Tempête sur la zapette : quand l’Arcom souffle (trop ?) fort sur la TNT

Alors que les autorisations de diffusion par voie hertzienne de quinze services de télévision arrivent à échéance en 2025, l’Arcom a lancé un vaste appel à candidature l’année dernière. Depuis, les rebondissements dans le paysage audiovisuel français se succèdent à un rythme effréné : disparition programmée de C8 et NRJ12, entrée de deux nouveaux acteurs, réorganisation de la numérotation, constitution d’un bloc info, nouveaux espoirs pour franceinfotv. Retour sur cette effervescence médiatico-médiatique avant le grand débarquement hertzien du 6 juin 2025.

Dès le 6 juin 2025, les quatre chaînes d’information en continu de la TNT vont être regroupées au sein d’un « bloc info ». Une nouvelle guerre de l’audience se dessine à l’horizon. (Image générée par l’IA Grok et retouchée par l’auteur)

En pleine lucarne. À l’issue d’un long processus, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a pris une décision qui fera date dans l’histoire de la télévision française. C’est à l’été dernier que son président a annoncé le non-renouvellement de l’autorisation de diffusion des chaînes de la TNT C8 et NRJ12. La première, malgré de fortes audiences, s’est vu retirer sa fréquence suite à de nombreux manquements à ses obligations ayant donné lieu à une trentaine de sanctions de l’Arcom en douze ans, ainsi que pour son manque de rentabilité. La seconde perd son canal en raison de ses audiences faibles et de la place prépondérante qu’occupaient les rediffusions dans sa grille. Ces deux chaînes emblématiques du PAF devraient donc disparaître le 28 février 2025 au soir (l’usage du conditionnel reste de mise puisque l’affaire est encore à ce jour examinée sur le fond par le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays). Très concrètement, les téléspectateurs verront un écran noir en allumant leur télévision sur la 8 et sur la 12 dès le 1er mars prochain. 

Canal-

Mais ce que peu d’experts médias avaient anticipé, c’est que ces deux fréquences ne seront pas les seules être libérées dans les prochains mois. Le numéro 4 est lui aussi en passe d’être abandonné. En effet, agacé par la décision de l’Arcom, le groupe Canal+ a annoncé retirer ses quatre chaînes payantes (Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport, Planète) de la TNT en juin 2025. Officiellement, l’argument économique est avancé. « À partir du moment où on coupe l’essentiel des revenus publicitaires du groupe en France avec C8, il n’y a plus d’intérêt pour Canal+ à rester sur la TNT », a justifié Maxime Saada, président du directoire de Canal+ devant la commission de la Culture du Sénat le 29 janvier 2025.

Deux petits nouveaux

Si des chaînes vont donc disparaître cette année, d’autres vont débarquer dans notre salon. Parmi les candidats qui ont déposé auprès de l’Arcom lors de la procédure de réattribution des fréquences lancée en 2024, deux projets ont décroché leur ticket d’entrée sur la TNT. Le groupe de presse Sipa Ouest-France lancera en septembre prochain OFTV (nom provisoire) sur le canal 19 disponible depuis l’arrêt de France Ô en 2020. « Cette chaîne, à la fois divertissante et ancrée dans le réel, va raconter ce que vivent les Français », a détaillé celle qui vient d’être nommée à la tête de ce service audiovisuel Guénaëlle Troly, lors de la 7e édition de Médias en Seine.

Lors de cette même table ronde, un certain Christopher Baldelli a présenté le second projet retenu par l’autorité de régulation. L’ancien patron de France 2 et de Public Sénat est désormais en charge de T18 (dont le nom de projet était RéelTV), la nouvelle chaîne du groupe CMI France du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. La ligne éditoriale de T18 peut se résumer par ce que son directeur général appelle « les 3D »  pour « débat d’actualité, documentaire, divertissement ». Et, comme son nom laisse le supposer, T18 sera diffusée sur le numéro 18 de la TNT, et ce dès le 6 juin prochain.

Jeu de chaînes musicales

Si T18 investit le canal 18, quid de Gulli, actuel occupant de cette fréquence ? Et c’est bien là que la tempête se mue en cyclone. « Dès qu’on commence à déplacer un numéro, bien évidemment cela a des conséquences en cascade », admet Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (dont le mandat prend fin le 2 février 2025). En attribuant respectivement les numéros 18 et 19 à T18 et OFTV, l’autorité a également procédé à une large réorganisation des fréquences. Au total, onze chaînes de la TNT (sur 25) auront un nouveau numéro. Comme le souligne Roch-Olivier Maistre, « ce changement est inédit depuis la création de la TNT en 2005 car jusque-là les derniers arrivés prenaient les derniers numéros ». Et de poursuivre : « il s’agissait d’un usage qui peut donc évoluer ».

On remarquera par exemple l’arrivée de LCP-Public Sénat sur le canal 8, un choix salué par la Présidence du Sénat et de l’Assemblée Nationale, qui y voit une opportunité de « rapprocher nos concitoyens de l’actualité du travail parlementaire », selon un communiqué commun. Autre changement notable, France 4 débarque sur la… 4, « ça tombe sous le sens, non ? », constate Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, dans les pages de La Tribune Dimanche. Avec Arte (qui reste sur le canal 7), six chaines publiques seront donc présentes sur les huit premières fréquences. Gulli, la chaîne jeunesse du groupe M6, avait plaidé une « place naturelle dans le top 10 » mais héritera in fine du canal 12, afin de constituer « un mini bloc jeunesse » avec TFX qui conserve la fréquence 11 de la TNT. 

Une véritable guerre des boutons

Ce remaniement a déclenché « des envies, des coups bas, un chantage à l’emploi et des menaces de bataille juridique chez les perdants », comme le note le journaliste médias Adrien Schwyter dans les colonnes du magazine Challenges. S’il y a des « perdants », c’est bien parce qu’il y des numéros gagnants. Et pour espérer être de ceux qui allaient les tirer, un intense lobbying a donc eu lieu ces derniers mois, avant l’annonce de la nouvelle numérotation par l’Arcom le 13 janvier. En effet, les chaînes de télévision se disputent les premières positions, un enjeu stratégique majeur pour leur visibilité, leur audience et, par conséquent, leurs revenus publicitaires, car les numéros les plus bas sont généralement plus facilement mémorisés et consultés par les téléspectateurs.

Alors comment l’Arcom a-t-elle statué ? Après avoir mené des consultations avec les différents groupes audiovisuels, Roch-Olivier Maistre a assuré que « l’intérêt du public a été le seul guide » dans le processus d’attribution. Un argument en réalité on ne peut plus juridique puisque la loi du 30 septembre 1986 dispose que l’autorité de régulation attribue aux chaînes « un numéro logique, en veillant à l’intérêt du public, au respect du pluralisme de l’information et à l’équité entre les éditeurs ». Une équité respectée sur le plan économique puisque les canaux 4 et 8 (les plus convoités) reviennent à LCP-Public Sénat qui ne peut diffuser que des campagnes d’intérêt général, et France 4, dont le cahier des charges lui interdit de diffuser de la publicité. En bref, aucune nouvelle chaîne commerciale ne viendra perturber le marché publicitaire. L’Arcom veut ainsi rassurer les chaînes privées dont le financement est en grande partie assuré par la publicité.

Faire « bloc » pour une information pluraliste

Autre chamboulement à prévoir : la constitution d’un « bloc info ». D’abord présenté par le régulateur comme une « option » à « considérer », le regroupement des quatre chaînes d’information en continu dans des numéros voisins aura bel et bien lieu à partir du 6 juin prochain. En actant ce vieux serpent de mer déjà présent en 2019 dans la grande réforme de l’audiovisuel souhaitée par Franck Riester alors ministre de la Culture, l’Arcom risque de bouleverser les habitudes des Français à bien des égards. « En regroupant les chaînes d’info en continu sur des numéros consécutifs de 13 à 16, l’Arcom garantit de fait une meilleure lisibilité et un accès simplifié à une offre pluraliste d’information. », nous explique Maxime Guény, journaliste médias.

Dans le détail, BFM TV et CNews basculeront sur la 13 et la 14, tandis que les fréquences 15 et 16 seront allouées respectivement à LCI et franceinfotv qui occupent actuellement les deux derniers numéros de la TNT. Les chaînes d’info des groupes TF1 et France Télévisions, qui réclamaient par ailleurs ce rapprochement thématique afin de « recréer une forme d’équité des chances », selon les mots de Thierry Thuillier, patron de l’information du groupe TF1, vont ainsi faire un bond de 11 places dans la numérotation. Les places jugées lointaines de ces deux chaînes d’information ne leur permettaient pas de jouer à armes égales avec leurs concurrents BFM TV et CNews, qui dominent très largement les audiences. Delphine Ernotte parle d’une décision « logique, qui favorise le pluralisme ».

Une position partagée par Alix Bouilhaguet, éditorialiste et intervieweuse politique sur franceinfotv : « ça permettra une saine émulation, de confronter des projets et des lignes éditoriales différents, et à la fin c’est le téléspectateur qui en tire bénéfice ». Et de poursuivre : « De la même manière qu’en presse écrite on a le choix entre lire Libération ou Le Figaro, à la télé, ça me semble aussi normal. Les Français ne sont pas des enfants. Ils savent ce qu’ils regardent et ce qu’ils ont envie de voir. » Maxime Guény abonde en son sens, rappelant que « le public n’est pas dupe » et que « pour un fan Pascal Praud, ce n’est pas un changement de chaîne qui va l’empêcher d’aller voir Pascal Praud ! »

Soupe à la grimace chez BFM TV

Pour autant, du côté du groupe CMA-CGM, propriétaire de BFM TV depuis à peine un an après son rachat à Altice, on grince des dents. Ce changement de canal intervient dans un contexte où la chaîne « 1ère sur l’info » (comme le dit son slogan) est chahutée par la montée en puissance de CNews. « C’est une mauvaise décision pour notre groupe et pour le public. […] C’est anormal ! », s’indigne Nicolas de Tavernost, président de BFM TV et RMC. Le groupe a même commandé un sondage sur le sujet à l’Institut Ipsos, duquel ressort que 81% des Français interrogés seraient « opposés à tout changement dans la numérotation ».

Ce coup de gueule, « tout à fait normal » selon Maxime Guény, est principalement dû à l’arrivée du concurrent LCI sur le canal historique qu’occupait BFM TV depuis sa création en 2005. « Une décision difficile à avaler » pour le PDG qui entend bien la contester en examinant « toutes les solutions possibles ». BFM TV estime que cette manœuvre lui fera perdre 16% de son audience. De son côté, LCI anticipe une augmentation de 20% du nombre de ses téléspectateurs, prévoyant alors d’atteindre les 2% de part d’audience, tout en espérant rajeunir son public. En effet, LCI est la chaîne avec la moyenne d’âge téléspectateurs la plus élevée des quatre chaînes d’info (66 ans, contre 64 ans pour CNews, 62,8 ans pour franceinfotv, et 58,5 ans pour BFM TV). Conquérir un public jeune n’est pas seulement une question d’image, c’est aussi (et surtout) un argument pour séduire les annonceurs et ainsi valoriser les espaces publicitaires de la chaîne. Aujourd’hui, BFM TV est la seule chaîne du quatuor à être rentable. En 2022, la 15 représentait 70% des revenus publicitaires d’Altice.

Préparez-vous au décollage !

Dans ce match sur le terrain publicitaire, franceinfotv sera spectatrice. La chaîne d’information en continu du service public « ne diffuse pas de message publicitaire », comme le lui interdit l’article 28 de son cahier des charges. Alors, frein à son développement ou aubaine ? Le journaliste médias Maxime Guény décrit cette spécificité comme « un avantage incroyable, un luxe et un confort absolu pour le téléspectateur qui a tendance à vouloir fuir la pub ». Cet avis dithyrambique est partagé par Alix Bouilhaguet de franceinfotv : « Je le vois comme un atout génial. Pendant les pubs des autres, nous on fait de l’info. 10 minutes de pubs, c’est 10 minutes d’infos en moins. Chez nous, 10 minutes ça peut être deux chroniques, un petit JT. C’est précieux. Réjouissons-nous ! »

En se rapprochant numériquement des ses concurrents privés, franceinfotv va certainement bénéficier d’une audience supplémentaire, ne serait-ce que par un effet zapping : « mécaniquement, il y aura de l’audience supplémentaire, c’est sûr et certain », pronostique Maxime Guény. Timoré, Alexandre Kara, le directeur de l’information du groupe France Télévisions, affirme viser la barre des 1% de part d’audience (contre 0,8% aujourd’hui). Même si son « objectif est d’être regardé par le plus grand nombre » , il « refuse de tomber dans la facilité » qui consisterait à « prendre trois, quatre infos » et les « faire tourner en boucle et les scénariser », explique-t-il dans les colonnes de Télérama.

franceinfo : un média global

La marque franceinfo est aujourd’hui connue de tous et de plus en plus sollicitée. Franceinfo radio bat des records d’audience et se hisse désormais à la deuxième marche du podium des radios les plus écoutées, juste devant RTL. Franceinfo c’est aussi le site web le plus consulté en chaque jour en France (voir graphique ci-dessous). Un sondage Harris Interactive de 2018 révélait que franceinfotv était, et de loin, la chaîne de télévision en laquelle les Français avaient le plus confiance dans une actualité marquée par le mouvement des Gilets Jaunes (71%, contre 60% pour LCI, 58% pour CNews, et 52% pour BFM TV). Un résultat similaire à l’étude Reuters Institute 2024 : 57% des Français interrogés déclarent faire confiance au média franceinfo, contre seulement 42% pour Cnews et 38% pour BFM TV. 

Plus récemment encore, le dernier Baromètre La Croix-Verian-La Poste de janvier 2025 confirme cette plus grande confiance des Français au service public dans le traitement de l’actualité. Et pourtant, malgré ces résultats sans appel sur l’image de marque franceinfo, la chaîne n°27 n’arrive pas à transformer l’essai et réalise même à ce jour une contre-performance en se classant dernière dans le classement des audiences mensuelles, toutes chaînes de la TNT confondues. Mais alors, comment expliquer cette réalité ? Pour le journaliste médias Maxime Guény, « le principal frein aujourd’hui est son positionnement en bout de piste, le public ne connaît pas forcément son canal ». Une position partagée par l’éditorialiste politique de la chaîne Alix Bouilhaguet : « 27, c’est quand même loin ! ». En lui octroyant le canal 16, l’Arcom aurait alors enfin brisé le cadenas de la porte qui mène au triomphe ?

Gare à la grille !

Il faut savoir raison garder. Si la nouvelle visibilité offerte par un changement de numérotation semble dessiner de belles perpectives pour la chaîne d’info du service public, cela ne pourra se vérifier que si cette ambition est véritablement portée par le groupe France Télévisions. Un des axes de travail serait celui d’une « meilleure synergie du média global », selon Maxime Guény. Cela se traduirait par un « rapprochement des moyens techniques et des équipes radio et télé, afin d’optimiser les coûts et renforcer la concurrence avec le privé. » Aujourd’hui, franceinfo radio et franceinfotv, en plus d’être géographiquement éloignées, ne collaborent qu’à dose homéopathique. Les quelques passerelles existantes se résument à une co-diffusion d’émissions radio filmées (telles que « Les Informés » ou la grande interview de 8h30 par Salhia Brakhlia).

Si en interne cette mutualisation fait débat, Alix Bouilhaguet se montre enthousiaste : « je trouve ça formidable qu’il y ait des incarnations communes de plus en plus. Entre le numérique, la radio et la télé, on a tous à s’enrichir mutuellement, donc allons-y ! » La question des incarnants peut aussi être une piste de réflexion pour faire croître et fidéliser l’audience de franceinfotv. « Il faut qu’on arrive à avoir des incarnations fortes », admet l’éditorialiste politique de franceinfotv, avant d’ajouter : « cet effort est mis en place depuis déjà quelques mois avec la volonté d’avoir des incantations qui s’installent davantage, moins de rotations à la présentation des tranches info, et moins de changement de rythme, y compris pendant les vacances scolaires. »

Sur ce point, le train franceinfotv semble être sur les bons rails, à en croire l’arrivée de plusieurs figures de l’information du groupe France Télévisions comme Jean-Baptiste Marteau, Lucie Chaumette et Sonia Chironi. Des talents « maison » donc, et peut-être de nouveaux visages ? C’est en tout cas une possibilité que n’exclut pas Delphine Ernotte, arguant que « ce sera plus facile de convaincre les personnalités extérieures maintenant que la chaîne est sur le canal 16 ». Une chose est sûre, la nouvelle numérotation des fréquences de la TNT décidée par l’Arcom a rebattu les cartes, ouvrant la voie à de nouveaux rapports de force.

Léo Potonnier

Fact-checking à l’ère des géants de la tech : Elon Musk, Mark Zuckerberg et le futur de la modération de l’information sur les réseaux sociaux

Credit image : Dimitrios Kambouris / Kevin Dietsch / Getty Image

Le monde contemporain évolue sous un déluge d’informations, dont le principal déversoir sont les réseaux sociaux. Des plateformes devenues les autoroutes de la communication globale, où tout circule : le vrai, le faux, et surtout le sensationnel. Mais à mesure que l’instantanéité et les algorithmes s’invitent dans l’équation, une ombre grandit sur le débat public : la prolifération des fausses informations. Vérités alternatives, manipulations subtiles ou intox assumée, peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’illusion.

C’est ici qu’intervient le fact-checking, sentinelle de la vérité qui traque l’info frelatée et redonne aux faits leurs lettres de noblesse. Décrypter, recouper, rétablir : un travail aussi noble qu’ardu, qui se heurte à la dynamique du buzz. Face aux vaisseaux amiraux de l’influence que sont X (ex-Twitter) sous la houlette d’Elon Musk et Meta (Facebook, Instagram) dirigé par Mark Zuckerberg, la modération et la vérification ne pèsent pas toujours bien lourd. Entre liberté d’expression brandie en étendard et monétisation du chaos informationnel, ces géants du numérique façonnent l’espace public selon des logiques difficilement conciliables avec la quête d’une information fiable.

À travers cet article, plongeons dans les coulisses d’un affrontement feutré où la vérité tente de ne pas se faire avaler par l’algorithme.

Elon Musk et la liberté d’expression sans compromis

Depuis son rachat de Twitter en 2022, Elon Musk s’est attelé à un projet ambitieux : transformer la plateforme en une agora numérique où la liberté d’expression tutoie l’absolu. L’idéal est séduisant, mais la réalité est plus chaotique.

X, ex-Twitter, se veut un espace où toutes les voix des plus éclairées aux plus fumeuses peuvent s’exprimer sans entraves. Traduction : adieu la modération stricte, bonjour le grand bain de la controverse. Résultat ? En deux semaines, les tweets antisémites bondissent de 61 %, les insultes racistes explosent de 200 %1. Liberté d’expression, certes. Conséquences, aussi.

Ce virage a donné des sueurs froides aux annonceurs. En un an, les dépenses publicitaires des 30 plus gros annonceurs ont fondu de 42 %2. Le CPM, jadis respectable à 5,77 $, s’écrase à 0,65 $. Greenpeace et une centaine d’ONG ont plié bagage, et même des institutions académiques françaises comme l’École Polytechnique et CentraleSupélec ont déserté X, lassées du règne de la désinformation.

Musk voulait une « place publique numérique ». Il a obtenu un marché aux cris, où la vérité se noie sous le vacarme de l’engagement à tout prix.

« Community Notes » : une modération démocratique… ou un mirage collaboratif ?

Lorsque Elon Musk a mis en avant Community Notes comme remède à la désinformation sur X (ex-Twitter), l’idée avait de quoi séduire : confier aux utilisateurs la tâche d’apporter des corrections aux publications trompeuses. Une approche participative, presque utopique. Mais dans la réalité, la modération par la foule se heurte à des limites qui en réduisent considérablement l’efficacité.

Un contrepoids insuffisant face à la désinformation

Le principe est simple : des contributeurs apportent des annotations censées contextualiser ou corriger les contenus trompeurs. L’objectif ? Rétablir les faits de manière transparente. Mais la mécanique se grippe vite. Selon le Center for Countering Digital Hate (CCDH), 74 % des publications contenant de fausses informations ne sont jamais corrigées par Community Notes. Pire, même lorsque des annotations sont ajoutées, elles peinent à rivaliser avec la viralité du tweet initial, déjà diffusé à grande échelle3.

Un outil vulnérable aux manipulations

Là où l’initiative se voulait neutre et objective, elle devient vite le terrain de jeux d’acteurs aux intérêts divergents. Les groupes organisés s’y infiltrent, biaisant le système à leur avantage. Plutôt qu’un rempart contre la désinformation, Community Notes se transforme en un espace où les corrections sont elles-mêmes contestées, reflétant les fractures idéologiques qui traversent la plateforme.

Un rythme bien trop lent face à l’instantanéité du web

Autre problème majeur : la vitesse. Là où une fake news se répand en quelques heures, une correction via Community Notes met bien plus de temps à être validée. L’information erronée a déjà eu le temps de s’imposer dans l’opinion publique avant même que son caractère trompeur ne soit signalé. Or, sur un réseau où la viralité est reine, la lenteur de réaction condamne l’outil à l’inefficacité4.

Un pari qui exacerbe la fragmentation

En misant sur une correction communautaire plutôt qu’une modération stricte, Musk prolonge sa vision d’un espace où la liberté d’expression s’exerce sans véritable garde-fou. Une vision séduisante sur le papier, mais qui, dans les faits, ne fait qu’accroître la fragmentation informationnelle. Les Community Notes devaient rétablir la vérité, elles deviennent un écho des tensions idéologiques qui traversent la plateforme.

Meta : la vérité sous contrôle ou la modération sous influence ?

Là où Elon Musk prône une liberté d’expression quasi absolue sur X, Mark Zuckerberg adopte une approche plus méthodique sur Meta (Facebook, Instagram). Ici, l’objectif est clair : traquer la désinformation sans étouffer le débat. Pour y parvenir, Meta s’appuie sur un savant mélange de collaborations externes et de technologies d’intelligence artificielle. Un équilibre subtil, mais pas sans controverses.

La modération à coups de fact-checking


Meta ne joue plus en solo. La plateforme a récemment décidé d’arrêter son programme de vérification des faits sur ses applications, mettant fin à ses collaborations avec des organismes comme PolitiFact et FactCheck.org. L’idée initiale était d’étiqueter et limiter la visibilité des publications trompeuses. Pendant la pandémie, ce système avait inondé les publications antivaccins de messages d’alerte et de liens vers des sources fiables. Même stratégie lors des élections brésiliennes5, où Meta a musclé sa lutte contre les fausses nouvelles électorales. Une modération rigoureuse, mais désormais abandonnée au profit d’une autre approche.

L’intelligence artificielle comme outil clé

Meta utilise également des algorithmes sophistiqués pour surveiller et analyser les contenus. Ces outils identifient rapidement les publications potentiellement nuisibles, interrompant leur propagation avant qu’elles ne deviennent virales. Lors des attentats de Christchurch, par exemple, l’IA de Meta6 a permis de supprimer rapidement les vidéos diffusées en direct.

Cependant, ces algorithmes ne sont pas exempts de défauts7. Ils peuvent signaler des contenus satiriques ou humoristiques, ou échouer à identifier certains messages codés. Leur fonctionnement opaque soulève également des questions sur la transparence et la responsabilité des plateformes.

Vérité officielle ou censure déguisée ?

Mais cette approche a ses détracteurs. Certains dénoncent une modération à sens unique, qui privilégierait certaines narrations au détriment d’autres. En 2023, Human Rights Watch8 a recensé plus de 1 050 suppressions de contenus pro-palestiniens sur Facebook et Instagram, renforçant les soupçons d’un biais idéologique. Même chose lors de la pandémie : des publications critiquant certaines politiques sanitaires ont été censurées, relançant le débat sur une vérité officielle imposée par des experts et des entreprises privées.

Ces exemples montrent que l’approche de Meta, bien qu’efficace pour limiter la désinformation, soulève des préoccupations sur la liberté d’expression. Le débat sur la modération des contenus numériques oscille souvent entre deux extrêmes : garantir une information vérifiée tout en respectant la diversité des opinions, ou risquer une forme de censure institutionnalisée. En fin de compte, la stratégie de Meta, fondée sur des partenariats et une technologie de modération sophistiquée, incarne une tentative de trouver un équilibre, mais elle illustre aussi les défis d’une modération perçue parfois comme intrusive.

Liberté ou responsabilité : quel avenir pour l’information en ligne ?

Les stratégies de Musk et Zuckerberg incarnent deux visions opposées du contrôle de l’information. D’un côté, une liberté d’expression quasi absolue, quitte à laisser proliférer la désinformation. De l’autre, une modération rigoureuse, qui peut parfois ressembler à une censure déguisée. Entre engagement économique et responsabilité éthique, les plateformes numériques peinent à trouver l’équilibre parfait.

Vers un modèle hybride

Plutôt que d’opposer ces extrêmes, une approche intermédiaire semble émerger. L’Union européenne a déjà pris les devants avec le Digital Services Act (DSA)9, qui impose aux géants du numérique plus de transparence sur leurs algorithmes et une meilleure gestion des contenus problématiques. Ce cadre juridique vise à responsabiliser les plateformes tout en préservant une liberté d’expression encadrée.

Aux États-Unis, Meta a mis en place un Conseil de surveillance10 composé d’experts indépendants chargés d’examiner les décisions de modération controversées. Ce modèle, qui allie contrôle externe et transparence, pourrait inspirer d’autres initiatives à l’échelle mondiale.

L’intelligence artificielle et la coopération à la rescousse

Plutôt que de laisser la modération à la seule discrétion des plateformes, des initiatives collaboratives émergent. Le Google News Initiative et le projet CrossCheck11 ont prouvé que des efforts conjoints entre médias, ONG et experts pouvaient mieux lutter contre la désinformation. En s’appuyant sur l’intelligence artificielle et la coopération intersectorielle, ces modèles montrent qu’une régulation efficace ne signifie pas forcément une censure excessive.

Former plutôt que censurer

Mais la technologie seule ne suffira pas. L’éducation aux médias devient un enjeu clé pour armer les citoyens face à la manipulation de l’information. En Finlande, ce travail commence dès l’école primaire, où les enfants apprennent à identifier les biais et à vérifier les sources. Résultat : le pays est l’un des plus résilients face à la désinformation en Europe. Une approche qui pourrait inspirer bien d’autres pays.

Ruben LOMBA MINANGA

Sources

  1. https://www.bfmtv.com/tech/twitter-les-insultes-racistes-et-antisemites-en-forte-hausse-depuis-le-rachat-d-elon-musk_AV-202212040111.html ↩︎
  2. https://www.agenceecofin.com/reseaux-sociaux/2001-104693-les-achats-de-publicite-des-30-principaux-annonceurs-de-twitter-ont-baisse-de-42-depuis-son-rachat-par-elon-musk ↩︎
  3. https://www.socialmediatoday.com/news/reports-find-community-notes-failing-address-misinformation-x-formally-twitter/731558/ ↩︎
  4. https://dl.acm.org/doi/10.1145/3686967 ↩︎
  5. https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/fin-du-fact-checking-chez-meta-le-bresil-estime-cette-decision-mauvaise-pour-la-democratie-20250108 ↩︎
  6. https://www.actuia.com/actualite/meta-ai-devoile-une-technologie-dia-pour-ameliorer-la-moderation-sur-facebook-et-instagram/ ↩︎
  7. https://siecledigital.fr/2024/12/05/meta-admet-une-moderation-excessive-de-contenu-sur-ses-reseaux/ ↩︎
  8. https://www.hrw.org/report/2023/12/21/metas-broken-promises/systemic-censorship-palestine-content-instagram-and ↩︎
  9. https://freedomhouse.org/article/eu-digital-services-act-win-transparency ↩︎
  10. https://www.oversightboard.com/ ↩︎
  11. https://blog.google/outreach-initiatives/google-news-initiative/fact-checking-french-election-lessons-crosscheck-collaborative-effort-combat-misinformation/ ↩︎
ModérationNumérique Désinformation MédiasSociaux LibertéDexpression FactChecking

Cinéphilie, gamification et prestige social, comment Letterboxd nous incite à voir plus de films

Le 8 janvier dernier, la communauté néo-cinéphile était en ébullition à l’idée de recevoir les rétrospectives personnalisées Letterboxd, le réseau social aux 15 millions d’utilisateurs permettant de partager les films que l’on voit. Sur le même modèle que Spotify, Letterboxd propose un retour sur l’année écoulée, nous dévoilant nos statistiques de consommation. La sentence est tombée, j’ai vu 381 films, ce qui me place deuxième dans mon groupe d’amis. Deuxième derrière mon ami sans activité, belle performance. Mais ex-aequo avec mon compagnon, cinéphile lui aussi, de quoi sortir de cette compétition sans mauvais perdant. Compétition, oui. Cet été, quelques jours avant que je parte en vacances pendant une semaine, il m’annonçait “ Je vais pouvoir te rattraper sur Letterboxd”. Horreur ! Il avait osé briser le tabou suprême de la communauté cinéphile : nous scrutons les compteurs Letterboxd des autres. Si j’affichais une attitude détachée, je n’en étais pas moins inquiet. Je comblais ma cinéphilie encore naissance par une boulimie de films qui m’avait permis de prendre une dizaine de points (mince, films !) d’avance par rapport à mon groupe d’amis. Je m’empresse donc de télécharger deux films sur Mubi pour les regarder dans le train…

https://twitter.com/letterboxd/status/1877059202473972216

Il y a ici quelque chose de paradoxal. Le cinéma est un art correspondant à la vision des réalisateurs, auteurs et autres personnes permettant de créer les films. Par essence, l’art devrait être détaché de toute idée de productivité. On ne le consomme pas, on le vit et on le ressent. Comment ce réseau social, destiné à un public de cinéphiles conscients de la dimension artistique et culturelle des films, nous incite-t-il à voir toujours plus films ?

La gamification comme mécanisme incitatif

Ce n’est pas un hasard si mes amis et moi nous y livrons à une compétition silencieuse. Letterboxd nous y incite en intégrant des éléments de gamification 1: des mécanismes de jeu qui favorisent l’engagement. 

Cette stratégie passe par la mise à disposition de statistiques. Quantifier la consommation d’un utilisateur, c’est lui faire prendre conscience de comment il agit, et l’inciter à modifier son comportement. En rendant ces données publiques, on lui donne l’opportunité de se comparer aux autres et donc d’entrer dans une compétition. Il y a donc le score de films vus, affiché directement sur le profil des utilisateurs. On y voit à la fois le nombre total de films visionnés, et le nombre de films vus durant l’année. Cette logique de score s’applique également de manière plus classique avec le système de likes. Les critiques les plus likées sont mises en avant, sur la page du film et sur le profil de l’utilisateur. On peut également aimer les différentes listes et classements créés.

Ces listes sont l’incarnation d’un autre mécanisme de gamification : relever des défis. La plus populaire, Official Top 250 Narrative Feature Films, regroupe les 250 films les mieux notés sur la plateforme. Bien que créée par un utilisateur classique, elle est largement relayée par Letterboxd et directement accessible depuis sa page de recherche. Voir ces 250 films, majoritairement considérés comme « classiques », représente le défi suprême pour les cinéphiles. Un pourcentage de progression est affiché, pour rappeler à chacun où il se situe dans cette mission. Ce pourcentage s’affiche également sur les pages d’acteur ou de réalisateur, transformant la filmographie de tous ces artistes en quête à accomplir.

Mais la gamification atteint son paroxysme avec la rétrospective de l’application. On y retrouve le score définitif de films vus lors de l’année, le temps consacré au visionnage de films ou encore le réalisateur et l’acteur les plus vus. Se crée alors un facteur d’identification pour les utilisateurs, qui peuvent se regrouper lorsqu’ils ont des statistiques communes (mes proches cités précédemment et moi-même partageons Chantal Akerman comme réalisatrice la plus vue, quelle union !). La rétrospective nous offre aussi les Diary Milestones, les paliers de visionnages tous les 50 films vus, de quoi nous rappeler le système de niveaux des jeux vidéo.

Il serait cependant trop facile d’attacher le succès de Letterboxd à de simples mécanismes incitatifs. Ils y participent sans doute, mais interviennent auprès d’une population dont le visionnage de film est codifié et lié à des normes sociales.

Capture d’écran du Letterboxd Wrapped 2024 de l’utilisateur @louis_crtti

Cinéma et prestige social

La première étape d’édition d’un compte, c’est le choix de ses 4 films préférés. C’est le cœur du profil de l’utilisateur, le premier élément qui apparaît. C’est en voyant ce top qu’on comprend quel cinéphile un utilisateur est. Se met alors en place une difficile curation : comment illustrer ses goûts et prouver son éclectisme avec seulement quatre films ? Parce que le nouveau cinéphile a compris que c’était cette capacité à regarder différents genres de films qui lui procurait du prestige. Le sociologue Richard A. Peterson met cette notion d’éclectisme au cœur de ces recherches2. Exit Bourdieu et sa consommation de culture légitime comme simple vecteur de distinction sociale3. Désormais, les élites se distinguent par un omnivorisme, une capacité à apprécier des objets culturels issus de courants différents. N’est plus in le film-bro qui se cantonne aux films de Scorcese et Coppola, ni l’intellectuel du quartier latin qui regarde en boucle les films de la Nouvelle Vague. Oui, il faut avoir vu la trilogie Le Parrain et Le Mépris, mais pas seulement ! On valorise ceux qui diversifient leurs visionnages, on jalouse celui qui a trouvé LE film étranger indépendant qui n’a bénéficié d’aucune campagne de promotion. Bourdieu, que l’on ne va finalement pas mettre de côté si vite, nous parlait déjà de ce double choix entre distinction et intégration. On se conforme aux normes du champs social cinéphile en ayant vu les grands classiques, puis on s’en distingue en trouvant le moyen de voir ce que les autres n’ont pas vu pour devenir un consommateur précurseur. Dans les deux cas, on cherche à acquérir un capital symbolique, un prestige social.

Une cinéphilie à l’épreuve des nouvelles technologies

En nous basant sur les travaux de l’historien du cinéma Thomas Elsaesser et de leur reprise par le professeur à l’Université des Arts de Londres David McGowan, nous serions actuellement dans une forme de cinéphilie 3.0. Ce qu’Elsaesser appelait cinephilia take one4 (première cinéphilie) correspond à une pratique liée aux salles de cinéma, seul endroit où l’on pouvait voir des films. Ils ne sont donc pas possédés par leurs spectateurs, qui dépendent d’une programmation. Le cinéma est une expérience collective : on voit le film aux côtés d’autres spectateurs, puis on en discute dans les cafés, centres névralgiques de la critique. Arrivent les années 1980 et les VHS. Puis, une vingtaine d’années plus tard, les DVD. Sans abandonner l’expérience de la salle qui reste encore très importantes, les cinéphiles se tournent vers une consommation individuelle, chez eux. Désormais, on possède les films et on ne dépend plus de la programmation des diffuseurs. C’est la cinephilia take two. Ces deux états de la cinéphilie ont été définis en 2005, à une époque où les nouvelles technologies n’ont pas encore révolutionné les méthodes de diffusion. C’est là qu’intervient David MacGowan, qui, en 2024, propose une c5inephilia take three, orientée autour des SMAD. Les consommateurs font face à deux problèmes : l’accessibilité et la possession. Les films ne sont plus totalement possédés et donc constamment accessibles, mais dépendent à nouveau d’une programmation d’un diffuseur. Un paradoxe à une époque de la sur-disponibilité. Un aspect non traité de la cinéphilie 3.0 par David MacGowan est le degré de collectivité de l’expérience. Tout comme les supports physiques, les plateformes font partie du home entertainment, le divertissement à domicile. L’expérience reste, dans la prolongation de la cinephilia take two, individuelle. C’est là que Letterboxd intervient. En tant que réseau social, Letterboxd peut être un vecteur d’une nouvelle expérience cinéphile collective, qui pallierait le problème d’individualité de la consommation de films en streaming. On suit d’autres personnes, on lit et commente leurs reviews : on interagit. De manière plus générale, les réseaux sociaux, les blogs, forums et internet sont, depuis leur création, des lieux de partage de l’expérience cinéphile. Avant même l’arrivée du World Wide Web, existait sur Usernet en 1990 la base de données rec.arts.movies, qui deviendra plus tard IMDB6. Letterboxd serait alors l’aboutissement de cette appropriation de la technologie. En permettant à ses utilisateurs de retrouver tous les films qu’ils ont vus, la plateforme permet également de constituer une bibliothèque numérique et donc de créer une nouvelle forme de possession de ces films.

Ainsi, les mécanismes de gamification mis en place sur Letterboxd fonctionnent car son public est déjà enclin à voir un grand nombre de films. La gamification n’est qu’un mécanisme d’entretien de la plateforme, mais pas de captation d’utilisateurs. Le système de score de films vus ne pourrait être que le reflet de cet éclectisme valorisé au sein de ce groupe social. On voit beaucoup de films car on doit se construire un capital solide, que l’on entretiendra en cherchant de nouveaux chefs d’œuvre. Me voilà déculpabilisé, ma cinéphilie n’est pas vide de toute dimension artistique, bien au contraire ! En 2025 je débloquerai donc le pallier des 350 films vus.

MAILLE Louis

Sources:

  1. Duarte, A. et Bru, S. (2021). La boîte à outils de la gamification. https://doi.org/10.3917/dunod.duart.2021.01. ↩︎
  2. Peterson, R. A. (2004). Le passage à des goûts omnivores : notions, faits et perspectivesSociologie et sociétés36(1), 145–164. https://doi.org/10.7202/009586ar ↩︎
  3. Bourdieu, Pierre. La Distinction. Critique sociale du jugement. Paris, Les Éditions de Minuit, 1979. ↩︎
  4. Elsaesser, Thomas: Cinephilia or the Uses of Disenchantment. In: Valck, Marijke de;Hagener, Malte: Cinephilia. Movies, Love and Memory. Amsterdam: Amsterdam University Press 2005, S. 27-43. DOI: 10.25969/mediarep/11988. ↩︎
  5. McGowan, David. (2023). Cinephilia, take three?: Availability, reliability, and disenchantment in the streaming era. Convergence: The International Journal of Research into New Media Technologies. 30. 10.1177/13548565231210721. ↩︎
  6. Prat, Nico. Il y a 20 ans, IMDb voyait le jour. Rockyrama. ↩︎

Stockton, Mia. Letterboxd’s Spotify Wrapped for films. The Bubble, 12 décembre 2024.

Elon Musk et Donald Trump : Une alliance qui redéfinit le discours politique en ligne


L’ère numérique a profondément transformé la communication politique, et peu de figures illustrent mieux cette mutation qu’Elon Musk et Donald Trump. En prenant le contrôle de Twitter (désormais X), Musk a bouleversé les règles du jeu médiatique, en mettant en avant une conception radicale de la liberté d’expression. Son alliance de plus en plus évidente avec Trump, figure emblématique du populisme américain, suscite des interrogations majeures sur l’avenir du discours politique en ligne et ses conséquences sur la démocratie. Cette dynamique a des répercussions bien au-delà des États-Unis, notamment en Europe, qui tente de se positionner comme un rempart face à cette montée en puissance des discours polarisants et de la désinformation.


Elon Musk et sa vision de la « liberté d’expression »

L’acquisition de Twitter par Elon Musk en octobre 2022 pour 44 milliards de dollars a marqué un tournant dans l’histoire des réseaux sociaux. Se définissant comme un « absolutiste de la liberté d’expression », Musk a rapidement mis en œuvre des réformes radicales : dissolution des équipes de modération, réintégration de comptes bannis, dont celui de Donald Trump, et suppression de nombreuses restrictions sur le contenu.

Toutefois, cette vision idéalisée d’un espace d’expression libre s’est rapidement heurtée à la réalité. Si Musk a prôné une plateforme ouverte à tous, il n’a pas hésité à suspendre des journalistes critiques et à favoriser un climat propice à la diffusion de fausses informations. Son approche sélective de la liberté d’expression, oscillant entre idéalisme libertarien et intérêts économiques, a provoqué une montée des discours polarisants et une multiplication des controverses. Une étude de l’Arxiv a montré que les comptes diffusant des informations erronées ont vu leur portée considérablement augmentée après l’acquisition de Twitter par Musk.

Musk semble s’inspirer de la pensée de John Stuart Mill sur la liberté d’expression, en particulier de son principe selon lequel la confrontation des idées permet de révéler la vérité. Mill défendait un espace de débat ouvert où toutes les opinions pouvaient être exprimées afin de favoriser l’épanouissement intellectuel et démocratique. Cette approche se retrouve dans la philosophie de Musk, qui rejette toute forme de censure au nom de la diversité des points de vue et du droit de chacun à s’exprimer librement.

Seulement pour Mill il existe des limites, notamment lorsque la « liberté d’expression » incite directement à la violence (et non à la haine), ici la critique est acceptable de lors qu’elle ne nuit pas à autrui. La question prédominante de notre débat serait donc : à quelle moment les paroles (sur les réseaux sociaux) deviennent des actes ou non ?


L’émergence du duo Musk/Trump pendant la campagne présidentielle

L’alliance entre Trump et Musk s’est consolidée au fil de la campagne présidentielle américaine de 2024. Ce rapprochement repose sur une stratégie commune : mobiliser leur base de « followers » en exploitant au maximum les réseaux sociaux. En effet, X et Truth Social, la plateforme de Trump, ont joué un rôle clé dans la diffusion massive de contenus visant à discréditer les institutions américaines et à renforcer le sentiment d’injustice parmi les électeurs conservateurs.

Musk, bien que n’occupant pas de poste officiel dans l’administration Trump, est devenu un conseiller influent, notamment sur les questions de dérégulation et de réduction des dépenses fédérales. Ses prises de position politiques se sont multipliées, allant jusqu’à attaquer des dirigeants étrangers et à soutenir des partis d’extrême droite en Europe.

Cette rupture avec le cadre institutionnel traditionnel n’est pas seulement une stratégie électorale ; elle traduit un repositionnement plus profond du débat politique américain. En misant sur la fragmentation et l’indignation permanente, Trump et Musk ont créé un écosystème informationnel où la confrontation directe et le sensationnalisme priment sur la réflexion et l’analyse.


La polarisation du discours et la banalisation des fake news

L’impact de l’alliance Musk-Trump sur le débat public est considérable. La politique de modération allégée de X a ouvert la porte à une explosion des contenus polémiques, des théories du complot et des fausses informations. Selon une étude de NewsGuard, 74 % des contenus les plus viraux lors du conflit entre Israël et le Hamas provenaient de comptes certifiés payants sur X, mettant en évidence les effets pervers de la nouvelle politique de la plateforme.

Trump et Musk ont compris que la provocation et la polarisation captivent l’attention. En inondant l’espace médiatique de déclarations controversées et en attaquant les médias traditionnels, ils ont contribué à la défiance croissante envers les institutions démocratiques et journalistiques. Cette approche, si elle leur est politiquement et économiquement bénéfique, menace le fondement même du débat démocratique en instaurant une guerre permanente de l’information où la vérité devient secondaire au profit du sensationnel.


L’Europe comme « bouclier » face au duo Trump-Musk

Face à cette montée en puissance du discours populiste et de la désinformation, l’Union européenne tente d’adopter une posture défensive. La mise en place du Digital Services Act (DSA) vise à encadrer les plateformes numériques et à responsabiliser leurs propriétaires quant à la diffusion de contenus nocifs. Toutefois, la tâche est ardue, car Musk a ouvertement rejeté les contraintes réglementaires européennes, retirant X du Code de bonnes pratiques contre la désinformation.

L’Europe est directement ciblée par cette offensive idéologique. Musk et Trump ont critiqué les gouvernements européens pour leurs politiques de régulation et de taxation des géants de la tech. Par ailleurs, le soutien affiché de Musk à des figures politiques européennes populistes, telles qu’Alice Weidel en Allemagne, figure de l’AfD, accentue les tensions entre l’Europe et la droite radicale transatlantique.

Certains États membres, comme la Belgique et l’Allemagne, réagissent en menaçant X de sanctions financières sévères en cas de non-respect des réglementations européennes. Une enquête étant en cours pour évaluer comment X amplifie certains contenus et s’il respecte les obligations de transparence imposées par le DSA. Mais la division persistante entre les pays de l’UE et la dépendance économique à l’égard des technologies américaines compliquent la riposte. L’enjeu est de taille : laisser Musk et Trump imposer leur vision du monde numérique, ou affirmer un modèle européen fondé sur la transparence, la responsabilité et la lutte contre la désinformation.

L’un des défis majeurs de l’Europe réside dans sa capacité à faire appliquer ses réglementations. Des enquêtes menées par la Commission européenne sur les pratiques de modération de X ont mis en évidence des failles dans l’application des règles européennes.

La montée de la polarisation et des fake news plonge le peuple dans un état émotionnel intense, favorisant une désignation simpliste de boucs émissaires. Ce phénomène s’inscrit dans un cycle bien documenté de la violence des émotions collectives, étudié par René Girard. Or, cet état d’esprit, largement véhiculé par les réseaux sociaux, va à l’encontre des principes fondateurs des démocraties européennes, qui reposent sur le droit international, la reconnaissance des frontières et des nations, ainsi que sur des régulations juridiques et institutionnelles garantissant une alternative à la loi du plus fort.

Ces principes fondateurs sont fragiles face à la violence émotionnelle des contenus, qui l’emportent souvent sur la rationalité humaine. En effet, les peuples européens n’ont pas toujours conscience de la richesse de ces constructions, régulatrices de la paix en Europe depuis ces 80 dernières années.

Cependant, cette régulation s’annonce difficile pour une Europe politiquement et économiquement affaiblie, ainsi que militairement vulnérable, qui risque ainsi de peiner à s’imposer face aux grandes puissances concurrentes.

Commission européenne, Bruxelles


Conclusion : un modèle de gouvernance en péril ?

L’ascension du duo Trump-Musk soulève des questions cruciales sur l’avenir du discours public et des régulations numériques. En fusionnant leurs influences politiques et économiques, ils ont redéfini les contours du débat démocratique, privilégiant la confrontation et la viralité aux dépens de la véracité et de la délibération rationnelle.

L’Europe, consciente des dangers posés par cette nouvelle ère de communication politique, tente d’opposer une résistance institutionnelle et juridique. Cependant, l’ampleur de l’influence de Trump et Musk, combinée à l’absence d’un front uni au sein de l’UE, rend la tâche difficile.

Renforcer les cadres réglementaires, encourager une transparence accrue des plateformes et promouvoir une éducation aux médias sont autant de leviers à explorer pour limiter l’impact de cette nouvelle ère du débat public.

Julien BOULOC

Sources

Marketing du cinéma d’horreur : les stratégies des distributeurs indépendants américains

Le cinéma d’horreur a occupé une place importante en 2024, avec des films comme Longlegs, The Substance, Nosferatu ou encore Immaculée. Ces titres ont fait sensation au box-office indépendant, séduisant un public en quête de récits singuliers.

Image libre de droits, faite par IA

Ce genre, plus que jamais, continue d’attirer un jeune public fidèle et passionné. En 2023, les 15-24 ans représentaient plus de 40% des entrées de La Nonne : La Malédiction de Sainte-Lucie (1,15 million d’entrées). Ils ont également dominé l’audience de Five Nights at Freddy’s (45,7 %), L’Exorciste : Dévotion (44,2 %) ou encore Saw X (41,4 %)1. Cette tranche d’âge constitue une audience clé pour les distributeurs et les annonceurs.

Les films d’horreur, et en particulier les films d’horreur indépendants, offrent l’opportunité unique de toucher ce public difficilement accessible par d’autres canaux. Jennifer Friedlander, vice-présidente senior chez Screenvision, et Mike Rosen, directeur des revenus chez National CineMedia, expliquent que le genre de l’horreur est particulièrement adapté pour capter l’attention des jeunes « cord-cutters » adeptes du contournement publicitaire. La salle de cinéma devient alors un espace idéal pour diffuser des messages ciblés à ce public, de manière bien plus efficace que sur les médias traditionnels ou numériques : sur le grand écran, les publicités ne peuvent pas être facilement ignorées.2

Mais encore faut-il attirer ce public en salles. Pour cela, les efforts marketing sont essentiels. Comme le souligne Jason Blum, fondateur de Blumhouse : « Le succès d’un film, c’est 50 % sa qualité, 50 % le marketing ».3

En 2024, le plus grand succès du cinéma d’horreur était A Quiet Place: Day One, réalisé par Michael Sarnoski et produit et distribué par Paramount Pictures. Avec un box-office mondial de 261 millions de dollars pour un budget de 67 millions, le film s’impose également comme le plus grand succès horrifique en termes d’entrées aux États-Unis4, mais aussi en France5. Si le budget marketing n’est pas public, les équipes ont concentré leurs efforts sur des campagnes médias, et ont largement capitalisé sur la popularité de la franchise. Nous avons également pu observer des actions marketing plus innovantes, comme des tags « Don’t Talk » ou « Stay Quiet » dans la ville de New-York.

Et du côté des indépendants ?

Si l’on s’éloigne des productions des grands studios, on remarque que le cinéma indépendant s’impose de plus en plus sur la scène horrifique, et qu’il propose des campagnes marketing souvent plus risquées et provocantes. Longlegs, réalisé par Oz Perkins, avec Maika Monroe et Nicolas Cage, en est l’un des exemples les plus parlants. Troisième plus grand succès du genre aux États-Unis en 20246, il est distribué par Metropolitan Filmexport en France et par NEON aux États-Unis.

Le succès marketing de Longlegs

Dès le départ, NEON a pris le parti d’une campagne minimaliste et intrigante. Les premiers teasers ne livrent aucun détail sur l’intrigue, le casting ou même le réalisateur : ils laissent le public dans l’ignorance totale de l’histoire. Mieux encore, le studio fait le choix audacieux de ne pas dévoiler immédiatement le look si distinctif de Nicolas Cage, alors qu’il aurait pu être un argument promotionnel évident.

NEON a également investi dans des affiches et des panneaux publicitaires : la plupart se limitent à des images du film montrant des scènes choquantes hors contexte, accompagnées uniquement du titre et des noms des acteurs en lettres rouges. Mais l’élément le plus marquant et le plus viral reste un panneau publicitaire installé à Los Angeles : une image qui donne un aperçu de Nicolas Cage, un numéro de téléphone inquiétant (intégrant le fameux « 666 ») qui a pour messagerie la voix effrayante de l’acteur, et… rien d’autre. Ni titre, ni date de sortie. Une stratégie qui rappelle les campagnes digitales de Cloverfield ou The Blair Witch Project, où le mystère alimente des théories virales imaginées par les fans.

Le pari de NEON est plus que réussi. La bande-annonce de Longlegs cumule plus de 17 millions de vues sur YouTube, et le film a généré plus de 125 millions de dollars au box-office mondial7. Avec ce succès, NEON prouve une nouvelle fois sa maîtrise du marketing de l’horreur, et s’affirme comme un concurrent de taille face à A24, leader incontesté du renouveau de « l’horreur d’auteur »8.

A24, figure exemplaire du marketing

Si A24 a marqué le cinéma d’horreur avec des films cultes comme Midsommar ou Hérédité, son influence dépasse largement le genre. Depuis 13 ans, le studio redéfinit le paysage du cinéma indépendant américain en imposant une identité forte : offrir aux cinéastes une liberté artistique totale et s’affranchir des stratégies marketing conventionnelles.

C’est en 2012 que Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges décident de fonder leur propre studio, A24 Films, un nom inspiré de l’autoroute italienne sur laquelle Katz se trouvait lorsqu’il a eu l’idée de ce projet. Passionnés par le cinéma indépendant des années 90, ils souhaitent replacer les réalisateurs au cœur de la création, et proposer des stratégies marketing inédites et innovantes.9

Pour promouvoir Hérédité (2018), A24 a mis le personnage de Charlie au centre du marketing du film : son regard menaçant envahissait les affiches, une bande-annonce lui était entièrement consacrée, et une boutique Etsy vendait ses poupées. Cette approche a donné l’illusion que Charlie était le coeur du projet, alors que ce personnage meurt au début du film. Cette campagne a donc créé un twist qui a enflammé les réseaux sociaux et suscité un fort engagement.10

Et pour promouvoir Heretic, leur plus grand succès de 202411, A24 a sorti des bougies parfumées à la tarte aux myrtilles, et a diffusé des annonces de personnes disparues à l’aéroport de Salt Lake City (la capitale mondiale des Mormons), demandant : « Que sont devenus Paxton et Barnes ? ».12

Branding et merchandising

A24 est devenu bien plus qu’un simple studio de cinéma, c’est une véritable marque. Le studio a réussi à créer un véritable événement autour de chaque sortie : le label A24 est devenu synonyme d’un style particulier et unique, au point qu’il n’est pas rare de voir des spectateurs se rendre au cinéma simplement pour « voir un film A24 »13. L’engagement du public est puissant : les fans écoutent le podcast A24, et achètent des produits dérivés en tout genre, des t-shirts A24 aux parapluies, savons, gourdes, et même au scotch.

Le merchandising autour des films devient de plus en plus créatif. Pour la sortie de The Substance, un body-horror de Coralie Fargeat, MUBI et SCRT ont lancé les faux kit « The Substance Activator Nalgene », des gourdes inspirées du film, qui promettent ironiquement de « produire une version plus jeune et meilleure de vous-même ».13

Une plus forte propension au risque

Nous l’avons compris : les distributeurs indépendants prennent souvent plus de risques que les grands studios dans leurs stratégies marketing. Terrifier 3 en est un parfait exemple. Avec un budget de production de 2 millions de dollars et une enveloppe marketing limitée à 500 000 dollars15, le film a pourtant généré 80 millions de dollars au box-office16, notamment grâce à une décision controversée prise par Cineverse, le studio derrière le film.

Cette décision audacieuse ? Sortir le film sans classification officielle sur le marché américain. Cineverse n’est pas un studio traditionnel ni un distributeur classique : il peut prendre des risques que les grandes majors n’oseraient pas. Un pari qui a marché : cet aspect « interdit sans l’être » a attiré le public en salles.

Le succès de Terrifier 3 repose aussi sur une stratégie publicitaire hyper-ciblée, loin des médias nationaux traditionnels. Cineverse, le studio derrière le film, a misé sur des plateformes spécialisées comme le site Bloody Disgusting, ses podcasts dédiés à l’horreur, ou encore la chaîne FAST Screambox. Et grâce à c360, sa technologie publicitaire propriétaire, il a pu atteindre son public sur plusieurs plateformes.17

Le marketing de l’horreur de demain

Les distributeurs indépendants ont pris l’habitude d’adopter des stratégies marketing audacieuses et originales pour promouvoir leurs films d’horreur, misant souvent sur des approches digitales et immersives. Depuis Blair Witch, il est devenu évident que le mystère entourant un film d’horreur est un élément clé pour générer de la viralité sur internet. Et l’avantage de ces campagnes, soutenues par le bouche-à-oreille via les réseaux sociaux, réside aussi dans leur capacité à toucher un public international. Ainsi, les efforts marketing d’un distributeur américain bénéficient également aux distributeurs d’autres régions.

Cependant, si trop de films d’horreur choisissent de miser uniquement sur le mystère et la viralité, il est possible que le public perde peu à peu son intérêt pour ce type de campagne. Dans ce contexte, il sera intéressant de voir comment le marketing de l’horreur saura se réinventer dans les années à venir, pour continuer à surprendre sans être redondant.

BLOT Juliette.

  1. Centre National du Cinéma et de l’Image Animée. “Bilan 2023 du CNC.” CNC, 2024, https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/bilans/bilan-2023-du-cnc_2190717. ↩︎
  2. Sheena, Jasmine. “Advertisers are targeting horror-loving younger audiences in theaters.” Marketing Brew, 2024, https://www.marketingbrew.com/stories/2024/10/10/advertisers-are-targeting-horror-loving-younger-audiences-in-theaters. ↩︎
  3. Léger, François. “Jason Blum : Le succès d’un film, c’est 50 % sa qualité, 50 % le marketing.” Premiere, 2023, https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Jason-Blum-Le-succes-d-un-film-cest-50–sa-qualite-50–le-marketing. ↩︎
  4.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  5. AlloCiné. “Box Office du film Sans un bruit: jour 1.” AlloCiné, https://www.allocine.fr/film/fichefilm-287892/box-office/. ↩︎
  6.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  7.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  8.  Hart, Nick. “‘Longlegs’: A Masterclass in Horror Movie Marketing.” Medium, 2024, https://medium.com/counterarts/longlegs-a-masterclass-in-horror-movie-marketing-43987eb0b53e. ↩︎
  9.  Issart, Emilie. “A24, le studio de production qui a renversé Hollywood.” Radio France, https://www.radiofrance.fr/mouv/a24-le-studio-de-production-qui-a-renverse-hollywood-9918830. ↩︎
  10. Sharf, Zack. “‘Hereditary’ Shocker: A24’s Brilliant Marketing Is Responsible For the Best Horror Movie Twist in Years.” Indie Wire, 2018, https://www.yahoo.com/entertainment/hereditary-shocker-a24-brilliant-marketing-203106053.html. ↩︎
  11.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  12. Sondermann, Selina. “Heretic | Movie review – The Upcoming.” The Upcoming, 28 October 2024, https://www.theupcoming.co.uk/2024/10/28/heretic-movie-review/. ↩︎
  13. Danvers, Gia. “A Brand Will Build You Up: A24.” Medium, 2023, https://medium.com/illumination/a-brand-will-build-you-up-a24-1a6707d5551. ↩︎
  14. “THE SUBSTANCE CAPSULE IN COLLABORATION WITH MUBI.” SCRT®, 2024, https://scrt.onl/fr/blogs/journal/the-substance-capsule-in-collaboration-with-mubi. ↩︎
  15. Allo Ciné. “Terrifier 3.” ALLOCINE, https://www.allocine.fr/film/fichefilm-310139/box-office/. ↩︎
  16.  Welk, Brian. “‘Terrifier 3’ Made $80 Million. Marketing Cost: $500,000. Here’s How.” IndieWire, 2024, https://www.indiewire.com/news/business/cineverse-marketing-terrifier-3-500000-1235065407/. ↩︎
  17.  Welk, Brian. “‘Terrifier 3’ Made $80 Million. Marketing Cost: $500,000. Here’s How.” IndieWire, 2024, https://www.indiewire.com/news/business/cineverse-marketing-terrifier-3-500000-1235065407/. ↩︎

Payer pour consommer : comment les plateformes se sont imposées face au piratage et au streaming illégal ?

Le piratage de contenus culturels protégés et le streaming illégal ont été la norme pendant près de deux décennies. En 2023 pourtant, 75 % des Français seraient abonnés à un service payant de vidéo et de musique (Arcom). Comment un tel renversement des pratiques de consommation de biens culturels a-t-il pu arriver ? Montez à bord de la DeLorean, aux prémices d’Internet, pour comprendre comment les pirates ont disparu de nos écrans.

L’âge d’or du piratage et du streaming illégal

À la fin des années 1990, avec l’avènement d’Internet, le piratage de biens culturels voit le jour. Internet inaugure une nouvelle ère d’accès à l’information, permettant la numérisation des contenus culturels et bouleversant leurs modes de consommation. Vers la fin de cette décennie, les réseaux P2P (pair-à-pair) apparaissent. Ils permettent aux utilisateurs de partager et de télécharger des fichiers protégés par la propriété intellectuelle via la connexion mutuelle d’ordinateurs, sans passer par un serveur centralisé. Cette architecture décentralisée rendait le contrôle difficile pour les autorités et les ayants-droits. Napster, pionnier du P2P, lancé en 1999, a grandement facilité le partage et le téléchargement illégal de fichiers musicaux.

Grâce aux améliorations du débit Internet et à la compression des fichiers, le streaming se développe ensuite. Cette méthode permet de consommer du contenu sans le télécharger. Finies les heures d’attente pour télécharger un film et libérer de l’espace sur son disque dur. La spontanéité de la consommation à la demande séduit les utilisateurs, et le streaming illégal explose au début des années 2000. Les sites prolifèrent dans tous les domaines : cinéma, séries, musique, évènements sportifs.

Internet remet en cause le modèle économique de l’industrie de la propriété intellectuelle en rendant les copies numériques des biens protégés gratuites et accessibles. Les dégâts sont conséquents : les revenus mondiaux de l’industrie musicale ont diminué de 50 % de 2000 à 2010 (Statista). En 2008, on estime que 95 % de la musique numérique provenait du piratage (IFPI).

Une première riposte : la réglementation

Face à un tel cataclysme pour les industries culturelles, un encadrement légal du téléchargement et de la consommation illicite de contenus culturels s’est développé vers la fin des années 2000. En France, la loi HADOPI est votée en 2009. Pour protéger les œuvres soumises à la propriété intellectuelle, elle a instauré un système de « riposte graduée » envers les contrevenants, allant des avertissements aux sanctions de plus en plus sévères, jusqu’à l’amende. Cependant, cette loi a été difficilement applicable en raison de la complexité de traçage des serveurs illégaux, et l’HADOPI a souvent été qualifiée d’échec.

Deux cas d’école : Spotify et Netflix

Ainsi, dans un contexte où les industries culturelles traditionnelles peinent à s’adapter aux nouveaux modes de consommation imposés par la numérisation, ce sont surtout des entrepreneurs visionnaires qui vont réussir à lancer le modèle qui deviendra la nouvelle norme : les plateformes.

Daniel Ek et Martin Lorentzon lancent Spotify en 2008 afin de rendre disponible un large catalogue musical tout en garantissant la rémunération des ayants-droits. Spotify leur promet un partage des revenus provenant de la publicité et des abonnements. La plateforme repose sur le modèle de l’économie de l’attention : les utilisateurs, habitués à la gratuité du téléchargement illégal, conservent cette impression de gratuité de la consommation en étant soumis à de la publicité.

Mais au-delà de cette absence de coût initial, Spotify se distingue par une expérience d’écoute novatrice, grâce à une interface intuitive et ergonomique.  Les utilisateurs ont accès à de nombreuses fonctionnalités : la création de leurs propres playlists, un système de recherche facilité, et surtout des recommandations personnalisées en fonction des goûts personnels et des similitudes avec d’autres utilisateurs. Cette combinaison d’accessibilité et de personnalisation fait rapidement de Spotify une plateforme incontournable. Le succès de Spotify tient également à son modèle freemium, permettant de payer un abonnement pour accéder à des options avancées : écoute hors connexion et absence de publicité pour des tarifs avantageux.

Netflix est quant à elle la plateforme qui révolutionnera le streaming vidéo. Alors même qu’elle n’était à l’origine qu’un service de location de DVD par correspondance, elle a mis en place des systèmes qui ont posé les bases du succès de nos plateformes de streaming actuelles : un abonnement illimité « All you can watch » à 19,95 $ dès 2000, une « watchlist » permettant de prédire les locations futures, et surtout un système de recommandations personnalisées, « Cinematch », initialement conçu pour réguler les choix de location. Lorsqu’elle se lance dans la vidéo à la demande en 2007, Netflix parvient à intégrer ces innovations afin d’offrir une expérience de visionnage unique, qui lui permet de conserver sa base de clients existante tout en séduisant progressivement des millions de nouveaux abonnés.

Si Netflix a réussi à convaincre les adeptes du piratage, c’est en grande partie grâce à un catalogue vaste, facilement accessible et à des prix attractifs. Les studios TV lui font confiance rapidement et lui permettent de diffuser les saisons passées de leurs productions. Breaking Bad est un exemple emblématique : produite par AMC, la série atteint une popularité massive grâce aux abonnés qui la découvrent sur Netflix.

Toutefois, l’élément clé du succès de Netflix réside dans son virage vers la production de contenus originaux. En 2013, House of Cards inaugure ce phénomène, suivi de titres marquants comme Orange Is the New Black, Sense8, Narcos ou Stranger Things, qui marqueront les spectateurs des années 2010. Par ailleurs, Netflix sera à l’origine d’un phénomène générationnel : le binge-watching, en rendant tous les épisodes d’une série disponibles simultanément, convainquant in fine les derniers pirates récalcitrants.

Une nouvelle ère pour la consommation de contenus culturels

Prime Video, Disney+, Deezer, MyCanal ne sont que quelques-unes des nombreuses plateformes ayant émergé dans les années 2010. Les utilisateurs ont vite pris goût à la possibilité d’accéder à des contenus variés à tout moment et en tout lieu, délaissant ainsi la consommation illégale.

La pandémie de Covid-19 a accéléré cette tendance : Netflix aurait gagné 26 millions d’abonnés (Statista) sur la première moitié de 2020. En 2023, l’Arcom indique que 75 % des Français sont abonnés à un service payant de vidéo ou de musique, avec un budget moyen de 38 € par mois pour les biens culturels. L’optimisation des plateformes a non seulement incité au paiement, mais aussi au cumul des abonnements pour maximiser l’accès aux contenus. Rien qu’en France, une étude IPSOS (2025) estime que les moins de 35 ans ont en moyenne 2,9 abonnements par personne. Un phénomène accentué par des offres groupées comme Rat+ de MyCanal.

Parallèlement, le CNC observe une baisse continue du piratage depuis 2018, avec -8,2 millions d’internautes pirates entre 2018 et 2022. Toutefois, ce recul ralentit : la baisse s’élève à seulement -8 % en 2023 contre -21 % en 2022…

Vers une remise en question du modèle des plateformes ?

Ce ralentissement de la baisse de la consommation illégale de contenus protégés laisse entrevoir un déclin d’adhésion chez les utilisateurs face à un marché SVOD qui arrive à maturité. Ce phénomène peut s’expliquer par une combinaison de facteurs liés à l’augmentation des coûts, à des restrictions plus strictes et même à la dégradation de l’expérience utilisateur.

Dès 2023, Netflix restreint le partage de comptes aux seuls foyers, provoquant un vif mécontentement. Parallèlement, les abonnements ne cessent d’augmenter : en France, le tarif standard de Netflix est passé de 8,99 € à 13,49 € par mois en 2023, tandis que Spotify a relevé son abonnement individuel de 2 €. Ces hausses, justifiées par l’augmentation des taxes et les investissements en contenu original et en infrastructures, lassent les abonnés.

De plus, des services autrefois inclus deviennent payants ou optionnels, comme la qualité vidéo sur Netflix ou l’absence de publicité sur Prime Video et Disney+. Face à ces évolutions, certains se tournent vers des alternatives illicites, notamment les décodeurs IPTV illégaux, déjà très répandus dans le streaming sportif. Malgré des signaux d’alarme évidents, la menace pèse davantage sur les droits des ayants-droits plutôt que sur les modèles des plateformes en eux-mêmes. Le CNC révélait en 2023 une mixité importante des usages puisque 7 pirates sur 10 utilisaient aussi des plateformes SVOD, ce qui laisse peu de places à une révolte antisystème…

Anaëlle Mousserin

Sources :

Le retour des émissions cultes à la TV , un nouvel eldorado pour les acteurs historiques ? 

Aujourd’hui en France, en 2025, on peut regarder Le Bigdil sur RMC Story le vendredi soir, enchaîner avec la Star Academy sur TF1 le samedi, tout en attendant la nouvelle saison d’Interville l’été prochain. Et, à s’y méprendre, nous ne sommes pas dans le courant des années 2000 mais bel et bien en 2025 !

Le phénomène est indéniable : Star Academy rassemble chaque samedi soir environ 3 millions de téléspectateurs, atteignant 30 % des femmes responsables des achats de moins de 50 ans et 39 % des 15-24 ans, des cibles cruciales pour les annonceurs. Sur les réseaux sociaux, les jeunes propulsent l’émission parmi les top discussions. De son côté, Le Bigdil a attiré 1,8 million de téléspectateurs lors de ses deux premières diffusions sur RMC Story, avec une audience qui reste stable à 1,6 million lors de la troisième émission, battant même TF1 sur la part de marché des FRDA-50 avec 18,6 %. (Chiffres Médiamétrie).

Dans un univers médiatique bouleversé par des innovations technologiques, des changements rapides dans la consommation audiovisuelle et une concurrence internationale accrue, ces émissions rétros réussissent à fédérer. La nostalgie agit comme un pont entre les générations, offrant aux audiences des repères familiers et rassurants face aux bouleversements numériques.

Pour les diffuseurs historiques, ces formats représentent des valeurs sûres : leurs mécaniques sont maîtrisées et leurs coûts d’acquisition bien inférieurs à ceux des créations originales. Dans un marché où les plateformes de streaming redéfinissent les règles, ces émissions permettent aux chaînes traditionnelles de maintenir leur pertinence et de fidéliser leurs audiences.

Mais alors, la télévision française a-t-elle trouvé son nouvel eldorado ? 

Le retour des anciennes émissions à la télévision est-il, pour les acteurs historiques, un moyen efficace de lutter contre l’érosion de leurs audiences ?

Les anciennes émissions de TV, des succès à moindre coûts pour les acteurs historiques… 

Dans un monde médiatique où la concurrence est féroce et où les plateformes de streaming gagnent de plus en plus de terrain, les chaînes de télévision semblent avoir trouvé une solution plutôt maline et peu coûteuse pour capter l’attention des publics : remettre au goût du jour les émissions du passé. 

Ce phénomène de « télé doudou » repose sur une quête de réconfort dans un contexte de crises multiples pour les individus, qu’elles soient écologiques, économiques ou politiques. 

« En temps de crise, on va chercher quelque chose de rassurant, afin de réduire l’anxiété ambiante. Ces émissions jouent sur l’effet madeleine de Proust en nous renvoyant à une époque perçue comme plus simple et plus légère », analyse Laurence Leveneur-Martel, maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole et à l’IUT de Rodez.

Ainsi, la nostalgie devient un puissant levier émotionnel, qui permet de réactiver des souvenirs heureux et de créer un lien fort avec les téléspectateurs. Ce retour en arrière télévisuel s’accompagne d’une stratégie claire de contre-programmation face aux plateformes de streaming.

« La télévision mise sur une logique de rendez-vous, qui s’oppose au binge-watching des plateformes », souligne Séverine Barthes, maîtresse de conférences à la Sorbonne-Nouvelle.

En relançant des programmes phares avec des progressions à épisodes et des éliminations semaine après semaine, les chaînes redonnent vie à une pratique télévisuelle classique : la télévision de flux. Une temporalité qui se révèle être un atout dans un monde où tout va toujours plus vite.

Ainsi, les anciens formats incarnent une forme d’équilibre entre innovation et tradition. Leur modernisation par le biais de nouveaux animateurs, décors ou montages permet de séduire à la fois un public fidèle et des jeunes générations curieuses de découvrir ces classiques revisités. 

Dans cette dynamique de retour en grâce des émissions vintage, les acteurs historiques de la télévision cherchent non seulement à réinventer leur place dans le paysage audiovisuel, mais aussi à renouer avec une société en quête de repères. 

Ce retour des anciens formats télévisuels présente également un avantage financier important pour les chaînes traditionnelles. Recycler d’anciens formats coûte moins cher que créer de nouvelles émissions. Selon Laurence Leveneur-Martel, « inventer un nouveau format, c’est risqué. En revanche, un programme connu réduit les coûts publicitaires et les incertitudes».

Les droits sont amortis, les mécaniques éprouvées, et le public, familier du concept, est prêt à renouer avec ces rendez-vous. Cela permet de capitaliser sur une notoriété existante et d’éviter de devoir convaincre un nouveau public.

Cette stratégie est particulièrement efficace dans un contexte où les chaînes doivent produire de nombreux programmes pour remplir leurs grilles face à une offre audiovisuelle abondante.

Vincent Lagaf’ explique : « Avec la multiplication des chaînes, il faut plus de contenus. Impossible de faire uniquement de la création, alors on recycle. »

Ces programmes bénéficient aussi d’un capital sympathie, réduisant les risques d’échec.

Comme le souligne Nagui, cet effet de « marque repère » attire rapidement un large public sans promotion coûteuse.

En outre, moderniser ces formats reste peu coûteux : actualiser les décors, les animateurs ou les montages demeure moins coûteux que de les créer en partant d’une page blanche.

Angela Lorente précise : « Moderniser un concept, c’est aussi une forme de créativité. La création n’est pas uniquement l’invention d’un nouveau format ». Cela apporte de la fraîcheur tout en rassurant le public.

Pourtant, sans renouvellement créatif, l’enthousiasme peut s’essouffler. Les chaînes risquent alors de perdre en compétitivité face aux plateformes capables de séduire un public jeune et de plus en plus large.

… qui cachent un effort d’innovation et de modernisation croissant 

Si les anciens formats télévisuels séduisent encore, leur succès repose sur leur capacité à évoluer avec les attentes de la société moderne. Réactiver un programme culte tel qu’il existait dans les années 2000 ne garantit pas un engouement durable.

Angela Lorente, ancienne directrice de la télé-réalité de TF1, le souligne : « L’effet madeleine de Proust fonctionne, mais il faut moderniser ces émissions pour qu’elles restent pertinentes. »

Les chaînes adoptent plusieurs stratégies pour relever ce défi. La première consiste à adapter les contenus aux nouvelles mœurs. Avec l’importance croissante des questions de diversité, d’inclusion et d’éco responsabilité, les programmes doivent refléter ces évolutions. Par exemple, la Star Academy a diversifié son casting pour représenter une pluralité de profils et d’histoires. À l’inverse, le retour du Bachelor avec Golden Bachelor sur M6 illustre un échec d’adaptation : avec 817 000 téléspectateurs en moyenne et une déprogrammation à la clé, cette émission mettant en scène des jeunes femmes rivalisant pour un quinquagénaire n’a pas fédérer dans une société post #MeToo. (Chiffres Médiamétrie).

Les avancées technologiques et les usages numériques jouent également un rôle clé. Les réseaux sociaux, à travers hashtags, lives ou interactions directes, sont indispensables pour garantir le succès des formats réactivés.

Laurence Leveneur-Martel rappelle : « Le travail de réactivation des communautés en ligne est crucial pour garantir la popularité de ces émissions auprès d’ un public multi générationnel. »

La modernisation passe aussi par des choix esthétiques et narratifs : décors actualisés, rythmes plus dynamiques, nouveaux animateurs ou éléments interactifs.

Nagui insiste sur l’importance d’« introduire un peu d’innovation dans les reprises, comme dans l’industrie automobile, où les classiques sont réinventés. »

Cependant, cette modernisation doit rester mesurée. Une transformation excessive risque de rebuter les nostalgiques attachés à l’esprit original. Les chaînes doivent trouver un équilibre subtil entre respect du passé et adaptation au présent.

Conclusion 

Le retour des émissions cultes à la télévision française constitue une stratégie judicieuse pour les chaînes historiques, combinant nostalgie et innovation. En capitalisant sur des marques connues, ces formats permettent de réduire les coûts, de limiter les risques financiers et de fidéliser un public multigénérationnel. La « télévision doudou » agit comme un refuge dans un contexte de transformations sociales et technologiques, rassurant les téléspectateurs tout en offrant aux diffuseurs des audiences stables.

Cependant, le succès de cette stratégie repose sur un équilibre subtil entre tradition et modernité. Les chaînes doivent adapter ces programmes aux attentes actuelles, en intégrant diversité, inclusion et nouveaux usages numériques. La capacité à mobiliser les réseaux sociaux et à moderniser les éléments visuels et narratifs est essentielle pour séduire à la fois les nostalgiques et les jeunes générations.

Toutefois, la réactivation de ces formats ne peut se substituer à une stratégie durable d’innovation. Sans renouvellement créatif, le phénomène risque de s’essouffler face à la concurrence des plateformes de streaming, qui attirent un public toujours plus large. Sans oublier que ces plateformes investissent elles aussi de plus en plus dans les émissions rétros, comme le prouve le retour de Popstars sur Prime Vidéo, concurrençant ainsi les chaînes historiques sur leur propre terrain et l’un de leur principal relai de croissance. 

Si les émissions vintage permettent aux chaînes de maintenir leur pertinence à court terme, leur pérennité dépendra de leur capacité à conjuguer mémoire collective et créativité renouvelée.

Sarah Saucet

Sources :

https://www.telerama.fr/television/star-ac-secret-story-pourquoi-la-tele-realite-des-annees-2000-fait-son-grand-retour-sur-nos-ecrans-7018426.php

https://www.journaldemontreal.com/2022/11/26/retrouver-du-reconfort

https://www.journaldemontreal.com/2022/11/26/de-top-gun-a-elvis-un-choix-payant-au-cinema

https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/video-star-ac-secret-story-pourquoi-les-chaines-de-tele-ressortent-leurs-vieux-programmes-07-11-2023-M77BGF7BXJGK3FK2CFFKUZZVR4.php

https://www.monsieurvintage.com/art/serie-tele/2024/12/le-grand-retour-des-emissions-vintage-a-la-television-la-nostalgie-au-secours-de-laudience-60175

https://www.vosgesmatin.fr/societe/2024/12/29/reprogrammer-de-vieilles-formules-a-la-television-ne-garantit-pas-le-succes

https://www.leprogres.fr/societe/2024/12/19/star-academy-intervilles-que-pensez-vous-du-retour-de-programmes-tv-cultes

https://video.lefigaro.fr/figaro/video/le-grand-buzz-tv-nagui-vincent-lagaf-et-angela-lorente-decryptent-le-retour-a-lantenne-demissions-cultes

Netflix et le sport en direct : Une révolution stratégique en marche

Netflix, longtemps reconnu comme le leader incontesté du streaming de séries et de films, franchit une nouvelle étape stratégique en s’imposant comme un acteur clé de la diffusion en direct d’événements sportifs. Avec des investissements massifs et des acquisitions de droits ambitieux, la plateforme bouscule un marché jusqu’ici dominé par les chaînes traditionnelles et les diffuseurs sportifs spécialisés. Cette mutation témoigne d’une volonté affirmée : diversifier son offre pour capter un public toujours plus large, tout en renforçant son modèle économique.

I. 2024, un tournant décisif

L’année 2024 a marqué un moment charnière dans cette transformation. Netflix a d’abord surpris le marché en concluant un partenariat inédit avec la National Football League (NFL) pour la diffusion exclusive des matchs du jour de Noël. Ce contrat de trois ans a permis à la plateforme d’attirer un public de 65 millions de spectateurs pour les deux rencontres diffusées le 25 décembre 2024. Ce succès confirme l’appétit des abonnés pour le sport en direct et valide la pertinence de cette nouvelle stratégie.

Mais Netflix ne s’est pas contenté du football américain. Son offensive s’est poursuivie avec un accord historique signé avec la WWE. Ce contrat, d’une valeur estimée à 5 milliards de dollars sur 10 ans, donne à la plateforme les droits exclusifs de diffusion de Monday Night Raw à partir de janvier 2025. Cette acquisition ne représente pas seulement un ajout de contenu : elle ancre Netflix dans le paysage du divertissement sportif hebdomadaire. Lors de son lancement sur la plateforme, Raw a enregistré 4,9 millions de vues, un chiffre qui souligne l’engagement des fans et le potentiel de la lutte professionnelle comme levier de croissance.

A. Un virage stratégique vers la monétisation publicitaire

L’un des principaux attraits du sport en direct pour Netflix réside dans les opportunités de monétisation publicitaire qu’il offre. Contrairement aux films et séries, qui sont majoritairement consommés à la demande, les événements sportifs attirent une audience massive en temps réel. Ce type de contenu permet ainsi d’intégrer des spots publicitaires premium à forte valeur ajoutée, un levier stratégique pour augmenter les revenus de la plateforme.

Dans cette optique, Netflix teste activement différents formats publicitaires. L’intégration de coupures pendant les retransmissions sportives pourrait s’avérer cruciale pour séduire les annonceurs et maximiser le rendement financier de ces acquisitions de droits. Si la plateforme a longtemps résisté à la publicité, son adoption progressive dans le cadre du sport en direct marque une évolution notable de son modèle économique.

B. Une offensive sur les sports premiums

L’ambition de Netflix ne s’arrête pas au marché américain. La plateforme s’attaque désormais au sport le plus populaire au monde : le football. Un accord a ainsi été conclu avec la FIFA pour diffuser en exclusivité les Coupes du Monde Féminines de 2027 et 2031 aux États-Unis. Ce contrat marque la première incursion de Netflix dans la diffusion en direct du football, un domaine traditionnellement dominé par des diffuseurs historiques comme ESPN, Sky Sports ou beIN Sports.

Ce choix stratégique n’est pas anodin. Le football féminin connaît une croissance exponentielle en termes d’audience et de sponsors, et Netflix compte capitaliser sur cette dynamique. En attirant un public passionné et engagé, la plateforme renforce sa présence à l’international et diversifie son offre pour séduire de nouveaux segments d’abonnés.

II. Une stratégie par étape, novatrice et efficace

A. La création d’évènement d’exhibition attirant le public

L’une des clés du succès de Netflix dans cette nouvelle stratégie repose sur sa capacité à proposer des événements exclusifs à fort impact médiatique. Le combat de boxe entre Jake Paul et Mike Tyson, diffusé en novembre 2024, en est une parfaite illustration. Cet affrontement ultra-médiatisé a attiré plus de 60 millions de spectateurs à travers le monde et généré 18 millions de dollars de recettes au guichet.

Ce type d’événement, mêlant spectacle et sport, constitue une opportunité unique pour Netflix d’élargir son audience. Toutefois, la diffusion de ce combat a également mis en lumière les défis techniques que doit encore relever la plateforme. Plusieurs abonnés ont signalé des interruptions et une qualité d’image fluctuante, des problèmes qui rappellent que la diffusion en direct impose des standards de performance élevés.

B. Une croissance spectaculaire malgré les défis techniques

Grâce à cette diversification, Netflix a enregistré une progression fulgurante de ses abonnés. Lors du dernier trimestre de 2024, la plateforme a recruté 19 millions de nouveaux abonnés, portant son total à plus de 300 millions de comptes payants. Son bénéfice net a doublé par rapport à l’année précédente, atteignant 1,9 milliard de dollars, tandis que son chiffre d’affaires a bondi de 16 %, atteignant 10,25 milliards de dollars.

Toutefois, cette expansion rapide s’accompagne de défis techniques majeurs. Assurer une diffusion en direct stable et de haute qualité exige des infrastructures solides et des investissements conséquents. L’échec partiel du combat Paul vs. Tyson a mis en lumière la nécessité pour Netflix d’améliorer son architecture de streaming en temps réel. L’entreprise doit notamment travailler sur la réduction de la latence, la gestion des pics de connexion et la fiabilité des serveurs pour éviter des interruptions préjudiciables à l’expérience utilisateur.

Malgré son ambition, Netflix adopte une approche mesurée quant aux acquisitions de droits sportifs. Theodore Sarandos, co-directeur général, a précisé que la plateforme privilégie les événements en direct à fort impact, plutôt que l’achat de saisons complètes de ligues majeures comme la NBA ou la Premier League. Cette stratégie vise à maximiser le retour sur investissement tout en évitant les coûts astronomiques associés aux droits de diffusion exclusifs de compétitions phares.

C. Vers une redéfinition de l’avenir du streaming sportif

Netflix cherche ainsi à se différencier des diffuseurs traditionnels en sélectionnant avec soin ses événements sportifs. Plutôt que de devenir une chaîne sportive généraliste, la plateforme mise sur des rendez-vous exclusifs et des spectacles à fort potentiel viral. Cette approche lui permet de capitaliser sur son savoir-faire en matière de production et de narration, en intégrant par exemple des documentaires et des contenus exclusifs autour des événements qu’elle diffuse.

En s’imposant progressivement comme un acteur clé du sport en direct, Netflix redessine le paysage du divertissement sportif. Son approche innovante, mêlant événements exclusifs, publicité et monétisation intelligente, bouscule les modèles établis et ouvre de nouvelles perspectives pour l’avenir du streaming.

Si des défis techniques subsistent, la trajectoire adoptée par Netflix témoigne d’une vision stratégique claire : celle d’un acteur capable d’évoluer au-delà de son cœur de métier historique et de s’adapter aux mutations du marché. Cette montée en puissance dans le sport en direct marque une nouvelle ère pour le streaming, et pourrait bien redéfinir la manière dont les spectateurs consomment les événements sportifs à l’avenir.

Une chose est sûre : Netflix ne cesse de repousser les frontières du divertissement.

Blanco Zakir – MASTER 2 MANAGEMENT DES TÉLÉCOMS ET DES MÉDIAS 

Sources :

Live sports drive Netflix Q4 revenue Suscribers, SportBusiness.com –https://www.sportbusiness.com/news/live-sports-drive-netflix-q4-revenue-subscribers/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=sportbusiness-daily-first-edition_2025-01-22

Netflix Claims 4.9M views for Raw Debut, SportBusiness.com – https://www.sportbusiness.com/news/netflix-claims-4-9m-views-for-raw-debut/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=sportbusiness-daily-second-edition_2025-01-09

Netflix vient de s’offrir les droits télé aux États-Unis, titrés notamment en 2019 en France, des deux prochains Mondiaux féminins de football. (R. Martin/ L’Équipe)

Netflix s’offre les droits de matchs de NFL pour 75 Millions de dollars – https://www.lefigaro.fr/flash-eco/netflix-s-offre-les-droits-de-matches-de-nfl-pour-75-millions-de-dollars-20240516

Pourquoi Netflix s’intéresse au sport en direct – https://cominmag.ch/pourquoi-la-plateforme-netflix-sinteresse-t-elle-au-sport-en-direct

Débuts encourageants pour Netflix dans la diffusion en direct d’évènements sportifs, Cafetech.fr –https://cafetech.fr/2024/11/19/debuts-encourageants-pour-netflix-dans-la-diffusion-en-direct-devenements-sportif

La production audiovisuelle à l’ère de l’IA : enjeux, défis et opportunités

En 2025, l’intelligence artificielle révolutionne la création et la diffusion audiovisuelles, ouvrant des perspectives inédites tout en soulevant des questions éthiques et juridiques. Performants et relativement accessibles, les nouveaux outils de génération vidéo accélèrent la production et réduisent les coûts. Ils posent cependant des défis liés à la diversité artistique, à la propriété intellectuelle et à la gestion des données.

Dans ce contexte, l’IA constitue à la fois un atout pour les professionnels et une possible source de déséquilibres. Les réalisateurs, monteurs et scénaristes doivent réinventer leurs méthodes de travail pour intégrer l’automatisation tout en préservant la créativité. Parallèlement, la prolifération des deepfakes et la dépendance vis-à-vis d’un nombre restreint d’éditeurs de logiciels renforcent l’urgence d’une régulation adaptée.

Le présent article propose un état des lieux de ces évolutions. Après avoir mis en lumière le rôle croissant de l’IA dans la pré-production, le tournage et la post-production, il s’attachera à en analyser les conséquences économiques et sociales, avant d’aborder les enjeux éthiques et juridiques à l’échelle internationale.

I. Un nouveau paradigme de création : de la pré-production à la post-production

A. L’IA en pré-production : scénarisation et conception

Historiquement, la phase de pré-production se concentrait sur l’écriture du scénario, le repérage des lieux et le casting. Aujourd’hui, grâce à des algorithmes sophistiqués, l’IA est en mesure d’analyser un synopsis ou un simple texte descriptif afin de générer des storyboards ou des visuels préliminaires (WeAreBrain, 2025). Cette automatisation offre un gain de temps considérable aux équipes, qui peuvent se consacrer davantage à l’originalité narrative ou à la direction artistique.

Cependant, cette efficacité accrue ne va pas sans limites. Les suggestions formulées par ces algorithmes s’appuient sur des bases de données préexistantes, risquant de favoriser une forme de « standardisation créative » (Perplexity, 2025). Au-delà de l’appauvrissement potentiel de la diversité artistique, une telle standardisation pourrait également contribuer à la normalisation de discriminations et de préjugés, en alimentant une représentation biaisée de la société. Ainsi, si l’IA apporte un soutien logistique incontestable, elle ne saurait remplacer la vision artistique du scénariste ou du réalisateur, laquelle demeure essentielle à l’authenticité et à la singularité de chaque projet.

B. La transformation du tournage : automatisation et feedback en temps réel

La production audiovisuelle, longtemps synonyme de logistique lourde, connaît également un bouleversement grâce à des outils tels que Sora, capables de générer des scènes à partir d’instructions textuelles ou d’images de référence (Explain Ninja, 2025). Sur le plateau, l’IA fournit un retour instantané sur la luminosité, le cadrage ou encore la performance des acteurs (Streaming Media, 2025²). Cette assistance en temps réel rapproche la réalisation de l’optimisation « continue », offrant un contrôle plus précis et une meilleure réactivité.

En parallèle, la possibilité de concevoir des environnements virtuels ou d’ajouter des effets spéciaux via l’IA contribue à réduire les coûts de production, dans la mesure où les déplacements, la location de décors et la logistique associée peuvent être partiellement remplacés par des solutions virtuelles. Ces nouveaux procédés permettent par ailleurs un gain de temps considérable dans la création de prototypes de teasers, de storyboards et d’outils de brainstorming axés sur la créativité, tout en ouvrant un vaste champ des possibles en matière de projection. À terme, cette évolution est susceptible d’élargir l’accessibilité de la création audiovisuelle, aussi bien pour les grands studios que pour les créateurs indépendants.

C. Post-production accélérée : du montage automatique à la génération de contenus

L’arrivée de l’IA bouleverse le paysage de la post-production, traditionnellement l’étape la plus longue et coûteuse. Des logiciels propulsés par des algorithmes, comme Adobe Sensei (version 2025), trient désormais les meilleures prises, proposent des montages préliminaires et génèrent même des voix off ou des bandes-son crédibles (Thunder::Tech, 2024). Si l’IA s’affirme comme un pilier de ces outils, 2025 reste une année charnière. Elle souligne le besoin de développements supplémentaires dans certains domaines, particulièrement dans l’audiovisuel.

Pour autant, l’œil humain conserve un rôle prépondérant dans l’équilibre global du projet. L’harmonisation, le rythme narratif ou la gestion subtile des transitions relèvent encore de la sensibilité et de l’expertise des monteurs. L’IA s’impose néanmoins comme un coéquipier polyvalent en assumant les tâches répétitives, libérant ainsi davantage de temps pour la créativité et l’élaboration d’idées. Cette répartition du travail favorise un véritable essor en matière de performance, même si des zones grises subsistent et pourraient, à terme, être intégrées de façon autonome par l’intelligence artificielle.

III. Entre essor économique et enjeux éthiques

A. Réduction des coûts et nouveaux modèles de production

Les économies réalisées sur la location de matériel ou la gestion des tournages physiques peuvent ainsi être réinvesties dans le développement artistique ou la promotion. Cette accessibilité accrue bénéficie autant aux grands studios qu’aux créateurs indépendants, contribuant à une démocratisation progressive du secteur audiovisuel (Computools, 2025⁸).

En parallèle, des plateformes d’IA « clé en main » émergent, proposant un modèle d’abonnement ou de paiement à la demande. Il en résulte une flexibilité financière inédite pour les entreprises de toutes tailles, leur permettant d’ajuster leurs coûts de production selon leurs projets et leur public cible. Cependant, si cette réduction des coûts représente une avancée, elle soulève également certaines problématiques, comme l’illustre la grève des scénaristes à Hollywood, inquiétés par la menace que fait peser l’IA sur leur travail. D’autres alertes concernent l’utilisation d’avatars d’acteurs générés artificiellement, qui pourrait remettre en cause à la fois la rémunération des comédiens et la protection de leur image. Ainsi, la recherche d’un équilibre entre innovation et respect des droits des professionnels du secteur demeure essentielle pour assurer un développement harmonieux de ces nouvelles technologies.

B. Équilibre des forces et question de la dépendance

La concentration de ces outils dans les mains de quelques éditeurs majeurs soulève des interrogations sur la répartition de la valeur, exposant les acteurs plus modestes à une dépendance financière et technique. Par ailleurs, la robotisation de tâches répétitives réduit certains postes, tout en créant de nouvelles opportunités pour les professionnels qui conjuguent créativité, sens éditorial et maîtrise des algorithmes (Perplexity, 2025⁷).

En 2025, l’IA reste essentiellement cantonnée à la génération de contenus à partir de prompts, même si la conférence de Nvidia au CES 2025 a permis à Jensen Huang, son PDG, de présenter une vision prospective fondée sur l’émergence d’agents de plus en plus autonomes. Un tel développement pourrait conduire à une répartition renouvelée de la valeur entre l’humain et la machine, d’autant que des profils polyvalents, capables d’assumer plusieurs fonctions, deviennent essentiels pour soutenir la transition technologique dans l’audiovisuel.

C. Les défis éthiques et juridiques

L’automatisation de la création audiovisuelle soulève des enjeux majeurs en matière de propriété intellectuelle et de droits d’auteur. Lorsque l’IA puise dans des bases de données préexistantes, la paternité de l’œuvre devient problématique et les législations en place, déjà dépassées par le rythme de l’innovation, peinent à statuer sur de tels cas (thunder::tech, 2024⁵).

L’essor des deepfakes renforce, par ailleurs, les inquiétudes liées à la manipulation de l’image et à la désinformation. Dans ce contexte, la mise en place de protocoles de vérification, l’adoption de normes éthiques et la diversification des bases de données d’entraînement apparaissent comme des priorités pour préserver l’intégrité du secteur audiovisuel.

En Europe comme en Amérique, de nombreuses organisations rédigent des chartes internes pour encadrer l’usage de l’IA. Certaines bloquent l’accès à leurs contenus rédactionnels afin d’éviter qu’ils ne servent à enrichir des modèles algorithmiques, tandis que d’autres, à l’image de M6, établissent des directives explicitant les conditions d’utilisation de ces technologies. Malgré les efforts de l’Union européenne pour renforcer son cadre normatif (RGPD, débats autour d’un futur AI Act), les États-Unis n’ont pas encore adopté de stratégie fédérale coordonnée. En conséquence, la régulation demeure largement dépendante de l’autorégulation et de pratiques sectorielles, alimentant ainsi une hétérogénéité des approches de part et d’autre de l’Atlantique.

Conclusion

En 2025, l’industrie audiovisuelle se situe à un carrefour décisif. Les outils d’IA, déjà présents de la scénarisation à la post-production, ont amélioré la productivité et réduit les coûts, sans pour autant provoquer de révolution majeure. Cette phase d’optimisation offre toutefois l’opportunité de mettre en place des cadres éthiques et juridiques, notamment sur les questions de droits d’auteur et de diversité culturelle.

Les professionnels, notamment réalisateurs, monteurs et scénaristes, intègrent l’IA à leurs pratiques, tout en préservant leur rôle créatif et artistique. Les compétences techniques se complètent de savoir-faire hybrides, associant maîtrise des algorithmes et sens éditorial. Cette dynamique s’accompagne néanmoins de préoccupations concernant la dépendance envers un petit nombre d’éditeurs d’IA.

Parallèlement, la situation politique, particulièrement aux États-Unis, freine l’émergence de normes communes et renforce l’autorégulation, au risque de multiplier les approches concurrentes. Cette période de relative stabilisation pourrait permettre de clarifier les responsabilités de chacun et de consolider les initiatives éthiques, en attendant une nouvelle vague d’innovations. L’année 2025 se présente ainsi comme un point de confluence plus que comme une rupture, laissant aux décideurs et aux créateurs le temps d’organiser une collaboration équilibrée entre l’humain et la machine.

LEPERE THIERRY NOAH – MASTER 2 MANAGEMENT DES TÉLÉCOMS ET DES MÉDIAS

Sources des citations

1. How AI is changing the video production game – WeAreBrain, consulté le janvier 20, 2025, https://wearebrain.com/blog/ai-changing-video-production/

2. How AI Is Transforming the Video Production Landscape – Streaming Media, consulté le janvier 20, 2025, https://www.streamingmedia.com/Articles/Editorial/Featured-Articles/How-AI-Is-Transforming-the-Video-Production-Landscape-166104.aspx

3. The Impact of AI on Video Production – Explain Ninja, consulté le janvier 20, 2025, https://explain.ninja/blog/the-impact-of-ai-on-video-production/

4. How AI Is Changing the Video Production Industry (Updated 2024) – Lemonlight, consulté le janvier 20, 2025, https://www.lemonlight.com/blog/how-ai-is-changing-the-video-production-industry/

5. 5 Ways You Can Use AI in Video Production – thunder::tech, consulté le janvier 20, 2025, https://www.thundertech.com/blog-news/march-2024/5-ways-you-can-use-ai-in-video-production

6. 6 Ways AI Impacts Video Production – Raleigh – 9miles Media, consulté le janvier 20, 2025, https://9milesmedia.com/blog/artificial-intelligence-in-video-benefits/

7. Exploring the Impact of AI on Video Production – Perplexity, consulté le janvier 20, 2025, https://www.perplexity.ai/page/exploring-the-impact-of-ai-on-6MaCCI1WRgKlEbHsnYPcZw

8. The Impact Of Artificial Intelligence On The Video Industry – Computools, consulté le janvier 20, 2025, https://computools.com/the-impact-of-ai-on-the-video-industry/

Festivals de cinéma en ligne : démocratisation ou perte d’authenticité ?

La pandémie a poussé de nombreux festivals à se réinventer en ligne, certains y voyant une opportunité, d’autres un reniement de leur essence. Le Festival de Cannes 2020 a préféré annuler son édition plutôt que d’opter pour une version numérique, estimant qu’un festival repose sur l’expérience en salle, les rencontres et l’effervescence de l’événement. Le numérique est-il un atout ou une perte d’authenticité pour les festivals ?

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Une évolution amorcée bien avant la pandémie

Si la crise sanitaire a accéléré la digitalisation des festivals de cinéma, l’idée d’une présence en ligne n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, certaines manifestations ont intégré des dispositifs numériques : programmation diffusée en ligne, retransmission en direct de moments clés, applications mobiles dédiées, voire dépôts de films en ligne.

Dès 2011, Christina Warren soutenait que « de nombreux festivals de films, parmi les plus importants, comprennent qu’une composante en ligne est en train de devenir un aspect important des festivals dans le futur ». Cette intuition s’est confirmée avec diverses initiatives comme l’intégration d’une section compétitive en ligne par le Tribeca Film Festival ou encore la proposition par le BuddhaFest d’une sélection de 6 longs métrages accessibles via le BuddhaFilm Online Film Festival (2017).

L’essor du numérique : opportunité ou nécessité ?

Le festival en ligne constitue une opportunité pour s’adapter aux nouveaux usages de consommation, notamment chez les jeunes spectateurs. Ces derniers se rendent moins en salle et privilégient des formats accessibles depuis leurs écrans personnels. Le numérique devient alors un outil complémentaire, permettant à ces événements de rester en phase avec les pratiques culturelles actuelles.

Une opportunité d’enrichissement de l’offre en ligne

L’accès en ligne ouvre de nouvelles opportunités pour les films indépendants. Traditionnellement, les films projetés en festival restent confinés à un circuit restreint. Un festival en ligne leur offre une visibilité accrue auprès du grand public et des professionnels.

Mais alors, en quoi un festival en ligne se distingue-t-il d’une plateforme de SVOD comme Netflix ? Plutôt qu’une opposition salle/plateforme, il faudrait opposer l’algorithme et la sélection.

Là où Netflix dicte ses recommandations par des algorithmes, les festivals – physiques ou numériques – reposent sur une curation exigeante. Chaque sélection est le fruit du travail de programmateurs mettant en avant des œuvres singulières, éloignées des standards commerciaux. Comme le souligne Romain Lecler, l’opposition entre festival en ligne et plateforme SVOD est peu pertinente : les plateformes privilégient des productions à gros budget et laissent peu de place aux films indépendants. Même si quelques films de festival y figurent, ils sont peu visibles et « noyés dans la masse des autres programmes ». En festival, la sélection confère aux films une reconnaissance symbolique et économique précieuse, bien plus qu’un simple référencement sur un catalogue numérique.

Un levier de démocratisation du cinéma ?

Les festivals en ligne brisent plusieurs barrières.

D’un point de vue financier, leur production est bien moins coûteuse que celle d’un festival traditionnel. Les frais liés aux infrastructures, aux déplacements et à la logistique sont drastiquement réduits. Pour les spectateurs, cela signifie également une réduction des coûts : pas de transports, pas de logement à réserver, et souvent, un accès gratuit ou à faible prix aux films (My French Film Festival, accès gratuit sur certains territoires, 1,99€ à l’unité ou 7,99€ pour le pack global). Ainsi, des publics qui n’auraient jamais envisagé de se rendre à un festival en présentiel peuvent enfin y participer.

D’un point de vue géographique, les festivals en ligne brisent les barrières de la centralisation culturelle. Les salles de cinéma traditionnelles, notamment celles dédiées à l’art et essai, restent majoritairement concentrées dans les grandes métropoles. Pour un public éloigné de ces centres urbains, les festivals en ligne deviennent une alternative précieuse, leur donnant accès à des films qu’ils n’auraient jamais pu voir autrement.

Capture d’écran page d’accueil du site officiel de MFFF

Au-delà du rajeunissement du public de cinéma français dans le monde, l’ambition du festival en ligne My French Film Festival créé par UniFrance, est d’« être disponible partout, pour tous, même pour ceux toujours plus nombreux, qui n’ont plus accès à une salle diffusant du cinéma étranger » (Jean-Rémi Ducourioux, 2012).

Le festival est passé d’1,3 million de visionnages en 2012 à 13 millions en 2021 à travers 200 territoires, preuve que son public ne cesse de croître.

Cette idée de démocratisation n’est pourtant pas absolue et fait débat. En vérité, le format en ligne révèle un paradoxe que l’accessibilité numérique peine à compenser : le manque d’expérience collective et d’immersion propres aux festivals traditionnels restent difficilement transposables sur nos écrans. Pour beaucoup, ceci est la preuve d’une dénaturation progressive de l’événement festivalier.

Un festival en ligne peut-il réellement créer l’événement ?

L’un des fondements d’un festival est son caractère unique : ce sont des événements, des moments de rencontre, des lieux emblématiques où se forge une atmosphère particulière. Pourrait-on parler de Cannes sans la Croisette, son tapis rouge et ses mythiques ovations en salle ?

Le premier défi réside ainsi dans la perte d’unité de temps et de lieu. Un festival physique impose un rythme, une immersion totale dans l’univers cinématographique. En ligne, les festivals sont plus longs (souvent un mois). Le spectateur choisit donc son moment de visionnage, entre deux tâches quotidiennes, sans la solennité d’une salle obscure.

« Regarder deux films par jour quand on a un travail, ce n’est pas possible, les gens étaient frustrés, nous aussi »

Marion Quillard, festival Point Doc (2013)

Certains festivals tentent alors de recréer une temporalité forte comme sur la plateforme Festival Scope en imposant des horaires fixes et des tickets limités sur un ton un peu décalé :

« Tickets are limited and in demand, so hurry up if you want a front seat! »

Le second défi est le maintien d’une expérience collective unique. Les rencontres entre spectateurs, les débats après les projections, la magie des échanges spontanés disparaissent derrière un écran, rendant l’expérience plus solitaire. Pour pallier cela, des festivals comme MFFF mettent en place des forums et des espaces d’échange en ligne, tentant de recréer un semblant de communauté. Un sondage auprès des spectateurs de la 3e édition révèle que 41,4% d’entre eux ressentent un sentiment d’appartenance à une communauté internationale, preuve que la dimension sociale d’un festival peut survivre au numérique.

La dimension compétitive : un enjeu clé

L’un des piliers des festivals de cinéma réside dans leur dimension compétitive. Les prix décernés confèrent aux films une reconnaissance qui peut propulser leur carrière. Les festivals en ligne conservent cette tradition, avec des compétitions structurées autour de catégories spécifiques, et des jurys composés de professionnels du cinéma.

Les festivals en ligne tentent d’innover grâce à la participation des internautes. À travers des votes en ligne, le public peut attribuer un prix, ce qui renforce l’interaction et l’engagement des spectateurs. Ce format, bien que différent de la ferveur d’une salle comble applaudissant un film primé, permet une forme de validation collective qui transcende les frontières physiques.

Interdit aux chiens et aux Italiens
Prix du public MFFF 2024

Un impact sur la couverture médiatique et le réseautage

Les festivals sont des moments clés pour la promotion des films : rencontres avec la presse, interviews, critiques en avant-première… En ligne, ces interactions sont limitées. Certains festivals tentent de pallier ce manque avec des formats alternatifs : Point Doc propose un chat en direct avec les réalisateurs chaque soir, et MFFF met à disposition des interviews exclusives.

Pour les professionnels, le réseautage est également un enjeu majeur. Des plateformes comme Festival Scope Pro permettent aux ayants droit de suivre qui visionne leurs films et de contacter directement des acheteurs potentiels, offrant ainsi une alternative au marché du film traditionnel.

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Vers un modèle hybride ?

Les festivals de cinéma en ligne ne sont ni une simple alternative ni une menace pour les festivals traditionnels. Ils représentent une mutation, une hybridation qui ouvre de nouvelles perspectives. Loin de remplacer l’expérience en salle, ils la complètent en offrant une accessibilité accrue et en repensant la manière dont le public découvre le cinéma.

Néanmoins, ceux-ci soulèvent des paradoxes : s’ils démocratisent l’accès aux films, ils peinent à recréer l’intensité d’un événement physique. S’ils offrent une visibilité nouvelle aux œuvres, ils ne parviennent pas toujours à leur conférer la même aura symbolique, aujourd’hui cristallisée par les plus grands festivals de cinéma.

Les perspectives vers des modèles hybrides, combinant projections en salle et accès numérique, font débat.

Les festivals les plus prestigieux oseront-ils sauter le pas ? Seul l’avenir nous le dira.

Emmanuelle YOG


Sources

Dans quelle mesure la cancel culture influence-t-elle la diffusion des œuvres artistiques ? Faut-il censurer ou contextualiser ?

En 2020, la cérémonie des César prend un tournant explosif lorsque le prix du meilleur réalisateur est attribué à Roman Polanski pour J’accuse. Quelques mois plus tôt, l’actrice Adèle Haenel avait brisé le silence en accusant le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements lorsqu’elle était adolescente, déclenchant une vague de prises de parole dans le milieu du cinéma français. En signe de protestation, à la remise du prix, elle quitte alors la salle aux côtés de Céline Sciamma et Noémie Merlant : « La honte ! » avant d’être filmée à l’extérieur, criant avec rage : « Bravo la pédophilie ! ». Les actrices dénonçaient une industrie qui, selon elles, continue de récompenser des hommes accusés de violences sexuelles. 

La même année, HBO Max retirait temporairement le film Autant en emporte le vent, mal accueilli par le public, en raison de sa représentation idéalisée de l’esclavage et accusé de véhiculer des stéréotypes racistes. Plus tard, la plateforme le re-diffusait avec une introduction qui contextualisait le contenu.

Ces deux événements illustrent bien les tensions autour de la cancel culture. Terme polémique, il désigne cette dynamique de remise en cause de figures et productions culturelles jugées problématiques. Si certains y voient une nécessaire réévaluation éthique, d’autres dénoncent une forme de censure qui limiterait la liberté artistique. 

Les exemples cités montrent d’un côté, une contestation de la légitimité des artistes impliqués dans des scandales, de l’autre, une remise en question d’œuvres historiques à l’aune des sensibilités contemporaines, et ils soulèvent une question centrale : faut-il censurer ou contextualiser ? Jusqu’où les institutions culturelles doivent-elles prendre en compte ces débats dans leurs choix de programmation et de diffusion ?

La polémique autour de la projection du Dernier Tango à Paris à la Cinémathèque

En décembre 2024, la Cinémathèque française se retrouve au cœur d’une intense controverse suite à la programmation du film Le Dernier Tango à Paris dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Marlon Brando. Réalisé par Bernardo Bertolucci en 1972, ce film est devenu l’un des symboles des débats contemporains sur les violences sexistes dans le milieu du cinéma. L’origine de la polémique repose sur la scène de sodomie simulée entre Marlon Brando et Maria Schneider, tournée sans le consentement préalable de cette dernière. En 2007, l’actrice avait révélé avoir vécu ce tournage comme une humiliation et une véritable agression psychologique. Après le mouvement #MeToo, le doute est levé sur le caractère obscur de cette scène.

Dès l’annonce de la projection, des critiques fusent contre la Cinémathèque pour son manque de contextualisation et de prise en compte du traumatisme subit par Schneider. Le film est présenté comme un reflet de la révolution sexuelle après mai 68, et comme ayant une “odeur de soufre”. Cette introduction est perçue par certains comme une minimisation de la violence réelle exercée sur l’actrice. Des personnalités engagées dans le mouvement féministe, telles que Chloé Thibaud et Judith Godrèche, dénoncent la programmation du film sans débat préalable, tandis que des associations comme NousToutes exigent son annulation pure et simple.

Face à la tempête médiatique, la Cinémathèque tente d’abord de calmer les tensions en organisant un débat en amont de la projection. Cependant, les pressions s’intensifient et des menaces de perturbations violentes poussent finalement l’institution à déprogrammer le film, invoquant des raisons de sécurité. Cette décision divise : certains y voient une avancée dans la reconnaissance des violences faites aux femmes dans l’industrie cinématographique, tandis que d’autres dénoncent une censure qui menacerait la liberté artistique. Au-delà de cette annulation, plusieurs personnes ont trouvé regrettable que la Cinémathèque n’adopte pas une posture plus neutre en proposant une séance accompagnée d’un dispositif pédagogique sérieux. L’Observatoire de la liberté de création propose une alternative : et si au lieu d’effacer ces oeuvres, on les réévaluait, en les diffusant et en incitant le spectateur à garder un esprit critique ? 

Cette polémique pose ainsi la question plus large de la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. La Cinémathèque française, qui avait déjà suscité des controverses en programmant des rétrospectives de Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau, se retrouve aujourd’hui sous pression, allant jusqu’à devoir justifier ses choix devant la commission d’enquête relative aux violences commises dans le secteur du cinéma, présidée par Sandrine Rousseau. Entre liberté artistique et responsabilité éthique, la polémique du Dernier Tango à Paris illustre un dilemme fondamental pour les institutions culturelles : comment montrer une œuvre marquée par des violences sans en occulter les implications morales et sociétales ?

Le rôle de l’art et des acteurs de l’industrie audiovisuelle : entre liberté et responsabilité

Le débat autour des œuvres et des artistes controversés met en lumière la responsabilité des institutions culturelles, mais aussi celle des producteurs, cinémas et plateformes. Ces acteurs jouent un rôle central dans la manière dont les œuvres sont reçues et interprétées par le public, et, à travers leurs choix de programmation, ils influencent la perception collective des enjeux sociaux, notamment la violence, le sexisme ou le racisme.

D’un côté, il existe un argument fort en faveur de la liberté artistique, selon lequel l’art doit pouvoir être diffusé sans restriction, même lorsqu’il présente des aspects jugés problématiques selon les moeurs d’aujourd’hui. Cette approche considère que c’est au spectateur de se positionner et de contextualiser l’œuvre par lui-même, en prenant le recul nécessaire. Selon ce point de vue, l’art est avant tout un moyen d’explorer des sujets complexes, parfois dérangeants, et de susciter la réflexion sans qu’une quelconque censure ne vienne en limiter la portée. De plus, les films sont un excellent moyen de retranscrire une époque donnée. Ils permettent de se rendre compte de ce qui était jugé correct ou déjà polémique dans le passé, et de constater les évolutions.

Cependant, il est indéniable que les productions audiovisuelles ont un impact profond sur les représentations sociales. Comme le souligne Chloé Thibaud dans Désirer la violence, à force de voir des récits où la violence est romantisée, certains spectateurs, finissent par désirer cette violence, la considérant comme un élément de leur propre épanouissement émotionnel. Cette réflexion montre que les œuvres ne sont pas simplement des objets artistiques déconnectés de la réalité ; elles participent activement à la construction des imaginaires collectifs.

Ainsi, les producteurs et les institutions culturelles ont une responsabilité éthique importante : celle de diffuser des œuvres en étant conscients de leur impact potentiel. Montrer un film comme Le Dernier Tango à Paris sans contextualisation ou réflexion préalable peut envoyer des messages ambigus sur la violence ou l’exploitation. 

Les conséquences de ce phénomène

La cancel culture, renforcée par le mouvement #MeToo, a transformé les carrières de nombreux artistes accusés d’abus sexuels ou de comportements inappropriés. Des figures comme Harvey Weinstein, Kevin Spacey ou Roman Polanski ont vu leurs projets annulés, leurs partenariats rompus et leurs récompenses retirées. Cette mise en lumière des abus a permis de rétablir une forme de justice, tout en soulevant des questions sur la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. Certaines œuvres restent commercialement viables malgré les scandales, tandis que d’autres sont effacées de l’espace public, forçant les studios à reconsidérer la réputation morale des artistes dans leurs choix de financement et de promotion.

Face à la pression sociale et médiatique, les studios, producteurs et plateformes ont ajusté leurs pratiques managériales. La gestion des talents et la sélection des projets sont désormais influencées par la nécessité d’éviter les scandales. Des processus de vérification plus rigoureux ont été instaurés pour prévenir les accusations d’abus sur les plateaux, et les entreprises intègrent de plus en plus l’image publique des artistes dans leurs stratégies de marketing, avec la mise en place de codes de conduite stricts.

L’impact sur la rentabilité des films existe aussi. Certains projets ont vu leur box-office affecté par les accusations contre leurs créateurs, comme All the Money in the World, où Kevin Spacey a été remplacé après des accusations de harcèlement. Par ailleurs, les attentes du public ont évolué, avec une demande croissante pour des films abordant des problématiques sociales et affichant une position éthique claire. Les studios réévaluent ainsi leurs choix de casting et de scénario, pour répondre aux préoccupations d’un public de plus en plus engagé sur les questions de diversité, d’inclusion et de responsabilité sociale.

Léonie Mérida

Sources

Jamet, C. (2021, 12 mars). Le sacre de Polanski, la fureur d’Adèle Haenel, l’écœurement de Florence Foresti. . . Le cauchemar des César 2020. Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/cinema/ceremonie-cesar/le-sacre-de-polanski-la-fureur-d-adele-haenel-l-ecoeurement-de-florence-foresti-le-cauchemar-des-cesar-2020-20210312

Yamak, D. (2024, 16 décembre). La Cinémathèque française annule la projection du « Dernier Tango à Paris » , après une vive polémique. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/15/la-cinematheque-francaise-annule-la-projection-du-dernier-tango-a-paris-apres-une-vive-polemique_6450277_3246.html

Guerrin, M. (2024, 20 décembre). « Bien sûr qu’il faut montrer “Le Dernier Tango à Paris”, mais il faut se demander comment l’encadrer » . Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/20/bien-sur-qu-il-faut-montrer-le-dernier-tango-a-paris-mais-il-faut-se-demander-comment-l-encadrer_6458202_3232.html

Dryef, Z., & Yamak, D. (2025, 17 janvier). A la Cinémathèque, les coulisses de la polémique autour du « Dernier Tango à Paris » . Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/15/a-la-cinematheque-les-coulisses-de-la-polemique-autour-du-dernier-tango-a-paris_6500053_4500055.html

Aquarium Ciné-Café. (2024, 26 septembre). MASTERCLASS – Chloé Thibaud « Désirer la violence » [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=fRqMuh7oNCQ

Temps, L. (2023, 10 juin). Comment Ridley Scott a effacé Kevin Spacey. Le Temps. https://www.letemps.ch/culture/ecrans/ridley-scott-efface-kevin-spacey?srsltid=AfmBOopCVVvi-LK1k8u4PJ321RP90kDf93sheoPv-Sui89VLAI2J1Qxk

De la feuille à l’écran : la presse papier mise sur l’audiovisuel pour rebondir

Face au déclin inexorable de la presse papier, les éditeurs cherchent de nouveaux relais de croissance, dans l’audiovisuel notamment. Ouest France ou CMI ont récemment décroché une fréquence de TNT nationale, témoignant leur volonté de rester attractifs dans un paysage médiatique en pleine mutation. Entre nécessité économique et opportunité stratégique, cette diversification est-elle la clé de la survie de la presse ? 

L’apparition de la télévision, sans pour autant bouleverser les dynamiques de la presse traditionnelle, était le témoin d’une accélération de l’information. La presse a su pendant longtemps rester chef d’orchestre du spectacle médiatique, définissant elle-même les logiques de l’information : rubriques, formats, règles de déontologie… Dans le triptyque journalistique du XXème siècle regroupant presse écrite, radio et télévision, chaque support réussissait à se compléter : la radio annonce, la télévision montre et la presse commente.  Cette machine informationnelle, à la mécanique bien huilée, a été complètement bouleversée par Internet, qui s’est approprié chacune des fonctions, les rendant quasi instantanées. Mais face aux réseaux sociaux, force est de constater que la télévision garde toujours un impact fort et qu’elle mobilise autour des grands évènements. Le journal papier, plus vraiment. 

Alors face au déclin de la presse papier, quelles solutions reste-t-il pour rester attractif ? Selon certains, voire beaucoup, se diversifier. De nombreux titres de presse ont donc décidé d’investir de nouveaux supports médiatiques, et de se tourner vers l’audiovisuel. Quelques-uns ont profité du renouvellement des fréquences TNT pour tenter de se voir attribuer un canal hertzien, et d’investir la télévision grand public, chose peu évidente voire impossible à faire en temps normal. 

Ouest-France, pouvant déjà se vanter de produire plus de 1000 vidéos par mois, a réussi ce pari, en défendant avec succès son projet télévisuel devant l’ARCOM – le régulateur qui attribue les fréquences. C’est en présentant un projet censé “rassembler, fédérer, créer le débat”, que le premier diffuseur de presse quotidienne régionale s’est vu attribué le Graal : la fréquence TNT nationale. Il a su se différencier en proposant une vision de la télévision proche de ses valeurs de déontologie journalistique traditionnelle, voulant se placer comme modèle d’exemplarité. CMI France s’est également vu attribuer une fréquence, pour un projet cette fois-ci à destination d’un public actif, axé autour d’une offre documentaire, culturelle et d’informations et de débats. Le groupe CMI a déjà une activité de presse largement établie (ELLE, Marianne, Franc-Tireur…) et une activité audiovisuelle florissante depuis son entrée au capital de Loopsider, touchant plus de 7 millions de personnes quotidiennement. L’Express a quant à lui fait le pari d’une chaîne thématique, orientée autour des documentaires historiques et scientifiques et de deux programmes quotidiens d’information et de divertissement. Pari perdu pour le titre, qui n’a pas su convaincre le régulateur.

Cependant, ces consultations ont bien démontré une volonté générale des titres de presse de s’étendre à de nouvelles formes de diffusion. La TNT nationale n’est d’ailleurs pas le seul moyen pour ces éditeurs de mettre en œuvre des projets audiovisuels. Le Figaro a également une chaîne de télévision, régionale cette fois. Et plus généralement, on observe le développement de projets axés autour de la vidéo, comme chez Mediapart par exemple, pionnier en terme de modèle numérique : ils ont lancé cette année leur émission itinérante “Blagues Blocs”, et capitalisent depuis plusieurs années sur la vidéo pour illustrer leurs contenus.

Des leviers déjà en place pour réussir le virage audiovisuel

Les titres de presse, de tout bord, ont compris que pour survivre, ils devaient s’adapter aux changements des usages, et intégrer pleinement la vidéo à leur modèle. Et bien que leur activité principale témoigne d’un certain ralentissement, ils ont à leur disposition un arsenal de ressources pouvant être mises au service de ces nouveaux formats. Leur premier atout majeur pour investir dans l’audiovisuel : des journalistes. Bien qu’historiquement formées à l’écrit, les rédactions se sont de plus en plus tournées vers les nouveaux modes d’écriture numériques, intégrant déjà la vidéo ou encore le podcast à leurs compétences. Offrir de nouveaux champs d’exploration à ces journalistes devenus particulièrement polyvalents est une manière de rentabiliser une force de travail déjà existante et qualifiée. 

Ces synergies éditoriales se doublent d’un potentiel marketing important. Les éditeurs disposent déjà de canaux de communication et d’un écosystème marketing bien établis : de quoi promouvoir facilement le lancement de nouveaux projets en touchant un public large.  Autre force : la marque. Un journal reconnu bénéficie déjà d’une ou de plusieurs audiences fidèles et sensibilisées à ses contenus et sa ligne éditoriale. Leur visibilité et leur crédibilité déjà acquise est un atout de taille pour garantir le succès de leur diversification.

Toutefois, même si ces acteurs ne partent pas de zéro, de tels projets nécessitent des investissements conséquents, inscrits dans une stratégie multimédia pertinente : CMI prévoit un besoin de financement de 32 millions d’euros pour le lancement de sa chaîne TNT, dont la moitié dédiée uniquement à l’achat de programmes. Ouest France évoque pour sa part un budget prévisionnel de 7 millions d’euros pour le lancement, puis de 3 millions en 2028. 

Un nouveau souffle pour le modèle économique vieillissant de la presse

Alors investir dans l’audiovisuel, une question de survie pour la presse ? Oui, mais pas que. C’est aussi une véritable opportunité stratégique pour elle. D’abord, pour capter de nouveaux publics : la presse écrite peine à séduire les générations les plus jeunes, et la vidéo, qui capte plus facilement l’attention, est un moyen de développer ses audiences et d’en conquérir de nouvelles auparavant inaccessibles. Jouer sur plusieurs tableaux est ensuite un moyen de renforcer l’image de marque de ces éditeurs, et de s’imposer plus amplement dans le paysage médiatique français. Talks-shows, documentaires, journaux télévisés, émissions : autant de formats qui permettent d’incarner en profondeur la ligne éditoriale de ces médias. Mais aussi autant de nouveaux canaux pour diffuser ses images et ses contenus, et de prendre in fine encore plus de place, tout en renforçant un lien parfois déjà fort avec son public. Et ce notamment avec les chaînes régionales : la presse peut jouer sur la loi de la proximité, un levier puissant fondé sur le lien d’identification idéologique, géographique, socioprofessionnel ou psychoaffectif qu’entretient un téléspectateur avec une nouvelle. En résumé : plus l’information est proche de nous, plus elle nous touche. Et c’est dans cette visée que s’inscrit d’ailleurs le projet de Ouest France qui entend mieux représenter les “territoires” en parlant des “vrais” problèmes de ses habitants. Parler des vrais gens, ça dénote aussi de la volonté d’acteurs vieillissants de renouer avec leur public et de restaurer une confiance en berne. Car aujourd’hui, les journaux télévisés restent la première source d’information des Français (90% des sondés en sont téléspectateurs). Ils sont également considérés comme la source la plus fiable d’information selon 69% des sondés du baromètre de La Croix, contre 60% pour la presse nationale. 

Cette diversification ouvre aussi et surtout la voie à de nouvelles sources de revenus, nécessaires dans un modèle économique qui se repense sans cesse. S’affranchir du texte, c’est s’affranchir des bannières de publicité digitale, dont le revenu ne fait que baisser, pour bénéficier de nouveaux formats publicitaires bien mieux monétisables, comme la vidéo. Le coût de ces publicités est bien plus élevé, et c’est un moyen aux régies publicitaires de la presse traditionnelle de dynamiser cette source de revenus. Autre atout de taille : l’approche omnicanale que permet cette stratégie multimédia. Ces groupes de presse modernes pourront désormais proposer une offre publicitaire complète aux annonceurs pouvant se décliner sur plusieurs supports et plusieurs médias, tout en actionnant les données précieuses dont ils disposent déjà sur leur première base de lecteurs.

Ces projets s’inscrivent dans une démarche de transition numérique globale : ils doivent prendre place dans des écosystèmes numériques complémentaires pour pouvoir vraiment exister (plateforme VOD, streaming, presse, télévision…). Pour que ces marques multimédia fonctionnent, le principal défi qu’il reste à accomplir est de ne pas s’éparpiller, pour pouvoir continuer de profiter de toutes les synergies qui ne demandent qu’à être exploitées. 

On assiste là à une vraie convergence des modèles d’informations, qui cherche à créer de nouvelles passerelles entre les supports. Cela sera-t-il suffisant pour répondre à la fragmentation des audiences et à l’évolution des usages informationnels des Français ? Rendez-vous le 1er septembre prochain pour le lancement de Ouest France TV sur le canal 19 de la TNT.  

SCHOUWSTRA Barbara


Pour approfondir

[1]

« L’information par le son et l’image : radio et télévision au XXe siècle | EHNE ». Consulté le: 31 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://ehne.fr/fr/eduscol/premi%C3%A8re-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/premi%C3%A8re-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/th%C3%A8me-4-s%E2%80%99informer-un-regard-critique-sur-les-sources-et-modes-de-communication/l%E2%80%99information-par-le-son-et-l%E2%80%99image-radio-et-t%C3%A9l%C3%A9vision-au-xxe-si%C3%A8cle

[2]

P.-J. Benghozi, B. Gié, V. Michaux, et D. Schneidermann, « Mutation, révolution, transformation de la presse », Le journal de l’école de Paris du management, vol. 115, no 5, p. 30‑37, oct. 2015, doi: 10.3917/jepam.115.0030.

[3]

« Quand l’info devient instantanée », La Revue des Médias. Consulté le: 31 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://larevuedesmedias.ina.fr/quand-linfo-devient-instantanee

[4]

« Renouvellement des fréquences TNT : Ouest France se projette en chaîne nationale des « territoires » », La Revue des Médias. Consulté le: 31 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://larevuedesmedias.ina.fr/renouvellement-des-frequences-tnt-ouest-france-se-projette-en-chaine-nationale-des-territoires

[5]

M. Eugène, « Télévision, digital, réseaux sociaux : comment la presse se réinvente face aux usages ? », BDM. Consulté le: 31 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://www.blogdumoderateur.com/television-digital-reseaux-sociaux-presse-reinvente-usages/

[6]

« Une consommation de l’information transformée par le numérique ». Consulté le: 31 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://www.culture.gouv.fr/actualites/une-consommation-de-l-information-transformee-par-le-numerique

Les ReelShort : Une révolution du divertissement ou un effet de mode éphémère ?

Les ReelShort, ces mini-séries au format ultra-court (moins de 90 secondes), connaissent un succès fulgurant aux États-Unis. S’inspirant des dynamiques de TikTok, Instagram Reels ou YouTube Shorts, ce concept développé par Crazy Maple Studio associe narration captivante, stratégie de production optimisée, et intégration publicitaire ingénieuse. Pourtant, malgré leur popularité incontestable, ces séries soulèvent des questions quant à leur pérennité et leur contribution réelle à l’évolution des formats narratifs. Représentent-elles une avancée dans le divertissement ou une tendance éphémère répondant à des habitudes de consommation spécifiques ?

Une Stratégie de Production Astucieuse

La force d’un storytelling efficace

Les ReelShort doivent leur succès à un storytelling conçu pour captiver dès les premières secondes. Crazy Maple Studio, fort de son expérience avec l’application interactive Chapters, propose des intrigues simples et percutantes, articulées autour de thèmes universels tels que l’amour, le suspense ou les dilemmes quotidiens.Ces récits sont conçus pour s’adapter au format ultra-court en maximisant l’intensité émotionnelle et narrative sur une durée limitée, permettant aux spectateurs d’être immédiatement immergés.

Une production optimisée, mais minimaliste

Avec des budgets moyens de 300 000 dollars par série, Crazy Maple Studio fait preuve d’une remarquable efficacité. En employant de petites équipes et des acteurs émergents, la société parvient à produire des contenus visuellement attractifs à moindre coût.

Un Format Conçu pour un Public Connecté

Les ReelShort s’adressent principalement à une audience jeune, féminine et mobile, en proposant un contenu adapté à leur rythme de vie rapide et multitâche. Les caractéristiques principales de ce format incluent :

  • Une durée réduite : Chaque épisode, de moins de 1 minute 30, est conçu pour s’intégrer dans des moments de transition, comme les pauses ou les trajets en transports.
  • Un visionnage optimisé pour le mobile : Le format vertical s’aligne sur les habitudes de consommation des plateformes sociales.

Toutefois, cette stratégie n’est pas sans inconvénient. Le format ultra-court, bien que pratique, restreint considérablement la richesse narrative et le développement des personnages. De plus, le format vertical, parfois critiqué comme moins immersif, pourrait rebuter certains spectateurs habitués à des expériences plus traditionnelles, comme celles offertes par le cinéma ou les séries classiques.

ReelShort vs Quibi : Une Comparaison Éclairante

Le succès des ReelShort est souvent comparé à l’échec retentissant de Quibi, une plateforme de streaming lancée en 2018 dédiée aux formats courts, disparue après seulement six mois d’existence. Si les deux concepts partagent certaines similitudes, leurs stratégies diffèrent significativement :

  • Un modèle économique flexible : Contrairement à Quibi, qui reposait uniquement sur un abonnement payant, ReelShort adopte un modèle freemium. Les utilisateurs peuvent visionner gratuitement quelques épisodes avant de choisir entre regarder des publicités ou payer pour débloquer le reste de la série.
  • Une meilleure intégration aux codes des réseaux sociaux : Quibi avait une approche trop rigide, limitée à une expérience mobile exclusive, tandis que ReelShort s’adapte aux attentes des utilisateurs de TikTok ou Instagram, en rendant ses contenus plus flexibles et accessibles sur divers supports.
  • Une gestion des coûts maîtrisée : Là où Quibi investissait massivement dans des stars et des productions coûteuses, ReelShort privilégie des productions à budget réduit, misant sur la simplicité et l’efficacité.

Si ReelShort a su éviter les erreurs de Quibi, son avenir dépendra néanmoins de sa capacité à maintenir sa pertinence dans un marché où les attentes des utilisateurs évoluent rapidement.

Un complément au divertissement traditionnel, mais pas un remplaçant

Joey Jia, le CEO de l’application ReelShort, précise que les ReelShorts ne prétendent pas rivaliser avec le cinéma ou les séries classiques. Leur objectif est de répondre à des besoins spécifiques : offrir des contenus rapides et légers, adaptés aux courtes pauses et à un public en mouvement. Cette complémentarité les place davantage en concurrence avec TikTok ou YouTube qu’avec Netflix ou Disney+. Toutefois, cette position comporte des risques. En misant principalement sur l’instantanéité et le contenu de consommation rapide, ReelShort pourrait négliger une opportunité de revaloriser les formats courts comme une forme narrative à part entière.

Une tendance prometteuse, mais à surveiller

Les ReelShort incarnent une réponse audacieuse aux nouvelles habitudes de consommation. Leur capacité à raconter des histoires captivantes en quelques secondes, tout en maximisant leur visibilité sur les réseaux sociaux, en fait un modèle innovant et séduisant. Cependant, leur succès repose sur une logique fragile : le contenu rapide et léger pourrait finir par lasser un public plus exigeant, et la concurrence croissante nécessite une constante évolution. Si Crazy Maple Studio parvient à relever ces défis, les ReelShort pourraient bien s’imposer comme une nouvelle norme du divertissement mobile. Dans le cas contraire, ils risquent de devenir un simple phénomène de mode, rapidement éclipsé par des formats plus pérennes.

SAKIC Artemia

L’intérêt du cinéma pour l’image des maisons de luxe

Une relation évidente

Le lien entre la mode et le cinéma est fort et historique. Dès les débuts du cinéma, notamment dès le passage du muet au parlant, les marques de luxe de mode ont été sollicitées pour le département des costumes. Déjà établie et internationalement connue avant la première guerre mondiale, Coco Chanel fabrique en 1930, les costumes de Le sang d’un poète de Jean Cocteau. Couturier star de l’après-guerre, Christian Dior se lance également dans le dessin de costume de cinéma en 1950 pour Les enfants terribles de Jean-Pierre Melville, trois ans après avoir présenté sa première collection de haute couture. 

Plus récemment, Chanel et Gucci ont participé aux films de type biopics portant sur leurs maisons et liés aux figures fondatrices de leurs marques comme Coco avant Chanel sorti en 2009, ou encore House of Gucci en 2021. En prêtant les vêtements de la marque, ce dernier a permis à l’œuvre d’être particulièrement authentique. Gucci a également intégré des images tirées du film ainsi que son esthétique dans ses propres campagnes publicitaires par la suite, liant définitivement l’image de la marque au récit du film. 

Les stars de cinéma, hollywoodiennes comme françaises, ont très rapidement été ce qu’on considérait aujourd’hui comme égéries ou ambassadrices, au début grâce à leurs affinités avec les créateurs, comme Catherine Deneuve et Yves Saint Laurent ou Audrey Hepburn et Hubert Givenchy. Ces amitiés s’illustrent par les pièces portées aussi bien à la ville qu’à l’écran, créant un autre pont entre le quotidien et l’art.

Le luxe et le cinéma, deux domaines de l’art et de la culture aux deux extrêmes de l’accessibilité pour le consommateur, semblent donc naturellement compatibles.

La mode, le cinéma et le produit

Les partenariats jusqu’ici relevaient en partie de l’intime, et sa stratégie soeur mais bien plus capitaliste, le placement de produit purement commercial, a connu ensuite un essor sur ces 40 dernière années. On a commencé à voir le pouvoir que la publicité pouvait avoir à travers la sensibilité du cinéma et l’impact de l’association du produit à l’émotion que procure un film. On pense notamment à la fameuse Aston Martin de James Bond ou à Chanel dans Barbie (2023, Greta Gerwig). Louis Vuitton a notamment rapidement fait usage de son esthétique ultra-reconnaissable pour s’insérer dans des narrations qui correspondent à la sienne, comme dans The Darjeeling Limited (2007, Wes Anderson) ou encore les sacs “Capucine”, conçus spécialement pour Cruella (2021, Craig Gillespie). 

En parallèle, les campagnes promotionnelles des marques de luxe se sont souvent redéfinies pour devenir des outils de narration plutôt qu’une image frappante. Des courts-métrages, où l’aspect cinématographique prend le dessus du promotionnel ont été réalisés en partenariat avec des réalisateurs de renom comme Luca Guadagnino pour Loewe, Wes Anderson pour Mont Blanc ou encore Gaspar Noé Pour Yves Saint Laurent

Cette dernière collaboration s’étend sur plusieurs années et campagnes. En 2019, la maison appelle le réalisateur à peine trois mois avant le Festival de Cannes pour lui commander un film qui deviendra Lux Aeterna et qui sera sélectionné en compétition officielle. C’est le début de la réflexion sur la production pour YSL. La maison s’associe toujours avec des talents cinématographiques pour construire un univers précis autour de la marque à travers des campagnes scénarisées et réalisées par Abel Ferrera, Wong Kar Wai, ou encore Fabrice du Welz. Saint Laurent Productions né au printemps 2023 et fait son entrée sur scène rapidement en sortant en salles son premier court-métrage réalisé par Pedro Almodovar A way of life fin mai 2023. 

L’expansion du tissu au grand écran

Puis, un an plus tard en 2024, 3 films dans lesquels SLP a pris part au financement en tant que coproducteur sont sélectionnés à Cannes : Les linceuls de David Chronenberg, Parthenope de Paolo Sorrentino et Emilia Pérez de Jacques Audiard. La marque est portée, stylisée, filmée et intégrée, elle devient une partie de la narration plutôt que son centre, et donc s’insère d’autant plus dans l’inconscient du spectateur. 

Quelques mois après, Artemis, la holding familiale du groupe Kering qui détient Yves Saint Laurent, annonce sa prise d’actionnariat majoritaire qui serait de 53% au sein de la méga-agence états-uniennes Creative Artists Agency. Le groupe rassemble plusieurs agences notamment spécialisées dans le management de talents des secteurs des médias et de l’entertainment, et peut citer des noms comme Ariana Grande, Ana de Armas ou encore Bradley Cooper comme clients.

Et c’est quelque mois plus tard seulement, en février 2024, que le premier concurrent de Kering, LVMH, annonce la création de leur propre société de production : 22 Montaigne Entertainment. La société a pour l’instant produit des oeuvres destinées à mettre en valeur les marques du groupe, mais elle a également conclu un partenariat avec l’états-unien Superconnector Studios, qui semble être chargé de faire le chasseur de projets pour leur compte de l’autre côté de l’Atlantique, afin de leur conclure des participations financières dans des projets audiovisuels cohérentes avec les valeurs des marques du groupe. 

L’émotion dans l’art et l’achat

Si les deux disciplines et industries sont donc historiquement liées grâce à des affinités humaines et artistiques, l’accélération du capitalisme puis celle du ‘status symbol’ grâce aux réseaux sociaux a propulsé les résultats des maisons de luxe au plus haut, bien que les résultats des dernières années, toutes proportions gardées, ne soient pas les meilleurs. Ceci a, d’un autre côté, augmenté l’aspect marchand de leurs produits, leur enlevant ce que le consommateur vient chercher dans le luxe : l’exclusivité mais aussi l’émotion. Une histoire, une narration, un univers unique dans lequel seulement quelques-uns peuvent entrer. Une sensation d’un endroit magique, comme le cinéma peut procurer. 

Le cinéma bénéficie également d’un statut spécial aux yeux de la population : il est accessible et puissant, énormément de titres de son catalogue universel sont admirés et vus comme des chefs-d’œuvres. On peut le regarder en salles, chez soi, dans les transports, à Paris comme à Tokyo, mais ses coulisses sont également mystérieux, pailletés et secrets. Un assemblage parfait pour gagner une visibilité internationale afin de ré-apprivoiser son public, tout en s’associant toutefois avec des films doté d’une éditorialisation soignée.

Une démarche horizontale

Il est par ailleurs intéressant de noter que cette volonté des maisons de luxe d’étendre leur image au-delà de la mode s’est démultipliée ces dernières années, vers le cinéma mais aussi l’hôtellerie et la restauration. Gucci a ouvert plusieurs restaurants tout comme Dior ou encore Louis Vuitton, et cette dernière s’est faite remarquée dernièrement en débutant la construction de son premier hôtel, recouvert d’une structure de protection inratable sur les Champs-Elysées, dont l’imprimé reproduit celui de leur malle iconique.

Ashley DESTREMAU

Les téléviseurs connectés : révolution numérique ou menace pour la vie privée ?

Si vous possédez un téléviseur connecté, il y a de fortes chances que, pendant que vous le regardez, lui aussi vous observe.

En 2024, plus de 4 foyers français sur 10 sont équipés de téléviseurs connectés, ces appareils sont devenus essentiels dans nos salons. Avec leur capacité à diffuser du contenu en streaming, exécuter des applications ou encore répondre à des commandes vocales, les « Smart TV » offrent une expérience toujours plus personnalisée et interactive. Pourtant, derrière cette promesse de modernité, une réalité moins visible : la collecte massive de nos données personnelles.

Qui récolte ces informations ? Est-ce votre fournisseur d’accès, le fabricant de votre téléviseur, ou les applications que vous utilisez ? Plongeons dans un univers où chaque interaction peut être une occasion d’en savoir un peu plus sur vous.

L’ACR : le cheval de Troie des téléviseurs connectés

D’après un rapport du Center for Digital Democracy (CDD), nos téléviseurs connectés agissent comme des « chevaux de Troie » modernes. Derrière leurs fonctionnalités séduisantes se cache un outil puissant et discret : l’ACR (Automatic Content Recognition).

Intégrée directement dans le système d’exploitation de ces appareils, cette technologie est capable d’identifier en temps réel tout ce qui apparaît à l’écran, que ce soit un film en streaming, une émission en direct ou même un jeu vidéo. Mais ce n’est pas tout : elle associe les contenus regardés dans votre foyer à votre adresse IP, permettant de lier les informations aux appareils connectés sur le même réseau.

Rayna Stamboliyska, autrice de La face cachée d’Internet, décrit l’ACR comme un « pixel » informatique qui agit tel un responsable marketing virtuel posté au-dessus de votre épaule. Chaque interaction avec l’écran est enregistrée, analysée, et envoyée à l’éditeur ou au constructeur de votre téléviseur. Ces données, souvent partagées avec des partenaires tiers, ne se limitent pas à ce que vous regardez, elles incluent aussi vos habitudes d’utilisation. Des fabricants comme Samsung ou Vizio l’admettent d’ailleurs explicitement dans leurs conditions d’utilisation : l’ACR a pour mission de collecter et partager ces informations. Leur argument ? Améliorer l’expérience utilisateur. Mais en réalité, ces données servent principalement à affiner la publicité ciblée et les outils d’analyse pour les annonceurs. Ainsi, l’écran devient une porte ouverte sur vos habitudes, permettant aux entreprises de personnaliser leurs campagnes et de maximiser leurs profits.

L’ACR soulève donc une question essentielle : jusqu’où sommes-nous prêts à sacrifier notre vie privée en échange d’une expérience plus personnalisée ou de recommandations plus pertinentes ? Pour beaucoup, cette technologie transforme nos téléviseurs connectés en espions numériques invisibles mais omniprésents, qui observent en permanence ce qui se passe dans nos foyers.

Qui collecte vos données… et que collectent-ils exactement ?

Les entreprises derrière les services de streaming et les appareils connectés utilisent des techniques de suivi avancées pour cibler la publicité. En conséquence, ces téléviseurs sont devenus un véritable « cauchemar pour la vie privée », comme le décrit Jeffrey Chester, co-auteur du rapport et directeur du CDD. Les téléviseurs connectés ne se contentent pas de vous donner accès à des séries, des films ou des applications. Ils collectent en permanence des données, et plusieurs acteurs interviennent dans ce processus : 

  • Les fabricants de téléviseurs : des marques comme Samsung, LG ou Sony jouent un rôle central dans cette collecte. Grâce à à l’ARC, ils savent précisément ce que vous regardez, à quel moment, et sur quelle chaîne ou plateforme. Mais ce n’est pas tout : ils collectent également des informations sur vos paramètres, la durée d’utilisation de votre écran, et les applications installées. 
  • Les systèmes d’exploitation et plateformes tierces : Beaucoup de téléviseurs utilisent des OS développés par des géants comme Google (Google TV, Android TV), Roku ou Amazon (Fire TV). Ces systèmes collectent des données sur votre navigation, vos recherches, et vos interactions avec les menus et le contenu que vous consommez. Par exemple, si vous demandez à votre TV via commande vocale « Trouve-moi un film de science-fiction », cette requête peut être analysée pour alimenter des bases de données.
  • Les applications et services de streaming : Les plateformes comme Netflix, Prime Video, YouTube ou encore Spotify suivent minutieusement vos habitudes de visionnage ou d’écoute. Elles savent non seulement ce que vous regardez, mais aussi pendant combien de temps, si vous mettez en pause, ou si vous abandonnez un programme avant sa fin. Ces informations alimentent leurs algorithmes de recommandation, mais elles sont aussi utilisées pour créer des profils d’utilisateurs qui sont ensuite vendus aux annonceurs.
  • Les fournisseurs d’accès Internet : En tant qu’intermédiaires essentiels, les box des FAI comme Orange, Free ou Bouygues peuvent également analyser les flux de données qui passent par leurs réseaux. Bien qu’ils affirment respecter la vie privée, certaines politiques d’utilisation incluent des clauses ambiguës concernant le suivi de vos activités.

Le RGPD : une protection suffisante ?

En théorie, la réglementation impose aux entreprises d’obtenir le consentement des utilisateurs avant de collecter leurs données. Cependant, le processus est souvent opaque, avec des conditions d’utilisation souvent acceptées sans lecture détaillée. Cela entraîne une validation implicite du suivi par les utilisateurs.

Un contrôle difficile pour les utilisateurs

Les conditions d’utilisation souvent longues et complexes rendent difficile pour les utilisateurs de comprendre l’étendue réelle de la surveillance à laquelle ils sont soumis. Si vos données sont collectées, vous devriez être informé de l’objectif de cette réutilisation, de la transmission des données à des partenaires, et de la nature (voire l’identité) de ces partenaires. Vous devez également être en mesure de consentir ou de refuser ces opérations.

Les entreprises doivent respecter un cadre strict pour recueillir ce consentement, en suivant les principes suivants :

  • Présentation d’une bannière de consentement claire et complète.
  • Possibilité d’accepter ou de refuser la collecte de données.
  • Conservation des choix des utilisateurs et droit de modification à tout moment.

Malheureusement, la complexité des politiques de confidentialité et des technologies utilisées rend ces engagements flous, laissant peu de place à une prise de décision éclairée.

En Europe, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) impose des règles strictes aux entreprises. Toute collecte de données doit être justifiée et sécurisée, sous peine de lourdes sanctions. Bien que certains fabricants permettent de désactiver certaines options de suivi, ces paramètres restent souvent difficiles à trouver et leur désactivation ne supprime pas toutes les méthodes de collecte. Même si le cadre réglementaire européen est plus strict, le véritable défi reste l’application concrète des règles et l’information des consommateurs sur leurs droits.

Bien que porteurs d’innovations et de confort, les téléviseurs connectés  soulèvent de plus en plus de questions en matière de vie privée. L’ACR et la collecte de données par différents acteurs de l’écosystème numérique nous rappellent à quel point il est difficile de garder le contrôle sur nos informations personnelles. Si des régulations comme le RGPD existent pour encadrer cette collecte, leur mise en œuvre reste perfectible. La question demeure : à quel prix sommes-nous prêts à accepter cette « intelligence » technologique ?

Eden SEKROUN

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​​Ouest-France, Comment votre télé connectée récolte et revend vos données personnelles en toute tranquillité. 6 mars 2024. Lien

CNIL, Téléviseurs connectés : Les conseils de la CNIL. 26 novembre 2019. Lien

Trust My Science, Smart TV : Nouvelle menace pour la vie privée. 27 septembre 2024. Lien

RMC BFM Ads, Etude Harris Interactive : La CTV, complémentaire à la télévision linéaire. 2 décembre 2024. Lien

Clubic, Smart TV : un véritable espion connecté au cœur de nos salons. 9 octobre 2024. Lien

La Presse, Votre télé connectée vous regarde aussi. 21 octobre 2024. Lien

Didomi, Gestion du consentement pour la télévision connectée (CTV). 29 octobre 2024. Lien

PC Matic, How Streaming TV is Watching You: The Hidden Costs of Connected TVs. 8 octobre 2024. Lien

Center for digital démocracy , How TV Watches Us: Commercial Surveillance in the Streaming Era. 7 octobre 2024. Lien

La promotion de lancement d’album sur TikTok

Compte TikTok de FILIZ LA VRAIE, illustration d’une stratégie de communication sur ce réseau

TikTok a transformé l’industrie musicale, faisant de chaque utilisateur un potentiel ambassadeur de tendances et de chaque artiste un puissant marketeur. En un simple scroll, des millions de personnes peuvent découvrir, aimer et même propulser une chanson en tête des charts. Mais dans cet environnement saturé où les nouveautés affluent à une cadence effrénée, comment les artistes peuvent-ils réellement se démarquer ?

TikTok : une histoire musicale au service de l’auto-lancement

La musique est omniprésente sur TikTok, c’est en effet le principe de l’application chinoise anciennement appelée musical.ly. Pour un peu plus de contexte, en 2017, le concurrent de l’application ByteDance a acquis l’application pour environ un milliard de dollars. Il a décidé un an plus tard de fusionner Musical.ly avec son service TikTok, tout en conservant le nom de ce dernier. À ce moment, la plateforme comptait 700 millions d’utilisateurs. Aujourd’hui, TikTok compte 24,7 millions de Français et plus d’1,7 milliard d’internautes dans le monde.

Le réseau social chinois est devenu un pilier incontournable de la promotion musicale et a révolutionné la manière de promouvoir les lancements d’albums. La plateforme où les chansons virales rythment les défis, les danses et les tendances offre aux artistes une vitrine inédite. Les musiciens peuvent désormais tester des morceaux, interagir directement avec leurs fans et convertir ces derniers en auditeurs fidèles grâce à des extraits soigneusement calibrés. Mais cela a aussi engendré une saturation de contenus, rendant plus difficile que jamais de réussir à capter l’attention. Dans un environnement où des millions de vidéos et de sons se disputent l’engagement, les artistes doivent repenser leur stratégie marketing pour se démarquer.

L’impact de la saturation des contenus : capter l’attention, un défi majeur

La saturation de contenu rend la visibilité sur TikTok éphémère. Chaque seconde compte : l’algorithme priorise les vidéos qui captivent immédiatement. Pour se démarquer, les artistes doivent donc composer avec :

1. La division de l’attention :

Avec des millions de vidéos publiées chaque jour, retenir l’intérêt d’un utilisateur demande une créativité constante et des stratégies ciblées. Cependant, les internautes ont tendance à écouter la vidéo en entier s’ils apprécient la musique. C’est un énorme avantage car cela donne une information précise à l’algorithme. Il voit que ce contenu est intéressant à pousser et peut alors rediriger tous les contenus de l’artiste vers le feed de l’utilisateur.

2. La pression du contenu continu :

TikTok récompense les publications fréquentes et engageantes. Les artistes doivent ainsi alimenter leur profil régulièrement pour rester dans la course, au risque de se faire pénaliser par l’algorithme ou que les utilisateurs les oublient. De même, en partageant régulièrement des extraits, les artistes s’assurent que leur morceau reste dans la tête des auditeurs. Lors de sa sortie, la chanson bénéficie déjà d’une reconnaissance accrue, ce qui booste les écoutes sur les plateformes de streaming.

3. La montée des attentes marketing :

L’époque où une simple chanson suffisait est révolue. Les artistes doivent maintenant produire des visuels percutants pour leur clips, accompagner leurs chansons de chorégraphies virales ou raconter des histoires captivantes. En effet, plus l’extrait est accrocheur, plus il y a de chances qu’il soit repris par beaucoup de monde et donc augmente la visibilité de l’artiste.

Analyse des tendances courantes pour teaser la sortie de chansons

Une des stratégies dominantes sur TikTok pour promouvoir un morceau avant sa sortie consiste à impliquer activement le public avec des teasers de chansons. Avant la sortie de leur album, les artistes peuvent tester leur son. En envoyant seulement un court extrait de leur musique, ils auront un aperçu de ce que pense le public. Ils peuvent exploiter l’engagement émotionnel des fans et la dynamique communautaire propre à la plateforme.

1. L’interpellation directe du public

De nombreux chanteurs créent des vidéos où ils interagissent directement avec leur audience en posant des questions ou en lançant des appels à l’action :

Exemples récurrents :

  • « Je sors le son ? »
  • « Si cette vidéo atteint le million de vues, je le poste ! »
  • « On y va pour le million et je balance la date de sortie. »
« bon le peuple a parlé, vous avez gagné je vais vous sortir le son », TikTok de williamnvq

Ces vidéos fonctionnent comme des déclencheurs d’engagement : elles incitent les fans à commenter, liker et partager, augmentant ainsi la visibilité du contenu. Cette méthode joue également sur l’impatience des fans, qui se sentent impliqués dans le processus décisionnel de l’artiste.

On peut aussi retrouver des réactions aux sons avec du contenu comme : « Quand mon mec découvre mon son » ou « Quand ma sœur écoute le son pour la première fois ». Cette tendance permet de capitaliser sur le contexte émotionnel du morceau, créant un lien personnel entre l’artiste, le morceau et les spectateurs.

2. Jouer sur la frustration positive

En retardant volontairement la sortie d’un morceau tout en le rendant partiellement accessible, les artistes cultivent une forme de frustration ludique chez leurs fans.

Effets bénéfiques :

  • Générer énorméments de commentaires : Avec souvent des fans en haleine qui demandent comment s’appelle la musique, où la retrouver, si elle est sortie ou quand va-t-elle sortir.
  • Augmenter la mémorabilité de l’extrait musical grâce à sa répétition sur la plateforme.

Un autre phénomène clé est l’implication des internautes eux-mêmes dans la campagne de teasing. Les fans inspirés par le court extrait et frustrés par l’attente, commencent à produire leur propre contenu autour de l’extrait.

3. Les vidéos de pression collective

Les utilisateurs reprennent souvent l’extrait du morceau avec des légendes ou des mises en scène humoristiques pour inciter l’artiste à publier la chanson.

Exemples typiques :

  • « C’est bon, tu peux le sortir maintenant. »
  • « On a attendu assez longtemps, ne nous fais pas souffrir ! »
  • Mais je Vidéos avec des mises en scène exagérées pour montrer leur impatience

TikTok mise aussi sur les artistes émergents avec une fonctionnalité innovante

Avec son ascension fulgurante, TikTok ne se contente plus d’être une simple plateforme de divertissement. Elle affirme son rôle de sponsor pour les artistes émergents. Pour accompagner cette dynamique, l’application a récemment introduit une fonctionnalité : les pages musique.

Ces pages permettent aux artistes de centraliser et maximiser la visibilité de leurs morceaux. Chaque chanson officiellement distribuée sur TikTok est désormais accompagnée d’une page dédiée, comprenant un lien vers les plateformes de streaming. Les utilisateurs peuvent maintenant directement enregistrer les chansons qu’ils découvrent dans leur feed sur Spotify ou Apple Music sans quitter l’application.

Fonction ajouter à la playlist sur TikTok, compte de adestheplanet

Pour les musiciens en devenir, cette fonctionnalité est une aubaine. Elle leur permet non seulement d’accroître leur audience sur TikTok, mais aussi de convertir cet engouement en écoutes sur les plateformes de streaming.

En démocratisant la promotion musicale et en renforçant ses outils dédiés aux artistes, TikTok redéfinit les règles du marketing musical. Si l’auto-lancement sur la plateforme reste un défi dans un environnement saturé, la possibilité de centraliser ses morceaux et d’orienter les fans vers des plateformes de streaming marque une nouvelle étape dans l’évolution de l’industrie musicale. TikTok ne se limite plus à être un tremplin vers la célébrité éphémère ; il devient une plateforme d’accompagnement pour les artistes, les aidant à bâtir une carrière musicale solide.

Grimaud Shana

Bibliographie

Comment promouvoir la musique sur TikTok (et devenir virale), 15/08/2024

https://dittomusic.com/fr/blog/how-to-promote-music-on-tiktok-and-go-viral

Musical.ly, appli phare des adolescents, rachetée 1 milliard, 10/11/2017 

https://www.lesechos.fr/2017/11/musically

TikTok : « Add to Music » découvrez une musique sur TikTok et écoutez la sur les plateformes d’écoute musicale, 14/12/2023

https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/tiktok-add-to-music-app-fr

TikTok lance le compte « Artiste » pour encourager les découvertes musicales, 05/12/2023

https://gensdinternet.fr/2023/12/05

Les IP : une machine à contenus à succès

Dans un paysage audiovisuel saturé, il devient de plus en plus difficile pour les sociétés de productions et les plateformes de renouveler leurs contenus. Les propriétés intellectuelles (IP pour intellectual property) semblent avoir trouvé une brèche dans laquelle s’insérer en jouant un rôle de plus en plus prédominant dans la stratégie de productions de contenus. Cet article explore les raisons de cette centralité accrue, les implications pour les différents acteurs de l’industrie, et les enjeux économiques, culturels et artistiques qui en découlent.

Pour rappel, les IP constituent des actifs immatériels protégés par le droit d’auteur, tels que les romans, bandes dessinées, jeux vidéo ou encore formats télévisés. Ces créations originales, une fois adaptées pour le cinéma ou la télévision, offrent une base solide pour attirer un public déjà acquis, limitant ainsi les risques liés à l’incertitude caractéristique des nouveaux contenus.

Une stratégie de réduction de risques

L’adaptation d’IP permet aux sociétés de production de bénéficier d’une base de fans fidèles et de capitaliser sur une reconnaissance préexistante, réduisant ainsi l’incertitude financière et créative associée aux nouveaux contenus. Cette stratégie repose sur la capacité d’une IP à générer une anticipation positive avant même sa sortie. Par exemple, l’univers cinématographique Marvel s’appuie non seulement sur des décennies de bandes dessinées populaires, mais aussi sur une planification stratégique de longs métrages interconnectés qui maintiennent l’intérêt du public sur plusieurs années. Cette approche limite les risques financiers pour les investisseurs en garantissant une audience minimale déjà acquise. En outre, le recours à des IP bien établies permet de sécuriser les partenariats avec des distributeurs et plateformes de streaming, rassurés par le potentiel éprouvé de ces propriétés.

La montée en puissance des plateformes de streaming

Dans ce contexte, les plateformes comme Netflix, Disney + et Amazon Prime Vidéo jouent un rôle crucial dans l’essor des IP en s’appuyant massivement sur elles pour se différencier dans un marché saturé. Ces plateformes ont transformé les IP en leviers stratégiques pour fidéliser leurs abonnées et attirer de nouveaux publics.

Netflix, par exemple, investit dans des séries comme The Witcher ou Stranger Things, où la richesse des univers narratifs renforce l’engagement des spectateurs sur le long terme. Cette approche inclut une stratégie de marketing global avec des campagnes adaptées à différents marchés culturels, permettant une résonnance locale et mondiale. Par ailleurs, les algorithmes de recommandation de plateformes maximisent la visibilité des IP auprès des publics ciblés, assurant un succès continu et international.

Disney + illustre particulièrement bien cette dynamique en exploitant ses univers Star Wars et Marvel. La plateforme combine contenus originaux, tels que The Mandalorian et WandaVision, avec une exploitation intensive de catalogues historiques, optimisant ainsi la longévité et l’expansion de ces franchises.

Enfin, Amazon Prime Vidéo mise également sur des IP phares comme Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir. En investissant des budgets colossaux pour adapter des œuvres à forte reconnaissance culturelle, la plateforme renforce son attractivité et sa compétitivité face à ses concurrents. Ce positionnement met en lumière le rôle des plateformes comme acteurs centraux dans la valorisation et l’internationalisation des IP.

Un levier de croissance international

Une des véritables clés des IP relève en sa capacité à s’adapter à différents marchés culturels, facilitant leur exportabilité. Franchises adaptées, IP transmédiatiques et succès des fictions françaises sont autant de déclinaisons des différentes IP présentent sur le marché actuel.

En 2021, Dune, adapté du roman culte de Frank Herbert, a connu un immense succès critique et commercial, renforçant son statut de franchise potentielle avec une suite prévue. Les remakes en prises de vues réelles des classiques Disney (La Belle et la Bête, Le Roi Lion) exploitent des IP existantes tout en attirant de nouvelles générations de spectateurs.

Les IP permettent aussi une stratégie transmédiatique des contenus. Pour reprendre l’exemple de la série The Witcher, basée à la fois sur les romans et les jeux vidéo, la série illustre la convergence de média distincts autour d’une même propriété. Plus récemment ; la série animée Arcane, inspirée du jeu vidéo League of Legends, a reçu une large reconnaissance critique tout en élargissant l’univers narratif du jeu.

Enfin, ces dernières années ont été marquées par un rayonnement croissant à l’international des séries françaises, tirant un avantage considérable du succès des IP, grâce à des productions qui combinent qualité narrative et potentiel universel.

En 2024, la série HPI tournée dans les Hauts de France a été nominée dans sept catégories à la prestigieuse cérémonie des Emmy Awards. Les adaptations locales, notamment la version américaine « High Potential », témoignent de sa flexibilité culturelle. Elle est aujourd’hui exportée dans 107 pays.

De son côté, Dix pour cent, série phrase de France 2, a donné lieu à plusieurs adaptations nationales, comme au Royaume-Uni (Call My Agent !) ou encore en Italie, où la production a su transposer l’intrigue tout en conservant l’essence du format original. Coulisses du 7ème art, participations de stars du cinéma français, cadre parisien sont autant d’arguments qui ont su convaincre et séduire le public à l’international.

Enfin, la série Lupin, inspiré des romans de Maurice Leblanc s’inscrit également comme une réussite majeure. La mise en scène dynamique, Paris en toile de fond, combinée à des intrigues universelles et des références culturelles françaises, a permis à Lupin de résonner auprès d’audiences aussi bien en Europe qu’en Amérique et en Asie. Le choix d’Omar Sy, star charismatique déjà bien connue à l’international, a également amplifié l’attrait de la série. Ainsi, Lupin est devenu l’un des programmes non anglophones les plus visionnés, consolidant la stratégie de Netflix d’investir dans des contenus localisés à forte exportabilité.

Ces exemples soulignent que les IP françaises, jusqu’alors contraintes dans leur capacité d’exportation du fait de biais structurels comme la barrière de la langue, réussissent à trouver un équilibre entre spécificité culturelle et attractivité internationale, rendant leur exportabilité de plus en plus efficace.

Une évolution du modèle économique

L’essor des IP a déplacé le modèle de production vers une logique de « monétisation étendue ». Les produits dérivés, les jeux vidéo et les adaptations transmédiatiques maximisent la valeur d’une IP bien exploitée. Cette monétisation ne se limite pas aux marchés primaires mais s’étend également aux licences internationales, aux parcs à thème (Disney) et aux expériences immersives, amplifiant les opportunités de revenus.

Une concentration des ressources

La compétition accrue pour l’acquisition de droits d’IP a entrainé une inflation des coûts, comme en témoignent les sommes investies par Amazon pour la série The Lord of the Rings : The Rings of Power. Les budgets colossaux consacrés à ces projets phares concentrent les ressources de l’industrie, ce qui peut avoir un effet d’éviction pour les productions plus modestes ou indépendantes. Cela risque d’uniformiser l’offre audiovisuelle et de limiter les voix émergentes.

Une créativité en tension

Si les IP offrent des opportunités créatives uniques, elles peuvent également être perçues comme des obstacles. Les exigences commerciales associées à ces propriétés peuvent parfois brider les libertés narratives, favorisant des récits calibrés pour plaire à des audiences larges plutôt qu’à des niches. Par exemple, certaines critiques adressées aux films du MCU concernent leur tendance à privilégier les formules éprouvées au détriment de l’innovation artistique. A une autre échelle, la collection à succès du service public « Meurtres à » souffre de cet même essoufflement narratif : tous les épisodes de la collection reprennent la même recette, mettant fin à tout suspense. A l’inverse, certaines séries comme Arcane montrent qu’une adaptation IP peut repousser les limites créatives en expérimentant avec des styles visuels ou des structures narratives novatrices.

Une internationalisation accrue

La mondialisation des IP impose également des adaptations culturelles et narratives pour répondre aux attentes et sensibilités locales tout en maintenant leur attrait universel. Cette dynamique favorise une standardisation partielle des contenus mais peut également enrichir les œuvres grâce à des collaborations multiculturelles.

La durabilité des modèles IP

Ces conséquences nous invitent à nous interroger sur la durabilité du modèle IP. Si elles rencontrent un fort succès aujourd’hui, il y a un risque élevé que les spectateurs commencent à se lasser de son schéma. Avec la multiplication des plateformes et la saturation des marchés, les sociétés de production devront trouver un équilibre entre exploitation d’IP et création originale. Les attentes du public en matière de qualité et de nouveauté continueront de peser sur ce modèle.

L’impact des nouvelles technologies

Enfin, l’intelligence artificielle et les technologies immersives pourraient enrichir les univers IP en offrant des expériences personnalisées et interactives. La collaboration entre industries technologiques et créatives sera cruciale pour maintenir l’intérêt envers ces propriétés.

Conclusion

Si les IP constituent un atout stratégique majeur de renouvellement dans un marché saturé par des contenus, leur avenir réside dans la capacité des acteurs de l’industrie à conjuguer rentabilité et créativité, tout en restant attentifs aux évolutions du marché, notamment technologiques. Les sociétés de production et plateformes doivent rester vigilantes et ne pas se reposer sur cette tendance en délaissant la création d’oeuvres originales.

Louise Rialland

Sources :

L’essor des shops intégrés : TikTok et YouTube en tête de l’innovation digitale

Shutterstock : Image libre de droit, collectée le 27 janvier 2025

En 2023, TikTok rassemble 1,6 milliard d’utilisateurs, tandis que YouTube atteint 2,5 milliards d’utilisateurs connectés chaque mois, selon les données de Hootsuite et We Are Social. Ces deux plateformes dominent les usages et la consommation audiovisuelle grâce à une diversité quasi infinie de contenus et une expérience utilisateur interactive. Pourtant, elles sont en constante évolution.

Avec l’intégration de shops directement au sein de leur écosystème, TikTok et YouTube amorcent une mutation profonde : de simples réseaux sociaux, elles tendent à devenir de véritables marketplaces hybrides. Une évolution qui transforme leur rôle et redessine les frontières entre divertissement et consommation, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle ère dans l’économie numérique.

À l’origine du succès : Le modèle initial de TikTok et YouTube

TikTok, lancé sous le nom de Musical.ly, s’est rapidement imposé comme un acteur incontournable des réseaux sociaux grâce à ses vidéos courtes, simples et spontanées. Sa recette ? Un algorithme redoutablement efficace qui propulse des créateurs inconnus sous les projecteurs, atteignant parfois des millions de vues en quelques heures. Cette mécanique a non seulement conquis un public jeune, mais aussi permis l’émergence d’une nouvelle génération d’influenceurs, plaçant TikTok au cœur des tendances.

De l’autre côté, YouTube, créé en 2006, a démocratisé la création vidéo bien avant l’arrivée de TikTok. Sa bibliothèque immense, capable de satisfaire tous les goûts et toutes les tranches d’âge, reste une référence incontournable pour des milliards d’utilisateurs. Contrairement à TikTok, YouTube s’appuie sur un algorithme plus modéré, mais tout aussi puissant, qui personnalise les recommandations en fonction des données des utilisateurs : historique, localisation ou encore temps passé à visionner.

Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, représentant l’importance de TikTok et de sa popularité.
Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, représentant l’étendue des vidéos YouTube et leur influence dans le paysage numérique.

Si TikTok séduit par son format court et viral, YouTube offre une diversité et une profondeur de contenu qui touchent un public allant des enfants aux seniors. Ces différences de positionnement expliquent leur complémentarité sur le marché, mais aussi leur évolution constante face à un public toujours plus exigeant.

Enfin afin d’être rentable, les deux plateformes ont fait de la publicité leur principale source de revenus. TikTok mise sur des campagnes virales où marques et influenceurs collaborent, tandis que YouTube exploite les publicités mid-roll et les partenariats avec des créateurs. Une stratégie commune : capter l’attention et transformer chaque clic en opportunité économique.

L’intégration du Shop : Quand les plateformes deviennent des marketplaces

Pour répondre à une audience toujours plus connectée et diversifier leurs sources de revenus, TikTok et YouTube ont ajouté des fonctionnalités e-commerce, transformant leurs plateformes en véritables écosystèmes de consommation.

TikTok Shop : L’essor du live shopping

TikTok, déjà célèbre pour son algorithme viral, franchit une nouvelle étape avec TikTok Shop, lancé en 2022. En Asie du Sud-Est, cette fonctionnalité a généré 4,4 milliards de dollars de ventes en 2022, un chiffre qui atteint 2,1 milliards de dollars pour le premier semestre 2023, selon ByteDance.

Le concept est simple : permettre aux créateurs de contenu et aux marques de vendre leurs produits en direct via des vidéos ou des lives interactifs. Par exemple, SooSlick a réalisé une campagne virale en intégrant son catalogue de produits de modelage corporel sur TikTok Shop. Résultat ? Un million de dollars de revenus supplémentaires en 30 jours, grâce à des vidéos achetables réalisées avec des créateurs TikTok.

Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, représentant le TikTok Shop et son évolution en tant que plateforme de commerce intégré.

Ce modèle, inspiré du live shopping chinois, transforme l’acte d’achat en une expérience immersive et sociale. Les influenceurs y jouent un rôle central, leur proximité avec leur audience générant confiance et achats impulsifs. Si ce concept séduit massivement en Asie, TikTok prévoit d’implanter TikTok Shop en Europe, avec un lancement en France fixé au 11 décembre 2024.

YouTube Shop : La diversification comme stratégie

Suivant la tendance, YouTube a introduit YouTube Shop, permettant aux créateurs et marques de taguer des produits directement dans leurs vidéos. Déjà bien implantée dans le domaine du divertissement, YouTube aspire désormais à devenir un acteur incontournable du e-commerce.

Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, représentant le YouTube Shop.

Un exemple marquant : la campagne Samsung Galaxy Note9 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA). Grâce à des outils avancés comme les audiences d’affinité et les formats interactifs, cette campagne a atteint :

  • +60 % de rappel publicitaire en Égypte, +35 % au Levant et +25 % dans les pays du Golfe ;
  • Une hausse de 20 % des recherches liées à la marque ;
  • Un taux de conversion de 10 %, tout en réduisant les coûts publicitaires de 30 %.

En 2023, YouTube a également annoncé des chiffres impressionnants : 30 milliards d’heures de visionnage consacrées à des vidéos liées au shopping et plus de 350 millions de vidéos hébergées dans cette catégorie.

Les plateformes : Vers des marketplaces hybrides ?

Avec l’intégration de TikTok Shop et YouTube Shop, ces plateformes ne capturent plus uniquement l’attention des utilisateurs, mais aussi leurs achats. Elles évoluent vers des marketplaces hybrides, mêlant contenu, interactions et transactions.

En exploitant leurs algorithmes et des données comportementales sophistiquées, elles offrent aux annonceurs un accès direct à des audiences ciblées. Cette stratégie transforme la manière dont les consommateurs découvrent et achètent des produits, effaçant progressivement la frontière entre divertissement et commerce.

La diversification de TikTok pose une question : la plateforme évoluera-t-elle vers le modèle de super-app à la manière de WeChat ? Avec ses fonctionnalités allant du divertissement au e-commerce, TikTok semble se diriger vers une centralisation des activités numériques de ses utilisateurs.

YouTube, de son côté, privilégie une stratégie différente. Bien qu’elle renforce son aspect commercial, la plateforme conserve son identité centrée sur la créativité et la diversité de contenu.

Une chose est certaine : cette transformation redéfinit le paysage audiovisuel et commercial. Désormais, le divertissement et la consommation ne sont plus des univers séparés, mais des dimensions interconnectées qui façonnent l’avenir des plateformes numériques.

Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, représentant YouTube et TikTok évoluant vers des superapps, à l’instar de WeChat.

DELEVOYE Mathilde

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L’e-sport comme outil de soft power culturel

L’e-sport est une tendance mondiale en pleine expansion qui connaît une croissance très rapide. En 2023, le marché de l’e-sport a généré environ 1,5 milliard de dollars. On prévoit qu’il atteindra près de 2 milliards d’ici 2025. Cette croissance s’explique par l’augmentation du nombre de spectateurs en ligne, la popularité croissante des compétitions et le développement des événements en direct. En Europe, l’e-sport est en plein essor, notamment en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Cela s’explique par la présence d’équipes actives, de tournois réguliers et d’une infrastructure solide. Ces réussites montrent que l’e-sport n’est pas un phénomène marginal, mais qu’il devient une composante économique et culturelle majeure dans le monde.

Aujourd’hui, l’e-sport joue un rôle similaire à celui des films hollywoodiens pour les États-Unis : un outil d’influence culturelle (Soft Power). Hollywood a utilisé le cinéma pour gagner en popularité à l’échelle mondiale en produisant des films appréciés dans d’autres pays. Un phénomène semblable se produit avec l’e-sport, en particulier en Asie. Par exemple, la Chine reconnaît son potentiel pour diffuser sa culture en promouvant des jeux comme Black Myth: Wukong. Ce jeu, inspiré du roman classique Le Voyage vers l’Ouest, mélange traditions et modernité, mettant en avant la culture chinoise auprès d’un public international. De plus, la Corée du Sud est devenue un grand centre de l’e-sport, accueillant des événements majeurs autour de League of Legends. Ces exemples montrent que l’e-sport est désormais un moyen de diffuser l’influence culturelle, atteignant une jeune génération connectée en ligne.

Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, representant comment le e-sport est une puissance Asiatique

En Corée du Sud, l’e-sport est bien plus qu’un simple passe-temps ; c’est une composante majeure de la culture. Depuis les années 2000, le gouvernement soutient cette industrie grâce à la création de la Korean eSports Association (KeSPA). Cette organisation a contribué à structurer et à professionnaliser le secteur. Les joueurs professionnels sont aussi célèbres que des stars et sont perçus comme des modèles, incarnant des valeurs telles que la discipline, le travail acharné et la persévérance, qui sont très importantes dans la société coréenne. Les PC bangs, présents partout dans le pays, sont des lieux essentiels pour les jeunes, renforçant les liens sociaux autour de l’e-sport.

L’intégration culturelle de l’e-sport se manifeste à travers de nouvelles collaborations. En 2018, Riot Games a créé un groupe virtuel appelé K/DA pour League of Legends, en utilisant les voix du groupe de K-pop (G)I-DLE. Leur chanson POP/STARS a été un succès mondial, accumulant des millions de vues sur YouTube. Parallèlement, les dramas coréens commencent à inclure des thèmes liés à l’e-sport, attirant ainsi un public varié et renforçant le phénomène de la Hallyu (vague coréenne). Ces initiatives illustrent comment la Corée du Sud utilise l’e-sport pour partager sa culture et accroître sa présence internationale. Les stratégies coréennes permettent à l’e-sport de dépasser son cadre initial pour devenir une force culturelle et économique majeure. Ce modèle coréen montre comment une industrie peut répondre aux aspirations mondiales tout en restant ancrée dans ses racines locales.

Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, representant comment les Coréens mettent en avant l’e-sport dans les séries.

En Chine, l’e-sport se développe comme un outil de puissance économique et culturelle. Depuis 2003, lorsque l’e-sport a été officiellement reconnu comme un sport, le gouvernement a beaucoup investi dans la construction d’infrastructures. À Shanghai, l’Esports Arena accueille des tournois internationaux, tandis que la ville de Hangzhou a créé un Esports Town comprenant des arènes, des centres de formation et des complexes pour soutenir l’industrie locale. Ces projets, combinés à des initiatives gouvernementales comme le plan de 2015 visant à faire de Shanghai la capitale mondiale de l’e-sport, renforcent la position de la Chine dans ce domaine.

Les entreprises chinoises comme Tencent jouent un rôle clé en investissant dans des studios occidentaux tels que Riot Games et Epic Games. Ces investissements offrent à la Chine une influence indirecte sur la culture mondiale tout en diffusant sa propre culture à travers les jeux vidéo. Par exemple, Honor of Kings intègre des éléments culturels chinois, comme des festivals traditionnels, permettant aux joueurs du monde entier de découvrir ces aspects. Les investissements de Tencent dans des studios occidentaux comme Supercell et Ubisoft illustrent comment la Chine utilise sa puissance économique pour s’imposer dans l’univers du gaming. Cette stratégie montre comment la Chine combine force économique et influence culturelle dans le domaine de l’e-sport. En résumé, l’approche chinoise de l’e-sport allie innovation technologique et promotion culturelle. Ces efforts démontrent également la capacité du gouvernement et des entreprises privées à collaborer pour atteindre un leadership mondial.

Image générée par l’IA à l’aide de DALL-E, Comment les jeux et l’e-sport deviennent une force majeure pour la Chine, notamment grâce à Tencent.

Bien que la Corée du Sud et la Chine soient différentes, elles utilisent toutes deux l’e-sport pour influencer les populations. Ces pays atteignent un public mondial grâce à des compétitions en ligne et en direct. Leurs revenus proviennent des droits de diffusion, des sponsors et des ventes de billets. Cependant, leurs approches diffèrent. La Corée du Sud met l’accent sur la stratégie et la technologie, tandis que la Chine s’appuie sur son économie et son innovation. Les films hollywoodiens, en revanche, restent plus simples. Ils interagissent de manière unidirectionnelle avec les spectateurs, selon un modèle traditionnel. L’e-sport, via des plateformes comme Twitch, propose une expérience interactive unique. Les spectateurs peuvent dialoguer en temps réel avec les streamers et les joueurs. Ces interactions renforcent le sentiment d’appartenance à une communauté mondiale. Cela montre comment le soft power évolue à l’ère numérique. La participation active du public redéfinit les connexions culturelles.

L’e-sport connaît une croissance rapide, notamment dans les pays en développement, grâce à l’amélioration des technologies et à un accès élargi à Internet. De plus, l’e-sport s’intègre de plus en plus dans les grands événements sportifs, comme les Jeux Olympiques de l’e-sport prévus en 2025. Les nouvelles technologies liées au métavers et au streaming en ligne permettent aux fans de profiter d’expériences interactives et immersives, sans se soucier des distances ou des coûts. Avec un mélange d’innovations, de culture et de connectivité, l’e-sport devient un phénomène majeur. Il redéfinit la manière dont les gens perçoivent la culture à l’échelle mondiale. Cette croissance montre que l’e-sport pourrait jouer un rôle de plus en plus important dans les échanges culturels internationaux. 

FERNANDEZ RIVAS Blanca


Sources

De la scène à l’écran : l’influence de TikTok dans la viralité du Eras Tour, une analyse de la redéfinition culturelle et économique des concerts

En transformant des moments singuliers en expériences fragmentées mais globalisées, TikTok impose une redéfinition du concert live. Au carrefour de cette révolution se situe le Eras Tour de Taylor Swift, véritable phénomène social et économique. Ce spectacle, calibré pour les stades comme pour les écrans, symbolise l’ère où la viralité n’est plus un simple corollaire des événements majeurs, mais un pilier de leur existence et de leur impact.

Avec des chiffres vertigineux1 — plus de 10 millions de billets vendus, 2 milliards de dollars de recettes et un impact économique estimé à 10 milliards de dollars rien qu’aux États-Unis2 —, le Eras Tour dépasse la simple performance artistique pour devenir un moteur de croissance économique. Toutefois, c’est sur TikTok que se joue une autre bataille, celle de la prolongation et de la réinvention de l’expérience culturelle. Les millions de vidéos partagées sous les hashtags #ErasTour et #SwiftTok transforment chaque concert en une mosaïque de récits individuels, diffusés et redéfinis par une audience mondiale.

Ce phénomène soulève des enjeux fondamentaux. Sur le plan sociologique, TikTok agit comme un médiateur culturel, amplifiant la portée des concerts tout en les dématérialisant. L’expérience d’un spectacle autrefois ancrée dans une présence physique devient accessible à tous, mais au prix d’une fragmentation qui interroge la notion même de communauté3. Économiquement, cette omniprésence numérique modifie les rapports entre artistes, fans et industries locales. Tandis que les Swifties jouent un rôle actif dans l’amplification de l’événement, les villes du monde entier enregistrent des retombées financières record4, illustrant une microéconomie mondiale façonnée par les algorithmes et les tendances.

Dans une ère où viralité et attention deviennent les nouvelles monnaies culturelles, une question demeure : TikTok enrichit-il l’universalité des concerts ou en fragmente-t-il l’essence au profit d’une économie de l’attention sans limite ? 

Un phénomène médiatique global

La tournée de Taylor Swift s’est imposée non seulement comme un événement musical mais également comme un moment culturel de masse, suscitant une attention médiatique sans précédent. Selon Andrew Unterberger de Billboard« chaque étape [de la tournée] a dominé le cycle médiatique pendant des jours5 », qu’il s’agisse de chansons surprises, d’invités spéciaux ou de l’accueil euphorique des fans. Ce caractère viral dépasse le simple cadre des concerts et s’inscrit dans un écosystème digital tentaculaire de clips, réactions, livestreams et analyses. Horton décrit cette dynamique comme une « télé-réalité interactive et en constante évolution6 », transformant chaque date en un nouvel épisode de cette « série » planétaire.

Portée par TikTok, le Eras Tour de Taylor Swift est devenu un objet de fascination globale7. En permettant à des millions d’utilisateurs de « revivre » un concert à travers des vidéos courtes, la plateforme prolonge indéniablement la durée de vie symbolique de l’événement. Paradoxalement, TikTok offre également une possibilité de « pré-vivre » l’événement : les futurs spectateurs, exposés à des extraits partagés en ligne, arrivent au concert déjà imprégnés de son ambiance, de ses moments-clés, et parfois même de ses surprises.

Cette capacité à étendre l’impact temporel et spatial d’un événement comme le Eras Tour s’inscrit dans une économie culturelle nouvelle, où l’accessibilité numérique redéfinit les frontières du live. Ce phénomène démocratise le concert en rendant l’événement accessible à ceux qui ne peuvent pas y assister physiquement. Cependant, cette amplification numérique a un coût symbolique : en fragmentant l’expérience en de multiples clips viraux, TikTok risque de dématérialiser la valeur culturelle du spectacle. Ce qui était autrefois perçu comme un moment unique et éphémère devient un contenu omniprésent, où l’émotion du moment se dilue dans une répétition infinie.

Une redéfinition économique des tournées planétaires 

Cette évolution transforme aussi les dynamiques économiques autour de tels événements. Si le Eras Tour a généré des retombées locales significatives dans chaque ville visitée, TikTok a amplifié cet effet en transformant les concerts en expériences désirables à l’échelle globale. L’entreprise a lancé une expérience in-app intitulée #TSTheErasTour8, pensée comme un prolongement numérique de la tournée, permettant aux fans de vivre cette aventure d’une manière totalement inédite. Cette initiative interactive repose sur une série de défis hebdomadaires et de contenus exclusifs, qui ont permis à des millions de fans, de s’immerger dans l’univers de Taylor Swift. 

Les participants étaient récompensés par des perles numériques et des cadres de profil aux couleurs des albums de Taylor Swift, qu’ils pouvaient collectionner et afficher fièrement sur leur compte. Cette gamification, associée à des contenus exclusifs tels que des vidéos des moments forts de chaque étape de la tournée et des playlists hebdomadaires, a permis de transformer ce qui aurait pu être une simple campagne promotionnelle en une expérience immersive et engageante. L’entreprise a déclaré que le #TSTheErasTour est la première expérience interactive d’artiste in-app, et la plus longue à ce jour9

En somme, les publications virales ont fonctionné comme une publicité gratuite, attirant non seulement les spectateurs, mais aussi les consommateurs d’un vaste écosystème économique. Les tenues inspirées par les looks de Taylor Swift ou les produits dérivés du Eras Tour ont connu un succès fulgurant, propulsant les industries de la mode, du merchandising et du tourisme10. De plus, TikTok a permis aux fans de s’approprier l’événement, en réinterprétant les codes esthétiques de la tournée et en les intégrant dans une narration collective. Sur Etsy, les fans ont dépensé 3 millions de dollars pour des bracelets d’amitié inspirés par le Eras Tour, tandis que des entreprises comme Michaels ont vu leurs ventes de perles bondir de 500%11

L’impact de cette initiative est confirmé par des chiffres impressionnants. Dès les premiers jours de la tournée, TikTok a enregistré 1,9 million de vidéos partagées, et le contenu généré par les fans a rapidement atteint une moyenne de 380 millions de vues quotidiennes, sans jamais descendre en dessous des 200 millions12. Ces données illustrent non seulement l’ampleur de la mobilisation des Swifties, mais aussi la capacité de TikTok à canaliser cette énergie pour maintenir l’intérêt autour de la tournée sur plusieurs mois. 

Source : TikTok, chiffres de janvier 2025

Maintenir l’émerveillement face à l’omniprésence numérique

Mais malgré cette économie florissante, la surmédiatisation peut également engendrer un effet inattendu : une forme de lassitude parmi certains fans. Avec des vidéos TikTok qui dévoilent chaque détail – des setlists aux tenues, en passant par les chorégraphies – l’effet de surprise est considérablement réduit. Cette prévisibilité peut nuire à l’excitation initiale qui caractérisait traditionnellement les concerts, où chaque soir était une découverte. Les critiques de fans exprimant une forme de désintérêt pour le Eras Tour soulignent ce paradoxe : plus l’événement est accessible et documenté, moins il conserve sa capacité à émerveiller. Ce phénomène reflète une tension entre l’hyper-exposition numérique et le caractère unique du live.

Source : Screenshots de Reddit, janvier 2025

Taylor Swift a pourtant astucieusement adapté sa stratégie pour maintenir l’intérêt de sa communauté. En intégrant des éléments de surprise dans chaque performance – des chansons inédites aux changements de costumes, en passant par des annonces stratégiques comme les sorties d’albums – elle a cherché à réintroduire l’imprévu dans un cadre largement documenté à l’avance. Ces décisions témoignent d’une volonté de répondre aux attentes d’un public saturé par l’information, tout en cultivant une forme de rareté émotionnelle. Toutefois, ces ajustements soulignent également une réalité plus large : TikTok, en transformant les concerts en contenus viraux, a redéfini les règles du jeu pour les artistes. Ceux-ci doivent désormais jongler entre la création d’un spectacle cohérent et l’exigence constante de renouvellement pour captiver une audience numérique toujours en quête de nouveauté.

Conclusion

TikTok a considérablement amplifié la portée de l’Eras Tour, en étendant son accessibilité à une audience mondiale et en prolongeant sa durée de vie symbolique. Cette collaboration a permis d’hybrider l’expérience live avec une diffusion numérique massive, soulevant des questions sur la préservation de l’essence artistique. Cependant, la stratégie de Taylor Swift prouve qu’il est possible de concilier ces deux dimensions. Ce cas illustre une transformation profonde dans l’industrie musicale : à l’ère des plateformes numériques, le concert ne se limite plus à une performance sur scène, mais devient un processus évolutif, où le présent s’entrelace avec une projection numérique qui réinvente sans cesse l’expérience pour les fans.

Lylou GAUDRY


  1. « The Eras Tour de Taylor Swift : l’incroyable succès d’une véritable businesswoman. » Caroline Chambon. Challenges. 26 décembre 2024. Disponible sur : https://www.challenges.fr/economie/the-eras-tour-de-taylor-swift-lincroyable-succes-dune-veritable-businesswoman_594848 ↩︎
  2. « La tournée The Eras Tour de Taylor Swift a généré 2 milliards de dollars, un record historique. » Mary Whitfill Roeloffs. Forbes. Traduit par Lisa Deleforterie. 11 décembre 2024. Disponible sur : https://www.forbes.fr/classements/la-tournee-the-eras-tour-de-taylor-swift-a-genere-2-milliards-de-dollars-un-record-historique/ ↩︎
  3. “TikTok has changed how we go to concerts, but is it for the better?” Rebecca Smith. The Michigan Daily. 23 mars 2023. Disponible sur : https://www.michigandaily.com/arts/digital-culture/tiktok-has-changed-how-we-go-to-concerts-but-is-it-for-the-better/ ↩︎
  4. “Impact of the Eras Tour” Wikipédia. 2024. Disponible sur : https://en.wikipedia.org/wiki/Impact_of_the_Eras_Tour ↩︎
  5. Idem. Wikipédia. 2024. ↩︎
  6. Idem. Wikipédia. 2024. ↩︎
  7. “Taylor Swift and the Strategic Genius of the Eras Tour.” Kevin Evens. Harvard Business Review. 06 décembre 2024. Disponible sur : https://hbr.org/2024/12/taylor-swift-and-the-strategic-genius-of-the-eras-tour ↩︎
  8. “TikTok expands Taylor Swift In-App experience to celebrate Taylor Swift – The Eras Tour 2024 dates.”Newsroom TikTok. 20 juin 2024. Disponible sur : https://newsroom.tiktok.com/en-us/tiktok-expands-taylor-swift-in-app-experience ↩︎
  9. “TikTok launches interactive Taylor Swift experience celebrating The Eras Tour.” Mandy Dalugdug. Music Business Worldwide. 20 juin 2024. Disponible sur : https://www.musicbusinessworldwide.com/tiktok-launches-interactive-taylor-swift-experience-celebrating-the-eras-tour1/ ↩︎
  10. « The business of Taylor Swift ». Angel Nemov. Vogue Business. 19 juin 2024. Disponible sur : https://www.voguebusiness.com/story/fashion/the-business-of-taylor-swift ↩︎
  11. Idem. Wikipédia. 2024. ↩︎
  12. “The power of TikTok on a tour.” Jared Naylor. Variety. 13 octobre 2023. Disponible sur : https://variety.com/vip/the-power-of-tiktok-on-taylor-swift-eras-tour-1235752739/ ↩︎

Les rappels de produits – Un retour en arrière systématique ?

Findus – Très à cheval sur la provenance de ses ingrédients ? 

En janvier 2013, en Irlande et au Royaume-Uni, des tests réalisés sur des produits surgelés à base de bœuf produites par la marque Findus révèlent la présence de viande de cheval non déclarée. Le scandale explose et très vite des tests réalisés partout en Europe révèlent la même chose. Findus se voit obligé de procéder à des rappels massifs de produits. Assez vite, l’entreprise se tourne vers ses sous-traitants afin de comprendre l’origine de l’erreur et porte plainte contre ces derniers. Le sous-traitant Comigel met en cause le sous-traitant Spanghero qui accuse elle-même son fournisseur roumain. À la suite de l’enquête, Spanghero sera placée sous liquidation judiciaire, en effet, il est prouvé que les dirigeants de Spanghero étaient au courant de la présence de cheval dans la viande. Depuis, l’ex-directeur de l’entreprise a été condamné à six mois de prison ferme pour son rôle dans l’affaire.

Ce scandale reste l’un des plus scandales de l’industrie agroalimentaire les plus marquants du début de ce 21èmesiècle. Son aspect sulfureux y joue grandement. Lors de cette crise médiatique, les réseaux sociaux ont joué un rôle prépondérant dans la diffusion rapide des informations, tout en agissant à la fois comme un outil d’alerte immédiate mais aussi un catalyseur de réactions en chaîne parmi les consommateurs. Le rôle des réseaux sociaux lors des rappels de produit apparait alors comme un enjeu majeur. Est-ce que les rappels de produits sont toujours un problème si la crise est bien gérée grâce aux réseaux sociaux et de quelle manière les réseaux sociaux sont utilisés pour gérer la perception publique et engager les consommateurs durant une crise.

Le rôle des réseaux sociaux dans les rappels de produits 

Il est possible de parler de rappel de produit dès lors qu’une marque organise le retour d’un produit sur son lieu de production alors que certains exemplaires de ce produit sont déjà entre les mains des consommateurs. L’enjeu de ce type de situation repose sur la rapidité. En effet, si le produit n’est pas conforme, il présente un risque, l’enjeu est d’en informer le plus rapidement les consommateurs afin de limiter les dégâts et les risques sur ces derniers. Le temps est donc l’enjeu principal. Ce qui est intéressant avec les réseaux sociaux c’est qu’étant donné leur nature, ils ont la capacité de jouer ce rôle grâce à leurs capacités de diffusion massive et immédiate de l’information. En d’autres termes, grâce à leur viralité. 

Les rappels de produits sont inévitables, notamment dans l’industrie agro-alimentaire. En effet, le risque zéro étant inexistant malgré les avancées technologiques les rappels de produits sont fréquents. Les réseaux sociaux sont utilisés comme relais d’alertes de produits dangereux comme en témoigne le compte X (anciennement Twitter) @RappelConso, Twitter officiel de la République Française. Ainsi, les réseaux sociaux sont un vaisseau important des rappels de produits, notamment les réseaux qui ont une portée informationnelle, comme X (anciennement Twitter) qui est considéré comme une plateforme de micro-blogging. 

Néanmoins, tous les rappels de produits ne sont pas à l’origine d’une crise médiatique. En effet, les rappels de produits sont fréquents mais tous ne déclenchent pas de scandale. Ainsi quand nous pensons à de récents scandales alimentaires, nous pensons aux pizzas de la marque Buitoni qui ont tué deux enfants début 2022 à cause d’une contamination de bactéries mais peu d’entre nous aurons en tête le rappel de produit du Fromage de Bergues pour présence de listeria monocytogènes.

Quand la gestion de la crise galope vers le chaos 

Au début de sa crise médiatique Findus opte pour une stratégie opaque, peu d’informations sont fournies et cela laisse place à des dérives. Ainsi au début du mois de février 2013 le compte @Findus_France est créé sur X (appelé Twitter à l’époque). Dans un premier temps, une communication plutôt rassurante y est menée. Les tweets indiquent que des contrôles sur les matières premières sont menés et des engagements sont faits sur la qualité et la traçabilité des produits. Très vite, le contenu des tweets change drastiquement et menace les comptes Twitter de particuliers. Les tweets prennent alors tous la même forme « @xxx retirer ce contenu illicite sous peine de poursuites judiciaires. ». Le compte sera rapidement suspendu après une plainte de la part de Findus indiquant qu’ils ne sont pas à l’origine de la création de ce compte. Néanmoins, si cette situation a eu lieu c’est bien car la marque Findus n’a pas communiqué lors de ce début de crise, est restée floue et n’a pas investi tous les réseaux sociaux. L’e-réputation de la marque en prend un coup. 

L’enjeu de l’e-réputation

L’e-réputation se définit comme l’opinion commune sur le Web d’une marque. L’e-réputation est l’identité de la marque telle qu’elle est perçue par les internautes.  

Très vite, ayant compris l’importance de l’e-réputation sur les réseaux sociaux, Findus embauche une société spécialisée dans l’e-réputation, Reputation Squad et procède à un « nettoyage du web ». En effet, la page Wikipédia de la marque est modifiée, la page officielle Facebook est vidée. Cependant, ce type de communication n’est pas forcément plus efficace. Ne pas mentionner le scandale et chercher à l’effacer ont souvent l’effet totalement inverse.  Ce concept est assez connu et porte un nom et c’est l’effet Streinsan. C’est l’idée qu’essayer à tout prix d’interdire la circulation d’une information ne fait qu’apporter de l’attention et la visibilité sur cette dernière. Ainsi, à l’inverse de ce qui peut parfois sembler logique, communiquer de manière claire sur un scandale permet de diminuer son ampleur. En effet, en l’absence de spéculation, quand la situation est assumée et transparente, cela affaiblit la viralité d’un évènement.

Une communication loin d’être glaciale

Nous pouvons comparer la gestion de cette crise médiatique avec cella de Blue Belle Ice Cream qui a été détaillée par Kelsi Opat, Haley Magness et Erica Irlbeck. En 2015, toutes les crèmes glacées de cette marque sont rappelées à cause d’une contamination à la bactérie listeria. La réaction immédiate de la marque est différente de celle de Findus. En effet, dès le début la marque poste sur son compte Facebook des messages contenant des informations sur le rappel et le réapprovisionnement des produits. 

Ces messages à destination des consommateurs mais également des consommateurs potentiels ont créé un sentiment de confiance et de transparence vis-à-vis de la marque. Ainsi, en assumant l’entière responsabilité du problème, Blue Bell Ice Creal créé un sentiment de loyauté et de responsabilité. À l’inverse, la réaction initiale de Findus a été de rejeter la faute sur ses fournisseurs au lieu de prendre tout de suite ses responsabilités. Ce type d’action créé une perte de confiance. 

Nous pouvons dès lors supposer qu’à la différence de Findus, Blue Bell Ice Cream avait une ligne éditoriale claire en cas de rappels de produits et ou de scandale médiatique. Le cas de Blue Bell Ice Cream est encore plus intéressant car la marque a profité de cette crise médiatique pour se rapprocher de ses consommateurs en répondant à leurs questions et en mettant en avant ses employés. Cette stratégie a payé, ainsi en 2016, la marque procède à un rappel de produit spontané, c’est-à-dire un rappel de produit sans que le danger ait été avéré, sur la base d’un danger potentiel. La marque communique cette information sur Facebook qui est accueillie chaleureusement par ses consommateurs comme l’en témoignent les images ci-dessous. 

Ainsi, un rappel de produit n’est pas une fin en soi pour une entreprise, cela peut même être l’occasion pour une marque de développer une image de marque responsable, transparente et engagée. Ainsi même si plus d’une dizaine d’années après le scandale médiatique pour Findus, l’entreprise continue de prospérer, la crise médiatique de la viande de cheval n’a pas été correctement gérée et aurait pu l’être si Findus avait anticipé ce risque potentiel.  

Ce qu’il est important de retenir c’est qu’un rappel de produit peut arriver à n’importe quelle marque et qu’il est important de créer une ligne éditoriale sur les réseaux sociaux claire en amont. Le but étant de pouvoir réagir le plus vite possible et au mieux tout en étant honnête et transparent. 

Chloé Bordenave


 

« Community Notes » sur Twitter : un outil efficace contre les fausses informations ?

En octobre 2023, suite à l’attaque du Hamas contre Israël, la Commission européenne, ainsi que l’Arcom, a adressé un avertissement à la plateforme de réseaux sociaux Twitter, désormais connue sous le nom de X. L’intervention des autorités visait à modérer la diffusion de contenu inapproprié lié à cet événement, incluant de nombreuses vidéos, images et informations fallacieuses. La mise en garde de la Commission européenne et de l’Arcom à l’encontre de X, s’inscrit dans une continuité réglementaire. En effet, cette intervention n’était pas la première du genre. Déjà en octobre 2022, peu après le rachat de la plateforme par Elon Musk, l’Arcom avait rappelé à X ses obligations légales concernant la modération des contenus en ligne. Ces rappels successifs soulignent l’attention accrue des autorités régulatrices sur les pratiques de modération des réseaux sociaux, particulièrement dans le contexte de gestion des crises et de la désinformation.

La lutte contre la désinformation s’intensifie, confronté à des obstacles majeurs tels que la prolifération rapide de nouveaux contenus et la difficulté à discerner le vrai du faux. Cet enjeu, qui doit aussi ménager un équilibre délicat entre la liberté d’expression et la nécessité de limiter la propagation de contenus illicites ou préjudiciables, pousse les plateformes à innover dans leurs approches. En réponse à cette complexité croissante, plusieurs d’entre elles ont récemment adopté des stratégies de modération participative, invitant les utilisateurs à jouer un rôle actif en signalant les publications susceptibles de transgresser leurs règles. L’une des méthodes de modération les plus notables est celle mise en œuvre par la plateforme X : les Notes de la communauté. Initialement testée aux États-Unis en 2021, cette approche a été adoptée à grande échelle à l’international suite à l’acquisition de la plateforme par Elon Musk.

Qu’est qu’une note de communauté et comment cela fonctionne ?

Les notes de communauté sur Twitter (X), un outil novateur de modération participative, visent à lutter contre la désinformation en permettant aux utilisateurs de la plateforme de contribuer à la vérification des faits. Ce système fonctionne grâce à l’engagement collaboratif des membres de Twitter (X), qui peuvent apposer des annotations sur les tweets qu’ils jugent trompeurs ou inexacts. Ces notes sont ensuite visibles par tous, offrant un contexte additionnel qui aide les autres utilisateurs à mieux interpréter les publications.

Le fonctionnement est relativement simple : une fois qu’un tweet est signalé, il est examiné par des contributeurs qui évaluent son exactitude. Si une note est approuvée par suffisamment de vérificateurs, elle est publiée sur le tweet en question, offrant ainsi une forme de validation ou de correction publique. Cette méthode vise non seulement à décourager la diffusion de fausses informations, mais aussi à encourager une culture de la transparence et de la responsabilité parmi les utilisateurs.

L’impact de ces notes se manifeste particulièrement dans les domaines sensibles comme la politique et la publicité. Par exemple, lorsqu’un politicien prétend à tort que les écoles françaises ont historiquement exigé le port de l’uniforme, une note basée sur des sources fiables, telles que des articles de presse vérifiés, peut corriger cette affirmation. De même, dans le cas des conditions d’utilisation d’un réseau social, les notes peuvent clarifier des malentendus courants en s’appuyant sur des documents officiels ou des archives web pour démontrer que certaines pratiques, comme l’utilisation des contenus des utilisateurs, étaient déjà en place bien avant leur mention récente.

Les publicités ne sont pas épargnées par cette vérification ; des notes ciblent souvent des annonces prétendant des bénéfices exagérés ou pratiquant le « dropshipping » sans transparence. Ces interventions permettent de protéger les consommateurs contre des pratiques commerciales douteuses, en exposant la réalité derrière des offres trop alléchantes pour être vraies.

Parfois, le zèle des contributeurs peut mener à ce que certains considèrent comme du « pinaillage » — des corrections de détails minuscules qui, bien que techniquement corrects, peuvent sembler excessifs. Cependant, même ces interventions minimes jouent un rôle dans l’élaboration d’un discours en ligne plus précis et mesuré, reflétant la mission de la plateforme d’encourager une communication honnête et informée.

Des limites à considérer…

Les Notes de la communauté de Twitter (X), bien qu’efficaces dans la lutte contre la désinformation, rencontrent cependant des limites inhérentes à leur popularité et à leur mode de fonctionnement. Prévues pour enrichir le débat public par des corrections et des clarifications, ces notes sont parfois victimes de leur propre succès. En effet, leur usage excessif tend à diluer leur impact, transformant potentiellement un outil de vérification en un moyen de surinformation.

Un autre problème réside dans leur structure même : rédigées et évaluées par les utilisateurs via un système de votes, les Notes de la communauté peuvent être manipulées par des groupes organisés. Ces derniers, agissant de concert, peuvent influencer la visibilité des corrections, en promouvant ou en supprimant des notes selon leurs intérêts, qu’ils soient politiques ou autres. Cette dynamique peut compromettre l’objectivité et la neutralité des informations, permettant à certaines vérités factuelles de se retrouver injustement écartées ou à des narratifs biaisés de prévaloir.

Les notes de la communauté de Twitter (X) sont-elles efficaces ?

Dans une étude récente, des chercheurs de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de HEC Paris ont examiné l’efficacité des Notes de la communauté de Twitter (X),. L’objectif était de déterminer si ajouter des annotations contextuelles à des tweets potentiellement trompeurs pourrait réduire leur viralité.

L’analyse s’appuie sur une base de données de quelque 285 000 notes collectées via le programme de Notes de la communauté de Twitter (X). Les résultats montrent une réduction notable de la diffusion des tweets annotés. Concrètement, la présence d’une note diminue de presque 50% le nombre de retweets. De plus, les tweets avec notes ont 80% plus de chances d’être supprimés par leurs auteurs, un indicateur que les utilisateurs reconsidèrent peut-être le contenu partagé en présence de contexte supplémentaire.

Cependant, l’étude révèle aussi une limitation majeure : l’efficacité des notes est fortement dépendante de leur rapidité de publication. Avec un délai moyen de 15 heures avant qu’une note ne soit publiée, la plupart des tweets atteignent déjà une large audience avant que l’intervention n’ait lieu, ce qui limite l’impact global du programme.

Face à ces constatations, les chercheurs recommandent une mise en œuvre plus rapide des notes pour améliorer leur efficacité. Ils soulignent que, bien que la modération de contenu pilotée par la communauté montre un potentiel certain, sa capacité à contrer efficacement la propagation de fausses informations est entravée par les retards dans l’application des annotations.

Cette étude vient enrichir le débat sur les stratégies de modération de contenu sur les réseaux sociaux, en démontrant l’importance de la rapidité et de la précision dans les interventions visant à réduire la diffusion de l’information trompeuse. Les résultats encouragent d’autres plateformes à envisager des approches similaires, tout en soulignant la nécessité d’améliorations technologiques et organisationnelles pour maximiser leur impact.

Quel avenir pour ces Notes de la communauté ?

En matière de régulation et d’impact sociétal, les Notes de communauté émergent comme un modèle potentiel pour d’autres plateformes désireuses de responsabiliser leurs utilisateurs dans le combat contre la désinformation. Ce système de modération participative pourrait bien servir de référence pour les législateurs et les organismes de régulation, à l’heure où s’esquissent de nouvelles législations sur la gestion des contenus numériques tels que le Digital Service Act. L’efficacité croissante de cette méthode, sous réserve de certaines améliorations essentielles, la positionne comme un futur standard industriel susceptible d’améliorer la transparence et l’intégrité des informations partagées sur les réseaux sociaux. Malgré les défis présents, l’évolution des Notes Communautaires pourrait marquer un tournant dans les pratiques de modération en ligne, s’inscrivant dans une démarche collective vers des espaces numériques plus fiables et véridiques.

Si Hao Li

Bibliographie et sitographie

https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/sur-twitter-x-une-montee-de-la-desinformation-depuis-lattaque-du-hamas-1986245

https://www.radiofrance.fr/franceinter/avec-les-notes-de-communaute-twitter-x-marche-sur-les-pas-de-wikipedia-8574656

https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/vrai-ou-faux-les-community-notes-du-reseau-social-x-luttent-elles-efficacement-contre-la-desinformation_6051188.html

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/veille-sanitaire/veille-sanitaire-du-jeudi-31-aout-2023-8788843

https://www.bloomberg.com/graphics/2023-israel-hamas-war-misinformation-twitter-community-notes

https://theconversation.com/les-utilisateurs-de-x-doivent-lutter-seuls-contre-la-desinformation-qui-y-sevit-216779

Casilli, A. A. (2019). En attendant les robots-Enquête sur le travail du clic. Média Diffusion.

Chuai, Y., Tian, H., Pröllochs, N., & Lenzini, G. (2023). The Roll-Out of Community Notes Did Not Reduce Engagement With Misinformation on Twitter. arXiv preprint arXiv:2307.07960.

Renault, T., Amariles, D. R., & Troussel, A. (2024). Collaboratively adding context to social media posts reduces the sharing of false news. arXiv preprint arXiv:2404.02803.

Boeing, une communication qui bat de l’aile

Depuis le début de l’année, Boeing traverse une crise sans précédent suite aux incidents qu’ont subi un de ses modèles d’avion commercial, amplifiée par les réseaux sociaux. Retour sur la stratégie de communication de l’avionneur, qui doit faire face à des conséquences économiques lourdes et une réputation difficile à restaurer.

Photo prise par un internaute lors du vol de l’Alaska Airlines entre Portland et Ontario

L’image a fait le tour des réseaux sociaux : le 5 janvier dernier, lors d’un vol de l’Alaska Airlines reliant Portland et Ontario, une porte s’est détachée de la carlingue de l’avion, provoquant la dépressurisation de l’avion et la panique des passagers. Le modèle d’avion concerné, un Boeing 737 Max 9, n’en est cependant pas à sa première défaillance. En effet, on recensait déjà des incidents avec ce même modèle depuis plusieurs années, dont notamment deux crashs en 2018 et 2019, faisant près de 350 morts.

Un déjà-vu communicationnel qui ne porte pas ses fruits

Face aux images qui se sont diffusées très rapidement sur les réseaux sociaux, Boeing a dû entrer en gestion de crise, et actionner plusieurs leviers de communication. Chacun des réseaux sociaux de l’entreprise a été mobilisé de manière différente, et force est de constater que les modes de communication ont été particulièrement disparates.

C’est sur X (anciennement Twitter) que la réaction a été la plus rapide : la compagnie a pu informer ses clients en temps réel sur la situation, et rendre compte de ses actions.

Boeing a radicalement adapté sa communication habituelle, adoptant un ton formel et partageant régulièrement communiqués de presse et mises à jour sur les enquêtes en cours ainsi que les différents remaniements organisationnels. Toutefois, cette stratégie communicationnelle du direct et de la transparence n’a pas été adoptée sur tous les médias sociaux de Boeing. Sur Facebook par exemple, où l’entreprise a un rythme de publication plus élevé et met en avant des contenus plus authentiques et personnels, la réaction a été bien différente. Boeing n’a pas mis en pause sa stratégie de communication habituelle, et a continué à publier sur l’ensemble de ses activités. Seulement les premières mises à jour concernant la crise ont été relayées, contrairement aux communiqués de presse qui se sont vus oubliés.  

C’est finalement sur Instagram que la communication de crise a été la plus légère. Aucune publication au lendemain des évènements, Boeing a attendu plusieurs mois pour mettre en avant sa nouvelle politique de contrôle qualité renforcé.

Dans un monde interconnecté, ces différences de transparence n’ont pas été suffisantes pour effacer et limiter la viralité de la crise sur certains réseaux : les commentaires des internautes restent les mêmes, et demandent tous à Boeing de rendre des comptes sur les différentes affaires en cours. Une stratégie de communication de crise qui n’a par ailleurs pas beaucoup changé depuis la crise du 737 Max 8 en 2019 : l’entreprise avait mis en œuvre les mêmes mécanismes, affichant déjà des faiblesses dans sa gestion de crise.  

Les médias sociaux ont permis un renversement de pouvoir pour les consommateurs. La culture de l’immédiateté, permise techniquement par les réseaux sociaux, a grandement fait évoluer les stratégies de gestion de crise. Les entreprises, exposées à l’enjeu du direct et à une époque où les informations se diffusent quasi instantanément, se doivent de développer un sens accru de la réactivité. Et contrairement aux médias traditionnels, elles doivent également faire face aux réactions des internautes, dont la parole peut se placer sur un pied d’égalité avec les marques, voire totalement la surpasser lorsqu’elle se massifie. Il suffit de regarder n’importe quelle publication de Boeing, en rapport ou non avec les 737 Max 9, pour s’apercevoir du poids des critiques perpétuelles que reçoit l’avionneur. L’enjeu de l’urgence de la gestion de l’information se pose d’autant plus qu’il est particulièrement complexe de démentir des informations devenues virales. Comment se dépêtrer des accusations de négligence en matière de sécurité, quand les images et les témoignages des internautes sont ceux qui font les audiences les plus fortes ? D’autant plus que dans un secteur comme l’aviation, qui fait déjà l’objet de peurs irrationnelles et de récits sensationnalistes, il est plus difficile qu’ailleurs de rétablir une confiance aussi gravement atteinte et imagée.   

Une crise de résolue, dix de plus à affronter

En gestion de crise, admettre fait partie des principales stratégies dont une entreprise dispose pour tenter de se sortir d’affaire. Bien que reconnaître une faute ne soit pas un comportement toujours inné, il se fonde ici sur un principe de la théorie des jeux : l’admission de la crise est motivée par le pari d’une réduction du temps d’exposition médiatique d’une affaire, évitant dès lors la multiplication d’investigations journalistiques et judiciaires. Pari raté pour Boeing.

Quelques jours après le premier incident d’Alaska Airlines, d’autres vols se voient perturbés par des pannes, des dysfonctionnements et des défaillances du Boeing 737. Début mars, la porte de la soute d’un avion est retrouvée ouverte à l’atterrissage, Boeing ayant essayé de dédouaner la responsabilité du modèle d’avion. Un autre Boeing 737 perdra une roue en plein vol peu après, dans un énième épisode d’une crise fortement relayée qui ne semble que s’alourdir, sans aucune autre issue de sortie que mettre en œuvre des contrôle de qualité renforcé. L’anxiété générale se voit d’autant plus amplifiée quand John Barnett, ancien salarié de Boeing et lanceur d’alertes au sujet des processus de production insécures de l’entreprise, est retrouvé mort peu après des auditions contre son ancien employeur, contre qui il avait intenté une action en justice pour un départ à la retraite prématuré.

L’accumulation des crises a eu raison de la position de Dave Calhoun, CEO de Boeing, qui s’est vu contraint de démissionner, preuve de l’ampleur de la crise et de la menace réputationnelle qui pèse sur l’entreprise et ses responsables. « Nous devons continuer à réagir à cet accident avec humilité et une transparence totale. Nous devons également faire preuve d’un engagement total en faveur de la sécurité et de la qualité à tous les niveaux de notre entreprise. », déclarait-t-il dans une lettre adressée aux employés de la compagnie. Et bien que l’annonce de son départ et des futures restructurations organisationnelles à venir dans l’entreprise ait pu désamorcer en partie la crise, l’annonce du bonus de départ de 24 millions de dollars de Dave Calhoun, qui a provoqué de fortes réactions négatives, relève encore une fois d’une faute dans la stratégie communicationnelle de Boeing, qui semble peiner à sortir d’un cercle vicieux pour sa réputation.  

Le cours de l’action Boeing en chute libre

Mais les défaillances sécuritaires de Boeing n’ont pas seulement entaché la réputation de l’aviateur auprès des consommateurs, puisqu’elles ont également brisé la confiance des actionnaires de l’entreprise. Les internautes, par le biais de leur prises de position massives et virales influencent les investisseurs plus qu’auparavant, grâce à leur pouvoir d’action sur la réputation d’une entreprise. Bien que la tendance globale du cours de l’action Boeing ait été à la baisse, les moments de chute libre qu’on peut observer correspondent parfaitement aux différentes crises qu’a connu l’entreprise récemment. Depuis le début de l’année, la valeur de l’action de Boeing a chuté de 29%, en faisant une des compagnies les moins performantes du S&P 500, de quoi déplaire aux investisseurs.

Comparaison du cours des actions Boeing et Airbus depuis novembre 2023

Une dégradation qui bénéficie d’ailleurs grandement à son concurrent européen de toujours, Airbus, qui a vu le cours de son action augmenter de 30% en l’espace de six mois. Les compagnies aériennes, principales clientes de Boeing, subissent de plein fouet cette crise et les nombreux contrôles de sécurité, gardant à terre une partie de leur flotte.

Pour Boeing, le chemin vers la restauration de sa réputation semble être un marathon semé d’embûches, où chaque pas vers la transparence et l’amélioration de la sécurité est crucial. L’avenir de l’aviateur américain dépendra de sa capacité à assurer une rigueur sans faille dans chaque aspect de sa production tout en montrant que les restructurations organisationnelles ne sont pas qu’un simple geste communicationnel.

Barbara S.

Autres références

  • MANGA, Xavier, 2018. La communication de crise à l’ère des médias socionumériques
  • Wiertz, Nathan ; Philippe, Clément. Gestion de crise en entreprise : étude du cas de Boeing lors de la crise du 737 MAX et de l’effet des stratégies sur les médias. Louvain School of Management, Université catholique de Louvain, 2021

Structuration, conception et animation des réseaux sociaux : l’avenir de la sociabilité numérique dans nos sociétés.

À l’ère de l’information numérique et de la communication instantanée, les réseaux sociaux sont au cœur de nos modes de vie. Espace virtuel de partage, ils nous permettent d’interagir sur Internet en partageant photos, vidéos, opinions, idées où un certain nombre d’évènements de la vie quotidienne. Si des géants comme Facebook, Instagram, Snapchat où Twitter dominent le paysage, ils sont néanmoins source de vives critiques qui fragilisent leur hégémonie. Une vague de plateformes alternatives, comme BeReal, Mastodon, ou des réseaux plus spécialisés tels que Truth Social et Parler, commencent ainsi à émerger. Cette diversification suggère un futur où la sociabilité numérique pourrait prendre des formes variées pour mieux répondre aux besoins spécifiques de ses utilisateurs.

Les réseaux sociaux, vers le début d’une nouvelle ère ?

L’intégration des réseaux sociaux sur Internet remonte au début du XXIème siècle avec la mise en service de Sixdegrees.com en 1996 puis quelques années plus tard de Meta (anciennement Facebook) en 2004 et de Twitter en 2006. Initialement, ces derniers furent mise en place pour donner la possibilités aux utilisateurs de combiner les interactions personnelles avec la communication de masse. Cela permettait ainsi à ces derniers de pouvoir converser avec des amis, partager des photos personnelles ou des moments de vie privée tout en ayant la possibilité de diffuser des messages à un plus large public.

Même si l’objectif n’a concrètement pas changé, la priorité de ces plateformes à trouver des sources de revenus et un modèle économique stable les a poussé à transformer leurs mode de fonctionnement. Si il est toujours possible de voir les publications de ses amis, de les commenter où de converser à travers des groupes ou des messageries privées, une partie de notre temps d’écran sur ses plateformes est désormais centré vers de courtes vidéos d’inconnus ou de médias sociaux, soigneusement choisi selon notre profil.

L’algorithme plutôt que le social ?

Dans la course effrénée pour maximiser l’engagement des utilisateurs, les réseaux sociaux ont progressivement accordé une place prépondérante à des algorithmes de plus en plus sophistiqués. Conçus pour analyser et prédire les préférences des utilisateurs, ils façonnent désormais le contenu que chacun voit sur son fil d’actualité. À l’origine, l’idée était de rendre l’expérience utilisateur plus personnalisée et pertinente, cependant, cette personnalisation a peu à peu glissé vers une logique de maximisation du temps passé sur les plateformes. En effet, les algorithmes tendent à privilégier le contenu susceptible de provoquer des réactions immédiates et répétées, telles que les vidéos virales ou les posts polarisants. Ce phénomène a ainsi réduit la visibilité des interactions plus personnelles et significatives au profit de contenus souvent superficiels et divertissants. Cette transformation a eu un impact direct sur la nature des échanges sur les réseaux sociaux, déplaçant l’axe central de « social » à « spectacle », où les utilisateurs sont guidés vers un flux continu de contenus optimisés pour capter leur attention.

Un temps d’écran qui ne cesse d’augmenter

Commençons d’abord par mettre du relief dans nos propos. Aujourd’hui, le temps d’écran sur les smartphones consomment en moyenne un quart des heures d’éveil par individu. À leur tour, le temps passé sur les réseaux sociaux correspond environ à la moitié du temps d’écran des téléphones portables. En prenant des journées de 15h, nous passons donc en moyenne pas moins de 2h de notre temps quotidien sur ces plateformes.

L’augmentation du temps d’écran est une conséquence directe de l’efficacité des algorithmes des réseaux sociaux à capturer et à retenir l’attention des utilisateurs. Cette stratégie est doublement bénéfique pour les plateformes : elle augmente à la fois le volume de publicités vues et la quantité de données collectées sur les préférences et comportements des utilisateurs.

Plus les individus passent de temps en ligne, plus ils sont susceptibles de réagir à des contenus variés, enrichissant ainsi les bases de données qui alimentent les algorithmes. Cette boucle de rétroaction crée un environnement où les utilisateurs sont incités à consommer toujours plus de contenu, souvent au détriment de leur bien-être.

Plusieurs études ont par la suite vivement critiqué le fonctionnement des réseaux sociaux en montrant que l’excès de temps passé sur les réseaux sociaux peut mener à des sentiments d’isolement social, d’anxiété, et de dépression, surtout chez les jeunes. (dès 2014, es chercheurs de l’université de Pittsburgh (Pennsylvanie) se sont intéressés à cette relation, publiant leurs résultats dans l’American journal of preventive medicine.)

Les réseaux sociaux au cœur de la désinformation

La structure même des réseaux sociaux crée un environnement propice à la diffusion rapide de « fake news ». Ces dernières se propagent en effet facilement en utilisant la tendance des algorithmes à favoriser les contenus qui génèrent de l’engagement, qu’il s’agisse de likes, de partages ou de commentaires. Le problème est d’autant plus important du fait les utilisateurs viennent à être enfermer dans des bulles informationnelles, où ils sont principalement exposés à des opinions et des faits qui renforcent leurs croyances préexistantes. Cela limite l’exposition à des perspectives diverses mais renforce également les préjugés. Les plateformes de réseaux sociaux sont ainsi devenues des acteurs puissants dans la configuration du discours public, avec une capacité sans précédent à influencer tant les individus que les dynamiques sociétales et politiques à grande échelle.

Une diversification du réseau social traditionnel

Structuration des réseaux sociaux alternatifs :

De nouveaux réseaux sociaux cherchent à se différencier des « géants du web » en adoptant des structures qui favorisent la décentralisation et l’autonomie des utilisateurs. Ces plateformes, telles que Mastodon ou diaspora*, utilisent des architectures fédérées ou distribuées où les serveurs opèrent de manière indépendante, permettant aux communautés de gérer leurs propres espaces tout en restant connectées au réseau global. Cette structure offre plusieurs avantages notables :

D’abord, elle permet de favoriser la protection des données personnelles : Contrairement aux modèles centralisés, où les données des utilisateurs sont stockées sur des serveurs uniques et contrôlés par une seule entité, les réseaux décentralisés stockent les informations de manière distribuée. Chaque « nœud » ou instance dans le réseau a son propre contrôle sur les données qu’il héberge, réduisant ainsi les risques liés à la surveillance massive et aux fuites de données.

Les réseaux décentralisés ne dépendent également pas d’un serveur central, ce qui les rend moins susceptibles aux pannes massives. Permettant une plus grande modularité, les utilisateurs peuvent choisir les instances ou les services qui correspondent le mieux à leurs besoins et valeurs.

Enfin, qui dit réseau social décentralisé implique que les utilisateurs ou les communautés qu’ils forment ont souvent un mot à dire sur la gouvernance du réseau. Cela peut inclure des décisions sur les politiques de modération, les mises à jour des fonctionnalités ou même le code source du réseau lui-même, souvent géré de manière open source.

Création de contenu et engagement communautaire

Animer un réseau social alternatif nécessite une approche qui balance l’engagement des utilisateurs avec le respect de leur autonomie et de leur vie privée. Pour se faire, encourager les utilisateurs à créer et partager du contenu reste un point vital. La modération est aussi un défi majeur. En adoptant des approches de modération communautaire où les règles et les décisions de modération sont prises collectivement par les utilisateurs ou par des modérateurs élus, les réseaux alternatifs affirmeraient la transparence dans leurs processus. Les technologies comme la blockchain et les contrats intelligents (smart contracts) offrent des possibilités nouvelles pour les réseaux sociaux alternatifs, notamment en termes de gestion sécurisée des identités numériques favorisant les transactions au sein de la communauté.

Défis et perspective d’avenir

Bien que prometteurs, les réseaux sociaux alternatifs rencontrent plusieurs défis. D’abord, ces réseaux ont des difficultés pour atteindre une masse critique d’utilisateurs, essentielle pour que le réseau soit vivant et attractif. Les crises de confiance affectant les grandes plateformes pourraient cependant inciter les utilisateurs à rechercher des alternatives aux réseaux actuels. Ensuite, il y a le défi de l’interopérabilité, c’est-à-dire la capacité des différents réseaux décentralisés à fonctionner ensemble de manière fluide. Enfin, le défi économique reste prépondérant : trouver un modèle viable financièrement sans compromettre les principes éthiques et la protection des données est crucial.

Antoine MANTEL

Références
– SiecleDigital (2023, Mars 16) – Jeremy Lipp – 2023, le début de la fin des réseaux sociaux ? https://siecledigital.fr/2023/03/16/2023-debut-de-la-fin-reseaux-sociaux
– FashioNetwork (2023, Mai 2) – AFP Relaxnews – Mode et réseaux sociaux: la fin de la lune de miel ? https://fr.fashionnetwork.com/news/Mode-et-reseaux-sociaux-la-fin-de-la-lune-de-miel-,1505240.html
– LeNouvelEconomiste (2023, Février 15) – The Economist – La fin annoncée des réseaux sociaux https://www.lenouveleconomiste.fr/la-fin-annoncee-des-reseaux-sociaux-110114/
– Forbes (2018, Août 20) – Sabah Kaddouri – Réseaux Sociaux, Le Début De La Fin ?https://www.forbes.fr/technologie/reseaux-sociaux-le-debut-de-la-fin
– RennaissanceNumérique (Non daté) – Léa Roubinet – Réseaux sociaux décentralisés : vers un Web3 éthique ?https://www.renaissancenumerique.org/publications/reseaux-sociaux-decentralises-vers-un-web3-ethique

Le phénomène Telegram, à la fois messagerie et réseau social : un concurrent sérieux pour Meta ?

Quelles sont ses forces, ses faiblesses et les possibilités de son évolution future ?

Telegram ne se limite pas à être une application de messagerie instantanée qui compte plus de 900 millions d’utilisateurs actifs mensuels. C’est également un réseau social prometteur, en passe de devenir un sérieux concurrent pour les plateformes Meta. En outre, Telegram est une société privée totalement possédée par son fondateur. L’entreprise compte seulement 30 ingénieurs et ne possède pas de département des ressources humaines. Telegram mise sur la qualité et la fiabilité de ses services plutôt que sur le marketing pour attirer et fidéliser ses utilisateurs. La société s’engage aussi à préserver une impartialité politique.

Telegram a été développé en 2013 par les frères Pavel et Nikolaï Dourov. L’accent principal a été mis sur la transmission sécurisée des données grâce à l’utilisation du protocole cryptographique MTProto, qui assure un chiffrement de bout en bout, du serveur à l’utilisateur pour les chats standards, et d’utilisateur à utilisateur pour les chats secrets. Pendant longtemps, Telegram fonctionnait sans modèle de monétisation. Pendant ce période, il était financé par son PDG Pavel Dourov. En 2015 Durov a admit que le fonctionnement de Telegram lui coûtait 12 millions de dollars par an. 

Aujourd’hui, Telegram dispose de deux principales sources de monétisation : l’abonnement premium et la publicité. L’introduction de méthodes de monétisation n’a pas détérioré l’expérience utilisateur. La version premium offre seulement un petit ensemble de fonctionnalités supplémentaires, telles que la déchiffrement de messages audio et vidéo en texte et la possibilité d’interdire aux autres utilisateurs d’envoyer des messages vocaux. La publicité apparaît uniquement dans des chaînes publiques sous forme de courts messages textuels. Les publicités sont clairement indiquées et ne peuvent être confondues avec le contenu.

Examinons d’autres fonctionnalités qui distinguent Telegram de ses concurrents. D’abord, Telegram n’est pas seulement une messagerie instantanée, mais aussi un réseau social grâce à ses chaînes. Une chaîne Telegram est un outil de communication unidirectionnelle, mais les utilisateurs peuvent laisser des réactions et des commentaires. L’utilisation des chaînes est pleinement intégrée dans l’interface utilisateur : les messages des chaînes arrivent comme de simples messages privés. Il est à noter que Telegram n’utilise pas de système de recommandation : les utilisateurs voient sur la page principale uniquement les chaînes auxquels ils sont abonné, et elles s’affichent dans l’ordre chronologique des dernières publications. Cela permet d’éviter que des chaînes moins populaires mais importants pour l’utilisateur ne se perdent dans le flux de nouvelles.

Une autre caractéristique remarquable de Telegram est son stockage cloud gratuit. Tant que le compte reste actif, tous les fichiers, photos, audios et vidéos sont sauvegardés sans limitation de volume. L’application elle-même ne nécessite pas plus de 100 Mo de mémoire, et le cache peut toujours être nettoyé via le menu principal.

Telegram offre également de vastes options pour la gestion de l’envoi de messages : il est possible de programmer l’envoi, d’envoyer des messages sans notification ou de créer des messages qui s’auto-détruisent. Les utilisateurs peuvent aussi interdire la retransmission de leurs messages.

Le code de Telegram et son API sont ouverts aux développeurs. Il existe également une API pour les chat bots. Les possibilités d’interaction avec les chat bots sont presque illimitées, allant de la création de stickers à partir de photos au paiement de services, en passant par l’intégration avec des outils comme Chat GPT et Midjourney. Un chat bot ressemble à n’importe quel autre chat, l’interaction reste simple et intuitive. 

Une autre fonctionnalité utile de Telegram est la possibilité de remplacer le numéro de téléphone enregistré sur le profil par un pseudonyme. Les utilisateurs peuvent également être recherchés par ce pseudonyme, ce qui ajoute une couche de confidentialité et permet de garder le numéro de téléphone mobile secret.

Telegram possède de nombreuses fonctionnalités utiles, mais l’une des plus importantes est la présence de chats secrets, où le chiffrement de bout en bout va d’un utilisateur à l’autre. Cela signifie que les messages sont stockés uniquement sur les appareils des participants au dialogue. Pourquoi alors tous les chats ne sont-ils pas chiffrés de cette manière par défaut ? La raison en est que si l’appareil est perdu, les données des chats secrets ne peuvent pas être récupérées, et il n’est pas possible de se connecter à ces chats à partir de différents appareils via un seul compte. 

Selon DataAI, Telegram se classe actuellement sixième parmi les applications les plus utilisées dans le monde. Cette popularité attire inévitablement l’attention des services de sécurité nationaux de différents pays ainsi que de grandes corporations comme Google et Apple, qui cherchent à exercer un contrôle sur la plateforme. Apple menace parfois de retirer Telegram de l’AppStore et entrave ses mises à jour, tandis que Google a bloqué la technologie de domain fronting, qui constituait une protection importante pour le messager contre les blocages. Comment Telegram réussit-il à rester indépendant et à maintenir sa neutralité?

Premièrement, Telegram appartient à son fondateur, ce qui lui permet de prendre des décisions indépendantes sans ingérence extérieure. Deuxièmement, le siège de Telegram est basé aux Émirats Arabes Unis, un pays connu pour sa neutralité politique.

La pandémie de COVID-19 a révélé l’ampleur de la liberté offerte par Telegram, se manifestant par sa gestion de la communication durant cette période critique. Telegram est devenu l’un des rares réseaux sociaux à ne pas censurer les publications critiques sur les mesures de lutte contre le virus et la vaccination. La plateforme a collaboré activement avec les canaux gouvernementaux pour diffuser des informations officielles sur les mesures prises, mais n’a pas bloqué les voix critiques. Ainsi, différentes opinions ont pu coexister sur la plateforme, tandis que les services comme ceux de Meta supprimaient les publications contenant des informations jugées peu fiables. « Il est sensé de confronter des opinions opposées et d’espérer que la vérité émerge de ces débats, » a déclaré Pavel Dourov dans une interview.

Les principaux problèmes qui limitent la popularité de Telegram incluent les risques liés à l’utilisation de son haut niveau de confidentialité à des fins malveillantes et le nombre relativement faible d’utilisateurs dans certains pays. La sécurité et la liberté représentent un dilemme complexe. Cependant, il est important de se rappeler que le chiffrement de bout en bout protège la liberté d’expression et aide à se défendre contre le piratage, le vol de données, la fraude et la divulgation illégale d’informations. En ce qui concerne le manque d’utilisateurs, Telegram offre toujours d’importantes possibilités. Bien que tous les amis et membres de la famille ne soient pas inscrits sur cette plateforme, Telegram peut être utilisé non seulement pour communiquer, mais aussi comme un réseau social pour lire des chaînes, publier du contenu, ainsi comme un espace de stockage cloud gratuit.

Actuellement, Telegram compte 41 millions d’utilisateurs en Europe, ce qui est légèrement inférieur au seuil de 45 millions nécessaire pour être reconnu comme une « très grande plateforme ». Cependant, le site officiel de Telegram présente une section sur le Digital Service Act qui détaille les mesures prises par la plateforme pour se conformer à ces normes :

  • La plateforme définit les comportements et contenus interdits, tels que le spam, la promotion de la violence, le contenu sexuel illégal et d’autres activités illégales.
  • Telegram utilise des méthodes de modération automatiques et manuelles pour son contenu public
  • Actions possibles de Telegram inclut la suspension temporaire ou permanente de certaines fonctionnalités du compte, l’étiquetage des comptes comme « Faux » ou « Fraude », et la possibilité de bloquer ou de supprimer des utilisateurs et du contenu en cas de violations graves.
  • Telegram n’utilise pas d’algorithmes de recommandation pour promouvoir du contenu, mais propose des contenus basés sur les requêtes et abonnements des utilisateurs
  • Les utilisateurs peuvent contacter Telegram via le bot @EURegulation, qui sert de point de contact unique dans le cadre du Digital Service Act. 
  • Les autorités de l’UE peuvent contacter Telegram via un représentant à Bruxelles pour les questions liées à l’Acte sur les services numériques.

En 2018, le RGPD a été publié, et peu après, Telegram a mis à jour son application pour se conformer à cette réglementation. Selon un article sur le site officiel de Telegram, la plateforme a été initialement conçue pour protéger les données personnelles, ce qui a nécessité peu de modifications pour répondre aux exigences du RGPD. Telegram propose un chat bot où les utilisateurs peuvent demander une copie de toutes les données enregistrées les concernant et obtenir des clarifications supplémentaires sur la confidentialité.

Je pense que la popularité de Telegram continuera de croître, bien qu’il ne remplace pas WhatsApp, dont les utilisateurs sont déjà habitués à son interface et possèdent les chats et groupes nécessaires. Étant donné les nombreuses fonctionnalités de Telegram, les deux plateformes peuvent être complémentaires. De plus, il est possible que de nouveaux concurrents émergent, tels que Signal et Olvid, qui sont des plateformes plus récentes et gagnent en popularité.

Elizaveta Kolpakova

Liste de références:

TikTok vs. Universal Music: Qui paie la note de la musique numérique ?

Dans le monde numérique de la musique, TikTok et Universal Music Group s’affrontent dans un combat qui retient l’attention à l’échelle mondiale. Ce conflit, marqué par des accusations de sous-évaluation des royalties, met en lumière les tensions croissantes entre les plateformes de streaming et les géants de l’industrie musicale. Avec 1,5 milliard d’utilisateurs actifs par mois[1], TikTok, originellement une plateforme de danse, est devenu un phénomène culturel dont l’influence sur l’industrie musicale est indéniable. Son logo, une note de musique, est le symbole de son rôle de catalyseur dans la diffusion de la musique mondiale. TikTok ne se contente pas de suivre les tendances musicales, il les forge, influençant les goûts et propulsant les carrières d’artistes sur la scène internationale. Cependant, cette influence massive soulève des enjeux critiques. Le conflit ouvert avec Universal Music Group met en lumière une problématique essentielle : comment les plateformes numériques comme TikTok peuvent-elles équilibrer innovation et respect des droits des créateurs ? 

Des impacts majeurs sur l’industrie musicale

L’algorithme de TikTok, fondé sur l’apprentissage automatique, est au cœur de la promotion de la musique sur la plateforme, influençant de manière significative les tendances musicales actuelles. En analysant les interactions des utilisateurs avec les vidéos, telles que la durée de visionnage, les likes, les commentaires, et les partages, l’algorithme affine ses recommandations pour mieux s’adapter aux goûts de chaque utilisateur. Ce système s’appuie également sur les métadonnées des vidéos, comme les hashtags et les descriptions, qui fournissent des indices précieux sur les genres musicaux et les artistes en vogue[2].
Cette technologie ne se contente pas de réagir aux préférences des utilisateurs ; elle propulse les morceaux qui gagnent en popularité via des challenges, des memes ou chorégraphies. Une fois qu’un titre commence à se distinguer, l’algorithme le promeut davantage, augmentant sa visibilité et renforçant son engagement. Ce mécanisme crée un cercle vertueux où la popularité d’un morceau sur la plateforme peut entraîner un effet boule de neige. En effet, lorsqu’une chanson devient populaire sur TikTok, l’algorithme incite davantage d’utilisateurs à l’intégrer dans leurs vidéos pour capitaliser sur sa popularité croissante. 
De manière significative, TikTok s’est affirmé comme une force majeure dans l’industrie de la découverte musicale. Selon des données de la plateforme, environ 75% des utilisateurs ont découvert de nouveaux morceaux en 2021[3], ce qui témoigne de l’efficacité de l’algorithme pour introduire une diversité musicale à son audience. La plateforme est donc devenue un outil marketing indispensable pour les artistes et les labels qui cherchent à augmenter la visibilité de leurs artistes.

TikTok : Moteur de changement ou entrave pour les artistes ? Exploration des défis de rémunération


Malgré une visibilité sans précédent sur TikTok, les artistes peinent souvent à voir cette exposition se traduire en rémunération équitable. La plateforme a certes mis en place des mesures comme SoundOn, lancé en 2022, qui permet aux artistes de déposer leurs morceaux et de conserver une grande part des royalties pendant les premières années d’écoute. Toutefois, la structure de rémunération de TikTok reste basée sur le nombre de vidéos utilisant les morceaux plutôt que sur les streams eux-mêmes. Ainsi, « Funny Song » de Thomas Hewitt-Jones, utilisée dans plus de 372k de vidéos et écoutée plus de 2 milliards de fois, n’a rapporté que 600 euros à son créateur[4], révélant un déséquilibre frappant entre l’utilisation virale et la compensation financière.

Contrats de Licence : Un terrain d’entente pour une distribution équitable ?
TikTok a formé des partenariats avec des labels majeurs comme Warner Music Group, élargissant son catalogue musical et augmentant la visibilité des artistes concernés. Cependant, la montée en popularité de versions modifiées de chansons, notamment des versions accélérées, soulève des questions sur la distribution des bénéfices générés par ces nouvelles créations. En réponse, certains labels ont commencé à publier officiellement ces versions, s’assurant ainsi que les artistes originaux bénéficient des retombées économiques.

Les labels face au défi TikTok
Les relations entre TikTok et les maisons de disque, souvent compliquées, se tendent parfois durant les renégociations de contrats. Un conflit notable a éclaté en janvier 2024 entre TikTok et Universal Music Group (UMG) met en lumière ces tensions. Universal a retiré sa vaste bibliothèque musicale de la plateforme, affectant des milliers de vidéos qui utilisaient des chansons d’artistes populaires comme Taylor Swift, The Weeknd, et Billie Eilish résultant en une multitude de vidéos sans musique, ce qui a réduit leur portée et leur engagement.

Ce retrait est intervenu après que des négociations sur les royalties se sont soldées par un échec, Universal reprochant à TikTok de ne pas offrir une rémunération juste et équitable pour l’utilisation de sa musique.[5]
Du côté de TikTok, la plateforme a exprimé sa volonté de parvenir à un accord, mettant en avant son rôle dans la promotion de la musique et l’exposition qu’elle offre aux artistes. TikTok a déclaré travailler activement pour rétablir la musique d’UMG sur son service, soulignant son désir de maintenir un partenariat bénéfique pour tous les acteurs impliqués, y compris les créateurs de contenu et les fans de musique.

Les relations labels et ertistes à l’ère de TikTok
TikTok a transformé le marketing digital, poussant les artistes non seulement à créer de la musique mais aussi à devenir des créateurs de contenu. Des artistes comme Florence and the Machine et Halsey ont publiquement exprimé leur frustration face à la pression de leurs labels pour générer des vues sur TikTok[6]. Cette nouvelle dynamique a réduit l’exposition via les médias traditionnels, obligeant les artistes à adopter de nouvelles stratégies numériques pour rester pertinents. Le cas de Steve Lacy, dont le titre « Bad Habit » a été utilisé dans près de 500,000 vidéos sur TikTok, a été propulsé au sommet du Billboard Hot 100[7], illustre parfaitement comment la viralité sur la plateforme peut propulser un artiste au sommet des classements.

TikTok et l’industrie musicale : Redéfinir les acteurs et leur dynamiques

Les artistes, les maisons de disques, et les plateformes de diffusion naviguent dans un paysage complexe où chaque acteur doit s’adapter aux nouvelles réalités du marché numérique.

Impact sur les artistes
L’ascension de TikTok a redéfini les trajectoires de nombreux artistes, façonnant une nouvelle ère où le bouche à oreille électronique devient un vecteur puissant de succès. Cependant, cette nouvelle dynamique met également en lumière les dilemmes auxquels les artistes sont confrontés, notamment l’impact de la structure des réseaux sociaux sur leur autonomie et leur carrière artistique. Sur TikTok, un simple clip peut propulser une chanson en tête des hit-parades, mais cette visibilité soudaine pose question : les artistes perdent-ils leur contrôle créatif en faveur de contenus conçus pour maximiser leur résonance sur les réseaux ? La pression pour créer des œuvres qui ‘fonctionnent’ sur ces plateformes peut aussi mener à une uniformisation de la création musicale, où l’originalité cède la place à la viralité.

Impact sur les maisons de disques
Pour les maisons de disques, TikTok représente à la fois une opportunité et un défi. Les labels musicaux doivent naviguer dans un paysage complexe de droits numériques, tout en adoptant des stratégies de marketing innovantes telles que le social listening et la gestion. Les accords de licence avec TikTok sont cruciaux, car ils déterminent non seulement les revenus générés par les streams mais aussi la manière dont la musique est utilisée et partagée par les utilisateurs.

Impact sur les plateformes de diffusion
TikTok, en particulier, doit finement équilibrer ses stratégies pour rester attrayant pour les maisons de disques et les artistes indépendants, tout en répondant aux attentes des utilisateurs qui cherchent constamment du contenu nouveau et engageant. Leur succès et influence dans l’industrie musicale dépendent essentiellement de leur aptitude à négocier des accords de licence favorables, à résoudre les conflits et à respecter les réglementations internationales.

Perspectives et solutions potentielles

Face aux défis de la répartition des revenus dans l’industrie musicale, l’exploration de modèles économiques alternatifs s’avère cruciale. Des innovations qui valorisent l’engagement des utilisateurs plutôt que le simple nombre de vidéos pourraient offrir une rémunération plus équitable aux créateurs. Parallèlement, le rôle des régulateurs et des politiques publiques est essentiel pour assurer une médiation efficace des conflits et promouvoir des pratiques justes. Ces autorités peuvent aider à établir un cadre réglementaire qui soutient l’innovation tout en protégeant les droits des artistes, garantissant ainsi que toutes les parties prenantes bénéficient équitablement des profits générés par la musique.

TikTok transforme profondément l’industrie musicale, soulignant la nécessité de repenser les modèles de rémunération des artistes. La tension entre les plateformes de streaming et les maisons de disques illustre clairement le besoin urgent de réformes adaptatives. La collaboration entre régulateurs, artistes, labels et plateformes est cruciale pour naviguer dans ce paysage en évolution et assurer une distribution des revenus plus juste, bénéfique pour tous les acteurs de l’industrie.

Hanaé Macke

Sources:

[1] Coëffé, T., 2024. Chiffres réseaux sociaux – 2024. [En ligne] 
Disponible sur: https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-reseaux-sociaux/
[2] Ashbridge, Z., 2022. How the TikTok algorithm works: Everything you need to know. [En ligne] 
Disponible sur: https://searchengineland.com/how-tiktok-algorithm-works-390229#h-how-does-the-tiktok-algorithm-work
[3] Le Figaro., 2022. TikTok est devenu un moteur de découverte musicale en analysant le goût de ses abonnés. [En ligne] 
Disponible sur: https://www.lefigaro.fr/culture/tiktok-est-devenu-un-moteur-de-decouverte-musicale-en-analysant-les-gouts-de-leurs-abonnes-20220211
[4] Anon., 2022. « On ne touche que quelques centimes ! » : sur TikTok, la rémunération discutable des artistes. [En ligne] 
Disponible sur: https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/reportage/la-remuneration-des-artistes-sur-tiktok-5760413
[5] Branstetter, D., 2024. Universal Music Group and TikTok’s Contractual Standstill. [En ligne] 
Disponible sur: https://www.vanderbilt.edu/jetlaw/2024/02/13/universal-music-group-and-tiktoks-contractual-standstill/
6] McGoran, P., 2024. How TikTok is Disrupting the Music Industry. [En ligne] 
Disponible sur: https://careerhub.students.duke.edu/blog/2024/03/07/how-tiktok-is-disrupting-the-music-industry/
[7] Anon., 2022. Steve Lacy’s ‘Bad Habit’ Has Been Used For Nearly 500,000 TikTok Videos — Now, It’s No. 1 On The Billboard Hot 100. [En ligne] 
Disponible sur: https://afrotech.com/steve-lacy-bad-habit-tiktok

BeReal et la quête d’authenticité : vers une utilisation plus saine des réseaux sociaux ?

Les téléphones qui vibrent tous en cœur, chacun attrape son smartphone pour se saisir de cette notification le plus rapidement, et porter son téléphone en mode « selfie ».
« ⚠️ C’est l’heure de BeReal ⚠️ » : voilà la notification reçue tous les jours, à un moment aléatoire et commun à tous, par les 25 millions d’utilisateurs quotidiens de BeReal.

Le principe est simple : partager avec ses amis proches un moment spontané de sa journée, choisi par l’application, avec un chronomètre de 2 minutes pour capturer une photographie hybride, avec caméra avant, et caméra arrière en même temps ! Le slogan de BeReal prône la volonté de retrouver une proximité avec votre réseau d’ami « Tes amis, pour de vrai ». D’ailleurs, c’est l’application elle-même qui vous met en garde quant au réseau que vous vous y constituez. Avant d’envoyer une demande d’ajout, ou d’en accepter une, on vous demande « Est-ce que tu connais vraiment cette personne ? » ou encore « Es-tu sûr(e) de bien les connaitre ? ». C’est ainsi quelques 119 millions de personnes à travers le monde, qui ont été tentées de rejoindre le mouvement BeReal. Et pour cause, une promesse d’authenticité assumée : on ne veut plus voir les storys léchées de ses amis sur Instagram, mais on veut les voir comme ils sont au quotidiens, naturels et spontanés. L’arrivée d’une telle application sur le marché des réseaux sociaux semblerait en avoir chamboulé les codes. On peut ainsi se poser la question : la promesse d’authenticité soutenue par BeReal. pourrait-elle mener à une utilisation plus saine des réseaux sociaux ?

Les codes traditionnels des réseaux sociaux : paraître et artifices

L’avènement des réseaux sociaux, notamment avec l’arrivée d’Instagram, est marqué par l’avènement du paraître et des artifices. Tout est porté vers l’apparence : on crée des filtres qui rendent la bouche plus pulpeuse, ou qui effacent les cernes ; on ne montre aux autres que ce qui les ferait rêver ; on fait la course aux likes en posant sur toutes ses photos. Certains parviennent même à faire de leur physique avantageux un métier, en devenant influenceurs. Sur la plateforme émergent les tendances, qu’elles soient vestimentaires ou comportementales. Instagram dicte les standards de beauté, jusqu’à avoir un réel impact sur la santé mentale de ses utilisateurs, en particulier les jeunes filles, dont la société les ramène sans cesse à leur physique.

BeReal. et l’authenticité : un réseau social d’un nouveau genre

En 2020, BeReal. émerge alors en France comme le protagoniste d’une lutte contre la superficialité. Pas de filtre, pas d’artifices : avec BeReal. tout repose sur son concept fort. Alors qu’Instagram est envahi par l’utilisation de filtres dans ses storys, BeReal se place à contre-courant en incitant les utilisateurs à se montrer au naturel.  Et si les internautes habitués à se montrer sous leur meilleur jour auraient pu être effrayés, c’est tout l’inverse qui se produit. Début 2022, deux ans après sa sortie en France, elle sort au grand jour avec plus de 28 millions de téléchargements ; aujourd’hui elle en compte 119.

BeReal. semblerait même avoir influencé le comportement des utilisateurs sur les autres réseaux sociaux.

De nombreux influenceurs, en prenant par exemple Matilda Djerf, changent la direction de ce qui se poste sur Instagram. On ne flambe plus avec des photos remplies de filtres et d’artifices à la Kylie Jenner, mais on fait désormais des « dumps », un enchaînement de plusieurs photos dans un même post Instagram, montrant notre vie quotidienne. Photos de son chien, en pyjama, ou en prenant son petit déjeuner :  Matilda Djerf incarne ce nouveau genre, cet aesthetic scandinave où la « slow life » est mise en avant. De manière générale, les filtres passent peu à peu à la trappe, alors qu’ils envahissaient les storys de tout le monde quelques temps auparavant.

On observe aussi l’émergence de storys privées, notamment sur Instagram, qui permet à ses utilisateurs de créer des sous-groupes « amis proches », dont les storys ne seront disponibles au visionnage que pour le groupe d’amis sélectionné par l’utilisateur. L’idée est la même que sur BeReal. : partager certains moments de spontanéité avec son cercle intime seulement.

BeReal. devient même un nouveau support de contenu sur les autres réseaux sociaux. Les internautes repostent leurs BeReal. en story, ou dans leurs dumps Instagram. BeReal. profite d’autres plateformes pour faire sa promotion, comme avec TikTok, où a été lancé un concours du BeReal. le plus fou.

Des nouvelles fonctionnalités controversées : vers une conformisation du réseau social ?

L’influence de BeReal. est certaine, et l’application semble être le parfait compromis : un réseau social certes, mais où l’on est soi-même, et dont la sphère se limite à son cercle d’amis proches.

Pourtant certaines mises à jour récentes sembleraient faire perdre à l’application de sa singularité, jusqu’à la mener à se conformer aux autres plateformes.

Pour lutter contre les utilisateurs contournant le principe de spontanéité, en postant leur BeReal. en retard plutôt qu’à l’heure choisie par l’application, BeReal. a mis en place un principe de « récompense » pour ceux respectant les règles du jeu. Si la photo est postée dans les 2 minutes imparties, alors l’utilisateur « gagne » le droit de poster deux autres BeReal. dans la journée, à l’instant qu’il le souhaite. Si l’objectif est de maintenir la spontanéité promise par le réseau social, le résultat semble s’en éloigner. En effet, les utilisateurs bénéficient de plus d’opportunités pour partager leurs photos, en en choisissant leur moment pour deux sur trois d’entre elles.

Il y a quelques jours, une autre fonctionnalité a été ajoutée : en plus d’un BeReal. classique par jour, les utilisateurs peuvent faire un BeReal. « roulette ». L’application sélectionne ainsi une photo issue de la galerie de l’utilisateur, qui peut choisir de la poster ou non, en bénéficiant de 5 essais (il peut relancer la roulette 5 fois).

Si ces nouvelles fonctionnalités ne sont aujourd’hui pas alarmantes, on y retrouve toutefois une similarité avec le chemin parcouru par Instagram avec ses storys. Quand Instagram a lancé son option Story en 2016, l’objectif était de permettre aux utilisateurs d’être plus naturels, de dévoiler leur vie sans artifice. Quelques années plus tard, elles sont devenues aussi calculées et filtrées que les publications classiques, en plus d’être bourrées de publicités. BeReal. pourrait donc prendre le même chemin.

Mais la mise à jour qui marque sans doute le plus gros pas vers la conformisation du réseau social est sans doute celle du 7 février 2024. Promue par les fondateurs de BeReal. comme la plus marquante depuis la création de l’application, cette fonctionnalité ouvre les portes de BeReal. aux marques et aux célébrités. Ainsi, ces « RealPeople » et « RealBrands » ne sont pas logés à la même enseigne que les utilisateurs anonymes : ils sont certifiés, et suivis par des « RealFans ». On est loin des mises en garde de BeReal. qui insistait sur l’importance de n’ajouter que ses amis proches.

BeReal. qui se plaçait à contre-courant des autres réseaux sociaux dictés par la superficialité, les artifices, et le business, devient ainsi une plateforme où l’on peut retrouver des posts sponsorisés… comme sur toutes les autres.

BeReal. promettait intimité et spontanéité, et le premier semble d’ores et déjà perdu. On peut alors se questionner sur le futur de l’application : va-t-elle se faire influencer par les géants comme Instagram, au point de perdre son essence d’authenticité ?

Marine Marzin

La chute de la Silicon Valley Bank : Réseaux sociaux et gestion bancaire en question

Le 10 mars 2023, la Silicon Valley Bank (SVB), la 16ème plus grande banque des États-Unis et un pilier du financement des entreprises de technologie et de biotechnologie, s’effondrait de manière spectaculaire. Cette faillite, la plus significative depuis la crise financière de 2008, soulève de nombreuses questions sur l’influence des réseaux sociaux dans la banque moderne et met en lumière des pratiques de gestion éloignées des standards bancaires habituels.

Un effondrement fulgurant

Tout a commencé le 8 mars, lorsque la SVB a annoncé la nécessité de lever des fonds de toute urgence après des pertes significatives sur des obligations. Cette annonce a provoqué une panique parmi les investisseurs et les déposants, majoritairement des entreprises de la tech et des startups, qui craignaient pour la sécurité de leurs actifs.

En moins de 48 heures, une vague massive de retraits s’est déclenchée, exacerbée par les réseaux sociaux où des messages alarmants circulaient rapidement. Des hashtags comme #BankRun et #SVBCollapse devenaient viraux, illustrant la rapidité avec laquelle la peur et la suspicion peuvent se propager dans l’ère digitale.

Retraits Hypothétiques de Fonds de la SVB Suite à l’Annonce

Le graphique illustre la réaction rapide et massive des déposants de la Silicon Valley Bank suite à l’annonce du besoin urgent de lever des fonds le 8 mars. On observe une escalade dramatique des retraits, commençant par 5 milliards de dollars le jour de l’annonce, suivi d’une augmentation vertigineuse à 20 milliards le lendemain, et culminant à 50 milliards le 10 mars. Cette courbe montante témoigne de l’effet immédiat des inquiétudes des déposants et de l’impact amplificateur des réseaux sociaux, où des messages alarmants ont circulé à une vitesse fulgurante, incitant à une réaction en chaîne de retraits de fonds. Ce graphique hypothétique est représentatif du phénomène de bank run accéléré par le numérique, mettant en lumière la vulnérabilité des institutions financières dans un contexte où l’information se propage en temps réel.

Les réseaux sociaux : catalyseur d’une crise de confiance

Sur Twitter, LinkedIn et d’autres plateformes, des entrepreneurs influents tels que David Sacks et Jason Calacanis partageaient leurs inquiétudes et conseillaient ouvertement aux autres de retirer leurs fonds, intensifiant la panique. Cette réaction en chaîne a souligné un aspect nouveau des crises bancaires modernes : l’impact immédiat des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux ont fonctionné comme un amplificateur de la crise de confiance, réduisant le délai habituel pour des réactions et des corrections. La rapidité de l’information, couplée à l’écho des chambres de résonance en ligne, a transformé ce qui aurait pu être une gestion de crise interne en un spectacle public et chaotique.

Le Tweet qui a Ébranlé les Marchés : Le Rôle de David Sacks dans la Panique de la SVB

Au cœur de la crise de la Silicon Valley Bank, David Sacks, entrepreneur respecté et figure de proue de l’industrie technologique, a joué un rôle déterminant en amplifiant les enjeux de la situation sur Twitter. Ses tweets du 10 mars 2023 ont non seulement capturé l’attention immédiate de ses abonnés, mais aussi celle du monde financier à large échelle. Par ses interrogations directes – « Where is Powell? Where is Yellen? » – Sacks appelait à une action urgente des régulateurs, exprimant une exigence collective pour la sauvegarde des dépôts et la prévention d’une contagion financière plus large. Son tweet, « Stop this crisis NOW. Announce that all depositors will be safe. Place SVB with a Top 4 bank. Do this before Monday open or there will be contagion and the crisis will spread, » était un cri d’alarme soulignant l’urgence et la gravité perçue de la situation. Avec une voix résonnant dans l’écosystème des startups, Sacks a influencé la perception publique et a possiblement accentué la pression sur les décideurs.

En abordant le thème de la responsabilité fédérale, « Anybody who thinks that preventing bank runs and panics isn’t a federal responsibility missed a couple hundred years of financial history, » il rappelait la nécessité de la surveillance et de l’intervention des autorités financières dans des moments critiques. Ce faisant, il a mis en exergue la responsabilité des institutions face à un risque systémique. La clarification concernant sa propre entreprise, « Craft has no money at SVB, » visait à apaiser les spéculations et à distinguer ses commentaires professionnels des intérêts personnels. L’impact de Sacks dans cette crise n’était pas négligeable, ses tweets agissant comme des catalyseurs d’opinion parmi les entrepreneurs et investisseurs déjà nerveux, et mettant en évidence le pouvoir influent des leaders d’opinion dans le secteur technologique en temps de crise financière.

Gestion bancaire défaillante

Au-delà des réseaux sociaux, le cœur du problème résidait dans la gestion même de la SVB. La banque avait misé massivement sur des investissements à long terme, principalement des obligations d’État, qui se sont dépréciées avec la montée des taux d’intérêt par la Réserve fédérale. Cette stratégie, risquée et peu diversifiée, a rendu la banque particulièrement vulnérable à un changement de conjoncture.

De plus, la SVB avait une concentration exceptionnelle de dépôts provenant d’un secteur spécifique : la technologie. Cette homogénéité de la base de clients a exacerbé l’effet de contagion lorsque la confiance a commencé à fléchir, montrant les limites d’une stratégie de niche dans un environnement instable.

Gestion Bancaire vs. Tempête Numérique : Les Vrais Coupables de la Débâcle de la SVB

L’effondrement de la SVB peut être attribué à deux facteurs principaux qui, en interagissant, ont amplifié la crise : une gestion bancaire hasardeuse et l’influence des réseaux sociaux. D’une part, la banque avait adopté une stratégie d’investissement risquée, en plaçant une grande partie de ses actifs dans des obligations à long terme qui se sont dévaluées avec l’augmentation des taux d’intérêt. Cette gestion, peu conforme aux pratiques conservatrices typiques du secteur bancaire où la diversification et la prudence prévalent, a placé la banque dans une position financièrement vulnérable.

D’autre part, les réseaux sociaux ont joué un rôle prépondérant dans l’accélération de la crise. La propagation rapide d’informations parfois erronées ou exagérées a engendré une panique massive parmi les déposants, aggravant une situation déjà tendue.

Réactions réglementaires

La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) a rapidement pris le contrôle de la banque, garantissant les dépôts jusqu’à 250 000 dollars et cherchant à stabiliser le secteur. Ce scénario rappelle l’importance d’une régulation adaptée à l’évolution des pratiques bancaires et des technologies de l’information. La chute de la SVB incite à une réflexion sur le rôle des régulateurs et des banques elles-mêmes dans la gestion des risques. Elle pose également la question de l’impact des technologies et des médias sur la stabilité financière.

Pour répondre à ces défis, un projet de loi pourrait être envisagé, tel que le Projet de Loi N° XYZ: Loi pour l’Encadrement des Communications Financières Numériques. Cet article propose des mesures spécifiques pour encadrer les communications financières sur les plateformes numériques, afin de prévenir les mouvements de panique amplifiés par ces nouveaux médias. Il stipule que les institutions financières doivent établir des protocoles clairs pour les communications en période de crise, approuvés par l’autorité de régulation compétente, et que les plateformes numériques doivent collaborer avec les autorités pour vérifier les informations potentiellement déstabilisatrices. La loi envisagerait également la création d’une unité spéciale au sein de la FDIC pour surveiller ces communications, assurant ainsi une réponse rapide et coordonnée en cas de future instabilité financière.

Les autorités pourraient ainsi mieux contrôler l’interaction entre les communications financières et la réaction du public, minimisant le risque de panique bancaire déclenchée ou exacerbée par les réseaux sociaux et autres plateformes numériques.

La débâcle de la Silicon Valley Bank révèle l’interaction complexe entre une gestion bancaire risquée et l’effet amplificateur des réseaux sociaux. Cet événement force une réévaluation des stratégies de gestion de crise à l’ère numérique et rappelle l’importance cruciale de l’adhérence aux principes de gestion de risque et de communication efficace. Les régulateurs et les institutions financières doivent considérer ces nouvelles dynamiques pour prévenir de futures crises. Face à cette nouvelle réalité, comment les banques peuvent elles équilibrer innovation et sécurité pour gagner la confiance dans un monde hyperconnecté ?

Kelly CLAIRE

L’ascension des réseaux sociaux en tant que source principale d’informations financières : exemple de X et de la faillite de FTX

Si les marchés financiers ont jusqu’ici bénéficié d’une opacité certaine due à des mécanismes complexes, la démocratisation de l’Open Finance, des réseaux sociaux et de la Finance Décentralisée ont tenté d’éclaircir ce rideau opaque, parfois au grand dam de certains de ses acteurs.

L’information, nerf des marchés

Dans le monde des marchés financiers, l’accès à des informations précises et opportunes est le fondement d’une prise de décision éclairée. Traditionnellement, des plateformes comme Bloomberg ont joué un rôle crucial en tant que fournisseurs d’informations financières de premier plan.

Reconnues pour leur fiabilité et leur profondeur d’analyse, les institutions financières classiques ont servi d’épine dorsale pour les traders, les investisseurs et les analystes en leur fournissant des données en temps réel, des analyses de marché, et des outils de prévision sophistiqués. Leur influence sur les marchés est telle que les flux d’informations qu’elles distribuent peuvent impacter directement les prix des actifs et les stratégies de trading à l’échelle mondiale.

Exemple de terminal Bloomberg

Cependant, à l’ère de la transition au numérique, le paysage de l’information financière a connu une transformation radicale avec l’avènement des réseaux sociaux, et notamment X (ex-Twitter). Cette plateforme, par sa nature spontanée et largement accessible, est rapidement devenue une source incontournable d’informations financières. La rapidité avec laquelle les informations circulent sur X peut parfois devancer celle des fournisseurs traditionnels d’informations financières, permettant aux investisseurs de réagir instantanément à des développements qui ne sont pas encore couverts ni, en principe, « pricé » (i.e le pricing étant le processus d’attribution du prix à un actif compte tenu de son contexte).

Cette transition vers les réseaux sociaux comme sources primaires d’information pose de nouvelles questions sur la véracité et la fiabilité des données, tout en soulignant un changement de paradigme dans la manière dont l’information financière est consommée et utilisée. Dans le contexte des cryptomonnaies, où le marché est particulièrement sensible aux rumeurs et aux annonces, X a acquis une place prépondérante, influençant souvent les mouvements de marché de manière significative et immédiate.

Cas d’école : le cas de FTX

FTX a été, pendant un temps, la 3ème place de marchée centralisée d’échange de cryptomonnaies, enregistrant à son apogée près de 21 milliards de dollars de volume d’échange par jours. La startup, fondée en 2019, a connu la banqueroute 3 années plus tard en 2022. La chute spectaculaire de FTX, exacerbée et mise en lumière par les interactions sur X, est un cas d’étude frappant de l’impact des réseaux sociaux sur le marché des cryptomonnaies.

L’affaire a commencé par l’annonce initiale par CZ (Changpeng Zhao), le PDG de Binance (1ère place de marché centralisée), de vendre ses avoirs en jetons FTT via X. Les jetons FTT, émis par FTX, représentent des actifs décentralisés émis sur la blockchain. Selon CZ, FTX détiendrait près de 30% de la totalité des FTT et l’inscrirait à son actif pour augmenter sa valorisation. Cette annonce a immédiatement secoué le marché et entrainé une vente massive du FTT. Cette action et la réponse rapide de FTX sur la même plateforme ont entraîné une forte volatilité du jeton FTT. X a agi non seulement comme un canal d’information mais aussi comme un amplificateur de la crise, propageant les nouvelles à une vitesse fulgurante et contribuant à un sentiment de panique parmi les détenteurs de FTT.

Au fur et à mesure que la situation se dégradait, Twitter est devenu un terrain fertile pour les rumeurs et les spéculations. La fluidité des informations, souvent non vérifiées, a créé une atmosphère de confusion et d’incertitude. Cela a exacerbé la crise de confiance envers FTX, poussant davantage d’investisseurs à retirer leurs fonds, précipitant ainsi la faillite de la plateforme. Cet afflux de demande de retrait pour une plateforme réputée insolvable a entraîné une prophétie auto réalisatrice. La plateforme arrête alors de fonctionner, et est placée sous enquête du gendarme de la bourse américain.

Tweet publié par le PDG de FTX Sam Bankmand-Fried pendant la crise

La faillite de FTX illustre de manière dramatique comment X peut influencer les marchés financiers, non seulement en diffusant des informations, mais aussi en amplifiant les crises en faisant office de chambre d’écho. FTX détenant un grand nombre d’actifs pour le compte d’acteurs institutionnels ou des boursicoteurs, un risque de contagion a entrainé des retraits sur nombre d’autres plateformes du fait de la diffusion des fausses rumeurs sur X. De manière plus large, la chute de FTX aura entraîné un refroidissement du marché crypto, fortement entaché par plusieurs scandales et largement volatile, entraînant un « bear market » (marché baissier).
Cette affaire met en lumière la nécessité pour les régulateurs et les participants du marché de mieux comprendre et gérer l’impact des réseaux sociaux dans la diffusion des crises financières et économiques. Si la crise des Subprimes de 2008 est avant tout une crise de confiance survenue à une ère ou les réseaux sociaux n’étaient que peu développés, les effets d’une telle crise là où les champs de batailles des réseaux sociaux permettent à tout un chacun de créer de l’information aurait pu être beaucoup plus dévastateurs.

Sources :

Correlation between emotional tweets and stock prices, Kätriin Kurk 2018
Looking Back on FTX’s Impact, Kaiko Research Team 2023
Bankruptcy of FTX, Wikipedia

Les réseaux sociaux comme catalyseurs de changements sociaux et politiques à travers le monde : des espaces d’expression politique et de mobilisation

À l’ère numérique dans laquelle nous évoluons, les réseaux sociaux se sont imposés comme des outils incontournables de communication, de mobilisation et d’expression publique. Que ce soit sous des régimes autoritaires où la censure prédomine, ou dans des démocraties où la parole est plus libre, ces plateformes redéfinissent les interactions sociales et politiques. Examinons comment, dans ces différents contextes et en particulier en Chine, au Cameroun, et en France, les réseaux sociaux facilitent une nouvelle forme de dialogue et de contestation.

Une libération de la parole dans des contextes de coercition

Dans des contextes politiques laissant peu de place à l’expression individuelle, les réseaux sociaux se révèlent être des espaces essentiels d’expression publique. C’est par exemple le cas en Chine, où le gouvernement exerce un contrôle rigoureux sur les médias traditionnels, limitant fortement l’accès à l’information et la liberté d’expression :  « La fermeture de Facebook, Youtube ou Twitter relève en effet autant du protectionnisme économique que de la censure médiatique » (Renaud, 2014). Dans ce contexte où « l’opinion publique’’ est façonnée par le parti politique dans les médias professionnels, des réseaux sociaux Chinois ont fait leur apparition. Sina Weibo, par exemple, permet une nouvelle forme d’émancipation de ses utilisateurs en leur offrant un support d’expression, notamment pour rendre visibles leurs revendications sociales et leurs protestations. 

Dans son article La sphère publique sur les réseaux sociaux en Chine : enjeux et stratégies des acteurs (2018) publié dans la revue  Les Enjeux de l’information et de la communication, Tao Tingting dresse une analyse des préoccupations principales des utilisateurs de Sina Weibo en étudiant les discours des 100 comptes ayant un très grande influence sociale sur la plateforme. Ses résultats sont régroupés dans le tableau suivant :

source : Tao, T. (2018). La sphère publique sur les réseaux sociaux en Chine : enjeux et stratégies des acteurs. Les Enjeux de l’information et de la communication, 18(3A), 135-148. https://doi.org/10.3917/enic.hs6.0135

De cette manière, on observe que les préoccupations principales des utilisateurs de la plateforme sont autour du thème du politique (49,91%) et du social (16,41%). Egalement, dans son étude, Monsieur Tingting, explicite que les revendications politiques sont axées autour de sujets tels que la démocratie et la reforme. Quant aux revendications sociales, celles ci sont sur des sujets tels que l’égalité de richesse et l’éducation.

Ainsi, pour contrebalancer le déficit démocratique de leur pays, les chinois ont pris pour alternative d’exprimer une forme de résilience sociale en instaurant un dialogue public sur les réseaux sociaux auxquelles ils ont accès. Sina Weibo fonctionne donc non seulement comme un réseau social mais aussi comme une plateforme de contestation et de mobilisation. Les discussions qui y prennent place révèlent souvent des préoccupations sociales et politiques qui, autrement, resteraient silencieuses ou réprimées. Cela montre comment, même sous des régimes autoritaires, les technologies numériques peuvent faciliter une certaine forme de liberté d’expression et servir de catalyseur pour le changement social.

Les réseaux sociaux ont également la capacité de contourner les limitations des espaces publics physiques, permettant la mobilisation sociale et la justice dans des contextes où les manifestations traditionnelles ou les rassemblements sont réprimés ou impossibles. L’affaire Eva au Cameroun est un autre exemple de cette autre dimension des réseaux sociaux : leur capacité a contourner les limitations des espaces publics physiques. Cette affaire concerne un cas tragique survenu entre juin 2015 et décembre 2016, période durant laquelle près de soixante enfants ont disparu au Cameroun. Parmi eux, Éva, une fillette de deux ans, a été trouvée décapitée à Douala. Face à cette affaire, le gouvernement Camerounais est resté passif et aucune enquête n’a été engagée. Les médias classiques locaux étant sous le contrôle constant et permanent du pouvoir en place, l’affaire a également été étouffée au niveau de la presse écrire, de la radio et de la télévision. 

Face aux limites des médias traditionnels en place, les réseaux sociaux ont alors joué un rôle crucial en permettant aux Camerounais de briser le silence médiatique, de partager des informations, et de mobiliser le soutien public et international autour de cette tragédie.

Alors que le contexte politique Camerounais ne donnait pas la possibilité d’une mobilisation au sein de l’espace publique physique, la mobilisation s’est, en effet, faite à travers les réseaux sociaux. A travers eux, la mobilisation a pu être massive, s’appuyant sur des objectifs affectifs, cognitifs et conatifs. Ainsi, pour susciter l’émotion et donc l’engagement et le militantisme des populations Camerounaise et Internationales, la photographie de la victime ainsi que du lieu où son corps a été retrouvé a été fortement partagé sur Facebook, certains internautes changeant même leurs photos de profils à cet effet. Aussi, en lisant, commentant et partageant les internautes ont démontré leur volonté d’informer à leur tour les autres internautes, le cumul des ressentiment a alors suscité de nombreuses actions symboliques et appelé à des marches de soutien.

« Internet représente un espace ouvert qui procure aux mouvements sociaux une grande autonomie, puisque les barrières de contrôle disparaissent et les protestations, les plaintes ou les appels à la mobilisation arrivent, à peu de frais, à un nombre plus grand de partisans ».

Suarez Collado, 2013, 51

Les exemples Chinois et Camerounais mettent en lumière le rôle crucial que peuvent jouer les réseaux sociaux dans des contextes politiques et sociaux variés, agissant comme des facilitateurs de dialogue et de mobilisation là où les canaux traditionnels sont insuffisants ou inexistants.

Les Réseaux sociaux, amplificateurs des mobilisations 

En France, tandis que la liberté d’expression est un droit majeur garanti par l’article 11 de la DDHC, les Réseaux Sociaux trouvent également leurs places, dans des contextes de mobilisation sociales, cela notamment en jouant des rôles cruciaux dans l’organisation de mouvements, tels que les gilets jaune. En effet, ce mouvement de protestation commencé le 17 novembre 2018 s’est développée de manière massive via les Réseaux Sociaux. On recense par exemple à la mi décembre, soit un mois après le début du mouvement, 1548 groupes Facebook de plus de 100 membres chacun associés au mouvement. Les plateformes de Réseaux Sociaux et notamment de Facebook ont été essentielles pour structurer le mouvement et aidé à coordonner les manifestations à grande échelle, à rassembler les participants et à diffuser des informations en temps réel.

Pour démontrer l’impact des réseaux sociaux dans la mobilisation, dans « Les déterminants de la mobilisation des Gilets jaunes », Pierre C. Boyer, Thomas Delemotte, Germain Gauthier, Vincent Rollet et Benoit Schmutz ont réalisé une étude permettant de démontrer le lien entre la mobilisation en ligne et hors ligne. En utilisant deux sources de données compilées reflétant à la fois la mobilisation online et offline et en construisant trois indicateurs ( Nombre de rassemblements prévus par zone géographique, Nombre de membres de groupes Facebook associés à chaque zone géographique et Nombre de publications sur les groupes Facebook associés à chaque zone géographique), ils ont démontrer une corrélation positive entre les indicateurs de mobilisation online et offline. Plus précisément, l’étude a également démontré une forte corrélation (74%) entre le nombre de groupe Facebook par départements et le nombre de blocage ayant eu lieu dans ce département ainsi qu’une corrélation de 62 % entre le nombre de blocage dans ce département et le nombre de publications sur Facebook.

De nombreux travaux théoriques récents (Edmond [2013] ; Little [2016] ; Barberà et Jackson [2018]) se sont penchés sur l’importance des réseaux sociaux en ce qui est de l’émergence de mouvements de protestation de grande ampleur. Aussi, alors que la coordination est essentielle pour à l’action collective mais souvent limitée par les asymétries d’information et les contraintes des canaux de communication, les réseaux sociaux permettent de transformer les habitudes des citoyens comme des gouvernements.

Le dialogue en Chine, la mobilisation au Cameroun et les manifestations en France ne sont que quelques exemples de la manière dont les réseaux sociaux permettent de créer des espaces pour des voix qui autrement resteraient silencieuses et offrent des moyens de contestation et de résistance face à l’oppression. Ces plateformes ont révolutionné la manière dont nous communiquons mais ont également redéfini les paradigmes de mobilisation et d’expression dans des contextes variés à travers le monde. Ainsi, que ce soit dans des pays où la censure prédomine ou dans des démocraties où la parole est plus libre, les réseaux sociaux ont prouvé leur capacité à servir de catalyseurs pour le changement social et politique.

Louise Lefevre

Sources: