La publicité audio digitale : comprendre les enjeux de la monétisation des contenus audio


Qu’il s’agisse de notre consommation de médias, de nos achats en ligne, du travail, de l’apprentissage ou de la santé, nos habitudes sont aujourd’hui bousculées par l’adoption massive du digital, catalysée par la crise de la Covid-19.[1] Le smartphone est aujourd’hui l’appareil privilégié par les utilisateurs de toutes générations, même à la maison.[2] L’année 2020 a été l’occasion d’expérimenter avec le digital, comme le montre une étude du cabinet Deloitte selon laquelle 38% des consommateurs auraient testé ou effectué leur première souscription à un nouveau service durant cette période.[3] Spotify enregistre par exemple une croissance du nombre de ses utilisateurs actifs mensuels (MAU) de 29% en Q3 2020 par rapport à celui de l’année 2019, et plus précisément de 27% pour les utilisateurs premium et de 31% pour les utilisateurs ad-supported.[4]

L’audio digital concerne de manière générale l’écoute de programmes audio via un canal de diffusion digital.[5] La croissance du secteur est notamment marquée par le dynamisme d’un marché qui arrive peu à peu à maturité : celui du podcast. Près de 100 millions de podcasts ont ainsi été téléchargés dans le monde durant le seul mois de juin 2020, soit 29% de plus que juin 2019.[6] Le podcast touche une audience jeune, deux tiers des auditeurs ayant entre 15 et 34 ans,[7] et représente un chiffre d’affaires de près d’1 milliard de dollars aux U.S. en 2020.[8] L’année 2019 avait d’ailleurs battu des records avec une croissance de 48% du chiffre d’affaires aux U.S. par rapport à l’année 2018, avant que la crise sanitaire ne la réduise à 14,7% en 2020.[9]

La popularité de l’audio digital n’est pas passée inaperçue auprès des annonceurs, attirés notamment par le degré d’engagement et de loyauté élevé des auditeurs de podcasts.[10] Le volume des impressions publicitaires audio a ainsi suivi la croissance du marché du podcast, augmentant de 40% en 2019 en France par rapport à l’année 2018.[11] Cette augmentation n’est que de 5% en 2020, mais les résultats du dernier trimestre indiquent un rebondissement du marché de l’audio digital qui devrait se réaligner avec les prévisions pre-Covid-19.[12]

L’audio digital serait-il en passe de devenir un investissement média indispensable pour les annonceurs ? Il convient d’analyser quels types d’offres leur sont aujourd’hui mis à disposition, pour ensuite aborder les difficultés liées à la mesure de la performance des campagnes publicitaires. Il s’agira enfin de comprendre pourquoi la créativité est essentielle pour capter l’attention de l’auditeur.


1. L’offre mise à disposition des annonceurs dans le secteur de l’audio digital

L’annonceur doit tout d’abord comprendre quelles sont les modalités qui lui permettront d’investir dans l’audio digital pour ses campagnes. L’offre peut être divisée entre la publicité native et la publicité insérée dynamiquement dans le contenu.

La publicité native (baked-in) est directement intégrée dans le fichier audio. Elle est traditionnellement lue par le présentateur d’un podcast (host-read), mais peut aussi correspondre à un jingle ou une voix préenregistrée par l’annonceur (announcer-read). Les contenus host-read représenteraient environ deux tiers des publicités dans le secteur du podcast.[13] Ils capitalisent sur la confiance que porte l’auditeur au présentateur, ce dernier endossant en quelque sorte le rôle d’influencer dans la campagne. Selon une étude récente, 58% des auditeurs exposés à une publicité host-read se rappelleraient du nom de la marque après l’écoute, contre 35% pour une publicité announcer-read.[14]

L’insertion dynamique (Dynamic Inserted Ads) est une technologie développée ces dernières années permettant d’insérer une publicité dans un fichier audio au moment où l’utilisateur le stream.[15] Le spot publicitaire peut être inséré avant la lecture d’un podcast (pre-roll), au milieu (mid-roll) ou à la fin (post-roll). La publicité midroll présente le CPM (coût par mille) le plus élevé pour l’annonceur, car elle est en général plus longue et capte mieux l’attention de l’auditeur qui ne souhaite pas rater la suite du contenu.[16]

L’insertion dynamique est devenue particulièrement intéressante avec le développement de l’achat programmatique dans l’audio digital. Utilisé à l’origine dans les campagnes publicitaires en ligne, le programmatique est une alternative à la vente directe et permet aujourd’hui d’automatiser l’achat des inventaires et l’insertion des spots publicitaires dans les contenus audio. Cette méthode offre la possibilité de cibler la publicité en fonction des données collectées sur l’auditeur, notamment grâce aux environnements logged-in des plateformes de streaming. L’entreprise américaine Triton Digital, le leader mondial de la monétisation des contenus audio, aurait relevé une augmentation de l’achat programmatique de 244% entre 2018 et 2019, et de 86% de 2019 à 2020.[17] La plateforme de streaming française Deezer a par ailleurs conclu un partenariat avec Triton Digital en 2018 pour rendre ses inventaires accessibles en achat programmatique.[18]

Enfin, l’optimisation dynamique des créations publicitaires (Dynamic Creative Optimization) est une pratique qui s’est développée ces dernières années. Elle permet d’adapter  automatiquement en temps réel les créations publicitaires audio en fonction du profil de l’auditeur.[19]

Malgré ces évolutions technologiques récentes, le marché de l’audio digital est toujours confronté à certains obstacles techniques qui freinent son développement. 


2. Les difficultés liées à la mesure de la performance des campagnes

L’obstacle principal au développement de la publicité audio est la difficulté de mesurer l’efficacité des campagnes. Ce qu’on entend communément par « streaming » est en réalité un téléchargement progressif fonctionnant sur le même protocole http qu’un téléchargement normal.[20] La mesure des campagnes est donc limitée aux données accessibles côté serveur (server side), à l’inverse de la publicité digitale sur le web qui utilise des cookies et autres identifiants pour analyser les données côté client (client side). Connaître le taux de conversion d’une impression est par exemple très difficile. Certaines techniques consistent à inciter l’auditeur à rentrer en contact avec l’annonceur sur d’autres supports (call-to-action), en le renvoyant par exemple à un URL, ou en lui donnant des bons d’achat et de réduction sur un produit.

L’IAB Tech Lab a publié en 2016 une méthodologie pour pallier partiellement à ce problème, en attendant que des technologies permettant de mesurer l’impact d’une impression audio se développent côté client. Ces recommandations ont fait l’objet d’une première révision en 2017 (la version 2.0) et d’une deuxième très récente, ouverte à la consultation du publique jusqu’au 12 février 2021. Elles font intervenir quatre aspects de la mesure : Download (téléchargement complet ou partiel du fichier), Listener (téléchargement par un utilisateur unique), Ad Delivered (téléchargement de l’impression complète) et Client-Confirmed Ad Play (proportion de l’impression écoutée par l’auditeur). L’écoute d’une impression sera par exemple confirmée si seulement 25% du fichier audio est téléchargé et que l’impression est inclue dans cette portion de l’émission.

La publication de ces méthodes a surtout pour objectif de fournir un langage commun aux différents acteurs de l’audio digital, afin que les annonceurs puissent investir dans leurs campagnes publicitaires en toute confiance. L’IAB Tech Lab a ainsi lancé en 2018 un programme de certification pour les acteurs qui choisissent de se conformer à ces méthodes.[21] On y trouve notamment Triton Digital, ou encore son concurrent européen Acast. Les plateformes comme Spotify ou Deezer sont cependant absentes. En France, l’ACPM propose également de certifier le nombre de téléchargements des contenus audio, et Médiamétrie publie désormais une mesure indépendante à travers ses rapports eStat Podcast et The Global Audio Study.[22]

Les acteurs de l’audio digital souhaiteraient aussi pouvoir étendre la capacité de mesure sur plusieurs plateformes.[23] Antoine Daccord, Directeur des contenus et du développement à LNEI, souligne que certains contenus comptabilisent plus de vues sur les réseaux sociaux que sur les plateformes de streaming audio.[24] Cela nécessiterait cependant une structuration importante du marché ainsi qu’une coopération entre acteurs complémentaires de l’audio digital. L’IAB France et GESTE ont d’ailleurs publié une cartographie exhaustive de ces acteurs début 2021.[25] Malgré ces difficultés techniques, Yann Thebault, Directeur Général France d’Acast, indique que les rapports présentés par l’entreprise aux annonceurs incluent tout de même des informations comme le nombre d’écoutes, le temps d’écoute, le nombre d’auditeurs uniques touchés ou encore les appareils et applications utilisés.

Si l’annonceur peut choisir de se contenter d’une mesure de la performance de ses campagnes plus limitée qu’elle ne l’est sur le web, il doit cependant adapter son contenu publicitaire aux spécificités du format audio digital.


3. Faire preuve de créativité pour s’adapter au format audio digital

Le format audio digital est un moyen d’expression et de communication à part entière. Il est plus intime que la radio et accompagne l’auditeur dans ses différents moments de vie, qu’il s’agisse de se détendre, d’étudier, de cuisiner, de faire du sport, de voyager ou même de dormir. L’adaptation des contenus publicitaires est donc primordiale, notamment pour les plateformes de streaming, qui souhaitent préserver la qualité de l’expérience d’écoute de leurs auditeurs.[26] Sur sa page web, Spotify incite ainsi les annonceurs à proposer des contenus créatifs et adaptés aux attentes des auditeurs, comme des exercices de relaxation, des conseils de cuisine ou du coaching sportif.[27] En effet, 45% des utilisateurs de la plateforme souhaiteraient que les annonceurs sachent ce qu’ils sont en train de faire au moment où ils entendent une publicité.[28] On peut également y lire le terme brand intimacy ou encore le slogan « be part of their soundtrack ». Un outil de création de contenus appelé Spotify Ad Studio leur est même mis à disposition gratuitement.[29]


Plusieurs leviers permettraient donc de mieux monétiser les contenus audio. La rapidité des évolutions technologiques laisse penser que des solutions de mesure de la performance des campagnes client side pourraient voir le jour au long terme. En attendant, les annonceurs ont intérêt à choisir des partenaires qui appliquent les méthodes de l’IAB Tech Lab afin de pouvoir investir dans des campagnes en toute confiance. En France, un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles datant d’octobre 2020 reconnaît enfin l’originalité de la « création audionumérique ».[30] A l’instar des autre secteurs créatifs, les podcasts pourraient donc à terme bénéficier d’aides financières publiques.

Stanislas Legrain – Master 226 Management des Télécoms et des Médias – Université Paris-Dauphine – PSL


[1] McKinsey & Company, How Covid-19 is changing consumer behavior, 2020

[2] Deloitte Belgique, un nouveau consommateur émerge de la crise Covid-19, 2020

[3] Deloitte, Digital media trends survey, 15th edition, 2020

[4] https://investors.spotify.com/financials/press-release-details/2020/Spotify-Technology-S.A.-Announces-Financial-Results-for-Third-Quarter-2020/default.aspx

[5] IAB France et GESTE, Livre blanc sur l’Audio digital, janvier 2020

[6] Médiamétrie eStat Podcast, juin 2020, https://www.mediametrie.fr/fr/la-mesure-des-podcasts-en-juin-2020

[7] Ibidem

[8] IAB/PwC, U.S. Podcast Advertising Revenue Study, juillet 2020.

[9] Ibidem

[10] IAB Tech Lab, Podcast Measurement Guidelines v.2.1, 2020

[11] Kantar, Baromètre de l’audio digital, janvier-septembre 2020

[12] Ibidem

[13] Stitcher/Midroll/Signal Hill Insights, Report: Podcasts ads perform, host-read ads outperform, novembre 2020

[14] Ibidem

[15] IAB Tech Lab, Podcast Measurement Guidelines v.2.1, 2020

[16] Midroll’s Definitive Guide to Podcast Advertising, 2014

[17] IAB, Webinar-Audio Digital Programmatique (chiffres de Benjamin Masse, Market Development & Product Strategy – Triton Digital), janvier 2021, https://www.youtube.com/watch?v=pQMk2HrVgF4

[18] https://www.businesswire.com/news/home/20181205005134/en/Deezer-Partners-with-Triton-Digital-to-Launch-New-Mobile-Programmatic-Audio-Advertising

[19] IAB France/GESTE, Livre blanc sur l’Audio digital, janvier 2020

[20] IAB Tech Lab, Podcast Measurement Guidelines v.2.1, 2020

[21] https://iabtechlab.com/compliance-programs/compliant-companies/#

[22] https://www.mediametrie.fr/en/podcasts-audio-contents-lots-potential

[23] Webinar GESTE, La Pub Audio : un modèle d’efficacité ?, décembre 2020, https://www.youtube.com/watch?v=G2Zwq9gv_S8&feature=youtu.be

[24] Ibidem

[25] https://www.iabfrance.com/actualite/glossaire-et-panorama-des-acteurs-de-laudio-digital-programmatique-en-france-par-liab

[26] Emilie Proyart, Marketing Lead Deezer, IAB video

[27] https://ads.spotify.com/en-US/news-and-insights/the-advertisers-guide-to-at-home-streaming/

[28] Ibidem

[29] https://ads.spotify.com/en-US/how-it-works/

[30] Inspection générale des affaires culturelles, Rapport sur l’écosystème de l’audio à la demande (« podcasts »), octobre 2020

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