Venant battre des records depuis leur entrée dans les salles de vente aux enchères, les NFT sont en train de révolutionner le monde de l’art et la collection d’oeuvres numériques. Rendus possibles grâce à la technologie de la blockchain, ces nouveaux types de biens culturels ouvrent de nouvelles portes dans le marché de l’art, le rendant également plus accessible.
Les NFT comment ça marche?
Les NFT (Non Fongible Tokens) sont des biens non fongibles, indivisibles, uniques et identifiables grâce à la technologie de la blockchain. En tant que registre décentralisé et public, la blockchain permet de créer une nouvelle façon d’effectuer des transactions en introduisant une notion jusqu’à aujourd’hui inexistante : la rareté numérique.
En effet, le développement d’internet avait démocratisé l’utilisation de biens culturels de manière légale ou non, en rendant possible le téléchargement, offrant ainsi la possibilité à chacun de pouvoir disposer d’un bien. La blockchain permet désormais d’introduire la notion de propriété en certifiant l’origine d’un token grâce à son algorithme.
Publier un NFT implique une interaction dans le web3. Afin qu’il soit publié il faudra sélectionner une plateforme, se doter d’un meta-masque et d’un wallet (comme l’outil Metamask), puis minter l’oeuvre pour qu’elle soit dotée d’un smart contract et puisse être achetée.
Des sites comme OpenSea, Knownorigin., ou Airnft permettent ainsi aux collectionneurs de numériser leur pratique et d’acquérir des oeuvres en payant en cryptomonnaies (essentiellement en Ether) ou directement avec leur carte bancaire (comme sur la plateforme de NFT de SpaceSeven). Par cette transaction l’acheteur obtient un droit de propriété sur l’objet, bien qui peut rester immatériel ou également être un objet réel, son certificat de propriété représentant alors le NFT.
Les NFT bouleversent le marché de l’art car ils viennent changer directement les pratiques du milieu. Traditionnellement un acheteur se rend dans une salle de vente (ou désormais en ligne) afin d’acheter un objet tangible qui lui est présenté directement et qu’il aura ensuite en sa possession matérielle. Ici l’oeuvre achetée peu rester immatérielle y compris lorsqu’elle est acquise.
En seulement deux ans le marché des NFT a explosé. Couplé à la crise sanitaire qui a provoqué une migration vers les ventes aux enchères en ligne pour l’art contemporain, la vente de NFT a rapporté 2,7 milliards de dollars sur l’année 2020.
Evolution du marché : nouveaux supports et nouveaux artistes
Ce nouveau médium permet également un renouvellement de la scène artistique avec l’émergence de nouveaux artistes inconnus du circuit traditionnel du marché de l’art. Les artistes peuvent choisir de réaliser différents types d’oeuvres comme des collectibles (oeuvres générées par codage) ou des tokens gaming (investissement dans des cartes de joueurs), permettant de diversifier les supports de leurs oeuvres. Désormais des artistes peuvent gagner leur notoriété sans galerie ni exposition, on assiste à une tokenisation des artistes qui se passe essentiellement en ligne. On constate d’ailleurs que leur distance vis-à-vis du marché de l’art traditionnel n’affecte pas pour autant leur capacité à venir battre des records durant les enchères.
C’est notamment le cas de Mike Winkleman, alias Beeple, artiste qui au même titre que David Hockney ou Jeff Koons, est aujourd’hui un des artistes les plus chers de son vivant. Beeple a notamment fait beaucoup parler de lui à l’occasion de la vente de son oeuvre « Everydays : The First 5000 days ». En mars 2021 son oeuvre a été vendue 69,3 millions de dollars par la maison historique Christie’s alors que l’oeuvre avait une mise à prix de 100 dollars! Selon le rapport d’Artprice sur l’art contemporain en 2021, l’artiste représenterait à lui seul 3% du marché de l’art contemporain.
Les NFT permettraient également de rompre certaines inégalités qui régnaient dans le milieu en offrant une meilleure représentation des artistes femmes et des jeunes artistes. C’est également un nouveau terrain d’exploration pour les artistes du street-art qui peuvent accéder à une rémunération sans passer par le système de galerie ou de ventes aux enchères.
Avec cette nouvelle forme d’art s’en suit une évolution des mentalités car les oeuvres digitales sont désormais considérées de la même manière que des oeuvres des beaux-arts traditionnels. Leur accès aux salles de ventes serait d’ailleurs une marque de reconnaissance significative pour les créateurs car les artistes numériques ont longtemps eu plus de mal à accéder à la reconnaissance par les professionnels du milieu.
Le marché NFT serait également vu comme une manière plus viable pour les artistes de s’assurer un revenu à long terme. Avec la pandémie par exemple, certains artistes musicaux se sont détournés du circuit classique de l’industrie musicale pour intégrer la blockchain et le système de NFT afin de pouvoir compenser les pertes liées à la fermeture des lieux culturels.
Un changement du profil collectionneur
Bien que l’on constate un rajeunissement côté artiste, c’est également le cas du côté collectionneur. Selon Thierry Ehrmann, président d’Artprice, les collectionneurs de NFT auraient une moyenne d’âge autour de 32 ans. Les maisons de ventes comme Christie’s cherchent désormais à miser sur les Millenials et même la Génération Y pour trouver une cible acheteur propice aux NFT. Contrairement aux collectionneurs plus âgés, ces derniers sont beaucoup plus familiers du numérique et connaissent moins les circuits traditionnels du marché de l’art. Prenant par exemple les résultats de la vente de Beeple, 91% des actifs sur la vente en ligne étaient des nouveaux-venus dont 58% de Millenials.
En 2021, le Financial Times estime ainsi à 41 milliards de dollars le marché des crypto-arts, soit seulement 9 milliards de moins que le marché de l’art traditionnel. Cet engouement est essentiellement survenu depuis le second trimestre de l’année 2021 suite à la vente record de l’oeuvre de Beeple. Prenant l’exemple d’un investisseur NFT célèbre connu sous le nom de Pranksy, avec 600$ en poche en 2017, il détient aujourd’hui un portefeuille NFT de plus de 20 millions de dollars.
Fraudes et piratage
Cependant ce nouvel El Dorado est également sujet aux fraudes et à la manipulation du marché. Selon une analyse de Nansen, 2 millions de dollars des collections les plus importantes que sont CryptoPunk ou Bored Ape, sont suspectés de fraude. L’aspect lucratif de la blockchain attire les pirates qui viennent détourner des cryptomonnaies. Au début du mois de décembre 2021 on estime que les piratages de blockchains auraient coûté 150 millions de dollars en seulement une semaine.
Certains artistes comme Liam Sharp dénoncent ces pratiques. Cet artiste travaillant pour Marvel UK a annoncé vouloir clôturer son compte « DeviantArt » car ses oeuvres sont régulièrement reprises pour être converties en NFT, venant contrefaire son droit de propriété intellectuelle.
Le piratage se produit également pour contester ces nouveaux usages. Un projet original a d’ailleurs été lancé par Geoffrey Huntley intitulé « The NFT Bay ». Ce site permet de télécharger les NFT présents sur les principales blockchain, venant critiquer le niveau de sécurité des sites en place qu’il juge trop basique. Alors que les transactions sont réalisées à l’aide du web3, il pointe du doigt le fait que les NFT achetés sont seulement stockés sur le web2.0, compromettant la valeur du NFT lui-même.
Plusieurs mouvements de protestation à l’encontre des NFT et cryptomonnaies sont nés ces dernières années, freinant pour l’instant une prise de position des principaux réseaux sociaux, ce qui selon Geoffrey Huntley, n’aiderait pas le développement d’usages plus sécurisés et viables.
Situation légale en France
Face à la croissance rapide de ce secteur ainsi qu’aux dérives constatées notamment avec les piratages de blockchain, l’avenir des NFT dépend aujourd’hui de la position que prendront les autorités de régulation. Les services fiscaux commencent également à se pencher sur la question de ces nouveaux biens qui pourraient très certainement être considérés comme des objets de collection est être soumis à l’impôt sur les plus-values.
Sur l’aspect légal, la France a émis des restrictions concernant les possibilités laissées au Conseil des ventes. Contrairement aux ventes organisées outre-atlantique comme celle de Christie’s en mars dernier, les maisons françaises ne peuvent pas vendre de NFT aux enchères sans que ce dernier ne soit rattaché à un bien physique. Pour l’instant des maisons de ventes comme Million ou Aguttes trouvent des solutions en utilisant leurs antennes en Belgique ou en vendant un terminal sur lequel figure le NFT. C’est grâce à ce procédé que la maison Aguttes a pu adjuger pour 107 000 euros le premier SMS de l’histoire en vendant la tablette sur laquelle on peut retrouver le SMS.
Bien que les maisons de ventes aux enchères ne puissent pas encore faire ce qu’elles souhaitent dans ce domaine, certaines comme FauveParis s’intéressent de prêt à ce milieu en modernisant leurs infrastructures. A compter du 1er janvier 2022, la maison de vente accepte les cryptomonnaies et compte organiser durant le premier trimestre 2022, une vente aux enchères de NFT sans aucun support physique.
Julie Nugue
Sources
Podcasts : l’Art du NFT (de Benjamin Spark), NFT Morning (de Rem et John)
« Le marché des crypto-arts afforle les compteurs », 10 janvier 2022 : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/10/le-marche-des-crypto-arts-affole-les-compteurs_6108851_3234.html
« Les NFT, un marché de 40 milliards de dollars », 8 janvier 2022 : https://www.lenouveleconomiste.fr/financial-times/les-nft-un-marche-de-40-milliards-de-dollars/
« La crypto-contrefaçon crispe le monde de l’art », 4 janvier 2022 : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/01/04/la-crypto-contrefacon-crispe-le-monde-de-l-art_6108105_4500055.html
« Marché de l’art, cinq choses à savoir sur le millésime 2021 », 22 décembre 2021 : https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/marche-de-lart-cinq-choses-a-savoir-sur-le-millesime-2021-1374372
« Le premier SMS de l’histoire vendu 107 000 euros aux enchères », 21 décembre 2021 : https://www.leparisien.fr/high-tech/le-premier-sms-de-lhistoire-vendu-107-000-euros-aux-encheres-21-12-2021-32ASCCXKMBHWTEBUFSK4RV7P4E.php
« Il y a un pirate bay du NFT avec des torrents », 19 novembre 2021 : https://www.clubic.com/nft/actualite-394131-il-y-a-un-pirate-bay-du-nft-avec-des-torrents.html
« Les NFT bousculent le marché de l’art contemporain », 4 octobre 2021 : https://www.bfmtv.com/economie/patrimoine/les-nft-bousculent-le-marche-de-l-art-contemporain_AD-202110040125.html
« Quatre chiffres pour comprendre comment les NFT dopent le marché de l’art contemporain », 4 octobre 2021 : https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/quatre-chiffres-pour-comprendre-comment-les-nft-dopent-le-marche-de-lart-contemporain-1351871
« Beeple’s opus », Christie’s : https://www.christies.com/features/Monumental-collage-by-Beeple-is-first-purely-digital-artwork-NFT-to-come-to-auction-11510-7.aspx?sc_lang=en&lid=1
« Ventes aux enchères : record mondial pour l’oeuvre numérique de Beeple vendure près de 70 millions des dollars chez Christie’s », 12 mars 2021 : https://www.connaissancedesarts.com/marche-art/ventes-encheres/vente-aux-encheres-record-mondial-pour-loeuvre-numerique-de-beeple-vendue-pres-de-70-millions-de-dollars-chez-christies-11154127/
Artprice, Le rapport sur le marché de l’art contemporain en 2021 : https://imgpublic.artprice.com/pdf/le-marche-de-lart-contemporain-2021.pdf