Le digital scrapbooking : monétisation d’une pratique créative à l’ère du numérique

Ahmed, N. [@natashahmedx]. (2025, 29 juin). june digital scapbook!! [Photographie]. Instagram. https://www.instagram.com/p/DLfCgwHs9rA/?igsh=OXFiYWhuNjZibm9q 

Le scrapbooking est à l’origine une forme de loisir créatif qui consiste à réaliser une ou plusieurs pages de journal en y incorporant des photos, du texte, des images, des stickers ou encore des dessins en lien avec le thème abordé. Le digital scrapbooking n’en est que sa version numérique. Il peut être tentant d’y voir une simple déclinaison numérique d’un loisir créatif. En réalité son apparition et son évolution correspond à une rupture technologique culturelle et économique bien plus profonde, liée à l’émergence des logiciels de création graphique à destination du grand public, l’essor d’internet comme espace de partage communautaire et à sa capacité de monétisation.

L’émergence du scrapbooking

A partir de la fin des années 1990, les appareils photo numériques deviennent de plus en plus accessibles au grand public. Les photos ne sont plus rares, coûteuses ou limitées par la pellicule. Ces photos se multiplient s’archivent sur ordinateurs, elles ne sont plus imprimées. Se pose alors une nouvelle question : comment organiser et raconter ces souvenirs numériques.

En parallèle, la démocratisation du web permet l’accès à des outils autrefois réservés aux professionnels tant sur le plan technique que financier d’être accessible par un public non spécialisé. On pense notamment au développement d’Illustrator et de Photoshop. Ces derniers permettent les débuts du digital scrapbooking. Des conseils et exemples se partagent sur des blogs.

Ces pratiques s’accélèrent dans les années 2000, un moment charnière où les médias sociaux rentrent dans nos mœurs. Ces derniers bouleversent nos rapports à la photographie et aux souvenirs et surtout permettent de structurer des communautés autour de différents points de contact, notamment des passions communes. Les pratiques alors marginales et personnelles du digital scrapbooking s’organisent. Les communautés s’entraident, les aficionados du scrapbooking y apprennent à digitaliser leurs pages. Les membres s’échangent des conseils et des fichiers numériques : papiers scannés, alphabets digitaux, etc. Le principe est largement fondé sur l’échange gratuit, dans un esprit qu’on pourrait qualifier d’open source créatif. 

S’il existe peu de sources claires quant à l’origine du digital scrapbooking, le point de départ de sa démocratisation se trouve ici. On assiste à l’émergence de cette communauté en ligne qui se structure, qui s’organise.

L’émergence des plateformes de ventes digitales

Rapidement, internet permet de monétiser et de vendre ses produits. Le digital scrapbooking n’y échappe pas. Certaines créatrices commencent à produire des ensembles cohérents d’éléments graphiques : papiers numériques, alphabets, stickers. Ces ensembles, appelés kits ou templates, peuvent être réutilisés par d’autres pour composer leurs propres digital scrapbooking. La vente se fait d’abord de manière très artisanale, via eBay et Paypal, utilisé comme solution de paiement informel. Dans la seconde partie des années 2000, des plateformes dédiées au digital scrapbooking apparaissent. Parmi les plateformes on retrouve notamment The LilyPad, Sweet Shoppe Designs et Oscraps. Crée en 2007, Oscraps introduit à la fois la vente de templates digitaux ainsi qu’un forum d’échange et de conseils sur le scrapbooking.

Ces plateformes jouent un rôle fondamental, elles inventent le modèle économique de la niche digital scrapbooking et permettent au marché de commencer à se structurer.

Avec la montée en puissance des plateformes Etsy et Shopify, le digital scrapbooking entre dans une phase plus visible. Etsy permet la vente de produits numériques sans infrastructure technique complexe, à destination d’un public plus large. Les produits peuvent être mis en vente sans validation préalable, il est possible pour de nouvelles créatrices d’émerger et de faire connaître leur travail. Les créatrices les plus connues peuvent elles créer leurs propres sites à moindre coûts grâce à Shopify.

Le cas Canva

Créé en 2012, Canva est un logiciel de conception graphique en ligne. Il permet de créer toutes sortes d’illustrations et permet également les retouches vidéos et photos. Son mode d’utilisation est simple : une interface glisser-déposer. Basé sur un modèle freemium, il permet l’utilisation de templates de powerpoint, affiche, cartes créés par d’autres utilisateurs. Ces templates peuvent être totalement gratuits, totalement payants ou bien intégrant seulement quelques éléments payants. Il est également possible dans la barre de recherche d’ajouter des éléments, gratuits ou payants. Les templates ou éléments peuvent être achetés un par un occasionnellement ou bien disponibles avec un abonnement mensuel Pro. 

La démocratisation de Canva marque un tournant majeur et intéressant pour le digital scrapbooking. Le logiciel, très simple d’utilisation, disponible en application ainsi qu’en ligne et accessible depuis n’importe quel terminal doté d’internet permet à un large nombre son utilisation. Ainsi quelques euros suffisent pour acquérir un kit complet, téléchargeable instantanément. Les prix sont faibles, la production est régulière et cette pratique devient accessible aux non passionnés qui peuvent réaliser des pages de digital scrapbooking sans y consacrer (trop) de temps. 

Il existe également d’autres logiciels et applications populaires, notamment Procreate, 17V28 ou encore Paper. 

Les réseaux sociaux, accélérateurs de visibilité

L’économie de l’influence peut être définie comme un système dans lequel des individus transforment la visibilité acquise au sein de communautés spécifiques en valeur économique. Cette transformation repose sur plusieurs leviers : une crédibilité construite dans la durée, la relation parasociale nouée avec l’audience, et des mécanismes de recommandation souvent implicites, intégrés aux pratiques ordinaires de publication.

Dans le cas du digital scrapbooking, ces mécanismes prennent des formes visuelles spécifiques. Les photo dumps ou les vidéos montrant le processus créatif, diffuser sur  TikTok ou Instagram ne se contentent pas de documenter une pratique personnelle. Elles fonctionnent également comme des outils d’auto-promotion, en montrant les templates, les mises en page ou les éléments graphiques directement en situation d’usage. La démonstration du geste créatif devient alors un support de prescription, sans recourir à un discours publicitaire explicite.

Un exemple intéressant de cela est le compte TikTok de @tohkyopress. Avec une communauté relativement réduite, 6902 abonnés à la date du 30 décembre 2025, c’est une nano-influenceuse. Pourtant son compte cumule plus d’1,2 millions de likes. Sur ses publications, notamment les plus virales, les commentaires la sollicitent pour avoir accès aux templates qu’elle utilise. 

[@tohkyopress]. (2025, 6 octobre). 🖼️ #matchbox #matchboxtemplate #giftsforhim #giftsforher #wallart #personalizedgift #customgift #canvatemplate #giftsforboyfriend #giftsforgirlfriend #anniversarygiftideas #birthdaygiftideas #romanticgift #couplesgift [Vidéo]. Tik Tok. https://vm.tiktok.com/ZNR6a62so/ 

Ces templates, utilisables sur Canva, sont ensuite commercialisés sur sa boutique Shopify ainsi que sur Etsy, pour un prix inférieur à 10 euros. La visibilité générée par les réseaux sociaux se convertit ainsi directement en transactions.

Cet exemple illustre plus largement la manière dont l’économie de l’influence du scrapbooking se structure autour de niches. Dans ces espaces, la performance économique repose moins sur la taille de l’audience que sur la qualité du lien, la confiance accordée à l’expertise du créateur et la capacité à intégrer la recommandation au cœur même de la pratique créative.

Les nouvelles formes de monétisation : le cas de Natasha Ahmed

Les micro paiements issus des achats de template Canva ou autre doivent être massifs pour être conséquents et permettre de ne vivre que de cela. Les créateurs de contenus ont donc intérêt à diversifier leurs portefeuilles avec l’une des composantes principales de l’économie de l’influence : la collaboration commerciale.

Chez les créatrices de contenus spécialisées dans le scrapbooking on retrouve des publicités plutôt classiques. De promotion d’outils et matériaux à destination du digital scrapbooking : partenariats avec Adobe ou Canva. On y retrouve aussi des partenariats avec des sociétés d’impression pour l’impression d’album physique réalisé grâce au digital scrapbooking.

La pratique du digital scrapbooking permet également l’essor de nouvelles manières de présenter un produit. En voici deux exemples tirés de l’influenceuse britannique aux 200 000 abonnés Natasha Ahmed

Tout d’abord on retrouve des « spread » des pages de digital scrapbook ou encore de junk journal avec des objets aimés récemment (à droite ci dessous), ou bien qui intègre tous les éléments d’une page de digital scrapbook accompagné d’un ou plusieurs produits (à gauche ci-dessous). On est ici sur une forme de recommandation par la démonstration. Comme on peut le voir sur les exemples ci-dessous, on retrouve alors une publicité plus subtile, plus dissimulée. 

A gauche : Ahmed, N. [@natashahmedx]. (2024 17 janvier). hand drew different aesthetics as moodboards (link in bio to purchase print) [Photographie]. Instagram. https://www.instagram.com/p/C2NcXPasWbk/?igsh=MmIyOTFsbWw1eWdr 

A droite : Ahmed, N. [@natashahmedx]. (2025 6 septembre). my autumn essentials in newspaper format [Photographie]. Instagram. https://www.instagram.com/p/DOQy3-ACBld/?igsh=MWxpdWZ4eHJ6NjI0ZQ== 

Cette pratique est très efficace avec des taux de conversion proportionnellement plus importants. En effet, Dina Younis démontre que l’exposition à des contenus générés par les utilisateurs des réseaux sociaux, que l’on nomme User Generated Content, ou plus rapidement UGC, augmente significativement la perception à la fois d’authenticité et de confiance envers une marque. Cela entraîne une intention plus élevée d’achats comparée aux formats publicitaires plus traditionnels.

  Un autre exemple est celui du partenariat. On peut observer ci-dessous un exemple vidéo de partenariats publicitaires entre Natasha Ahmed et Netflix House Dallas. La page de du digital scrapbook est centrée autour du produit et en fait sa promotion.

Ahmed, N. [@natashahmedx]. (2025 27 décembre). some sweet Netflix House Dallas memories crafted by @natashahmedx 💌 #netflixpartner [Vidéo]. Instagram. https://www.instagram.com/reel/DSx36EzjNpt/?igsh=MWx1MWdqMDRoOWFhaA==  

Ces publicités sont particulièrement redoutables car elles forment un tout, on est sur un contenu natif ou de marketing intégré, il y a une recommandation implicite basée sur l’usage. Ce type de contenu est plus authentique et proche de l’expérience personnelle, tout le point fort des contenus UGC.

Structuration d’une véritable micro-industrie

Le digital scrapbooking illustre finalement une réalité souvent sous-estimée de l’économie de l’influence: les niches, lorsqu’elles sont bien comprises et bien investies, peuvent être (extrêmement) rentables.

Cette observation rejoint l’analyse de Catherene J. and Kalaivani B. sur l’évolution du marketing d’influence. Les marques tendent à privilégier des créateurs positionnés sur des niches clairement identifiées, disposant d’audiences plus restreintes mais fortement engagées, plutôt que des profils à forte audience mais faiblement spécialisés. Le succès d’une campagne repose alors moins sur le volume de followers que sur le lien entre l’univers du créateur et celui de la marque, ainsi que sur la confiance et l’engagement générés auprès de la communauté. Dans cette logique de spécialisation, la crédibilité et la reconnaissance communautaire priment largement sur le nombre d’abonnés.

Toutefois, ce modèle ne se limite plus aujourd’hui aux seuls cercles d’initiés. En effet, de nombreuses personnes qui ne sont pas familières avec la pratique physique ou digitale du scrapbooking adoptent de manière occasionnelle ces codes  pour des posts sur les réseaux sociaux. Cette diffusion est facilitée par des outils de création accessibles et simples de prise en main et par la visibilité accrue de ces contenus permises par les réseaux sociaux (notamment Instagram, Tiktok et Pinterest). De plus, ces utilisateurs occasionnels sont une source de revenus. Le scrapbooking devient alors, pour certains, moins un loisir hérité qu’un terrain d’expérimentation créatif et économique.

Le digital scrapbooking montre ainsi qu’il est possible de monétiser durablement une pratique créative, notamment grâce aux plateformes à la fois de création, de partage et de vente. Nous sommes ici face à un cas d’école de l’économie de l’influence qui nous prouve que la niche n’est pas une limite mais un avantage.

BORDENAVE Chloé

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