés au total, d’après François Godard, de chez Enders Analysis. My Canal compte aujourd’hui 5 millions d’abonnés.

Actuellement, la plateforme Salto est en neuvième position sur le marché financier de la SVOD en France, derrière Netflix, Amazon vidéo, Disney +, Apple TV et Canal +. 

Les freins au développement de la plateforme

Un prix trop élevé

La plateforme propose un abonnement à 6,99 euros par mois pour un écran et 12,99 euros pour quatre utilisateurs. Un prix similaire à celui de Disney +, alors que le catalogue est bien moins riche. De plus, TF1 a demandé à Salto d’inclure des publicités dans le replay des programmes de la Une. Les abonnés subissent donc une double peine : payer l’abonnement et avoir des publicités. L’offre reste néanmoins 1 euro moins chère que Netflix qui démarre à 7,99 euros pour un écran. 

Un projet peu rentable

Les trois médias auraient un revenu d’environ 120 millions d’euros pour 2 millions d’abonnés, selon Les Echos. Ce montant doit être divisé en trois, en enlevant la TVA et les commissions de distribution. De plus, alors que les trois actionnaires compteraient davantage de programmes à diffuser s’ils mutualisaient l’ensemble de leurs contenus, ces derniers continuent à distribuer leur propre service de replay, comme MyTF1, 6PLAY, France.tv. Cela floute la proposition de Salto et réduit la puissance de frappe de l’offre. Au printemps 2021, la plateforme a cumulé 72 millions d’euros de pertes, freinant de façon importante les trois actionnaires.  

Un investissement de départ peu considéré

Les montants de départ investis par les trois groupes sont restés secrets, en raison du statut de la plateforme, qui permet de garder une certaine discrétion sur ses comptes (société en nom collectif). Cependant, d’après une enquête du journal Le Monde, chaque actionnaire aurait mis 50 millions d’euros dans le projet. Le budget de départ se trouverait donc entre 135 et 140 millions d’euros sur trois ans, soit environ 46 millions d’euros par an. À titre de comparaison, Netflix a dépensé 200 millions de dollars, lors de son lancement en France, soit bien moins que les trois actionnaires de Salto réunis.

Une sortie ralentie par des problématiques juridiques

La plateforme a pris du retard sur sa date de lancement : cela faisait suite à la nécessité de trouver un accord entre les trois partenaires, puis de convaincre la Commission Européenne d’accepter de transférer le dossier à l’autorité de la concurrence française. En tout, huit mois se sont écoulés. En août 2017, le lancement a été autorisé. Un an d’organisation et de gestion ont ensuite été nécessaires pour une sortie de service en octobre 2020. Entre-temps, Disney + est arrivé sur le marché en novembre 2019. 

Une gouvernance interne mal gérée

Salto représentait pour l’autorité de la concurrence française de gros risques concurrentiels. TF1, M6, et France TV pesants déjà lourd sur le marché de la télé, le danger était qu’ils profitent de cette union pour lisser leurs dépenses (achats de programme, tards sur les publications, etc.). En Europe, plusieurs projets de ce type comme Kangourou, qui devait regrouper la BBC, ITV et Channel 4, ont été interdits. Afin de prévenir la menace d’une entente illégale, il a été imposé à Salto de maintenir une séparation stricte entre la plateforme et les chaînes des grands groupes, freinant  alors fortement ses activités. Nicolas De Tarvernost, président du directoire de M6, s’est exprimé à ce sujet dans le magazine Le Point en décembre 2020 : “Le fonctionnement de Salto du fait des règles anti-concentration est un vrai cauchemar. Bien que M6 possède 33% du capital, je n’ai pas le droit de regarder les budgets en détail, ni même d’avoir un badge pour aller dans les locaux !”.

Celui-ci a d’ailleurs quitté le conseil de Salto, suivi de Delphine Ernotte et Gilles Pélisson, cinq mois après son lancement. Il jugeait les contraintes imposées par l’autorité de la concurrence trop importante pour un accord commun. Ils sont remplacés par  Philippe Denery (directeur financier du groupe TF1), Didier Casas (secrétaire général du groupe TF1), Francis Donnat (secrétaire général du groupe France Télévisions) et Henri de Fontaines (directeur de la stratégie et du développement du groupe M6).

Une distribution trop faible

La plateforme n’aura pas réussi à nouer des accords qu’avec un seul opérateur pour être distribuée sur les box, Bouygues Télécom, qui fait partie du groupe TF1. Free, Orange et SFR ont refusé, donnant déjà à leur abonnés la possibilité de regarder les programmes en replay. Ce refus s’explique notamment par le fait que les Telcos paient déjà au prix fort la rediffusion, à raison de 100 millions d’euros par an pour les chaînes TF1 et M6.

Une communication ratée à son lancement

Pour sa sortie, une seule conférence de presse à été donnée, en ligne via Youtube, en octobre 2020. À cette occasion, Delphine Ernotte (FTV), Nicolas de Tavernost (M6) et Gilles Pelisson (TF1) et Thomas Follin (PDG de Salto) ont pris la parole sur leurs objectifs et leur ambition pour la plateforme. Mais leurs interventions ont vite été raillées sur les réseaux sociaux : elles furent jugées décevantes par les journalistes qui parlèrent d’une “présentation commerciale”. De plus, les questions étaient sélectionnées à l’avance et aucune réponse ne fut apportée sur les objectifs, en termes d’abonnements ou de business model. Par la suite, très peu d’interviews furent consacrés au sujet. 

Peu d’innovation et de fonctionnalités 

Si la plateforme est une réussite en termes de design, elle reste néanmoins décevante en termes de fonctionnalités proposées. On note l’impossibilité de télécharger des contenus en local sur ordinateur, tablette et téléphone ou encore le manque d’une option “accélérer”, pourtant présente chez ses concurrents (Netflix, Youtube,..).

Néanmoins, la plateforme propose une petite innovation avec la possibilité d’accéder à des programmes par catégorie, en fonction de la configuration des personnes qui consomment les contenus. Elle offre quatre catégories : “entre frères et soeurs”, “entre amis”, “en famille”, “en amoureux”. 

Dans un contexte de fusion M6/TF1, la sortie de France TV comme seule solution ?

Récemment, M6, TF1 et RTL Group ont annoncé leur projet de fusion, dans l’objectif de créer une offre radio, TV et digital. Bouygues Telecom a prévu d’investir 641 millions d’euros et ainsi d’acquérir 30% du capital, ce qui fera de lui l’actionnaire majoritaire. Devant le Sénat, qui a auditionné récemment les acteurs des différents groupes dans le cadre de la fusion, le représentant de Bertelsmann a annoncé que 500 millions d’euros seraient investis dans la SVOD. Tout cela sans mentionner une seule fois le nom de Salto. De son côté, Delphine Ernotte semble prête à abandonner la plateforme, en échange d’un gros chèque (comprenant notamment la base de données utilisateur). Cette dernière ne trouve plus sa place dans le contexte de la fusion.

France Télévision, l’esprit déjà ailleurs, pencherait pour un service de plateforme commun avec les différents services public européens. Cette option semble beaucoup plus en adéquation avec les valeurs et la qualité des contenus proposées par ses chaînes.

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