En France en 2017, pour la première fois, les investissements publicitaires en ligne ont dépassés les investissements publicitaires de la télévision. Ce coup de tonner dans le monde des médias a contraint les diffuseurs traditionnels à mobiliser leurs méninges pour trouver de nouvelles sources de revenus, et réussir à monétiser une nouvelle audience : les consommateurs de contenus en ligne.
Alors que le petit écran continu d’être le média le plus consommé des français, ceux qui accèdent aux programmes via un écran internet sont de plus en plus nombreux : 4,5 millions d’individus quotidien, soit une augmentation de 29% en deux ans.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un point sur la situation s’impose. Trouver de nouvelles sources de revenus en ligne ne semble pas être un problème a priori : il suffit de monétiser l’audience de la même façon qu’à la télévision : un contenu, une audience, un espace publicitaire et donc un contact. Le problème c’est que les acteurs locaux sont entrés sur le même marché pertinent de la publicité en ligne que tous les autres acteurs internationaux qui existent sur le numérique. Sur ce marché, deux acteurs (Amazon et Google) récoltent la grande majorité des revenus publicitaires pour deux raisons : Le volume de données propriétaires sur les internautes (et donc la capacité à offrir un ciblage aux annonceurs) et surtout une présence à l’échelle mondiale qui permet aux annonceurs d’avoir un accès possible sur une audience internationale, sans discuter avec tous les acteurs locaux.
Revenons à nos moutons : les diffuseurs européens. Il y a deux ans, des géants du secteur ont décidés de réagir en créant une co-entreprise : EBX (pour European Broadsters Exchange). Composée de TF1, de Prosieben Sat.1 (Allemand), de Media Set Italie, de son homonyme espagnol et de Chanel 4 en Angleterre, l’objet de cette alliance est de créer une structure pour dialoguer avec les annonceurs à l’échelle régionale. Il s’agit de la première initiative de régie paneuropéenne fondée par les diffuseurs. Et pas n’importe lesquels.
Alors quel est l’objectif, peuvent-ils relever le défi, et quels sont les enjeux juridiques ?
Pour simplifier, EBX permet aux annonceurs d’avoir accès à un catalogue de contenus premiums sur lesquels acheter des espaces pour réaliser des publicités vidéo programmatiques. Sorte de vente en package, l’enjeu est de devenir une porte entrée privilégiée pour tout annonceur souhaitant toucher une cible à l’échelle européenne, et par la même, de permettre aux diffuseurs de ne pas laisser tout le gâteau aux GAFA.
Et dans la forme ? Il s’agit d’une co-entreprise, dont le siège social est basé en Angleterre, à Londres. Pour le moment, seul un acteur par pays est présent dans la structure, mais les termes de la société permettent à qui veut de rejoindre l’alliance, à l’exception des acteurs Britanniques, Chanel 4 ayant contracté une clause d’exclusivité pour cette localité. D’un point de vu de la concentration, quid du point de vu des autorités chargées de la concurrence ? Les chiffres d’affaires des sociétés engagées étant suffisamment importants pour intéresser Bruxelles, c’est naturellement devant la commission européenne que l’affaire a été portée. A la suite d’une procédure simple, elle a statué en 2018 dans une décision « Case M. 8714 », jugeant que l’alliance n’était pas constitutive d’un abus de position dominante.
En revanche, à l’échelle locale, les conséquences sont tout autres. En effet, TF1 qui aimerait pouvoir proposer des packages aux annonceurs sur ses différents supports (antennes, internet, plateformes, sites propriétaires, etc.) ne peut aujourd’hui pas le faire, jugé par l’autorité de la concurrence comme étant en position dominante sur le marché de la publicité digitale et télédiffusée. Cette nouvelle initiative qui lui ouvre la porte des négociations à l’échelle régionale ne devrait pas arranger la situation.
Pour finir avec la régulation, les contenus publicitaires des annonceurs qui seront diffusés par EBX, devront respecter toutes les régulations des pays étant représentés dans cette alliance, et de facto, respecter le RGPD. Les diffuseurs qui promettent aux client un ciblage basé sur les données des utilisateurs devront mobiliser leur data propriétaire (pour TF1, développée grâce à une stratégie de login assez récente). Les demandent de consentement pour l’exploitation de la data à la première ouverture feront donc office de double autorisation, pour rendre le service conforme à l’article 6 du RGPD (portant sur les fondements de licéité du traitement).
Enfin, l’initiative étant extrêmement récente, il est trop tôt pour tirer un bilan. L’entreprise ne communique encore aucuns résultats, ni aucune information sur leurs clients. Pour gérer ces derniers, et en trouver de nouveaux, elle pourra cependant compter dès à présent sur Damon Westbury, qui officie depuis cet été comme Directeur commercial et prospecteur.
En bref, une initiative à suivre de près, qui sans faire trembler les GAFA pourrait permettre aux diffuseurs européens de respirer un peu, et de négocier des contrats à l’échelle régionale… A suivre.