TikTok : future plateforme de référence pour les films et les séries ?

Envie de regarder le nouveau film « Barbie » gratuitement ? C’est possible sur TikTok, à condition d’accepter son découpage en 49 parties.

Sur TikTok, la diversité du contenu est frappante. On y trouve aussi bien des vidéos de danse virales, que des sketches comiques hilarants ou encore des conseils sur les relations amoureuses. En résumé, peu importe ce que vous recherchez ou pas, TikTok saura quelle vidéo vous montrer. 
Depuis quelques mois, un nouveau type de contenu prend de l’ampleur ou du moins, commence à faire parler.

Après avoir bouleversé l’industrie de la musique, TikTok s’attaque à celle de l’audiovisuel

Comme beaucoup de plateforme l’ont été avant elle, TikTok se transforme progressivement en « pirate de l’audiovisuel ». En effet, il est maintenant possible de regarder des films, des séries et des émissions télévisées, découpés en plusieurs parties et diffusés par des comptes TikTok dédiés à ce type de contenus. Ces contenus sont majoritairement mis en ligne de manière illégale. Les enregistrement clandestins, qu’il soient de films projetés au cinéma ou de contenus disponibles sur les plateformes de streaming, tous y passent. En outre, des séries populaires telles que « South Park » ou « Malcolm » sont présentes sur TikTok depuis un certain temps.


tractlljc4t sur TikTok

Ce mode de consommation peut sembler quelque peu déroutant. Cependant, il gagne en popularité au sein de la plateforme, et cela s’explique par plusieurs facteurs. 

Tout d’abord, ces séquences ont une capacité remarquable à capter et retenir l’attention des utilisateurs. En découpant un épisode de série en plusieurs parties, un compte peut publier une vidéo consistant uniquement en une scène riche en suspense, incitant ainsi les spectateurs à vouloir connaître la suite.
De plus, TikTok développe des fonctionnalités qui facilitent la consommation de ce type de contenus comme le « Clear Mode » ou le mode « Plein écran ».

Le rôle fondamental de l’algorithme de recommandation

Image par Katamaheen de Pixabay

Dans le fil d’actualité « Pour toi », les contenus découpés en plusieurs parties sont proposés aux utilisateurs de manière aléatoire,  ce qui contribue à la popularité de ce format. Dans un univers d’hyperchoix où une multitude d’options est constamment disponible, la fatigue décisionnelle se fait ressentir. Exacerbée par les choix infinis sur des plateformes comme Netflix, TikTok évite à l’utilisateur de se trouver dans cette situation d’anxiété en le conduisant directement au contenu. « Je suis déjà là, je suis déjà en train de le regarder, je suis déjà en train de faire défiler sur TikTok. » Voici ce que déclare un utilisateur à propos de TikTok (Wall Street Journal, 2023). Pas besoin d’aller sur une plateforme de streaming ou sur la télévision : TikTok dit à l’utilisateur quoi regarder. En résumé, avec l’algorithme de recommandation, les contenus sont presque servis sur un plateau d’argent.

L’algorithme de recommandation de TikTok contribue à mettre en lumière ces extraits dans les « Pour toi », permettant aux comptes TikTok de toucher un public plus large et d’augmenter leur visibilité. L’algorithme favorisant les vidéos regardées jusqu’à la fin, la plupart des contenus sont découpés par tranches de 3 à 5 minutes, bien que les vidéos peuvent aller jusqu’à 10 minutes. Ces vidéos courtes jouent aussi avec la frustration ressentie par l’utilisateur qui sera pousser à aller regarder d’autres vidéos ou à demander en commentaires quand est-ce que la partie suivante sera disponible. Il est important de noter que les commentaires jouent aussi un rôle important dans la recommandation par l’algorithme. 

Afin de ne pas se faire repérer par les algorithmes de modération, les créateurs ne publient pas les différentes parties d’un même contenu à la suite. Les parties sont souvent « uploadées » sur la plateforme à des heures ou jours d’intervalle, laissant le temps à la publication d’autres contenus. Autre particularité de ces vidéos, il est très rare de voir inscrit dans les descriptions le nom original du film, de la série ou de l’émission en question. Il s’agit d’une autre astuce utilisées pour éviter que la vidéos soient retirées de manière automatique de la plateforme.

Bien que ce type de visionnage puisse paraître atypique, il s’inscrit donc dans une stratégie de captation et de rétention de l’attention tout en exploitant les mécanismes propres à l’algorithme de TikTok pour maximiser la portée et l’impact du contenu publié.

Le cinéma se fait pirater, il prend les devants !

En 2020, Quibi, le service de streaming de vidéos courtes venu tout droit d’Hollywood n’a pas tenu longtemps sur le marché. Bien que ce fut un échec, le potentiel de ce type de contenu paraît aujourd’hui plus important que ce qu’il était il y a quelques années. Comme annoncé lors du festival Médias en Seine à Paris en 2023, l’une des prochaines tendances média qui se dessine est la nécessité de maitriser le format de vidéos verticales (Reuters Institute, 2023).

Neil Shyminsly, expert en Pop culture et professeur d’anglais au Cambrian College, affirme qu’ « il y a une crainte croissante que la programmation télévisuelle devienne de plus en plus courte à mesure que le succès est déterminé par l’algorithme de TikTok. » (CBCNews, 2023). 

Photo de Hannah Wernecke sur Unsplash

Effectivement, certains grands studios se sont déjà lancés dans la publication de contenus en plusieurs parties. Le 3 octobre 2023, à l’occasion du Mean Girls Day, Paramount à rendu disponible le temps d’une journée le film Mean Girls en intégralité, découpé en 23 parties sur son compte TikTok. « Les paramètres semblent évoluer », a déclaré Alex Alben, professeur de droit de l’internet et de la confidentialité à la Faculté de droit de l’UCLA. « Quelqu’un au sein du studio est en train de peser le fait qu’ils bénéficieraient davantage de la diffusion d’un extrait de leur film par des millions de personnes plutôt que de chercher à l’interdire. » (NewYorkTimes, 2023). Un représentant de Paramount a expliqué que la publication de « Mean Girls » sur TikTok visait à accroître la visibilité du film auprès d’un nouveau public potentiel (NewYorkTimes, 2023). Un coup marketing de la part du studio ? Très probable, sachant que le jour même, la sortie du nouveau « Mean Girls » au cinéma début janvier 2024 a été annoncée.

D’autres studios et plateformes de streaming ont très vite suivi. En août 2023, Peacock a publié un épisode de 2023 de la version américaine de « Love Island » ainsi qu’un épisode de « Killing It » divisé en 5 parties. Voici ce qu’Anupam Chander, professeur de droit et technologie à Georgetown, dit à ce propos : « Il peut être utile pour les détenteurs des droits d’auteur de voir leur travail distribué à un public plus large afin de susciter davantage d’intérêt pour ce travail et générer des ventes ultérieures. ». En réalité, certains détenteurs des droits de ces contenus, qu’ils soient publiés légalement ou non, pourraient profiter de cette tendance. Dans les faits, cela peut permettre de remettre au gout du jours d’anciens contenus et de booster la popularité de ceux qui en ont besoin. Il faut reconnaître que la capacité de TikTok à engager son public est forte et va au-delà des jeunes générations (InsiderIntelligence, 2023).

De nouvelles productions uniquement dédiées à TikTok

TikTok a vu émerger de nouvelles productions uniquement dédiées à sa plateforme. Dès 2020, plusieurs séries australiennes ont vu le jour telles que Love Songs, publiée par épisodes de 10 minutes ou Scattered, publiée en 38 épisodes de 1 minute. Récemment, Adam McKay, avec sa société de production Yellow Dot Studios, est devenu le premier producteur hollywoodien à investir dans une série diffusée uniquement sur TikTok. Intitulée « Cobell Energy », elle est diffusée depuis le 14 novembre 2023 sur la plateforme à raison de 2 épisodes par semaine.

cobellenergy sur Tiktok

Et le respect des droits d’auteur dans tout ça ?

Il est évident que la publication illégale de contenus sous droits pose question. Réguler ce type de contenus sur TikTok devient un challenge très complexe en comptant les 34 millions de vidéos postées par jour sur la plateforme. Comment gérer le sentiment de non-respect du travail accompli pour la réalisation d’un film, d’une série etc. ? Publier un contenu en plusieurs parties porte-t-il atteinte à la nature même de celui-ci ? Comment gérer le partage de revenu ? Beaucoup de questions n’ayant pas de réponses encore assez concrètes. 

Pour remédier à ces publications, trop nombreuses, de contenus allant à l’encontre des conditions d’utilisation de la plateforme, TikTok a mis en place un algorithme de détection des contenus sous droits d’auteur. En plus de cela, les détenteurs de ces droits ainsi que les utilisateurs peuvent signaler à la plateforme un contenu qu’ils considèrent comme « piraté ».
Avec l’arrivée du Digital Services Act en Europe, de nombreuses plateformes comme TikTok se sont vues imposées la mise en place de mécanismes de signalement mais aussi de contrôle plus soutenus de ces contenus illicites. En septembre 2023, TikTok a annoncé avoir supprimé plus de 4 millions de contenus jugés comme illicites par l’Union Européenne.

Finalement, il ne reste plus qu’à voir si ce type de consommation et de diffusion dépassera le stade de tendance et réussira à s’installer dans le temps.

Margot Brenier


Bibliographie

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Holtermann, C., & Kircher, M. M. (2023, 4 octobre). ‘Mean Girls’ has a One-Day run on TikTok. The New York Times. https://www.nytimes.com/2023/10/04/style/tiktok-movies-mean-girls.html#:~:text=A%20Paramount%20representative%20wrote%20in,companies%20have%20experimented%20with%20TikTok.

Hoover, A. (2023, 14 novembre). TikTok is the new TV. WIRED. https://www.wired.com/story/tiktok-new-show-tv-takeover/

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Renaud-Chouraqui, E. (2024, 23 janvier). Quel sera l’impact du DSA dans la lutte contre la contrefaçon en ligne ? https://info.haas-avocats.com/droit-digital/quel-sera-limpact-du-dsa-dans-la-lutte-contre-la-contrefacon-en-ligne

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Six, N. (2020, 8 avril). Quibi, le « Netflix » des vidéos courtes, se lance sur mobile aux Etats-Unis. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/04/07/quibi-le-netflix-des-videos-courtes-se-lance-sur-mobile-aux-etats-unis_6035878_4408996.html

Tingley, A. (2023, 14 novembre). Variety. Variety. https://variety.com/2023/digital/news/adam-mckay-yellow-dot-studios-cobell-energy-tiktok-series-ari-cagan-1235764568/

SVOD, quels seront les acteurs de demain ?

Le marché de la SVOD s’apparente à un oligopole à frange concurrentielle, comme pour beaucoup d’acteurs des industries culturelles. On retrouve quelques géants qui accaparent la majorité du marché alors qu’une quantité de petits acteurs se partage une part de marché très réduite. 

Au rang de leaders mondiaux, on retrouve évidemment Netflix et ses quelques 230 millions d’abonnés révélés avec le rapport financier du dernier trimestre de l’année 2022, devant Amazon Prime et Disney+. Toutefois, c’est bien Walt Disney Company qui s’impose en tant que leader si l’on comptabilise les abonnés de ses 3 plateformes : Hulu, Disney+ et ESPN+.

Mais dans cet environnement ultra-concurrentiel et dynamique, quels seront les vrais leaders d’aujourd’hui et surtout, quels seront ceux de demain ?

Les États-Unis sont souvent utilisés comme point de comparaison afin de prévoir les tendances de marché. Les industries culturelles n’échappent pas à ce constat et l’économie de la SVOD non plus. En effet, bien que le déploiement et l’adoption de la SVOD soit un phénomène mondial, les différents marchés géographiques n’affichent pas tous la même maturité.

Étude du cabinet Parks Associates parue en 2022

Les plateformes de SVOD américaines, hégémoniques dans le monde, s’appuient toutes plus ou moins sur des studios de production, préexistants ou non, mais surtout sur des majors et/ou des activités parallèles comme les GAFAM Amazon et Apple, que d’autres tentent de compenser avec le déploiement d’une offre publicitaire. 

Prime semble tenter de concurrencer tous les acteurs en capitalisant sur son propre studio, à la manière d’Apple et de Netflix, ainsi qu’à l’aide d’une major historique rachetée l’année passée, MGM (et sa plateforme, MGM+, ex-EPIX). Une stratégie qui semble porter ses fruits puisque le géant se positionne à présent en tant que leader sur le marché américain en termes d’abonnements et de streams. 

Netflix, dans la lumière l’année passé face à sa chute d’abonnés, demeure néanmoins une marque importante et plébiscité dans le monde, notamment chez les jeunes et aux États-Unis. Les enjeux pour le géant semblent résider dans sa capacité à générer de la valeur face à des concurrents supportés par de grands groupes puissants auxquels il a répondu avec le déploiement d’une offre publicitaire.

Face à ces acteurs, Walt Disney s’impose également un peu plus grâce à sa franchise incontournable mais surtout ses trois plateformes distinctes (Disney+, ESPN+, Hulu) qui lui permettent en cumulé de s’imposer devant Netflix dans la course aux abonnés. Une véritable solution pour le groupe qui lui permet également de lutter contre la volatilité des jeunes abonnés, tout en leurs proposant une offre publicitaire sur ses plateformes Disney et Hulu qui disposent d’un bon taux de pénétration auprès des jeunes. 

Autre membre des GAFAM, Apple et sa plateforme AppleTV+ affiche de bons résultats mais ne s’appuie ni sur des studios extérieurs au sien (malgré sa tentative d’achat de la société de production en vogue A24, en 2021 selon Variety) ni sur un modèle de publicité. Le géant du numérique, à la manière d’Amazon, peut néanmoins compter sur son importante activité de vente de terminaux audiovisuels, lui procurant un certain avantage de par sa présence sur la fin de la chaîne de valeur de l’audiovisuel. 

Paramount+ semble également se positionner de manière intéressante dans cette course avec un modèle sans publicité pour le moment, à la manière d’Apple et Prime. Cet acteur dispose également de gros moyens financiers, d’une diversité et d’une innovation au sein de ses activités (lancement de la FAST FuboTv) au sein d’un groupe possédant à la fois un studio et des salles de cinéma via sa maison mère, National Amusement. 

Autre gros acteur américain, HBO max, plateforme de Warner-Discovery, depuis leur fusion l’année passée, s’appuie à la fois sur une major de l’industrie et sur une offre publicitaire avec des contenus plébiscités dans l’industrie, réelle valeur ajoutée créative. Tout comme Peacock (la plateforme du groupe NBC-Comcast qui inclut notamment Universal studio et ses filiales telles que DreamWorks et Illumination Pictures) et Lionsgate+ (la plateforme du groupe et studio américano-canadien éponyme) qui fonctionnent selon le même modèle. 

Enfin Youtube TV, également plébiscité chez les jeunes américains de la GenZ, donne un indice sur les futures tendances. La plateforme de Google, positionnée sur un contenu très différent, n’en demeure pas moins annonciatrice de changements plus profonds dans la consommation de contenus, nous orientant aussi vers la future place des réseaux sociaux dans l’économie du contenu ou des FAST, en pleine essor grâce aux TV connectées.

Le marché de la SVOD aux États-unis étant aujourd’hui considéré comme saturé, certaines tendances pourraient néanmoins continuer d’apparaître et bouleverser d’autres marchés géographiques.

Que peut-on en déduire pour la France, l’Europe et le reste du monde ? 

La France


Le marché français de la SVOD, bien qu’ayant une maturité moindre par rapport au marché américain devient de plus en plus difficile à pénétrer. On retrouve, d’après JustWatch, les géants Netflix, Prime, Disney+ et, à moindre mesure, Apple TV ainsi que l’acteur local Canal+ qui renforce son marché avec le rachat récent d’OCS, illustrant l’échec des télécoms à s’imposer dans ce secteur. Salto, acteur du secteur a quant à lui définitivement quitté le marché, ne parvenant pas à faire briller l’alliance des chaînes TV des groupes Bouygues et RTL. 

Le marché reste cependant mouvant dans ce secteur comme l’illustre le départ et le rachat évoqué ci-dessus. On note également l’arrivée express de Lionsgate+, déjà disparu de nos écrans tandis que Paramount+ a fait son grand lancement français fin 2022. HBOmax a décidé d’amorcer une arrivée en douceur sur le marché via un partenariat avec Prime video qui diffusera les contenus de la plateforme avec son offre Pass Warner dès le mois de mars prochain dans l’attente d’un potentiel lancement de manière indépendante pour l’année prochaine.

Face à ces nouveaux arrivants, Canal + semble tout de même en posture de consolider sa position. L’entreprise dispose en effet de son propre studio, porté par le groupe Vivendi, actif dans la presse (Prisma), la publicité (Havas), l’édition (Lagardère, Éditis) et plus récemment le jeu vidéo (Gameloft). 

Reste toutefois des acteurs minoritaires tels que Mubi, SOFAVOD, La cinetek, Universcine ou FilmoTV (disponible via des offres de FAI) qui s’installent avec des offres de niche moins large à destination des cinéphiles. 

Europe, Asie, Afrique

En dehors de la France et des États-Unis, les leaders du marché demeurent sensiblement les mêmes. Cependant, certaines plateformes telles que, DAZN, le “netflix du sport”, Showmax, la plateforme Sud-Africaine qui se classe en 3e position sur l’ensemble du continent Africain selon une étude de digital TV research ou encore Jio en Inde (avec Jio TV et Jio Cinema) tentent de se faire une place.  

En somme

L’hégémonie américaine tend à se renforcer, s’implantant de manière autonome à l’aide d’acteurs américains déjà implantés ou via la collaboration ou la création de coentreprises avec des acteurs locaux. On peut continuer de s’interroger sur l’avenir de Sony dans cet écosystème. Bien ancré dans différents secteurs tels que celui du jeu vidéo, Sony incarne la dernière major américaine n’ayant pas encore éclos sur le marché de la SVOD, bien qu’elle propose une offre très limitée et Premium, Bravia Core.

Concernant le modèle économique, seuls Prime, Paramount et Apple ne proposent pas d’offre moyennant de la publicité. On peut supposer qu’elles y parviendront également progressivement. Cette alternative offrant à la fois un revenu complémentaire et une cible intéressante dans l’ère actuelle du phénomène de « churn and return », bien connu de la genZ et des millenials. 

Les différences culturelles persistantes dans le monde peuvent toutefois représenter une opportunité d’émergence pour des acteurs non-américains qui pourraient s’allier avec ces derniers. Enfin, l’indépendance dans ce secteur semble s’avérer de plus en plus complexe, destinée à viser un marché de niche, plus petit, dans une économie de la SVOD elle-même en concurrence avec des social medias et notamment Youtube. La qualité des contenus et la “découvrabilité” de ces derniers n’en seront que de plus en plus importantes dans les années à venir. 

Hannah Roux-Brion

Sources :

Stéphane Loignon (2023). Amazon Prime Video s’allie avec Warner pour diffuser les séries HBO en France [en ligne] Disponible via : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/amazon-prime-video-sallie-avec-warner-pour-diffuser-les-series-hbo-en-france-1896640

Pascal Lechevallier (2022). “Churn and Return” : menaces sur la SVOD. [en ligne] Disponible via : https://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/churn-and-return-menaces-sur-la-svod-39939775.htm

Influecia avec NPA (2022). Après la TV, les 15/24 ans désertent déjà la SVoD [en ligne] Disponible via : https://www.influencia.net/apres-la-tv-les-15-24-ans-desertent-deja-la-svod/ 

Influencia avec NPA (2022). SVOD, découvrabilité des programmes [en ligne] Disponible via : https://www.influencia.net/coupe-du-monde-de-rugby-le-signal-dalerte-lance-par-tf1-m6-et-france-televisions/

Héloïse Décarre (2023). Guerre du streaming : l’âge d’or des plateformes de SVOD est-il vraiment derrière nous ? [en ligne] Disponible via : https://leclaireur.fnac.com/article/222486-guerre-du-streaming-lage-dor-des-plateformes-de-svod-est-il-vraiment-derriere-nous/

Hrowitz research (2022). Study Reveals Differences in Media Behaviors Between Older and Younger Gen Z Consumers, With TV Becoming Increasingly Relevant as the Cohort Matures [en ligne] Disponible via  : https://www.horowitzresearch.com/all/study-reveals-differences-in-media-behaviors-between-older-and-younger-gen-z-consumers-with-tv-becoming-increasingly-relevant-as-the-cohort-matures/

Deloitte (2022). 2022 Digital media trends, 16th edition: Toward the metaverse. [en ligne] Disponible via : https://www2.deloitte.com/xe/en/insights/industry/technology/digital-media-trends-consumption-habits-survey/summary.html

Digital TV research (2021).  Africa SVOD subscriptions to triple [en ligne] Disponible via : https://digitaltvresearch.com/wp-content/uploads/2021/08/Africa-SVOD-Forecasts-2022-TOC.pdf

Statista (2021). Share of consumers who subscribed to selected video streaming services in India as of May 2021 [en ligne] Disponible via : https://www-statista-com.proxy.bu.dauphine.fr/statistics/684108/india-popular-video-streaming-services/

Salto, quel bilan plus d’un an après son lancement ?

Image : Salto.fr

Un marché en pleine extension

Selon le CNC, de janvier à avril 2021, le marché de la SVOD a atteint 30,2 millions d’euros en France, avec une augmentation de 12% par rapport à 2020. La SVOD représente actuellement 86% du marché de la vidéo.

Le marché est en nette évolution, poussé par l’arrivée du covid qui a entraîné la fermeture des salles, et augmenté la réservation de sortie en exclusivité par les studios sur les plateformes. Le marché de la SVOD est en expansion aussi bien à l’échelle de la  France qu’à l’ échelle européenne : 62% d’habitants adhérent à une plateforme. Actuellement, la plupart des contenus proposés sont des séries. Elles représentent 74% des investissements, avec 13% de films d’animation, 9% de production de films et 3% de documentaires.

Salto : nouveau concurrent sur le marché de la SVOD

Le 15 octobre 2020, le nouveau “Netflix français” est lancé, une plateforme de SVOD commune à TF1, M6, et Francetv, à l’initiative de la dernière. L’offre propose d’accéder aux programmes des trois chaînes partenaires, avec des exclusivités françaises (comme la série Germinal) ou étrangères et des créations originales. Certains programmes comme “L’amour est dans le pré” ou “Les marseillais VS le reste du monde” sont présentés en avant-première pour attirer des utilisateurs sur la plateforme. En outre, 20 chaînes de télévisions sont accessibles en replay et en direct. 

L’objectif de cette nouvelle plateforme est de concurrencer les géants américains et d’adapter les modes de consommation aux nouveaux usages, notamment en captant des auditeurs plus jeunes. À son lancement, la plateforme espère être rentable trois ans plus tard. 

Un bilan décevant

Selon Thomas Rabe (ancien président-directeur général de Bertelsmann), pour concurrencer les géants, un service de vidéo à la demande doit toucher 20% des foyers dans un pays comme la France. Selon Delphine Ernotte, présidente de France TV, interviewée sur France Inter, la plateforme attire actuellement autour de 700 000 abonnés. Le chiffre ne précise pas s’il s’agit seulement des abonnés payants ou s’il inclut le mois offert par la plateforme. En septembre 2021, le service avait un taux de pénétration de 2,4%. A titre de comparaison, Netflix comptait 750 000 abonnés moins d’un an après son lancement sur le marché.

En Allemagne et aux Pays-Bas, TvNow et Videland, qui appartiennent au groupe RTL, ont 1,8 millions d’abonnés au total, d’après François Godard, de chez Enders Analysis. My Canal compte aujourd’hui 5 millions d’abonnés.

Actuellement, la plateforme Salto est en neuvième position sur le marché financier de la SVOD en France, derrière Netflix, Amazon vidéo, Disney +, Apple TV et Canal +. 

Les freins au développement de la plateforme

Un prix trop élevé

La plateforme propose un abonnement à 6,99 euros par mois pour un écran et 12,99 euros pour quatre utilisateurs. Un prix similaire à celui de Disney +, alors que le catalogue est bien moins riche. De plus, TF1 a demandé à Salto d’inclure des publicités dans le replay des programmes de la Une. Les abonnés subissent donc une double peine : payer l’abonnement et avoir des publicités. L’offre reste néanmoins 1 euro moins chère que Netflix qui démarre à 7,99 euros pour un écran. 

Un projet peu rentable

Les trois médias auraient un revenu d’environ 120 millions d’euros pour 2 millions d’abonnés, selon Les Echos. Ce montant doit être divisé en trois, en enlevant la TVA et les commissions de distribution. De plus, alors que les trois actionnaires compteraient davantage de programmes à diffuser s’ils mutualisaient l’ensemble de leurs contenus, ces derniers continuent à distribuer leur propre service de replay, comme MyTF1, 6PLAY, France.tv. Cela floute la proposition de Salto et réduit la puissance de frappe de l’offre. Au printemps 2021, la plateforme a cumulé 72 millions d’euros de pertes, freinant de façon importante les trois actionnaires.  

Un investissement de départ peu considéré

Les montants de départ investis par les trois groupes sont restés secrets, en raison du statut de la plateforme, qui permet de garder une certaine discrétion sur ses comptes (société en nom collectif). Cependant, d’après une enquête du journal Le Monde, chaque actionnaire aurait mis 50 millions d’euros dans le projet. Le budget de départ se trouverait donc entre 135 et 140 millions d’euros sur trois ans, soit environ 46 millions d’euros par an. À titre de comparaison, Netflix a dépensé 200 millions de dollars, lors de son lancement en France, soit bien moins que les trois actionnaires de Salto réunis.

Une sortie ralentie par des problématiques juridiques

La plateforme a pris du retard sur sa date de lancement : cela faisait suite à la nécessité de trouver un accord entre les trois partenaires, puis de convaincre la Commission Européenne d’accepter de transférer le dossier à l’autorité de la concurrence française. En tout, huit mois se sont écoulés. En août 2017, le lancement a été autorisé. Un an d’organisation et de gestion ont ensuite été nécessaires pour une sortie de service en octobre 2020. Entre-temps, Disney + est arrivé sur le marché en novembre 2019. 

Une gouvernance interne mal gérée

Salto représentait pour l’autorité de la concurrence française de gros risques concurrentiels. TF1, M6, et France TV pesants déjà lourd sur le marché de la télé, le danger était qu’ils profitent de cette union pour lisser leurs dépenses (achats de programme, tards sur les publications, etc.). En Europe, plusieurs projets de ce type comme Kangourou, qui devait regrouper la BBC, ITV et Channel 4, ont été interdits. Afin de prévenir la menace d’une entente illégale, il a été imposé à Salto de maintenir une séparation stricte entre la plateforme et les chaînes des grands groupes, freinant  alors fortement ses activités. Nicolas De Tarvernost, président du directoire de M6, s’est exprimé à ce sujet dans le magazine Le Point en décembre 2020 : “Le fonctionnement de Salto du fait des règles anti-concentration est un vrai cauchemar. Bien que M6 possède 33% du capital, je n’ai pas le droit de regarder les budgets en détail, ni même d’avoir un badge pour aller dans les locaux !”.

Celui-ci a d’ailleurs quitté le conseil de Salto, suivi de Delphine Ernotte et Gilles Pélisson, cinq mois après son lancement. Il jugeait les contraintes imposées par l’autorité de la concurrence trop importante pour un accord commun. Ils sont remplacés par  Philippe Denery (directeur financier du groupe TF1), Didier Casas (secrétaire général du groupe TF1), Francis Donnat (secrétaire général du groupe France Télévisions) et Henri de Fontaines (directeur de la stratégie et du développement du groupe M6).

Une distribution trop faible

La plateforme n’aura pas réussi à nouer des accords qu’avec un seul opérateur pour être distribuée sur les box, Bouygues Télécom, qui fait partie du groupe TF1. Free, Orange et SFR ont refusé, donnant déjà à leur abonnés la possibilité de regarder les programmes en replay. Ce refus s’explique notamment par le fait que les Telcos paient déjà au prix fort la rediffusion, à raison de 100 millions d’euros par an pour les chaînes TF1 et M6.

Une communication ratée à son lancement

Pour sa sortie, une seule conférence de presse à été donnée, en ligne via Youtube, en octobre 2020. À cette occasion, Delphine Ernotte (FTV), Nicolas de Tavernost (M6) et Gilles Pelisson (TF1) et Thomas Follin (PDG de Salto) ont pris la parole sur leurs objectifs et leur ambition pour la plateforme. Mais leurs interventions ont vite été raillées sur les réseaux sociaux : elles furent jugées décevantes par les journalistes qui parlèrent d’une “présentation commerciale”. De plus, les questions étaient sélectionnées à l’avance et aucune réponse ne fut apportée sur les objectifs, en termes d’abonnements ou de business model. Par la suite, très peu d’interviews furent consacrés au sujet. 

Peu d’innovation et de fonctionnalités 

Si la plateforme est une réussite en termes de design, elle reste néanmoins décevante en termes de fonctionnalités proposées. On note l’impossibilité de télécharger des contenus en local sur ordinateur, tablette et téléphone ou encore le manque d’une option “accélérer”, pourtant présente chez ses concurrents (Netflix, Youtube,..).

Néanmoins, la plateforme propose une petite innovation avec la possibilité d’accéder à des programmes par catégorie, en fonction de la configuration des personnes qui consomment les contenus. Elle offre quatre catégories : “entre frères et soeurs”, “entre amis”, “en famille”, “en amoureux”. 

Dans un contexte de fusion M6/TF1, la sortie de France TV comme seule solution ?

Récemment, M6, TF1 et RTL Group ont annoncé leur projet de fusion, dans l’objectif de créer une offre radio, TV et digital. Bouygues Telecom a prévu d’investir 641 millions d’euros et ainsi d’acquérir 30% du capital, ce qui fera de lui l’actionnaire majoritaire. Devant le Sénat, qui a auditionné récemment les acteurs des différents groupes dans le cadre de la fusion, le représentant de Bertelsmann a annoncé que 500 millions d’euros seraient investis dans la SVOD. Tout cela sans mentionner une seule fois le nom de Salto. De son côté, Delphine Ernotte semble prête à abandonner la plateforme, en échange d’un gros chèque (comprenant notamment la base de données utilisateur). Cette dernière ne trouve plus sa place dans le contexte de la fusion.

France Télévision, l’esprit déjà ailleurs, pencherait pour un service de plateforme commun avec les différents services public européens. Cette option semble beaucoup plus en adéquation avec les valeurs et la qualité des contenus proposées par ses chaînes.

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