Dans nos salons européens, la « Box » internet est devenue le métronome de nos vies numériques. Elle agrège nos consommations, enregistre nos préférences et, surtout, renvoie en temps réel aux instituts de mesure une mine d’or de données via sa « voie de retour ». Mais que se passe-t-il dès que l’on sort de ce confort filaire ? Dans de vastes régions du monde, de l’Afrique subsaharienne à l’Asie du Sud-Est, le modèle de la télévision par IP (IPTV) est quasi inexistant. Pourtant, on y consomme massivement des contenus, sur des écrans partagés ou des smartphones. Comment transformer ces spectateurs « invisibles » en données monétisables ? Voici les coulisses de la mesure d’audience « Mobile-First ».
Le paradoxe du « Leapfrog » technologique
Le concept de « Leapfrog » (saut de grenouille) décrit parfaitement la situation des marchés émergents : ces pays ont sauté l’étape de la ligne fixe et du câble pour passer directement au tout-mobile. En Afrique, selon le rapport Digital 2024 de DataReportal, le mobile représente souvent plus de 90 % des connexions internet.
Cependant, pour la télévision, le signal reste majoritairement hertzien (TNT) ou satellitaire. Contrairement à une box Orange ou Sky, une antenne râteau ou une parabole ne « parle » pas à l’émetteur. Elle reçoit, mais ne transmet rien. Pour les instituts de mesure comme Kantar ou Nielsen, c’est un trou noir statistique. On sait que le contenu est diffusé, mais on ignore qui le regarde vraiment, combien de temps, et si le spectateur a changé de chaîne pendant la publicité.
L’ingéniosité technique : Le son comme traceur
Pour pallier l’absence de connexion physique entre le téléviseur et l’institut de mesure, les ingénieurs ont dû faire preuve d’astuce. La solution la plus élégante aujourd’hui est le Watermarking audio (ou tatouage numérique).
Le principe est le suivant : au moment de la diffusion, la chaîne de télévision insère un signal acoustique inaudible pour l’oreille humaine dans la bande-son de son programme. Ce signal contient l’identifiant de la chaîne et l’horodatage précis. Pour le capter, on utilise un « panel »: un échantillon de la population équipé d’une application dédiée sur leur smartphone ou d’un petit boîtier portable appelé PPM (Portable People Meter).
Le micro de l’appareil « écoute » l’environnement et, dès qu’il reconnaît un watermark, il enregistre l’exposition au média. Cette technologie présente un avantage majeur pour les pays du Sud : elle capte l’audience hors foyer. Dans des villes comme Lagos ou Kinshasa, la télévision est souvent une expérience collective dans des bars ou des espaces publics. Le watermark permet de suivre le spectateur partout où il va, transformant son smartphone en un audimètre personnel.
Étude de cas : Le Nigeria, du « journal de bord » à la révolution numérique
Le Nigeria, souvent surnommé le « géant de l’Afrique », offre l’exemple le plus frappant de cette transition. Avec plus de 210 millions d’habitants et l’une des industries cinématographiques les plus prolifiques au monde (Nollywood), le pays a pourtant longtemps souffert d’un « trou noir » statistique.
La fin de l’ère du papier
Jusqu’à récemment, la mesure d’audience au Nigeria reposait essentiellement sur la méthode des journaux de bord (Diary method). Des panélistes devaient noter manuellement, sur des carnets, les programmes regardés chaque jour. Cette méthode, archaïque et sujette aux biais de mémoire, était incapable de rassurer les annonceurs mondiaux. Résultat : malgré une audience massive, le marché publicitaire nigérian restait sous-évalué par rapport à son potentiel réel.
Le tournant de la NBC et du système AMSY
Sous l’impulsion de la National Broadcasting Commission (NBC), le pays a lancé une réforme radicale de son système de mesure d’audience (AMSY – Audience Measurement System). Le choix s’est porté sur une approche hybride, combinant la technologie de Kantar et de réseaux locaux.
Plutôt que d’attendre l’équipement des foyers en box internet haut débit, le Nigeria a misé sur le déploiement de décodeurs de télévision numérique terrestre (DTT) et de technologies de Watermarking. Dans ce système, les données de consommation ne transitent plus par un câble physique, mais sont agrégées via les réseaux mobiles dès qu’une interaction est détectée.
Pourquoi est-ce un changement de paradigme ?
Pour les chaînes locales comme Channels TV ou AIT, cette nouvelle précision change tout. Elles peuvent désormais prouver leur audience auprès de marques comme Pepsi ou Nestlé en temps quasi réel (J+1 au lieu de plusieurs mois). Cette étude de cas nigériane prouve qu’une infrastructure de mesure robuste peut exister sans « Box » à l’européenne, à condition de placer le smartphone et le signal audio au centre de l’écosystème.
La mesure : une « monnaie » de survie pour les médias locaux
Pourquoi déployer de telles technologies ? La réponse est économique. Dans le jargon des médias, l’audience est une monnaie d’échange.
Sans chiffres certifiés par un tiers de confiance (comme le PAMRO en Afrique), le marché publicitaire navigue à vue. Les grands annonceurs internationaux (Coca-Cola, Procter & Gamble, Unilever) hésitent à investir des millions de dollars si le « GRP » (Gross Rating Point, l’unité de mesure de la pression publicitaire) n’est pas garanti.
C’est ici que réside l’enjeu des valeurs :
Souveraineté : Sans mesure fiable, les revenus publicitaires fuient vers les plateformes globales (Google, Facebook) qui disposent de leurs propres outils de tracking. Une mesure d’audience locale forte est donc un outil de protection de la diversité culturelle et des médias nationaux.
Équité : Elle permet de donner une valeur réelle à des programmes qui, bien que populaires, restaient jusqu’ici sous-évalués faute de preuves chiffrées.
Limites éthiques et zones d’ombre
Toutefois, cette « technologie de l’écoute » ne va pas sans soulever des questions de vie privée. Demander à des citoyens d’installer une application qui accède en permanence à leur micro, même pour détecter des fréquences inaudibles, est un défi éthique majeur. La conformité avec des réglementations inspirées du RGPD devient un casse-tête pour les instituts de sondage dans ces régions.
Enfin, il reste le défi de la fracture rurale. Si le watermark fonctionne parfaitement dans les zones urbaines connectées, la mesure de l’audience dans les villages reculés, sans couverture réseau stable pour remonter les données, reste le dernier bouclier de « l’audience invisible ».
La fin de la domination de la « Box » ne signifie pas la fin de la mesure, mais sa mutation. En devenant mobile et acoustique, la mesure d’audience s’adapte à une réalité mondiale où l’individu est plus mobile que son foyer. Pour les pays émergents, c’est une étape cruciale pour stabiliser leurs marchés médias. Mais le défi de demain sera de réussir à hybrider ces données techniques avec une réelle compréhension sociologique des usages, afin que les chiffres ne remplacent jamais totalement l’humain.
Il y a vingt-cinq ans après l’apparition de Loft Story sur nos écrans, tout le monde semblait penser à une mode éphémère, un genre qui allait s’essouffler. Pourtant, en 2025, la téléréalité ne s’est jamais aussi bien portée. Des « Marseillais » à « Too hot to handle » sur Netflix en passant par «Nouvelle école » et « La villa des coeurs brises », le mécanisme reste infaillible. Ainsi, près d’un quart de siècle plus tard, force est de constater que le genre n’a pas seulement survécu, il a colonisé nos écrans, de la télévision linéaire aux flux algorithmiques de TikTok et Netflix. On peut ainsi se demander comment ce genre, de plus est « ancien », a-t-il réussi à devenir le pilier central de l’économie de l’attention moderne ?
Pour commencer, afin de mettre le sujet en perspective, il est important de comprendre que la téléréalité a connu trois âges :
Tout commence par ce que les sociologues, à l’instar de Nathalie Nadaud-Albertini, appellent « l’âge de l’innocence ». Entre 2001 et 2005, la France découvre une expérience quasi-anthropologique avec les premières téléréalités, dont le moteur est alors la curiosité pure. En effet, à cette époque on observe des anonymes enfermés dans leur banalité, l’attention du public est captée par le « vrai », par ce miroir tendu à la société qui permet à chacun de tester ses propres jugements moraux. C’était le temps de la découverte avant que le public finisse par s’ennuyer de banalité. Ainsi, alors que selon François Jost chaque émission repose sur une « promesse », avant celle ci était ontologique (on nous promet que ce que l’on voit est « vrai ») avant de devenir ludique (le jeu et le clash passent avant la réalité).
En effet, à partir de 2006 à commencé l’ère de la scénarisation. Comme l’a souligne François Jost dans son ouvrage Le Culte du banal : de Loft Story à Secret Story (CNRS Éditions), le contrat a changé à ce moment là. Dans son ouvrage il analyse comment on est passé d’une télévision qui montrait « l’homme ordinaire » (le Loft) à une télévision qui met en scène des « caractères » (Secret Story). Jost explique que le spectateur ne regarde plus pour voir la « vérité », mais pour voir si les candidats vont réussir à tenir leur rôle ou leur secret. Le contrat n’est plus : « Regardez, c’est la vraie vie » mais : « Regardez comment ils jouent avec la réalité ». Le téléspectateur ne cherchent plus la banalité, mais l’extraordinaire et le conflit, c’est une industrialisation de l’émotion. Le casting devient un métier, et l’attention du spectateur est désormais maintenue par une dramaturgie millimétrée, conçue pour ne jamais laisser le cerveau au repos.
Depuis 2016, nous sommes entrés dans une troisième dimension, celle de l’écosystème numérique global. Aujourd’hui, l’émission de télévision n’est plus que la partie émergée d’un iceberg médiatique bien plus vaste. Elle sert de rampe de lancement à des carrières d’influenceurs qui monétisent leur audience 24h/24 sur les réseaux sociaux tels qu’Instagram ou TikTok. Les spectateurs ne regarde plus seulement une émission, ils ont accès à un flux de contenu permanent qu’ils peuvent consommer de manière fragmentée. Comme l’explique Yves Citton,dans son livre L’Économie de l’attention (2014) où il développe ses théories sur le capitalisme attentionnel, la téléréalité a réussi à coloniser notre « temps de cerveau disponible » en devenant omniprésente, abolissant la frontière entre le show et la vie quotidienne.
Egalement, si la téléréalité perdure, c’est parce qu’elle s’appuie sur des mécanismes psychologiques universels que le digital n’a fait qu’accentuer. Dès 1954, dans son article fondateur A Theory of Social Comparison Processes, le psychologue Leon Festinger expliquait que l’être humain possède un besoin intrinsèque d’évaluer ses propres capacités en se mesurant aux autres. En cela, la téléréalité nous offre un miroir permanent à ce besoin en nous permettant de nous rassurer en observant les échecs des autres (ce qu’on appelle la comparaison descendante) ou, au contraire, de nous projeter dans des styles de vie idéalisés.
Le succès de la télé-réalité repose également sur l’interaction parasociale, un levier puissant théorisé dès 1956 par Donald Horton et Richard Wohl. Dans leur article, ils décrivent ce sentiment d’entretenir une « intimité à distance » avec des figures médiatiques qui nous sont pourtant totalement étrangères. La téléréalité moderne a poussé ce concept à son paroxysme en nous invitant dans l’intimité quotidienne des candidats, que ce soit à travers les confessionnaux télévisés ou sur les réseaux sociaux. La distance symbolique est brisée ce qui crée un attachement émotionnel si fort que le spectateur finit par suivre ces « personnalités » avec la même fidélité qu’un membre de son propre entourage.
La téléréalité s’est parfaitement adaptée à l’économie contemporaine de l’attention. Chaque épisode pouvant être découpé en une multitude d’extraits courts, étant ensuite diffusé sur TikTok, Instagram ou Twitter, chaque moment anodin devenant ainsi une séquence virale. Aussi, elle repose sur des émotions fortes comme l’indignation, le rire moqueur, le scandale ou encore la colère, soit exactement les émotions qui déclenchent le plus de réactions et d’interactions en ligne. En plus de cela, la téléréalité à un avantage décisif pour les diffuseurs, du fait de son coût de production bien inférieur à celui de la fiction, pour un rendement d’attention et de visibilité souvent supérieur.
Le genre a également survécu parce qu’il a su muter avec les plateformes. Netflix, par exemple, a renouvelé ses codes avec des programmes comme The Circle ou Love is Blind, en s’appuyant sur la data pour identifier les moments de décrochage et calibrer les rebondissements. Ces codes se retrouvent même partout, les plus grands YouTubeurs reproduisant désormais ces mécanismes de mise en scène émotionnelle, de suspens permanent et de montage frénétique.
Sources :
Jost, F. (2013). Le culte du banal : De Duchamp à la télé-réalité. CNRS Éditions. ISBN 978-2-271-07731-8.
Citton, Y. (2014). L’économie de l’attention : Nouvel horizon du capitalisme ? Paris : La Découverte.
En 20 ans, la téléréalité a redoré son image. (n.d.). La Revue Des Médias. https://larevuedesmedias.ina.fr/anniversaire-vingt-ans-telerealite-succes-acceptation
Soulez, G. (n.d.). François Jost, Introduction à l’analyse de la télévision, Ellipses, Paris 1999 ; François Jost, La télévision du quotidien Entre réalité et fiction, INA-De Boeck Université, Paris-Bruxelles 2001. Persée. https://www.persee.fr/doc/memor_1626-1429_2001_num_3_1_2453_t16_0116_0000_1
Festinger, L. (1954). A theory of social comparison processes. Human Relations, 7(2), 117–140. https://doi.org/10.1177/001872675400700202
Horton, D., & Wohl, R. R. (1956). Mass Communication and Para-Social Interaction. Psychiatry, 19(3), 215–229. https://doi.org/10.1080/00332747.1956.11023049
Chaque fin d’année, toute personne écoutant de la musique n’attend qu’une chose, car avant Noël et le Nouvel An, il y a d’abord le Spotify Wrapped. Au début du mois de décembre 2025, c’est un phénomène qui n’a pu échapper à personne avec plus de 327k tweets et une hausse significative de recherches Google sur ce sujet. Depuis décembre 2016, la plateforme aux plus de 281 millions d’abonnés a réussi à créer un rituel annuel qui donne une rétrospective de l’année entièrement basée sur les données d’écoute de ses auditeurs, les informant sur leurs morceaux, artistes et genres les plus écoutés. Ainsi, comment expliquer cette popularité et surtout, de manière générale, pourquoi aimons-nous tant avoir des rétrospectives de fin d’année ?
(Crédit : Alexander Shatov / Unsplash)
Une identification possible entre auditeurs aux goûts similaires…
À travers le monde, il est estimé que plus de 600 millions de personnes sont abonnées à une plateforme de streaming musical. Qu’elles écoutent du classique, de la pop ou encore du rock, une chose est sûre : la musique réunit. De manière générale, une grande majorité de la population écoute de la musique et c’est alors sur cet aspect communautaire que cette rétrospective veut tirer parti. En effet, Spotify Wrapped permet de clairement identifier nos goûts musicaux et d’appartenir à une communauté de fans de mêmes artistes en se réunissant autour d’intérêts communs.
Avec le Spotify Wrapped, la plateforme veut développer un sentiment d’appartenance. Elle veut qu’on se rencontre, qu’on échange sur nos goûts musicaux, qu’on se découvre des intérêts communs, car écouter de la musique est une expérience qui peut être partagée à plusieurs. C’est pour cette raison que Spotify pousse au partage sur les réseaux sociaux comme le montre son site du Wrapped 2025 où il est écrit “Pour engager la conversation : Partage les temps forts de ton Wrapped avec ton entourage !”. Son but est que nous nous identifions entre fans, entre auditeurs de mêmes genres.
… qui permet aussi une individualisation pour se démarquer
Mais le Spotify Wrapped reste avant tout une rétrospective personnalisée qui, en définissant clairement nos goûts à travers l’année, fait ressortir notre personnalité. Nous aimons rencontrer des personnes aux intérêts similaires mais par-dessus tout, nous aimons nous démarquer. Nous aimons nous connaître et être valorisés et validés dans la manière dont nous nous percevons. En confirmant notre personnalité musicale, cette rétrospective de fin d’année se pose alors comme un marqueur identitaire et un moyen d’expression de soi.
Elle permet non seulement de prouver son identité musicale, mais aussi celle en tant que fan. Par exemple, je considère Ariana Grande comme mon artiste préférée et quel meilleur moyen que de se savoir parmi les 0.001% de ses top auditeurs pour prouver à quel point j’en suis fan ? En effet, de cette manière, Spotify informe son classement à chacun en les comparant aux autres auditeurs de ce même artiste. Cette rétrospective permet également d’indiquer nos genres musicaux les plus écoutés en montrant à quel point ils sont uniques, éclectiques et nombreux ou encore les artistes écoutés qui sont à la fois niches et avec de la musique de qualité. Ainsi, le Spotify Wrapped permet également d’afficher nos différences.
La gamification comme moyen de fidélisation
Mais au-delà de l’identification et de l’individualisation, le Spotify Wrapped est une rétrospective au design intéractif et dynamique établissant alors une gamification qui a culminé avec l’édition 2025.
Tout d’abord, cette rétrospective s’appuie sur la nostalgie de ses utilisateurs et tire profit de l’affect que nous avons vis-à-vis des musiques qui nous ont accompagnées pendant l’année. Pour cela, Spotify Wrapped instaure un storytelling. Sous un format vertical, nous faisons défiler les stories pour progressivement découvrir et revenir sur les musiques qui ont rythmé notre année. Pour l’année 2025, on commence par le nombre de minutes d’écoute, on continue sur le nombre de genres différents écoutés et lesquels sont nos préférés. Ensuite, nous avons nos morceaux, albums et enfin les artistes les plus écoutés, en s’amusant à deviner lesquels seront dans notre top 5, notamment à travers des quiz. Le Spotify Wrapped ne nous donne pas simplement une rétrospective de nos données, mais les transforme en un récit significatif de notre année. Le tout est alors soigneusement résumé en une photo, prête à être partagée sur les réseaux sociaux.
En effet, Spotify encourage également le partage de sa rétrospective sur les réseaux sociaux, pas seulement pour s’identifier entre auditeurs aux goûts musicaux similaires, et montrer notre identité musicale, mais aussi pour se comparer tout en augmentant la renommée de la plateforme. Une compétition s’instaure alors, qui a d’autant plus été appuyée cette année avec un classement informant les 100 000 premiers auditeurs d’un artiste, de leur position parmi les plus grands fans de leur artiste préféré.
Spotify Wrapped introduces a ‘Fan Leaderboard’ feature where users will see where they rank among their favorite artist’s listeners worldwide (based on total minutes listened). pic.twitter.com/Kezt09Iq7J
Pour les prochaines années, cela pourrait alors encourager les fans à davantage écouter leur artiste préféré pour avoir un meilleur classement, et par conséquent, les encourager à davantage utiliser Spotify.
Le Spotify Wrapped a donc un aspect social. Spotify a même lancé cette année le Wrapped Party permettant de comparer directement nos statistiques d’écoutes avec nos proches. Cette nouvelle fonctionnalité indique, par exemple, « la personne qui a écouté la chanson avec le moins d’écoutes” ou encore “la personne qui a écouté le plus de musiques aux langues différentes”. Elle est un nouveau moyen de nous définir davantage et cette fois-ci, en nous distinguant aussi clairement des personnes de notre entourage. Elle établit aussi une compatibilité musicale entre les participants du Wrapped Party. Seulement disponibles sur Spotify, ces nouvelles fonctionnalités veulent inciter tout auditeur de musique à utiliser la plateforme musicale, car plus elle a de nos données, plus elles seront précises pour nous définir.
Ainsi, l’ensemble de ces mécanismes font partie de la gamification mise en place par Spotify et qui a pour but, dans cette économie de l’attention, de capter l’attention et de fidéliser les auditeurs. En 2017, le CEO de Netflix avait déclaré que son principal concurrent est le sommeil. Néanmoins, les plateformes de streaming musicales ont l’avantage d’être à n’importe quel moment de la journée soit même pendant le sommeil. Une série ou un film a besoin d’être regardé et écouté, mais une musique ne nécessite que l’écoute et peut même être écoutée passivement en tant que bruit de fond de nos tâches quotidiennes par exemple. Le principal concurrent devient alors le silence comme l’aurait déclaré le fondateur de Spotify.
Apple Music, Amazon, these aren’t our competitors. Our only competitor is silence
Par conséquent, comment nous inciter à écouter toujours plus de musiques ? Dans cette logique, Spotify a récemment lancé un “mini” Wrapped hebdomadaire afin d’avoir une rétrospective de nos habitudes d’écoute chaque semaine. En plus des données d’écoutes habituelles, elle s’accompagne de nouvelles fonctionnalités, ayant toujours pour but de nous définir davantage. Notamment, mes stats d’écoutes m’informent que je fais partie de 8000 premières écoutes d’une chanson ou encore que 22% de mon écoute de musique de telle semaine était consacrée à tel artiste. Il y a également un classement hebdomadaire des chansons les plus écoutées indiquant aussi leur évolution par rapport à la semaine précédente. Avec les personnes pouvant constamment se tenir au courant de leurs statistiques d’écoutes, la valeur de la rétrospective unique à Spotify se retrouve augmentée.
Néanmoins, toutes les nouvelles initiatives de Spotify pour Wrapped ne sont pas toujours bien accueillies et cela a été le cas pour l’édition 2024 qui a été vivement critiquée dû notamment à son utilisation de l’IA. En effet, en voulant être hyper-personnelle, cette dernière a rendu, au contraire, la rétrospective impersonnelle avec des descriptions hyper-spécifiques de ses utilisateurs car que signifie que c’est le genre “pink pilates princess strut pop” qui définit nos goûts musicaux ? Certains auditeurs ont même pensé que l’IA de Spotify avait halluciné certaines données et ces genres musicaux ultra-niches et qui n’avaient aucun sens. En effet, pour beaucoup d’utilisateurs, le Wrapped 2024 ne reflétait pas ce qu’ils écoutaient, mais reflétait seulement la manière dont l’algorithme pensait la musique et ce à quoi elle ressemblerait.
Le phénomène des rétrospectives démocratisé dans tous les secteurs
Tout le monde veut avoir une rétrospective de son année et pour cette raison, la plupart des plateformes de streaming musicales comme Apple Music ou Deezer ont emboîté le pas à Spotify. Néanmoins, ce phénomène concerne également d’autres plateformes de divers domaines. On a par exemple le Letterboxd Wrapped pour les films, le Year In Books de Goodreads pour les livres, Duolingo pour ceux étudiant de nouvelles langues ou encore la SNCF avec sa Rétrainspective qui récapitule les trajets effectués durant l’année. Les banques s’y sont même mises en récapitulant les dépenses et leurs types parmi les loisirs ou l’alimentation par exemple et plus récemment YouTube a lancé son propre Recap avec les YouTubeurs et vidéos les plus regardés.
Ces différentes rétrospectives ne sont peut-être pas aussi interactives que Spotify Wrapped, mais elles ont bien les mêmes objectifs que ce dernier. Elles sont un moyen d’expression de soi et permettent de faire un point sur l’année qui vient de passer. Leur réussite s’appuie sur notre nostalgie et notre volonté de nous démarquer. Nous aimons avoir des statistiques tangibles de notre personnalité et notre vie et ces rétrospectives permettent alors de montrer à tous à quel point nous avons voyagé, que nous sommes de grands lecteurs ou cinéphiles. En faisant un bilan de notre année, elles représentent alors un véritable marqueur identitaire et Spotify Wrapped en est le parfait exemple. Tout le monde n’arrive peut-être pas à trouver le temps pour voyager, lire ou regarder des films et séries, mais la musique est très peu concernée par ce problème et pour cette raison, Spotify Wrapped réussit depuis 2016 à s’instaurer comme un événement attendu par tous en fin d’année.
L’industrie audiovisuelle traverse aujourd’hui une mutation sans précédent sous l’impulsion des technologies émergentes. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle générative et le développement d’outils spécialisés tels que Génario, la figure de l’auteur solitaire face à sa page blanche s’efface au profit d’une interface interactive capable de suggérer des structures narratives, d’esquisser des dialogues ou de générer des fiches de personnages détaillées.
En France, où l’on dénombre plus de 6 000 scénaristes selon la SACD, cette irruption technologique a d’abord été perçue comme une menace existentielle. Cette inquiétude s’est cristallisée en 2023 lors de la grève historique de la Writers Guild of America (WGA) à Hollywood, qui a duré 148 jours, marquant le plus long conflit social de l’histoire du secteur depuis des décennies. Pourtant, malgré ces tensions, le milieu du cinéma et de la télévision commence à intégrer ces outils, les envisageant désormais comme des partenaires de création plutôt que comme de simples remplaçants.
Du clavier à l’algorithme : l’IA comme nouveau « collaborateur »
L’intégration de l’IA dans le processus créatif marque le passage d’un rôle d’assistant technique à celui de véritable co-auteur numérique. Pour le milieu audiovisuel, des plateformes comme Génario ont été spécifiquement conçues pour accompagner la création dramaturgique en s’appuyant sur de vastes bases de données de scénarios classiques afin de proposer des analyses structurelles.
Cette technologie agit comme un « sparring-partner » capable d’identifier les « ventres mous » d’un récit ou de vérifier la conformité d’une intrigue avec les étapes théoriques du voyage du héros. En automatisant la génération de descriptions de décors ou en proposant des variantes de dialogues, l’IA permet aux auteurs de s’extraire de la logistique d’écriture pour se concentrer sur l’architecture globale de l’œuvre.
Le scénariste James Cameron a récemment rejoint le conseil d’administration de Stability AI. S’il reste prudent sur la capacité de l’IA à créer de l’émotion pure, il reconnaît son utilité pour la visualisation et la structuration des mondes complexes. À l’inverse, Charlie Brooker, créateur de Black Mirror, a testé l’IA pour écrire un épisode. Sa conclusion est sans appel : « Le résultat ressemblait à de la bouillie, car l’IA ne fait que régurgiter ce qui existe déjà« . Mais pour des séries à flux tendu comme les feuilletons quotidiens (Plus belle la vie, Demain nous appartient), l’IA devient un outil de productivité pour générer des dizaines de variations de dialogues en un temps record.
L’IA un superviseur editorial ?
Le métier de scénariste pourrait glisser progressivement vers un rôle de superviseur éditorial où l’acte créatif ne consisterait plus seulement à écrire, mais à choisir et affiner des propositions algorithmiques. Ce nouveau processus de création déplace le centre de compétence vers la maîtrise du « prompt » et la capacité de sélection critique.
Selon une étude du CNC publiée en 2024, près de 25% des professionnels de l’audiovisuel utilisent déjà des outils d’IA de manière occasionnelle pour le brainstorming. Le scénariste devient un chef d’orchestre. Comme le souligne Franck Bauchard, expert auprès du Ministère de la Culture et spécialiste des mutations numériques, « le rôle de l’artiste n’est plus de produire de la matière brute rapidement, mais d’apporter une démarche et un récit. L’intelligence créative se déplace ainsi de l’exécution vers la capacité de jugement et de sélection parmi les propositions de la machine. » (Bauchard, F. (2025). « Machina Sapiens : l’IA au défi de la création artistique ». Rapport et parcours d’exposition pour le Ministère de la Culture.)
Les risques de « Netflixisation » et la fragilité des jeunes auteurs
Ce changement de paradigme soulève toutefois des inquiétudes socio-économiques majeures, notamment pour les jeunes auteurs. Les syndicats craignent que les tâches traditionnellement confiées aux juniors, comme les recherches documentaires ou les premiers jets de synopsis, ne soient totalement automatisées, fermant ainsi la porte d’entrée de la profession aux nouveaux talents.
Le risque majeur de l’IA réside dans ce que les analystes appellent la « Netflixisation » des contenus. Ce phénomène désigne une uniformisation des scénarios calqués sur des succès passés. En effet, l’IA fonctionne par probabilités statistiques : elle analyse ce qui a généré du temps de visionnage pour reproduire des schémas narratifs similaires. Selon une étude de la plateforme de données Ampere Analysis, l’accent mis par les algorithmes de recommandation pousse déjà les producteurs à privilégier des genres très codifiés au détriment de l’originalité. On risque alors de voir apparaître des scénarios « moyens », efficaces pour maintenir l’attention mais dépourvus de prise de risque artistique. L’exemple de la série 1899, annulée par Netflix malgré une base de fans solide car ses données de complétion ne rentraient pas dans les cases de l’algorithme, illustre cette tension entre création humaine et dictature de la statistique.
Le droit comme rempart
Face à cette dérive, la résistance s’organise par le biais du droit. La grève de la WGA en 2023 a permis d’arracher des garanties essentielles : l’interdiction de créditer l’IA comme auteur et l’impossibilité pour les studios de forcer un scénariste à utiliser ces logiciels.
En France, le Code de la propriété intellectuelle est encore plus protecteur. Le droit d’auteur repose sur « l’empreinte de la personnalité du créateur », ce qui place les œuvres générées majoritairement par IA dans un flou juridique total. Actuellement, les productions purement algorithmiques ne sont pas protégables. Ce flou juridique crée un paradoxe pour les studios : s’ils utilisent trop l’IA pour réduire les coûts, ils perdent la protection de leur propriété intellectuelle, car n’importe qui pourrait alors copier leur film sans risquer de poursuites. Pour organiser cette cohabitation, de nouveaux textes voient le jour comme l’AI Act européen de 2024 qui impose des obligations de transparence et le respect du droit d’auteur lors de l’entraînement des modèles.
Éthique et diversité : le piège des biais algorithmiques
L’enjeu éthique du biais algorithmique demeure central. Les outils comme Génario ou ChatGPT sont entraînés sur des corpus existants qui reflètent souvent les préjugés des sociétés passées. Si l’IA est nourrie de 50 ans de films d’action où le héros est systématiquement un homme blanc, elle proposera naturellement ce schéma pour chaque nouveau scénario. Cela pose un problème majeur pour la diversité et la représentation culturelle. Le scénariste doit donc agir comme un garde-fou éthique pour déconstruire les clichés que l’IA ne manquera pas de lui proposer. C’est ici que l’humain reprend l’avantage : la machine peut mimer la structure, mais elle ne comprend pas les enjeux sociétaux complexes.
Une série pensée pour un public émotionnellement et médiatiquement saturé
Euphoria suit un groupe d’adolescents américains confrontés à des expériences intenses : addictions, relations amoureuses instables, quête d’identité, pression sociale et mal-être psychologique. Le récit, centré sur Rue (interprétée par Zendaya), explore la manière dont ces personnages tentent de se construire dans un monde saturé d’images, de réseaux sociaux, de désirs et d’excès. À la fois brutale et esthétisée, la série donne à voir une adolescence sans filtre, où les émotions sont vécues à l’extrême.
Cette représentation s’inscrit pleinement dans l’économie de l’attention, caractérisée par une concurrence accrue entre contenus au sein d’un environnement marqué par l’abondance informationnelle et publicitaire. Les jeunes générations évoluent dans un flux continu de divertissements et de sollicitations émotionnelles. Selon We Are Social, le public d’Euphoria cherche à trouver sa place dans ce contexte saturé, oscillant entre le besoin de canaliser ses émotions et celui de créer des connexions et des espaces d’intimité, en ligne comme hors ligne. La série donne précisément forme à ces tensions.
Les trajectoires des personnages fonctionnent ainsi comme des miroirs émotionnels pour un public en construction :
Rue incarne la difficulté à gérer le trop-plein émotionnel, dans un monde où les échappatoires sont multiples mais souvent destructrices, notamment à travers l’addiction.
Jules représente une quête de liberté et de reconnaissance, construite en grande partie à travers les réseaux sociaux et les relations numériques, soulignant la fragilité de l’intimité dans un espace en ligne permanent.
Kat illustre la recherche de validation par la visibilité numérique. En se mettant en scène sur Internet, elle expérimente à la fois une forme de pouvoir et les limites d’une exposition constante.
Maddy symbolise la pression des normes sociales et esthétiques renforcées par les réseaux sociaux. Son identité se construit sous le regard continu des autres, faisant de l’attention un capital à maintenir.
Nate incarne la dimension la plus sombre de cette logique, où le contrôle de l’image et de l’information devient un outil de domination et de maintien du pouvoir social.
À travers ces figures, Euphoria agit comme un miroir émotionnel pour son public, mettant en lumière les tensions entre surcharge émotionnelle, quête d’intimité, hyper-visibilité et pouvoir médiatique, caractéristiques de l’économie de l’attention.
Une esthétique de la sur-stimulation au service de la captation de l’attention
L’un des marqueurs les plus visibles de Euphoria réside dans son esthétique hyper-stylisée. Couleurs néon, jeux de lumière agressifs, musique omniprésente et mouvements de caméra immersifs composent un univers visuel pensé pour produire un impact immédiat. Chaque scène semble conçue pour marquer durablement la mémoire du spectateur, dans une logique proche de celle des plateformes numériques cherchant à maximiser le temps d’attention.
Cette sur-stimulation sensorielle s’inscrit pleinement dans les mécanismes décrits par l’économie de l’attention : face à des capacités cognitives limitées, les contenus doivent intensifier leurs signaux pour ne pas être ignorés. Euphoria adopte ainsi une esthétique de l’excès, transformant chaque épisode en une expérience émotionnelle forte, difficilement “scrollable”, à rebours de la consommation distraite mais parfaitement compatible avec les attentes d’un public habitué aux contenus courts, visuels et intenses.
Une série conçue pour un public hyperconnecté
Au-delà de l’écran, Euphoria est pensée comme un objet médiatique circulant massivement sur les réseaux sociaux. We Are Social souligne que la série ne se contente pas d’offrir un moment d’évasion : elle confronte et stimule un public qui se tourne naturellement vers les plateformes numériques pour échanger, commenter et débattre. Euphoria est ainsi une série conçue pour un public hyperconnecté.
Les maquillages si particuliers des personnages comme Maddy ou Jules ont par exemple généré des millions de vues sous forme de tutoriels sur TikTok et Instagram. Certaines scènes de disputes, monologues, séquences musicales, sont largement découpées, partagées et détournées, devenant des formats autonomes dans les flux sociaux. La série prolonge ainsi l’attention bien au-delà du temps de visionnage, s’inscrivant durablement dans les conversations numériques.
Si HBO ne recherche pas nécessairement le scandale, la chaîne est connue pour repousser les limites du représentable. Comme le souligne Martine Delahaye dans Le Monde, Euphoria s’inscrit dans cette tradition en abordant frontalement des sujets sensibles, tout en s’assurant que la série fasse parler d’elle. La provocation devient ici un levier de visibilité, renforçant la présence médiatique de l’œuvre.
Les scènes jugées trop explicites ou choquantes ont suscité de nombreuses polémiques, alimentant articles, débats et réactions sur les réseaux sociaux. Dans l’économie de l’attention, ces controverses jouent un rôle central : elles génèrent de l’engagement, qu’il soit positif ou négatif, et participent à maintenir la série au cœur de l’espace médiatique.
Un phénomène de pop culture mesurable
Les chiffres confirment cette dynamique. Euphoria est devenue la série la plus regardée sur HBO derrière Game of Thrones et la plus tweetée aux États-Unis depuis 2020, selon Les Échos. Elle s’impose comme un véritable objet de pop culture, capable de fédérer une communauté active et expressive. Cette omniprésence numérique témoigne de sa capacité à capter et retenir l’attention dans un paysage audiovisuel saturé.
Cependant, ce succès s’accompagne de critiques. Certains observateurs dénoncent une esthétisation excessive de la souffrance ou une exploitation émotionnelle du public adolescent. Ces débats illustrent les tensions inhérentes à l’économie de l’attention, où la recherche d’impact peut entrer en conflit avec des considérations éthiques et sociales.
Euphoria, symptôme et produit de l’économie de l’attention
Euphoria ne se réduit ni à une série provocante ni à un simple succès générationnel. Elle constitue un produit pleinement inscrit dans l’économie de l’attention, pensé pour un public émotionnellement intense, hyperconnecté et exposé à une concurrence médiatique constante. Par son esthétique, sa narration, sa circulation sur les réseaux sociaux et les controverses qu’elle suscite, la série illustre les évolutions actuelles de la création audiovisuelle. Euphoria apparaît ainsi à la fois comme un miroir des logiques attentionnelles actuelles et comme l’un de leurs exemples les plus aboutis.
Maïwenn GAUTIER LE COCGUEN
Sources :
Articles de presse et médias spécialisés
Delahaye, M. (2019). « Avec Euphoria, HBO s’adresse brillamment aux ados ». Le Monde. → Analyse critique du positionnement éditorial et médiatique de la série.
Direction générale du Trésor (2025). L’économie de l’attention à l’ère du numérique, Trésor-Éco n°369. → Cadre économique et institutionnel sur la captation et la monétisation de l’attention.
We Are Social (2022). Why you so obsessed with me? Une analyse sémiotique de la série Euphoria. → Analyse du lien entre la série, son public et les usages numériques contemporains.
Ouvrages et articles académiques
Citton, Y. (2014). Pour une écologie de l’attention. Paris : Seuil. → Référence centrale pour penser les enjeux culturels, politiques et médiatiques de l’économie de l’attention.
Patino, B. (2019). La civilisation du poisson rouge : petit traité sur le marché de l’attention. Paris : Grasset. → Essai critique sur l’impact des technologies numériques et des plateformes sur la captation et l’exploitation de l’attention dans les sociétés contemporaines.
« Voici le lien pour découvrir l’intégralité de la filmographie de Jean-Luc Godard des années 60 à la fin des années 80 ». Ces messages pulluent désormais sur X et Reddit : grâce à un simple lien vers un drive Google ou vers un fichier We Transfer, les internautes ont la possibilité d’accéder à une offre de contenu inédite, presque illimitée. Ces nouveaux points d’accès sont en rupture avec le piratage tel qu’il fut à une époque, nécessitant des outils techniques et une connaissance précise de certains sites. Non seulement le piratage n’a pas disparu, mais il se serait démocratisé. Pourquoi donc ?
Non, le visionnage illégal de films et de séries n’a pas disparu. D’après l’ARCOM, le piratage de contenus audiovisuels represente près d’1,2 milliard d’euros de perte pour le secteur, et 230 millions d’euros de TVA en moins pour l’Etat. Ce phénomène persiste, et continue d’abîmer la santé globale d’un écosystème culturel déjà tourmenté. Pourtant, il ne devait pas être ainsi.
La promesse déchue d’une plateforme unique et centrale
Au début des années 2010, le streaming légal proclame avoir trouvé la formule magique parfaite : une plateforme unique, un immense catalogue de contenus accessible à un prix modéré,sur n’importe quel appareil à toute heure de la journée et en tout lieu. A l’époque, c’est Netflix qui incarne cette promesse. La plateforme de SVOD américaine arrive en France en 2014 avec un catalogue inédit : des productions originales crées par la société et visionnables nulle part ailleurs, côte à côté avec des classiques du cinéma et des séries intemporelles : Friends, Big Bang Theory… Pour les fans de ces séries, c’est l’ocassion rêvée pour reprendre le visionnage depuis le début, et de ne plus être dépéndant de la programmation des chaînes de télévision.
Mais, l’histoire ne s’est pas déroulée comme prévu. Cette promesse de plateforme unique et centralisée s’est fissurée à mesure que les studios ont repris la main sur leurs contenus pour lancer leurs propres services : Disney a lancé Disney+, une plateforme offrant l’accès à tous les dessins animés Disney et Pixar, mais aussi à l’intégralité des contenus se situant dans l’univers de Star Wars et des comics Marvel. Dans la même foulée, HBO a également lancé sa propre offre Max : l’accès à toutes les plus grandes séries de l’histoire de la télévision (Les Sopranos, The Wire, Game of Thrones, Sex & the City…), mais aussi aux productions Warner Bros, dont la très populaire (et encore très rentable) saga Harry Potter. Autrement dit, chaque studio rapatrie ses œuvres et verrouille ses droits. Tout ça fractionne l’offre et la rend instable (à la joie des défenseurs du support physique) : une série ou un film peut être disponible un mois ici, puis disparaître du jour au lendemain pour réapparaître ailleurs.
Pour le spectateur, le bilan est donc plutôt morose : ce qui devait simplifier sa vie l’a finalement compliquée… et rendue plus chère. Au lieu de payer un seul abonnement, les consommateurs de contenus audiovisuels doivent multiplier les souscriptions, dont les prix sont de moins en moins « accessibles ». Pour maintenir des offres restant bien en dessous de la barre de la dizaine d’euros par mois, certaines plateformes ont intégré la publicité dans leur ecosystème : désormais comme à la télévision, des spots publicitaires viennent ponctuer le visionnage d’un film ou d’une série. Idem pour le partage de comptes entre amis, dont Netflix a fait son nouveau cheval de bataille depuis 2023. Additionnés, ces abonnements atteignent rapidement des montants comparables à ceux d’un ancien bouquet TV premium, contrairement à la promesse initiale de la SVOD. De ce point de vue, le piratage apparaît d’abord comme une réponse économique à un système dispendieux.
Crédit photo : X
Piratage : le nouveau défenseur de la culture ?
Si le piratage persisite, c’est aussi parce qu’il a su se transformer. Longtemps associé aux sites clandestins et aux manipulations complexes, il revêt aujourd’hui une forme bien simple, presque indiscernable. Grâce à leur design UX premium, de nombreux sites de streaming illégaux donnent l’impression d’être des plateformes légales : interface soignée, page d’accueil épurée, classement par tendances… L’IPTV est un exemple encore plus probant : ce service clé en main, vendu comme une alternative permettant d’accéder à une multitude de de contenus, se présente avec le même vernis que les bouquets traditionnels. Il est accessible sur les mêmes canaux : les utilisateurs disposant d’une CTV (Connected TV) peuvent brancher leur boitier et profiter d’une expérience semblable à celle obtenue sur une plateforme légale. A la question économique s’ajoute donc celle de l’expérience utilisateur : celle-ci est devenue plus fluide, plus familière.
Le piratage et le visionnage de contenus protégés ont su également tirer parti d’un allié innatendu : les défenseurs de la liberté d’expression tels qu’Elon Musk et la tendance générale de de-modération des espaces d’échanges et des réseaux sociaux. Pour concurrencer Tik Tok, le nouveau propriétaire de X(anciennement Twitter) a étendu la durée des vidéos visionnables sur le réseau. De fait, les utilisateurs disposant d’une coche bleue, c’est-à-dire payant la certification, peuvent uploader jusqu’à plusieurs heures de contenus médias. C’est ainsi qu’en juin 2023, seulement une dizaine de jours après la sortie de Spiderman : Across the Spiderverse en salles, un internaute a posté l’intégralité du film sur X, le tweet générant à ce jour plus de 4 millions d’impressions.
Les posts partageant des liens vers des partages de fichiers se multiplient également : Google Drive, Dropbox, Mega, tous ces sites servent de réceptacles communs à des bibliothèques entières de films et de séries. Cliquer sur un lien, récupérer un fichier : un geste banal, discret (donc difficilement traçable), brouillant davantage la frontière entre pratiques légales et illégales. C’est comme cela qu’apparaissent des liens vers des filmographies complètes ou des films de patrimoines rares, voire indisponibles sur les plateformes officielles. Et c’est une troisième clé d’explication, l’accès à une offre difficilement trouvable, voire introuvable ailleurs. Plus que jamais, le piratage prend des allures chevaleresques, défendant l’accès à la culture et au patrimoine. Le débat n’est pas récent : en 2014, le juriste indien Lawrence Liang explique que, outre les questions juridiques ou légales du piratage, celui-ci répond aux inégalités de pouvoir d’achat et d’accès aux biens culturels ; il devient le moteur d’une circulation culturelle au sein d’une population donnée. En France, le débat s’est récemment illustré sur X, lors d’une querelle opposant l’influenceur ciné Regelegorila et l’éditeur de DVD ESC Films. « C’est fou maintenant ce réseau, tu tapes dans la barre de recherche le nom du film que tu veux et y’a forcément quelqu’un avec un lien drive. Des héros. » a tweeté Regelegorila avant d’être interpellé par ESC qui lui rappelle qu’étant à la tête d’une large communauté, son rôle est difficilement de défendre le piratage illégal. Réponse de l’intéressé : « Malheureusement, certains films n’existent tout simplement pas légalement en France. La préservation de la culture est importante aussi ». La position de l’influenceur reflète celle de nombreux spectateurs utilisant des liens vers ces contenus illégaux. Dans cet angle mort de l’offre légale, le piratage constitue un paradoxe : là où les institutions échouent à rendre visible une partie du patrimoine, ce sont des communautés informelles qui décident de s’en charger.
Crédit photo : X
Quid de la lutte ?
La lutte contre le piratage s’est longtemps concentrée sur la fermeture de sites et sur le blocage d’adresses. Mais ces méthodes montrent aujourd’hui leurs limites : la circulation se fait par des liens éphémères et par des hébergeurs grand public ou des groupes fermés. Il ne s’agit donc non pas d’une structure massive que l’on peut démanteler, mais comme une somme de micro-pratiques difficiles à cibler. Alors, quels espoirs si la seule repression ne suffit pas ? Peut-être l’espoir réside dans le fait de repenser l’attractivité de l’offre légale et l’accessibilité à la culture elle-même. C’est déjà le cas, au vu des immenses efforts déployés autour du patrimoine culturel : cinémathèques, instituts nationaux et plateformes publiques investissent dans la restauration, la numérisation et la mise en ligne d’œuvres historiques. Et ces dépenses ne sont pas vaines : le succès de certaines plateformes publiques, les partenariats avec des archives, le travail de certains éditeurs de DVD montre qu’il existe bel et bien un public pour cette offre, à condition qu’elle ne soit pas fragmentée.
Raphael Dutemple
Sources :
Lawrence Liang, “Piratage, créativité et infrastructure : repenser l’accès à la culture”, Tracés. Revue de Sciences humaines, 26 | 2014, 183-202.
Lessig Lawrence, 2004, Free Culture : How Big Media Uses Technology and the Law to Lock Down Culture and Control Creativity, New York, Penguin Press.
Ces dernières années, le paysage de la pop mondiale a subi des mutations sans précédent. Alors que les frontières entre les genres musicaux et les marchés géographiques s’estompent, un nouveau girlsband phénomène vient bousculer les codes établis : Katseye. Ce groupe, composé de six jeunes femmes venant des quatres coins du monde est le résultat d’une ingénierie de précision : une collaboration historique entre le géant de la K-pop Hybe (le label du phénomène BTS) et le pilier américain Geffen Records. À travers le prisme de la téléréalité et d’une stratégie digitale et marketing agressive, Katseye redéfinit l’anatomie du girlsband moderne, conçu sur mesure pour et par son public.
Crédit : Warmtoned / Wikimedia Commons
La genèse : Le laboratoire « Dream Academy », héritage de la K-Pop
Tout commence en 2023 avec la diffusion d’un programme de télé-réalité, The Debut : Dream Academy. Cette émission, diffusée sur YouTube et Weverse, prend rapidement une ampleur phénoménale et est suivie en direct par des millions de spectateurs dans le monde entier. Le concept est inédit : nous suivons une vingtaine de jeunes filles sélectionnées parmi plus de 70 000 candidatures pour intégrer une formation intensive de chant et de danse à Los Angeles, calquée sur le modèle controversé des “idols” sud-coréennes : le « Trainee System ».
Contrairement aux groupes occidentaux traditionnels, Katseye est le résultat d’un véritable process de sélection et d’entraînement d’une rigueur quasi militaire. En effet, les candidates ont dû subir plus de deux ans de formation intensive à Los Angeles : cours de danse millimétrés, coaching vocal de haut niveau, mais aussi gestion de l’image et contrôle de la présence scénique. C’est ici que l’héritage de la K-pop est le plus prégnant : la performance n’est pas une option, c’est une exigence de perfection. Les membres du groupe n’ont pas été découverts, leur talent n’a jamais été caché, il a été « usiné » pour ne laisser aucune place à l’amateurisme.
Nous pouvons également noter que le training n’est pas le seul élément emprunté aux codes sud-coréens : le groupe ne fonctionne pas comme une entité uniforme mais bien comme une hiérarchie codifiée, système plébiscité par le public K-Pop. Chaque fille représente un rôle bien défini : la maknae (la plus jeune), la leader, la main vocalist, la main dancer…
La global pop : au delà de Séoul
Si la méthode de formation est coréenne, l’identité de Katseye est définitivement mondiale. C’est là que réside la nouveauté de cette variante. Hybe et Geffen n’ont pas cherché à créer un groupe de K-pop chantant en anglais, mais bien un groupe de pop occidentale à la hauteur des standards asiatiques. La composition du groupe est une leçon de géopolitique musicale : Sophie vient des Philippines, Lara est née en Inde, Manon est Suisse, Yoonchae vit en Corée du Sud, Daniela est originaire de Cuba et Megan est Chinoise. Chaque membre est une porte d’entrée vers un marché spécifique. Cette diversité n’est pas une simple façade inclusive, c’est un outil de pénétration globale qui permet au groupe de s’affranchir des frontières culturelles. Elles sont, par essence, des citoyennes d’un monde numérique où les algorithmes ne connaissent pas de pays. Cette composition permet à Katseye de s’affranchir des étiquettes : trop occidentales pour être de la K-pop pure, trop disciplinées pour être un girlsband américain classique. Elles occupent un espace tiers, celui de la « Global Pop ».
D’ailleurs, musicalement, Katseye navigue entre plusieurs eaux. Leur premier EP, SIS (Soft Is Strong), illustre cette dualité. Il contient des titres comme “Touch”, façonnés pour devenir viraux sur TikTok, comme des titres aux sonorités plus pop et universelles, comme le single “Gabriela”. Enfin, d’autres chansons comme “Gnarly” ou “Internet Girl”, présentent des sonorités plus proches de la K-Pop.
Crédit : 티비텐 TV10 / Wikimedia Commons
La téléréalité comme outil de narration et de drama
Le secret de l’engouement phénoménal connu par le girlsband ? L’implication du public dès le premier jour. Grâce à un système de vote mondial, les fans n’ont pas seulement regardé le groupe se former, ils en ont tout simplement choisi la composition, en sélectionnant chacune des membres de Katseye une à une. Cette stratégie crée un lien émotionnel et une fidélité immédiate, transformant les spectateurs en actionnaires affectifs du succès futur du groupe. En parallèle, l’aventure des candidates est documentée de manière plus intime dans la série Netflix Pop Star Academy, qui se concentre davantage sur le ressenti des jeunes filles, et sur les coulisses brutales de la formation : mécanismes de pression et de concurrences, tensions entre les candidates…
En 2O25, les labels semblent avoir compris que pour la Génération Z, l’authenticité est le facteur de succès principal. En exposant les failles des jeunes filles, on permet au public de s’identifier à elles. Les réseaux sociaux ont bien sûr eu leur rôle à jouer. Sur TikTok, les Katseye agissent comme de véritables influenceuses : lives, trends, interactions avec leurs commentaires… Les jeunes filles brisent la barrière du “quatrième-mur”, classiquement imposée par le média-training, séduisant ainsi une audience lassée des popstars trop lisses.
Un succès déjà tracé ?
Invitées sur les plus grands plateaux mondiaux, cumulant des millions de streams et des milliards de vues sur les réseaux sociaux, les Katesye confirment leur statut de phénomène mondial. Elles sont même approchées par des acteurs de l’industrie de la mode, qui y voient une opportunité pour relancer leur marque. Nous pouvons notamment citer la campagne de la marque GAP, qui a été vue plus de 400 millions de fois sur les réseaux sociaux.
« Elles représentent aussi l’archétype de la GenZ qui adore le Y2k, la mode des années 2000. Jean taille basse, haut en résille, basket montante, elles s’affichent même avec des téléphones à clapet dans leur clip. C’est pour ça que GAP, la marque phare des années 2000, les a choisies pour sa dernière campagne de pub. Les Katseye dansent en tenue GAP. La marque était un peu devenue has been ces dernières années mais grâce au groupe, leur pub a été vue plus de 400 millions de fois sur les réseaux. » – Manon Mariani pour France Inter
Les Katseye prouvent que leur modèle fonctionne : celui d’un groupe capable de performer avec un niveau de précision et de synchronisation parfait, tout se montrant authentiques et proches d’un public qui les a vu naître. Katseye est bien plus qu’un simple groupe de musique : c’est une étude de cas sur l’industrie musicale en 2025. En fusionnant l’expertise de Hybe et de Geffen, en utilisant la téléréalité comme un incubateur et en misant sur une diversité authentique, Katseye a réussi à se façonner un public avant même de sortir son premier album. Elles sont l’anatomie parfaite du girlsband du futur : mondiales, connectées, et portées par une communauté qui a l’impression d’avoir grandi avec elles.
Cependant, des défis subsistent. Le public et la critique s’interrogent parfois sur la pérennité d’un groupe aussi « fabriqué », d’un collectif dont les membres n’ont pas choisi de s’unir. L’avenir du groupe dépendra surtout de sa capacité à transitionner du statut de “produit de laboratoire” à celui d’une entité artistique autonome, mais également de la capacité des jeunes filles à transcender leur direction artistique imposée pour forger une alchimie sincère et des liens humains réels.
L’analyse grand public occidentale du cinéma chinois a longtemps reposé sur un mythe binaire : d’un côté, le cinéma d’État, riche et massif, de l’autre, l’auteur dissident, fauché et aidé par des subventions. L’export de ce cinéma chinois perçu comme binaire en demeure complexe même si la volonté se prononce de plus en plus fortement. On pense par exemple au film à succès Ne Zha 2 ( Yu Yang (Jiaozi)) que A24 ont tenté, sans réel succès, de distribuer aux États-Unis.
En revanche, le succès fracassant de Resurrection (Rǔ Yè), le troisième long-métrage de Bi Gan, vient pulvériser la grille de lecture binaire habituelle. Avec un Prix Spécial du Jury à Cannes et plus de 15 millions d’euros de recettes au box-office chinois en deux jours, ce film impose un nouveau modèle industriel : la joint-venture culturelle.
Il ne s’agit pas de charité artistique, mais d’une alliance stratégique froide et efficace entre la puissance de feu de la « Fan Economy » chinoise et les mécanismes de distribution français.
Huace & Jackson Yee : La « Locomotive » Domestique
Pour comprendre l’anomalie Resurrection, il faut d’abord regarder son bilan comptable. Contrairement aux précédents films d’auteurs chinois (souvent produits par de petites structures indépendantes), ce projet est piloté par Huace Pictures. Ce n’est pas un label art et essai, mais l’un des géants du divertissement privé en Chine, habitué aux séries TV à succès et aux blockbusters.
Initialement spécialisée dans la création de contenus pour le petit écran, la société Zhejiang Huace Film & TV a été fondée en 2005 à Hangzhou. Après être devenue la première entreprise du secteur à entrer en bourse en Chine en 2010, elle a diversifié ses activités pour devenir un acteur majeur du cinéma mondial via sa branche Huace Pictures. Le groupe produit aujourd’hui environ un millier d’épisodes de séries par an et s’est illustré au cinéma par le financement de projets d’envergure ainsi que par l’acquisition de droits de distribution à l’international. Son influence s’étend désormais à la production de films d’auteur reconnus, comme ceux de Bi Gan, tout en maintenant une position de leader dans l’industrie audiovisuelle chinoise.
L’apport de Huace ne se limite pas aux fonds, résidant dans l’intégration d’un actif stratégique majeur : Jackson Yee (Yi Yangqianxi). Pour l’industrie chinoise, Jackson Yee n’est pas seulement un acteur talentueux (Better Days, Full River Red), c’est une « IP » (Propriété Intellectuelle) humaine. Sa présence garantit mécaniquement une exposition massive.
En plaçant une telle superstar, accompagnée de l’icône Shu Qi, au cœur d’un film d’auteur radical, Huace a opéré un « dérisquage » industriel. Le studio a transformé un projet de niche (un thriller de science-fiction onirique) en un événement « incontournable » pour le grand public jeune. C’est cette puissance de frappe domestique qui a permis à Bi Gan de bénéficier d’un budget de production de niveau blockbuster. C’est par ailleurs une méthode de financement et distribution que l’on retrouve dans le monde entier: se garantir un minimum d’entrées et d’exposition à travers le star system. C’est une manière de se donner l’opportunité de prendre plus de risques artistiques sans en perdre tout espoir de financement (modèle de Mac Donald (1988)).
La France comme « Laboratoire et passeport »
Si le capital est chinois, pourquoi Bi Gan a-t-il maintenu sa collaboration historique avec CG Cinéma (Charles Gillibert) en France ?
Dans ce montage, le partenaire français n’est pas le « payeur », mais le « garant ». Face à un investisseur chinois puissant (Huace) qui pourrait être tenté de lisser le film pour en faire un produit de consommation courante, la co-production française joue un rôle de bouclier éditorial. Elle protège le « Final Cut » du réalisateur et assure l’intégrité artistique du projet.
Plus techniquement, la France a pu servir de hub de finition et de labelisation :
L’Excellence Technique : Une partie de la post-production (sound design, étalonnage complexe) a été gérée en Europe, apportant une « patine » visuelle et sonore qui distingue le film des productions CGI standardisées du marché chinois.
Le Sésame Cannois : C’est l’expertise de réseau de CG Cinéma et des Films du Losange (ventes internationales) qui a propulsé le film en Compétition à Cannes. Sans cette intervention, Resurrection aurait pu rester un gros succès local mais invisible pour la critique mondiale. La France a converti le capital économique chinois en capital symbolique global.
Resurrection marque la naissance d’un modèle hybride mature. L’industrie chinoise prouve qu’elle est désormais capable de financer ses propres auteurs sans attendre l’Europe, à condition d’y injecter ses propres stars (Star System). De son côté, l’industrie française se réinvente non plus comme « bailleur de fonds » unique, mais comme partenaire stratégique de curation et de positionnement.
Le film a réussi là où beaucoup ont échoué : il a satisfait l’exigence du critique international tout en remplissant les multiplexes de Shanghai. C’est le triomphe d’une intégration verticale transcontinentale.
“Et si on allait voir Super Mario Bros au cinéma ?” Il y a quelques années, cette question aurait surpris : Mario Bros, personnage emblématique de la multinationale japonaise Nintendo, est resté longtemps confiné aux consoles de la marque. Pourtant, en 2023 sort Super Mario Bros., le film, un film d’animation produit en collaboration avec Illumination, et le succès est immédiat. Devenu le film Illumination le plus rentable de tous les temps, il génère 1,36 milliard de dollars de recettes mondiales et un profit net de 559 millions de dollars.
Très vite, Nintendo met en avant sa volonté stratégique de se transformer en un acteur culturel global, à l’image de la Walt Disney Company. Il souhaite exploiter ses IP (Intellectual Properties) pour capter un public allant au-delà des joueurs de jeux vidéo. Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans un contexte de convergence des médias, un processus social et culturel modifiant la relation entre les technologies, les industries, les marchés et les publics. Il ne s’agit plus d’une substitution des anciens médias par les nouveaux, mais d’une interaction complexe et mutuellement enrichissante.
Adapter un jeu vidéo Nintendo au cinéma : succès garanti ?
À sa sortie, Super Mario Bros., le film est un phénomène mondial. Il enregistre le plus grand lancement de tous les temps pour un film d’animation à l’échelle mondiale (il est aujourd’hui quatrième de ce classement). En France, il domine le box-office en 2023 avec 7,15 millions d’entrées. Ce succès prouve que l’univers des jeux vidéo Mario peut fonctionner en dehors des consoles, confirmant la force de la marque comme pilier culturel.
Pourtant, Nintendo n’en est pas à son premier coup d’essai en termes d’adaptation de ses franchises au cinéma. Il s’essaie pour la première fois au genre en 1993, avec le film en prises de vues réelles Super Mario Bros. Mais le film connaît un échec cuisant. Super Mario Bros. est surtout resté célèbre pour son flop critique et commercial, ne rapportant que 40 millions de dollars dans le monde pour un coût de production de 50 millions de dollars. La cause ? Probablement une mauvaise maîtrise des valeurs de la marque. La version de 1993 est jugée trop éloignée de l’esprit des jeux, avec de grandes libertés prises par rapport au matériau original.
Il faut dire qu’adapter un jeu vidéo Mario au cinéma peut représenter un challenge. Les jeux vidéo de la franchise Mario ont souvent un scénario peu étoffé, ce qui les rend peu exploitables dans un long format au cinéma. Pourtant, Nintendo est parvenu à en tirer un film à succès en 2023. Comment ?
Reprendre la main sur une licence très appréciée
Pour éviter de reproduire l’échec de 1993 avec son nouveau film, Nintendo change de modèle. Le studio japonais veut désormais avoir la main sur le processus créatif et financier de ses films. Nintendo passe alors d’un simple modèle de licensing à une implication directe dans la production et le financement. Son objectif est de garantir la fidélité artistique et la cohérence avec l’univers original de chaque licence, tout en diversifiant ses sources de revenus et son modèle d’affaires.
Dans ce cadre, Shigeru Miyamoto, l’architecte du jeu Super Mario, a été fortement impliqué dans le processus de création de Super Mario Bros., le film. Ce dernier comporte de nombreuses références à Super Mario, et a été salué pour sa capacité à respecter les codes visuels et sonores emblématiques du jeu. Son scénario progresse via des niveaux thématiques forts (Donkey Kong, Mario Kart…) rappelant à tout fan de la licence les heures passées sur ces jeux. De son côté, Koji Kondo a signé une bande originale avec des easter eggs sous forme de thèmes orchestraux tirés des jeux. Les fans ont aussi apprécié retrouver certaines références au jeu original, comme le champignon qui rend Bowser minuscule, ou des scènes de combat de style Super Smash Bros.
Ces détails sont importants car l’attachement du public à cette licence est un autre facteur du succès de Super Mario Bros., le film. De manière générale, bon nombre de personnes connaissent les personnages Nintendo, sans être des gamers expérimentés, ce qui offre à Nintendo de belles opportunités pour de futurs films. Nintendo peut alors s’adresser simultanément à différentes couches d’audience, incluant des individus qui n’étaient pas encore des joueurs actifs, mais qui pourraient le devenir suite à leur visionnage du film. Le film réussit ainsi à brouiller les frontières traditionnelles entre les consommateurs de jeux et ceux de films. Il crée une valeur ajoutée où l’interaction entre les consommateurs (les discussions sur les références et l’univers) alimente l’industrie médiatique.
Construire un univers narratif cohérent en mobilisant la richesse de chaque média permet alors à Nintendo d’entretenir un cercle vertueux. En outre, le succès de Super Mario Bros., le film a eu un impact positif direct sur le cœur de métier de Nintendo : les ventes de titres Super Mario sur Nintendo Switch ont augmenté de 1,3 fois d’une année sur l’autre après la sortie du film, et les téléchargements d’applications mobiles Super Mario ont augmenté de 1,4 fois. Les films jouent donc un rôle crucial en tant que points de contact continus avec les consommateurs, servant à élargir la base de fans et à approfondir leur attachement aux propriétés intellectuelles de Nintendo.
Ces dernières ont donc un fort potentiel transmédia, ce qui pousse aujourd’hui Nintendo à vouloir les étendre dans d’autres canaux d’entertainment.
Vers un écosystème de divertissement global
Pour transformer ses licences en marques culturelles durables, Nintendo ne compte pas s’arrêter aux films. Ces derniers ne sont qu’une partie de sa stratégie d’expansion, comme le décrit Shuntaro Furukawa, le président de Nintendo : “Under our strategy of ‘expanding the number of people who have access to Nintendo IP’ to continuously invigorate our core integrated hardware-software business, we have been working on initiatives beyond our dedicated video game platforms for several years. Visual content is one such area.”
Dans ce cadre, Nintendo a récemment dévoilé sa nouvelle filiale Nintendo Stars Inc. qui a pour mission principale de gérer les extensions des adaptations cinématographiques Nintendo vers d’autres supports, tels que les événements en direct. Là encore, l’objectif est d’augmenter le nombre de personnes ayant accès aux IP de Nintendo. Cette nouvelle filiale est issue de la restructuration et du rebranding de l’ancienne co-entreprise Warpstar Inc., initialement fondée en 2001 pour gérer la franchise Kirby. Il ne faut pas confondre Nintendo Stars Inc. avec Nintendo Pictures, qui est le studio interne dédié spécifiquement à l’animation et à la capture de mouvements.
La stratégie d’expansion de Nintendo est donc menée dans un large éventail de domaines, incluant les parcs à thème, le merchandising, les appareils mobiles et le contenu visuel (cinéma). L’objectif de cette stratégie n’est pas seulement de créer des jeux, mais de proposer des expériences basées sur l’univers Nintendo qui ne sont pas limitées au jeu vidéo. Par exemple, il est possible de retrouver les héros phares du studio japonais dans le Super Nintendo World™ aux Universal Studios Hollywood, en Floride. Nourriture, attraction, décors immersifs : tout est pensé pour immerger les visiteurs dans l’univers de Mario, Luigi et de la Princesse Peach.
Et pour la suite ?
Le succès de Super Mario Bros., le film a confirmé à Nintendo qu’il devait construire un plan cohérent pour sortir régulièrement des films basés sur ses IP. C’est pourquoi une nouvelle création arrive en salle dès avril 2026, avec Super Mario Galaxy, le film, la suite de Super Mario Bros., le film. Un autre projet très attendu est le film en prises de vues réelles The Legend of Zelda, prévu pour mai 2027. Ce film sera co-produit par Shigeru Miyamoto et financé majoritairement par Nintendo, en collaboration avec Sony Pictures Entertainment, Inc. pour la distribution mondiale. Nintendo mise beaucoup sur la sortie de ce live-action car la licence The Legend of Zelda performe très bien depuis près de 30 ans, avec un regain d’intérêt particulier pour ses versions sur Nintendo Switch.
La ministre fédérale allemande de la Famille, Lisa Paus, essaie Zelda sur une Nintendo Switch à la Gamescom de 2023. (Photo de Leon Kuegeler/Photothek via Getty Images)
Le studio japonais a aussi indiqué travailler sur plusieurs adaptations cinématographiques à différents stades de développement. Parmi les franchises les plus citées pour ces futures adaptations, on retrouve Donkey Kong, Metroid, Animal Crossing ou encore Pikmin.
Reste à savoir si Nintendo parviendra à garder cet effet de “nouveauté” avec ses prochains films, tout en séduisant le public avec des héros moins populaires que son célèbre plombier moustachu.
Face à la concurrence féroce des plateformes de streaming et des réseaux sociaux, la télévision linéaire opère une mutation stratégique. Elle ne se contente plus de diffuser du divertissement. Elle absorbe les codes du jeu de société, du jeu vidéo et de l’escape game pour transformer le spectateur passif en acteur engagé. Analyse de cette convergence où l’économie de l’attention redessine les frontières du petit écran.
Crédit : IA générative / Google
Dans une économie de l’attention saturée, où le temps de cerveau disponible est disputé par TikTok, Twitch, YouTube ou les jeux mobiles, la télévision traditionnelle n’est plus seulement en concurrence avec elle-même. Pour capter un public volatil, les chaînes déploient une stratégie offensive qui repose sur la convergence absolue entre le programme de flux et l’univers ludique. Le jeu devient l’outil le plus efficace pour capter l’attention grâce à ses ingrédients intrinsèques. Le suspense, les règles simples, la récompense immédiate et la participation forment un cocktail irrésistible. Ce phénomène dépasse le simple marketing et relève d’un processus profond de mutation des contenus. L’objectif ? Combler le manque d’interactivité inhérent au petit écran par des dispositifs numériques et narratifs. Et plutôt que de lutter contre ces nouveaux usages numériques, les chaînes optent pour une stratégie ambitieuse : elles intègrent les codes du jeu directement dans leurs formats. De spectateur passif, le public est désormais convié à devenir un téléspectateur-joueur. Cette figure hybride incarne une participation active, mobilise l’attention et prolonge l’expérience au-delà de l’antenne.
Quand les jeux de société dictent des formats audiovisuels
Si la télévision a toujours puisé dans le vivier ludique, nous assistons aujourd’hui à une industrialisation de l’adaptation. Dès les années 1950 Des chiffres et des lettres s’inspirait du Scrabble et Télé Match du Jeu de l’Oie. Mais aujourd’hui, des formats comme Le Maître du Jeu (TF1), inspiré du Cluedo, ou Les Traîtres (M6) et Loups Garous (Canal+), tirés du célèbre jeu d’ambiance Les Loups-garous de Thiercelieux, envahissent les grilles. Arthur a également transformé le jeu de culture générale Tu te mets combien ? (TTMC) en émission 10 sur 10, combien tu te mets ?. Plus récemment, TF1 a aussi testé des adaptations de Code Names ou encore de Bataille navale, confirmant l’ancrage durable des jeux de société dans les stratégies de programmation télévisuelle.
L’industrie télévisuelle, confrontée à une fragmentation des audiences et à une prise de risque limitée, se tourne massivement vers des formats préexistants issus du monde du jeu. Cette tendance s’explique par une frilosité économique des diffuseurs. Développer un nouveau format de jeu coûte cher et le risque d’échec est élevé. Adapter un jeu de société vendu à 7 millions d’exemplaires (comme Loups-garous) ou 750 000 (pour TTMC) offre une base de fans préexistante et une mécanique validée.
Ces jeux fournissent une narration « clé en main ». Des règles claires, des obstacles identifiables, une tension dramatique et une récompense finale. Ils permettent, notamment pour des formats comme Les Traîtres, de mélanger fiction, feuilleton et télé-réalité en jouant sur des ressorts émotionnels puissants. La peur, la trahison et la survie sont au cœur de ces dispositifs.
Au-delà de l’aspect économique, ces adaptations visent à fédérer la famille devant un écran unique. Elles surfent sur des pratiques ludiques partagées par différentes générations, surtout depuis le regain d’intérêt pour les jeux de société post-Covid. Le marché français du jeu de société a fortement progressé. Il enregistre une croissance annuelle d’environ 15 % depuis une quinzaine d’années, créant un terrain fertile pour cette stratégie télévisuelle. Les chaînes misent sur un effet de reconnaissance transgénérationnel. Parents et enfants peuvent ainsi se retrouver autour d’un concept familier, qu’ils ont pratiqué ensemble lors de soirées en famille.
Du plateau télé à la table familiale
La convergence fonctionne dans les deux sens. Les chaînes de télévision ne se contentent plus de diffuser. Elles transforment leurs marques en produits jouables pour monétiser l’attention hors antenne et créer de la rejouabilité. Les adaptations de jeux TV en jeux de société permettent de transformer son salon en véritable plateau télé. Pour prolonger l’expérience au-delà de l’écran, les chaînes transforment leurs programmes en produits dérivés interactifs.
Les jeux de société tirés d’émissions ne sont pas de simples produits d’appel. Burger Quiz, Les 12 Coups de Midi, Vendredi tout est permis visent une immersion sonore et mécanique fidèle. The Wall, face au mur intègre un mur électronique pour reproduire la mécanique centrale de l’émission et Tout le monde veut prendre sa place respecte scrupuleusement les modes « Duo, Carré, Cash ». L’enjeu est de permettre au téléspectateur d’incarner le candidat, de valider ses compétences cognitives depuis son salon, de vivre l’adrénaline du plateau sans quitter sa table. Ces produits dérivés ne sont pas de simples gadgets. Ils reproduisent fidèlement les mécanismes de l’émission pour créer une continuité d’expérience entre l’écran et le réel.
L’aboutissement ultime de cette gamification est le passage du virtuel au physique immersif. L’émission Fort Boyard, pionnière du « jeu d’aventure », s’est déclinée en salles de jeu physiques (Fort Boyard Aventures). Développés avec les producteurs de l’émission, ces espaces reproduisent les cellules et les mécanismes du fort. Ici, la médiation de l’écran disparaît totalement. Le public pénètre dans des décors fidèles aux épreuves télévisuelles. Le téléspectateur ne joue plus par procuration. Il vit l’expérience sensorielle du programme dans sa chair. C’est la concrétisation totale de la promesse ludique : traverser l’écran.
Ce phénomène s’inscrit dans une tendance plus large d’expérientification du divertissement. À l’ère du numérique, paradoxalement, le public recherche des expériences tangibles, incarnées. Les escape games ont connu une croissance exponentielle. Près de 2500 salles existent aujourd’hui en France, témoignant de cet appétit pour des divertissements qui mobilisent le corps autant que l’esprit. En créant ses propres expériences physiques, la télévision tente de capter cette soif d’immersion tout en renforçant l’attachement émotionnel à ses marques.
Crédit photo : Fort Boyard Aventures via Facebook
La frontière avec le jeu vidéo s’estompe également. Les concepts historiques s’essoufflent ou doivent se réinventer pour séduire les nouvelles générations, nées avec une manette dans les mains. On voit ainsi des projets comme l’adaptation future d’Intervilles en jeu vidéo par Banijay. Ceci prouve que le flux télévisuel ne suffit plus. Il faut devenir une marque jouable, déclinable sur tous les supports. Cette mutation traduit une prise de conscience. Les codes narratifs du jeu vidéo (missions, niveaux, progression) sont désormais plus familiers aux jeunes publics que ceux de la télévision traditionnelle.
Le second écran : la nouvelle manette de la TV
Enfin, la convergence numérique tente de résoudre le paradoxe historique de la télévision : son unilatéralité. Historiquement, la télévision a tenté de faire jouer le public via le courrier, puis le téléphone et le Minitel pour les votes et les concours. Dès 1969, L’Arbalète de Noël permettait de guider une caméra par téléphone, et en 1992, Hugo Délire transformait le Minitel en manette pour diriger le célèbre troll à travers ses aventures.
Aujourd’hui, le smartphone est devenu la « manette » du téléspectateur. Des dispositifs comme les entraînements interactifs proposés sur l’application france.tv pour 100 % Logique, les QR codes affichés à l’antenne, les votes par SMS ou via applications, mais aussi l’existence d’applications de jeu dédiées pour certaines émissions comme Tout le monde veut prendre sa place ou Slam, permettent une participation en temps réel. Ils transforment le spectateur passif en « téléspectateur-joueur » actif. Cette interactivité n’est pas qu’un gadget. Elle répond à un objectif pragmatique pour les chaînes, celui de maintenir l’attention. En demandant au public de répondre à des questions ou de voter, on sollicite son attention visuelle et sa déduction cognitive. On l’empêche ainsi de zapper. L’interactivité numérique compense ainsi la linéarité rigide du flux télévisuel face à la flexibilité totale du streaming.
Ce processus se nomme la « ludicisation » : amener le spectateur à adopter une « attitude ludique », c’est-à-dire une distance et une conscience de jouer. Pour les chaînes, l’enjeu est vital : l’interactivité numérique doit compenser la linéarité du flux TV. La télévision cherche depuis longtemps à activer cette attitude, mais le smartphone lui offre enfin les moyens techniques de ses ambitions interactives.
La gamification du divertissement TV n’est donc pas une simple mode, mais une réponse structurelle à une crise de l’attention. Dans un contexte de pression économique et culturelle intense (baisse des recettes publicitaires, concurrence des plateformes, transformation des pratiques médiatiques), la télévision linéaire tente de retrouver sa raison d’être originelle. En brouillant les pistes entre spectateur et joueur, entre écran et plateau, entre virtuel et physique, la télévision espère redevenir ce qu’elle fut à ses débuts : un foyer d’expérience collective, qu’elle se vive manette en main, pions sur la table, ou smartphone devant les yeux.
Reste à savoir si cette télévision ludifiée pourra, à long terme, recréer un véritable rendez-vous collectif dans un paysage médiatique de plus en plus éclaté.
Imaginez un monde où un simple clic peut transformer un mensonge en réalité virale. Un monde où des vidéos de candidats sont créées de toutes pièces, où des messages politiques sont envoyés automatiquement à des millions de personnes ciblées par leurs centres d’intérêt ou leur âge, et où les algorithmes des réseaux sociaux décident de ce que vous voyez, et de ce que vous ne voyez pas.
Depuis 2016, avec l’affaire russe et Cambridge Analytica aux Etats-Unis, nous savons que les élections peuvent être influencées via la manipulation grâce à l’utilisation des données personnelles. En 2020, lors des élections présidentielles aux Etats-Unis, l’automatisation et les premières tentatives de deepfakes ont montré la montée en puissance des technologies. En 2024, l’intelligence artificielle est devenue un acteur central, capable de générer et diffuser du contenu politique à une échelle auparavant inimaginable.
Alors, comment l’IA reconfigure-t-elle les stratégies d’influence politique et les responsabilités des acteurs médiatiques et numériques lors des élections américaines de 2024 ?
@ Getty images
L’IA : un accélérateur de la guerre informationnelle
La guerre informationnelle ne constitue pas un phénomène nouveau dans le champ politique, mais l’intelligence artificielle en modifie profondément l’ampleur, la vitesse et les modalités. Alors que les campagnes de désinformation reposaient historiquement sur des interventions humaines relativement limitées, l’IA permet aujourd’hui une industrialisation de la manipulation de l’information.
Les technologies de génération de contenus (textes, images, sons et vidéos) rendent possible la création de messages politiques crédibles, personnalisés et massivement diffusables à faible coût. Les deepfakes, en particulier, incarnent cette rupture technologique : ils permettent d’attribuer à des candidats des propos ou des comportements fictifs, brouillant la frontière entre réel et artificiel. Lors de l’élection présidentielle américaine de 2024, ces contenus ont renforcé la défiance envers l’information politique et fragilisé la capacité des citoyens à distinguer le vrai du faux. Par exemple, il y a eu un deepfake vocal de Joe Biden appelant à ne pas voter aux primaires démocrates, mais aussi des images générées montrant Donald Trump entouré de supporters afro-américains, ou encore des faux visuels anti-Clinton ou anti-immigration attribués aux démocrates.
L’objectif n’est donc pas de convaincre, mais de désorienter et saturer l’espace public, en instaurant un doute généralisé : une zone grise où la distinction vrai/faux devient floue, une sorte de « brouillard informationnel ». La conséquence n’est pas seulement la diffusion de fausses informations, mais bien une perte de confiance qu’ont les citoyens en les médias.
Par ailleurs, l’IA ne se limite pas à la production de contenus. Elle intervient également dans leur diffusion automatisée, via des réseaux de bots capables d’interagir, de commenter et de relayer des messages à grande échelle. Cette automatisation crée un effet de volume et de répétition, essentiel dans les stratégies de désinformation, en donnant l’illusion d’un consensus ou d’une popularité artificielle autour de certaines idées. L’échelle est nouvelle : un individu équipé d’IA peut produire ce qui nécessitait autrefois une équipe entière. Avant les élections de 2024, on observait déjà des tactiques, telles que les affaires Team Jorge, mais elles ont été perfectionnées : les bots générant des réponses crédibles grâce au langage naturel, la personnalisation automatique des messages selon les communautés (âge, religion, genre, géolocalisation), mais aussi des campagnes synchronisées sur TikTok, X, Instagram et YouTube. De plus, un nouveau levier a été utilisé : celui de WhatsApp, ce qui permet de créer un lien de proximité avec l’électorat, comme on le voit dans le documentaire Arte High School Radical, avec une sollicitation quotidienne de la part des deux partis en lice.
Les recherches sur la réception montrent cependant que ces dispositifs n’agissent pas de manière uniforme. Les publics déjà politisés, polarisés ou défiants envers les médias traditionnels sont davantage exposés à ces contenus et plus enclins à les relayer. Les fake news et deepfakes ne convertissent donc pas massivement de nouveaux électeurs, mais renforcent des opinions préexistantes, contribuant à la radicalisation des discours et à la polarisation de l’espace public, plutôt qu’à une conversion idéologique directe. L’IA devient ainsi un levier stratégique majeur de la guerre informationnelle, non plus marginal, mais central dans les dynamiques électorales contemporaines.
@ Arte.tv
Les réseaux sociaux, nouvelles infrastructures du débat public
Si l’intelligence artificielle constitue l’outil, les plateformes numériques et les infrastructures télécoms en sont le vecteur principal. Les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans la circulation de l’information politique, en particulier aux États-Unis, où ils représentent une source d’information majeure pour une large partie de la population. Certaines figures comme Elon Musk ont eu un rôle majeur pendant ces élections.
Les algorithmes de recommandation, conçus pour maximiser l’engagement des utilisateurs, favorisent souvent les contenus polarisants ou émotionnels. Cette logique économique, fondée sur l’attention, entre en tension avec les exigences démocratiques. L’IA, intégrée au cœur de ces algorithmes, participe à une hiérarchisation opaque de l’information : les contenus les plus clivants, simplifiés ou sensationnalistes bénéficient d’une visibilité accrue, indépendamment de leur véracité. Cette logique influence indirectement la perception politique des électeurs, sans intervention humaine explicite.
Alors, l’enjeu réside dans la capacité des infrastructures à soutenir une diffusion massive, instantanée et transnationale des contenus. La rapidité des réseaux, combinée à l’automatisation algorithmique, réduit considérablement le temps de réaction des autorités, des médias traditionnels et des dispositifs de fact-checking.
Les plateformes se trouvent ainsi dans une position stratégique ambivalente : à la fois acteurs économiques, intermédiaires techniques et régulateurs de facto de l’espace public numérique. Lors des élections de 2024, certaines ont mis en place des dispositifs de modération ou de signalement de contenus générés par IA. Toutefois, ces mesures restent limitées par la complexité technique des outils, la difficulté de détection automatisée et la crainte d’atteintes à la liberté d’expression. Cette centralité des plateformes dans la circulation de l’information pose directement la question de leur responsabilité politique et juridique.
La régulation à l’épreuve de la vitesse numérique
L’utilisation de l’intelligence artificielle dans les campagnes électorales pose des défis majeurs de gouvernance, tant pour les États que pour les acteurs privés du numérique. La question centrale n’est plus seulement technologique, mais profondément managériale et politique : qui est responsable des usages de l’IA dans l’espace informationnel ?
Les plateformes numériques revendiquent souvent un rôle d’intermédiaires techniques, tandis que les pouvoirs publics peinent à imposer des cadres réglementaires adaptés à la rapidité de l’innovation. Aux États-Unis, la régulation demeure faible, laissant une large place à l’autorégulation des entreprises technologiques. À l’inverse, l’Union européenne tente d’imposer un cadre plus contraignant avec le Digital Services Act, qui oblige les plateformes à plus de transparence algorithmique, à la coopération avec les chercheurs et à la mise en place de mécanismes de signalement renforcés. Toutefois, ces dispositifs restent en tension avec la rapidité de circulation des contenus et la sophistication croissante des outils de manipulation. Alors, l’IA impose une redéfinition des stratégies de contrôle, de transparence et d’éthique.
Enfin, l’élection présidentielle américaine de 2024 met en lumière la nécessité d’une gouvernance hybride, associant États, plateformes, médias et société civile. Sans coordination internationale et sans cadre clair, l’intelligence artificielle risque de renforcer durablement les asymétries informationnelles et d’éroder la confiance dans les processus démocratiques. L’enjeu n’est donc plus seulement de détecter ou de supprimer les contenus trompeurs, mais de préserver les conditions mêmes d’un débat public démocratique. Dans un espace saturé de contenus artificiels, la capacité à débattre, à faire confiance à l’information et à exercer un jugement critique devient un défi central pour les démocraties contemporaines.
Sources : R. Badouard, Les Nouvelles lois du web: Modération et censure (2020) et cours suivis à l’Institut Français de Presse (2023-2024) M. Laulom, High School Radical (2025) – documentaire Ensemble des réseaux sociaux de Donald Trump et Kamala Harris CISA, rapport sur les deepfakes électoraux (disponible ici)
La « guerre du streaming » n’est pas seulement celle des prix ou des exclusivités, c’est une guerre pour notre attention. Dans cet écosystème informationnel saturé, le paradoxe n’est plus l’accès au contenu, mais la capacité à choisir.
Nous faisons tous l’expérience de « l’embarras du choix », cette fatigue décisionnelle analysée par le psychologue Barry Schwartz en 2004 comme le « paradoxe de l’abondance » : trop de choix mène à la paralysie et à l’insatisfaction. Face à un catalogue algorithmique de 10 000 titres, l’utilisateur se sent perdu. C’est dans cette brèche que s’engouffrent les plateformes de niche. C’est le cas de Shadowz, la plateforme française de SVOD entièrement dédiée au cinéma de genre et d’horreur, lancée en 2020.
Comment une « petite » plateforme thématique peut-elle non seulement exister, mais prospérer dans cet écosystème hyper-concurrentiel ? Cet article postule que le succès de Shadowz repose sur une stratégie délibérée d’hyper-éditorialisation. En substituant la curation humaine à l’algorithme opaque, Shadowz ne vend pas seulement des films : elle vend un point de vue, une expertise et un sentiment d’appartenance. Elle oppose à l’automatisation de la découverte un modèle communautaire et éditorialisé.
Le pari de la complémentarité
Contrairement à un nouvel entrant qui chercherait à détrôner les leaders, Shadowz s’est positionné d’emblée comme un complément. Son identité s’est construite sur un ADN précis : « fait par des passionnés, pour des passionnés ». Cette affirmation n’est pas un simple slogan marketing, elle est le fondement de son lancement. Née d’une campagne de financement participatif sur Ulule qui a atteint plus de 300% de son objectif, la plateforme a validé son concept et prouvé l’existence d’une demande communautaire avant même d’écrire sa première ligne de code. Ce n’est pas un capital-risque qui a financé une idée, c’est une communauté qui a plébiscité un projet.
Cette passion est structurée par une expertise technique et sectorielle. Shadowz est portée par VOD Factory, une société spécialisée dans la création de plateformes SVOD en marque blanche. Ses fondateurs, dont Christophe Minelle, et son responsable éditorial, Aurélien Zimmermann, ne sont pas seulement des cinéphiles ; ils sont des professionnels de la distribution numérique. Ils allient la culture du genre à la maîtrise de la « platform economy ». Cette double compétence leur permet de déployer une stratégie précise. D’une part, un modèle économique pensé pour le « multi-abonnement » : un prix bas (4,99 €/mois) qui ne force pas l’utilisateur à choisir entre Netflix et eux. D’autre part, un catalogue qui ne vise pas l’exhaustivité, mais la pertinence. Avec environ 500 titres disponibles à la fin de l’année 2024, la valeur de Shadowz réside dans ce que les autres n’ont pas : des classiques introuvables, des pépites de festivals et des raretés oubliées.
Plus important encore, Shadowz a opéré un pivot stratégique en devenant elle-même distributrice. En acquérant les droits français de films inédits (les « Shadowz Exclu »), la plateforme sort de son rôle de simple diffuseur pour devenir éditrice. Cette intégration verticale, bien que modeste, est cruciale. Elle se prolonge hors ligne, avec la co-édition de Blu-ray et l’organisation de projections événementielles. Shadowz ne se contente pas de streamer des films ; elle les fait exister, leur donne une vie physique et sociale, et participe à la préservation d’un patrimoine cinématographique de niche.
@Shadowz
La stratégie éditoriale : miser sur la Long Tail
La stratégie de catalogue de Shadowz est une application directe, et paradoxalement plus fidèle que ses concurrents, de la théorie de la Long Tail (Anderson, 2006).
Chris Anderson postule qu’à l’ère numérique, les coûts de stockage et de distribution quasi nuls permettent aux entreprises de générer un revenu substantiel non plus seulement avec les « hits » , mais en vendant de petites quantités d’un très grand nombre d’articles de niche. Si Netflix, à l’époque de la location de DVD, fut l’exemple phare d’Anderson, son modèle SVOD actuel a largement abandonné cette logique. Pour retenir 200 millions d’abonnés, Netflix doit désormais produire des programmes globaux tels que Stranger Things, qui agissent comme des produits d’appel et des différenciateurs massifs. La Long Tail des vieux films, coûteuse en droits de licence fragmentés, est devenue secondaire. Shadowz prend le contre-pied radical : son modèle économique n’existe que dans la Long Tail du cinéma de genre. Dans un monde où « tout est disponible » (théoriquement), la valeur n’est plus l’accès, mais le filtre. L’infinité de la Long Tail est anxiogène ; Shadowz propose d’en être le curateur de confiance. La nouvelle rareté n’est pas le contenu, c’est le temps et la confiance.
« L’idée n’est pas d’avoir 5000 films, mais d’avoir une sélection qui a du sens. […] On se plaît à confectionner un édito poussé qui parlera aux fans de genre. » – Aurélien Zimmermann
Cette curation transforme la plateforme en « éditeur » au sens noble du terme. L’équipe éditoriale ne se contente pas d’agréger du contenu ; elle le sélectionne, le contextualise et le défend. Elle crée une ligne éditoriale claire, chose que les plateformes généralistes, dépendantes d’accords de licence globaux et d’algorithmes cherchant le plus petit dénominateur commun, ne peuvent ou ne veulent plus faire (Gillespie, 2018). C’est une économie de la qualité contre une économie de la quantité.
Le système de recommandation : L’anti-algorithme
C’est sur le terrain de la recommandation que la rupture est la plus flagrante. Le système de Shadowz est une réfutation directe du modèle de la « boîte noire » algorithmique.
Les plateformes dominantes utilisent des algorithmes de recommandation sophistiqués dont l’objectif premier est la rétention : prédire ce que l’utilisateur est susceptible d’aimer pour maximiser le temps passé sur la plateforme. Ce faisant, elles risquent de créer ce qu’Eli Pariser a nommé la « Bulle de Filtre ». L’algorithme n’est pas passif ; il est actif. Il n’optimise pas pour la découverte ou l’enrichissement culturel, mais pour la satisfaction immédiate et la minimisation des désabonnements.Shadowz oppose à ce modèle opaque un système de recommandation humain, transparent et multi-couches. Comme l’analyse T. Gillespie dans Custodians of the Internet, les plateformes ne sont jamais neutres : elles façonnent activement ce que nous voyons. Shadowz assume ce rôle de « gardien » de manière explicite. Le système de recommandation de Shadowz s’articule d’abord autour d’une taxonomie détaillée qui sert d’outil de navigation principal. Il faut oublier les catégories génériques comme « Horreur » ou « Thriller » ; les films sont classés par sous-genres ultra-précis, allant du « Giallo » au « Folk Horror », en passant par le « Body Horror », le « Rape & Revenge » ou même les « Nouveaux Extrémismes Français ». Cette classification dépasse la simple métadonnée pour devenir un véritable outil pédagogique. Elle n’est pas seulement un tag, elle est une langue partagée avec la communauté, un lexique qui guide l’utilisateur, lui apprend le vocabulaire spécifique du genre et l’invite à explorer des filiations cinématographiques (Zimmermann, 2022). Cette approche est complétée par l’incarnation de la recommandation. Plutôt que de proposer la formule algorithmique « Parce que vous avez regardé… », Shadowz offre des « Cartes Blanches ». La recommandation n’est plus un calcul, elle est confiée à des personnalités identifiées : des réalisateurs comme le duo Bustillo & Maury, des critiques de Mad Movies, ou des vidéastes reconnus tel Le Fossoyeur de Films. La confiance n’est plus accordée à un code opaque, mais à une expertise humaine reconnue par la communauté. Enfin, ce système est enveloppé dans un contexte éditorial riche. Chaque film est accompagné de fiches détaillées, de textes explicatifs et d’anecdotes, tandis que la newsletter et les réseaux sociaux ne poussent pas des suggestions personnalisées, mais des « coups de cœur » éditoriaux, toujours argumentés, s’apparentant à des micro-critiques.
@Shadowz
En agissant ainsi, Shadowz brise la bulle de filtre. L’objectif n’est pas la rétention à tout prix, mais la sérendipité : la découverte heureuse et fortuite de ce que l’on ne cherchait pas. L’algorithme de recommandation classique est, par définition, l’ennemi de la sérendipité. Il est conçu pour optimiser un chemin, pour prédire un comportement et éliminer l’accident. La curation humaine, à l’inverse, réintroduit ces imprévus fertiles. Les titres mis en avant par Shadowz peuvent sembler totalement décorrélés de l’historique de visionnage de l’utilisateur. C’est précisément cette rupture qui crée la découverte. En n’étant pas entièrement personnalisée, la page d’accueil permet à l’utilisateur de tomber sur une collection historique, une thématique (« Horreur et Politique ») ou un film dont il n’a jamais entendu parler. Shadowz fait le pari de l’intelligence et de la curiosité de son public.
Vers un écosystème de niche ?
Shadowz est la preuve de la viabilité d’un modèle de SVOD alternatif dans un marché que l’on croyait saturé. Sa réussite s’explique par son refus stratégique du modèle algorithmique dominant, au profit d’une hyper-éditorialisation qui place l’expertise humaine au centre de la proposition de valeur. En exploitant intelligemment l’idée de la Long Tail et en substituant la curation incarnée à la « Bulle de Filtre », la plateforme ne se contente pas de divertir une niche : elle l’anime, l’éduque et la fédère.
L’avenir de la SVOD n’appartiendra peut-être pas à un unique vainqueur, mais à une constellation de plateformes spécialisées, comme MUBI pour le cinéma d’auteur ou Tënk pour le documentaire. Ces acteurs, en préférant la pertinence d’une communauté à la largeur d’une audience, encouragent le développement de la curiosité culturelle.
Dimitri SCHEM
Sources :
Anderson, C. (2006). The Long Tail: Why the Future of Business Is Selling Less of More. Hyperion.
Gillespie, T. (2018). Custodians of the Internet: Platforms, Content Moderation, and the Hidden Decisions That Shape Social Media. Yale University Press.
Pariser, E. (2011). The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You. Penguin Press.
Dimanche 5 octobre 2025. Le soleil se couche sur le circuit Bugatti du Mans. Des dizaines de milliers de fans s’amassent au pied du podium sur lequel 24 personnalités d’Internet, créateurs de contenus et rappeurs, célèbrent la fin d’une aventure unique. Derrière leur écran, ce sont plusieurs millions de spectateurs qui suivent en simultané sur Twitch ou France 2 les derniers instants de ce week-end historique : la dernière édition du GP Explorer. “The Last Race”.
Le GP Explorer, lancé en 2022 par Lucas Hauchard (Squeezie), est une course de Formule 4 mettant en compétition des personnalités du Web regroupées en écuries, lors d’un événement physique sur le circuit des 24h du Mans. Pour marquer le coup, cette troisième et dernière édition s’étend sur trois jours, reprenant le modèle d’un week-end de F1 complet : essais libres, course sprint, qualifications, grand prix.
Forts des deux premières expériences, Squeezie et ses équipes avaient toutes les clés en main pour faire entrer « The Last Race » au panthéon de l’Internet Français – et même mondial. Pari réussi pour le youtubeur de 29 ans, qui s’érige aujourd’hui en symbole d’une nouvelle ère médiatique.
Bien plus qu’une simple course automobile, retour sur le GP Explorer 3, cet ovni hybride, preuve que les créateurs d’Internet ont conquis la capacité de production, la légitimité et la suprématie narrative des médias traditionnels.
Le triomphe de l’auto-entrepreneur média
En 2017, invité sur le plateau de “Salut les Terriens” pour faire la promotion de son livre, Squeezie était interrogé – non sans condescendance – sur la nature de son métier : “vous vous filmez en train de jouer aux jeux vidéos, et vous gagnez de l’argent”, “on en a vu des branleurs dans l’émission, mais celui-là [Squeezie] il est magnifique”.
Aujourd’hui à la tête de plusieurs sociétés (Yoko, Ciao Kombucha, Gentle Mates…) et d’un empire de plusieurs millions d’euros, Squeezie n’a plus rien de l’adolescent qui se filmait en jouant à Dofus depuis sa chambre ; et s’impose comme une figure médiatique majeure qui n’a rien à envier à la télévision.
Le GP Explorer est une aventure entrepreneuriale inédite, qui réinvente l’événementiel “façon Internet”, en plaçant le sponsoring au coeur du modèle financier. Chaque écurie est sponsorisée par une entreprise, et l’événement en lui-même est accompagné par des dizaines de partenaires, qui bénéficient de mises en avant variées (aussi bien physiques avec des stands sur place, que virtuelles avec des placements de produits dans les vidéos). La troisième édition était suivie par près d’une cinquantaine de partenaires, parmi lesquels Netflix, Samsung ou encore Lego. Les multinationales se bousculent pour accéder à une part du gâteau. Cette stratégie permet à Squeezie de financer son événement grâce à son audience ultra-attractive, tout en maintenant un prix abordable sur la billetterie (jusqu’à 85€ pour les places en tribune) : c’est la signature de l’économie de plateforme, monétiser l’attention agrégée plutôt que l’accès exclusif au contenu.
Malgré tout, avec plus de 200 000 participants, la billetterie uniquement a permis d’engranger plus de 13 millions d’euros, un bond colossal comparé aux éditions précédentes qui ne se tenaient que sur un jour et à jauge réduite. Squeezie confiera d’ailleurs dans un live que seule cette dernière édition du GP était rentable. Avec un budget d’une dizaine de millions d’euros et près de 5000 personnes impliquées sur le projet, Lucas Hauchard démontre une fois de plus qu’il ne s’agit plus uniquement de faire des vidéos : le GP Explorer est devenu une véritable marque (déposée !) et une success story entrepreneuriale.
Dès la première édition, Squeezie a bénéficié du soutien des institutions du secteur automobile. Accueilli sur le mythique circuit du Mans par l’Automobile Club de l’Ouest et accompagné par la Fédération Française du Sport Automobile, le projet a bénéficié de l’expertise de véritables professionnels (coachs, ingénieurs…) qui ont formé les participants. Alpine (gamme de véhicules sportifs de Renault) sponsorise chaque année une écurie, et a même fait venir ses pilotes de F1 Esteban Ocon et Pierre Gasly lors de la deuxième édition pour une démonstration en piste. Cette année, symbole du graal ultime pour tout passionné, c’est la Scuderia Ferrari qui a posté un message de soutien sur ses réseaux sociaux au début du week-end.
Du côté des médias traditionnels, cette troisième édition est historique car elle était, pour la première fois, retransmise en direct à la télévision sur France 2, France 4 et France.tv. Pour les créateurs d’Internet qui peinaient encore il y a quelques années à être pris au sérieux, c’est la consécration. La reconnaissance par les médias traditionnels demeure, aujourd’hui, le point central de légitimation de leurs activités.
Sans pour autant délaisser Twitch, qui diffuse l’entièreté du week-end et culmine à près d’1.4 millions de viewers (record national), Squeezie investit donc la télévision linéaire pour attirer un nouveau public et une légitimité qui ne lui était jusqu’alors que partiellement accordée. Pour France Télévisions, c’est du pain béni. L’événement touche 6.7 millions de téléspectateurs sur l’ensemble du week-end (pic à 1.6 millions) et contribue à rajeunir grandement son public, avec 39.5% de part d’audience sur les 15-34 ans. Le GP réalise d’ailleurs un meilleur score que le GP de Singapour de F1, diffusé le même jour sur Canal+.
D’après Baptiste Brossillon, chercheur à l’université Paris-Saclay et spécialiste des liens entre le sport professionnel et le divertissement, cette retransmission télévisée est loin d’être anodine : “Il y avait déjà des diffuseurs intéressés dès la première édition. Mais en termes de storytelling […], c’était mieux de commencer en disant «Regardez, on s’est fait tout seul, voyez ce qu’on est capable de faire». Si la première édition avait été diffusée sur une grande chaîne ou plateforme, l’image de l’événement n’aurait pas été la même.” Le choix du service public est également un moyen de lisser son image : la vente des droits de diffusion n’aurait pas été faite pour l’argent, mais pour la reconnaissance symbolique (“on a réussi à faire quelque chose de tellement grand qu’on passe à la télé”).
Un pari politique et marketing gagnant-gagnant donc, qui pourrait bien ouvrir la voie à d’autres créateurs.
Une véritable saga médiatique
Mais si le modèle économique et l’approbation des institutions y contribuent, ce qui fait le succès du GP Explorer, d’après Baptiste Brossillon, c’est avant tout son ADN narratif. L’ensemble du processus est storytellé.
À l’origine, ce projet part d’un pari fou lancé lors du ZEvent 2020 par Squeezie pour encourager les dons. La première édition est donc le récit extraordinaire d’un événement “fait par des mecs d’Internet, pour des mecs d’Internet”. La deuxième édition, c’est l’argument sportif, l’idée de la revanche pour les pilotes qui ont goûté à la compétition et ont faim de prouver de quoi ils sont capables.
Extrait de la vidéo “L’histoire du projet le plus fou de ma vie”, postée sur la chaîne Youtube de Squeezie à l’issue du premier GP Explorer
La troisième édition, c’est la dernière : “The Last Race”. Il faut s’arrêter au sommet, avant de provoquer la lassitude. Narrativement, c’est fort, et stratégiquement, cela permet de créer de la rareté dans un univers médiatique où l’offre est infinie. En annonçant la fin, Squeezie crée un produit non reproductible, augmentant la pression médiatique, l’urgence de participation (billetterie), et l’intensité émotionnelle de la consommation médiatique.
Et c’est l’excuse parfaite pour mettre le paquet : un week-end complet, une course surprise avec les vainqueurs des éditions précédentes, un vol de la patrouille de France, une ouverture internationale avec des écuries espagnoles et américaines et une diffusion locale, deux soirs de concerts avec un line-up digne des plus grands festivals (SDM, Théodora, Vladimir Cauchemar…), et pour couronner le tout : un album entier produit par le rappeur à succès SCH, réunissant plus d’une vingtaine d’artistes français.
Ainsi, chaque étape de l’aventure est événementialisée : reveal des écuries, des livrées, des casques, bande-annonce… Mais le cœur du récit ne se passe pas sur le compte officiel du GP Explorer. Ce sont les participants eux-mêmes qui contribuent à alimenter l’univers qui se crée autour de l’événement. Chaque pilote est un média, accompagné de son cadreur. Chaque session d’entraînement fait l’objet d’un vlog, d’un live, de stories ou de posts. Chacun raconte l’aventure de son point de vue, les récits s’entrecroisent, les spectateurs sont immergés au plus près des garages. Internet étant un petit milieu, le GP est fréquemment mentionné dans des vidéos qui n’ont rien à voir, et des personnalités ne participant pas à l’événement contribuent à alimenter l’engouement : ainsi, on a pu voir Léna Situations se rendre à un week-end d’entraînement pendant ses Vlogs d’Août, et Hugo Décrypte couvrir assidûment le projet sur sa plateforme d’actualités.
Cette production massive et coordonnée de contenus témoigne d’une stratégie d’hyper-alimentation algorithmique et de synergie cross-plateformes, assurant une visibilité constante et prolongeant le cycle d’attention.
Dès lors, le GP Explorer 3 est bien plus qu’un simple week-end de course. L’événement n’est qu’un point d’orgue ; le véritable produit, c’est cette campagne algorithmique coalimentée par des dizaines de créateurs, une saga médiatique qui s’étend sur plusieurs années.
La clé du succès repose donc en partie sur la concentration d’influenceurs, véritables marques humaines capables de mobiliser leur communauté. Le choix des participants n’est donc pas anodin. Stratégiquement, Squeezie fait appel à des personnalités aux horizons différents (influenceuse, gamer, rappeur) pour attirer des communautés qui ne se croisent pas habituellement, mais toutes reliées par la culture Internet. Ainsi, il réunit des cultures autrefois peu valorisées par les institutions tout en prouvant qu’elles sont aujourd’hui au coeur de l’industrie du divertissement.
Un nouveau public : la génération Internet
Cette stratégie du co-branding fonctionne parce que Squeezie a compris qu’il ne s’adressait évidemment pas aux fans de sports mécaniques : d’après une radiographie du réseau mobile d’Orange, 55% des spectateurs avaient moins de 35 ans et l’audience était mixte, avec 47% de femmes.
En effet, le cœur de cible de l’événement, c’est la génération Internet. Nés entre 1990 et 2010, ce sont les adolescents et jeunes adultes qui ont grandi avec les personnalités du Web, les premiers youtubeurs et influenceurs, et qui sont aujourd’hui indépendants, avec un pouvoir d’achat, et seraient donc prêts à payer pour voir leur créateur de contenus préféré courir au Mans.
On constate que le public était également grandement familial, avec 20% de mineurs, souvent accompagnés d’un ou plusieurs de leurs parents. Pour beaucoup, ce week-end était l’occasion d’une sortie en famille, preuve qu’Internet transcende aujourd’hui les générations et est capable de fédérer, au même titre qu’une émission télévisée ou que les grands événements sportifs.
Âge des visiteurs français pendant le GP Explorer 3 Sources : Flux vision – Orange Business / Sarthe Tourisme
L’apogée du sportainment
Ainsi, le GP Explorer s’inscrit dans un mouvement global où le divertissement et le spectacle sportif remplacent peu à peu les sports professionnels. Les nouveaux acteurs digitaux entrent dans la compétition aux retransmissions sportives et s’affranchissent des règles pour dynamiser les rencontres. Exemple probant : la Kings League de Gérard Piqué, des matchs de football de 40 minutes disputés à 7 joueurs et diffusés en streaming.
Les fans ne sont donc pas là tant pour les performances sportives que pour voir leur créateur préféré rouler. Comme le dit Baptiste Brossillon, la formule n’est pas « un sport qu’on a rendu plus divertissant » mais « un divertissement sur base sportive ».
La fin de l’amateurisme sur le Web
Ainsi, le GP Explorer a largement dépassé les frontières d’Internet, devenant un véritable phénomène culturel qui a marqué une génération entière. Le projet de Squeezie tire la sonnette d’alarme pour les médias traditionnels, et marque un tournant dans l’histoire médiatique.
L’événement symbolise la réussite insolente de créateurs qui, partant de simples plateformes numériques, ont réussi l’exploit de s’approprier des événements d’une envergure digne des plus grands rendez-vous sportifs. Avec des budgets, une logistique et une production approchant celles de la télévision traditionnelle, ces “petits mecs d’Internet” ont démontré qu’ils pouvaient tout produire. Et si ces programmes pensés à l’origine pour le Web s’inspirent autant des formats TV, ils n’en restent pas moins fidèles à leurs propres codes et au lien direct qu’ils ont avec leur communauté, une authenticité qui est, de loin, leur plus grand levier de puissance.
MultiChoice compte plus de 23,5 millions d’abonnés dans 50 pays africains. (ShutterStock)
Au-delà de cette posture offensive, l’acquisition d’un tel acteur – le dernier de cette envergure encore disponible – est également défensive, visant à sécuriser une position face à l’accélération des plateformes globales. Cette fusion d’actifs donne naissance à un supergroupe panafricain fédérant plus de 40 millions d’abonnés dans près de 70 pays. L’intégration est hautement stratégique : elle permet à Canal+ de compléter sa domination historique sur l’Afrique francophone avec l’emprise de MultiChoice sur les marchés anglophones et lusophones. Ce « beau puzzle » contrôle désormais, aux côtés du chinois StarTimes, environ 90 % des parts de marché de la télévision payante en Afrique.
Le « beau puzzle » (Données Dataxis 2024)
Sur le plan légal, l’acquisition a été conditionnée par une contrainte de taille : pour se conformer à la législation sud-africaine sur la radiodiffusion, Canal+ a dû consentir à limiter ses droits de vote à 20 % dans l’entité locale, LicenceCo. Cette obligation découle des politiques de Black Economic Empowerment (BEE), visant à corriger les inégalités économiques héritées de l’apartheid en assurant une participation majoritaire de citoyens sud-africains « historiquement désavantagés » dans les secteurs clés. Le paradoxe est ainsi posé : l’entité française paie le prix fort pour une majorité de contrôle, mais doit renoncer au contrôle opérationnel sur le marché le plus mature et le plus rentable du continent.
La crise structurelle de MultiChoice : les raisons d’une opération de sauvetage
L’acquisition par Canal+ s’est jouée dans un contexte de crise structurelle profonde pour MultiChoice , une situation qui a pu être interprétée comme une « opération de sauvetage ».
Le groupe sud-africain subit une érosion critique de sa base clientèle, atteignant 2,8 millions d’abonnés en deux ans (mars 2023 à mars 2025). Sur le seul exercice 2025, 1,2 million de clients DStv ont fait défection, représentant une chute de 8 %. L’épicentre de cette saignée est le Nigeria, qui concentre 63 % de l’érosion des abonnés et a vu 1,4 million d’abonnés disparaître en deux ans.
Cette défection est principalement due à la conjoncture économique. MultiChoice a dû affronter des « conditions d’exploitation des plus difficiles depuis près de 40 ans », la volatilité des devises s’étant révélée le facteur d’érosion le plus violent. En tête, la dépréciation de 58 % du naira nigérianau premier semestre 2025 a engendré un manque à gagner colossal de 10,2 milliards de rands sud-africains (ZAR) sur le chiffre d’affaires. L’inflation, dépassant 30 % au Nigeria et en Angola, a par ailleurs exercé une pression intense sur le pouvoir d’achat des consommateurs, rendant l’abonnement TV souvent non essentiel.
Un bilan contrasté : l’impact des devises annule la performance opérationnelle
Les résultats de l’exercice fiscal 2025 de MultiChoice dessinent un tableau ambivalent : d’un côté, une gestion des coûts rigoureuse, de l’autre, des pertes massives liées aux devises et aux investissements stratégiques.
L’activité de Pay-TV traditionnelle est désormais scindée. En Afrique du Sud, malgré la baisse des abonnés, une gestion rigoureuse des coûts a permis une augmentation notable de 7 % du bénéfice commercial. En revanche, le segment « Reste de l’Afrique » est victime de l’instabilité monétaire. Malgré une croissance opérationnelle des revenus (plus d’abonnements, plus de ventes), la conversion des gains réalisés en monnaies locales (comme le Naira) a provoqué une chute de 23 % des revenus déclarés en rands (ZAR). Ce déséquilibre a généré une perte commerciale significative de 760 millions ZAR (environ 37,5 millions d’euros).
Le moteur de croissance réside dans la diversification, notamment la plateforme de streaming Showmax, qui enregistre une croissance spectaculaire de 44 % de ses abonnés payants actifs. Cependant, cette phase de conquête est extrêmement coûteuse. En « année d’investissement de pointe », les pertes commerciales de Showmax ont augmenté de 88 %.
Pour simplifier : MultiChoice a investi un total de 90 millions de dollars dans le développement de Showmax, mais a simultanément accumulé des pertes opérationnelles (liées aux frais de marketing et d’acquisition de contenu) de 146 millions de dollars. Le groupe paie le prix fort pour concurrencer les plateformes mondiales, assumant un déficit pour gagner des parts de marché.
Le plan de bataille : streaming, contenu local et diversification
Face à la disruption du marché, MultiChoice a mis en place une stratégie en trois axes, qui sera désormais celle du nouvel ensemble. D’abord, la relance du service de streaming Showmax, menée en coentreprise avec NBCUniversal, est le fer de lance de la conquête des 44 marchés.
(ShowMax Press Kit)
Ensuite, une diversification au-delà de l’image : les revenus pour DStv Internet ont crû de +85 % et ceux de DStv Stream de +48 %. Des plateformes de fintech comme Moment (ayant traité 635 millions USD de paiements) et de paris sportifs (SuperSportBet) témoignent de cet élargissement de l’écosystème.
Enfin, le contenu africain est l’ancre de fidélisation. MultiChoice a produit 2 763 heures de contenu local au cours des six derniers mois. Canal+ a déjà amplifié cette stratégie en investissant dans des studios de production locaux au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Rwanda et au Sénégal.
L’équation poids démographique contre risque structurel
Le nouveau géant issu de cette union fait face à des défis qui dicteront le succès de l’opération. La stratégie de Canal+ est un pari stratégique majeur sur la croissance démographique, visant la population subsaharienne estimée à 2 milliards d’habitants d’ici 2050. Cependant, Canal+ devient structurellement plus dépendant des marchés africains, qui représentent déjà 30 % de ses abonnés, s’exposant ainsi à une volatilité économique et politique élevée.
L’enjeu immédiat est la monétisation des investissements dans le streaming , désormais en concurrence directe avec Netflix et Amazon Prime Video. Les pertes opérationnelles importantes de Showmax soulignent que la rentabilité n’est pas acquise. Le groupe est par ailleurs contraint par le tribunal sud-africain de financer la production locale, et la question de la capacité à maintenir les marges tout en produisant un contenu authentiquement africain reste centrale.
Pour l’exercice 2026, la direction a établi une feuille de route claire : un nouvel objectif d’économies de 2,0 milliards ZAR (environ 98 millions d’euros), le retour à la rentabilité du segment Reste de l’Afrique et une amélioration des pertes commerciales de Showmax.
L’union entre Canal+ et MultiChoice n’est pas une simple consolidation, mais la naissance d’un acteur majeur qui a choisi de parier massivement sur le potentiel démographique africain en dépit d’une volatilité économique et politique élevée. Le prix de l’acquisition, 2,5 milliards d’euros, sera jugé à l’aune de la capacité du nouveau management à transformer les millions d’abonnés en revenus stables.
L’équation est complexe : il faudra d’une part monétiser l’investissement coûteux dans le streaming Showmax face aux géants mondiaux, et d’autre part réussir le retour à la rentabilité du segment Reste de l’Afrique, l’un des plus touchés par le choc des devises. En priorisant la stabilisation et le financement de la production locale, le nouveau géant audiovisuel s’engage dans une course de fond où seule la résilience de son modèle, et non plus seulement l’ampleur de sa taille, confirmera la pertinence de ce pari stratégique sur l’avenir du continent.
Étude de cas : To Like or Not, Émilie Anna Maillet
Écrit et mis en scène par Émilie Anna Maillet et coproduit avec la Compagnie Ex Voto à la lune, le spectacle To Like or Not incarne une forme innovante de théâtre numérique, jouant avec les frontières entre l’art scénique traditionnel et les technologies contemporaines. La pièce de théâtre explore les dynamiques des relations dans une bande d’adolescents, relations humaines marquées par l’omniprésence des réseaux sociaux. Conçu pour provoquer la réflexion sur les rapports sociaux d’adolescents à l’ère numérique, To Like or Not plonge les spectateurs dans un monde hybride. Lors des premières minutes de la pièce, les spectateurs sont invités à suivre un live Instagram d’un des personnages de la pièce en scannant un QR code affiché sur le rideau. La première rencontre avec l’intrigue se fait donc littéralement sur les réseaux sociaux, via son smartphone.
Ouverture de la pièce de théâtre par un live Instagram d’un des personnages
La pièce ne fait pas qu’explorer les dynamiques et les enjeux du numérique, puisqu’elle intègre le numérique sur tous les plans de sa conception : augmentation grâce à la réalité virtuelle, comptes Instagram pour chacun des personnages principaux, numérique dans la scénographie et l’esthétique… Présenté comme un spectacle “augmenté”, le projet, en complément des financements classiques du spectacle vivant, a obtenu des fonds de plusieurs organisations dont les projets sont dédiés au numérique ; le Fonds de soutien à la création artistique numérique, une aide du CNC accordée à la préproduction d’oeuvres pour la création immersive et du dispositif « Expérience augmentée du spectacle vivant » du plan France 2030 et opérée par la Caisse des Dépôts.
Ces dispositifs numériques permettent aux spectateurs d’approfondir la compréhension des personnages, d’assurer une expérience de communication continue au-delà du cadre de la pièce, de permettre une multiplicité de discours pluriels au théâtre que dans d’autres médiums artistiques, d’enrichir la proposition scénographique etc. Cette forme de théâtre augmenté est un exemple frappant de la manière dont le numérique peut redéfinir les pratiques artistiques. En intégrant des outils comme la réalité virtuelle et les réseaux sociaux, To Like or Not offre une expérience théâtrale hybride qui s’appuie sur les potentialités technologiques pour enrichir l’expérience du spectateur. En explorant ces nouvelles dimensions, ce spectacle ouvre la voie à une réflexion sur les possibilités du numérique pour « augmenter » le théâtre, et soulève des questions sur l’évolution de la relation entre l’art et le public à l’ère du numérique.
Un projet théâtral étendu au delà de la scène
Dépassement de la scène :
En parallèle du spectacle et de l’expérience physique de la scène, proposition d’une expérience (facultative), les spectateurs peuvent se retrouver dans la pièce, interagissant avec les personnages via des casques de réalité virtuelle. Cette expérience donne accès à une immersion totale. Les spectateurs ne sont pas simplement des observateurs, mais deviennent des acteurs de l’expérience, capables de dialoguer et d’interagir avec les personnages en 3D. Cette immersion redéfinit la relation classique entre l’artiste et le public, et introduit une nouvelle forme de narration. Avant de découvrir le spectacle, le public connaît donc les personnages, les dynamiques et les situations.
L’expérience immersive existe essentiellement pour un projet de sensibilisation sur le harcèlement. Elle permet, particulièrement aux scolaires, de revenir plusieurs fois sur des situations par différents biais, comprendre les scènes de harcèlement et comment y faire face. Le théâtre par immersion devient un nouvel outil de médiation.
Construction d’un monde “réel” sur les plateformes.
L’existence des personnages sur les réseaux sociaux prolonge l’univers de la pièce au-delà de la scène, en créant un véritable parallèle avec le monde réel. Depuis 2022, chaque personnage possède un compte Instagram actif, alimenté régulièrement avec des contenus qui reflètent sa personnalité, ses centres d’intérêt, ses relations. Ces profils construisent un univers narratif cohérent et autonome, où les amitiés, les conflits, les couples ou les passions sont déjà en place avant même le début du spectacle. Ce dispositif permet une immersion prolongée, où le théâtre s’invite dans la vie quotidienne du public, et brouille volontairement les frontières entre fiction et réalité.
L’Esthétique de la mise en scène et les nouvelles formes de jeu par l’intrusion du numérique
Le spectacle donne aux comédiens et à la metteuse en scène un nouvel imaginaire et une nouvelle façon de faire du théâtre.
Le numérique permet de mettre en scène avec précision des situations où il occupe une place centrale, notamment dans la vie des adolescents. Certaines scènes montrent les personnages interagir via des jeux vidéo ou des échanges numériques. Ces moments prennent sens grâce à l’intégration du numérique dans la mise en scène, qui les rend plus naturels, plus crédibles. Des conversations écrites, projetées sur des écrans mais non lues à voix haute, apportent une narration discrète mais essentielle. Elles rendent visibles les non-dits, les tensions ou les émotions, reflétant les nouvelles formes de communication, souvent silencieuses mais intenses. Ces choix permettent à la pièce de témoigner avec justesse des codes et réalités contemporains.
Sur le plan esthétique, le numérique transforme aussi la scénographie. Les écrans, omniprésents, investissent toute la hauteur de la scène, élargissant l’espace dramatique. On navigue entre différents lieux, moments, et points de vue. Grâce aux projections, aux smartphones ou aux réseaux sociaux, le spectateur est transporté dans un théâtre éclaté, à la fois sur scène, en ligne et dans l’intimité des personnages. Le numérique devient ainsi un outil de narration à part entière, aussi visuel que dramaturgique.
Si To Like or Not ouvre des perspectives passionnantes pour une hybridation entre théâtre et numérique, cette proposition audacieuse révèle également certaines tensions et limites dans sa mise en œuvre.
Une présence numérique inégale
L’un des constats relevés est la disparité dans l’usage du numérique tout au long du spectacle. Très présent dans la première partie – via les interactions sur Instagram, les projections, les discussions textuelles et les éléments immersifs – le dispositif s’estompe à mesure que l’action dramatique s’intensifie. Ce retrait progressif interroge : s’agit-il d’un choix volontaire pour revenir à l’émotion brute et à l’incarnation sur scène ? Ou d’une limite du dispositif lui-même, trop envahissant ou distrayant lorsque les enjeux dramatiques prennent le pas sur l’esthétique ? Cette variation peut aussi générer une forme de rupture de rythme ou de confusion chez le spectateur.
Des contraintes techniques encore présentes
Le recours à des outils numériques innovants s’accompagne inévitablement de risques techniques, et To Like or Not n’y échappe pas. Lors des captations en direct intégrées au spectacle, certains spectateurs ont noté un décalage entre l’image projetée et l’action sur scène, provoquant une perte de fluidité. Le journal Le Monde souligne ainsi que «saturé de sons et d’images, le théâtre s’englue lui aussi dans ces mondes virtuels parallèles”. Ces accrocs nuisent à l’effet d’immersion et rappellent que la réussite d’une telle intégration repose sur une technologie irréprochable, encore difficile à atteindre dans le cadre d’une production théâtrale.
Une immersion qui peut rester superficielle
L’expérience immersive, bien qu’innovante, peut manquer de profondeur narrative. Comme l’indique Sceneweb, si la réalité virtuelle permet d’entrer dans la peau d’un personnage, certaines scènes projetées souffrent d’un traitement encore trop lisse ou stéréotypé, avec un aspect gadget qui peut parfois desservir l’intention initiale. Le potentiel pédagogique (notamment autour du harcèlement scolaire) est indéniable, mais il demande une écriture plus fine et plus nuancée pour véritablement toucher le public.
Le risque d’un “théâtre éclaté”
Enfin, la multiplication des supports – scène, réseaux sociaux, réalité virtuelle, live Instagram – interroge la cohérence du projet théâtral. Le spectateur, surtout s’il n’a pas suivi le dispositif dans son ensemble (notamment les réseaux sociaux en amont), peut se sentir déconnecté de l’univers proposé. Ce « spectacle transmédia » impose presque une préparation pour en saisir toutes les strates narratives. Cela pose une question de démocratisation de l’accès à l’œuvre : le spectacle s’adresse-t-il toujours à tous les publics, ou seulement à ceux déjà familiers de ces codes numériques ?
Conclusion
Le spectacle To Like or Not d’Émilie Anna Maillet illustre parfaitement comment le numérique peut enrichir et transformer le théâtre en proposant une expérience immersive et interactive. En intégrant les réseaux sociaux, la réalité virtuelle et des dispositifs scéniques innovants, il dépasse les frontières du spectacle vivant traditionnel et questionne notre rapport aux technologies. Toutefois, cette hybridation soulève aussi des défis, notamment en termes de cohérence dramaturgique et de limites techniques pouvant déranger l’immersion du spectateur. Ce projet ouvre néanmoins des perspectives sur l’avenir du théâtre, en explorant comment le numérique peut non seulement “augmenter” l’expérience scénique, mais aussi redéfinir la relation entre le public et l’œuvre artistique.
Marie Grouin-Rigaux, Maëlle Houix et Clémentine Schmitt
Gagneré, G. (2023). Une passerelle entre arts numériques et spectacle vivant. Frontières numériques. Actes du 5ᵉ colloque international sur les frontières numériques. Europia.
Paredes, M. (2024, février). L’utilisation du numérique dans le spectacle vivant : l’appropriation de l’œuvre à partir d’un dispositif de médiation culturelle (Thèse de doctorat, Université Rennes 2).
Harry, Louis, Liam, Niall et Zayn. Si vous n’étiez pas adolescent dans les années 2010, ces prénoms ne vous évoqueront probablement rien. Pourtant, ils ont marqué une génération entière, et le nom de leur groupe, lui, était sur toutes les lèvres : One Direction.
Ils ont entre 16 et 18 ans lorsqu’ils postulent, individuellement, aux auditions de l’émission X-Factor au Royaume-Uni. Si aucun n’est sélectionné, ils tapent tout de même dans l’œil des juges, qui décident de les réunir afin qu’ils poursuivent l’aventure en groupe. Ils sont talentueux, c’est certain, mais leur acte n’est pas encore tout à fait rôdé (on est bien loin de leurs 7 Brit Awards). Ils ne finissent d’ailleurs que troisième de la compétition. Alors, comment expliquer le succès fulgurant des One Direction ? Et comment expliquer que, 10 ans après leur séparation, leurs fans – les Directioners – soient toujours aussi actifs ? Plongée dans les abysses d’un fandom qui a révolutionné les façons d’être fan, s’emparant des réseaux sociaux comme outil de construction identitaire.
Contrairement aux boysbands des années 90 (NSYNC, Backstreet Boys), le succès des 1D ne repose pas uniquement sur les médias traditionnels. 2010, c’est le début de l’ère “réseaux sociaux”. Si X-Factor est diffusé à la télévision, les 5 adolescents publient tout au long de leur aventure des “Video Diaries” relatant leur quotidien sur Youtube. C’est ce sentiment de proximité, plus que leurs performances artistiques, qui démarque 1D des anciens boysbands et leur permet d’acquérir rapidement un socle solide de fans – essentiellement des jeunes filles.
Et ce sont sur ces fans qu’ils ont pu compter, dès le départ et tout au long de leur carrière, pour assurer le marketing du groupe. Dans le documentaire This Is Ussorti en 2013, leur manager Simon Cowell l’explique : “Après leur défaite sur X-Factor, 200 ou 300 ‘super-fans’ en ont fait leur mission de promouvoir One Direction pour qu’ils deviennent le plus grand groupe au monde.” Twitter, Facebook, Tumblr, Instagram… tous les moyens sont bons pour faire parler de leurs artistes favoris.
World Wide Fans
Là où, quelques années auparavant, être fan signifiait s’abonner à des magazines, assister à des “meet and greets”, ou, par le bouche-à-oreille, rencontrer d’autres fans en adhérant à des fanclubs locaux, l’arrivée des réseaux sociaux a révolutionné les façons d’être fan.
En effet, il est plus facile d’entrer en contact avec d’autres individus aux goûts similaires. Il n’y a aucune barrière à l’entrée, n’importe qui peut rejoindre le fandom. Se constitue alors un vaste réseau interconnecté, qui dépasse toute frontière géographique, permettant le partage d’expériences et nourrissant un sentiment d’appartenance à un Tout qui dépasse les fans individuellement.
Une communauté active et organisée, experte des réseaux
Par ailleurs, dans cette nouvelle ère digitale, les fans ne sont plus seulement passives. Elles participent activement au succès de leurs artistes favoris. Les Directioners ont parfaitement su s’emparer des nouveaux outils à leur disposition pour organiser des tendances et remplacer le label aux fonctions de marketing.
Par exemple, en mars 2015, après le départ de Zayn, le hashtag #AlwaysInOurHeartsZaynMalik a explosé et surpassé en popularité le crash du vol Germanwings. Leur mobilisation s’illustre également par le projet No Control, où les fans ont auto-promu une chanson du groupe ignorée par le label. Elles ont fixé une fausse date de sortie du single, et investi massivement les réseaux. Il leur a fallu moins d’une semaine pour que le morceau soit diffusé en radio.
Expertes dans le maniement des réseaux, les Directioners ont également su tirer parti des différentes fonctionnalités de chaque plateforme pour exprimer les multiples facettes du fandom. Sur Twitter, on retrouve la face “publique” : véritables journalistes, les fans suivent et partagent l’actualité du groupe en temps réel. Sur Tumblr, plus intimiste, les fans se retrouvent entre elles pour des analyses approfondies de paroles, des décryptages d’interviews, et des conversations légères et humoristiques ponctuées de contenus imagés (GIFs, memes). Aujourd’hui, elles s’emparent de TikTok pour lancer des trends et partager des “edits”, de Youtube pour publier des compilations, d’Instagram pour filmer les concerts en live…
Enfin, comme partout, une forme de hiérarchie s’installe sur les réseaux sociaux. Certains comptes, hyperactifs, bénéficient d’une exposition et d’une reconnaissance supérieures, sont considérés comme des références. En France, c’est l’équipe de @Team1DFrance qui régit la vie du fandom. Véritable organisation structurée, ce qui n’était à l’origine qu’un compte d’updates collabore aujourd’hui avec les équipes des artistes, et organise de vastes « fan projects » lors des concerts, par exemple.
La communauté Directioners devient alors une petite sous-société, avec ses codes et langages propres. Lieu de discussions, d’échanges, d’enquêtes, les membres du fandom partagent des références et des inside jokes qu’eux seuls peuvent comprendre, utilisent des termes spécifiques, tels que “OT5” pour désigner les fans du groupe entier, ou “Solo stans” pour les fans d’un membre dans sa carrière solo, et des symboles communs s’installent dans le collectif. Ces codes créent un double effet d’inclusion et d’exclusion : seuls ceux qui les maîtrisent sont capables de comprendre les conversations au sein du fandom, une façon de mettre à distance les non-fans et de renforcer le sentiment d’une identité de groupe propre. Ces normes et croyances constituent un capital culturel qui permet aux fans de se reconnaître entre eux et possède un véritable pouvoir distinctif (Bourdieu, 1979).
Les réseaux sociaux, par leurs algorithmes, leur effet de masse et leur étendue, n’ont fait que renforcer ces phénomènes. Les fans utilisent d’ailleurs leurs profils comme outil d’affirmation identitaire : il n’est pas peu commun de retrouver une référence à 1D ou à leur carrière solo dans la bio, l’username ou la photo de profil des fans, même s’il s’agit d’un compte personnel. L’appartenance au fandom est, pour beaucoup, un marqueur identitaire.
Culture participative : les réseaux comme théâtre des interactions
Si les fans sont actifs dans la promotion de leur groupe favori, ils sont également directement impliqués dans l’élaboration du “lore” entourant les artistes. Émergent alors des récits alternatifs et des théories du complot, nourries par des dissections approfondies des comportements des chanteurs, et poussées jusqu’à l’élaboration de fanarts, de montages vidéos, photoshop ou la rédaction de fanfictions qui réinterprètent la vie du groupe. L’un des plus connus est le mythe “Larry Stylinson”, selon lequel Louis et Harry entretiendraient une relation romantique secrète. Bien que maintes fois démentie, certains fans – les “Larries” – sont toujours convaincus, preuves à l’appui, de sa véracité.
Des sites comme Tumblr, Wattpad ou Archive of Our Own ont fortement contribué à l’élaboration de ces récits alternatifs, sans compter les milliers d’edits et de compilations qui peuplent TikTok ou Youtube. L’imaginaire collectif joue un rôle clé dans la définition de l’identité de groupe.
Pour nourrir cet imaginaire, 10 ans après la séparation du groupe, les réseaux sociaux font également office de mémoire collective. Véritables archives, on retrouve sur Tumblr ou Twitter des collections des moments phares du groupe, les trends nostalgiques s’emparent de Tiktok (ex: en 2023, la chanson Night Changes connaît un regain massif de streams après une trend sur la plateforme) et des rites s’installent, tels que des “streaming parties” pour célébrer des anniversaires d’albums.
Ainsi, le fandom fonctionne comme une mise en scène collective : chacun adopte des comportements et participe à des actions qui réaffirment son appartenance au groupe. L’identité du fan se façonne dans son interaction avec les autres. Les réseaux sociaux agissent comme théâtre de ces interactions, permettant aux fans de se voir et se valider mutuellement (Goffman, 1956 et Greenland, 2016).
Le retournement du stigmate de la fangirl
Dans l’imaginaire collectif, et dans l’histoire médiatique, le personnage de la groupie est souvent stigmatisé. Assimilée à une pathologie, l’obsession des jeunes femmes pour un artiste est vue comme une aliénation, de l’hystérie, et bien souvent moquée (Lewis, 1992).
Sur les réseaux sociaux, ces fangirls peuvent se connecter entre elles. Ces communautés virtuelles deviennent des “safe places” où les jeunes filles peuvent être elles-mêmes, sans crainte d’être stigmatisées, car leurs sentiments sont compris, validés et partagés par les autres membres : ce qui est condamné dehors est ici valorisé. Solidarité, confiance et loyauté sont les maîtres mots de ces relations. De nombreux témoignages de fans expriment à quel point cette expérience a renforcé leur confiance en elles. À un âge où elles se cherchent encore, l’appartenance à un fandom a sans aucun doute un impact majeur sur la construction identitaire de ces jeunes femmes. Le fandom est un lieu d’empowerment où les femmes se soutiennent et retournent ensemble le stigmate, jusqu’à revendiquer avec fierté leur identité de fangirl.
En constituant une communauté aussi soudée sur les réseaux sociaux, les Directioners se sont démarquées par une identité collective très forte. Raisons du succès du boysband, elles étaient pionnières dans l’exploitation des nouvelles plateformes et leur modèle d’organisation numérique est aujourd’hui repris par de nombreuses fanbases. Si One Direction s’est séparé en 2015, 10 ans plus tard, le fandom est plus vivant que jamais, preuve de la résilience de ces fans 2.0.
L’image de Chiara Ferragni semblait inébranlable. Suivie par plus de 30 millions de personnes sur Instagram, omniprésente dans les médias, partenaire de marques prestigieuses, l’influenceuse italienne avait réussi à transformer sa notoriété en un empire commercial solide. Mais en décembre 2023, c’est une simple brioche de Noël qui a tout fait basculer. Vendu sous couvert d’une action caritative, le pandoro co-signé avec la marque Balocco affichait un prix gonflé… sans que les bénéfices ne soient réellement reversés à la cause annoncée. L’affaire, vite rebaptisée Pandoro Gate, a pris une ampleur nationale puis internationale.
Ce scandale a lancé un débat bien plus large : jusqu’où peut-on faire confiance aux influenceurs ? Et surtout, les marques ont-elles intérêt à s’associer à des personnalités aussi exposées, dont la réputation peut basculer du jour au lendemain ? Dans un univers où l’authenticité fait vendre, la frontière entre sincérité et mise en scène devient de plus en plus floue.
Chiara Ferragni : l’ascension d’une reine de l’influence
Avant de se retrouver au cœur d’un scandale retentissant, Chiara Ferragni représentait l’archétype de l’influenceuse à succès. À la fois entrepreneuse, figure de mode et personnage public, elle avait réussi à construire en une dizaine d’années un empire où tout — sa vie privée, ses convictions, ses partenariats — formait un récit cohérent. Elle ne se contentait pas d’être visible : elle incarnait une stratégie marketing à elle seule.
Tout commence en 2009, avec le lancement de The Blonde Salad, un blog à mi-chemin entre carnet personnel et vitrine fashion. Les réseaux sociaux n’en sont encore qu’à leurs débuts, mais Ferragni en saisit très vite le potentiel. Très vite, elle passe du statut de blogueuse mode à celui de figure incontournable de l’influence numérique. Instagram devient sa plateforme de prédilection. Elle y expose ses looks, ses voyages, ses collaborations, mais aussi sa vie de couple et de mère. L’ensemble est soigné, scénarisé, mais donne le sentiment de transparence. Ce mélange entre contenu inspirant et dimension personnelle séduit une audience massive : plus de 30 millions d’abonnés, une communauté fidèle et engagée.
Ferragni comprend également qu’elle peut aller plus loin. Elle crée sa propre marque de vêtements et d’accessoires, puis fonde TBS Crew, sa société de production de contenu. Son modèle repose sur un principe simple : faire de sa vie un espace commercial intégré, où chaque publication peut devenir un vecteur publicitaire, sans que cela ne paraisse forcé.
Ce positionnement fait d’elle un atout stratégique pour les marques. Là où une campagne traditionnelle cherche à imposer un message, Ferragni l’intègre dans son univers. De Dior à Nespresso en passant par Lancôme et Tod’s, les marques voient en elle une extension de leur identité, capable de toucher un public jeune et connecté. Au fil des années, son influence dépasse la mode. En pleine crise du Covid-19, elle relaie les appels à la vaccination et lève des fonds pour les hôpitaux de Milan. En 2021, elle est même nommée au conseil d’administration de Tod’s, preuve de sa reconnaissance dans le monde économique. Elle est reçue au palais présidentiel par Sergio Mattarella. Ferragni devient alors une figure publique à part entière, autant médiatique qu’institutionnelle.
Jusqu’alors, tout semble parfaitement maîtrisé. Elle a su dépasser le cadre des réseaux sociaux, tout en conservant un lien fort avec sa communauté. Mais c’est justement cette exposition permanente qui rend le système fragile. Lorsqu’une crise survient, ce n’est pas un produit qui est en cause : c’est l’ensemble de l’image publique qui vacille. Et dans le cas du Pandoro Gate, le contraste entre le message de sincérité affiché et la réalité perçue a brisé ce fragile équilibre.
Le Pandoro Gate : une opération marketing qui tourne à la crise réputationnelle
En décembre 2023, Chiara Ferragni se retrouve au centre d’un scandale qui va profondément entacher son image. En cause : une opération marketing autour d’un pandoro, une brioche traditionnelle italienne, lancée en partenariat avec la marque Balocco. Le produit, appelé le Pink Christmas Pandoro est vendu à 9 euros, soit plus du double du prix original, avec une communication indiquant qu’une partie des bénéfices serait reversée à l’hôpital pédiatrique Regina Margherita de Turin.
Mais l’enquête menée par l’Autorité italienne de la concurrence (AGCM) révèle un décalage majeur entre le message diffusé et la réalité de l’opération. En réalité, Balocco avait effectué un don unique de 50 000 euros à l’hôpital, plusieurs mois avant le début de la campagne. Aucun pourcentage des ventes du produit n’était destiné à l’établissement de santé. Pourtant, cette campagne a rapporté plus d’un million d’euros aux entreprises de l’influenceuse.
Le 16 décembre, l’AGCM condamne respectivement l’influenceuse et l’entreprise Balocco à une amende d’un million d’euros et de 400 000 euros pour pratique commerciale trompeuse. La polémique prend rapidement de l’ampleur. Le gouvernement italien, par la voix de Giorgia Meloni, la première ministre, critique publiquement la campagne. Dans un contexte de défiance croissante envers les influenceurs, l’affaire devient un sujet national, repris par les principaux médias.
Ferragni publie alors une vidéo d’excuses, évoquant une erreur de communication, et annonce un don personnel d’un million d’euros à l’hôpital concerné. Mais cette tentative de reprise en main ne suffit pas à apaiser les critiques. L’affaire met en lumière les limites d’un modèle reposant fortement sur la réputation personnelle de l’influenceuse. En associant son image à une opération caritative, Ferragni engageait directement la relation de confiance qu’elle entretient avec son public. La perception d’une instrumentalisation de la solidarité à des fins commerciales a provoqué une rupture symbolique.
Au-delà de l’aspect juridique, les conséquences économiques sont également visibles. L’influenceuse perd plus de 300 000 abonnés sur Instagram en quelques jours, et plusieurs partenaires commerciaux suspendent leur collaboration. En mars 2024, Ferragni est écartée du conseil d’administration de Tod’s, qu’elle avait intégré en 2021 pour aider à moderniser l’image de la marque. Quelques semaines plus tard, sa société TBS Crew annonce une augmentation de capital de 6,4 millions d’euros, traduisant un besoin urgent de redresser sa structure financière.
Les influenceurs sont-ils encore un atout pour les marques ?
L’affaire Ferragni n’a pas seulement terni l’image d’une influenceuse. Elle a mis en lumière les fragilités d’un modèle qui, depuis une dizaine d’années, s’est imposé comme un levier central dans les stratégies de communication des marques. Le marketing d’influence repose sur un principe simple : créer un lien de confiance entre une personnalité et son public, pour rendre un message commercial plus crédible. Mais ce lien, qui a longtemps été vu comme une force, devient aujourd’hui une zone de risque.
Dans le cas de Chiara Ferragni, ce n’est pas tant le produit qui a posé problème, ni même les profits générés. C’est la manière dont une opération commerciale a été habillée d’un discours solidaire, en laissant entendre qu’une partie des ventes serait reversée à un hôpital. Le public a perçu un écart entre les promesses et la réalité. Et dans un univers où tout repose sur la sincérité perçue, cette dissonance a suffi à briser la confiance.
En France, la loi adoptée en juin 2023 encadre plus strictement les pratiques des influenceurs : obligation d’indiquer les partenariats commerciaux, interdiction de certaines publicités trompeuses, sanctions en cas de manquement. Mais cette régulation, aussi nécessaire soit-elle, ne suffit pas à restaurer la confiance du public.
Cette crise intervient dans un contexte plus large. Bien que les macro-influenceurs, très exposés, génèrent souvent beaucoup de visibilité, provoquent en réalité peu d’adhésion réelle. À l’inverse, d’après une étude de Hubspot en 2023, les micro-influenceurs, suivis par des communautés plus restreintes mais plus ciblées, génèrent jusqu’à 60% plus d’engagement que leurs homologues qui ont une audience plus large. Pour autant, l’influence reste un levier puissant. En 2025, une étude du Global Banking & Finance Review indique que 69 % des consommateurs disent faire confiance aux recommandations de produits partagées par des influenceurs sur les réseaux sociaux. Le modèle évolue, mais il reste largement pertinent.
Désormais, pour les marques, le critère de l’audience ne peut plus être le seul. Il faut aussi prendre en compte la stabilité de l’image publique de l’influenceur, son historique en matière d’engagements ou de controverses, la cohérence entre ses prises de parole, mais surtout, la perception réelle de sa sincérité auprès de son audience. Ce travail de sélection — parfois négligé — devient essentiel pour limiter les risques de dissonance. C’est ce qu’on appelle de plus en plus la due diligence de réputation, un processus d’évaluation qualitative du profil d’un influenceur avant tout partenariat.
En parallèle, on observe un recentrage sur des collaborations plus longues et plus cohérentes, presque assimilables à du co-branding. L’idée n’est plus de multiplier les opérations ponctuelles, mais de construire un récit commun dans la durée, avec des influenceurs qui partagent réellement les valeurs de la marque.
En bref, le Pandoro Gate ne remet pas en cause l’efficacité du marketing d’influence. Il rappelle en revanche qu’il ne peut plus se résumer à une question de visibilité ou de chiffres.
Dans un paysage où les frontières entre communication, engagement et storytelling deviennent de plus en plus floues, cette affaire pose une question essentielle : les influenceurs doivent-ils rester de simples vitrines commerciales, ou devenir de véritables partenaires de confiance, garants du message qu’ils transmettent ?
Sur les réseaux sociaux, la vie de famille devient contenu. Maternité, cuisine, disputes et confidences sont exposées pour capter l’attention, gagner la confiance… et monétiser l’intime. Derrière l’authenticité affichée, un business rodé s’installe.
Une révolution silencieuse au cœur du foyer
Autrefois invisible, le quotidien domestique fait désormais spectacle. Sur les réseaux sociaux, des centaines d’influenceuses transforment leur vie de famille en feuilleton, leur cuisine en plateau de tournage, leur couple en stratégie de contenu. Le foyer est devenu un lieu d’influence, une vitrine permanente où se jouent des récits de maternité, de féminité, d’amour et de consommation.
Figure emblématique de ce phénomène, Poupette Kenza a été la leader incontestée de ce mouvement. À seulement 24 ans, elle a rassemblé une audience colossale sur Snapchat, Instagram et TikTok, en partageant chaque recoin de sa vie privée. Jusqu’à l’arrêt brutal de son activité après plusieurs scandales, elle a incarné l’extrême de cette logique d’exposition totale. Elle laisse derrière elle un nouveau phénomène, fascinant mais profondément inquiétant.
À travers cette exposition massive de leur vie domestique, ces femmes influentes redéfinissent les frontières de l’intime. Mais que révèle vraiment cette mise en scène continue ? Et à quel point brouille-t-elle les limites entre ce que l’on vit et ce que l’on vend ?
L’influenceuse Poupette Kenza, de son vrai nom Kenza Benchrif :
Le quotidien mis en vitrine : la stratégie de l’exposition continue
Filmer son réveil, ses enfants à table, ses disputes conjugales ou l’état de son évier n’a plus rien d’exceptionnel : c’est devenu un langage, une narration, une présence. Dans ce nouvel ordre médiatique, l’intime n’est plus dissimulé, il est déployé. Certaines influenceuses partagent leur quotidien avec une intensité quasi obsessionnelle, jusqu’à publier 200 stories par jour, découpant leur vie en séquences digestes, calibrées pour capter l’attention. C’est notamment le cas de Poupette Kenza, qui illustrait jusqu’à l’absurde cette logique de saturation narrative.
Derrière le naturel affiché se cache une mise en scène pensée : les contre-plongées sur les cernes, le désordre en arrière-plan, les « mauvaises mines » brandies comme gage de sincérité. Cette illusion de spontanéité est l’arme la plus puissante de la narration numérique. Tout paraît brut, et c’est précisément cela qui vend. Dans une économie de l’attention saturée, c’est la vulnérabilité apparente qui fidélise. Kenza, en diffusant ses moments les plus privés — comme sa rupture ou même une crise d’épilepsie de son mari qu’elle filme au lieu d’appeler les secours — poussait cette logique jusqu’à ses limites les plus problématiques.
Les pseudonymes eux-mêmes s’enracinent dans ce registre du foyer : Dania2g parlait si souvent de son mari que son pseudonyme est devenu « Dania Mon Mari. SirineJne, elle, fait référence à son mari comme Batman et devient « Sirine Batman », avant de devenir « Sirine Maman » à l’annonce de sa grossesse. Comme si l’identité se recomposait autour des rôles domestiques. Le storytelling personnel devient un outil de branding, le foyer un levier de conversion émotionnelle.
L’intime monétisé : stratégies commerciales et illusions d’authenticité
Ce théâtre de l’intime n’a rien d’anodin. Il répond à une logique marchande claire : capter l’attention pour la convertir en consommation. Plus l’influenceuse paraît proche, vraie, humaine, plus son pouvoir de recommandation s’intensifie. C’est une économie fondée sur la confiance affective. On n’achète pas un produit, on valide un lien. Et ce lien est la clé de leur modèle économique.
Les partenariats commerciaux ne sont pas des compléments, ce sont leur principale source de revenus. Les influenceuses vendent des emplacements dans leur vie, des instants d’attention, des tranches de confiance. Lorsqu’une mère de famille recommande une table à langer ou un shampoing pour bébé, elle ne vend pas un objet : elle vend l’image d’une femme crédible, rassurante, à qui l’on peut s’identifier. C’est ce transfert de confiance qui transforme leur quotidien en valeur marchande.
Les placements de produits s’insèrent ainsi dans le fil de la vie quotidienne, dans un décor crédible, un rythme familier. Mais sous cette douceur apparente, les dérives sont nombreuses. Poupette Kenza, par exemple, a été condamnée à 50 000 euros d’amende pour avoir promu des produits interdits à la vente en France (bandes de blanchiment dentaire) en les présentant comme des recommandations sincères et spontanées alors qu’il s’agissait d’un partenariat rémunéré. Elle a également prétendu lancer sa propre marque d’autobronzants alors qu’il ne s’agissait que de dropshipping maquillé, en vendant à prix fort des produits génériques simplement réétiquetés.
Le foyer devient alors un espace de storytelling commercial : chaque moment est une opportunité de placement. L’enfant devient figurant, la dispute devient climax, la maternité devient ligne éditoriale. Et plus la frontière entre vie vécue et vie médiatisée s’efface, plus la logique du marketing se fait invisible. Kenza, encore, intégrait régulièrement ses enfants dans ses publications, y compris dans des contextes où leur exposition était jugée dangereuse.
Certaines ex-vedettes de téléréalité se reconvertissent dans ce registre pour fuir l’oubli. Passées de la provocation en maillot de bain à l’image apaisée de la mère responsable, elles opèrent une mue stratégique. Ce repositionnement familial n’est pas une reconversion personnelle : c’est une relance algorithmique. Kenza, révélée à la base par ses clashs et sa spontanéité brute, avait progressivement glissé vers un contenu centré sur le foyer, la parentalité et l’entrepreneuriat féminin — sans jamais renoncer au spectaculaire.
Les dérives psychologiques et sociales d’une économie de soi
Mais cette économie de l’intime a un prix. Pour celles qui s’y prêtaient, la performance devenait permanente. Il ne s’agissait plus seulement de vivre : il fallait raconter, cadrer, anticiper ce qui serait filmable. Cette double existence — celle qu’on vit et celle qu’on donne à voir — installe une tension constante. Elle altère la perception de soi, rendant la validation numérique indispensable à l’estime personnelle.
Pour les enfants, les dangers sont plus graves encore. Filmés dans des moments vulnérables, exposés parfois sans leur consentement, ils deviennent malgré eux des personnages. Certains contenus sont repris, détournés, circulent sur des réseaux obscurs. Dans le cas de Kenza, plusieurs vidéos de sa fille ont été diffusées sans filtre, jusqu’à être détournées et retrouvées sur des plateformes pédopornographiques, menant à une enquête judiciaire et au retrait temporaire de la garde de ses enfants.
Quant au public, il n’est pas passif. Il commente, il soutient, il juge, il s’identifie. Cette illusion d’intimité crée une emprise affective forte. Certaines fans construisent des relations parasociales si intenses qu’elles perdent de vue la distance nécessaire : elles défendent, imitent, vivent à travers l’autre. Poupette Kenza a vu sa disparition temporaire des réseaux provoquer une telle angoisse chez certaines de ses fans que certaines ont arrêté d’aller travailler, incapables de rompre ce lien affectif unilatéral.
Sociologiquement, ce modèle réactive des normes genrées. Il valorise la femme douce, présente, soignée, centrée sur son foyer, maîtrisant ménage, beauté, parentalité et marketing. Ce retour au foyer, en apparence moderne, est souvent conservateur dans ses implications. Il enferme, plus qu’il ne libère. L’idéal mis en avant est celui d’une mère omniprésente, d’une épouse dévouée, mais aussi d’une entrepreneuse performante : un cumul de rôles irréalistes, qui creuse les écarts entre vie rêvée et réalité vécue.
D’un point de vue psychologique, le phénomène accentue une forme d’hyper-visibilité émotionnelle. Les influenceuses partagent leurs joies, leurs peines, leurs crises, leurs colères en temps réel, au risque d’une exposition mentale continue. La frontière entre spontanéité et dépendance affective devient floue. La plateforme devient un miroir grossissant où chaque émotion est monétisée, chaque moment intime mis en tension avec le regard de milliers d’inconnus.
Déconstruire la mise en scène du quotidien
Ce que révèle ce phénomène, au fond, c’est une nouvelle forme de capitalisme émotionnel. Le foyer devient un espace de production, l’intimité devient un outil d’influence, et la sincérité est calibrée en fonction de son potentiel viral. Ce ne sont plus seulement des produits qu’on vend : ce sont des modes de vie, des affects, des projections.
Pour les créatrices de contenu, cela exige une vigilance constante. Pour les spectateurs, cela appelle un regard critique. Et pour la société, cela pose la question de ce que nous valorisons : la transparence ou la performance ? L’émotion sincère ou sa simulation rentable ? Kenza cristallise cette tension : à force de tout exposer, elle incarne les excès, les succès, mais aussi les dangers de cette mise en scène permanente.
Partager n’est pas un problème. Ce qui l’est, c’est de ne plus savoir pour qui l’on partage, ni à quel prix. Il est temps de redéfinir les contours de l’intimité, non comme un produit de consommation, mais comme un espace de respiration, de construction, de dignité.
But when does it all start? As early as 1998, James R. Beniger (1998), president of the American Association for Public Opinion Research, had the idea that the Internet could profoundly renew the way pollsters study ‘how we form our attitudes and opinions, are influenced by mass media and by each other, make decisions as consumers and as voters’. This early recognition of the Internet’s potential to transform opinion research laid the groundwork for what would later become social media listening. As digital communication expanded, and social networks became central to public discourse, businesses, researchers, and policymakers saw unprecedented opportunities to harness online conversations. By the 2000s, numerous start-ups and agencies emerged, advocating for the systematic collection and analysis of social media data as a means to gain deeper insights into public sentiment. This shift marked a turning point in how organizations sought to « know what people think, » a concept epitomized by Brandwatch and other leading social media listening vendors.
Social media listening, also known as social media monitoring, is defined by the process of monitoring online chatter, in order to understand what is being said about a brand, organization, or topic. In practical terms, it involves monitoring and analysing mentions, comments, hashtags, opinions and even nowadays emojis from users across various platforms. The goal? To extract actionable insights from the billions of data points: emerging trends, customer opinions on products, audience expectations, or even early signals of a potential crisis.
In today’s hyper-connected world, social media listening has become an essential tool for both private businesses and public institutions.
How Social Media Listening Works
Social media listening goes beyond just monitoring or tracking mentions. It involves qualitative analysis of the « mood » and nuances of online conversations. In other words, it’s not just about counting how many times your brand is mentioned but understanding how, why it’s being discussed and what is the context. To achieve this, professionals rely on specialized tools and structured methods for collection and organization of the ongoing information flow.
The best-known tools that you might have heard of are Hootsuite, Talkwalker, Brandwatch, Meltwater, Mention, and even local platforms like Digimind. These platforms aggregate data from a variety of sources: major social networks (Instagram, Twitter, Facebook, LinkedIn, TikTok…), forums, blogs, review sites, and even online media. They use keyword-based queries (including complex Boolean operators for refined searches) to filter relevant mentions on a given subject. The collected data can include text (post content, tweets, captions, comments…), quantitative metrics (number of mentions, likes, shares, engagement rates), and even multimedia content (photos, videos or logos).
Social listening also focuses on context: who is speaking (user profile), tone (sentiment analysis: positive, neutral, or negative), and the reach of the message (influencer status, audience size). The software used Linguistic Inquiry and Word Count (LIWC) comes from decades of scientific research on people’s language and behaviour. Its employs a dictionary that classifies several hundred words as indicators of positive emotion (love, nice, sweet) and several hundred words as indicators of negative emotion (hurt, ugly, nasty). Subsets of negative emotion words assess manifestations of anger (hate, annoyed), sadness (sad, crying), and anxiety (worried, fear). It then calculates an emotional tone score based on the negative and positive emotion words. However, studies have shown the difficulty to being 100% certain: posts that did not align with any category could be skipped and not categorized. So, it is important to keep in mind that human judgment remains crucial to properly interpret the nuances (humour, sarcasm, irony) that algorithms may miss. Now that we know how social medial listening works, let’s dive deeper into some examples.
Adjusting Marketing Strategy: Ben & Jerry’s
To put all that into practice, lets look at an example from the cream brand Ben & Jerry’s, which uses social listening not only for brand management but also to inform product development and marketing strategies. By analysing advertising performance and customer conversations on social media, Ben & Jerry’s discovered an unexpected trend: it was during winter that engagement with their online ads peaked, as many customers mentioned enjoying ice cream in the colder months, often while binge-watching Netflix. Countered intuitive, isn’t it?
Thanks to this insight, the company adjusted its marketing strategy to target these « winter snackers. » For instance, it launched a new flavour called “Netflix & Chill’d”, a playful nod to this behaviour of pairing ice cream with streaming on cold nights. This new flavour, directly inspired by online discussions, allowed Ben & Jerry’s to show that it was listening to its clients and adapting to their lifestyle. Beyond product development, the company also optimized its strategic advertising calendar, investing more in winter months when its audience was most engaged. This case demonstrates how social listening can help identify hidden opportunities in consumer behaviour and adjust marketing strategies accordingly.
Ethical Dilemmas and Limitations of Social Media Listening
While social media listening opens up exciting possibilities, it also raises important ethical concerns that need to be considered. Indeed, monitoring users’ conversations online, even when publicly available, does not come without its challenges regarding privacy, consent, and bias.
The Cambridge Analytica scandal in 2018, where millions of Facebook profiles were harvested and analysed without explicit consent for political targeting, highlighted the potential pitfalls of mass data collection. Since then, public awareness has grown, and 70% of American consumers are now concerned about how their data is used. In order to adapt, businesses should pursuit a more transparent social listening practices and ensure they respect users’ consent. Furthermore, businesses operating in Europe should always anonymize any collected data as much as possible and focus on broad trend analysis rather than individual information. It is also strongly advisable to inform users in privacy policies that their social media mentions may be monitored.
Biases are another important point to kept in mind. Not all populations use social media in the same way, and not all opinions are equal in terms of volume or visibility. On top of that, automated analysisalgorithmscan have their own biases (e.g., misinterpreting sarcasm as a negative sentiment or overrepresenting popular topics at the expense of more subtle but important conversations). Furthermore, more and more people are using emojis to express their opinion or share a though, but it is still very hard to correctly identify the meaning (for example, a crying emoji is not always used to identity sadness or negative emotions, it can be used to express joy or even love). Therefore, it’s crucial to maintain a critical perspective on the insights generated by social listening and cross-reference them with other sources (such as traditional customer surveys or market studies) to avoid making unfair or misguided decisions.
But where do we put the line between helpful listening and invasive surveillance?
Authors like Shoshana Zuboff (2018) have theorized the concept of ‘surveillance capitalism’, arguing that the continuous capture, extraction, and valuation of data are now a key feature of today’s capitalist societies, reconfiguring market positions and political power. However, can we really capitalise on all the data there is?
When a company reaches out to an individual who hasn’t directly tagged them in a negative post, it may be perceived as either a thoughtful customer care response or an unwelcome « tracking » of the users every move. Is it even possible to collect and utilise such data? Legally, in Europe regulations such as the GDPR impose strict requirements on the use of personal data, including publicly available social media information, demanding transparency, proportionality, and security for any organization that collects this type of data. Users should also be able to exercise control over the data they share and how it is being used.
To conclude, social media listening is not a new concept. However, with the over-personalisation of products and services, it has become a crucial tool for businesses and public institutions. Like many digital technologies, the power of this tool comes with increased responsibility. Social media listening, when done thoughtfully and ethically, can truly enhance communication and decision-making in the digital age.
But aren’t we entering a new era of total surveillance by the Big Brother? And can we put all our trust in the governments?
Nadejda STEFANOVA
References :
Grandviewresearch.com. (2025). Europe Social Media Listening Market Size & Outlook, 2030. [online] Available at: https://www.grandviewresearch.com/horizon/outlook/social-media-listening-market/europe
Pew Research Center. 2015. Methodology: How crimson hexagon works. April 1. https://www.journalism.org/ 2015/04/01/methodology-crimson-hexagon/
Barnett-Smith, R. (2024). Social Listening Examples: 9 Brands Getting It Right | Mention. [online] Mention. https://mention.com/en/blog/social-listening-examples/
La question de l’inclusivité dans les musées est une thématique relativement récente, mais elle est rapidement devenue un sujet incontournable ces dernières années. L’inclusivité n’est plus une simple option, elle est une obligation pour les établissements publics afin que tous les visiteurs puissent bénéficier d’une expérience muséale optimale.
En Europe, par exemple, plusieurs législations sur l’accessibilité, comme la directive européenne de 2016 sur l’accessibilité des sites web et des applications mobiles des organismes du secteur public, imposent aux musées et autres institutions publiques d’adopter des mesures permettant de rendre leurs services accessibles à tous. Cela inclut non seulement l’accessibilité physique pendant la visite, par exemple via des rampes ou des ascenseurs pour les personnes à mobilité réduite, mais également l’accessibilité numérique, qui concerne tous les visiteurs ayant des besoins spécifiques liés à la lecture, à l’audition ou à la compréhension des informations.
Les résultats (certes encore très perfectibles) suivent : en 2022, une étude Malakoff Humanis / BVA révélait que 65 % des personnes en situation de handicap considéraient l’accès aux musées et expositions en France comme facile, soit 8 % de plus que cinq ans auparavant lors de la même enquête.
Cette inclusivité prend, depuis quelque temps, une dimension numérique. Depuis le 25 juin 2021, le Centre Pompidou a mis en place une application d’aide à la visite, disponible gratuitement sur téléphone et tablette (Apple et Android), destinée aux personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme (TSA), mais aussi à tous les autres publics ayant des besoins similaires pour visiter le musée. L’application a été conçue en partenariat avec Infiniteach et Sesame Autisme. Il semble que cette initiative ne soit pas un cas isolé, puisque d’autres musées en France et plus largement en Europe investissent eux aussi dans cette technologie.
Après près de cinq ans, maintenant que l’engouement pour la nouveauté numérique s’est estompé, l’heure est au bilan : les applications d’aide à la visite sont-elles de véritables avancées ou de simples gadgets technologiques ?
Un impératif d’inclusion dans les musées : cadre législatif et attentes des publics
Depuis la loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », l’accessibilité universelle est une obligation. L’article 41 précise que la loi s’applique à toute forme de handicap, physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique, et concerne tous types de locaux, privés ou publics. L’article 45 décrit « la chaîne du déplacement », incluant l’aménagement de la voirie, des transports et de leur intermodalité, pour les personnes et éventuellement les animaux accompagnants (article 54). Un délai maximal de 10 ans était accordé pour la mise en conformité (Art. L. 111-7-3), avec des dérogations possibles sous conditions strictes. L’accessibilité s’impose donc aux musées, anciens comme nouveaux, et peut être exigée par toute personne en situation de handicap. Si l’adaptation de monuments historiques peut s’avérer complexe, les nouvelles structures et rénovations doivent intégrer cet objectif dès leur conception avec l’appui de spécialistes. L’accessibilité ne doit pas être un « chapitre particulier » du projet d’établissement, mais une prise en compte globale et permanente (Ministère de la Culture, L’accessibilité universelle, avril 2021). Chaque musée doit disposer d’un référent « accessibilité ». L’État, via le Service des musées de France, voit dans cette exigence « l’opportunité de repenser la façon de concevoir les musées (…) en mettant le visiteur au cœur de la réflexion » (Ibid.).
L’accessibilité implique une réflexion sur l’expérience muséale dans son ensemble : accessibilité des transports, circulation dans le bâtiment, billetterie, vestiaires, boutiques, sanitaires, signalisation, éclairage, acoustique des salles, exposition des œuvres et accès aux informations. La diversité des handicaps nécessite des dispositifs adaptés et un personnel formé à leur utilisation.
Le numérique fait désormais partie de cette expérience : consultation du site, achat de billets en ligne, demande de prise en compte du handicap, et outils numériques sur place. Le « Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité » (RGAA) de 2019, complétant la directive européenne de 2016, impose de « rendre les contenus et services numériques compréhensibles et utilisables par les personnes en situation de handicap ». Ce document en ligne liste les obligations légales et 106 critères d’évaluation. La première question posée est : « Chaque image porteuse d’information a-t-elle une alternative textuelle ? ».
Toutefois, ces adaptations doivent respecter les capacités financières des établissements, ce qui, dans un contexte budgétaire contraint, menace leur mise en œuvre complète.
Le numérique comme levier d’accessibilité et d’innovation
Le numérique joue un rôle croissant dans l’accessibilité des musées, en proposant des dispositifs adaptés aux publics en situation de handicap. Parmi les initiatives notables, le Centre Pompidou a développé l’application «Centre Pompidou Accessibilité», destinée aux visiteurs atteints de troubles du spectre de l’autisme (TSA) et du neuro-développement. Téléchargeable gratuitement sur smartphone et tablette, elle permet de préparer la visite en amont et d’accéder à des contenus adaptés sur place. D’autres institutions, comme le Musée du Louvre, ont mis en place des dispositifs de médiation numérique, tels que des audioguides Nintendo DS adaptés aux déficiences visuelles ou des parcours en langue des signes française (LSF). Autre exemple, L’application Nomade des musées de Rouen permet aux visiteurs de découvrir une sélection d’œuvres majeures grâce à des contenus spécialement adaptés aux personnes en situation de handicap visuel, auditif ou mental. Cette application a été développée avec des parcours en audiodescription et en français Facile à Lire et à Comprendre (FALC).
Au niveau européen, le musée d’Amsterdam a développé des visites en réalité virtuelle spécialement conçues pour les personnes à mobilité réduite, leur permettant d’explorer les collections depuis chez elles. Ces innovations illustrent comment le numérique, loin d’être un simple gadget, constitue un levier essentiel pour repenser l’inclusivité et enrichir l’expérience muséale pour tous. Au musée Rijksmuseum, les visites guidées intelligentes, dotées d’assistants vocaux et d’audioguides basés sur l’IA permettent aux visiteurs de découvrir les collections à leur propre rythme, tout en bénéficiant de commentaires contextualisés et personnalisés.
Aussi, les interfaces tactiles inclusives facilitent quant à elles l’accès aux informations pour les personnes en situation de déficience motrice ou cognitive, en offrant une navigation simplifiée et intuitive.
Un visiteur malvoyant peut recevoir une description audio détaillée des œuvres, enrichie de commentaires historiques et artistiques. Et une personne en situation de handicap moteur peut bénéficier d’un parcours optimisé dans ce musée hollandais et d’un accès facilité aux contenus grâce à une navigation assistée par IA.
Ainsi, ces avancées technologiques ne se substituent pas à l’expérience physique du musée, mais l’enrichissent plutôt en proposant des solutions adaptées aux besoins spécifiques de chaque visiteur.
Dispositifs numériques : inclusion ou nouvelles formes d’exclusion?
Les dispositifs numériques facilitent l’appropriation des institutions muséales par les publics empêchés, souvent perçus comme des lieux élitistes ou complexes (cf. Bourdieu). Pourtant, leur coût en limite l’accès, notamment pour les publics précaires dont notamment les personnes en situation de handicap. Les offres annexes, comme la réalité augmentée, sont fréquemment payants, ce qui constitue un frein supplémentaire.
Outre le prix, d’autres facteurs subsistent. Une étude de la fondation Malakoff Humanis révèle que 59% des personnes en situation de handicap souhaiteraient multiplier leurs sorties culturelles, mais que l’accessibilité constitue un frein pour 19% d’entre elles. La société Evelity met également en évidence les lacunes en matière d’accessibilité des musées et de leurs abords, ainsi que le manque d’un accueil adapté. Par ailleurs, 70% des répondants atteints de déficience visuelle considèrent que l’accessibilité en transport et la disponibilité d’informations en ligne comme des critères déterminants, avant même l’adaptation des visites à leur handicap.
Un autre défi majeur est la fracture numérique, qui accentue les inégalités d’accès à la culture. L’accès aux technologies varie selon le milieu social, le contexte géographique et la familiarité avec le numérique. Le temps d’adaptation nécessaire pour maîtriser ces outils peut freiner l’expérience de visite et détourner de la découverte des œuvres. Par ailleurs, tous les outils numériques ne répondent pas aux besoins spécifiques. Par exemple, la réalité augmentée reste difficilement accessible aux personnes malvoyantes ou présentant des troubles cognitifs. Par conséquent, le numérique, bien qu’il facilite la médiation, peut paradoxalement exclure certains publics.
Quel consensus? Pour garantir une expérience muséale inclusive, une approche hybride combinant dispositifs numériques et médiation humaine semble être la solution la plus adaptée. Des projets menés à La Villette, tels que la Micro-folie, illustrent l’intérêt de cette complémentarité : l’association de dispositifs interactifs et de l’accompagnement par des médiateurs formés permet de rendre l’expérience de visite plus instructive.
Armand COSSET, Emma DROUIN, Sara MAZZELLI, Noëla ROCHART
Lebat, Cindy, “Les dispositifs numériques immersifs. Une opportunité pour les visiteurs déficients sensoriels ?”, La Lettre de l’OCIM [Online], 202-203 | 2022, Online since 01 July 2023. URL: http://journals.openedition.org/ocim/5129; DOI: https://doi.org/10.4000/ocim.5129
Pinède, Nathalie. et al. « Numérique et situations de handicap : le projet “Fractures corporelles, Fractures numériques” ». Communication & Organisation, 2019/2 n° 56, 2019. p.139-148. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/revue-communication-et-organisation-2019-2-page-139?lang=fr.
Plus personne n’en doute : l’essor des réseaux sociaux a bouleversé notre manière de nous informer, de débattre, et, pour certains, a même ouvert la voie à des formes insidieuses de radicalisation. YouTube, Instagram, X, TikTok… Ces plateformes sont devenues bien plus que de simples lieux de divertissement : elles sont aujourd’hui des espaces où se fabriquent de nouvelles formes d’engagement politique. Dans ce terreau, la figure de l’influenceur politique a peu à peu émergé, jusqu’à s’imposer comme un acteur central du débat public.
Mais que se passe-t-il quand des discours extrêmes – antiféministes, racistes, homophobes ou encore masculinistes – s’y propagent librement, drapés dans un discours prétendument “authentique” ou “engagé” ? Dans ce brouhaha idéologique, un phénomène en particulier attire l’attention et inquiète : celui des communautés dites « Incels » (involuntary celibates), nées de la frustration intime de certains hommes face au rejet amoureux. En ligne, ces dernières ont progressivement glissé vers un rejet systématique des femmes, du féminisme, et plus largement des valeurs progressistes. Elles se sont peu à peu transformées en de véritables foyers de propos haineux et profondément réactionnaires.
Dans le prolongement de cette dérive, une question s’impose : comment une détresse affective individuelle peut-elle devenir le socle d’un projet idéologique collectif ? Certains influenceurs ou influenceuses, parfois sans même revendiquer explicitement leur proximité avec ces sphères, reprennent et véhiculent ces narratifs, leurs codes et leurs obsessions. Ils exaltent la virilité, minimisent ou rejettent frontalement le féminisme, et valorisent l’idée d’une soumission féminine. Autant de points de contact entre ces communautés souterraines et certaines figures du web politique, qui n’hésitent pas à s’approprier ces récits pour mieux les propulser dans l’espace public.
Mais comment ces logiques, à la fois provocatrices et séduisantes, circulent-elles si facilement ? Et surtout, comment parviennent-elles à captiver, à séduire, voire à convaincre ?
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La naissance d’un phénomène : quand la frustration devient une arme politique
À l’origine, le terme « Incel » naît dans les années 1990 sous l’impulsion d’une étudiante canadienne, anonyme, dissimulée derrière le pseudonyme d’“Alana”. Elle souhaitait créer un espace d’écoute pour toutes les personnes — hommes comme femmes — confrontées à la solitude affective. Une sorte de refuge numérique, pensé comme une “safe place” dans un Internet déjà envahi par la mise en scène de soi et la comparaison permanente. Loin, très loin, des discours actuels, ce petit espace se voulait inclusif, ouvert, et non genré.
Mais avec la montée en puissance de forums comme Reddit, 4chan ou plus récemment Discord, le terme change de mains — et de ton. Ces plateformes, par leur structure même, deviennent des catalyseurs puissants de radicalisation. Anonymat absolu, absence de modération, langage codé et culture du mème : tout y favorise le dérapage collectif, l’escalade verbale, l’effet de meute. Très vite, ce qui relevait de la confession intime se transforme en rhétorique de guerre. Les propos se durcissent. Le féminisme devient l’ennemie à abattre. Et avec lui, toute femme jugée “trop libre”, “trop visible”, “trop exigeante”.
Chez leurs détracteurs, le langage lui-même devient un instrument de domination symbolique. Tout y est codé, hiérarchisé, chargé de rancœur. On parle de “females” plutôt que de “women”, on théorise le “looksmaxing” — optimisation du physique perçue comme clé d’accès à la reconnaissance sociale —, on invoque la “black pill”, cette vision fataliste selon laquelle les hommes laids sont condamnés à ne jamais être aimés. Et la “friendzone” ? Érigée en injustice systémique, elle résume à elle seule le sentiment d’exclusion que ces discours cultivent. Dans cette nouvelle grammaire du ressentiment, les femmes sont perçues comme responsables de la souffrance masculine, accusées de privilégier les « Chads » — ces hommes alpha, dominants, au physique avantageux — elles relègueraient les “beta males” dans l’invisibilité sociale et sexuelle.
Dans les fils de discussion, les premières attaques contre les femmes se multiplient. Certaines sont accusées de “jouer avec les sentiments des gentils garçons”, d’autres « d’accumuler les relations toxiques, puis de pleurer sur leur sort à trente ans”1. Les forums deviennent des tribunaux numériques où la femme occidentale est jugée, moquée, réduite à une caricature. Derrière l’humour grinçant et les ”private jokes”, c’est une colère sourde qui gronde : celle d’hommes qui se vivent comme évincés, humiliés, oubliés par une société qui valoriserait, selon eux, l’apparence, la domination et l’hypersexualité.
Cette logique de victimisation s’est rapidement transformée en colère idéologique et a vite donné lieu à l’émergence de figures sacrificielles. En 2014, Elliot Rodger, jeune homme de 22 ans, tue six personnes et en blesse treize autres en Californie avant de se donner la mort. Dans son manifeste, il se présente comme un “gentleman” trahi par les femmes, et légitime son passage à l’acte comme une vengeance. Depuis, il est devenu une figure quasi-sacrée pour une frange radicale du mouvement, qui le surnomme “Saint Elliot”.
Alors, comment expliquer qu’une communauté née du désespoir glisse aujourd’hui vers une idéologie misogyne ? Pourquoi ces figures violentes deviennent-elles des modèles à suivre ? Faut-il voir dans cette dérive une simple provocation ou l’expression d’un malaise bien plus profond dans nos sociétés ?
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YouTube et la fabrique algorithmique de la haine
En réalité, l’adhésion à ces idéologies n’a rien d’accidentel : les plateformes les favorisent. Conçus pour maximiser l’engagement, leurs algorithmes privilégient les contenus clivants, polémiques, émotionnellement chargés. Les réseaux sociaux comme X assurent une viralisation éclair de ces messages, particulièrement auprès des plus jeunes et donc – des plus influençables. Sur TikTok, les formats courts, rythmés, manichéens, séduisent par leur apparente simplicité. Quelques mots, une punchline, une image choc : c’est suffisant pour installer une vision du monde binaire, où le féminisme est vu comme une menace et la masculinité comme une valeur à réhabiliter.
Mais c’est sur YouTube que l’enracinement idéologique opère le plus profondément. En quelques clics, un utilisateur peut passer de vidéos anodines à des contenus de plus en plus radicaux. L’algorithme, loin de ralentir cette dérive, l’encourage : plus une vidéo provoque, plus elle est visible. C’est dans ce contexte que prolifèrent les « commentary channels », des chaînes spécialisées dans l’analyse critique de contenus ou de comportements, souvent sous un angle culturel ou sociétal. Ces créateurs adoptent un ton faussement “posé” ou “rationnel”, s’expriment en connaissant parfaitement les limites du légal, et évitent ainsi toute sanction directe. Sous couvert de réflexions “neutres” ou de “liberté d’opinion”, ils s’autorisent des attaques ciblées, notamment envers des personnes anonymes — souvent des femmes — à qui ils vouent une obsession à peine dissimulée.
La plateforme, loin d’être un simple espace d’expression, agit comme une véritable chambre d’écho où se construit un imaginaire masculiniste globalisé. Des figures américaines comme Andrew Tate (millions de vues malgré de multiples bannissements)et Jordan Peterson (8,6 millions d’abonnés) y prospèrent. Tous deux diffusent, à des degrés divers, une idée commune : celle d’un homme dépossédé de son pouvoir, qu’il s’agirait de reconquérir. Mais plus inquiétant encore : ces contenus s’accompagnent régulièrement de cyberharcèlement ciblé — contre des militantes féministes, des influenceuses, des journalistes — sans réelle sanction. La haine y est donc non seulement visible, mais tolérée.
Dans cette constellation, une figure française tire son épingle du jeu : Thaïs d’Escuffon. Ancienne porte-parole de Génération Identitaire, elle s’impose aujourd’hui sur YouTube comme l’une des voix féminines les plus visibles d’un conservatisme “décomplexé”.
Débat « Féministe vs Antiféministe » entre Thaïs d’Escufon et Mélissa Amnéris, publié sur la chaîne YouTube de Carla Ghebali le 3 janvier 2025.
Thaïs d’Escuffon, une vitrine féminine pour l’ordre patriarcal
Mais qui est-elle vraiment ? Ancienne porte-parole de Génération Identitaire — un mouvement dissous pour incitation à la haine — la jeune femme de 25 ans s’est imposée comme une figure montante de la sphère conservatrice française. À travers ses vidéos léchées et ses interventions médiatiques, elle défend une vision ultraconservatrice du monde, prônant le retour à un “ordre naturel” où les femmes retrouveraient leur rôle d’épouses et de mères. Par sa posture de “voix dissidente ”, elle s’oppose frontalement au féminisme, qu’elle accuse de détruire les repères traditionnels et évoque un prétendu “matriarcat” occidental responsable de la détresse masculine. Ce discours séduit, notamment les jeunes hommes en quête de repères, de clarté, et parfois… de domination.
Comment expliquer qu’une figure aussi clivante parvienne à fédérer une audience fidèle, parfois admirative ? Qu’a-t-elle de si singulier pour incarner, aux yeux de certains, un modèle à suivre ? C’est simple : elle incarne ce que les partis d’extrême droite tentent de construire depuis des années sur Internet. Une nouvelle génération de militantes, jeunes, urbaines, éduquées, qui parlent le langage des réseaux. En s’appuyant sur des profils comme le sien, l’extrême droite parvient à réenchanter son récit. Finis les discours poussiéreux d’anciens militants en costume-cravate. Place aux vlogs, aux shorts TikTok, aux slogans calibrés pour buzzer. L’image compte autant que le fond — et parfois plus.
Et surtout, ces partis ont compris une chose essentielle : quand les médias traditionnels suscitent de la méfiance, les influenceurs inspirent de la confiance. Ils créent du lien, de l’intimité, une impression de sincérité. Et cette proximité émotionnelle est un canal redoutablement efficace pour faire passer les idées les plus radicales — sans jamais en avoir l’air.
Invitée dans de nombreuses émissions en ligne, largement relayée sur les réseaux, elle fascine autant qu’elle dérange. On clique pour comprendre, pour juger, pour débattre. Mais c’est précisément là que réside le danger : notre curiosité fait tourner l’algorithme, et l’algorithme normalise. Ce qui, pour beaucoup, reste une simple provocation finit par devenir une opinion admise. Et pour les publics les plus vulnérables, les moins armés pour décoder ces discours, cette radicalité déguisée en bon sens devient une évidence.
Image tirée de la série à succès « Adolescence », sortie le 13 mars 2025 sur Netflix, créée par Jack Thorne et Stephen Graham, et réalisée par Philip Barantini.
Une violence bien réelle pour une réponse encore timide
Ce glissement progressif de la provocation à la normalisation n’est pas sans conséquences. Car ces discours ne restent pas confinés à l’écran : ils façonnent les interactions, orientent les comportements et finissent par redéfinir les normes du débat.
Aujourd’hui, toute prise de parole perçue comme « anti-traditionnelle » s’expose à une remise en question systématique, voire à des campagnes de discrédit. L’objectif est souvent le même : rendre invisibles les discours contradictoires et favoriser un espace numérique où seules les idées réactionnaires circulent librement. Ces communautés fonctionnent comme des bulles fermées : plus on y adhère, plus leur vision du monde paraît dominante et plus il est difficile d’en sortir.
L’anonymat favorise cette dynamique, et les plateformes, elles, peinent encore à répondre efficacement. Cela entraîne, pour les publics les plus vulnérables, un risque accru de harcèlement qui peut conduire à des conséquences dramatiques.
Dans ce contexte, la responsabilité des grandes plateformes numériques (GAFAM) est de plus en plus questionnée. Cette responsabilité est d’autant plus problématique que certaines plateformes comme le X d’Elon Musk et le Facebook de Mark Zuckerberg revendiquent une liberté d’expression qui se traduit par une absence totale de modération; en témoigne leurs récentes prises de position au sujet des politiques de modération de leurs réseaux respectifs.
En réaction à cette atmosphère délétère, certaines œuvres participent à une prise de conscience. La mini-série britannique « Adolescence« , diffusée sur Netflix depuis mars 2025, illustre avec justesse les conséquences de la radicalisation numérique. Créée par Jack Thorne et Stephen Graham, elle interroge les effets néfastes des réseaux sur la jeunesse. Un signal fort : elle a été saluée par le Premier ministre Keir Starmer, qui a recommandé sa diffusion en milieu scolaire.
1 Reformulations synthétiques inspirées des discours fréquemment observés sur les forums Incels. Ces expressions ne sont pas des citations directes, mais plutôt des représentations des sentiments et opinions couramment exprimés au sein de ces communautés.
Dans quelles mesures les chambres d’écho des médias d’extrême droite participent au déplacement de la fenêtre d’Overton ?
Le 28 janvier dernier, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin était l’invité de Pascal Praud sur la chaine CNews pour évoquer les solutions qu’il souhaitait mettre en place pour lutter contre la délinquance. A cette occasion, le présentateur de l’émission controversé l’heure des pros, pose à son invité la question suivante :« Est-ce que vous avez pensé à rouvrir les bagnes ? ». Bien que ces propos puissent sembler particulièrement choquants voir hors du domaine de l’entendable ils participent à un mécanisme bien connu des sciences politiques : celui de déplacer la fenêtre d’Overton. La fenêtre d’Overton définit le périmètre de ce qui peut être dit au sein d’une société, c’est-à-dire les idées qui sont jugées acceptables par une population. A l’extérieure de cette fenêtre, se trouvent les idées radicales rejetées par la majorité d’une population. A l’image de la société, la fenêtre d’Overton n’est pas figée, elle correspond au cadre du dicible dans une société donnée à une époque précise. C’est ainsi qu’elle se déplace au gré de l’évolution des normes et des valeurs au cours d’un processus lent mais certains acteurs du monde médiatique et numérique œuvrent à déplacer cette fenêtre.
Chambres d’écho et bulles de filtres : de quoi parle-t-on ?
Dans ce processus, les chambres d‘échos et en particulier celles des sphères de l’extrême droite sont régulièrement pointées du doigts mais nous pouvons nous interroger sur leur réel impact dans le déplacement de la fenêtre d’Overton. Les chambres d’échos médiatiques désignent, une situation dans laquelle l’information, les idées, ou les croyances sont amplifiées ou renforcées par la communication et la répétition dans un système défini. Ce phénomène repose sur l’amplification : plus une infirmation est partagée, plus elle semble crédible et ceci qu’elle soit avérée ou totalement erronée. Les chambres d’échos sont souvent associées aux bulles de filtres qui sont un concept développé par Eli Pariser dans son ouvrage The Filter Bubble publié en 2011. Ce phénomène représente selon lui « l’univers personnel d’informations » qui nous est proposé par des filtres personnalisés sur les réseaux sociaux, mais également des moteurs de recherche. En d’autres termes, la personnalisation des contenus sur les réseaux sociaux au moyen des algorithmes, principe inhérent de ces plateformes, qui a pour but de maximiser l’engagement des utilisateurs limiterait l’exposition à des opinions divergentes et donc renforceraient le mécanisme des chambres d’échos.
Néanmoins de nombreuses études relativisent leur importance et notamment celles de Fletcher et al. intitulé How Many People Live in Politcally Partisan Online News Echo Chambers in Différent Countries concluant qu’en réalité seulement 5% des internautes se retrouvent réellement dans des écosystèmes médiatiques partisans fermés.
En réalité, les algorithmes des réseaux sociaux ne peuvent pas expliquer à eux seuls le déplacement de la fenêtre d’Overton car ils ne peuvent pas être complètement décorrélés des préférences des individus qui ont toujours existées et ce bien avant l’arrivée des réseaux sociaux. Ce que nous expose Alex Bruns dans « Echo chambers? Filter bubbles? The misleading metaphors that obscure the real problem »est que l’homophilie se donne à voir depuis longtemps dans les sociétés et n’est pas une nouveauté liée au monde numérique. Les individus ont toujours préféré être exposés à des contenus résonnant avec leur système de valeur et leurs idéologies, les réseaux ont juste permis de massifier l’accès à des contenus préférentiels. Finalement comme nous le dit Dominique Cardon « la bulle c’est nous qui la créons » en choisissant nos amis, nos sources et nos médias.
Bien que l’impact réel des bulles de filtres soit remis en cause par de nombreuses études, le phénomène des chambres d’échos dans les sphères d’extrême droite n’est pas complètement à mettre de côté pour autant. En effet, en analysant le fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux, nous voyons que les contenus qui suscitent le plus d’interactions sont ceux que l’algorithme va davantage mettre en avant.
C’est ainsi que les contenus les plus clivants et les tweets choquants sont ceux qui suscite le plus d’interactions que ce soit de likes et de partage d’utilisateurs d’accord ou de débats dans les commentaires entre utilisateurs qui ne partagent pas les propos avancés. Ceci contribue alors à la mise en avant sur la plateforme de déclarations racistes, sexistes, homophobe, antisémites et islamophobes faisant partie des thèmes préférentiels de l’extrême droite. Ses contenus relayés massivement et s’appuyant souvent sur des mauvaises informations ou des fausses informations finissent par rendre audibles des idées jusqu’ici impensables et donc contribuent à déplacer la fenêtre d’Overton. Ce mécanisme pourrait même se voir amplifier dans les prochains mois avec la bascule en train de s’opérer sur les utilisateurs de X.
Twitter sous Elon Musk : un laboratoire algorithmique pour l’extrême droite mondiale.
Depuis son rachat par Elon Musk en octobre 2022, Twitter (rebaptisé X) a connu une transformation radicale de ses politiques de modérations, de ses algorithmes de recommandation et de son positionnement idéologique. Celui qui s’autoproclame « défenseur absolu de la liberté d’expression » – qualificatif lui permettant de faire la promotion de discours anti-démocratiques et en opposition avec les principes essentiels du droit international – a mis fin à de nombreux mécanismes de régulations internes. Parmi eux nous pouvons citer la suspension du conseil de sécurité, le licenciement des équipes chargées de la modération de contenus haineux ou encore la réactivation de nombreux comptes précédemment bannis pour incitation à la haine, désinformation ou propos violents (Donald Trump, Andrew Tate, …).
Ceci a entrainé une désertion massive de personnalités modérées, progressistes ou journalistiques, dénonçant l’augmentation des discours de haine et le manque de sécurité pour les utilisateurs vulnérables, laissant alors la plateforme entre les mains de l’extrême droite. Désormais des figures comme Jordan Peterson, Tucker Carlson ou encore Éric Zemmour ont pignon sur rue et la visibilité de leurs contributions est démultipliée par les logiques algorithmiques. Ce phénomène est accentué par des stratégies d’astroturfing : des campagnes coordonnées de désinformation menées par des comptes automatisés ou semi-automatisés, qui se chargent de relayer massivement certains contenus pour leur donner l’illusion d’une popularité organique. Les techniques sont diverses : création de faux comptes dédiés au retweet intensif, diffusion de tweets prêts à l’emploi sur des groupes Telegram ou Discord ou encore l’achat de likes ou de retweet manipulant la perception du débat. Dans ce contexte, X est devenu un écosystème favorable à la propagation des idées d’extrême droite qui ne sont pas seulement tolérées, mais parfois récompensées par une exposition accrue. L’effet de chambre d’écho s’en trouve renforcé : les utilisateurs interagissent de plus en plus entre eux dans des réseaux idéologiquement homogènes, où les discours de haine sont validés, partagés et banalisés. Ce rééquilibrage idéologique de la plateforme, combiné à sa logique d’amplification algorithmique, participe ainsi à un déplacement concret de la fenêtre d’Overton : ce qui était hier perçu comme inacceptable ou marginal s’installe aujourd’hui dans le débat public comme une opinion « controversée mais légitime ».
CNews et la « stratégie Bannon »
La chaine d’information en continu relaie régulièrement un discours longtemps resté à la marge : les bienfaits de la colonisation, la remise en cause du droit du sol ou encore l’ensauvagement des jeunes de banlieues. Mais ce qui en fait une arme redoutablement efficace n’est pas tant la diffusion linéaire de ce genre de propos que la viralisation de ses séquences sur les réseaux sociaux et surtout sur X. Des extraits polémiques deviennent des mèmes, repris parfois par des comptes anonymes mais massivement suivis. On assiste ainsi à une boucle : les idées extrêmes sont lancées à l’antenne, amplifiées par les réseaux sociaux, intégrées dans le top de tendances twitter, reprises par des médias traditionnels… puis validées comme débat légitime. Cette volontée d’inonder l’espace public a été théorisé par un ex-conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, par la maxime suivante : « Flood the zone with shit ». Cette phrase sert à présenter une stratégie de chaos informationnel ou l’espace public est saturéde contenus radicaux ou confus, afin de rendre audibles des idées jusqu’ici impensables. Cette stratégie, basée sur la répétition et l’outrance, s’exporte et trouve un terrain fertile sur les réseaux sociaux. C’est très certainement cela qui a inspiré Donald Trump lorsqu’il a déclaré lors du débat contre Kamala Harris que les migrants mangeaient des chiens et des chats.
In Fine qu’en est-il ?
L’effet cumulatif de ces dynamiques – chambres d’écho, amplification algorithmique, astroturfing, légitimation médiatique – contribue bel et bien à rendre certaines idées plus visibles, plus acceptables, voire mainstream. Le glissement du débat sur les retraites, l’immigration ou la sécurité montre que des thématiques jadis cantonnées à l’extrême droite irriguent aujourd’hui le débat politique « classique ». Mais attention aux effets de loupe car l’importance réelle des chambres d’écho est souvent surestimée par les médias traditionnels, qui y voient une menace à leur propre légitimité. Il serait ainsi intéressant de coupler des analyses algorithmiques à d’autres plus sociologique et ce surtout depuis la transformation de X pour mettre à jour les termes de bulles de filtres ou des chambres d’échos en y intégrant d’autres facteurs.
Pariser, E. (2011). The Filter Bubble: What the Internet Is Hiding from You. Penguin Press.
Fletcher, R., Cornia, A., Graves, L., & Nielsen, R. K. (2020). How Many People Live in Politically Partisan Online News Echo Chambers in Different Countries?. Reuters Institute.
Une publication de @letheatreavecmarie LS/PetitBulletin
Une révolution numérique au service de la culture
En 2017, près de 2.3 milliards de personnes utilisent les réseaux sociaux. Ces derniers « ont ouvert de nouvelles possibilités pour les institutions culturelles de toucher de nouveaux publics et d’engager les communautés en ligne dans un dialogue constructif et interactif » (Gollain, 2017, 18). Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat ou encore Youtube : ces outils ont également transformé la manière dont les institutions culturelles communiquent, permettant de nourrir l’interaction et la communication dans le champ du spectacle vivant.
Dans un environnement où dominent formats courts et immersifs, mais également les collaborations avec des influenceurs, ces institutions se trouvent face à la nécessité de repenser leur stratégie de communication pour toucher un public plus large, plus diversifié, et souvent, plus jeune. Les réseaux sociaux sont « un dispositif à travers duquel circule l’information mais aussi à partir de quoi se forment les comportements, les attitudes, les représentations, les objectifs et les pratiques », (Cardon, 2014, 46). Ils sont un système pouvant être qualifié d’hyper-informatif, où le nombre d’usagers explose, et les publications par seconde se comptent en milliers.
Cependant, comment ces institutions peuvent-elles tirer parti de ces outils numériques tout en préservant leur identité artistique et culturelle ? Sur la ligne de crête entre démocratisation numérique et exigence culturelle au service d’une image de marque, comment tenir l’équilibre ?
Les réseaux sociaux permettent une réinvention de la communication institutionnelle. Instagram, TikTok ou YouTube sont devenus des carrefours incontournables de la culture contemporaine. Les créateurs de contenu, souvent perçus comme des prescripteurs modernes, jouent désormais un rôle central dans la diffusion des spectacles vivants. Ce phénomène souligne l’évolution des modes de recommandation, alors que la prescription culturelle s’éloigne des médias traditionnels au profit de nouveaux canaux numériques, influant désormais sur les choix des spectateurs et leur manière de fréquenter, voire “consommer”, la culture.
L’image de l’institution culturelle : entre prestige et accessibilité
Dans le domaine du spectacle vivant, tradition et modernité sont parfois opposées comme deux pôles antagonistes, en phase avec la polarisation actuelle du débat public. Pourtant, certaines institutions parviennent à rapprocher, sinon réconcilier, ces deux dimensions. L’Opéra national de Paris en est un exemple marquant. Thibault Prioul, responsable des réseaux sociaux du navire amiral de l’art lyrique et chorégraphique, met en avant l’importance de rendre l’opéra accessible, sans pour autant sacrifier la qualité artistique. Il considère que les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la démocratisation de l’opéra, permettant de rapprocher cet art du public (attirant traditionnellement un public sociologiquement aisé et vieillissant) tout en préservant son attractivité. Cette démarche s’inscrit parfaitement dans la logique des « biens culturels » définis par Karpik (2007), c’est-à-dire des biens d’expérience dont la valeur ne peut être pleinement saisie qu’après avoir été “consommés”. Les influenceurs, par leur capacité à recommander ces œuvres, deviennent des médiateurs qui rendent ces biens culturels plus accessibles. Par conséquent, de nombreuses institutions s’associent à des créateurs de contenu émergents pour ouvrir leurs portes à de nouveaux publics, souvent plus jeunes et moins familiers des formats traditionnels.
L’essor des collaborations entre institutions et créateurs de contenu
Les collaborations entre institutions culturelles et créateurs de contenu se multiplient, et il s’agit désormais d’un levier incontournable pour toucher de nouveaux spectateurs. L’exemple de la Fondation Louis Vuitton, qui a collaboré avec la chorégraphe Josépha Madoki, illustre parfaitement cette tendance. Sa chorégraphie, devenue virale sur TikTok en Chine, a permis à la Fondation de capter un public plus large et de s’inscrire dans une démarche plus inclusive.
Thibault Prioul, responsable des réseaux sociaux de l’Opéra de Paris. Crédits photo : @NewsTankCulture
Si les institutions culturelles s’associent évidemment à des macro-influenceurs, dans une logique de maximisation de leur visibilité, il existe également des “nano-influenceurs”, à l’audience inférieure à 10 000 abonnés. Ce choix stratégique repose sur la conviction que ces nano-influenceurs, en raison de leur proximité avec leur communauté, sont perçus comme plus authentiques et influents. Thibault Prioul le souligne en indiquant que cette proximité favorise une relation plus personnelle et plus engageante avec les spectateurs. Bien que leur audience soit plus petite, leur influence sur les décisions culturelles est significative. Cette dynamique rejoint les travaux de Dutheil-Pessin et Ribac (2018), qui soulignent l’importance de la prescription culturelle informelle, capable de redéfinir les comportements des publics. Ces collaborations étant le plus souvent rémunérées, et les plus gros profils captés par les institutions économiquement plus solides, ces profils plus “approchables” sont également un moyen d’ouverture pour les plus petits établissements.
Pour une typologie des influenceurs en France : la culture à la peine
En France, les influenceurs se classent en plusieurs catégories selon la taille de leur audience. Les micro-influenceurs (moins de 15 000 abonnés), les middle-influenceurs (15 000 à 100 000), les macro-influenceurs (100 000 à 500 000), les top influenceurs (500 000 à 1 million) et les célébrités (plus d’un million) illustrent cette diversité. L’âge moyen des créateurs de contenu est de 34 ans, la majorité d’entre eux ayant entre 19 et 35 ans. Un quart des influenceurs exercent cette activité à temps plein, et les profils comptabilisant plus de 100 000 abonnés peuvent générer des revenus à hauteur de plus de 50 000 € par an. Cependant, la culture y demeure une niche, puisque seulement 10 % des influenceurs s’y consacrent (Reech, 2024).
Ce phénomène est particulièrement visible sur des plateformes comme TikTok, où des créateurs comme Mathis Grosos (alias Dramathis) ont su capter l’attention d’un public jeune et dynamique. Grâce à ses analyses théâtrales empreintes d’humour, Mathis parvient à rapprocher le théâtre des publics non spectateurs des salles, prouvant par là le rôle de ces influenceurs comme prescripteurs de culture, à la manière des critiques ou journalistes traditionnels, mais avec une approche plus engageante et personnelle. En effet, face à une fréquentation en baisse et à la concurrence des divertissements numériques, les théâtres se sont investis dans l’occupation des réseaux sociaux pour renouveler leur audience. Le théâtre souffre du moindre équipement du secteur en termes de prescription, par rapport à d’autres institutions culturelles (Pasquier, 2012) : la sortie au théâtre est en effet une pratique peu répandue dans la population française. En 2018, seuls 21% des Français se sont rendus à une pièce de théâtre, et 4% d’entre eux seulement ont réalisé cette sortie seul(e). (Lombardo et Wolff, 2020). Dès lors, comment déclencher l’envie de se rendre au théâtre ?
L’impact des influenceurs culturels sur les publics
Les influenceurs spécialisés dans la culture jouent un rôle clé dans la démocratisation du spectacle vivant. Ces créateurs de contenu agissent en tant que médiateurs culturels, rendant l’art plus accessible et élargissant ainsi le public. Marie Ballarini (2023) souligne que les influenceurs, par leur ton humoristique et décontracté, réussissent à désacraliser l’art, attirant ainsi des publics moins familiers avec les institutions culturelles. Leur manière unique d’aborder et de décrire les œuvres influence profondément la perception de l’art et encourage leur audience à y participer.
Capture d’écran du profil Instagram de Mathis Grosos, alias @Dramathis
Avec ses 40 000 abonnés sur Instagram (sans compter Tiktok), Mathis Grosos a utilisé sa passion pour le théâtre comme un véritable outil de médiation culturelle. Dans une vidéo publiée en collaboration avec le Théâtre National de la Colline, Mathis commence par évoquer son enfance et son imaginaire d’avoir un ami imaginaire, une stratégie qui capte immédiatement l’attention du spectateur. Il introduit progressivement des éléments du spectacle Golem sans en dévoiler immédiatement le titre. À mi-vidéo, il révèle son partenariat avec le théâtre et explique en détail le spectacle, abordant ses thèmes et les émotions suscitées en lui. Il termine en donnant des informations pratiques comme les dates et lieux de représentation. Cette approche, à la fois personnelle (un ton accessible et décomplexé) et engageante (incarnation du propos par une personnalité publique), démontre comment les créateurs de contenu peuvent façonner la prescription d’un spectacle, et potentiellement influencer les comportements de consommation culturelles de leur public.
Les réseaux sociaux : démocratisation, accesssibilité et avenir du spectacle vivant ?
Pour Thibault Prioul, l’avenir du spectacle vivant passe indéniablement par les réseaux sociaux. « Le public devient un prescripteur essentiel », affirme-t-il, soulignant que la dynamique des spectateurs ayant la possibilité de partager leur expérience sur ces plateformes change la manière dont la culture est diffusée. Le public devient ainsi un ambassadeur de la culture, renforçant l’authenticité des institutions et leur relation avec leurs spectateurs. Ce phénomène de prescription décentralisée et informelle rend l’accès à la culture plus démocratique. Le public, en tant que “prescripteur”, reprend ainsi le rôle traditionnel des critiques et des institutions culturelles, tout en créant un “bouche à oreille” numérique. Cette nouvelle dynamique de prescription culturelle s’opère à travers une interaction directe, immédiate et plus accessible. Un des enjeux majeurs de cette stratégie numérique est de réduire les barrières d’accès au spectacle vivant, qu’elles soient sociales, économiques, symboliques ou culturelles.
Une étude menée par TMN Lab (2015) montre que cette démarche permet de réduire les obstacles sociaux et économiques à l’entrée dans le spectacle vivant, facilitant ainsi l’accès à une plus grande diversité de publics. Ce changement dans les comportements de consommation culturelle traduit un véritable progrès dans l’inclusivité du spectacle vivant, avec un impact positif sur la variété des publics qui y accèdent.
Une stratégie limitée
Malgré ses nombreux avantages, la stratégie des réseaux sociaux et des influenceurs présente également plusieurs limites. L’un des principaux obstacles reste l’impact des algorithmes qui modifient régulièrement la visibilité des contenus. Les institutions culturelles doivent s’adapter constamment à ces évolutions pour rester visibles et atteindre de nouveaux publics. De plus, l’audience des réseaux sociaux est souvent fragmentée et volatile. La viralité d’un contenu ne garantit pas une fréquentation à long terme des événements, ce qui soulève la question de la conversion de l’intérêt numérique en participation réelle. Selon Pasquier (2015), ce passage reste un défi majeur, car la fidélisation des spectateurs est plus difficile à atteindre sur ces plateformes numériques.
En outre, les formats courts et immersifs utilisés sur les réseaux sociaux peuvent produire des contenus éphémères, rapidement remplacés par de nouvelles tendances. Ce phénomène peut rendre difficile la capitalisation sur des contenus culturels à long terme. Les institutions se retrouvent souvent à adopter une stratégie de communication plus immédiate, parfois au détriment d’une réflexion plus profonde sur la pérennité des messages culturels. De plus, la traçabilité des retombées économiques de cette stratégie demeure incertaine. Comme le souligne Mickael Palvin (Le Monde, 2018), si le nombre de vues et de commentaires est un indicateur d’intérêt, il ne permet pas de mesurer précisément les conversions en termes de ventes de billets ou d’augmentation de la fréquentation.
Chartois Inès, de Feydeau Cordélia, Maugars Justine et Roquet Alice
Sources :
Ballarini, M. (2023). La création des contenus culturels sur les médias sociaux : entre médiation et communication, https://hal.science/hal-04085845
Selon le Baromètre de la confiance politique, publié en février 2025 par Sciences Po et OpinionWay, 45 % des Français se disent méfiants à l’égard de leur état d’esprit politique actuel (source). Un chiffre préoccupant, d’autant plus que la confiance reste un pilier fondamental de nos sociétés modernes : elle est au cœur du fonctionnement de la monnaie, de la justice, ou encore des institutions démocratiques.
Cette crise de confiance s’exprime aussi fortement sur les réseaux sociaux. L’exemple le plus frappant est sans doute le rachat de Twitter par Elon Musk, qui a entraîné de profonds bouleversements dans le fonctionnement de la plateforme. La décision la plus controversée a été celle de mettre fin à la régulation telle qu’elle existait auparavant, ouvrant ainsi la voie à un nouveau modèle de gouvernance des contenus.
Ce changement de paradigme n’est pas resté isolé. Il a inspiré d’autres géants du numérique, comme Meta (maison mère de Facebook, Instagram, etc.), à repenser leurs propres mécanismes de modération. C’est dans ce contexte qu’est née l’initiative des Community Notes, une tentative de régulation participative visant à évaluer les publications entre utilisateurs, à la manière d’un jugement collectif.
1. Le fonctionnement de l’algorithme des Community Notes de X
Le système des Community Notes, développé par la plateforme X (anciennement Twitter), constitue une innovation majeure dans le domaine de la modération communautaire. Son objectif est de faire émerger des annotations jugées utiles par des utilisateurs aux opinions diverses, afin d’apporter du contexte aux publications susceptibles de prêter à confusion (source). Ce modèle repose sur une combinaison d’évaluations humaines et d’algorithmes inspirés des systèmes de recommandation, notamment la matrix factorization.
Un algorithme fondé sur l’utilité perçue
Chaque note rédigée par un contributeur est soumise à l’évaluation d’autres participants, qui peuvent la juger « utile », « quelque peu utile » ou « inutile », correspondant respectivement à des scores numériques de 1.0, 0.5 et 0.0. Ces évaluations alimentent une matrice d’interactions, que l’algorithme utilise pour prédire la pertinence des notes selon les profils des évaluateurs.
L’équation principale du modèle est la suivante :
r̂un = μ + iu + in + fu ⋅ fn
où :
r̂un est la note prédite entre l’utilisateur u et la note n,
μ est une constante globale,
iu et in sont les biais de l’utilisateur et de la note,
fu et fn sont leurs vecteurs de facteurs latents.
C’est la valeur in — appelée intercepte de la note — qui détermine son utilité perçue globalement. Une note est classée :
Helpful (utile) si in > 0.40
Not Helpful (inutile) si in < -0.05 - 0.8 × |fn|
Needs More Ratings si aucun critère n’est rempli
Une validation inter-perspectives
Pour qu’une note soit validée comme Helpful, elle doit être jugée utile par au moins cinq utilisateurs de perspectives opposées (selon leurs facteurs latents). Cette contrainte garantit une forme de validation croisée entre points de vue divergents, réduisant ainsi les effets de chambre d’écho ou de manipulation de groupe.
Fiabilité des contributeurs
Les utilisateurs ne participent pas tous avec le même poids : leurs contributions sont pondérées par des scores de fiabilité, répartis en deux catégories.
Score d’auteur
Ce score est basé sur :
Un ratio pondéré entre le pourcentage de notes devenues Helpful et Not Helpful :
Score = P(Helpful) - 5 × P(Not Helpful)
Une moyenne des scores in des notes précédentes. Pour être éligible, un auteur doit avoir un score supérieur à 0 et une moyenne in > 0.05.
Score d’évaluateur
Ce score évalue la capacité d’un utilisateur à prédire correctement le verdict final d’une note. Il est défini ainsi :
Rater Helpfulness = (s - 10 × h) / t
s : nombre de votes conformes au statut final
h : nombre de votes « Helpful » attribués à des notes abusives
t : total des votes valides
Un évaluateur doit avoir un score ≥ 0.66 pour que ses votes soient pris en compte dans le scoring final.
Mécanismes anti-manipulation
Le système prévoit également des protections contre les abus :
Si une note reçoit de nombreux signalements négatifs émanant d’un groupe idéologiquement homogène, elle devra franchir un seuil plus élevé pour être validée.
Un modèle externe détecte les cas de harcèlement ou d’abus. Les auteurs soutenant une note jugée abusive peuvent être pénalisés.
Un mécanisme de stabilisation fige le statut d’une note deux semaines après sa publication, pour éviter les fluctuations liées à de nouvelles évaluations marginales.
Ce système hybride et algorithmique incarne une nouvelle approche de la modération : à la fois participative, scientifique et transparente, il cherche à équilibrer pluralité d’opinions, qualité de l’information, et lutte contre la désinformation à grande échelle.
2. La blockchain comme alternative trustless : le cas du Proof of Stake
Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, le système des Community Notes, bien qu’élaboré et transparent dans ses objectifs, reste fondamentalement fermé. Toute la logique de validation tourne autour de son propre algorithme, de sa communauté restreinte de contributeurs, et d’un score calculé à partir de modèles internes. Or, en parcourant le code source du projet, il semble clair qu’il n’existe aucun lien direct entre les notes et les conséquences concrètes sur la plateforme (visibilité réduite d’un tweet, modération automatique, etc.). Le système reste donc circulaire, sans articulation forte avec le reste de l’infrastructure sociale de X.
Pour compenser cette absence de lien « réel » avec le monde extérieur, un mécanisme algorithmique complexe a été mis en place pour tenter de simuler une forme de vérité collective — mais comme toute simulation, il présente des limites, et des échecs sont possibles (biais structurels, effets de groupe, manipulation douce…).
Face à ce dilemme — où placer la confiance ? et surtout, est-elle réellement nécessaire ? — un autre modèle, radicalement différent, a vu le jour : la blockchain, et plus précisément ses systèmes de consensus trustless, qui permettent à des millions d’individus anonymes d’interagir sans jamais avoir à se faire confiance.
Le consensus sans confiance : une logique inversée
Contrairement à Community Notes, qui repose sur la réputation, les évaluations croisées et des scores de fiabilité, les blockchains publiques s’appuient sur un système anti-confiance (source). Autrement dit, elles partent du principe que personne n’est fiable par défaut, et que la sécurité du système doit émerger malgré cela. C’est l’essence même d’un système trustless.
Parmi les mécanismes de consensus utilisés en blockchain, les deux plus connus sont : le Proof of Work (PoW) et le Proof of Stake (PoS). Concentrerons sur le PoS, un modèle particulièrement intéressant pour penser la validation collective dans un contexte décentralisé. Dans un réseau en Proof of Stake, ce ne sont plus des machines qui « minent », mais des individus (ou nœuds) qui mettent en jeu leurs jetons (crypto-monnaies) pour participer à la validation des blocs de données. Ainsi, les garanties de sécurité ne viennent pas de la confiance dans l’individu, mais du fait que triche est sanctionnée et que le système est distribué. C’est donc un mécanisme d’incitation inverse : on ne présume pas la bonne foi des participants, on rend la triche coûteuse.
Une leçon pour les systèmes sociaux ?
La comparaison avec Community Notes soulève une question de fond : pourquoi essayons-nous encore de reconstruire des modèles centralisés (avec scores, réputation, vérification croisée, etc.) alors que des architectures décentralisées et anti-confiance ont prouvé leur efficacité à très grande échelle ?
3. Et si on réinventait la modération sociale avec le slashing ?
Finalement, face à la montée de la post-vérité, il devient crucial de sortir des systèmes uniquement basés sur la correction « après coup », sans conséquences réelles pour les auteurs des contenus trompeurs. Aujourd’hui, lorsqu’un tweet est annoté par une Community Note, il reste visible, partageable, et son auteur n’est que très rarement inquiété, même lorsque la publication a eu un large impact. Or, dans d’autres systèmes — comme la blockchain — on ne se contente pas de signaler une erreur : on la sanctionne économiquement. C’est tout l’intérêt du mécanisme de slashing dans les protocoles Proof of Stake : lorsqu’un acteur agit contre l’intérêt du réseau, une partie de sa mise est supprimée. C’est une manière directe de faire payer la triche, sans avoir besoin de faire confiance à un modérateur humain. Un modèle de slashing social : punir les comptes et redistribuer la valeur.
Ce mécanisme pourrait prendre plusieurs formes. Imaginons un système où, lorsqu’un tweet est jugé problématique par la communauté (via une Community Note validée), plusieurs conséquences automatiques sont déclenchées :
Shadow ban progressif : si un compte accumule des publications corrigées par la communauté, sa visibilité peut être réduite automatiquement, jusqu’à une suspension partielle de ses fonctions (commentaires, posts, etc.). Cela introduit un vrai risque réputationnel et algorithmique, comme pour un validateur blockchain fautif.
Slashing économique : si le tweet était monétisé (revenus publicitaires, vues sponsorisées, etc.), alors sa rémunération serait retenue ou annulée, et redistribuée aux contributeurs de la Community Note qui a permis de rétablir la vérité. Ainsi, la valeur générée par un contenu faux ou trompeur serait reversée à ceux qui ont rétabli le contexte, créant une incitation forte à participer à la correction collective.
De la viralité à la responsabilité, ce modèle inverserait la logique actuelle : aujourd’hui, la viralité précède la vérité, et la correction arrive souvent trop tard. En intégrant un système de sanctions et de redistribution, la plateforme introduirait une économie de la vérification, où chaque publication engage l’auteur de manière plus directe. En reprenant les principes du slashing, mais appliqués au champ social et informationnel, on ouvrirait la voie à une modération post-virale, dissuasive et redistributive. Non pas pour censurer, mais pour rendre coûteuse la désinformation, et rentable la contribution à une information collective plus saine.
Dans l’imaginaire collectif, un hacker est un génie solitaire, tapant frénétiquement du code pour forcer des systèmes impénétrables. Mais cette perception nourris par les films Hollywoodien reflète-t-elle vraiment la réalité des cyberattaques aujourd’hui ?
Le facteur humain au cœur des cyber-menaces En observant les statistiques des cyber-menaces ciblant les utilisateurs, on est bien loin du hacker hollywoodien : pas de code tapé à vitesse éclair, de malware inconnu, ni de failles ultra sophistiquées. Pour utiliser une analogie, la menace vient rarement d’un intrus qui force l’entrée, mais souvent de l’utilisateur qui lui ouvre sa porte. Cela se vérifie empiriquement. Selon un rapport de Gen Digital1, la première menace sur les réseaux sociaux est constituée par les publicités malveillantes, ou « malvertising »
Le Malvertising
La société Avira résume2 : « Prenez un cybercriminel, une publicité en ligne et une pincée de malware. Mélangez. » le code malveillant, contient souvent un keylogger qui enregistre les frappes pour voler vos données. Ces campagnes représentent 27 % des attaques détectées fin 2024. Le malware est souvent basique et disponible librement en ligne, par exemple sur GitHub pour le keylogger. Pas besoin de piratage, un simple clic en trop et vos données sont en danger.
Les fausses marketplaces
La deuxième menace (23 %) concerne les fausses boutiques en ligne. Promues via des bots, comptes piratés ou publicités, elles proposent des produits à prix cassés, sur des sites imitant parfaitement des enseignes réelles. L’utilisateur clique entre ses identifiants ou coordonnées bancaires et… ne reçoit jamais rien. Ses données sont revendues ou réutilisées. Selon Nord Security, les informations de carte bancaire se monnayent en moyenne à 7 $ l’unité3. Nul besoin de piratage, il suffit de convaincre.
Le phishing
Représentant 18 % des attaques, le phishing est la 3ème attaque la plus populaire sur les réseaux sociaux. Cybermalveillance.gouv. le définit comme un « mode opératoire consistant à dérober des informations personnelles […] en usurpant l’identité d’un tiers de confiance ». Sur les réseaux, cela prend la forme de messages privés envoyés depuis des comptes volés (parfois ceux d’un ami), de faux supports, ou de liens « urgents » incitant à vérifier son compte. Il ne s’agit pas d’un exploit informatique, mais d’une attaque sociale.
Souvent un même objectif : le credential harvesting
Qu’il s’agisse d’une publicité piégée, d’une fausse boutique ou d’un message de phishing, le schéma est souvent le même : pousser l’utilisateur à entrer ses identifiants sur une page frauduleuse. Ce procédé, appelé credential harvesting, vise à collecter des accès légitimes pour les réutiliser ou les vendre 5. Ces attaques sont encore plus dangereuses, si combinées entre elles. Par exemple, un compte volé via phishing peut ensuite servir à diffuser du malvertising ou promouvoir une fausse boutique de manière crédible.
Toutes ces techniques visent en priorité Facebook, qui concentre à lui seul 56 % des cybermenaces sociales, loin devant YouTube, 26 % et X 7 % 1
Pourquoi l’utilisateur comme cible et pas la machine ?
Si sur les réseaux sociaux, ce sont souvent les utilisateurs eux-mêmes qui sont attaqués, cela s’explique par une double dynamique. D’abord, les attaques techniques deviennent plus difficiles grâce au progrès des outils de sécurité, de l’autre, ces plateformes facilitent naturellement l’ingénierie sociale.
L’ingénierie sociale ou social engineering , soit les techniques visant à manipuler des individus pour les pousser à divulguer des informations confidentielles ou à adopter un comportement compromettant leur sécurité 6, ne cherche pas à casser un système, mais à contourner ses protections en s’appuyant sur le facteur humain.
Et c’est précisément ce que favorisent les réseaux sociaux. Il est logique de voir Facebook concentré 56 % des cybermenaces. Sa structure entre espace privé et espace public, ses groupes ouverts, son moteur de recherche interne et ses profils partiellement accessibles facilitent et multiplient les interactions, y compris avec des inconnus. Plus l’utilisateur est connecté, plus il est vulnérable. Chaque publication, commentaire ou ajout de contact augmente la surface exploitable par les attaquants, comme le rappelle Cybermalveillance.gouv 7
L’erreur humaine au sein même des médias sociaux
Ce ne sont pas seulement les utilisateurs qui ouvrent la porte aux cybercriminels. Les plateformes sociales elles-mêmes restent vulnérables aux failles humaines.
Le cas Twitter : Prendre le contrôle sans une ligne de code
Graham Ivan Clark, alias “Open”, n’est pas un spécialiste en cybersécurité. Pourtant à 15 ans, il s’intéresse au sim swapping et au social engineering, lui permettant sur Twitter de voler et revendre des pseudos rares. En bref, un cyber-délinquant opportuniste, mais sans expertise en code, en malware ou en réseau.
Il est dit que c’est dans le jeu Minecraft qu’il aurait fait ses armes, où il filmait ses exploits de scammer, et ses stratagèmes de manipulation pour piéger, voler, et abuser de la confiance des joueurs. C’est sur le jeu qu’il développe ses premiers réflexes d’usurpation, et de persuasion.
En juillet 2020, il apprend que 1 500 employés de Twitter disposent d’habilitations administrateur. Open y voit 1 500 potentiels occasions de devenir riche, sans pare-feu à franchir, ou de mot de passe à forcer.
Le 15 juillet 2020, il passe à l’action. Il identifie ses cibles sur LinkedIn, souscrit à un abonnement premium pour récupérer leurs coordonnées, puis les appelle un par un. À chaque fois, même scénario : se faire passer pour le support technique, invoquer une urgence, et rediriger l’employé vers une page d’authentification clonée. Le site, copie conforme du portail VPN de Twitter, est équipé d’un keylogger qui enregistre les identifiants en temps réel 8
L’opération reprend exactement les logiques décrites en première partie : une fausse interface, une usurpation d’identité, un discours crédible, et une victime mise sous pression, qui finit rapidement par céder au credential harvesting.
En moins de 48 heures, Open obtient ces accès, il prend le contrôle de 130 comptes certifiés de célébrité, publie une arnaque au Bitcoin, désactive la double authentification, et détourne plus de 120 000 dollars. En bref, comment pirater Twitter, sans coder une ligne. 9
Un cas isolé ?
Par ailleurs, le cas de Twitter n’est pas isolé. En 2019, Facebook a vu les données de plus de 267 millions de comptes exposées publiquement en ligne. Aucune intrusion, aucun piratage sophistiqué, l’origine de la fuite tient à une simple erreur d’accès, sur un serveur tiers, laissant les données accessibles sans aucune authentification particulière. Par un simple outil de scraping, des millions de noms, identifiants et numéros de téléphone ont ainsi été collecté, preuve qu’un manque de rigueur peut suffire à provoquer une fuite massive d’informations.
Mais alors, le hacker hollywoodien, ça n’existe pas ?
Ce type de piratage existe, mais il ne concerne ni Instagram, ni vos messages privés sur X. Ces attaques très techniques visent des cibles stratégiques : installations nucléaires,, infrastructures critiques ou militaire, et sont menées par des groupes spécialisés, souvent liés à des États.
L’exemple le plus célèbre est Stuxnet, un malware d’une complexité inédite, conçu pour saboter les centrifugeuses nucléaires iraniennes. Découvert en 2010, il aurait été développé par les États-Unis et Israël. Il exploitait plusieurs failles zero day pour infiltrer et saboter des systèmes, notamment en faisant surchauffer les infrastructures nucléaires.
Ces failles zero day, soit des vulnérabilités encore inconnues des éditeurs sont au cœur du piratage ultra-technique. Elles permettent des intrusions sans erreur humaine, simplement parce que le logiciel contient une faiblesse inconnues de (presque) tous. Elles sont rares, précieuses, et revendues à prix d’or. Selon le CSIS, elles ne représentent qu’environ 3 % des vecteurs d’intrusion 10
Comment ne pas être le maillon faible?
Pour conclure notre article, on voit que les représentations médiatiques nous ont laissé penser que la cybersécurité ne nous concerne pas. Si l’on se fait pirater, c’est qu’un génie de l’ombre a frappé, et on n’y peut rien… Pourtant, comme nous l’avons vu, presque systématiquement, les attaques commencent par une erreur humaine, utilisateur ou employé. C’est pourquoi nous tenions à vous rappeler quelques pratiques simples, mais essentielles afin d’assurer votre sécurité.
1. Utilisez votre sens critique Vous attendiez vraiment cet appel du support ? Est-ce normal que votre ami veuille vous vendre des cryptos ? Cette promo ne paraît-elle pas un peu trop belle pour être vraie ?
2. Vérifiez le certificat du site web Avant de cliquer, passez votre souris sur le lien : si l’URL ne commence pas par “https”, il n’est pas sécurisé. Sur la page, vérifiez que le cadenas s’affiche bien dans la barre d’adresse.
Les certificats étant délivré par des organismes indépendants, si le site possède ce cadenas/certificat, il est presque impossible que ce soit une tentative de phishing, de malvertising ou une fausse marketplace.
3. Personne ne vous demandera vos identifiants Ni le support officiel, ni votre banque, ni votre plateforme. Si quelqu’un vous les réclame, c’est une arnaque. Point.
4. Enfin activez la double authentification
Activez la double authentification sur vos réseaux comme sur vos applications bancaires. Si vous êtes victimes de phishing ou de credential harvesting, vous serez à la fois informé et protégé.
“Je ne cherche pas à faire du prosélytisme, je veux juste partager la bonne nouvelle”, déclare la youtubeuse So Andy dans sa dernière vidéo sur son baptême évangélique. Pourtant, la créatrice de contenu lifestyle a fait vivement réagir sa communauté suite à l’annonce de sa conversion. Ses fans s’interrogent : Andy glamourise-t-elle des dérives sectaires ? En cause : le mouvement évangélique est surveillé de près par la Miviludes, l’organisation chargée du suivi et de l’analyse des phénomènes de culte en France.
En 2021, cette dernière a reçu 4 020 saisines, soit une hausse de 86% en 5 ans. Dans son dernier rapport, elle pointe du doigt l’émergence de “gourous 2.0”, dont l’ascension a grandement été facilitée par la crise sanitaire. Avec la santé comme préoccupation principale et Internet comme outil majeur de socialisation, bon nombre de groupes marginalisés se sont formés durant cette période, parfois qualifiés de dérives sectaires. En exploitant les peurs liées à la santé, des gourous ont profité de ce contexte pour partager des “recettes miracles” ou des théories complotistes, ce qui a mené à un rebond des phénomènes sectaires en France.
C’est pourquoi les autorités et les associations préfèrent parler de “dérive sectaire”, qualifiée par Michel Monroy et Anne Fournier de “construction d’une allégeance inconditionnelle au sein d’un isolat culturel autoréférent, à caractère expansif dans différents domaines de la vie individuelle”. Autrement dit, il s’agit d’une emprise totale exercée par un groupe fermé, qui ne reconnaît que ses propres croyances et s’immisce progressivement dans tous les aspects de la vie de ses membres.
Aujourd’hui, les dérives sectaires ne concernent plus seulement la spiritualité. Elles peuvent être présentes dans le développement personnel, les cryptomonnaies, ou encore le coaching, déplaçant la croyance vers des sphères plus concrètes. Les dérives sectaires en ligne peuvent aussi paraître moins menaçantes, car elles ne passent pas par des groupes physiques. Autrefois cantonnées à des communautés fermées et physiques, elles se diffusent désormais à grande échelle sous des formes mobiles, changeantes, et impalpables.
UN FONCTIONNEMENT PROPICE AUX DÉRIVES
Réseaux sociaux et dérives sectaires partagent un point commun : l’influence. Si tous les utilisateurs de réseaux sociaux ne rejoignent pas des groupes sectaires, le fonctionnement de ces plateformes s’est avéré être un terrain particulièrement fertile pour l’embrigadement. L’algorithme de recommandation y joue le rôle de prosélyte, en exploitant divers mécanismes déjà bien connus des sectes traditionnelles.
Le biais de confirmation est l’une des premières techniques citées par le Dr. Steven Hassan, un auteur spécialisé dans le domaine des cultes. À mesure qu’il passe du temps sur la plateforme, l’utilisateur obtient un feed personnalisé, ne voyant plus que des contenus renforçant ses croyances. Les discours tenus deviennent alors de plus en plus radicaux, sans que l’individu ne s’en rende compte. Un avantage considérable pour les gourous, qui profitent de cette bulle de filtre pour partager des récits et des vérités partielles, alignées sur leur doctrine. Les algorithmes amplifient aussi la diffusion de ce contenu, car il est susceptible de créer un fort engagement. À cela s’ajoute l’absence d’intermédiaire entre l’émetteur du message et l’utilisateur, ce qui renforce l’impact du contenu.
Certaines Églises considérées comme ayant des dérives sectaires par la Miviludes en profitent pour diffuser leur idéologie. L’Église de Scientologie a récemment lancé une campagne de promotion “Bienvenue en Scientologie” sur Facebook, Instagram et X. Face aux nombreux signalements auprès de la Miviludes, le mouvement s’est vite défendu : “Nous voulons apporter des réponses sur ce qu’est notre religion et qui nous sommes.”
Capture d’écran d’une publicité sponsorisée de l’église de scientologie sur Instagram
Les réseaux sociaux deviennent ainsi des outils privilégiés pour diffuser des idéologies radicales. Il s’agit in fine d’un processus typique des dérives sectaires : un endoctrinement fait de manière incrémentale, introduisant graduellement des idées fausses et radicales.
LES INFLUENCEURS CHARISMATIQUES, UN LEVIER D’EMBRIGADEMENT EN LIGNE
À la faveur de ce contexte, de nouveaux acteurs ont émergé : les gourous 2.0. Plus discrets, maîtrisant le web et les processus de manipulation, ces nouveaux gourous se sont multipliés après la pandémie de Covid-19.
Sur les réseaux sociaux, leur aura ne repose plus uniquement sur leurs qualités personnelles, mais aussi sur l’engagement de leur communauté. C’est ce que démontrent Hayley Cocker et James Cronin dans leur essai “Charismatic authority and the YouTuber: Unpacking the new cults of personality”, en appliquant le concept d’“autorité charismatique” de Max Weber aux acteurs du web. Contrairement aux figures charismatiques traditionnelles, les gourous 2.0 bâtissent leur légitimité via un processus participatif : likes, commentaires et partages deviennent les piliers d’un charisme alimenté en continu par la validation de leur audience. Les gourous 2.0 s’érigent aussi en figures de rupture, rejetant les savoirs établis au profit d’idées qu’ils présentent comme révolutionnaires. Thierry Casasnovas en est un parfait exemple : surnommé “le pape du crudivorisme”, ce youtubeur a fait l’objet de 54 signalements auprès de la Miviludes en 2021. Dans ses vidéos, il nie l’existence des maladies, accuse la médecine de nuire à la santé et encourage ses abonnés à abandonner leurs traitements pour des jus de légumes et des jeûnes prolongés.
Derrière ce discours, l’emprise peut s’avérer réelle : des témoignages font état de graves conséquences physiques et psychologiques chez ses adeptes. Parmi les témoignages reçus par la Miviludes, un homme avance que sa femme « ne veut plus aller voir son médecin traitant qu’elle connaît pourtant très bien” et qu’elle “a perdu 8 kilos à force de jeûner« . Pourtant, malgré sa mise en examen, Thierry Casasnovas continue à prospérer grâce aux revenus générés par YouTube et ses formations en ligne.
Lorsqu’un influenceur devient un repère central dans la vie de ses abonnés, la frontière entre admiration et emprise peut donc vite s’estomper. Cette proximité illusoire peut nourrir une dépendance affective et rendre une communauté particulièrement vulnérable aux dérives. C’est ce que pointe du doigt le cas d’Ophenya, une influenceuse de 24 ans signalée à la justice après les alertes du collectif “Mineurs Éthiques et Réseaux” et de la Miviludes. Majoritairement composée d’adolescentes, sa communauté n’hésite pas à la surnommer “maman” et à la comparer à une grande sœur. Son engagement contre le harcèlement scolaire lui a valu une immense popularité, mais aussi des dérives qui inquiètent.
Ses interactions dépassent le cadre d’une simple relation influenceur-abonné : lives nocturnes, discussions privées prolongées, et pression sociale forte au sein de sa communauté, où ceux qui prennent leurs distances sont mal vus. Ophenya n’hésite pas à intervenir directement dans la vie de ses abonnés, allant même jusqu’à appeler l’école d’une jeune fille harcelée. Elle invite également des mineurs à se confier durant ses live Tik Tok, une pratique pourtant interdite par l’application. Cette idée lui a coûté son compte cumulant plus de 5 millions d’abonnés, qui a été définitivement supprimé pour non-respect des règles à la communauté. Cela ne l’empêche pas de continuer à partager du contenu sur sa page Instagram.
UN CADRE JURIDIQUE EN PLEINE ÉVOLUTION
Face à ces dérives, comment réagir ? Signaler ce type de contenu aux réseaux sociaux est possible, mais en pratique, cela n’a pas beaucoup d’impact. En revanche informer la Miviludes peut être une meilleure option, puisque l’organisme regroupe les signalements des victimes d’un même gourou, pour en amplifier la portée.
Sur le plan juridique, plusieurs infractions peuvent être retenues selon le contexte : exercice illégal de la médecine, mise en danger de la personne ou abus de l’état de sujétion psychologique. Cette dernière infraction a été particulièrement renforcée par la loi du 10 mai 2024, qui prévoit une peine aggravée lorsque l’infraction est commise via un service de communication en ligne ou par tout support numérique. L’objectif est clair : viser les dérives sectaires sur les réseaux sociaux.
Pour autant, malgré les signalements auprès de la Miviludes, les influenceurs mis en cause poursuivent leur activité. L’heure n’est donc pas encore aux sanctions, mais à la compréhension d’un phénomène qui risque de fortement s’intensifier.
Le sport ne se joue plus uniquement sur les terrains. Il se diffuse, se partage, se commente et se détourne en direct sur les réseaux sociaux. Dans ce nouvel écosystème numérique, les diffuseurs historiques sont confrontés à une révolution silencieuse : celle d’une consommation fragmentée, virale et parfois illégale. Alors, si le live streaming sur les plateformes sociales a permis d’élargir l’audience des compétitions sportives, il a dans le même temps donné naissance à une économie parallèle fondée sur le piratage. Ainsi, peut-on dire que les réseaux sociaux, catalyseurs d’engagement sportif, ne sont-ils pas aussi les fossoyeurs des diffuseurs traditionnels ?
Une nouvelle manière de consommer le sport : la viralité comme levier d’engagement
Les réseaux sociaux ont redéfini les contours de l’expérience sportive. Aujourd’hui, suivre un sport ne signifie plus forcément regarder un match en intégralité. La génération Z, friande de contenus courts, interactifs et accessibles, consomme le sport comme elle scrolle son feed Instagram : de manière éclatée mais continue.
Des comptes spécialisés comme Actu Foot pour le football ou La Sueur pour le MMA jouent un rôle clé dans la transformation de la consommation sportive sur les réseaux sociaux. Ces médias publient plus de trois fois par jour en moyenne, y compris en dehors des matchs ou des combats, assurant une présence constante dans le fil d’actualité des fans. Ils relayent les faits marquants, les statistiques, les déclarations, les extraits vidéo et les coulisses, en construisant autour de chaque événement une narration rythmée et émotionnelle.
À l’échelle internationale, MMA Junkie incarne cette même logique dans l’univers du MMA, avec une couverture ultra-réactive des événements UFC et des contenus exclusifs diffusés dès les premières minutes. Ensemble, ces comptes spécialisés transforment le sport en flux narratif continu, en entretenant une tension dramatique et une attente constante, ce qui renforce considérablement l’attractivité du sport auprès d’un public jeune, connecté, et peu enclin à s’en remettre aux seules chaînes télévisées.
Cette logique s’étend aux diffuseurs eux-mêmes. RMC Sport, par exemple, ne se contente plus de retransmettre les matchs : elle produit des formats narratifs, posté sur sa chaîne youtube autour des grandes affiches dans les sports qu’elle diffuse. Ces mini-films, construits comme des épopées émotionnelles renforcent l’attachement au produit sportif.
Enfin, les résumés post-matchs publiés gratuitement sur YouTube par BeIN Sports pour le football ou par Canal+ pour la Formule 1 jouent un rôle stratégique dans l’élargissement de l’audience. En diffusant les meilleurs moments des rencontres quelques minutes après leur diffusion, ces chaînes permettent aux non-abonnés de rester connectés à l’actualité sportive, même sans accès au direct. Pour un public qui ne souhaite pas – ou ne peut pas – payer un abonnement mensuel, ces extraits constituent une porte d’entrée accessible, notamment dans des contextes complexes comme les Grands Prix d’Asie, souvent diffusés à l’aube en France.
Ce format court, rapide à consommer et très partageable sur les réseaux sociaux, maintient l’intérêt même chez les spectateurs les plus occasionnels, en leur permettant de suivre les temps forts, de développer une forme de familiarité avec les compétitions, et, à terme, de susciter une envie de s’abonner pour accéder à l’intégralité du contenu. Ce levier, à mi-chemin entre expérience gratuite et marketing d’engagement, s’inscrit dans un modèle hybride associant contenus accessibles, viralité sociale et offres premium. Un modèle qui permet de fédérer, fidéliser et convertir, mais qui soulève une question essentielle : si l’essentiel est gratuit, quel est encore l’intérêt de l’abonnement ?
Telegram, Twitter et IPTV : l’explosion du piratage sportif
Cette brèche a été exploitée à une échelle inédite par les acteurs du piratage. En 2024, le match entre Le Havre et le PSG a par exemple été suivi illégalement par plus de 200 000 personnes sur Telegram, selon Le Figaro. Ce chiffre illustre une réalité dérangeante : Telegram est devenu une plateforme de streaming illégal à très grande échelle. Les chaînes pirates y diffusent gratuitement, en haute définition, des matchs de Ligue 1, des Grands Prix de Formule 1 ou des combats UFC, parfois à peine quelques secondes après leur lancement officiel.
La messagerie chiffrée rend toute régulation complexe. Contrairement aux sites traditionnels de streaming illégal, plus facilement repérables et bloquables, les chaînes Telegram fonctionnent par invitation, se déplacent d’un lien à l’autre et bénéficient d’une agilité communautaire qui déjoue les blocages. Résultat : malgré les efforts de l’Arcom, notamment via le dispositif DAD (Dispositif d’Actualisation Dynamique), le phénomène reste difficile à enrayer. Selon La Dépêche, le piratage sportif aurait coûté près de 300 millions d’euros à l’économie du sport français en 2025.
Mais le piratage ne repose pas uniquement sur des plateformes clandestines. Il peut également exploiter des failles juridiques ou géographiques, notamment à travers l’usage de VPN.
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Cette saison, la Ligue 1 a été diffusée gratuitement en clair au Brésil, via le site de streaming d’un diffuseur local. En utilisant un simple VPN configuré sur une localisation brésilienne, il était ainsi possible pour n’importe quel internaute français d’accéder légalement, mais de manière détournée, à l’intégralité des matchs gratuitement, contournant de fait les offres payantes proposées sur le territoire français.
Twitter, devenu X, participe également à cette dérive. Lors de grands événements sportifs, certains utilisateurs diffusent illégalement des matchs via Twitter Live, parfois en direct depuis leur écran ou via des flux capturés. Le problème tient à la vitesse de propagation : la viralité propre à X peut propulser un flux pirate devant des centaines de milliers de spectateurs avant même que les modérateurs n’interviennent. Lors du combat Canelo vs Golovkin en 2022, une diffusion pirate sur la plateforme avait ainsi atteint plus de 500 000 vues en direct.
DAZN, Ligue 1 et crise de confiance
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La situation de DAZN illustre parfaitement l’impasse dans laquelle peuvent se retrouver les diffuseurs. Arrivé en France avec les droits de la Ligue 1, DAZN avait fixé un tarif d’abonnement à 39,99 €/mois sans engagement. Très vite, la plateforme a été la cible d’un mouvement de boycott massif sur X, accusée de pratiquer une politique tarifaire déconnectée de la réalité économique des fans.
Résultat : une chute des souscriptions, un recours massif au piratage et une obligation de revoir son modèle. En mars 2025, la plateforme est même allée jusqu’à proposer un pass fin de saison offert pour l’achat d’un menu McDonald’s ou encore un abonnement à 10 € pour les moins de 26 ans.
@DAZN_FR sur X
Mais le mal était fait : selon la LFP, 55 % de l’audience du Classique PSG-OM aurait été réalisée via des canaux illégaux, malgré les offres promotionnelles et le blocage de 340 sites pirates. Au-delà des prix, c’est la qualité de l’expérience utilisateur qui est en cause. Les retours pointent des coupures, un manque de production et d’émissions, une interface peu intuitive et des commentaires absents ou tardifs. Dans ce contexte, le piratage apparaît parfois comme une alternative plus stable… et gratuite.
Une stratégie de reconquête : Twitch et YouTube comme leviers d’attraction
Conscients que l’accès gratuit est devenu une attente, certains diffuseurs prennent les devants. RMC Sport, par exemple, a diffusé gratuitement sur Twitch plusieurs compétitions, dont des combats de l’UFC et le circuit WTT de tennis de table. Cette stratégie vise à susciter l’engagement autour de sports moins médiatisés, avec l’objectif de convertir ensuite cette audience en abonnés ou en consommateurs de contenus premium.
Ce modèle s’inscrit dans une logique freemium : offrir une entrée gratuite de qualité pour attirer, fidéliser et monétiser plus tard. C’est aussi une manière de concurrencer directement les chaînes pirates, sur leur propre terrain : l’accessibilité, la simplicité, l’interactivité.
Le live streaming sportif à l’ère des réseaux sociaux est donc un paradoxe : il est à la fois l’outil le plus puissant pour dynamiser le sport et le facteur le plus menaçant pour son modèle économique. Entre l’essor du piratage sur Telegram, la viralité incontrôlable sur Twitter, la grogne tarifaire face à des plateformes comme DAZN, et la montée des alternatives illégales, les diffuseurs sont contraints à une transformation profonde.
La réponse ne peut être uniquement répressive. Elle doit être stratégique : penser l’offre comme une expérience complète, accessible, fluide et communautaire. Car c’est là que se joue l’avenir du sport : non plus dans la seule retransmission, mais dans la capacité à créer du lien, de la valeur et de la fidélité au sein de communautés ultra-connectées.
TikTok, qui a explosé lors du confinement en 2020, s’est notamment popularisé par ses dance challenge. Ce réseau social a transformé l’industrie musicale au global et une a particulièrement pu profiter de ce phénomène de danses accompagnant les musiques : celle de la K-pop.
En effet, pour ceux qui auraient pu passer à côté de la hallyu, aussi appelée la vague coréenne, le soft-power coréen n’a fait que se diffuser depuis plusieurs années, dû notamment à la popularité grandissante de la K-pop. Cette dernière se définit par des musiques alliant différents genres musicaux, des clips vidéo élaborés et surtout des chorégraphies accompagnant la plupart des chansons. Les artistes de pop coréenne sont appelés “idoles”.
Avec environ 64.9 millions de publications utilisant le #Kpop, TikTok est un des moyens de promotion majeurs de cette industrie.
Le début de cette tendance peut être attribué à l’artiste Zico avec sa chanson Any Song. Se postant avec les solistes féminines Hwasa et Chungha, le #AnySongChallenge est rapidement devenu viral et la chanson obtient même le “perfect-all-kill” pendant 330 heures. En tant que la distinction la plus difficile à obtenir, ce terme signifie qu’une chanson est en première position sur les services de streaming musical coréen les plus importants (Melon, Genie, Bugs!, Vibe, Flo). En 2021, Any Song remporte même la “Trend of the Year” à la cérémonie coréenne Golden Disc Awards, une récompense qui n’avait pas été attribuée depuis 2014.
À la suite de cela, TikTok est devenue la plateforme de prédilection de cette industrie. Désormais, chaque groupe a un compte car étant un canal incontournable non seulement pour la promotion, mais également pour se rapprocher des fans.
Des dance challenges pour les fans…
Actuellement, chaque nouvelle chanson s’accompagne de vidéos TikTok avec les idoles reprenant le moment phare de la chorégraphie, le plus souvent, le refrain. Ils initient le challenge espérant qu’il soit repris par beaucoup et y montrent une réelle implication. Des behind-the-scenes postés par les artistes eux-mêmes les montrent répéter plusieurs fois pour avoir la meilleure prise possible. Par exemple, la vidéo postée par le groupe ILLIT voit différents artistes se succéder pour filmer les Cherish (My Love) et Tick-Tack Challenge qui sont leurs deux nouvelles chansons. Via les collaborations entre groupes, les dance challenge trouvent un autre moyen de devenir viral auprès des fans.
Les collaborations entre idoles
En effet, les dance challenge sont propices aux collaborations entre différents groupes.
Dans une industrie où l’image renvoyée a une place importante, les dance challenge sont un moyen de voir une facette plus amusante et détendue des idoles lorsqu’ils sont avec leurs amis provenant d’autres groupes. Les fans voient leurs groupes favoris interagir et effectuer des chorégraphies qui ne sont pas forcément dans leur registre habituel. Par exemple, le 9 mars dernier, des membres du groupe Twice ont filmé un TikTok avec J-hope du groupe BTS à l’occasion de la nouvelle chanson sortie par ce dernier, Sweet Dreams. Étant une interaction attendue depuis longtemps par les fans des deux groupes, leur réaction ne s’est pas fait attendre sur TikTok.
Les collaborations se retrouvent souvent à être les vidéos les plus virales. C’est le cas pour le groupe féminin Le Sserafim et leur chanson Perfect Night. Pourtant très actives sur TikTok, c’est la collaboration avec Jungkook du groupe BTS qui est leur vidéo la plus populaire avec 7.7M de likes. En effet, en impliquant différentes idoles, les dance challenge permettent de ramener les fans des groupes respectifs et augmenterl’engagement.
TikTok rend la viralité plus facile et le fait d’être remarqué également. Un lien plus informel se crée alors entre les artistes et leurs fans lorsque ces derniers reprennent la danse et avec un sentiment de proximité rendu encore plus fort. En effet, l’industrie de la K-pop est définie par une économie de la célébrité forte. Si la relation parasociale ne résultait que de contenus unilatéralement partagés aux fans par les idoles, TikTok apporte une interaction plus directe et réciproque entre ces deux parties.
“K-pop fans form fan clubs, take videos and photos of the idol groups, create fan chants, move in an organized manner, and even make donations in the artist‘s name. This participatory culture resembles TikTok’s nature.”
L’industrie de la K-pop a toujours eu des fans très impliqués et actifs dans leur passion pour la pop coréenne. Notamment, YouTube connaît nombre de groupes de dance cover à travers le monde car les fans ont toujours apprécié reproduire les chorégraphies K-pop. C’est sur YouTube que ce phénomène a émergé, mais c’est TikTok qui leur a donné la plateforme pour se faire remarquer tant par d’autres fans que les groupes eux-mêmes.
En effet, les idoles peuvent être davantage actives dans leurs interactions avec leurs fans à travers des reposts, des likes publics ou encore des commentaires laissés par leur compte. Par exemple, la chanson Like Jennie de l’artiste éponyme est reprise dans plus de 900k publications, dont beaucoup de cover où la plupart des fans taguent son compte dans l’espoir de se faire remarquer et reposter. Lorsque c’est le cas, le compte de l’artiste se retrouve à centraliser les personnes ayant repris ses dance challenge, contribuant à leur viralité. Sur @jennierubyjane aux plus de 17 millions d’abonnés, le repost du TikTok de @jajjangmaki aux 20k abonnés, a contribué à ses 4 millions de vues tandis que le flux de commentaire informant du repost de l’artiste est important. Cela démontre à quel point les comptes repostés sont mis en avant.
Capture d’écran de l’espace commentaire du TikTok de @jajjangmaki
La soliste Lisa a même filmé un TikTok avec l’influenceuse danse Niana Guerrero, aussi fan de K-pop et avec 45.5 millions d’abonnés pour promouvoir sa chanson Fxck Up The World. Avec plus de 8 millions de likes, elle est devenue la septième vidéo la plus populaire du compte. Des collaborations peuvent donc même concerner les fans les plus populaires ; la danse et les danseurs sur TikTok constituent des moyens de promotion à part entière.
… et par les fans
Parfois, certaines dance challenge émergent du côté des fans eux-mêmes. Ils créent leurs propres chorégraphies ou rendent viral des moments de la chanson qui n’ont pas été mis en avant par l’artiste.
Par exemple, la chanson Polaroid Love du groupe Enhypen comptabilise actuellement plus de 320 millions d’écoutes sur Spotify. Bien qu’elle ne soit qu’une b-side (une chanson non principale), elle a été popularisée par la danse créée par @reeeiner qui est devenue tellement virale qu’elle a été reprise par le groupe lui-même.
La viralité sur TikTok est déterminante. Prenons le cas du groupe Kiss Of Life qui, en octobre dernier, sort son album Lose Yourself. La chanson la plus populaire de ce dernier se révèle être la b-side Igloo avec 100 000 écoutes de plus que la title track Get Loud. La raison : la membre Haneul se fait remarquer lors du troisième refrain et cela devient un moment viral rapidement repris par tous. Pourtant, le groupe ne s’attendait pas à ce que cette chanson soit autant appréciée. Les dance challenge initiés par les fans permettent de mettre en avant des chansons indépendamment de la volonté initiale de l’artiste original.
Des dance challenge pour tous
Les dance challenge cherchent à être les plus accessibles possible afin d’être facilement repris et c’est pourquoi les pas sont parfois simplifiés. Le groupe NMIXX ayant récemment sorti Know About Me en a proposé une “version facile” dans un TikTok. En outre, les artistes peuvent même offrir un tutoriel de la chorégraphie comme l’a fait J-hope pour sa chanson Mona Lisa.
Les dance challenge peuvent également atteindre des non-fans et d’autres idoles sans que cela donne lieu à une collaboration. C’est le cas de la chanson Like Jennie mentionnée précédemment qui a été reprise par plusieurs groupes populaires tels qu’Enhypen ou Le Sserafim, qui y avaient été incités par leurs fans au vu de la popularité du challenge.
Nous avons donc des dance challenge pour tout niveaux : lorsqu’ils proviennent des idoles, ils se veulent accessibles tandis que des moments de chorégraphies devenant involontairement viraux peuvent se révéler plus compliqués. Par conséquent, il devient dans l’intérêt de toutes les parties concernées qu’un maximum de personnes reprenne la chorégraphie afin de lui donner un caractère viral. Cela permet non seulement de populariser la chanson des artistes, mais également les dance cover des fans, rendant alors le fait d’être remarqué plus facile. Un cercle vertueux s’installe donc grâce à l’algorithme TIkTok.
Ainsi, TikTok est devenu le réseau social propice à la K-pop pour promouvoir les nouvelles chansons sorties. Les dance challenge favorisent l’engagement des fans lorsqu’ils y participent, et qu’ils soient initiés par les idoles ou les fans, la viralité est l’objectif commun, car la visibilité offerte bénéficie à tous. Reprenant un élément majeur de la K-pop que sont ses chorégraphies, les dance challenge font désormais partie intégrante de la campagne marketing des musiques de cette industrie.
« Blind The Wind ». Si ces trois mots ne vous disent rien, c’est que vous n’avez pas encore croisé la route des lost media et de la lost wave, ces phénomènes qui captivent internet depuis plus d’une décennie. Peut-être avez-vous alors entendu parler de « Everyone Knows That » ou « Ulterior Motives » ? Si ces noms ne vous disent toujours rien, alors il est temps d’expliquer.
Qu’est-ce qu’un lost media ?
Le terme lost media désigne tous types d’œuvres, de documents ou d’enregistrements dont on connaît l’existence, mais étant pourtant considérés comme introuvables, partiellement accessibles, voire définitivement perdus. Il peut s’agir de musiques, d’émissions, de jeux vidéo, de publicités, d’enregistrements divers, voire même de boites noires d’avions accidentés, la définition est sans limite. Dans le cas de la musique, on parle plus exactement de ‘lost wave’, désignant cette fois des chansons, extraits de musique, ou albums qui sont disponibles, mais dont on ne parvient pas à retrouver l’origine. Il s’agit donc en quelque sorte du contraire d’un lost media classique, pourtant ces morceaux non identifiés sont tout de même souvent regroupés avec le reste des lost media, comme nous allons le faire dans cet article.
La plupart du temps, ces œuvres oubliées refont surface grâce à un individu nostalgique souhaitant retrouver un de ses souvenirs d’enfance ; un épisode de dessin animé l’ayant terrifié plus jeune, une musique introuvable vivant encore dans sa mémoire, ou encore un vague souvenir d’un ancien jeu vidéo. Mais ces découvertes peuvent également résulter du hasard ou d’une simple curiosité. Généralement, une simple recherche internet ou un shazam suffisent, mais dans certains cas, la recherche s’annonce plus compliquée que prévue, et ceux souhaitant à tout prix retrouver l’œuvre perdue se tournent alors vers internet pour solliciter de l’aide sur divers forums, animés par des internautes passionnés et extrêmement impliqués dans ces recherches.
Les forums dédiés aux lost media, regroupements de communautés de passionnés
C’est en 2012 qu’apparaît le premier site dédié à la recherche de lost media : le Lost Media Wiki, créé par Daniel, plus connu sous le pseudonyme Dycaite. Cet australien de 24 ans a souhaité dédier un site entier à la recherche de lost media après avoir été fasciné par la trouvaille du film d’horreur Cry Baby Lane, volontairement caché par le studio Nickelodeon, 11 ans après sa sortie. L’objectif du site était donc de regrouper toutes les recherches de lost media de différents internautes, pouvant alors communiquer entre eux et réaliser des recherches collaboratives. Avant la création de ce site, Dycaite partageait déjà des listes de médias perdus sur le forum 4Chan, dans la catégorie « paranormal », un site encore très utilisé pour de telles recherches.
Mais le principal lieu de recherche de lost media est sans nul doute Reddit. Parmi les milliers de subreddits propres à une variété immense de sujets, on retrouve le très apprécié «r/lostmedia », comptant près de 300 000 abonnés. Ce sous-forum, créé par l’utilisateur Aajax, est également apparu après la découverte de Cry Baby Lane en 2011, un événement auquel on doit donc grandement l’essor des lost media. Bien plus qu’un simple forum, c’est une réelle communauté qui s’est créée. Extrêmement active, ses membres postent et résolvent des dizaines de cas de lost media chaque jour, et certaines recherches peuvent se révéler intenses.
Des recherches colossales : le cas de «Blind The Wind»
Parmi les milliers de cas de lost media qui existent et suscitent l’intérêt des internautes, l’un des plus connus est en réalité un cas de lost wave : « Blind The Wind», souvent appelé « The Most Mysterious Song on the Internet ». Après dix-sept années de recherches intensives, l’origine du morceau a finalement été retrouvée en novembre dernier.
L’histoire remonte à 1984. Darius est un jeune Allemand qui enregistre régulièrement des morceaux entendus à la radio, et les compile sur des cassettes, en omettant de noter le titre de chacun. C’est en 2007 que sa sœur Lydia retrouve un jour ces cassettes, et parvient avec son frère à identifier chaque morceau, sauf un. Ne parvenant pas à retrouver d’où vient cette chanson, elle en poste un extrait sur un site allemand dédié aux fans de radio, et demande de l’aide à ses utilisateurs, sans succès. Au cours des années, de plus en plus d’internautes s’y intéressent, et l’extrait temporairement nommé « Blind The Wind » est partagé sur WatZatSong, puis sur YouTube, 4Chan, et Reddit. Elle finit même par avoir un subreddit dédié : r/TheMostMysteriousSong. Et c’est ainsi que plus de 60 000 personnes se sont retrouvées à chercher un morceau pendant plus d’une décennie, de façon entièrement bénévole.
Toutes les pistes sont explorées : recherche dans des bases de données musicales, contact avec d’anciens artistes et archivistes radio, analyse des paroles et de l’accent, analyse des bruits de fond, analyses audio pour estimer la date ou le matériel utilisé… Des tableurs collaboratifs sont créés, recensant des milliers d’artistes au style similaire, pour que les utilisateurs puissent explorer les pistes une à une, mais la chanson reste un mystère.
En 2021, une autre cassette contenant le même morceau est retrouvée. De meilleure qualité, elle permet à un utilisateur de parvenir à estimer la date de l’enregistrement : le morceau aurait été enregistré aux alentours du 28 septembre 1984. Quelques années plus tard, un autre utilisateur explore la piste d’un festival de musique se déroulant à Hambourg : le Hörfest, festival dont certains participants ont été rediffusés sur la chaîne de radio allemande RDR, en septembre 1984, correspondant ainsi parfaitement à la date estimée plus tôt. Après avoir minutieusement épluché les centaines de candidatures du festival, un groupe se distingue par son style similaire à « Blind The Wind » : le groupe FEX. Michael Hädrich, un ancien membre du groupe, est aussitôt contacté, et confirme que le groupe est bien à l’origine du morceau mystérieux, dont le titre est en réalité « Subways of Your Mind », achevant ainsi dix-sept années de recherches intensives. Un véritable exploit pour les milliers d’internautes impliqués. Le groupe FEX s’est depuis reformé, a participé à des dizaines d’interviews, et a enregistré une nouvelle version du morceau, connaissant ainsi leur plus grand succès 40 ans après leur création.
Mais pourquoi le phénomène des lost media et de la lost wave intéresse autant d’internautes, et à un niveau d’implication si élevé ? Selon Dmcnelly, deuxième plus ancien administrateur de r/Lost_films (un subreddit dédié aux films perdus), cet intérêt vient d’un manque à combler : “Nous avons été habitués à avoir accès en permanence à une surabondance d’information, à tel point que l’idée que quelque chose puisse disparaître nous semble désormais invraisemblable”.
Mais les lost media séduisent également pour une raison bien plus simple : le goût du mystère. Des œuvres perdues peuvent facilement prendre une dimension obscure, et beaucoup d’utilisateurs de Reddit sont passionnés par ce genre de sujet. Naturellement, la plateforme apparaît parfaite pour le développement des lost media, touchant une communauté d’abord niche, puis qui est parvenue à s’agrandir au cours du temps. Depuis quelques mois, les lost media sont devenus à la portée de tous, et leur popularité ne fait qu’augmenter. De nombreux créateurs de contenus sur les réseaux sociaux se sont emparés du sujet, touchant ainsi un public bien plus large. En France par exemple, le Youtubeur Feldup a cumulé plus de 12 millions de vues sur ses vidéos abordant le sujet, contribuant ainsi grandement à la popularisation du phénomène en France. Un engouement qui s’est également propagé à l’international, notamment aux États-Unis, grâce à des Youtubeurs tels que Nexpo et Blameitonjorge.
Cette popularité nouvelle n’est pas sans conséquence, puisqu’elle coïncide avec l’accélération soudaine du rythme de trouvailles de lost media. Les lost media les plus mythiques de ces dernières années ont presque tous été retrouvés ces derniers mois. C’est le cas de Blind The Wind, que nous venons d’évoquer, mais aussi de la chanson « Everyone Knows That / Ulterior Motives », recherchée depuis 2021 et devenue extrêmement populaire depuis la vidéo du Youtuber Jay Kay, ayant associé la chanson à une image de lecteur CD rose, lui donnant une esthétique mystérieuse et presque liminale (une esthétique extrêmement appréciée sur Reddit et TikTok). Cette image est depuis devenue un véritable symbole de la lost wave et des lost media.
Photo originale des backrooms
L’origine de la photo originale des ‘Backrooms’, un des mystères les plus recherchés sur Reddit, a également été retrouvée récemment, et bien d’autres encore. Mais la quête ne s’arrête pas là, et les internautes sont bien décidés à retrouver les quelques lost media mythiques restants : la chaîne YouTube Someordinarygamers a proposé une récompense de plusieurs milliers d’euros à quiconque trouverait la photo originale de la creepypasta ‘Jeff The Killer’, faisant ainsi prendre à la recherche des lost media une toute autre dimension.
Finalement, ces enquêtes nourries et amplifiées par les réseaux sociaux prouvent qu’à l’ère du numérique, rien ne disparaît vraiment, tant qu’il reste quelqu’un pour chercher.
En 2024, une chose est sûre : les 15-24 ans sont hyperconnectés ! D’après Médiamétrie, 84,7 % d’entre eux se rendent sur Internet tous les jours, y passant en moyenne 3h50, dont plus de la moitié sur les plateformes comme les réseaux sociaux.
Grâce à ces fameuses plateformes, nous pouvons rapidement, et de façon constante et permanente, nous informer, rester en contact avec qui que ce soit dans le monde, regarder des vidéos, écouter de la musique… Nous pourrions penser qu’en nous donnant l’accès à un nombre infini d’informations, la plateformisation aurait été un stimuli incessant pour notre cerveau.
Or, bien au contraire, de récentes études ont montré que du temps passé sur les réseaux sociaux découle une passivité inquiétante. Le Dr Marie-Anne Sergerie parle de RMD (Réseau du Mode par Défaut) qui s’active lorsque l’on est passif, mais étonnement, qui s’active également lorsque l’on regarde les réseaux sociaux. Une étude d’Oxford qualifie même cette passivité lorsque l’on est sur ces plateformes, de “brain rot”.
Comment les plateformes numériques favorisent la passivité des utilisateurs ?
L’objectif principal des plateformes numériques est de faciliter le trajet du consommateur dans le ‘purchase funel’ afin de l’acquérir et de le fidéliser pour maximiser son profit. Pour cela, les entreprises veulent faire en sorte que le consommateur ne ressente pas l’effort qu’il fournit lorsqu’il navigue sur une plateforme. Différentes stratégies ont donc été mises en place.
La première est le scrolling infini. Cette technique permet au consommateur de rester engagé sans ressentir d’effort lorsqu’il utilise les plateformes. La consommation du contenu est ainsi de plus en plus automatisée et passive.
Vient compléter cette stratégie, celle des algorithmes. En effet, les algorithmes permettent de rendre le scrolling encore plus efficace en mettant à jour les fils d’actualité selon nos préférences du moment sans que nous n’ayons nous même à filtrer la page. C’est d’ailleurs ce qu’utilisent Instagram, TikTok, Youtube, Facebook et bien d’autres plateformes.
Grâce à ces techniques généralement combinées, les entreprises arrivent à mettre en place une utilisation facile et intuitive des plateformes qui nous rend passif. Aujourd’hui, les plateformes sont créées afin de nous simplifier la vie et nous faire gagner du temps. C’est ainsi que Spotify transforme la musique en produit de consommation passive en proposant des playlists déjà pré-faites et des musiques qui ressemblent à ce que le consommateur consomme habituellement ou qui pourraient fort probablement lui plaire. Le consommateur n’a donc plus à se fatiguer à chercher de nouvelles musiques puisque Spotify lui en propose automatiquement. Netflix utilise également cette technique.
De plus, la masse d’informations qui se trouve sur ces plateformes noient l’utilisateur qui n’arrive donc plus à distinguer les informations et ne cherche tout simplement donc plus à les distinguer. Et l’IA aide les plateformes dans ce processus puisqu’elles s’en servent afin de produire encore plus et encore plus rapidement des contenus que l’utilisateur pourra regarder encore plus passivement.
On pourrait penser que ce contenu généré par des IA ferait fuir les consommateurs qui se laisseraient de voir des contenus qui ne sont pas créés par de l’humain et donc pas vraiment “réel”. Mais le contraire à lieu, leur passivité et leur insignifiance envers ce phénomène qu’ils ne remarquent probablement même pas, additionné à leur besoin constant de nouveau contenu a créé une augmentation de 8 % du temps passé sur Facebook et de 6 % du temps passé sur Instagram.
Une création qui n’est plus décidée par l’humain mais imposée par les algorithmes
Dans un premier temps, la création est de plus en plus dictée par l’IA et les algorithmes. Aujourd’hui, la donnée est au cœur des business et l’industrie cinématographique ne fait pas exception. Des recherches ont montré que des entreprises analysent et traitent ces données pour développer des algorithmes prédictifs capables d’anticiper des potentiels succès. L’IA permet ainsi de prédire quels films capteront l’intérêt du public.
Dans ce contexte, on peut se demander quel serait l’objectif pour une entreprise d’investir des millions dans un projet si les algorithmes indiquent qu’il n’aura pas de succès commercial. En effet, la rentabilité étant la priorité, les entreprises privilégient les projets avec un potentiel de succès.
Alors, on pourrait se demander si ces prédictions ne sont pas infaillibles, mais une étude révèle que 9 films sur 10 classés comme « succès potentiels » par l’IA rencontrent effectivement le succès.
Cette évolution impacte donc la créativité puisqu’autrefois, l’industrie n’avait pas le choix que de produire des films sur la base de choix artistiques et intuitifs, mais, maintenant, l’industrie se limite à ce que les algorithmes recommandent.
Une création uniformisée et standardisée
Le deuxième impact des plateformes sur la créativité est l’uniformisation et la standardisation des œuvres. Prenons l’exemple de la musique sur TikTok, plusieurs créateurs y modifient le tempo de chansons, les accélérant de 25 à 30 % pour accompagner leurs courtes vidéos. Cela peut paraître banal mais il s’avère que cette pratique permet à certains artistes une visibilité inédite. En 2022 par exemple, après qu’une version accélérée de son single Escapism ait été diffusée sur TikTok, la chanteuse britannique RAYE a atteint le sommet des classements officiels du Royaume-Uni. A première vue, cet effet pourrait sembler bénéfique puisqu’il permettrait à certains artistes de devenir connu. Pour autant, selon Maia Beth, DJ à BBC Radio 1, cette tendance exerce une pression croissante sur l’industrie musicale. « Parfois, on a l’impression que si un artiste ne sort pas la version accélérée de son titre, quelqu’un d’autre le fera », explique-t-elle. Les musiciens et les maisons de disques sont contraints de suivre cette tendance pour rester compétitifs. La chanteuse Summer Walker en est un autre exemple : en 2022, elle a publié une version remixée et accélérée de son album de 2018, s’adaptant ainsi à cette nouvelle norme. Ce phénomène conduit ainsi à une musique moins expérimentale et plus formatée, pour correspondre aux attentes des plateformes.
Le troisième impact des plateformes sur la créativité est l’incitation à une création accélérée donc plus courte. Dans la mode, les plateformes de fast fashion comme H&M ou Zara proposent un nombre impressionnant d’articles, renouvelés à un rythme effréné influençant directement le processus créatif. En effet, produire en un temps record impose des compromis : Les designers font face à des délais serrés. Les designs, les textiles et les collections sont donc moins recherchés, moins innovants, moins durables et moins originaux. En conséquence, de nombreuses marques de fast fashion se contentent de reproduire des modèles issus des défilés de haute couture ou de jeunes créateurs émergents, sacrifiant ainsi l’originalité au profit de la vitesse. Et il ne faut pas penser que ces pratiques créatives ont qu’un impact limité. Au contraire, la fast fashion a un grand nombre de consommateurs : Shein, par exemple, avait entre le 1 août 2024 au 31 janvier 2025 130 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans les États membres de l’UE.
Une hyperpersonnalisation des contenus qui façonne la création artistique
Le dernier impact des plateformes sur la créativité est l’hyperpersonnalisation des contenus, qui influence la création artistique. En effet, la mondialisation a permis à de nombreuses entreprises d’atteindre un public plus large et diversifié. Les plateformes de streaming sont un parfait exemple de cette transformation de nos habitudes de consommation des contenus audiovisuels. A l’époque, il fallait se rendre au cinéma et choisir un film parmi une sélection limitée. Aujourd’hui, avec des services comme Netflix, un simple abonnement donne accès à une large variété de contenus, plus ou moins différents, accessibles à tout moment et depuis n’importe quel appareil connecté, partout dans le monde. Cette accessibilité permet à des œuvres initialement destinées à un public limité de toucher une audience mondiale et parfois d’atteindre un succès inattendu. Face à cette multitude de choix, les personnes développent une soif de nouveauté et de diversité, ce qui pousse à une plus grande créativité.
Enfin, l’IA et les algorithmes, lorsqu’ils sont bien utilisés, ouvrent également des perspectives passionnantes pour la création de contenu adaptée aux envies et aux besoins du jour ou de la semaine de chacun, favorisant ainsi une création toujours plus personnalisée et innovante. C’est ainsi que Netflix qui en utilisant des algorithmes pour identifier et cibler les spectateurs susceptibles d’être intéressés par “The Irishman” à permis au film un succès immédiat. Il y a eu un visionnage record avec 26 millions de comptes qui ont regardé le film dans la première semaine après sa sortie.
Pour conclure, à travers l’exemple de différentes industries, nous avons pu observer comment les plateformes favorisant la passivité des utilisateurs à travers différents mécanismes ont influencé la créativité des sociétés. La production artistique s’uniformise, soumise à des impératifs de rentabilité et d’optimisation du processus créatif. Cependant, même si ces évolutions soulèvent des inquiétudes quant à l’avenir de la créativité, elles offrent également de nouvelles opportunités. L’hyperpersonnalisation des contenus et l’essor de l’IA peuvent, lorsqu’ils sont bien utilisés, stimuler l’innovation et ouvrir la voie à des expériences artistiques inédites.
Laetitia Faroux
Sources
Médiamétrie – Les 15-24 ans : des pratiques médias intensives, individuelles et connectées, 30 avril 2024.
Ordre des psychologues du Québec – Usage des médias sociaux : état de la situation, cyberdépendance, usage responsable et pistes de solution, 2024.
Oxford University Press – ‘Brain rot’ named Oxford Word of the Year 2024, 2 décembre 2024.
HEC Montréal – Scrolling Addiction : une opportunité pour les uns, un danger pour les autres. Doomscrolling, 2024.
BBC News Afrique – ‘Sped up’ sur TikTok : Comment les tiktokers changent l’industrie musicale, Christian Brooks, 1ᵉʳ septembre 2024.
Movies Insiders – Intelligence Artificielle et Marketing Cinématographique : Qui Gagnera le Box-Office de Demain ?, 19 décembre 2023.
Dans les algorithmes – Vers un Internet plein de vide ?, Hubert Guillaud, 13 janvier 2025.
Simon & Schuster – Mood Machine : La montée de Spotify et les coûts de la playlist parfaite, Liz Pelly, 7 janvier 2025.
Amor Design Institute – Is Fast Fashion Killing Creativity?, 27 décembre 2024.
Shein – Digital Service Act, 2024.
Movies Insiders – L’impact du streaming sur l’industrie cinématographique : une révolution silencieuse, 15 novembre 2024.
Institut des Droits Fondamentaux Numériques – L’impact du numérique sur notre santé mentale, Bruno Gameliel, 10 novembre 2023.
Avec l’aimable autorisation de Knit’s Island, L’Île sans fin / Ekiem Guilhem Caussen, Quentin L’helgoualc’h pour Les Films Invisibles
En 2024 sort au cinéma le documentaire « Knit’s Island, L’Île sans fin » tourné entièrement dans DayZ, un simulateur de survie postapocalyptique. On y suit Ekiem Guilhem Caussen et Quentin L’helgoualc’h, des reporters de guerre virtuelle, qui vont à la rencontre des différentes communautés survivalistes qui peuplent le monde virtuel de DayZ. Les logiques de communautés dans ce jeu « bac-à-sable » vont loin, très loin. De la communauté ultra-sectaire, à l’organisation de « rave party », en passant par des proto-religions, DayZ est passé d’un jeu vidéo à un véritable espace social immersif, créant ainsi un contraste frappant avec les échecs successifs des métavers grand public.
Il s’agit alors de se demander dans quelle mesure les communautés survivalistes de DayZ illustrent-elles la capacité du jeu en général à générer des sociétés spontanées ?
Un simulateur de survie devenu un phénomène communautaire
DayZ un simulateur de survie dans un post-apocalyptique zombie vendu à plus de 5 millions d’exemplaires, développé et édité par Bohemia Interactive à partir de 2014. À l’origine c’est une modification par une personne tierce (mod) du jeu ARMA 2. Le jeu place le joueur dans la République post-soviétique fictive de Chernarus, où une épidémie mystérieuse a transformé la plupart de la population en zombies. En tant qu’individu résistant à la maladie, le joueur doit parcourir Chernarus pour récupérer de la nourriture, de l’eau, des armes et des médicaments : autant d’éléments indispensables à sa survie. Cette quête est complexifiée par le caractère offensif et létal des infectés qu’il est donc nécessaire d’esquiver voire de tuer. Il est possible de coopérer avec les autres joueurs, mais également de les éviter ou de les éliminer.
Le but de DayZ est de rester en vie et en bonne santé en faisant face aux infectés qui évoluent dans l’environnement du jeu. L’une des principales caractéristiques du jeu est que le personnage du joueur ne possède qu’une seule et unique vie. Une fois mort, le joueur doit donc recommencer une partie avec un nouvel avatar. La rareté des ressources, la persistance des objets et la coopération ou l’hostilité entre joueurs favorisent l’émergence de communautés solidement structurées.
Le documentaire Knit’s Island, une plongée au cœur des communautés survivalistes
Les reporters Guilhem Caussen et Quentin L’helgoualc’h ont passé 963 heures dans cet espace numérique pour comprendre pourquoi les joueurs ne se contentent pas de survivre, mais développent des sociétés avec leurs propres règles et dynamiques. Le film montre comment ces micro-sociétés se forment et se structurent bien au-delà du simple jeu.
Entraide et petits groupes de joueurs occasionnels
La plupart des communautés fonctionnent sur la base d’une entraide classique : échange de ressources, protection mutuelle et partage d’expériences. Elles constituent 90 % des joueurs et s’apparentent à des utilisateurs passifs (lurkers) d’un réseau social, sans structures profondes.
Le roleplay et les sectes survivalistes
Certains groupes adoptent des structures plus complexes, s’inspirant de dynamiques sectaires. Un exemple marquant est celui des Hommes Masqués, dirigés par un leader influent dont l’autorité repose sur un mélange de crainte et de fascination. Ses membres doivent porter un masque en permanence, symbole de leur appartenance. Le rôle de chacun est clairement défini, renforçant l’immersion et la théâtralisation du jeu.
Avec l’aimable autorisation de Knit’s Island, L’Île sans fin / Ekiem Guilhem Caussen, Quentin L’helgoualc’h pour Les Films Invisibles
Un autre exemple est celui du Révérend, chef d’une proto-religion vénérant une entité nommée Dagoth. Il prêche sur les ondes in-game, organise des rituels et attire de nouveaux adeptes via des messes diffusées par radio ou dictaphone. Ces pratiques rappellent les stratégies de recrutement des véritables cultes, transposées dans l’espace vidéoludique.
Avec l’aimable autorisation de Knit’s Island, L’Île sans fin / Ekiem Guilhem Caussen, Quentin L’helgoualc’h pour Les Films Invisibles
Les grandes communautés structurées, des micro-sociétés hiérarchisées
Certaines factions adoptent des structures élaborées : leaders influents, propagandistes, soldats, émissaires diplomatiques. Elles se livrent des luttes de pouvoir dignes de conflits politiques, renforcées par la rareté des ressources et l’instabilité permanente du jeu. Les stratégies de négociation et d’infiltration sont omniprésentes, poussant chaque joueur à adopter un rôle précis dans ces intrigues mouvantes.
Une communication multi-supports : au-delà du simple chat
L’un des aspects les plus fascinants de DayZ réside dans la manière dont les joueurs détournent les outils du jeu pour établir des réseaux de communication sophistiqués. Bien que le chat écrit et le chat vocal de proximité restent les moyens classiques d’échange, les communautés les plus organisées exploitent des mécanismes in-game détournés pour étendre leur influence et contrôler l’information.
Les radios in-game jouent un rôle clé dans ces stratégies. Certains groupes contrôlent des fréquences spécifiques où ils diffusent des messages destinés à leurs membres ou à d’éventuelles nouvelles recrues. À la manière de radios pirates, des factions entières gèrent ces stations clandestines où des porte-parole dictent les règles du territoire ou diffusent des menaces envers leurs rivaux.
Enfin, l’usage des affiches et graffitis renforce cette emprise territoriale. Certains clans détournent des objets du jeu pour afficher leurs slogans ou intimider leurs adversaires. Lorsqu’une faction dominante marque son territoire en placardant des messages sur les murs d’un bâtiment, elle envoie un signal clair, dissuadant les autres joueurs de s’y installer.
Ces stratégies de communication ne se limitent pas à l’échange d’informations. Elles permettent de structurer des hiérarchies internes, d’orchestrer des rivalités et d’alimenter une mise en scène immersive qui pousse chaque joueur à jouer son rôle à fond, dans une logique où la frontière entre coopération et antagonisme se négocie en permanence.
L’image de marque devient un levier essentiel d’affirmation et de reconnaissance. Certains groupes construisent une véritable identité visuelle et sonore à travers des vêtements distinctifs, des hymnes, ou encore des phrases rituelles répétées à chaque rencontre avec un étranger.
Certains joueurs infiltrent des groupes ennemis pour semer la discorde, en lançant de fausses rumeurs ou en encourageant des scissions internes. Dans cette logique, des agents doubles sont parfois missionnés pour créer des tensions entre alliances et provoquer des guerres inutiles, rendant obligatoires la présence de modérateur au sein de chaque faction.
Le jeu, ciment social ? Les communautés survivalistes de DayZ comme micro-sociétés émergentes
Avec l’aimable autorisation de Knit’s Island, L’Île sans fin / Ekiem Guilhem Caussen, Quentin L’helgoualc’h pour Les Films Invisibles
Contrairement à Second Life ou Horizon Worlds (metavers de la société Meta), DayZ propose une immersion fondée sur le jeu de rôle, ce qui renforce paradoxalement les interactions sociales authentiques. Là où les métavers classiques échouent à créer un engagement profond, car ils excluent la logique ludique, DayZ transforme la survie en un moteur de cohésion communautaire. Chaque mois, les éditeurs du jeu mettent en avant les communautés les plus remarquables dans leur rubrique Community Spotlight sur les réseaux sociaux, renforçant ainsi les dynamiques sociales du jeu.
Le jeu, sous ses différentes formes (jeux vidéo, jeux de rôle ou jeux d’enfants), est un outil puissant pour favoriser les interactions sociales, renforcer les liens et bâtir des communautés.
Une étude MIT montre que les jeux vidéo peuvent renforcer l’engagement civique. Les joueurs actifs dans des communautés en ligne liées à leurs jeux sont souvent plus enclins à discuter de sujets politiques ou sociaux dans leur vie quotidienne.
Dès l’enfance, les jeux collectifs (football, loup, marelle) enseignent la coopération, la communication et le respect des règles, tout en aidant à gérer les conflits. De même, dans le monde professionnel, les activités de team building (escape games, défis sportifs, jeux de rôle) favorisent la cohésion en encourageant l’entraide et la confiance entre collègues. Ces expériences ludiques brisent les barrières sociales et hiérarchiques, renforçant le sentiment d’appartenance. Ainsi, que ce soit à l’école ou au travail, le jeu permet de créer des liens solides et durables en favorisant l’interaction et la collaboration.
En conclusion DayZ ne se limite pas à un jeu de survie, mais devient un espace où s’expérimentent de nouvelles formes de communautés. En proposant un cadre propice à l’émergence de structures sociales complexes, il dépasse le simple cadre du divertissement pour devenir un véritable laboratoire de dynamiques sociales. Ainsi, DayZ illustre comment un jeu peut se transformer en un réseau social total, où la fiction et la réalité s’entrelacent de manière fascinante. Souvent dénigré et perçu comme un simple divertissement, le jeu est et restera le moteur primaire de création de communautés, qu’il s’agisse des complicités de la cour de récréation, des stratégies du jeu de séduction, des activités de team building ou des mondes immersifs comme DayZ.
L’investissement dans les cryptomonnaies a connu un tournant avec l’arrivée des « meme coins », des jetons numériques qui surfent sur la hype des réseaux. Contrairement aux cryptomonnaies les plus connues comme le Bitcoin ou l’Ethereum, ces meme coins ont été inventés à partir de simples blagues ou de références humoristiques. Ils reposent sur l’engagement d’une énorme communauté et leur popularité se base littéralement sur un relais massif des réseaux sociaux comme X, où toutes les personnes rattachées de près ou de loin à l’univers de la cryptomonnaie débattent, spéculent sur la valeur de ces jetons. Un grand engouement sur ces actifs numériques fait inéluctablement réagir les investissements dessus. Donald Trump l’a prouvé : un seul message percutant sur X peut faire paniquer des millions de personnes et même faire bouger les marchés financiers. En janvier 2025, le président américain a même lancé son propre « Trump memecoin », une cryptomonnaie adossée à son image, qui n’a aucun intérêt particulier mais qui a généré plus de 350 millions de dollars de revenus dès son lancement. La plateforme X y est pour beaucoup. Son algorithme est fait pour maximiser l’engagement et il peut propulser certains tweet à des millions de réactions en quelques minutes. Cet article revient sur l’influence de cet algorithme dans la popularité des meme coins et sur les investissements qu’ils provoquent.
Le phénomène des meme coins : entre viralité et spéculation
Les meme coins viennent à l’origine de l’univers des memes internet, des sortes de running gag qui sont repris en boucle sur les réseaux sociaux jusqu’à en faire des images connus de tous. Le plus célèbre, Dogecoin, est né en 2013 d’une blague sur un meme représentant un chien Shiba Inu. Pourtant, cette blague a vite constitué une large communauté. En 2021, son prix a été multiplié par plus de 100, atteignant une capitalisation de 90 milliards de dollars, surtout grâce à une campagne de tweets d’Elon Musk, aujourd’hui CEO de X.
(Photo Credit : CNBC-TV18)
Shiba Inu, lui, a été lancé en 2020, et se présente comme un « Dogecoin killer ». Vous l’aurez deviné, son succès ne se base pas sur des technologies innovantes mais plutôt sur l’humour, la beauté de la race du chien originaire du Japon et une communauté très active, la « ShibArmy ». Sa capitalisation a dépassé les 18 milliards de dollars fin 2024. Contrairement aux cryptomonnaies classiques, ces jetons ont une capacité à capter l’attention et à mobiliser des foules. Leurs prix sont très bas, très souvent inférieurs à un centime, et ils donnent l’illusion d’un potentiel de croissance illimité (notamment avec des slogans « to the moon »), attirant ainsi de nombreux petits investisseurs. L’aspect communautaire y joue un rôle central : rejoindre un meme coin, c’est aussi s’identifier à un groupe, partager des références culturelles, souvent relayées sur Reddit et surtout X, et participer à un phénomène collectif. Cela attire particulièrement la génération Z, connectée et très familière des codes des réseaux sociaux.
La montée en puissance de ces jetons pose d’ailleurs des questions fondamentales sur la manière dont la valeur est désormais attribuée dans un monde hyperconnecté, où la popularité peut surpasser les fondamentaux.
Le réseau social X, un vecteur d’amplification
Le réseau social X rassemble en 2025 plus de 550 millions d’utilisateurs chaque mois. Son algorithme est conçu pour capter l’attention en mettant en avant principalement les contenus qui font le plus réagir : très souvent des messages courts et faciles à lire, des visuels forts ou encore des publications émotionnelles ou provocantes, postées par des comptes très suivis. Lorsqu’un tweet sur un meme coin commence à buzzer, les gens commencent à réagir dessus en masse et il est rapidement diffusé à un public élargi via l’onglet « Pour vous ». Ce fonctionnement renforce la visibilité de certains contenus au détriment d’autres, notamment ceux qui proposent des analyses plus poussées avec des conseils en investissement. C’est la course à celui qui trouve le meilleur “bon plan”, la crypto qui est bon marché et qui a soi disant un potentiel de croissance très fort – et très rapide.
Les meme coins s’adaptent parfaitement à cette logique. Leurs visuels accrocheurs, les GIFs, les slogans simples comme « Doge to the moon » ou « just bought 1B $SHIB » sont facilement repris, partagés et deviennent viraux très rapidement. L’algorithme, qui favorise ce type d’engagement rapide, va propulser ces tweets naturellement en haut des fils d’actualité. Notons que l’abaissement du nombre de caractères maximum sur un tweet à 140 caractères (pour l’offre gratuite) alimente évidemment ce phénomène.
Des personnalités très influentes et suivies comme Elon Musk ont un impact encore plus fort. Leurs (nombreux) tweets suscitent des réactions instantanées, ce qui les rend “prioritaires” pour l’algorithme. Il suffit parfois d’un mot ou d’un simple emoji pour déclencher une vague d’achats ou faire grimper le cours d’un token. Sur X, l’effet d’amplification est immédiat, et rarement contrôlé. Un exemple parfait de cela est que Elon Musk, le 31 décembre 2024, a modifié son pseudonyme sur X en « Kekius Maximus« , accompagné d’une photo de profil représentant Pepe the Frog en armure de gladiateur. Après cela, les spéculations ont fusé, se demandant si c’était une référence gaming. Mais le résultat est édifiant : la valeur du meme coin Kekius Maximus a bondi de près de 900% le mardi même après son changement de pseudonyme. Il existe de nombreux autres exemples : en février 2021, il qualifie Dogecoin de « crypto du peuple » : le cours du DOGE bondit immédiatement de 50 %. Un mois plus tard, une simple apparition dans l’émission Saturday Night Live où il plaisante sur Dogecoin suffit à faire chuter le prix de 30 %. Musk a donc le pouvoir d’influencer le marché crypto par une simple blague en ligne.
L’un des leviers les plus puissants de l’algorithme est sa capacité à renforcer le « FOMO », littéralement « Fear of Missing Out » ou la peur de rater une opportunité. Lorsqu’un tweet viral annonce et fait croire des performances hors normes, notamment lorsqu’un utilisateur partage des captures d’écran de son portefeuille crypto explosant en valeur (par exemple grâce à des meme coins), en résultante de cela, de nombreuses autres personnes vont se précipiter pour acheter à leur tour par peur de rater l’occasion de faire un énorme bénéfice. Ils vont alimenter ce phénomène en faisant des tweet annonçant qu’ils ont acheté ladite cryptomonnaie. L’algorithme va donc repérer ces signes d’engagement, les renforce, et alimente ainsi une spirale de spéculation.
Les utilisateurs qui sont régulièrement exposés à du contenu crypto sont progressivement enfermés dans des chambres d’écho. Le fil d’actualité, le “Pour vous” ne présente plus que des messages enthousiastes, motivants et optimistes. Cela finit par donner l’impression que tout le monde partage le même avis, ce qui renforce le biais de confirmation. Il y a tellement d’acheteurs et de liquidités qui circulent en peu de temps qu’on imagine la crypto intouchable. Autour de hashtags comme #SHIBArmy ou #DOGE4EVER, des groupes très soudés se forment, où les critiques ou mises en garde passent souvent inaperçues, voire sont complètement écartées.Ce phénomène renforce une sorte de conviction collective et pousse les membres à s’auto-convaincre du potentiel de leur investissement.
En effet, la viralité entraîne une arrivée massive de liquidités. Lorsqu’un meme coin devient tendance, il attire de nombreux investisseurs, ce qui fait mécaniquement monter son volume d’échange. Cela alimente une illusion de légitimité. Le projet paraît sérieux, car discuté et acheté par beaucoup. Ce mécanisme repose sur l’effet réseau. Plus les utilisateurs achètent, plus la valeur augmente, ce qui attire d’autres investisseurs. Ce genre de phénomène ressemble à celui des bulles spéculatives. L’emballement est souvent intensifié lorsqu’une grande plateforme comme Binance décide d’ajouter le jeton, parfois sous l’effet direct de la popularité qu’il a prise sur X.
Réflexion critique et perspectives
L’impact de X sur les investissements en cryptomonnaies montre à quel point les réseaux sociaux peuvent influencer les comportements. La plateforme permet à certains projets d’être largement diffusés en peu de temps, ce qui peut rendre l’investissement plus accessible. Mais cette exposition rapide peut aussi encourager des choix faits dans la précipitation, souvent sans prise de recul. Dans le cas des meme coins, on observe comment la forte visibilité en ligne, amplifiée par l’algorithme, peut provoquer des mouvements de marché déconnectés des réalités économiques.
On peut se demander s’ il y a une part de responsabilité des plateformes. L’algorithme de X ne va pas tenir compte de la qualité ou de la fiabilité des contenus, il met simplement en avant ceux qui génèrent le plus de réactions. Un message trompeur ou exagéré à propos d’un meme coin peut donc toucher bien plus de monde qu’un message plus informatif. À terme, cela pose la question d’un possible encadrement des contenus à portée financière.
Les plateformes pourraient aussi réfléchir à des outils de modération spécifiques, par exemple en signalant les mouvements anormaux ou en ralentissant la diffusion de certains contenus. Les marchés financiers traditionnels disposent déjà de dispositifs similaires pour éviter les excès en cas de forte volatilité. Ce type d’initiative pourrait inspirer des ajustements adaptés au fonctionnement des réseaux sociaux.
Enfin, du côté des utilisateurs, il faudrait développer une certaine distance face aux contenus qui circulent en ligne. Le succès des meme coins montre bien comment certaines cryptomonnaies peuvent prendre de la valeur simplement parce qu’elles attirent l’attention. Tant que les algorithmes continueront à mettre en avant ce qui provoque le plus de réactions, d’autres jetons de ce type continueront d’émerger, avec des effets parfois positifs, mais aussi des risques réels.
Du divertissement à l’achat en un seul geste : les réseaux sociaux sont devenus bien plus que des plateformes de partage. Ils se transforment en véritables places de commerce numérique, où il est aussi simple de consommer du contenu que des produits. TikTok, Instagram, Pinterest et YouTube, redéfinissent nos expériences d’achats en ligne et nos comportements de consommateurs.
Depuis la création de SixDegrees.com en 1997, les réseaux sociaux ont pour rôle de partager à sa communauté, des photos de vacances ou des anecdotes du quotidien. Ces plateformes ont profondément influencé notre manière de communiquer, de partager et aujourd’hui de consommer. Les géants des réseaux comme Instagram, TikTok, Pinterest ou YouTube se transforment désormais en véritables places de marchés interactives. Ainsi, un scroll, un like, une inspiration et un achat sont maintenant étroitement liés. Un vêtement repéré dans une story, une astuce trouvée dans une vidéo, un jeu découvert sur un live ou encore une décoration enregistrée dans un tableau Pinterest, notre expérience des réseaux est désormais mêlé au e-commerce et l’expérience utilisateur se transforme discrètement en une logique de consommation instantanée.
Derrière cette évolution, une question s’impose. Comment ces plateformes redessinent-elles les codes du commerce en ligne tout en influençant nos comportements d’achat ?
Les plateformes sociales au cœur du e-commerce, une intégration croissante
Le commerce social a profondément marqué les réseaux sociaux. En agissant directement sur l’expérience d’achat en ligne, ces plateformes évoluent vers un modèle plus immersif, visuel et porté par les influenceurs. Désormais, il n’est plus nécessaire de changer d’onglet ou de site pour effectuer un achat. Les transactions se font en quelques clics seulement, de manière instantané, poussées par une impulsion immédiate. Face à ces transformations, les géants des réseaux ne cessent d’innover et de mettre en avant de nouvelles fonctionnalités pour capter l’attention et le pouvoir d’achat des utilisateurs.
Image Freepik : @pikisuperstar
Parmi ces nouveautés, on retrouve TikTok Shop. Présent en Asie depuis 2022, TikTok a récemment développé ce concept en Europe, illustrant la volonté de la plateforme chinoise de triompher sur le marché mondial de l’e-commerce. Cette nouvelle fonctionnalité permet aux créateurs de contenus (marque/influenceur) de vendre directement des produits via leurs vidéos, lives et profils. Un lien vers un produit apparaît directement sur la publication, permettant aux utilisateurs de finaliser leurs achats en quelques clics sur TikTok. Cette transformation permet de changer chaque publication en potentiel opportunité transactionnelle. Cette fonctionnalité permet de s’inscrire dans une stratégie de simplification et d’immédiateté en supprimant les barrières entre divertissement et consommation.
Le groupe Méta a lui aussi rapidement compris l’importance du commerce intégré. En lançant Instagram Shop, la plateforme ne vend plus des objets mais des styles de vie. À travers des stories, réels, tags produits ou encore boutiques intégrées, Instagram devient la vitrine d’un nouveau style de marketing, celui de l’influence. Grâce à un storytelling visuel, la consommation apparaît comme naturelle et presque invisible pour l’utilisateur.
Là où Instagram et TikTok utilisent leurs forces de viralité et d’esthétique quotidien, la plateforme Pinterest tente quant à elle, de jouer sur son image d’inspiration pour s’imposer dans le commerce social. Selon la plateforme, 80% des utilisateurs hebdomadaires affirment se sentir inspirés par l’expérience d’achat sur Pinterest. En associant des recommandations personnalisées, des recherches d’idées visuelles et des collaborations avec des marques, l’application s’installe entre tableau d’inspiration et vitrine commerciale, poussant plus de 50% de ses utilisateurs à considérer ce site comme une plateforme de shopping en ligne. À l’image de son partenariat avec Primark pour le printemps 2025, Pinterest franchit un nouveau cap. Les utilisateurs peuvent désormais localiser des produits Primark vue sur la plateforme, facilitant le passage d’idée à achat. Un fonctionnement hybride, pensé sans boutique en ligne pour pousser à l’achat spontané en magasin. Ainsi, Pinterest ne vend pas directement, mais construit une expérience d’achat à forte valeur ajoutée.
Enfin, dans cette course à l’intégration commerciale, YouTube se lance dans la mêlée. Grâce à un partenariat avec Shopify, la plateforme a intégré de nouvelles fonctions shopping à son écosystème, permettant aux créateurs de contenus d’insérer des produits à vendre sous leur vidéo ou lors de live. Sur la base de ses contenus populaires (haul, unboxing et tutoriel), YouTube ajoute une dimension transactionnelle à son contenu. Désormais, une vidéo peut convaincre et convertir.
Expérience d’achat transformé et nouveau rôle des utilisateurs
Ces nouvelles fonctionnalités ont donc profondément modifié l’expérience d’achat en ligne, offrant une nouvelle utilité aux réseaux sociaux. Le commerce social change donc de stratégie. Cela ne repose plus sur la recherche d’un produit en particulier, mais sur une découverte chanceuse pendant un scroll. Les créateurs de contenu sont désormais à la recherche de fidélité et d’émotion auprès des utilisateurs, pouvant provoquer un achat impulsif et immédiat. Cette nouvelle fluidité entre contenu et prise de décision de consommer, brouille les frontières entre le divertissement et la consommation.
L’utilisateur qui jouait un rôle passif est désormais au cœur de ce nouveau modèle. Qu’il soit créateur, micro-influenceur ou simple consommateur, un individu est aujourd’hui essentiel à la chaîne commerciale. Chacun peut recommander un produit, participer à sa viralité et donc agir directement sur sa vente. La publicité traditionnelle n’est plus le cœur de ce commerce et laisse place à un modèle plus horizontal, construit sur la recommandation et la proximité. Un autre point central de ce nouveau modèle de commerce social est la puissance algorithmique. Capables de propulser un produit en tête de vente sur une simple trend, les algorithmes permettent à de nombreuses marques de faire leur apparition sur le marché.
Image Freepik : @freepik
Chez les jeunes, le commerce social s’impose progressivement comme une norme et ne fait plus débat. Les générations Z et Alpha grandissent dans un environnement où le shopping se fait sur Instagram, TikTok ou YouTube. Ainsi, selon GWI Core, en 2023, 51% des consommateurs de la génération Z déclarent chercher des marques et produits directement sur les réseaux. Acheter sur ces plateformes devient aussi facile et normal que de scroller. En 2021, Accenture estimait que d’ici 2025, le nombre d’achats sur les réseaux allaient être multiplié par 2,3 atteignant 1200 milliards de dollars contre 492 milliards en 2021. Cette évolution relève néanmoins de grosses problématiques sur 1/ la surconsommation, 2/ la visibilité réduite de certaines marques et 3/ la clarté des contenus sponsorisés.
Ainsi, ces plateformes redéfinissent le rapport de force entre créateurs, marques et consommateurs. Il n’y a plus qu’un glissement de doigt entre le scroll et l’achat. Ces carrefours commerciaux sont désormais capables d’influencer nos envies, nos achats, et nos modes de vie. Ce nouvel écosystème bouleverse les codes du marketing et du commerce en ligne et soulève de nouvelles questions. Comment réguler ces nouvelles formes de publicité ? Comment garantir une expérience transparente pour l’utilisateur ?
On témoigne une génération de nouveaux cinéphiles, qui se limite pas seulement aux nouvelles tendances de films elle-mêmes, mais une nouvelle façon d’engager, de regarder et de vivre l’expérience du cinéma. Des plateformes de streaming ont véritablement révolutionné le paysage cinématographique actuel avec l’avènement du « cinéma sur petit écran », particulièrement lors de la pandémie de COVID qui favorise davantage le visionnage de films à domicile. Cette tendance est dominée par des services streaming tel que Netflix et Amazon Prime. Ces plateformes favorisent les recommandations de films basées sur des algorithmes pour encourager l’engagement des utilisateurs dans la consommation de contenu audiovisuel. Cependant, cette approche peut souvent entraîner des conséquences négatives comme une fatigue décisionnelle et des bulles de filtrage.
Contrairement à cela, Mubi a pris une approche unique dans le domaine du streaming depuis sa création en 2007 en adoptant une philosophie axée sur la simplicité des données. Cette approche semble aller à contre-courant de la tendance actuelle qui repose sur l’utilisation intensive de données et d’algorithmes. Alors, comment cette plateforme de diffusion en continu de films en ligne a-t-elle pu se démarquer sur un marché saturé qui repose principalement sur l’exploitation de données ?
La différenciation fondamentale de MUBI réside dans sa sélection tournante de 30 films soigneusement choisis et renouvelés quotidiennement par une équipe d’experts cinéphiles. A l’inverse de Netflix, les algorithmes de recommandation peuvent encourager le binge-watching et limiter alors les utilisateurs à des genres similaires et renforcer les bulles de filtrage tout en diminuant la diversité culturelle. Par contraste, l’équipe de Mubi met en avant une sélection plus diversifiée avec la mise en avant sur des cinéastes auteurs et des thèmes cinématographiques régionaux variés. Cette approche illustre les constatations que une attitude de simplicité volontaire, c’est à dire, une façon de vivre axée sur une consommation réfléchie, renforce l’indépendance et les compétences en matière de bien-être psychologique.
Plutôt que de te suggérer des films en fonction de tes préférences de genre cinématographique habituelles, MUBI propose une façon éditoriale qui cherche à contourner le dilemme du choix, où la surabondance d’options rend la décision difficile aujourd’hui. En mettant l’accent sur la qualité plutôt que la quantité, Mubi réserve une place spéciale aux films d’auteur comme Moonlight et aux prétendants du Festival de Cannes. Ainsi, MUBI se positionne comme un créateur de tendances à part entière, adoptant une approche similaire à celle d’un festival virtuel du cinéma. Un article au sujet de la pratique de consommation minimaliste souligne que les pratiques minimalistes en matière de consommation réduisent la charge cognitive et augmentent la satisfaction en alignant les offres sur les valeurs profondément enracinées des utilisateurs. Par exemple, l’affection des nouvelles générations pour les designs épurés et fonctionnels témoigne du souci particulier que MUBI porte à la qualité cinématographique plutôt qu’à une large popularité instantanée auprès du grand public.
Et MUBI est conscient que ce sont les films de qualité qui peuvent réellement captiver et retenir l’intérêt des amateurs du cinéma. Avec une communauté passionnée comptant 7 millions d’abonnés répartis dans 200 pays différents, MUBI favorise cet engagement en offrant des critiques des utilisateurs, des réflexions thématiques (comme les hommages à Martin Rejtman à ce moment) et un magazine en ligne intitulé Notebook. La rotation régulière des films crée une atmosphère immersive et partagée similaire à celle ressentie dans un club littéraire, ce qui est associé à une plus grande implication et satisfaction au sein de la communauté. Ce service compte 81 millions de dollars de revenus et nous prouve que une sélection méticuleux effectué par des individus peut s’avérer rentable.
Le processus d’acquisition des films est complémentaire à la stratégie éditoriale adoptée par MUBI. Contrairement aux géants du streaming qui privilégient la quantité à la qualité des œuvres proposées au public, MUBI se focalise sur l’obtention des droits exclusifs mondiaux pour des films salués par la critique mais souvent négligés par les concurrents plus imposants(le film Aftersun, par exemple). De même, prenons l’exemple marquant de l’achat à hauteur de 12 millions de dollars du film The Substance réalisé par Coralie Fargeat – un film d’horreur corporelle rejeté par Universal – cela a eu un impact transformateur : le film est depuis parvenu à générer 82 millions dollars à travers le monde. De plus, MUBI s’est vu attribuer cinq nominations aux Oscars qui ont renforcé sa réputation en tant qu’acteur sérieux à Hollywood qu’il démontre son engagement envers des projets novateurs portés par des réalisateurs qui trouvent une résonance auprès de son public spécialisé.
En dehors de se concentrer uniquement sur la rétention des utilisateurs fidèles, Mubi explore également des collaborations et des expériences hybrides exclusives. Les partenariats de MUBI avec des marques renommées comme Samsung, Apple et Dolby ont pour objectif de rendre son contenu plus accessible tout en préservant son engagement envers ses valeurs artistiques. Grâce à son service MUBI GO qui propose des billets de cinéma gratuits, la plateforme crée un lien entre le monde virtuel et physique en se basant sur des études favorables à l’intégration en ligne et hors ligne (online-to-offline ou O2O), afin d’améliorer les interactions avec les clients. Une levée de fonds de série D de 7 millions et demi de dollars pour ces partenariats artistiques prometteurs démontre une approche stratégique alliant croissance durable et créativité authentique.
La stratégie réseaux sociaux de MUBI met à profit la rareté et la pertinence culturelle. Cela se voit par la mise à l’exclusivité de sa rubrique comme Film du Jour avec du contenu en coulisses et des interviews de réalisateurs. Cette tactique s’aligne sur des recherches sur le commerce social, où les offres à durée limitée stimulent les achats impulsifs et le FOMO (fear of missing out). A travers des plateformes comme Instagram et Twitter, Mubi met en avant cette urgence et favorise un sentiment d’appartenance chez les cinéphiles.
Les séances virtuelles questions-réponses organisées par MUBI et ses collaborations avec des festivals renommés tels que Cannes et la Berlinale illustrent parfaitement l’idée du social listening en action. Cette approche se révèle efficace pour affiner les stratégies axées sur la satisfaction du client en adaptant le contenu aux attentes du public. Par exemple, le partenariat avec la Criterion Collection rajoute une dimension intellectuelle supplémentaire à MUBI, séduisant ainsi les cinéphiles avisés qui apprécient la sélection soignée plutôt que l’aspect pratique.
Plutôt que de cibler des influenceurs populaires grand public directement pour sa promotion marketing sur les réseaux sociaux comme le font Amazon Prime Video par exemple, MUBI préfère collaborer avec des critiques de cinéma établis et des réalisateurs indépendants moins connus mais reconnus pour leur expertise dans le domaine cinématographique. Cette approche met en lumière l’influence bénéfique des micro-influenceurs dans la création d’une relation de confiance au sein des segments de marché plus restreints et spécialisés. MUBI a pu établir ainsi des liens plus profonds et significatifs avec son public cible spécifique.
Trouver un équilibre entre l’évolution et l’intégrité, cependant, représente aujourd’hui un réel défi pour Mubi. La croissance rapide de MUBI (avec une augmentation de 80 % du personnel en 2023 ) pourrait compromettre son essence originale axée sur une sélection minutieuse. Alors que les géants du streaming investissent dans la personnalisation guidée par l’intelligence artificielle, MUBI doit continuer à œuvrer pour enrichir l’ expérience utilisateur tout en préservant son approche minimaliste. Des fonctionnalités comme le visionnage hors ligne ou les interactions conversationnelles pourraient accroître l’ engagement des utilisateurs avec le contenu numérique. En fusionnant une approche minimaliste avec une stratégie de marketing centrée sur la communauté, cette plateforme présente une solution à la saturation algorithmique en démontrant que “moins est plus” lorsque l’éditorialisation et la sélection sont menées avec soin.
Alors que les autorisations de diffusion par voie hertzienne de quinze services de télévision arrivent à échéance en 2025, l’Arcom a lancé un vaste appel à candidature l’année dernière. Depuis, les rebondissements dans le paysage audiovisuel français se succèdent à un rythme effréné : disparition programmée de C8 et NRJ12, entrée de deux nouveaux acteurs, réorganisation de la numérotation, constitution d’un bloc info, nouveaux espoirs pour franceinfotv. Retour sur cette effervescence médiatico-médiatique avant le grand débarquement hertzien du 6 juin 2025.
Dès le 6 juin 2025, les quatre chaînes d’information en continu de la TNT vont être regroupées au sein d’un « bloc info ». Une nouvelle guerre de l’audience se dessine à l’horizon. (Image générée par l’IA Grok et retouchée par l’auteur)
En pleine lucarne. À l’issue d’un long processus, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a pris une décision qui fera date dans l’histoire de la télévision française. C’est à l’été dernier que son président a annoncé le non-renouvellement de l’autorisation de diffusion des chaînes de la TNT C8 et NRJ12. La première, malgré de fortes audiences, s’est vu retirer sa fréquence suite à de nombreux manquements à ses obligations ayant donné lieu à une trentaine de sanctions de l’Arcom en douze ans, ainsi que pour son manque de rentabilité. La seconde perd son canal en raison de ses audiences faibles et de la place prépondérante qu’occupaient les rediffusions dans sa grille. Ces deux chaînes emblématiques du PAF devraient donc disparaître le 28 février 2025 au soir (l’usage du conditionnel reste de mise puisque l’affaire est encore à ce jour examinée sur le fond par le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays). Très concrètement, les téléspectateurs verront un écran noir en allumant leur télévision sur la 8 et sur la 12 dès le 1er mars prochain.
Canal-
Mais ce que peu d’experts médias avaient anticipé, c’est que ces deux fréquences ne seront pas les seules être libérées dans les prochains mois. Le numéro 4 est lui aussi en passe d’être abandonné. En effet, agacé par la décision de l’Arcom, le groupe Canal+ a annoncé retirer ses quatre chaînes payantes (Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport, Planète) de la TNT en juin 2025. Officiellement, l’argument économique est avancé. « À partir du moment où on coupe l’essentiel des revenus publicitaires du groupe en France avec C8, il n’y a plus d’intérêt pour Canal+ à rester sur la TNT », a justifié Maxime Saada, président du directoire de Canal+ devant la commission de la Culture du Sénat le 29 janvier 2025.
Deux petits nouveaux
Si des chaînes vont donc disparaître cette année, d’autres vont débarquer dans notre salon. Parmi les candidats qui ont déposé auprès de l’Arcom lors de la procédure de réattribution des fréquences lancée en 2024, deux projets ont décroché leur ticket d’entrée sur la TNT. Le groupe de presse Sipa Ouest-France lancera en septembre prochain OFTV (nom provisoire) sur le canal 19 disponible depuis l’arrêt de France Ô en 2020. « Cette chaîne, à la fois divertissante et ancrée dans le réel, va raconter ce que vivent les Français », a détaillé celle qui vient d’être nommée à la tête de ce service audiovisuel Guénaëlle Troly, lors de la 7e édition de Médias en Seine.
Lors de cette même table ronde, un certain Christopher Baldelli a présenté le second projet retenu par l’autorité de régulation. L’ancien patron de France 2 et de Public Sénat est désormais en charge de T18 (dont le nom de projet était RéelTV), la nouvelle chaîne du groupe CMI France du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. La ligne éditoriale de T18 peut se résumer par ce que son directeur général appelle « les 3D » pour « débat d’actualité, documentaire, divertissement ». Et, comme son nom laisse le supposer, T18 sera diffusée sur le numéro 18 de la TNT, et ce dès le 6 juin prochain.
Jeu de chaînes musicales
Si T18 investit le canal 18, quid de Gulli, actuel occupant de cette fréquence ? Et c’est bien là que la tempête se mue en cyclone. « Dès qu’on commence à déplacer un numéro, bien évidemment cela a des conséquences en cascade », admet Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (dont le mandat prend fin le 2 février 2025). En attribuant respectivement les numéros 18 et 19 à T18 et OFTV, l’autorité a également procédé à une large réorganisation des fréquences. Au total, onze chaînes de la TNT (sur 25) auront un nouveau numéro. Comme le souligne Roch-Olivier Maistre, « ce changement est inédit depuis la création de la TNT en 2005 car jusque-là les derniers arrivés prenaient les derniers numéros ». Et de poursuivre : « il s’agissait d’un usage qui peut donc évoluer ».
On remarquera par exemple l’arrivée de LCP-Public Sénat sur le canal 8, un choix salué par la Présidence du Sénat et de l’Assemblée Nationale, qui y voit une opportunité de « rapprocher nos concitoyens de l’actualité du travail parlementaire », selon un communiqué commun. Autre changement notable, France 4 débarque sur la… 4, « ça tombe sous le sens, non ? », constate Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, dans les pages de La Tribune Dimanche. Avec Arte (qui reste sur le canal 7), six chaines publiques seront donc présentes sur les huit premières fréquences. Gulli, la chaîne jeunesse du groupe M6, avait plaidé une « place naturelle dans le top 10 » mais héritera in fine du canal 12, afin de constituer « un mini bloc jeunesse » avec TFX qui conserve la fréquence 11 de la TNT.
Une véritable guerre des boutons
Ce remaniement a déclenché « des envies, des coups bas, un chantage à l’emploi et des menaces de bataille juridique chez les perdants », comme le note le journaliste médias Adrien Schwyter dans les colonnes du magazine Challenges. S’il y a des « perdants », c’est bien parce qu’il y des numéros gagnants. Et pour espérer être de ceux qui allaient les tirer, un intense lobbying a donc eu lieu ces derniers mois, avant l’annonce de la nouvelle numérotation par l’Arcom le 13 janvier. En effet, les chaînes de télévision se disputent les premières positions, un enjeu stratégique majeur pour leur visibilité, leur audience et, par conséquent, leurs revenus publicitaires, car les numéros les plus bas sont généralement plus facilement mémorisés et consultés par les téléspectateurs.
Alors comment l’Arcom a-t-elle statué ? Après avoir mené des consultations avec les différents groupes audiovisuels, Roch-Olivier Maistre a assuré que « l’intérêt du public a été le seul guide » dans le processus d’attribution. Un argument en réalité on ne peut plus juridique puisque la loi du 30 septembre 1986 dispose que l’autorité de régulation attribue aux chaînes « un numéro logique, en veillant à l’intérêt du public, au respect du pluralisme de l’information et à l’équité entre les éditeurs ». Une équité respectée sur le plan économique puisque les canaux 4 et 8 (les plus convoités) reviennent à LCP-Public Sénat qui ne peut diffuser que des campagnes d’intérêt général, et France 4, dont le cahier des charges lui interdit de diffuser de la publicité. En bref, aucune nouvelle chaîne commerciale ne viendra perturber le marché publicitaire. L’Arcom veut ainsi rassurer les chaînes privées dont le financement est en grande partie assuré par la publicité.
Faire « bloc » pour une information pluraliste
Autre chamboulement à prévoir : la constitution d’un « bloc info ». D’abord présenté par le régulateur comme une « option » à « considérer », le regroupement des quatre chaînes d’information en continu dans des numéros voisins aura bel et bien lieu à partir du 6 juin prochain. En actant ce vieux serpent de mer déjà présent en 2019 dans la grande réforme de l’audiovisuel souhaitée par Franck Riester alors ministre de la Culture, l’Arcom risque de bouleverser les habitudes des Français à bien des égards. « En regroupant les chaînes d’info en continu sur des numéros consécutifs de 13 à 16, l’Arcom garantit de fait une meilleure lisibilité et un accès simplifié à une offre pluraliste d’information. », nous explique Maxime Guény, journaliste médias.
Dans le détail, BFM TV et CNews basculeront sur la 13 et la 14, tandis que les fréquences 15 et 16 seront allouées respectivement à LCI et franceinfotv qui occupent actuellement les deux derniers numéros de la TNT. Les chaînes d’info des groupes TF1 et France Télévisions, qui réclamaient par ailleurs ce rapprochement thématique afin de « recréer une forme d’équité des chances », selon les mots de Thierry Thuillier, patron de l’information du groupe TF1, vont ainsi faire un bond de 11 places dans la numérotation. Les places jugées lointaines de ces deux chaînes d’information ne leur permettaient pas de jouer à armes égales avec leurs concurrents BFM TV et CNews, qui dominent très largement les audiences. Delphine Ernotte parle d’une décision « logique, qui favorise le pluralisme ».
Une position partagée par Alix Bouilhaguet, éditorialiste et intervieweuse politique sur franceinfotv : « ça permettra une saine émulation, de confronter des projets et des lignes éditoriales différents, et à la fin c’est le téléspectateur qui en tire bénéfice ». Et de poursuivre : « De la même manière qu’en presse écrite on a le choix entre lire Libération ou Le Figaro, à la télé, ça me semble aussi normal. Les Français ne sont pas des enfants. Ils savent ce qu’ils regardent et ce qu’ils ont envie de voir. » Maxime Guény abonde en son sens, rappelant que « le public n’est pas dupe » et que « pour un fan Pascal Praud, ce n’est pas un changement de chaîne qui va l’empêcher d’aller voir Pascal Praud ! »
Soupe à la grimace chez BFM TV
Pour autant, du côté du groupe CMA-CGM, propriétaire de BFM TV depuis à peine un an après son rachat à Altice, on grince des dents. Ce changement de canal intervient dans un contexte où la chaîne « 1ère sur l’info » (comme le dit son slogan) est chahutée par la montée en puissance de CNews. « C’est une mauvaise décision pour notre groupe et pour le public. […] C’est anormal ! », s’indigne Nicolas de Tavernost, président de BFM TV et RMC. Le groupe a même commandé un sondage sur le sujet à l’Institut Ipsos, duquel ressort que 81% des Français interrogés seraient « opposés à tout changement dans la numérotation ».
Ce coup de gueule, « tout à fait normal » selon Maxime Guény, est principalement dû à l’arrivée du concurrent LCI sur le canal historique qu’occupait BFM TV depuis sa création en 2005. « Une décision difficile à avaler » pour le PDG qui entend bien la contester en examinant « toutes les solutions possibles ». BFM TV estime que cette manœuvre lui fera perdre 16% de son audience. De son côté, LCI anticipe une augmentation de 20% du nombre de ses téléspectateurs, prévoyant alors d’atteindre les 2% de part d’audience, tout en espérant rajeunir son public. En effet, LCI est la chaîne avec la moyenne d’âge téléspectateurs la plus élevée des quatre chaînes d’info (66 ans, contre 64 ans pour CNews, 62,8 ans pour franceinfotv, et 58,5 ans pour BFM TV). Conquérir un public jeune n’est pas seulement une question d’image, c’est aussi (et surtout) un argument pour séduire les annonceurs et ainsi valoriser les espaces publicitaires de la chaîne. Aujourd’hui, BFM TV est la seule chaîne du quatuor à être rentable. En 2022, la 15 représentait 70% des revenus publicitaires d’Altice.
Préparez-vous au décollage !
Dans ce match sur le terrain publicitaire, franceinfotv sera spectatrice. La chaîne d’information en continu du service public « ne diffuse pas de message publicitaire », comme le lui interdit l’article 28 de son cahier des charges. Alors, frein à son développement ou aubaine ? Le journaliste médias Maxime Guény décrit cette spécificité comme « un avantage incroyable, un luxe et un confort absolu pour le téléspectateur qui a tendance à vouloir fuir la pub ». Cet avis dithyrambique est partagé par Alix Bouilhaguet de franceinfotv : « Je le vois comme un atout génial. Pendant les pubs des autres, nous on fait de l’info. 10 minutes de pubs, c’est 10 minutes d’infos en moins. Chez nous, 10 minutes ça peut être deux chroniques, un petit JT. C’est précieux. Réjouissons-nous ! »
En se rapprochant numériquement des ses concurrents privés, franceinfotv va certainement bénéficier d’une audience supplémentaire, ne serait-ce que par un effet zapping : « mécaniquement, il y aura de l’audience supplémentaire, c’est sûr et certain », pronostique Maxime Guény. Timoré, Alexandre Kara, le directeur de l’information du groupe France Télévisions, affirme viser la barre des 1% de part d’audience (contre 0,8% aujourd’hui). Même si son « objectif est d’être regardé par le plus grand nombre » , il « refuse de tomber dans la facilité » qui consisterait à « prendre trois, quatre infos » et les « faire tourner en boucle et les scénariser », explique-t-il dans les colonnes de Télérama.
franceinfo : un média global
La marque franceinfo est aujourd’hui connue de tous et de plus en plus sollicitée. Franceinfo radio bat des records d’audience et se hisse désormais à la deuxième marche du podium des radios les plus écoutées, juste devant RTL. Franceinfo c’est aussi le site web le plus consulté en chaque jour en France (voir graphique ci-dessous). Un sondage Harris Interactive de 2018 révélait que franceinfotv était, et de loin, la chaîne de télévision en laquelle les Français avaient le plus confiance dans une actualité marquée par le mouvement des Gilets Jaunes (71%, contre 60% pour LCI, 58% pour CNews, et 52% pour BFM TV). Un résultat similaire à l’étude Reuters Institute 2024 : 57% des Français interrogés déclarent faire confiance au média franceinfo, contre seulement 42% pour Cnews et 38% pour BFM TV.
Plus récemment encore, le dernier Baromètre La Croix-Verian-La Poste de janvier 2025 confirme cette plus grande confiance des Français au service public dans le traitement de l’actualité. Et pourtant, malgré ces résultats sans appel sur l’image de marque franceinfo, la chaîne n°27 n’arrive pas à transformer l’essai et réalise même à ce jour une contre-performance en se classant dernière dans le classement des audiences mensuelles, toutes chaînes de la TNT confondues. Mais alors, comment expliquer cette réalité ? Pour le journaliste médias Maxime Guény, « le principal frein aujourd’hui est son positionnement en bout de piste, le public ne connaît pas forcément son canal ». Une position partagée par l’éditorialiste politique de la chaîne Alix Bouilhaguet : « 27, c’est quand même loin ! ». En lui octroyant le canal 16, l’Arcom aurait alors enfin brisé le cadenas de la porte qui mène au triomphe ?
Gare à la grille !
Il faut savoir raison garder. Si la nouvelle visibilité offerte par un changement de numérotation semble dessiner de belles perpectives pour la chaîne d’info du service public, cela ne pourra se vérifier que si cette ambition est véritablement portée par le groupe France Télévisions. Un des axes de travail serait celui d’une « meilleure synergie du média global », selon Maxime Guény. Cela se traduirait par un « rapprochement des moyens techniques et des équipes radio et télé, afin d’optimiser les coûts et renforcer la concurrence avec le privé. » Aujourd’hui, franceinfo radio et franceinfotv, en plus d’être géographiquement éloignées, ne collaborent qu’à dose homéopathique. Les quelques passerelles existantes se résument à une co-diffusion d’émissions radio filmées (telles que « Les Informés » ou la grande interview de 8h30 par Salhia Brakhlia).
Si en interne cette mutualisation fait débat, Alix Bouilhaguet se montre enthousiaste : « je trouve ça formidable qu’il y ait des incarnations communes de plus en plus. Entre le numérique, la radio et la télé, on a tous à s’enrichir mutuellement, donc allons-y ! » La question des incarnants peut aussi être une piste de réflexion pour faire croître et fidéliser l’audience de franceinfotv. « Il faut qu’on arrive à avoir des incarnations fortes », admet l’éditorialiste politique de franceinfotv, avant d’ajouter : « cet effort est mis en place depuis déjà quelques mois avec la volonté d’avoir des incantations qui s’installent davantage, moins de rotations à la présentation des tranches info, et moins de changement de rythme, y compris pendant les vacances scolaires. »
Sur ce point, le train franceinfotv semble être sur les bons rails, à en croire l’arrivée de plusieurs figures de l’information du groupe France Télévisions comme Jean-Baptiste Marteau, Lucie Chaumette et Sonia Chironi. Des talents « maison » donc, et peut-être de nouveaux visages ? C’est en tout cas une possibilité que n’exclut pas Delphine Ernotte, arguant que « ce sera plus facile de convaincre les personnalités extérieures maintenant que la chaîne est sur le canal 16 ». Une chose est sûre, la nouvelle numérotation des fréquences de la TNT décidée par l’Arcom a rebattu les cartes, ouvrant la voie à de nouveaux rapports de force.
Le monde contemporain évolue sous un déluge d’informations, dont le principal déversoir sont les réseaux sociaux. Des plateformes devenues les autoroutes de la communication globale, où tout circule : le vrai, le faux, et surtout le sensationnel. Mais à mesure que l’instantanéité et les algorithmes s’invitent dans l’équation, une ombre grandit sur le débat public : la prolifération des fausses informations. Vérités alternatives, manipulations subtiles ou intox assumée, peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’illusion.
C’est ici qu’intervient le fact-checking, sentinelle de la vérité qui traque l’info frelatée et redonne aux faits leurs lettres de noblesse. Décrypter, recouper, rétablir : un travail aussi noble qu’ardu, qui se heurte à la dynamique du buzz. Face aux vaisseaux amiraux de l’influence que sont X (ex-Twitter) sous la houlette d’Elon Musk et Meta (Facebook, Instagram) dirigé par Mark Zuckerberg, la modération et la vérification ne pèsent pas toujours bien lourd. Entre liberté d’expression brandie en étendard et monétisation du chaos informationnel, ces géants du numérique façonnent l’espace public selon des logiques difficilement conciliables avec la quête d’une information fiable.
À travers cet article, plongeons dans les coulisses d’un affrontement feutré où la vérité tente de ne pas se faire avaler par l’algorithme.
Elon Musk et la liberté d’expression sans compromis
Depuis son rachat de Twitter en 2022, Elon Musk s’est attelé à un projet ambitieux : transformer la plateforme en une agora numérique où la liberté d’expression tutoie l’absolu. L’idéal est séduisant, mais la réalité est plus chaotique.
X, ex-Twitter, se veut un espace où toutes les voix des plus éclairées aux plus fumeuses peuvent s’exprimer sans entraves. Traduction : adieu la modération stricte, bonjour le grand bain de la controverse. Résultat ? En deux semaines, les tweets antisémites bondissent de 61 %, les insultes racistes explosent de 200 %1. Liberté d’expression, certes. Conséquences, aussi.
Ce virage a donné des sueurs froides aux annonceurs. En un an, les dépenses publicitaires des 30 plus gros annonceurs ont fondu de 42 %2. Le CPM, jadis respectable à 5,77 $, s’écrase à 0,65 $. Greenpeace et une centaine d’ONG ont plié bagage, et même des institutions académiques françaises comme l’École Polytechnique et CentraleSupélec ont déserté X, lassées du règne de la désinformation.
Musk voulait une « place publique numérique ». Il a obtenu un marché aux cris, où la vérité se noie sous le vacarme de l’engagement à tout prix.
« Community Notes » : une modération démocratique… ou un mirage collaboratif ?
Lorsque Elon Musk a mis en avant Community Notes comme remède à la désinformation sur X (ex-Twitter), l’idée avait de quoi séduire : confier aux utilisateurs la tâche d’apporter des corrections aux publications trompeuses. Une approche participative, presque utopique. Mais dans la réalité, la modération par la foule se heurte à des limites qui en réduisent considérablement l’efficacité.
Un contrepoids insuffisant face à la désinformation
Le principe est simple : des contributeurs apportent des annotations censées contextualiser ou corriger les contenus trompeurs. L’objectif ? Rétablir les faits de manière transparente. Mais la mécanique se grippe vite. Selon le Center for Countering Digital Hate (CCDH), 74 % des publications contenant de fausses informations ne sont jamais corrigées par Community Notes. Pire, même lorsque des annotations sont ajoutées, elles peinent à rivaliser avec la viralité du tweet initial, déjà diffusé à grande échelle3.
Un outil vulnérable aux manipulations
Là où l’initiative se voulait neutre et objective, elle devient vite le terrain de jeux d’acteurs aux intérêts divergents. Les groupes organisés s’y infiltrent, biaisant le système à leur avantage. Plutôt qu’un rempart contre la désinformation, Community Notes se transforme en un espace où les corrections sont elles-mêmes contestées, reflétant les fractures idéologiques qui traversent la plateforme.
Un rythme bien trop lent face à l’instantanéité du web
Autre problème majeur : la vitesse. Là où une fake news se répand en quelques heures, une correction via Community Notes met bien plus de temps à être validée. L’information erronée a déjà eu le temps de s’imposer dans l’opinion publique avant même que son caractère trompeur ne soit signalé. Or, sur un réseau où la viralité est reine, la lenteur de réaction condamne l’outil à l’inefficacité4.
Un pari qui exacerbe la fragmentation
En misant sur une correction communautaire plutôt qu’une modération stricte, Musk prolonge sa vision d’un espace où la liberté d’expression s’exerce sans véritable garde-fou. Une vision séduisante sur le papier, mais qui, dans les faits, ne fait qu’accroître la fragmentation informationnelle. Les Community Notes devaient rétablir la vérité, elles deviennent un écho des tensions idéologiques qui traversent la plateforme.
Meta : la vérité sous contrôle ou la modération sous influence ?
Là où Elon Musk prône une liberté d’expression quasi absolue sur X, Mark Zuckerberg adopte une approche plus méthodique sur Meta (Facebook, Instagram). Ici, l’objectif est clair : traquer la désinformation sans étouffer le débat. Pour y parvenir, Meta s’appuie sur un savant mélange de collaborations externes et de technologies d’intelligence artificielle. Un équilibre subtil, mais pas sans controverses.
La modération à coups de fact-checking
Meta ne joue plus en solo. La plateforme a récemment décidé d’arrêter son programme de vérification des faits sur ses applications, mettant fin à ses collaborations avec des organismes comme PolitiFact et FactCheck.org. L’idée initiale était d’étiqueter et limiter la visibilité des publications trompeuses. Pendant la pandémie, ce système avait inondé les publications antivaccins de messages d’alerte et de liens vers des sources fiables. Même stratégie lors des élections brésiliennes5, où Meta a musclé sa lutte contre les fausses nouvelles électorales. Une modération rigoureuse, mais désormais abandonnée au profit d’une autre approche.
L’intelligence artificielle comme outil clé
Meta utilise également des algorithmes sophistiqués pour surveiller et analyser les contenus. Ces outils identifient rapidement les publications potentiellement nuisibles, interrompant leur propagation avant qu’elles ne deviennent virales. Lors des attentats de Christchurch, par exemple, l’IA de Meta6 a permis de supprimer rapidement les vidéos diffusées en direct.
Cependant, ces algorithmes ne sont pas exempts de défauts7. Ils peuvent signaler des contenus satiriques ou humoristiques, ou échouer à identifier certains messages codés. Leur fonctionnement opaque soulève également des questions sur la transparence et la responsabilité des plateformes.
Vérité officielle ou censure déguisée ?
Mais cette approche a ses détracteurs. Certains dénoncent une modération à sens unique, qui privilégierait certaines narrations au détriment d’autres. En 2023, Human Rights Watch8 a recensé plus de 1 050 suppressions de contenus pro-palestiniens sur Facebook et Instagram, renforçant les soupçons d’un biais idéologique. Même chose lors de la pandémie : des publications critiquant certaines politiques sanitaires ont été censurées, relançant le débat sur une vérité officielle imposée par des experts et des entreprises privées.
Ces exemples montrent que l’approche de Meta, bien qu’efficace pour limiter la désinformation, soulève des préoccupations sur la liberté d’expression. Le débat sur la modération des contenus numériques oscille souvent entre deux extrêmes : garantir une information vérifiée tout en respectant la diversité des opinions, ou risquer une forme de censure institutionnalisée. En fin de compte, la stratégie de Meta, fondée sur des partenariats et une technologie de modération sophistiquée, incarne une tentative de trouver un équilibre, mais elle illustre aussi les défis d’une modération perçue parfois comme intrusive.
Liberté ou responsabilité : quel avenir pour l’information en ligne ?
Les stratégies de Musk et Zuckerberg incarnent deux visions opposées du contrôle de l’information. D’un côté, une liberté d’expression quasi absolue, quitte à laisser proliférer la désinformation. De l’autre, une modération rigoureuse, qui peut parfois ressembler à une censure déguisée. Entre engagement économique et responsabilité éthique, les plateformes numériques peinent à trouver l’équilibre parfait.
Vers un modèle hybride
Plutôt que d’opposer ces extrêmes, une approche intermédiaire semble émerger. L’Union européenne a déjà pris les devants avec le Digital Services Act (DSA)9, qui impose aux géants du numérique plus de transparence sur leurs algorithmes et une meilleure gestion des contenus problématiques. Ce cadre juridique vise à responsabiliser les plateformes tout en préservant une liberté d’expression encadrée.
Aux États-Unis, Meta a mis en place un Conseil de surveillance10 composé d’experts indépendants chargés d’examiner les décisions de modération controversées. Ce modèle, qui allie contrôle externe et transparence, pourrait inspirer d’autres initiatives à l’échelle mondiale.
L’intelligence artificielle et la coopération à la rescousse
Plutôt que de laisser la modération à la seule discrétion des plateformes, des initiatives collaboratives émergent. Le Google News Initiative et le projet CrossCheck11 ont prouvé que des efforts conjoints entre médias, ONG et experts pouvaient mieux lutter contre la désinformation. En s’appuyant sur l’intelligence artificielle et la coopération intersectorielle, ces modèles montrent qu’une régulation efficace ne signifie pas forcément une censure excessive.
Former plutôt que censurer
Mais la technologie seule ne suffira pas. L’éducation aux médias devient un enjeu clé pour armer les citoyens face à la manipulation de l’information. En Finlande, ce travail commence dès l’école primaire, où les enfants apprennent à identifier les biais et à vérifier les sources. Résultat : le pays est l’un des plus résilients face à la désinformation en Europe. Une approche qui pourrait inspirer bien d’autres pays.
Le 8 janvier dernier, la communauté néo-cinéphile était en ébullition à l’idée de recevoir les rétrospectives personnalisées Letterboxd, le réseau social aux 15 millions d’utilisateurs permettant de partager les films que l’on voit. Sur le même modèle que Spotify, Letterboxd propose un retour sur l’année écoulée, nous dévoilant nos statistiques de consommation. La sentence est tombée, j’ai vu 381 films, ce qui me place deuxième dans mon groupe d’amis. Deuxième derrière mon ami sans activité, belle performance. Mais ex-aequo avec mon compagnon, cinéphile lui aussi, de quoi sortir de cette compétition sans mauvais perdant. Compétition, oui. Cet été, quelques jours avant que je parte en vacances pendant une semaine, il m’annonçait “ Je vais pouvoir te rattraper sur Letterboxd”. Horreur ! Il avait osé briser le tabou suprême de la communauté cinéphile : nous scrutons les compteurs Letterboxd des autres. Si j’affichais une attitude détachée, je n’en étais pas moins inquiet. Je comblais ma cinéphilie encore naissance par une boulimie de films qui m’avait permis de prendre une dizaine de points (mince, films !) d’avance par rapport à mon groupe d’amis. Je m’empresse donc de télécharger deux films sur Mubi pour les regarder dans le train…
Il y a ici quelque chose de paradoxal. Le cinéma est un art correspondant à la vision des réalisateurs, auteurs et autres personnes permettant de créer les films. Par essence, l’art devrait être détaché de toute idée de productivité. On ne le consomme pas, on le vit et on le ressent. Comment ce réseau social, destiné à un public de cinéphiles conscients de la dimension artistique et culturelle des films, nous incite-t-il à voir toujours plus films ?
La gamification comme mécanisme incitatif
Ce n’est pas un hasard si mes amis et moi nous y livrons à une compétition silencieuse. Letterboxd nous y incite en intégrant des éléments de gamification 1: des mécanismes de jeu qui favorisent l’engagement.
Cette stratégie passe par la mise à disposition de statistiques. Quantifier la consommation d’un utilisateur, c’est lui faire prendre conscience de comment il agit, et l’inciter à modifier son comportement. En rendant ces données publiques, on lui donne l’opportunité de se comparer aux autres et donc d’entrer dans une compétition. Il y a donc le score de films vus, affiché directement sur le profil des utilisateurs. On y voit à la fois le nombre total de films visionnés, et le nombre de films vus durant l’année. Cette logique de score s’applique également de manière plus classique avec le système de likes. Les critiques les plus likées sont mises en avant, sur la page du film et sur le profil de l’utilisateur. On peut également aimer les différentes listes et classements créés.
Ces listes sont l’incarnation d’un autre mécanisme de gamification : relever des défis. La plus populaire, Official Top 250 Narrative Feature Films, regroupe les 250 films les mieux notés sur la plateforme. Bien que créée par un utilisateur classique, elle est largement relayée par Letterboxd et directement accessible depuis sa page de recherche. Voir ces 250 films, majoritairement considérés comme « classiques », représente le défi suprême pour les cinéphiles. Un pourcentage de progression est affiché, pour rappeler à chacun où il se situe dans cette mission. Ce pourcentage s’affiche également sur les pages d’acteur ou de réalisateur, transformant la filmographie de tous ces artistes en quête à accomplir.
Mais la gamification atteint son paroxysme avec la rétrospective de l’application. On y retrouve le score définitif de films vus lors de l’année, le temps consacré au visionnage de films ou encore le réalisateur et l’acteur les plus vus. Se crée alors un facteur d’identification pour les utilisateurs, qui peuvent se regrouper lorsqu’ils ont des statistiques communes (mes proches cités précédemment et moi-même partageons Chantal Akerman comme réalisatrice la plus vue, quelle union !). La rétrospective nous offre aussi les Diary Milestones, les paliers de visionnages tous les 50 films vus, de quoi nous rappeler le système de niveaux des jeux vidéo.
Il serait cependant trop facile d’attacher le succès de Letterboxd à de simples mécanismes incitatifs. Ils y participent sans doute, mais interviennent auprès d’une population dont le visionnage de film est codifié et lié à des normes sociales.
Capture d’écran du Letterboxd Wrapped 2024 de l’utilisateur @louis_crtti
Cinéma et prestige social
La première étape d’édition d’un compte, c’est le choix de ses 4 films préférés. C’est le cœur du profil de l’utilisateur, le premier élément qui apparaît. C’est en voyant ce top qu’on comprend quel cinéphile un utilisateur est. Se met alors en place une difficile curation : comment illustrer ses goûts et prouver son éclectisme avec seulement quatre films ? Parce que le nouveau cinéphile a compris que c’était cette capacité à regarder différents genres de films qui lui procurait du prestige. Le sociologue Richard A. Peterson met cette notion d’éclectisme au cœur de ces recherches2. Exit Bourdieu et sa consommation de culture légitime comme simple vecteur de distinction sociale3. Désormais, les élites se distinguent par un omnivorisme, une capacité à apprécier des objets culturels issus de courants différents. N’est plus in le film-bro qui se cantonne aux films de Scorcese et Coppola, ni l’intellectuel du quartier latin qui regarde en boucle les films de la Nouvelle Vague. Oui, il faut avoir vu la trilogie Le Parrain et Le Mépris, mais pas seulement ! On valorise ceux qui diversifient leurs visionnages, on jalouse celui qui a trouvé LE film étranger indépendant qui n’a bénéficié d’aucune campagne de promotion. Bourdieu, que l’on ne va finalement pas mettre de côté si vite, nous parlait déjà de ce double choix entre distinction et intégration. On se conforme aux normes du champs social cinéphile en ayant vu les grands classiques, puis on s’en distingue en trouvant le moyen de voir ce que les autres n’ont pas vu pour devenir un consommateur précurseur. Dans les deux cas, on cherche à acquérir un capital symbolique, un prestige social.
Une cinéphilie à l’épreuve des nouvelles technologies
En nous basant sur les travaux de l’historien du cinéma Thomas Elsaesser et de leur reprise par le professeur à l’Université des Arts de Londres David McGowan, nous serions actuellement dans une forme de cinéphilie 3.0. Ce qu’Elsaesser appelait cinephilia take one4 (première cinéphilie) correspond à une pratique liée aux salles de cinéma, seul endroit où l’on pouvait voir des films. Ils ne sont donc pas possédés par leurs spectateurs, qui dépendent d’une programmation. Le cinéma est une expérience collective : on voit le film aux côtés d’autres spectateurs, puis on en discute dans les cafés, centres névralgiques de la critique. Arrivent les années 1980 et les VHS. Puis, une vingtaine d’années plus tard, les DVD. Sans abandonner l’expérience de la salle qui reste encore très importantes, les cinéphiles se tournent vers une consommation individuelle, chez eux. Désormais, on possède les films et on ne dépend plus de la programmation des diffuseurs. C’est la cinephilia take two. Ces deux états de la cinéphilie ont été définis en 2005, à une époque où les nouvelles technologies n’ont pas encore révolutionné les méthodes de diffusion. C’est là qu’intervient David MacGowan, qui, en 2024, propose une c5inephilia take three, orientée autour des SMAD. Les consommateurs font face à deux problèmes : l’accessibilité et la possession. Les films ne sont plus totalement possédés et donc constamment accessibles, mais dépendent à nouveau d’une programmation d’un diffuseur. Un paradoxe à une époque de la sur-disponibilité. Un aspect non traité de la cinéphilie 3.0 par David MacGowan est le degré de collectivité de l’expérience. Tout comme les supports physiques, les plateformes font partie du home entertainment, le divertissement à domicile. L’expérience reste, dans la prolongation de la cinephilia take two, individuelle. C’est là que Letterboxd intervient. En tant que réseau social, Letterboxd peut être un vecteur d’une nouvelle expérience cinéphile collective, qui pallierait le problème d’individualité de la consommation de films en streaming. On suit d’autres personnes, on lit et commente leurs reviews : on interagit. De manière plus générale, les réseaux sociaux, les blogs, forums et internet sont, depuis leur création, des lieux de partage de l’expérience cinéphile. Avant même l’arrivée du World Wide Web, existait sur Usernet en 1990 la base de données rec.arts.movies, qui deviendra plus tard IMDB6. Letterboxd serait alors l’aboutissement de cette appropriation de la technologie. En permettant à ses utilisateurs de retrouver tous les films qu’ils ont vus, la plateforme permet également de constituer une bibliothèque numérique et donc de créer une nouvelle forme de possession de ces films.
Ainsi, les mécanismes de gamification mis en place sur Letterboxd fonctionnent car son public est déjà enclin à voir un grand nombre de films. La gamification n’est qu’un mécanisme d’entretien de la plateforme, mais pas de captation d’utilisateurs. Le système de score de films vus ne pourrait être que le reflet de cet éclectisme valorisé au sein de ce groupe social. On voit beaucoup de films car on doit se construire un capital solide, que l’on entretiendra en cherchant de nouveaux chefs d’œuvre. Me voilà déculpabilisé, ma cinéphilie n’est pas vide de toute dimension artistique, bien au contraire ! En 2025 je débloquerai donc le pallier des 350 films vus.
Bourdieu, Pierre. La Distinction. Critique sociale du jugement. Paris, Les Éditions de Minuit, 1979. ↩︎
Elsaesser, Thomas: Cinephilia or the Uses of Disenchantment. In: Valck, Marijke de;Hagener, Malte: Cinephilia. Movies, Love and Memory. Amsterdam: Amsterdam University Press 2005, S. 27-43. DOI: 10.25969/mediarep/11988. ↩︎
L’ère numérique a profondément transformé la communication politique, et peu de figures illustrent mieux cette mutation qu’Elon Musk et Donald Trump. En prenant le contrôle de Twitter (désormais X), Musk a bouleversé les règles du jeu médiatique, en mettant en avant une conception radicale de la liberté d’expression. Son alliance de plus en plus évidente avec Trump, figure emblématique du populisme américain, suscite des interrogations majeures sur l’avenir du discours politique en ligne et ses conséquences sur la démocratie. Cette dynamique a des répercussions bien au-delà des États-Unis, notamment en Europe, qui tente de se positionner comme un rempart face à cette montée en puissance des discours polarisants et de la désinformation.
Elon Musk et sa vision de la « liberté d’expression »
L’acquisition de Twitter par Elon Musk en octobre 2022 pour 44 milliards de dollars a marqué un tournant dans l’histoire des réseaux sociaux. Se définissant comme un « absolutiste de la liberté d’expression », Musk a rapidement mis en œuvre des réformes radicales : dissolution des équipes de modération, réintégration de comptes bannis, dont celui de Donald Trump, et suppression de nombreuses restrictions sur le contenu.
Toutefois, cette vision idéalisée d’un espace d’expression libre s’est rapidement heurtée à la réalité. Si Musk a prôné une plateforme ouverte à tous, il n’a pas hésité à suspendre des journalistes critiques et à favoriser un climat propice à la diffusion de fausses informations. Son approche sélective de la liberté d’expression, oscillant entre idéalisme libertarien et intérêts économiques, a provoqué une montée des discours polarisants et une multiplication des controverses. Une étude de l’Arxiv a montré que les comptes diffusant des informations erronées ont vu leur portée considérablement augmentée après l’acquisition de Twitter par Musk.
Musk semble s’inspirer de la pensée de John Stuart Mill sur la liberté d’expression, en particulier de son principe selon lequel la confrontation des idées permet de révéler la vérité. Mill défendait un espace de débat ouvert où toutes les opinions pouvaient être exprimées afin de favoriser l’épanouissement intellectuel et démocratique. Cette approche se retrouve dans la philosophie de Musk, qui rejette toute forme de censure au nom de la diversité des points de vue et du droit de chacun à s’exprimer librement.
Seulement pour Mill il existe des limites, notamment lorsque la « liberté d’expression » incite directement à la violence (et non à la haine), ici la critique est acceptable de lors qu’elle ne nuit pas à autrui. La question prédominante de notre débat serait donc : à quelle moment les paroles (sur les réseaux sociaux) deviennent des actes ou non ?
L’émergence du duo Musk/Trump pendant la campagne présidentielle
L’alliance entre Trump et Musk s’est consolidée au fil de la campagne présidentielle américaine de 2024. Ce rapprochement repose sur une stratégie commune : mobiliser leur base de « followers » en exploitant au maximum les réseaux sociaux. En effet, X et Truth Social, la plateforme de Trump, ont joué un rôle clé dans la diffusion massive de contenus visant à discréditer les institutions américaines et à renforcer le sentiment d’injustice parmi les électeurs conservateurs.
Musk, bien que n’occupant pas de poste officiel dans l’administration Trump, est devenu un conseiller influent, notamment sur les questions de dérégulation et de réduction des dépenses fédérales. Ses prises de position politiques se sont multipliées, allant jusqu’à attaquer des dirigeants étrangers et à soutenir des partis d’extrême droite en Europe.
Cette rupture avec le cadre institutionnel traditionnel n’est pas seulement une stratégie électorale ; elle traduit un repositionnement plus profond du débat politique américain. En misant sur la fragmentation et l’indignation permanente, Trump et Musk ont créé un écosystème informationnel où la confrontation directe et le sensationnalisme priment sur la réflexion et l’analyse.
La polarisation du discours et la banalisation des fake news
L’impact de l’alliance Musk-Trump sur le débat public est considérable. La politique de modération allégée de X a ouvert la porte à une explosion des contenus polémiques, des théories du complot et des fausses informations. Selon une étude de NewsGuard, 74 % des contenus les plus viraux lors du conflit entre Israël et le Hamas provenaient de comptes certifiés payants sur X, mettant en évidence les effets pervers de la nouvelle politique de la plateforme.
Trump et Musk ont compris que la provocation et la polarisation captivent l’attention. En inondant l’espace médiatique de déclarations controversées et en attaquant les médias traditionnels, ils ont contribué à la défiance croissante envers les institutions démocratiques et journalistiques. Cette approche, si elle leur est politiquement et économiquement bénéfique, menace le fondement même du débat démocratique en instaurant une guerre permanente de l’information où la vérité devient secondaire au profit du sensationnel.
L’Europe comme « bouclier » face au duo Trump-Musk
Face à cette montée en puissance du discours populiste et de la désinformation, l’Union européenne tente d’adopter une posture défensive. La mise en place du Digital Services Act (DSA) vise à encadrer les plateformes numériques et à responsabiliser leurs propriétaires quant à la diffusion de contenus nocifs. Toutefois, la tâche est ardue, car Musk a ouvertement rejeté les contraintes réglementaires européennes, retirant X du Code de bonnes pratiques contre la désinformation.
L’Europe est directement ciblée par cette offensive idéologique. Musk et Trump ont critiqué les gouvernements européens pour leurs politiques de régulation et de taxation des géants de la tech. Par ailleurs, le soutien affiché de Musk à des figures politiques européennes populistes, telles qu’Alice Weidel en Allemagne, figure de l’AfD, accentue les tensions entre l’Europe et la droite radicale transatlantique.
Certains États membres, comme la Belgique et l’Allemagne, réagissent en menaçant X de sanctions financières sévères en cas de non-respect des réglementations européennes. Une enquête étant en cours pour évaluer comment X amplifie certains contenus et s’il respecte les obligations de transparence imposées par le DSA. Mais la division persistante entre les pays de l’UE et la dépendance économique à l’égard des technologies américaines compliquent la riposte. L’enjeu est de taille : laisser Musk et Trump imposer leur vision du monde numérique, ou affirmer un modèle européen fondé sur la transparence, la responsabilité et la lutte contre la désinformation.
L’un des défis majeurs de l’Europe réside dans sa capacité à faire appliquer ses réglementations. Des enquêtes menées par la Commission européenne sur les pratiques de modération de X ont mis en évidence des failles dans l’application des règles européennes.
La montée de la polarisation et des fake news plonge le peuple dans un état émotionnel intense, favorisant une désignation simpliste de boucs émissaires. Ce phénomène s’inscrit dans un cycle bien documenté de la violence des émotions collectives, étudié par René Girard. Or, cet état d’esprit, largement véhiculé par les réseaux sociaux, va à l’encontre des principes fondateurs des démocraties européennes, qui reposent sur le droit international, la reconnaissance des frontières et des nations, ainsi que sur des régulations juridiques et institutionnelles garantissant une alternative à la loi du plus fort.
Ces principes fondateurs sont fragiles face à la violence émotionnelle des contenus, qui l’emportent souvent sur la rationalité humaine. En effet, les peuples européens n’ont pas toujours conscience de la richesse de ces constructions, régulatrices de la paix en Europe depuis ces 80 dernières années.
Cependant, cette régulation s’annonce difficile pour une Europe politiquement et économiquement affaiblie, ainsi que militairement vulnérable, qui risque ainsi de peiner à s’imposer face aux grandes puissances concurrentes.
Commission européenne, Bruxelles
Conclusion : un modèle de gouvernance en péril ?
L’ascension du duo Trump-Musk soulève des questions cruciales sur l’avenir du discours public et des régulations numériques. En fusionnant leurs influences politiques et économiques, ils ont redéfini les contours du débat démocratique, privilégiant la confrontation et la viralité aux dépens de la véracité et de la délibération rationnelle.
L’Europe, consciente des dangers posés par cette nouvelle ère de communication politique, tente d’opposer une résistance institutionnelle et juridique. Cependant, l’ampleur de l’influence de Trump et Musk, combinée à l’absence d’un front uni au sein de l’UE, rend la tâche difficile.
Renforcer les cadres réglementaires, encourager une transparence accrue des plateformes et promouvoir une éducation aux médias sont autant de leviers à explorer pour limiter l’impact de cette nouvelle ère du débat public.
Le cinéma d’horreur a occupé une place importante en 2024, avec des films comme Longlegs, The Substance, Nosferatu ou encore Immaculée. Ces titres ont fait sensation au box-office indépendant, séduisant un public en quête de récits singuliers.
Image libre de droits, faite par IA
Ce genre, plus que jamais, continue d’attirer un jeune public fidèle et passionné. En 2023, les 15-24 ans représentaient plus de 40% des entrées de La Nonne : La Malédiction de Sainte-Lucie (1,15 million d’entrées). Ils ont également dominé l’audience de Five Nights at Freddy’s (45,7 %), L’Exorciste : Dévotion (44,2 %) ou encore Saw X (41,4 %)1. Cette tranche d’âge constitue une audience clé pour les distributeurs et les annonceurs.
Les films d’horreur, et en particulier les films d’horreur indépendants, offrent l’opportunité unique de toucher ce public difficilement accessible par d’autres canaux. Jennifer Friedlander, vice-présidente senior chez Screenvision, et Mike Rosen, directeur des revenus chez National CineMedia, expliquent que le genre de l’horreur est particulièrement adapté pour capter l’attention des jeunes « cord-cutters » adeptes du contournement publicitaire. La salle de cinéma devient alors un espace idéal pour diffuser des messages ciblés à ce public, de manière bien plus efficace que sur les médias traditionnels ou numériques : sur le grand écran, les publicités ne peuvent pas être facilement ignorées.2
Mais encore faut-il attirer ce public en salles. Pour cela, les efforts marketing sont essentiels. Comme le souligne Jason Blum, fondateur de Blumhouse : « Le succès d’un film, c’est 50 % sa qualité, 50 % le marketing ».3
En 2024, le plus grand succès du cinéma d’horreur était A Quiet Place: Day One, réalisé par Michael Sarnoski et produit et distribué par Paramount Pictures. Avec un box-office mondial de 261 millions de dollars pour un budget de 67 millions, le film s’impose également comme le plus grand succès horrifique en termes d’entrées aux États-Unis4, mais aussi en France5. Si le budget marketing n’est pas public, les équipes ont concentré leurs efforts sur des campagnes médias, et ont largement capitalisé sur la popularité de la franchise. Nous avons également pu observer des actions marketing plus innovantes, comme des tags « Don’t Talk » ou « Stay Quiet » dans la ville de New-York.
Et du côté des indépendants ?
Si l’on s’éloigne des productions des grands studios, on remarque que le cinéma indépendant s’impose de plus en plus sur la scène horrifique, et qu’il propose des campagnes marketing souvent plus risquées et provocantes. Longlegs, réalisé par Oz Perkins, avec Maika Monroe et Nicolas Cage, en est l’un des exemples les plus parlants. Troisième plus grand succès du genre aux États-Unis en 20246, il est distribué par Metropolitan Filmexport en France et par NEON aux États-Unis.
Le succès marketing de Longlegs
Dès le départ, NEON a pris le parti d’une campagne minimaliste et intrigante. Les premiers teasers ne livrent aucun détail sur l’intrigue, le casting ou même le réalisateur : ils laissent le public dans l’ignorance totale de l’histoire. Mieux encore, le studio fait le choix audacieux de ne pas dévoiler immédiatement le look si distinctif de Nicolas Cage, alors qu’il aurait pu être un argument promotionnel évident.
NEON a également investi dans des affiches et des panneaux publicitaires : la plupart se limitent à des images du film montrant des scènes choquantes hors contexte, accompagnées uniquement du titre et des noms des acteurs en lettres rouges. Mais l’élément le plus marquant et le plus viral reste un panneau publicitaire installé à Los Angeles : une image qui donne un aperçu de Nicolas Cage, un numéro de téléphone inquiétant (intégrant le fameux « 666 ») qui a pour messagerie la voix effrayante de l’acteur, et… rien d’autre. Ni titre, ni date de sortie. Une stratégie qui rappelle les campagnes digitales de Cloverfield ou The Blair Witch Project, où le mystère alimente des théories virales imaginées par les fans.
Le pari de NEON est plus que réussi. La bande-annonce de Longlegs cumule plus de 17 millions de vues sur YouTube, et le film a généré plus de 125 millions de dollars au box-office mondial7. Avec ce succès, NEON prouve une nouvelle fois sa maîtrise du marketing de l’horreur, et s’affirme comme un concurrent de taille face à A24, leader incontesté du renouveau de « l’horreur d’auteur »8.
A24, figure exemplaire du marketing
Si A24 a marqué le cinéma d’horreur avec des films cultes comme Midsommar ou Hérédité, son influence dépasse largement le genre. Depuis 13 ans, le studio redéfinit le paysage du cinéma indépendant américain en imposant une identité forte : offrir aux cinéastes une liberté artistique totale et s’affranchir des stratégies marketing conventionnelles.
C’est en 2012 que Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges décident de fonder leur propre studio, A24 Films, un nom inspiré de l’autoroute italienne sur laquelle Katz se trouvait lorsqu’il a eu l’idée de ce projet. Passionnés par le cinéma indépendant des années 90, ils souhaitent replacer les réalisateurs au cœur de la création, et proposer des stratégies marketing inédites et innovantes.9
Pour promouvoir Hérédité(2018), A24 a mis le personnage de Charlie au centre du marketing du film : son regard menaçant envahissait les affiches, une bande-annonce lui était entièrement consacrée, et une boutique Etsy vendait ses poupées. Cette approche a donné l’illusion que Charlie était le coeur du projet, alors que ce personnage meurt au début du film. Cette campagne a donc créé un twist qui a enflammé les réseaux sociaux et suscité un fort engagement.10
Et pour promouvoir Heretic, leur plus grand succès de 202411, A24 a sorti des bougies parfumées à la tarte aux myrtilles, et a diffusé des annonces de personnes disparues à l’aéroport de Salt Lake City (la capitale mondiale des Mormons), demandant : « Que sont devenus Paxton et Barnes ? ».12
Branding et merchandising
A24 est devenu bien plus qu’un simple studio de cinéma, c’est une véritable marque. Le studio a réussi à créer un véritable événement autour de chaque sortie : le label A24 est devenu synonyme d’un style particulier et unique, au point qu’il n’est pas rare de voir des spectateurs se rendre au cinéma simplement pour « voir un film A24 »13. L’engagement du public est puissant : les fans écoutent le podcast A24, et achètent des produits dérivés en tout genre, des t-shirts A24 aux parapluies, savons, gourdes, et même au scotch.
Le merchandising autour des films devient de plus en plus créatif. Pour la sortie de The Substance, un body-horror de Coralie Fargeat, MUBI et SCRT ont lancé les faux kit « The Substance Activator Nalgene », des gourdes inspirées du film, qui promettent ironiquement de « produire une version plus jeune et meilleure de vous-même ».13
Une plus forte propension au risque
Nous l’avons compris : les distributeurs indépendants prennent souvent plus de risques que les grands studios dans leurs stratégies marketing. Terrifier 3 en est un parfait exemple. Avec un budget de production de 2 millions de dollars et une enveloppe marketing limitée à 500 000 dollars15, le film a pourtant généré 80 millions de dollars au box-office16, notamment grâce à une décision controversée prise par Cineverse, le studio derrière le film.
Cette décision audacieuse ? Sortir le film sans classification officielle sur le marché américain. Cineverse n’est pas un studio traditionnel ni un distributeur classique : il peut prendre des risques que les grandes majors n’oseraient pas. Un pari qui a marché : cet aspect « interdit sans l’être » a attiré le public en salles.
Le succès de Terrifier 3 repose aussi sur une stratégie publicitaire hyper-ciblée, loin des médias nationaux traditionnels. Cineverse, le studio derrière le film, a misé sur des plateformes spécialisées comme le site Bloody Disgusting, ses podcasts dédiés à l’horreur, ou encore la chaîne FAST Screambox. Et grâce à c360, sa technologie publicitaire propriétaire, il a pu atteindre son public sur plusieurs plateformes.17
Le marketing de l’horreur de demain
Les distributeurs indépendants ont pris l’habitude d’adopter des stratégies marketing audacieuses et originales pour promouvoir leurs films d’horreur, misant souvent sur des approches digitales et immersives. Depuis Blair Witch, il est devenu évident que le mystère entourant un film d’horreur est un élément clé pour générer de la viralité sur internet. Et l’avantage de ces campagnes, soutenues par le bouche-à-oreille via les réseaux sociaux, réside aussi dans leur capacité à toucher un public international. Ainsi, les efforts marketing d’un distributeur américain bénéficient également aux distributeurs d’autres régions.
Cependant, si trop de films d’horreur choisissent de miser uniquement sur le mystère et la viralité, il est possible que le public perde peu à peu son intérêt pour ce type de campagne. Dans ce contexte, il sera intéressant de voir comment le marketing de l’horreur saura se réinventer dans les années à venir, pour continuer à surprendre sans être redondant.
Le piratage de contenus culturels protégés et le streaming illégal ont été la norme pendant près de deux décennies. En 2023 pourtant, 75 % des Français seraient abonnés à un service payant de vidéo et de musique (Arcom). Comment un tel renversement des pratiques de consommation de biens culturels a-t-il pu arriver ? Montez à bord de la DeLorean, aux prémices d’Internet, pour comprendre comment les pirates ont disparu de nos écrans.
L’âge d’or du piratage et du streaming illégal
À la fin des années 1990, avec l’avènement d’Internet, le piratage de biens culturels voit le jour. Internet inaugure une nouvelle ère d’accès à l’information, permettant la numérisation des contenus culturels et bouleversant leurs modes de consommation. Vers la fin de cette décennie, les réseaux P2P (pair-à-pair) apparaissent. Ils permettent aux utilisateurs de partager et de télécharger des fichiers protégés par la propriété intellectuelle via la connexion mutuelle d’ordinateurs, sans passer par un serveur centralisé. Cette architecture décentralisée rendait le contrôle difficile pour les autorités et les ayants-droits. Napster, pionnier du P2P, lancé en 1999, a grandement facilité le partage et le téléchargement illégal de fichiers musicaux.
Grâce aux améliorations du débit Internet et à la compression des fichiers, le streaming se développe ensuite. Cette méthode permet de consommer du contenu sans le télécharger. Finies les heures d’attente pour télécharger un film et libérer de l’espace sur son disque dur. La spontanéité de la consommation à la demande séduit les utilisateurs, et le streaming illégal explose au début des années 2000. Les sites prolifèrent dans tous les domaines : cinéma, séries, musique, évènements sportifs.
Internet remet en cause le modèle économique de l’industrie de la propriété intellectuelle en rendant les copies numériques des biens protégés gratuites et accessibles. Les dégâts sont conséquents : les revenus mondiaux de l’industrie musicale ont diminué de 50 % de 2000 à 2010 (Statista). En 2008, on estime que 95 % de la musique numérique provenait du piratage (IFPI).
Une première riposte : la réglementation
Face à un tel cataclysme pour les industries culturelles, un encadrement légal du téléchargement et de la consommation illicite de contenus culturels s’est développé vers la fin des années 2000. En France, la loi HADOPI est votée en 2009. Pour protéger les œuvres soumises à la propriété intellectuelle, elle a instauré un système de « riposte graduée » envers les contrevenants, allant des avertissements aux sanctions de plus en plus sévères, jusqu’à l’amende. Cependant, cette loi a été difficilement applicable en raison de la complexité de traçage des serveurs illégaux, et l’HADOPI a souvent été qualifiée d’échec.
Deux cas d’école : Spotify et Netflix
Ainsi, dans un contexte où les industries culturelles traditionnelles peinent à s’adapter aux nouveaux modes de consommation imposés par la numérisation, ce sont surtout des entrepreneurs visionnaires qui vont réussir à lancer le modèle qui deviendra la nouvelle norme : les plateformes.
Daniel Ek et Martin Lorentzon lancent Spotify en 2008 afin de rendre disponible un large catalogue musical tout en garantissant la rémunération des ayants-droits. Spotify leur promet un partage des revenus provenant de la publicité et des abonnements. La plateforme repose sur le modèle de l’économie de l’attention : les utilisateurs, habitués à la gratuité du téléchargement illégal, conservent cette impression de gratuité de la consommation en étant soumis à de la publicité.
Mais au-delà de cette absence de coût initial, Spotify se distingue par une expérience d’écoute novatrice, grâce à une interface intuitive et ergonomique. Les utilisateurs ont accès à de nombreuses fonctionnalités : la création de leurs propres playlists, un système de recherche facilité, et surtout des recommandations personnalisées en fonction des goûts personnels et des similitudes avec d’autres utilisateurs. Cette combinaison d’accessibilité et de personnalisation fait rapidement de Spotify une plateforme incontournable. Le succès de Spotify tient également à son modèle freemium, permettant de payer un abonnement pour accéder à des options avancées : écoute hors connexion et absence de publicité pour des tarifs avantageux.
Netflix est quant à elle la plateforme qui révolutionnera le streaming vidéo. Alors même qu’elle n’était à l’origine qu’un service de location de DVD par correspondance, elle a mis en place des systèmes qui ont posé les bases du succès de nos plateformes de streaming actuelles : un abonnement illimité « All you can watch » à 19,95 $ dès 2000, une « watchlist » permettant de prédire les locations futures, et surtout un système de recommandations personnalisées, « Cinematch », initialement conçu pour réguler les choix de location. Lorsqu’elle se lance dans la vidéo à la demande en 2007, Netflix parvient à intégrer ces innovations afin d’offrir une expérience de visionnage unique, qui lui permet de conserver sa base de clients existante tout en séduisant progressivement des millions de nouveaux abonnés.
Si Netflix a réussi à convaincre les adeptes du piratage, c’est en grande partie grâce à un catalogue vaste, facilement accessible et à des prix attractifs. Les studios TV lui font confiance rapidement et lui permettent de diffuser les saisons passées de leurs productions. Breaking Bad est un exemple emblématique : produite par AMC, la série atteint une popularité massive grâce aux abonnés qui la découvrent sur Netflix.
Toutefois, l’élément clé du succès de Netflix réside dans son virage vers la production de contenus originaux. En 2013, House of Cards inaugure ce phénomène, suivi de titres marquants comme Orange Is the New Black, Sense8, Narcos ou Stranger Things, qui marqueront les spectateurs des années 2010. Par ailleurs, Netflix sera à l’origine d’un phénomène générationnel : le binge-watching, en rendant tous les épisodes d’une série disponibles simultanément, convainquant in fine les derniers pirates récalcitrants.
Une nouvelle ère pour la consommation de contenus culturels
Prime Video, Disney+, Deezer, MyCanal ne sont que quelques-unes des nombreuses plateformes ayant émergé dans les années 2010. Les utilisateurs ont vite pris goût à la possibilité d’accéder à des contenus variés à tout moment et en tout lieu, délaissant ainsi la consommation illégale.
La pandémie de Covid-19 a accéléré cette tendance : Netflix aurait gagné 26 millions d’abonnés (Statista) sur la première moitié de 2020. En 2023, l’Arcom indique que 75 % des Français sont abonnés à un service payant de vidéo ou de musique, avec un budget moyen de 38 € par mois pour les biens culturels. L’optimisation des plateformes a non seulement incité au paiement, mais aussi au cumul des abonnements pour maximiser l’accès aux contenus. Rien qu’en France, une étude IPSOS (2025) estime que les moins de 35 ans ont en moyenne 2,9 abonnements par personne. Un phénomène accentué par des offres groupées comme Rat+ de MyCanal.
Parallèlement, le CNC observe une baisse continue du piratage depuis 2018, avec -8,2 millions d’internautes pirates entre 2018 et 2022. Toutefois, ce recul ralentit : la baisse s’élève à seulement -8 % en 2023 contre -21 % en 2022…
Vers une remise en question du modèle des plateformes ?
Ce ralentissement de la baisse de la consommation illégale de contenus protégés laisse entrevoir un déclin d’adhésion chez les utilisateurs face à un marché SVOD qui arrive à maturité. Ce phénomène peut s’expliquer par une combinaison de facteurs liés à l’augmentation des coûts, à des restrictions plus strictes et même à la dégradation de l’expérience utilisateur.
Dès 2023, Netflix restreint le partage de comptes aux seuls foyers, provoquant un vif mécontentement. Parallèlement, les abonnements ne cessent d’augmenter : en France, le tarif standard de Netflix est passé de 8,99 € à 13,49 € par mois en 2023, tandis que Spotify a relevé son abonnement individuel de 2 €. Ces hausses, justifiées par l’augmentation des taxes et les investissements en contenu original et en infrastructures, lassent les abonnés.
De plus, des services autrefois inclus deviennent payants ou optionnels, comme la qualité vidéo sur Netflix ou l’absence de publicité sur Prime Video et Disney+. Face à ces évolutions, certains se tournent vers des alternatives illicites, notamment les décodeurs IPTV illégaux, déjà très répandus dans le streaming sportif. Malgré des signaux d’alarme évidents, la menace pèse davantage sur les droits des ayants-droits plutôt que sur les modèles des plateformes en eux-mêmes. Le CNC révélait en 2023 une mixité importante des usages puisque 7 pirates sur 10 utilisaient aussi des plateformes SVOD, ce qui laisse peu de places à une révolte antisystème…
Aujourd’hui en France, en 2025, on peut regarder Le Bigdil sur RMC Story le vendredi soir, enchaîner avec la Star Academy sur TF1 le samedi, tout en attendant la nouvelle saison d’Interville l’été prochain. Et, à s’y méprendre, nous ne sommes pas dans le courant des années 2000 mais bel et bien en 2025 !
Le phénomène est indéniable : Star Academy rassemble chaque samedi soir environ 3 millions de téléspectateurs, atteignant 30 % des femmes responsables des achats de moins de 50 ans et 39 % des 15-24 ans, des cibles cruciales pour les annonceurs. Sur les réseaux sociaux, les jeunes propulsent l’émission parmi les top discussions. De son côté, Le Bigdil a attiré 1,8 million de téléspectateurs lors de ses deux premières diffusions sur RMC Story, avec une audience qui reste stable à 1,6 million lors de la troisième émission, battant même TF1 sur la part de marché des FRDA-50 avec 18,6 %. (Chiffres Médiamétrie).
Dans un univers médiatique bouleversé par des innovations technologiques, des changements rapides dans la consommation audiovisuelle et une concurrence internationale accrue, ces émissions rétros réussissent à fédérer. La nostalgie agit comme un pont entre les générations, offrant aux audiences des repères familiers et rassurants face aux bouleversements numériques.
Pour les diffuseurs historiques, ces formats représentent des valeurs sûres : leurs mécaniques sont maîtrisées et leurs coûts d’acquisition bien inférieurs à ceux des créations originales. Dans un marché où les plateformes de streaming redéfinissent les règles, ces émissions permettent aux chaînes traditionnelles de maintenir leur pertinence et de fidéliser leurs audiences.
Mais alors, la télévision française a-t-elle trouvé son nouvel eldorado ?
Le retour des anciennes émissions à la télévision est-il, pour les acteurs historiques, un moyen efficace de lutter contre l’érosion de leurs audiences ?
Les anciennes émissions de TV, des succès à moindre coûts pour les acteurs historiques…
Dans un monde médiatique où la concurrence est féroce et où les plateformes de streaming gagnent de plus en plus de terrain, les chaînes de télévision semblent avoir trouvé une solution plutôt maline et peu coûteuse pour capter l’attention des publics : remettre au goût du jour les émissions du passé.
Ce phénomène de « télé doudou » repose sur une quête de réconfort dans un contexte de crises multiples pour les individus, qu’elles soient écologiques, économiques ou politiques.
Ainsi, la nostalgie devient un puissant levier émotionnel, qui permet de réactiver des souvenirs heureux et de créer un lien fort avec les téléspectateurs. Ce retour en arrière télévisuel s’accompagne d’une stratégie claire de contre-programmation face aux plateformes de streaming.
En relançant des programmes phares avec des progressions à épisodes et des éliminations semaine après semaine, les chaînes redonnent vie à une pratique télévisuelle classique : la télévision de flux. Une temporalité qui se révèle être un atout dans un monde où tout va toujours plus vite.
Ainsi, les anciens formats incarnent une forme d’équilibre entre innovation et tradition. Leur modernisation par le biais de nouveaux animateurs, décors ou montages permet de séduire à la fois un public fidèle et des jeunes générations curieuses de découvrir ces classiques revisités.
Dans cette dynamique de retour en grâce des émissions vintage, les acteurs historiques de la télévision cherchent non seulement à réinventer leur place dans le paysage audiovisuel, mais aussi à renouer avec une société en quête de repères.
Les droits sont amortis, les mécaniques éprouvées, et le public, familier du concept, est prêt à renouer avec ces rendez-vous. Cela permet de capitaliser sur une notoriété existante et d’éviter de devoir convaincre un nouveau public.
Cette stratégie est particulièrement efficace dans un contexte où les chaînes doivent produire de nombreux programmes pour remplir leurs grilles face à une offre audiovisuelle abondante.
En outre, moderniser ces formats reste peu coûteux : actualiser les décors, les animateurs ou les montages demeure moins coûteux que de les créer en partant d’une page blanche.
Pourtant, sans renouvellement créatif, l’enthousiasme peut s’essouffler. Les chaînes risquent alors de perdre en compétitivité face aux plateformes capables de séduire un public jeune et de plus en plus large.
… qui cachent un effort d’innovation et de modernisation croissant
Si les anciens formats télévisuels séduisent encore, leur succès repose sur leur capacité à évoluer avec les attentes de la société moderne. Réactiver un programme culte tel qu’il existait dans les années 2000 ne garantit pas un engouement durable.
Les chaînes adoptent plusieurs stratégies pour relever ce défi. La première consiste à adapter les contenus aux nouvelles mœurs. Avec l’importance croissante des questions de diversité, d’inclusion et d’éco responsabilité, les programmes doivent refléter ces évolutions. Par exemple, la Star Academy a diversifié son casting pour représenter une pluralité de profils et d’histoires. À l’inverse, le retour du Bachelor avec Golden Bachelor sur M6 illustre un échec d’adaptation : avec 817 000 téléspectateurs en moyenne et une déprogrammation à la clé, cette émission mettant en scène des jeunes femmes rivalisant pour un quinquagénaire n’a pas fédérer dans une société post #MeToo. (Chiffres Médiamétrie).
Les avancées technologiques et les usages numériques jouent également un rôle clé. Les réseaux sociaux, à travers hashtags, lives ou interactions directes, sont indispensables pour garantir le succès des formats réactivés.
La modernisation passe aussi par des choix esthétiques et narratifs : décors actualisés, rythmes plus dynamiques, nouveaux animateurs ou éléments interactifs.
Cependant, cette modernisation doit rester mesurée. Une transformation excessive risque de rebuter les nostalgiques attachés à l’esprit original. Les chaînes doivent trouver un équilibre subtil entre respect du passé et adaptation au présent.
Conclusion
Le retour des émissions cultes à la télévision française constitue une stratégie judicieuse pour les chaînes historiques, combinant nostalgie et innovation. En capitalisant sur des marques connues, ces formats permettent de réduire les coûts, de limiter les risques financiers et de fidéliser un public multigénérationnel. La « télévision doudou » agit comme un refuge dans un contexte de transformations sociales et technologiques, rassurant les téléspectateurs tout en offrant aux diffuseurs des audiences stables.
Cependant, le succès de cette stratégie repose sur un équilibre subtil entre tradition et modernité. Les chaînes doivent adapter ces programmes aux attentes actuelles, en intégrant diversité, inclusion et nouveaux usages numériques. La capacité à mobiliser les réseaux sociaux et à moderniser les éléments visuels et narratifs est essentielle pour séduire à la fois les nostalgiques et les jeunes générations.
Toutefois, la réactivation de ces formats ne peut se substituer à une stratégie durable d’innovation. Sans renouvellement créatif, le phénomène risque de s’essouffler face à la concurrence des plateformes de streaming, qui attirent un public toujours plus large. Sans oublier que ces plateformes investissent elles aussi de plus en plus dans les émissions rétros, comme le prouve le retour de Popstars sur Prime Vidéo, concurrençant ainsi les chaînes historiques sur leur propre terrain et l’un de leur principal relai de croissance.
Si les émissions vintage permettent aux chaînes de maintenir leur pertinence à court terme, leur pérennité dépendra de leur capacité à conjuguer mémoire collective et créativité renouvelée.
Netflix, longtemps reconnu comme le leader incontesté du streaming de séries et de films, franchit une nouvelle étape stratégique en s’imposant comme un acteur clé de la diffusion en direct d’événements sportifs. Avec des investissements massifs et des acquisitions de droits ambitieux, la plateforme bouscule un marché jusqu’ici dominé par les chaînes traditionnelles et les diffuseurs sportifs spécialisés. Cette mutation témoigne d’une volonté affirmée : diversifier son offre pour capter un public toujours plus large, tout en renforçant son modèle économique.
I. 2024, un tournant décisif
L’année 2024 a marqué un moment charnière dans cette transformation. Netflix a d’abord surpris le marché en concluant un partenariat inédit avec la National Football League (NFL) pour la diffusion exclusive des matchs du jour de Noël. Ce contrat de trois ans a permis à la plateforme d’attirer un public de 65 millions de spectateurs pour les deux rencontres diffusées le 25 décembre 2024. Ce succès confirme l’appétit des abonnés pour le sport en direct et valide la pertinence de cette nouvelle stratégie.
Mais Netflix ne s’est pas contenté du football américain. Son offensive s’est poursuivie avec un accord historique signé avec la WWE. Ce contrat, d’une valeur estimée à 5 milliards de dollars sur 10 ans, donne à la plateforme les droits exclusifs de diffusion de Monday Night Raw à partir de janvier 2025. Cette acquisition ne représente pas seulement un ajout de contenu : elle ancre Netflix dans le paysage du divertissement sportif hebdomadaire. Lors de son lancement sur la plateforme, Raw a enregistré 4,9 millions de vues, un chiffre qui souligne l’engagement des fans et le potentiel de la lutte professionnelle comme levier de croissance.
A. Un virage stratégique vers la monétisation publicitaire
L’un des principaux attraits du sport en direct pour Netflix réside dans les opportunités de monétisation publicitaire qu’il offre. Contrairement aux films et séries, qui sont majoritairement consommés à la demande, les événements sportifs attirent une audience massive en temps réel. Ce type de contenu permet ainsi d’intégrer des spots publicitaires premium à forte valeur ajoutée, un levier stratégique pour augmenter les revenus de la plateforme.
Dans cette optique, Netflix teste activement différents formats publicitaires. L’intégration de coupures pendant les retransmissions sportives pourrait s’avérer cruciale pour séduire les annonceurs et maximiser le rendement financier de ces acquisitions de droits. Si la plateforme a longtemps résisté à la publicité, son adoption progressive dans le cadre du sport en direct marque une évolution notable de son modèle économique.
B. Une offensive sur les sports premiums
L’ambition de Netflix ne s’arrête pas au marché américain. La plateforme s’attaque désormais au sport le plus populaire au monde : le football. Un accord a ainsi été conclu avec la FIFA pour diffuser en exclusivité les Coupes du Monde Féminines de 2027 et 2031 aux États-Unis. Ce contrat marque la première incursion de Netflix dans la diffusion en direct du football, un domaine traditionnellement dominé par des diffuseurs historiques comme ESPN, Sky Sports ou beIN Sports.
Ce choix stratégique n’est pas anodin. Le football féminin connaît une croissance exponentielle en termes d’audience et de sponsors, et Netflix compte capitaliser sur cette dynamique. En attirant un public passionné et engagé, la plateforme renforce sa présence à l’international et diversifie son offre pour séduire de nouveaux segments d’abonnés.
II. Une stratégie par étape, novatrice et efficace
A. La création d’évènement d’exhibition attirant le public
L’une des clés du succès de Netflix dans cette nouvelle stratégie repose sur sa capacité à proposer des événements exclusifs à fort impact médiatique. Le combat de boxe entre Jake Paul et Mike Tyson, diffusé en novembre 2024, en est une parfaite illustration. Cet affrontement ultra-médiatisé a attiré plus de 60 millions de spectateurs à travers le monde et généré 18 millions de dollars de recettes au guichet.
Ce type d’événement, mêlant spectacle et sport, constitue une opportunité unique pour Netflix d’élargir son audience. Toutefois, la diffusion de ce combat a également mis en lumière les défis techniques que doit encore relever la plateforme. Plusieurs abonnés ont signalé des interruptions et une qualité d’image fluctuante, des problèmes qui rappellent que la diffusion en direct impose des standards de performance élevés.
B. Une croissance spectaculaire malgré les défis techniques
Grâce à cette diversification, Netflix a enregistré une progression fulgurante de ses abonnés. Lors du dernier trimestre de 2024, la plateforme a recruté 19 millions de nouveaux abonnés, portant son total à plus de 300 millions de comptes payants. Son bénéfice net a doublé par rapport à l’année précédente, atteignant 1,9 milliard de dollars, tandis que son chiffre d’affaires a bondi de 16 %, atteignant 10,25 milliards de dollars.
Toutefois, cette expansion rapide s’accompagne de défis techniques majeurs. Assurer une diffusion en direct stable et de haute qualité exige des infrastructures solides et des investissements conséquents. L’échec partiel du combat Paul vs. Tyson a mis en lumière la nécessité pour Netflix d’améliorer son architecture de streaming en temps réel. L’entreprise doit notamment travailler sur la réduction de la latence, la gestion des pics de connexion et la fiabilité des serveurs pour éviter des interruptions préjudiciables à l’expérience utilisateur.
Malgré son ambition, Netflix adopte une approche mesurée quant aux acquisitions de droits sportifs. Theodore Sarandos, co-directeur général, a précisé que la plateforme privilégie les événements en direct à fort impact, plutôt que l’achat de saisons complètes de ligues majeures comme la NBA ou la Premier League. Cette stratégie vise à maximiser le retour sur investissement tout en évitant les coûts astronomiques associés aux droits de diffusion exclusifs de compétitions phares.
C. Vers une redéfinition de l’avenir du streaming sportif
Netflix cherche ainsi à se différencier des diffuseurs traditionnels en sélectionnant avec soin ses événements sportifs. Plutôt que de devenir une chaîne sportive généraliste, la plateforme mise sur des rendez-vous exclusifs et des spectacles à fort potentiel viral. Cette approche lui permet de capitaliser sur son savoir-faire en matière de production et de narration, en intégrant par exemple des documentaires et des contenus exclusifs autour des événements qu’elle diffuse.
En s’imposant progressivement comme un acteur clé du sport en direct, Netflix redessine le paysage du divertissement sportif. Son approche innovante, mêlant événements exclusifs, publicité et monétisation intelligente, bouscule les modèles établis et ouvre de nouvelles perspectives pour l’avenir du streaming.
Si des défis techniques subsistent, la trajectoire adoptée par Netflix témoigne d’une vision stratégique claire : celle d’un acteur capable d’évoluer au-delà de son cœur de métier historique et de s’adapter aux mutations du marché. Cette montée en puissance dans le sport en direct marque une nouvelle ère pour le streaming, et pourrait bien redéfinir la manière dont les spectateurs consomment les événements sportifs à l’avenir.
Une chose est sûre : Netflix ne cesse de repousser les frontières du divertissement.
Blanco Zakir – MASTER 2 MANAGEMENT DES TÉLÉCOMS ET DES MÉDIAS
Netflix vient de s’offrir les droits télé aux États-Unis, titrés notamment en 2019 en France, des deux prochains Mondiaux féminins de football. (R. Martin/ L’Équipe)
En 2025, l’intelligence artificielle révolutionne la création et la diffusion audiovisuelles, ouvrant des perspectives inédites tout en soulevant des questions éthiques et juridiques. Performants et relativement accessibles, les nouveaux outils de génération vidéo accélèrent la production et réduisent les coûts. Ils posent cependant des défis liés à la diversité artistique, à la propriété intellectuelle et à la gestion des données.
Dans ce contexte, l’IA constitue à la fois un atout pour les professionnels et une possible source de déséquilibres. Les réalisateurs, monteurs et scénaristes doivent réinventer leurs méthodes de travail pour intégrer l’automatisation tout en préservant la créativité. Parallèlement, la prolifération des deepfakes et la dépendance vis-à-vis d’un nombre restreint d’éditeurs de logiciels renforcent l’urgence d’une régulation adaptée.
Le présent article propose un état des lieux de ces évolutions. Après avoir mis en lumière le rôle croissant de l’IA dans la pré-production, le tournage et la post-production, il s’attachera à en analyser les conséquences économiques et sociales, avant d’aborder les enjeux éthiques et juridiques à l’échelle internationale.
I. Un nouveau paradigme de création : de la pré-production à la post-production
A. L’IA en pré-production : scénarisation et conception
Historiquement, la phase de pré-production se concentrait sur l’écriture du scénario, le repérage des lieux et le casting. Aujourd’hui, grâce à des algorithmes sophistiqués, l’IA est en mesure d’analyser un synopsis ou un simple texte descriptif afin de générer des storyboards ou des visuels préliminaires (WeAreBrain, 2025). Cette automatisation offre un gain de temps considérable aux équipes, qui peuvent se consacrer davantage à l’originalité narrative ou à la direction artistique.
Cependant, cette efficacité accrue ne va pas sans limites. Les suggestions formulées par ces algorithmes s’appuient sur des bases de données préexistantes, risquant de favoriser une forme de « standardisation créative » (Perplexity, 2025). Au-delà de l’appauvrissement potentiel de la diversité artistique, une telle standardisation pourrait également contribuer à la normalisation de discriminations et de préjugés, en alimentant une représentation biaisée de la société. Ainsi, si l’IA apporte un soutien logistique incontestable, elle ne saurait remplacer la vision artistique du scénariste ou du réalisateur, laquelle demeure essentielle à l’authenticité et à la singularité de chaque projet.
B. La transformation du tournage : automatisation et feedback en temps réel
La production audiovisuelle, longtemps synonyme de logistique lourde, connaît également un bouleversement grâce à des outils tels que Sora, capables de générer des scènes à partir d’instructions textuelles ou d’images de référence (Explain Ninja, 2025). Sur le plateau, l’IA fournit un retour instantané sur la luminosité, le cadrage ou encore la performance des acteurs (Streaming Media, 2025²). Cette assistance en temps réel rapproche la réalisation de l’optimisation « continue », offrant un contrôle plus précis et une meilleure réactivité.
En parallèle, la possibilité de concevoir des environnements virtuels ou d’ajouter des effets spéciaux via l’IA contribue à réduire les coûts de production, dans la mesure où les déplacements, la location de décors et la logistique associée peuvent être partiellement remplacés par des solutions virtuelles. Ces nouveaux procédés permettent par ailleurs un gain de temps considérable dans la création de prototypes de teasers, de storyboards et d’outils de brainstorming axés sur la créativité, tout en ouvrant un vaste champ des possibles en matière de projection. À terme, cette évolution est susceptible d’élargir l’accessibilité de la création audiovisuelle, aussi bien pour les grands studios que pour les créateurs indépendants.
C. Post-production accélérée : du montage automatique à la génération de contenus
L’arrivée de l’IA bouleverse le paysage de la post-production, traditionnellement l’étape la plus longue et coûteuse. Des logiciels propulsés par des algorithmes, comme Adobe Sensei (version 2025), trient désormais les meilleures prises, proposent des montages préliminaires et génèrent même des voix off ou des bandes-son crédibles (Thunder::Tech, 2024). Si l’IA s’affirme comme un pilier de ces outils, 2025 reste une année charnière. Elle souligne le besoin de développements supplémentaires dans certains domaines, particulièrement dans l’audiovisuel.
Pour autant, l’œil humain conserve un rôle prépondérant dans l’équilibre global du projet. L’harmonisation, le rythme narratif ou la gestion subtile des transitions relèvent encore de la sensibilité et de l’expertise des monteurs. L’IA s’impose néanmoins comme un coéquipier polyvalent en assumant les tâches répétitives, libérant ainsi davantage de temps pour la créativité et l’élaboration d’idées. Cette répartition du travail favorise un véritable essor en matière de performance, même si des zones grises subsistent et pourraient, à terme, être intégrées de façon autonome par l’intelligence artificielle.
III. Entre essor économique et enjeux éthiques
A. Réduction des coûts et nouveaux modèles de production
Les économies réalisées sur la location de matériel ou la gestion des tournages physiques peuvent ainsi être réinvesties dans le développement artistique ou la promotion. Cette accessibilité accrue bénéficie autant aux grands studios qu’aux créateurs indépendants, contribuant à une démocratisation progressive du secteur audiovisuel (Computools, 2025⁸).
En parallèle, des plateformes d’IA « clé en main » émergent, proposant un modèle d’abonnement ou de paiement à la demande. Il en résulte une flexibilité financière inédite pour les entreprises de toutes tailles, leur permettant d’ajuster leurs coûts de production selon leurs projets et leur public cible. Cependant, si cette réduction des coûts représente une avancée, elle soulève également certaines problématiques, comme l’illustre la grève des scénaristes à Hollywood, inquiétés par la menace que fait peser l’IA sur leur travail. D’autres alertes concernent l’utilisation d’avatars d’acteurs générés artificiellement, qui pourrait remettre en cause à la fois la rémunération des comédiens et la protection de leur image. Ainsi, la recherche d’un équilibre entre innovation et respect des droits des professionnels du secteur demeure essentielle pour assurer un développement harmonieux de ces nouvelles technologies.
B. Équilibre des forces et question de la dépendance
La concentration de ces outils dans les mains de quelques éditeurs majeurs soulève des interrogations sur la répartition de la valeur, exposant les acteurs plus modestes à une dépendance financière et technique. Par ailleurs, la robotisation de tâches répétitives réduit certains postes, tout en créant de nouvelles opportunités pour les professionnels qui conjuguent créativité, sens éditorial et maîtrise des algorithmes (Perplexity, 2025⁷).
En 2025, l’IA reste essentiellement cantonnée à la génération de contenus à partir de prompts, même si la conférence de Nvidia au CES 2025 a permis à Jensen Huang, son PDG, de présenter une vision prospective fondée sur l’émergence d’agents de plus en plus autonomes. Un tel développement pourrait conduire à une répartition renouvelée de la valeur entre l’humain et la machine, d’autant que des profils polyvalents, capables d’assumer plusieurs fonctions, deviennent essentiels pour soutenir la transition technologique dans l’audiovisuel.
C. Les défis éthiques et juridiques
L’automatisation de la création audiovisuelle soulève des enjeux majeurs en matière de propriété intellectuelle et de droits d’auteur. Lorsque l’IA puise dans des bases de données préexistantes, la paternité de l’œuvre devient problématique et les législations en place, déjà dépassées par le rythme de l’innovation, peinent à statuer sur de tels cas (thunder::tech, 2024⁵).
L’essor des deepfakes renforce, par ailleurs, les inquiétudes liées à la manipulation de l’image et à la désinformation. Dans ce contexte, la mise en place de protocoles de vérification, l’adoption de normes éthiques et la diversification des bases de données d’entraînement apparaissent comme des priorités pour préserver l’intégrité du secteur audiovisuel.
En Europe comme en Amérique, de nombreuses organisations rédigent des chartes internes pour encadrer l’usage de l’IA. Certaines bloquent l’accès à leurs contenus rédactionnels afin d’éviter qu’ils ne servent à enrichir des modèles algorithmiques, tandis que d’autres, à l’image de M6, établissent des directives explicitant les conditions d’utilisation de ces technologies. Malgré les efforts de l’Union européenne pour renforcer son cadre normatif (RGPD, débats autour d’un futur AI Act), les États-Unis n’ont pas encore adopté de stratégie fédérale coordonnée. En conséquence, la régulation demeure largement dépendante de l’autorégulation et de pratiques sectorielles, alimentant ainsi une hétérogénéité des approches de part et d’autre de l’Atlantique.
Conclusion
En 2025, l’industrie audiovisuelle se situe à un carrefour décisif. Les outils d’IA, déjà présents de la scénarisation à la post-production, ont amélioré la productivité et réduit les coûts, sans pour autant provoquer de révolution majeure. Cette phase d’optimisation offre toutefois l’opportunité de mettre en place des cadres éthiques et juridiques, notamment sur les questions de droits d’auteur et de diversité culturelle.
Les professionnels, notamment réalisateurs, monteurs et scénaristes, intègrent l’IA à leurs pratiques, tout en préservant leur rôle créatif et artistique. Les compétences techniques se complètent de savoir-faire hybrides, associant maîtrise des algorithmes et sens éditorial. Cette dynamique s’accompagne néanmoins de préoccupations concernant la dépendance envers un petit nombre d’éditeurs d’IA.
Parallèlement, la situation politique, particulièrement aux États-Unis, freine l’émergence de normes communes et renforce l’autorégulation, au risque de multiplier les approches concurrentes. Cette période de relative stabilisation pourrait permettre de clarifier les responsabilités de chacun et de consolider les initiatives éthiques, en attendant une nouvelle vague d’innovations. L’année 2025 se présente ainsi comme un point de confluence plus que comme une rupture, laissant aux décideurs et aux créateurs le temps d’organiser une collaboration équilibrée entre l’humain et la machine.
LEPERE THIERRY NOAH – MASTER 2 MANAGEMENT DES TÉLÉCOMS ET DES MÉDIAS
La pandémie a poussé de nombreux festivals à se réinventer en ligne, certains y voyant une opportunité, d’autres un reniement de leur essence. Le Festival de Cannes 2020 a préféré annuler son édition plutôt que d’opter pour une version numérique, estimant qu’un festival repose sur l’expérience en salle, les rencontres et l’effervescence de l’événement.Le numérique est-il un atout ou une perte d’authenticité pour les festivals ?
Si la crise sanitaire a accéléré la digitalisation des festivals de cinéma, l’idée d’une présence en ligne n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, certaines manifestations ont intégré des dispositifs numériques : programmation diffusée en ligne, retransmission en direct de moments clés, applications mobiles dédiées, voire dépôts de films en ligne.
Dès 2011, Christina Warren soutenait que « de nombreux festivals de films, parmi les plus importants, comprennent qu’une composante en ligne est en train de devenir un aspect important des festivals dans le futur ». Cette intuition s’est confirmée avec diverses initiatives comme l’intégration d’une section compétitive en ligne par le Tribeca Film Festival ou encore la proposition par le BuddhaFestd’une sélection de 6 longs métrages accessibles via le BuddhaFilm Online Film Festival (2017).
L’essor du numérique : opportunité ou nécessité ?
Le festival en ligne constitue une opportunité pour s’adapter aux nouveaux usages de consommation, notamment chez les jeunes spectateurs. Ces derniers se rendent moins en salle et privilégient des formats accessibles depuis leurs écrans personnels. Le numérique devient alors un outil complémentaire, permettant à ces événements de rester en phase avec les pratiques culturelles actuelles.
Une opportunité d’enrichissement de l’offre en ligne
L’accès en ligne ouvre de nouvelles opportunités pour les films indépendants. Traditionnellement, les films projetés en festival restent confinés à un circuit restreint. Un festival en ligne leur offre une visibilité accrue auprès du grand public et des professionnels.
Mais alors, en quoi un festival en ligne se distingue-t-il d’une plateforme de SVOD comme Netflix ? Plutôt qu’une opposition salle/plateforme, il faudrait opposer l’algorithme et la sélection.
Là où Netflix dicte ses recommandations par des algorithmes, les festivals – physiques ou numériques – reposent sur une curation exigeante. Chaque sélection est le fruit du travail de programmateurs mettant en avant des œuvres singulières, éloignées des standards commerciaux. Comme le souligne Romain Lecler, l’opposition entre festival en ligne et plateforme SVOD est peu pertinente : les plateformes privilégient des productions à gros budget et laissent peu de place aux films indépendants. Même si quelques films de festival y figurent, ils sont peu visibles et « noyés dans la masse des autres programmes ».En festival, la sélection confère aux films une reconnaissance symbolique et économique précieuse, bien plus qu’un simple référencement sur un catalogue numérique.
Un levier de démocratisation du cinéma ?
Les festivals en ligne brisent plusieurs barrières.
D’un point de vue financier, leur production est bien moins coûteuse que celle d’un festival traditionnel. Les frais liés aux infrastructures, aux déplacements et à la logistique sont drastiquement réduits. Pour les spectateurs, cela signifie également une réduction des coûts : pas de transports, pas de logement à réserver, et souvent, un accès gratuit ou à faible prix aux films (My French Film Festival, accès gratuit sur certains territoires, 1,99€ à l’unité ou 7,99€ pour le pack global). Ainsi, des publics qui n’auraient jamais envisagé de se rendre à un festival en présentiel peuvent enfin y participer.
D’un point de vue géographique, les festivals en ligne brisent les barrières de la centralisation culturelle. Les salles de cinéma traditionnelles, notamment celles dédiées à l’art et essai, restent majoritairement concentrées dans les grandes métropoles. Pour un public éloigné de ces centres urbains, les festivals en ligne deviennent une alternative précieuse, leur donnant accès à des films qu’ils n’auraient jamais pu voir autrement.
Capture d’écran page d’accueil du site officiel de MFFF
Au-delà du rajeunissement du public de cinéma français dans le monde, l’ambition du festival en ligne My French Film Festival créé par UniFrance, est d’« être disponible partout, pour tous, même pour ceux toujours plus nombreux, qui n’ont plus accès à une salle diffusant du cinéma étranger » (Jean-Rémi Ducourioux, 2012).
Le festival est passé d’1,3 million de visionnages en 2012 à 13 millions en 2021 à travers 200 territoires, preuve que son public ne cesse de croître.
Cette idée de démocratisation n’est pourtant pas absolue et fait débat. En vérité, le format en ligne révèle un paradoxe que l’accessibilité numérique peine à compenser : le manque d’expérience collective et d’immersion propres aux festivals traditionnels restent difficilement transposables sur nos écrans. Pour beaucoup, ceci est la preuve d’une dénaturation progressive de l’événement festivalier.
Un festival en ligne peut-il réellement créer l’événement ?
L’un des fondements d’un festival est son caractère unique : ce sont des événements, des moments de rencontre, des lieux emblématiques où se forge une atmosphère particulière. Pourrait-on parler de Cannes sans la Croisette, son tapis rouge et ses mythiques ovations en salle ?
Le premier défi réside ainsi dans la perte d’unité de temps et de lieu. Un festival physique impose un rythme, une immersion totale dans l’univers cinématographique. En ligne, les festivals sont plus longs (souvent un mois). Le spectateur choisit donc son moment de visionnage, entre deux tâches quotidiennes, sans la solennité d’une salle obscure.
« Regarder deux films par jour quand on a un travail, ce n’est pas possible, les gens étaient frustrés, nous aussi »
Marion Quillard, festival Point Doc (2013)
Certains festivals tentent alors de recréer une temporalité forte comme sur la plateforme Festival Scope en imposant des horaires fixes et des tickets limités sur un ton un peu décalé :
« Tickets are limited and in demand, so hurry up if you want a front seat! »
Le second défi est le maintien d’une expérience collective unique. Les rencontres entre spectateurs, les débats après les projections, la magie des échanges spontanés disparaissent derrière un écran, rendant l’expérience plus solitaire. Pour pallier cela, des festivals comme MFFF mettent en place des forums et des espaces d’échange en ligne, tentant de recréer un semblant de communauté. Un sondage auprès des spectateurs de la 3e édition révèle que 41,4% d’entre eux ressentent un sentiment d’appartenance à une communauté internationale, preuve que la dimension sociale d’un festival peut survivre au numérique.
La dimension compétitive : un enjeu clé
L’un des piliers des festivals de cinéma réside dans leur dimension compétitive. Les prix décernés confèrent aux films une reconnaissance qui peut propulser leur carrière. Les festivals en ligne conservent cette tradition, avec des compétitions structurées autour de catégories spécifiques, et des jurys composés de professionnels du cinéma.
Les festivals en ligne tentent d’innover grâce à la participation des internautes. À travers des votes en ligne, le public peut attribuer un prix, ce qui renforce l’interaction et l’engagement des spectateurs. Ce format, bien que différent de la ferveur d’une salle comble applaudissant un film primé, permet une forme de validation collective qui transcende les frontières physiques.
Interdit aux chiens et aux Italiens Prix du public MFFF 2024
Un impact sur la couverture médiatique et le réseautage
Les festivals sont des moments clés pour la promotion des films : rencontres avec la presse, interviews, critiques en avant-première… En ligne, ces interactions sont limitées. Certains festivals tentent de pallier ce manque avec des formats alternatifs : Point Doc propose un chat en direct avec les réalisateurs chaque soir, et MFFF met à disposition des interviews exclusives.
Pour les professionnels, le réseautage est également un enjeu majeur. Des plateformes comme Festival Scope Pro permettent aux ayants droit de suivre qui visionne leurs films et de contacter directement des acheteurs potentiels, offrant ainsi une alternative au marché du film traditionnel.
Les festivals de cinéma en ligne ne sont ni une simple alternative ni une menace pour les festivals traditionnels. Ils représentent une mutation, une hybridation qui ouvre de nouvelles perspectives. Loin de remplacer l’expérience en salle, ils la complètent en offrant une accessibilité accrue et en repensant la manière dont le public découvre le cinéma.
Néanmoins, ceux-ci soulèvent des paradoxes : s’ils démocratisent l’accès aux films, ils peinent à recréer l’intensité d’un événement physique. S’ils offrent une visibilité nouvelle aux œuvres, ils ne parviennent pas toujours à leur conférer la même aura symbolique, aujourd’hui cristallisée par les plus grands festivals de cinéma.
Les perspectives vers des modèles hybrides, combinant projections en salle et accès numérique, font débat.
Les festivals les plus prestigieux oseront-ils sauter le pas ? Seul l’avenir nous le dira.
En 2020, la cérémonie des César prend un tournant explosif lorsque le prix du meilleur réalisateur est attribué à Roman Polanski pour J’accuse. Quelques mois plus tôt, l’actrice Adèle Haenel avait brisé le silence en accusant le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements lorsqu’elle était adolescente, déclenchant une vague de prises de parole dans le milieu du cinéma français. En signe de protestation, à la remise du prix, elle quitte alors la salle aux côtés de Céline Sciamma et Noémie Merlant : « La honte ! » avant d’être filmée à l’extérieur, criant avec rage : « Bravo la pédophilie ! ». Les actrices dénonçaient une industrie qui, selon elles, continue de récompenser des hommes accusés de violences sexuelles.
La même année, HBO Max retirait temporairement le film Autant en emporte le vent, mal accueilli par le public, en raison de sa représentation idéalisée de l’esclavage et accusé de véhiculer des stéréotypes racistes. Plus tard, la plateforme le re-diffusait avec une introduction qui contextualisait le contenu.
Ces deux événements illustrent bien les tensions autour de la cancel culture. Terme polémique, il désigne cette dynamique de remise en cause de figures et productions culturelles jugées problématiques. Si certains y voient une nécessaire réévaluation éthique, d’autres dénoncent une forme de censure qui limiterait la liberté artistique.
Les exemples cités montrent d’un côté, une contestation de la légitimité des artistes impliqués dans des scandales, de l’autre, une remise en question d’œuvres historiques à l’aune des sensibilités contemporaines, et ils soulèvent une question centrale : faut-il censurer ou contextualiser ? Jusqu’où les institutions culturelles doivent-elles prendre en compte ces débats dans leurs choix de programmation et de diffusion ?
La polémique autour de la projection du Dernier Tango à Paris à la Cinémathèque
En décembre 2024, la Cinémathèque française se retrouve au cœur d’une intense controverse suite à la programmation du film Le Dernier Tango à Paris dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Marlon Brando. Réalisé par Bernardo Bertolucci en 1972, ce film est devenu l’un des symboles des débats contemporains sur les violences sexistes dans le milieu du cinéma. L’origine de la polémique repose sur la scène de sodomie simulée entre Marlon Brando et Maria Schneider, tournée sans le consentement préalable de cette dernière. En 2007, l’actrice avait révélé avoir vécu ce tournage comme une humiliation et une véritable agression psychologique. Après le mouvement #MeToo, le doute est levé sur le caractère obscur de cette scène.
Dès l’annonce de la projection, des critiques fusent contre la Cinémathèque pour son manque de contextualisation et de prise en compte du traumatisme subit par Schneider. Le film est présenté comme un reflet de la révolution sexuelle après mai 68, et comme ayant une “odeur de soufre”. Cette introduction est perçue par certains comme une minimisation de la violence réelle exercée sur l’actrice. Des personnalités engagées dans le mouvement féministe, telles que Chloé Thibaud et Judith Godrèche, dénoncent la programmation du film sans débat préalable, tandis que des associations comme NousToutes exigent son annulation pure et simple.
Face à la tempête médiatique, la Cinémathèque tente d’abord de calmer les tensions en organisant un débat en amont de la projection. Cependant, les pressions s’intensifient et des menaces de perturbations violentes poussent finalement l’institution à déprogrammer le film, invoquant des raisons de sécurité. Cette décision divise : certains y voient une avancée dans la reconnaissance des violences faites aux femmes dans l’industrie cinématographique, tandis que d’autres dénoncent une censure qui menacerait la liberté artistique. Au-delà de cette annulation, plusieurs personnes ont trouvé regrettable que la Cinémathèque n’adopte pas une posture plus neutre en proposant une séance accompagnée d’un dispositif pédagogique sérieux. L’Observatoire de la liberté de création propose une alternative : et si au lieu d’effacer ces oeuvres, on les réévaluait, en les diffusant et en incitant le spectateur à garder un esprit critique ?
Cette polémique pose ainsi la question plus large de la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. La Cinémathèque française, qui avait déjà suscité des controverses en programmant des rétrospectives de Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau, se retrouve aujourd’hui sous pression, allant jusqu’à devoir justifier ses choix devant la commission d’enquête relative aux violences commises dans le secteur du cinéma, présidée par Sandrine Rousseau. Entre liberté artistique et responsabilité éthique, la polémique du Dernier Tango à Paris illustre un dilemme fondamental pour les institutions culturelles : comment montrer une œuvre marquée par des violences sans en occulter les implications morales et sociétales ?
Le rôle de l’art et des acteurs de l’industrie audiovisuelle : entre liberté et responsabilité
Le débat autour des œuvres et des artistes controversés met en lumière la responsabilité des institutions culturelles, mais aussi celle des producteurs, cinémas et plateformes. Ces acteurs jouent un rôle central dans la manière dont les œuvres sont reçues et interprétées par le public, et, à travers leurs choix de programmation, ils influencent la perception collective des enjeux sociaux, notamment la violence, le sexisme ou le racisme.
D’un côté, il existe un argument fort en faveur de la liberté artistique, selon lequel l’art doit pouvoir être diffusé sans restriction, même lorsqu’il présente des aspects jugés problématiques selon les moeurs d’aujourd’hui. Cette approche considère que c’est au spectateur de se positionner et de contextualiser l’œuvre par lui-même, en prenant le recul nécessaire. Selon ce point de vue, l’art est avant tout un moyen d’explorer des sujets complexes, parfois dérangeants, et de susciter la réflexion sans qu’une quelconque censure ne vienne en limiter la portée. De plus, les films sont un excellent moyen de retranscrire une époque donnée. Ils permettent de se rendre compte de ce qui était jugé correct ou déjà polémique dans le passé, et de constater les évolutions.
Cependant, il est indéniable que les productions audiovisuelles ont un impact profond sur les représentations sociales. Comme le souligne Chloé Thibaud dans Désirer la violence, à force de voir des récits où la violence est romantisée, certains spectateurs, finissent par désirer cette violence, la considérant comme un élément de leur propre épanouissement émotionnel. Cette réflexion montre que les œuvres ne sont pas simplement des objets artistiques déconnectés de la réalité ; elles participent activement à la construction des imaginaires collectifs.
Ainsi, les producteurs et les institutions culturelles ont une responsabilité éthique importante : celle de diffuser des œuvres en étant conscients de leur impact potentiel. Montrer un film comme Le Dernier Tango à Paris sans contextualisation ou réflexion préalable peut envoyer des messages ambigus sur la violence ou l’exploitation.
Les conséquences de ce phénomène
La cancel culture, renforcée par le mouvement #MeToo, a transformé les carrières de nombreux artistes accusés d’abus sexuels ou de comportements inappropriés. Des figures comme Harvey Weinstein, Kevin Spacey ou Roman Polanski ont vu leurs projets annulés, leurs partenariats rompus et leurs récompenses retirées. Cette mise en lumière des abus a permis de rétablir une forme de justice, tout en soulevant des questions sur la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. Certaines œuvres restent commercialement viables malgré les scandales, tandis que d’autres sont effacées de l’espace public, forçant les studios à reconsidérer la réputation morale des artistes dans leurs choix de financement et de promotion.
Face à la pression sociale et médiatique, les studios, producteurs et plateformes ont ajusté leurs pratiques managériales. La gestion des talents et la sélection des projets sont désormais influencées par la nécessité d’éviter les scandales. Des processus de vérification plus rigoureux ont été instaurés pour prévenir les accusations d’abus sur les plateaux, et les entreprises intègrent de plus en plus l’image publique des artistes dans leurs stratégies de marketing, avec la mise en place de codes de conduite stricts.
L’impact sur la rentabilité des films existe aussi. Certains projets ont vu leur box-office affecté par les accusations contre leurs créateurs, comme All the Money in the World, où Kevin Spacey a été remplacé après des accusations de harcèlement. Par ailleurs, les attentes du public ont évolué, avec une demande croissante pour des films abordant des problématiques sociales et affichant une position éthique claire. Les studios réévaluent ainsi leurs choix de casting et de scénario, pour répondre aux préoccupations d’un public de plus en plus engagé sur les questions de diversité, d’inclusion et de responsabilité sociale.
Face au déclin inexorable de la presse papier, les éditeurs cherchent de nouveaux relais de croissance, dans l’audiovisuel notamment. Ouest France ou CMI ont récemment décroché une fréquence de TNT nationale, témoignant leur volonté de rester attractifs dans un paysage médiatique en pleine mutation. Entre nécessité économique et opportunité stratégique, cette diversification est-elle la clé de la survie de la presse ?
L’apparition de la télévision, sans pour autant bouleverser les dynamiques de la presse traditionnelle, était le témoin d’une accélération de l’information. La presse a su pendant longtemps rester chef d’orchestre du spectacle médiatique, définissant elle-même les logiques de l’information : rubriques, formats, règles de déontologie… Dans le triptyque journalistique du XXème siècle regroupant presse écrite, radio et télévision, chaque support réussissait à se compléter : la radio annonce, la télévision montre et la presse commente. Cette machine informationnelle, à la mécanique bien huilée, a été complètement bouleversée par Internet, qui s’est approprié chacune des fonctions, les rendant quasi instantanées. Mais face aux réseaux sociaux, force est de constater que la télévision garde toujours un impact fort et qu’elle mobilise autour des grands évènements. Le journal papier, plus vraiment.
Alors face au déclin de la presse papier, quelles solutions reste-t-il pour rester attractif ? Selon certains, voire beaucoup, se diversifier. De nombreux titres de presse ont donc décidé d’investir de nouveaux supports médiatiques, et de se tourner vers l’audiovisuel. Quelques-uns ont profité du renouvellement des fréquences TNT pour tenter de se voir attribuer un canal hertzien, et d’investir la télévision grand public, chose peu évidente voire impossible à faire en temps normal.
Ouest-France, pouvant déjà se vanter de produire plus de 1000 vidéos par mois, a réussi ce pari, en défendant avec succès son projet télévisuel devant l’ARCOM – le régulateur qui attribue les fréquences. C’est en présentant un projet censé “rassembler, fédérer, créer le débat”, que le premier diffuseur de presse quotidienne régionale s’est vu attribué le Graal : la fréquence TNT nationale. Il a su se différencier en proposant une vision de la télévision proche de ses valeurs de déontologie journalistique traditionnelle, voulant se placer comme modèle d’exemplarité. CMI France s’est également vu attribuer une fréquence, pour un projet cette fois-ci à destination d’un public actif, axé autour d’une offre documentaire, culturelle et d’informations et de débats. Le groupe CMI a déjà une activité de presse largement établie (ELLE, Marianne, Franc-Tireur…) et une activité audiovisuelle florissante depuis son entrée au capital de Loopsider, touchant plus de 7 millions de personnes quotidiennement. L’Express a quant à lui fait le pari d’une chaîne thématique, orientée autour des documentaires historiques et scientifiques et de deux programmes quotidiens d’information et de divertissement. Pari perdu pour le titre, qui n’a pas su convaincre le régulateur.
Cependant, ces consultations ont bien démontré une volonté générale des titres de presse de s’étendre à de nouvelles formes de diffusion. La TNT nationale n’est d’ailleurs pas le seul moyen pour ces éditeurs de mettre en œuvre des projets audiovisuels. Le Figaro a également une chaîne de télévision, régionale cette fois. Et plus généralement, on observe le développement de projets axés autour de la vidéo, comme chez Mediapart par exemple, pionnier en terme de modèle numérique : ils ont lancé cette année leur émission itinérante “Blagues Blocs”, et capitalisent depuis plusieurs années sur la vidéo pour illustrer leurs contenus.
Des leviers déjà en place pour réussir le virage audiovisuel
Les titres de presse, de tout bord, ont compris que pour survivre, ils devaient s’adapter aux changements des usages, et intégrer pleinement la vidéo à leur modèle. Et bien que leur activité principale témoigne d’un certain ralentissement, ils ont à leur disposition un arsenal de ressources pouvant être mises au service de ces nouveaux formats. Leur premier atout majeur pour investir dans l’audiovisuel : des journalistes. Bien qu’historiquement formées à l’écrit, les rédactions se sont de plus en plus tournées vers les nouveaux modes d’écriture numériques, intégrant déjà la vidéo ou encore le podcast à leurs compétences. Offrir de nouveaux champs d’exploration à ces journalistes devenus particulièrement polyvalents est une manière de rentabiliser une force de travail déjà existante et qualifiée.
Ces synergies éditoriales se doublent d’un potentiel marketing important. Les éditeurs disposent déjà de canaux de communication et d’un écosystème marketing bien établis : de quoi promouvoir facilement le lancement de nouveaux projets en touchant un public large. Autre force : la marque. Un journal reconnu bénéficie déjà d’une ou de plusieurs audiences fidèles et sensibilisées à ses contenus et sa ligne éditoriale. Leur visibilité et leur crédibilité déjà acquise est un atout de taille pour garantir le succès de leur diversification.
Toutefois, même si ces acteurs ne partent pas de zéro, de tels projets nécessitent des investissements conséquents, inscrits dans une stratégie multimédia pertinente : CMI prévoit un besoin de financement de 32 millions d’euros pour le lancement de sa chaîne TNT, dont la moitié dédiée uniquement à l’achat de programmes. Ouest France évoque pour sa part un budget prévisionnel de 7 millions d’euros pour le lancement, puis de 3 millions en 2028.
Un nouveau souffle pour le modèle économique vieillissant de la presse
Alors investir dans l’audiovisuel, une question de survie pour la presse ? Oui, mais pas que. C’est aussi une véritable opportunité stratégique pour elle. D’abord, pour capter de nouveaux publics : la presse écrite peine à séduire les générations les plus jeunes, et la vidéo, qui capte plus facilement l’attention, est un moyen de développer ses audiences et d’en conquérir de nouvelles auparavant inaccessibles. Jouer sur plusieurs tableaux est ensuite un moyen de renforcer l’image de marque de ces éditeurs, et de s’imposer plus amplement dans le paysage médiatique français. Talks-shows, documentaires, journaux télévisés, émissions : autant de formats qui permettent d’incarner en profondeur la ligne éditoriale de ces médias. Mais aussi autant de nouveaux canaux pour diffuser ses images et ses contenus, et de prendre in fine encore plus de place, tout en renforçant un lien parfois déjà fort avec son public. Et ce notamment avec les chaînes régionales : la presse peut jouer sur la loi de la proximité, un levier puissant fondé sur le lien d’identification idéologique, géographique, socioprofessionnel ou psychoaffectif qu’entretient un téléspectateur avec une nouvelle. En résumé : plus l’information est proche de nous, plus elle nous touche. Et c’est dans cette visée que s’inscrit d’ailleurs le projet de Ouest France qui entend mieux représenter les “territoires” en parlant des “vrais” problèmes de ses habitants. Parler des vrais gens, ça dénote aussi de la volonté d’acteurs vieillissants de renouer avec leur public et de restaurer une confiance en berne. Car aujourd’hui, les journaux télévisés restent la première source d’information des Français (90% des sondés en sont téléspectateurs). Ils sont également considérés comme la source la plus fiable d’information selon 69% des sondés du baromètre de La Croix, contre 60% pour la presse nationale.
Cette diversification ouvre aussi et surtout la voie à de nouvelles sources de revenus, nécessaires dans un modèle économique qui se repense sans cesse. S’affranchir du texte, c’est s’affranchir des bannières de publicité digitale, dont le revenu ne fait que baisser, pour bénéficier de nouveaux formats publicitaires bien mieux monétisables, comme la vidéo. Le coût de ces publicités est bien plus élevé, et c’est un moyen aux régies publicitaires de la presse traditionnelle de dynamiser cette source de revenus. Autre atout de taille : l’approche omnicanale que permet cette stratégie multimédia. Ces groupes de presse modernes pourront désormais proposer une offre publicitaire complète aux annonceurs pouvant se décliner sur plusieurs supports et plusieurs médias, tout en actionnant les données précieuses dont ils disposent déjà sur leur première base de lecteurs.
Ces projets s’inscrivent dans une démarche de transition numérique globale : ils doivent prendre place dans des écosystèmes numériques complémentaires pour pouvoir vraiment exister (plateforme VOD, streaming, presse, télévision…). Pour que ces marques multimédia fonctionnent, le principal défi qu’il reste à accomplir est de ne pas s’éparpiller, pour pouvoir continuer de profiter de toutes les synergies qui ne demandent qu’à être exploitées.
On assiste là à une vraie convergence des modèles d’informations, qui cherche à créer de nouvelles passerelles entre les supports. Cela sera-t-il suffisant pour répondre à la fragmentation des audiences et à l’évolution des usages informationnels des Français ? Rendez-vous le 1er septembre prochain pour le lancement de Ouest France TV sur le canal 19 de la TNT.
P.-J. Benghozi, B. Gié, V. Michaux, et D. Schneidermann, « Mutation, révolution, transformation de la presse », Le journal de l’école de Paris du management, vol. 115, no 5, p. 30‑37, oct. 2015, doi: 10.3917/jepam.115.0030.
Les ReelShort, ces mini-séries au format ultra-court (moins de 90 secondes), connaissent un succès fulgurant aux États-Unis. S’inspirant des dynamiques de TikTok, Instagram Reels ou YouTube Shorts, ce concept développé par Crazy Maple Studio associe narration captivante, stratégie de production optimisée, et intégration publicitaire ingénieuse. Pourtant, malgré leur popularité incontestable, ces séries soulèvent des questions quant à leur pérennité et leur contribution réelle à l’évolution des formats narratifs. Représentent-elles une avancée dans le divertissement ou une tendance éphémère répondant à des habitudes de consommation spécifiques ?
Une Stratégie de Production Astucieuse
La force d’un storytelling efficace
Les ReelShort doivent leur succès à un storytelling conçu pour captiver dès les premières secondes. Crazy Maple Studio, fort de son expérience avec l’application interactive Chapters, propose des intrigues simples et percutantes, articulées autour de thèmes universels tels que l’amour, le suspense ou les dilemmes quotidiens.Ces récits sont conçus pour s’adapter au format ultra-court en maximisant l’intensité émotionnelle et narrative sur une durée limitée, permettant aux spectateurs d’être immédiatement immergés.
Une production optimisée, mais minimaliste
Avec des budgets moyens de 300 000 dollars par série, Crazy Maple Studio fait preuve d’une remarquable efficacité. En employant de petites équipes et des acteurs émergents, la société parvient à produire des contenus visuellement attractifs à moindre coût.
Un Format Conçu pour un Public Connecté
Les ReelShort s’adressent principalement à une audience jeune, féminine et mobile, en proposant un contenu adapté à leur rythme de vie rapide et multitâche. Les caractéristiques principales de ce format incluent :
Une durée réduite : Chaque épisode, de moins de 1 minute 30, est conçu pour s’intégrer dans des moments de transition, comme les pauses ou les trajets en transports.
Un visionnage optimisé pour le mobile : Le format vertical s’aligne sur les habitudes de consommation des plateformes sociales.
Toutefois, cette stratégie n’est pas sans inconvénient. Le format ultra-court, bien que pratique, restreint considérablement la richesse narrative et le développement des personnages. De plus, le format vertical, parfois critiqué comme moins immersif, pourrait rebuter certains spectateurs habitués à des expériences plus traditionnelles, comme celles offertes par le cinéma ou les séries classiques.
ReelShort vs Quibi : Une Comparaison Éclairante
Le succès des ReelShort est souvent comparé à l’échec retentissant de Quibi, une plateforme de streaming lancée en 2018 dédiée aux formats courts, disparue après seulement six mois d’existence. Si les deux concepts partagent certaines similitudes, leurs stratégies diffèrent significativement :
Un modèle économique flexible : Contrairement à Quibi, qui reposait uniquement sur un abonnement payant, ReelShort adopte un modèle freemium. Les utilisateurs peuvent visionner gratuitement quelques épisodes avant de choisir entre regarder des publicités ou payer pour débloquer le reste de la série.
Une meilleure intégration aux codes des réseaux sociaux : Quibi avait une approche trop rigide, limitée à une expérience mobile exclusive, tandis que ReelShort s’adapte aux attentes des utilisateurs de TikTok ou Instagram, en rendant ses contenus plus flexibles et accessibles sur divers supports.
Une gestion des coûts maîtrisée : Là où Quibi investissait massivement dans des stars et des productions coûteuses, ReelShort privilégie des productions à budget réduit, misant sur la simplicité et l’efficacité.
Si ReelShort a su éviter les erreurs de Quibi, son avenir dépendra néanmoins de sa capacité à maintenir sa pertinence dans un marché où les attentes des utilisateurs évoluent rapidement.
Un complément au divertissement traditionnel, mais pas un remplaçant
Joey Jia, le CEO de l’application ReelShort, précise que les ReelShorts ne prétendent pas rivaliser avec le cinéma ou les séries classiques. Leur objectif est de répondre à des besoins spécifiques : offrir des contenus rapides et légers, adaptés aux courtes pauses et à un public en mouvement. Cette complémentarité les place davantage en concurrence avec TikTok ou YouTube qu’avec Netflix ou Disney+. Toutefois, cette position comporte des risques. En misant principalement sur l’instantanéité et le contenu de consommation rapide, ReelShort pourrait négliger une opportunité de revaloriser les formats courts comme une forme narrative à part entière.
Une tendance prometteuse, mais à surveiller
Les ReelShort incarnent une réponse audacieuse aux nouvelles habitudes de consommation. Leur capacité à raconter des histoires captivantes en quelques secondes, tout en maximisant leur visibilité sur les réseaux sociaux, en fait un modèle innovant et séduisant. Cependant, leur succès repose sur une logique fragile : le contenu rapide et léger pourrait finir par lasser un public plus exigeant, et la concurrence croissante nécessite une constante évolution. Si Crazy Maple Studio parvient à relever ces défis, les ReelShort pourraient bien s’imposer comme une nouvelle norme du divertissement mobile. Dans le cas contraire, ils risquent de devenir un simple phénomène de mode, rapidement éclipsé par des formats plus pérennes.
Le lien entre la mode et le cinéma est fort et historique. Dès les débuts du cinéma, notamment dès le passage du muet au parlant, les marques de luxe de mode ont été sollicitées pour le département des costumes. Déjà établie et internationalement connue avant la première guerre mondiale, Coco Chanel fabrique en 1930, les costumes de Le sang d’un poète de Jean Cocteau. Couturier star de l’après-guerre, Christian Dior se lance également dans le dessin de costume de cinéma en 1950 pour Les enfants terribles de Jean-Pierre Melville, trois ans après avoir présenté sa première collection de haute couture.
Plus récemment, Chanel et Gucci ont participé aux films de type biopics portant sur leurs maisons et liés aux figures fondatrices de leurs marques comme Coco avant Chanel sorti en 2009, ou encore House of Gucci en 2021. En prêtant les vêtements de la marque, ce dernier a permis à l’œuvre d’être particulièrement authentique. Gucci a également intégré des images tirées du film ainsi que son esthétique dans ses propres campagnes publicitaires par la suite, liant définitivement l’image de la marque au récit du film.
Les stars de cinéma, hollywoodiennes comme françaises, ont très rapidement été ce qu’on considérait aujourd’hui comme égéries ou ambassadrices, au début grâce à leurs affinités avec les créateurs, comme Catherine Deneuve et Yves Saint Laurent ou Audrey Hepburn et Hubert Givenchy. Ces amitiés s’illustrent par les pièces portées aussi bien à la ville qu’à l’écran, créant un autre pont entre le quotidien et l’art.
Le luxe et le cinéma, deux domaines de l’art et de la culture aux deux extrêmes de l’accessibilité pour le consommateur, semblent donc naturellement compatibles.
La mode, le cinéma et le produit
Les partenariats jusqu’ici relevaient en partie de l’intime, et sa stratégie soeur mais bien plus capitaliste, le placement de produit purement commercial, a connu ensuite un essor sur ces 40 dernière années. On a commencé à voir le pouvoir que la publicité pouvait avoir à travers la sensibilité du cinéma et l’impact de l’association du produit à l’émotion que procure un film. On pense notamment à la fameuse Aston Martin de James Bond ou à Chanel dans Barbie (2023, Greta Gerwig). Louis Vuitton a notamment rapidement fait usage de son esthétique ultra-reconnaissable pour s’insérer dans des narrations qui correspondent à la sienne, comme dans The Darjeeling Limited (2007, Wes Anderson) ou encore les sacs “Capucine”, conçus spécialement pour Cruella (2021, Craig Gillespie).
En parallèle, les campagnes promotionnelles des marques de luxe se sont souvent redéfinies pour devenir des outils de narration plutôt qu’une image frappante. Des courts-métrages, où l’aspect cinématographique prend le dessus du promotionnel ont été réalisés en partenariat avec des réalisateurs de renom comme Luca Guadagnino pour Loewe, Wes Anderson pour Mont Blanc ou encore Gaspar Noé Pour Yves Saint Laurent.
Cette dernière collaboration s’étend sur plusieurs années et campagnes. En 2019, la maison appelle le réalisateur à peine trois mois avant le Festival de Cannes pour lui commander un film qui deviendra Lux Aeterna et qui sera sélectionné en compétition officielle. C’est le début de la réflexion sur la production pour YSL. La maison s’associe toujours avec des talents cinématographiques pour construire un univers précis autour de la marque à travers des campagnes scénarisées et réalisées par Abel Ferrera, Wong Kar Wai, ou encore Fabrice du Welz. Saint Laurent Productions né au printemps 2023 et fait son entrée sur scène rapidement en sortant en salles son premier court-métrage réalisé par Pedro Almodovar A way of life fin mai 2023.
L’expansion du tissu au grand écran
Puis, un an plus tard en 2024, 3 films dans lesquels SLP a pris part au financement en tant que coproducteur sont sélectionnés à Cannes : Les linceuls de David Chronenberg, Parthenope de Paolo Sorrentino et Emilia Pérez de Jacques Audiard. La marque est portée, stylisée, filmée et intégrée, elle devient une partie de la narration plutôt que son centre, et donc s’insère d’autant plus dans l’inconscient du spectateur.
Quelques mois après, Artemis, la holding familiale du groupe Kering qui détient Yves Saint Laurent, annonce sa prise d’actionnariat majoritaire qui serait de 53% au sein de la méga-agence états-uniennes Creative Artists Agency. Le groupe rassemble plusieurs agences notamment spécialisées dans le management de talents des secteurs des médias et de l’entertainment, et peut citer des noms comme Ariana Grande, Ana de Armas ou encore Bradley Cooper comme clients.
Et c’est quelque mois plus tard seulement, en février 2024, que le premier concurrent de Kering, LVMH, annonce la création de leur propre société de production : 22 Montaigne Entertainment. La société a pour l’instant produit des oeuvres destinées à mettre en valeur les marques du groupe, mais elle a également conclu un partenariat avec l’états-unien Superconnector Studios, qui semble être chargé de faire le chasseur de projets pour leur compte de l’autre côté de l’Atlantique, afin de leur conclure des participations financières dans des projets audiovisuels cohérentes avec les valeurs des marques du groupe.
L’émotion dans l’art et l’achat
Si les deux disciplines et industries sont donc historiquement liées grâce à des affinités humaines et artistiques, l’accélération du capitalisme puis celle du ‘status symbol’ grâce aux réseaux sociaux a propulsé les résultats des maisons de luxe au plus haut, bien que les résultats des dernières années, toutes proportions gardées, ne soient pas les meilleurs. Ceci a, d’un autre côté, augmenté l’aspect marchand de leurs produits, leur enlevant ce que le consommateur vient chercher dans le luxe : l’exclusivité mais aussi l’émotion. Une histoire, une narration, un univers unique dans lequel seulement quelques-uns peuvent entrer. Une sensation d’un endroit magique, comme le cinéma peut procurer.
Le cinéma bénéficie également d’un statut spécial aux yeux de la population : il est accessible et puissant, énormément de titres de son catalogue universel sont admirés et vus comme des chefs-d’œuvres. On peut le regarder en salles, chez soi, dans les transports, à Paris comme à Tokyo, mais ses coulisses sont également mystérieux, pailletés et secrets. Un assemblage parfait pour gagner une visibilité internationale afin de ré-apprivoiser son public, tout en s’associant toutefois avec des films doté d’une éditorialisation soignée.
Une démarche horizontale
Il est par ailleurs intéressant de noter que cette volonté des maisons de luxe d’étendre leur image au-delà de la mode s’est démultipliée ces dernières années, vers le cinéma mais aussi l’hôtellerie et la restauration. Gucci a ouvert plusieurs restaurants tout comme Dior ou encore Louis Vuitton, et cette dernière s’est faite remarquée dernièrement en débutant la construction de son premier hôtel, recouvert d’une structure de protection inratable sur les Champs-Elysées, dont l’imprimé reproduit celui de leur malle iconique.
Si vous possédez un téléviseur connecté, il y a de fortes chances que, pendant que vous le regardez, lui aussi vous observe.
En 2024, plus de 4 foyers français sur 10 sont équipés de téléviseurs connectés, ces appareils sont devenus essentiels dans nos salons. Avec leur capacité à diffuser du contenu en streaming, exécuter des applications ou encore répondre à des commandes vocales, les « Smart TV » offrent une expérience toujours plus personnalisée et interactive. Pourtant, derrière cette promesse de modernité, une réalité moins visible : la collecte massive de nos données personnelles.
Qui récolte ces informations ? Est-ce votre fournisseur d’accès, le fabricant de votre téléviseur, ou les applications que vous utilisez ? Plongeons dans un univers où chaque interaction peut être une occasion d’en savoir un peu plus sur vous.
L’ACR : le cheval de Troie des téléviseurs connectés
D’après un rapport du Center for Digital Democracy (CDD), nos téléviseurs connectés agissent comme des « chevaux de Troie » modernes. Derrière leurs fonctionnalités séduisantes se cache un outil puissant et discret : l’ACR (Automatic Content Recognition).
Intégrée directement dans le système d’exploitation de ces appareils, cette technologie est capable d’identifier en temps réel tout ce qui apparaît à l’écran, que ce soit un film en streaming, une émission en direct ou même un jeu vidéo. Mais ce n’est pas tout :elle associe les contenus regardés dans votre foyer à votre adresse IP, permettant de lier les informations aux appareils connectés sur le même réseau.
Rayna Stamboliyska, autrice de La face cachée d’Internet, décrit l’ACR comme un « pixel » informatique qui agit tel un responsable marketing virtuel posté au-dessus de votre épaule. Chaque interaction avec l’écran est enregistrée, analysée, et envoyée à l’éditeur ou au constructeur de votre téléviseur. Ces données, souvent partagées avec des partenaires tiers, ne se limitent pas à ce que vous regardez, elles incluent aussi vos habitudes d’utilisation. Des fabricants comme Samsung ou Vizio l’admettent d’ailleurs explicitement dans leurs conditions d’utilisation : l’ACR a pour mission de collecter et partager ces informations. Leur argument ? Améliorer l’expérience utilisateur. Mais en réalité, ces données servent principalement à affiner la publicité ciblée et les outils d’analyse pour les annonceurs. Ainsi, l’écran devient une porte ouverte sur vos habitudes, permettant aux entreprises de personnaliser leurs campagnes et de maximiser leurs profits.
L’ACR soulève donc une question essentielle : jusqu’où sommes-nous prêts à sacrifier notre vie privée en échange d’une expérience plus personnalisée ou de recommandations plus pertinentes ? Pour beaucoup, cette technologie transforme nos téléviseurs connectés en espions numériques invisibles mais omniprésents, qui observent en permanence ce qui se passe dans nos foyers.
Qui collecte vos données… et que collectent-ils exactement ?
Les entreprises derrière les services de streaming et les appareils connectés utilisent des techniques de suivi avancées pour cibler la publicité. En conséquence, ces téléviseurs sont devenus un véritable « cauchemar pour la vie privée », comme le décrit Jeffrey Chester, co-auteur du rapport et directeur du CDD. Les téléviseurs connectés ne se contentent pas de vous donner accès à des séries, des films ou des applications. Ils collectent en permanence des données, et plusieurs acteurs interviennent dans ce processus :
Les fabricants de téléviseurs : des marques comme Samsung, LG ou Sony jouent un rôle central dans cette collecte. Grâce à à l’ARC, ils savent précisément ce que vous regardez, à quel moment, et sur quelle chaîne ou plateforme. Mais ce n’est pas tout : ils collectent également des informations sur vos paramètres, la durée d’utilisation de votre écran, et les applications installées.
Les systèmes d’exploitation et plateformes tierces : Beaucoup de téléviseurs utilisent des OS développés par des géants comme Google (Google TV, Android TV), Roku ou Amazon (Fire TV). Ces systèmes collectent des données sur votre navigation, vos recherches, et vos interactions avec les menus et le contenu que vous consommez. Par exemple, si vous demandez à votre TV via commande vocale « Trouve-moi un film de science-fiction », cette requête peut être analysée pour alimenter des bases de données.
Les applications et services de streaming : Les plateformes comme Netflix, Prime Video, YouTube ou encore Spotify suivent minutieusement vos habitudes de visionnage ou d’écoute. Elles savent non seulement ce que vous regardez, mais aussi pendant combien de temps, si vous mettez en pause, ou si vous abandonnez un programme avant sa fin. Ces informations alimentent leurs algorithmes de recommandation, mais elles sont aussi utilisées pour créer des profils d’utilisateurs qui sont ensuite vendus aux annonceurs.
Les fournisseurs d’accès Internet : En tant qu’intermédiaires essentiels, les box des FAI comme Orange, Free ou Bouygues peuvent également analyser les flux de données qui passent par leurs réseaux. Bien qu’ils affirment respecter la vie privée, certaines politiques d’utilisation incluent des clauses ambiguës concernant le suivi de vos activités.
Le RGPD : une protection suffisante ?
En théorie, la réglementation impose aux entreprises d’obtenir le consentement des utilisateurs avant de collecter leurs données. Cependant, le processus est souvent opaque, avec des conditions d’utilisation souvent acceptées sans lecture détaillée. Cela entraîne une validation implicite du suivi par les utilisateurs.
Un contrôle difficile pour les utilisateurs
Les conditions d’utilisation souvent longues et complexes rendent difficile pour les utilisateurs de comprendre l’étendue réelle de la surveillance à laquelle ils sont soumis. Si vos données sont collectées, vous devriez être informé de l’objectif de cette réutilisation, de la transmission des données à des partenaires, et de la nature (voire l’identité) de ces partenaires. Vous devez également être en mesure de consentir ou de refuser ces opérations.
Les entreprises doivent respecter un cadre strict pour recueillir ce consentement, en suivant les principes suivants :
Présentation d’une bannière de consentement claire et complète.
Possibilité d’accepter ou de refuser la collecte de données.
Conservation des choix des utilisateurs et droit de modification à tout moment.
Malheureusement, la complexité des politiques de confidentialité et des technologies utilisées rend ces engagements flous, laissant peu de place à une prise de décision éclairée.
En Europe, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) impose des règles strictes aux entreprises. Toute collecte de données doit être justifiée et sécurisée, sous peine de lourdes sanctions. Bien que certains fabricants permettent de désactiver certaines options de suivi, ces paramètres restent souvent difficiles à trouver et leur désactivation ne supprime pas toutes les méthodes de collecte. Même si le cadre réglementaire européen est plus strict, le véritable défi reste l’application concrète des règles et l’information des consommateurs sur leurs droits.
Bien que porteurs d’innovations et de confort, les téléviseurs connectés soulèvent de plus en plus de questions en matière de vie privée. L’ACR et la collecte de données par différents acteurs de l’écosystème numérique nous rappellent à quel point il est difficile de garder le contrôle sur nos informations personnelles. Si des régulations comme le RGPD existent pour encadrer cette collecte, leur mise en œuvre reste perfectible. La question demeure : à quel prix sommes-nous prêts à accepter cette « intelligence » technologique ?
Compte TikTok de FILIZ LA VRAIE, illustration d’une stratégie de communication sur ce réseau
TikTok a transformé l’industrie musicale, faisant de chaque utilisateur un potentiel ambassadeur de tendances et de chaque artiste un puissant marketeur. En un simple scroll, des millions de personnes peuvent découvrir, aimer et même propulser une chanson en tête des charts. Mais dans cet environnement saturé où les nouveautés affluent à une cadence effrénée, comment les artistes peuvent-ils réellement se démarquer ?
TikTok : une histoire musicale au service de l’auto-lancement
La musique est omniprésente sur TikTok, c’est en effet le principe de l’application chinoise anciennement appelée musical.ly. Pour un peu plus de contexte, en 2017, le concurrent de l’application ByteDance a acquis l’application pour environ un milliard de dollars. Il a décidé un an plus tard de fusionner Musical.ly avec son service TikTok, tout en conservant le nom de ce dernier. À ce moment, la plateforme comptait 700 millions d’utilisateurs. Aujourd’hui, TikTok compte 24,7 millions de Français et plus d’1,7 milliard d’internautes dans le monde.
Le réseau social chinois est devenu un pilier incontournable de la promotion musicale et a révolutionné la manière de promouvoir les lancements d’albums. La plateforme où les chansons virales rythment les défis, les danses et les tendances offre aux artistes une vitrine inédite. Les musiciens peuvent désormais tester des morceaux, interagir directement avec leurs fans et convertir ces derniers en auditeurs fidèles grâce à des extraits soigneusement calibrés. Mais cela a aussi engendré une saturation de contenus, rendant plus difficile que jamais de réussir à capter l’attention. Dans un environnement où des millions de vidéos et de sons se disputent l’engagement, les artistes doivent repenser leur stratégie marketing pour se démarquer.
L’impact de la saturation des contenus : capter l’attention, un défi majeur
La saturation de contenu rend la visibilité sur TikTok éphémère. Chaque seconde compte : l’algorithme priorise les vidéos qui captivent immédiatement. Pour se démarquer, les artistes doivent donc composer avec :
1. La division de l’attention :
Avec des millions de vidéos publiées chaque jour, retenir l’intérêt d’un utilisateur demande une créativité constante et des stratégies ciblées. Cependant, les internautes ont tendance à écouter la vidéo en entier s’ils apprécient la musique. C’est un énorme avantage car cela donne une information précise à l’algorithme. Il voit que ce contenu est intéressant à pousser et peut alors rediriger tous les contenus de l’artiste vers le feed de l’utilisateur.
2. La pression du contenu continu :
TikTok récompense les publications fréquentes et engageantes. Les artistes doivent ainsi alimenter leur profil régulièrement pour rester dans la course, au risque de se faire pénaliser par l’algorithme ou que les utilisateurs les oublient. De même, en partageant régulièrement des extraits, les artistes s’assurent que leur morceau reste dans la tête des auditeurs. Lors de sa sortie, la chanson bénéficie déjà d’une reconnaissance accrue, ce qui booste les écoutes sur les plateformes de streaming.
3. La montée des attentes marketing :
L’époque où une simple chanson suffisait est révolue. Les artistes doivent maintenant produire des visuels percutants pour leur clips, accompagner leurs chansons de chorégraphies virales ou raconter des histoires captivantes. En effet, plus l’extrait est accrocheur, plus il y a de chances qu’il soit repris par beaucoup de monde et donc augmente la visibilité de l’artiste.
Analyse des tendances courantes pour teaser la sortie de chansons
Une des stratégies dominantes sur TikTok pour promouvoir un morceau avant sa sortie consiste à impliquer activement le public avec des teasers de chansons. Avant la sortie de leur album, les artistes peuvent tester leur son. En envoyant seulement un court extrait de leur musique, ils auront un aperçu de ce que pense le public. Ils peuvent exploiter l’engagement émotionnel des fans et la dynamique communautaire propre à la plateforme.
1. L’interpellation directe du public
De nombreux chanteurs créent des vidéos où ils interagissent directement avec leur audience en posant des questions ou en lançant des appels à l’action :
Exemples récurrents :
« Je sors le son ? »
« Si cette vidéo atteint le million de vues, je le poste ! »
« On y va pour le million et je balance la date de sortie. »
« bon le peuple a parlé, vous avez gagné je vais vous sortir le son », TikTok de williamnvq
Ces vidéos fonctionnent comme des déclencheurs d’engagement : elles incitent les fans à commenter, liker et partager, augmentant ainsi la visibilité du contenu. Cette méthode joue également sur l’impatience des fans, qui se sentent impliqués dans le processus décisionnel de l’artiste.
On peut aussi retrouver des réactions aux sons avec du contenu comme : « Quand mon mec découvre mon son » ou « Quand ma sœur écoute le son pour la première fois ». Cette tendance permet de capitaliser sur le contexte émotionnel du morceau, créant un lien personnel entre l’artiste, le morceau et les spectateurs.
2. Jouer sur la frustration positive
En retardant volontairement la sortie d’un morceau tout en le rendant partiellement accessible, les artistes cultivent une forme de frustration ludique chez leurs fans.
Effets bénéfiques :
Générer énorméments de commentaires : Avec souvent des fans en haleine qui demandent comment s’appelle la musique, où la retrouver, si elle est sortie ou quand va-t-elle sortir.
Augmenter la mémorabilité de l’extrait musical grâce à sa répétition sur la plateforme.
Un autre phénomène clé est l’implication des internautes eux-mêmes dans la campagne de teasing. Les fans inspirés par le court extrait et frustrés par l’attente, commencent à produire leur propre contenu autour de l’extrait.
3. Les vidéos de pression collective
Les utilisateurs reprennent souvent l’extrait du morceau avec des légendes ou des mises en scène humoristiques pour inciter l’artiste à publier la chanson.
Exemples typiques :
« C’est bon, tu peux le sortir maintenant. »
« On a attendu assez longtemps, ne nous fais pas souffrir ! »
Mais je Vidéos avec des mises en scène exagérées pour montrer leur impatience
TikTok mise aussi sur les artistes émergents avec une fonctionnalité innovante
Avec son ascension fulgurante, TikTok ne se contente plus d’être une simple plateforme de divertissement. Elle affirme son rôle de sponsor pour les artistes émergents. Pour accompagner cette dynamique, l’application a récemment introduit une fonctionnalité : les pages musique.
Ces pages permettent aux artistes de centraliser et maximiser la visibilité de leurs morceaux. Chaque chanson officiellement distribuée sur TikTok est désormais accompagnée d’une page dédiée, comprenant un lien vers les plateformes de streaming. Les utilisateurs peuvent maintenant directement enregistrer les chansons qu’ils découvrent dans leur feed sur Spotify ou Apple Music sans quitter l’application.
Fonction ajouter à la playlist sur TikTok, compte de adestheplanet
Pour les musiciens en devenir, cette fonctionnalité est une aubaine. Elle leur permet non seulement d’accroître leur audience sur TikTok, mais aussi de convertir cet engouement en écoutes sur les plateformes de streaming.
En démocratisant la promotion musicale et en renforçant ses outils dédiés aux artistes, TikTok redéfinit les règles du marketing musical. Si l’auto-lancement sur la plateforme reste un défi dans un environnement saturé, la possibilité de centraliser ses morceaux et d’orienter les fans vers des plateformes de streaming marque une nouvelle étape dans l’évolution de l’industrie musicale. TikTok ne se limite plus à être un tremplin vers la célébrité éphémère ; il devient une plateforme d’accompagnement pour les artistes, les aidant à bâtir une carrière musicale solide.
Grimaud Shana
Bibliographie
Comment promouvoir la musique sur TikTok (et devenir virale), 15/08/2024