Récemment le laboratoire Open AI, à l’origine des intelligences artificielles telles que Chat GPT ou encore Dall-E, suscite l’intérêt de nombreux investisseurs. Initialement créée dans un but non lucratif, ce laboratoire serait valorisé, selon le Wall Street Journal, à hauteur de 29 milliards de dollars et viserait un chiffre d’affaire de 200 millions de dollars en 2023. Cet entrain suscité par ces outils d’intelligence artificielle (IA) témoigne des perspectives porteuses qu’assurent ces multiples technologies.
D’après la CNIL, l’intelligence artificielle « est un procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser des tâches bien définies ». Le Parlement européen précise d’avantage la définition et qualifie d’intelligence artificielle les outils qui participent à la reproduction du comportement humain notamment des facultés de raisonnement, planification ou encore de créativité.
Ces nouvelles technologies bouleversent le fonctionnement de nombreux secteurs. L’industrie de l’information est particulièrement marquée par la création de ces nouveaux outils. En effet, le marché de l’information se composent de nombreux acteurs voués à diffuser et produire de l’information. Les médias traditionnels et journalistes apprennent à travailler avec ces intelligences artificielles et les intègrent à leur fonctionnement au fil de leurs évolutions.
Quelles seront les implications, à moyen et long terme, de ces nouvelles technologies sur le secteur de l’information et plus précisément sur le journalisme ?
Les outils d’intelligence artificielle sont d’abord perçus comme une aide à la production journalistique. Cependant, ces technologies peuvent représenter une menace pour le secteur et le code déontologique de la profession.
Des outils technologiques qui aident la profession
Depuis plusieurs années, les médias intègrent avec succès des outils d’IA dans leur activité. D’après l’Institut Supérieur de Formation au Journalisme, les technologies d’intelligence artificielle prennent en charge 8 à 12% des tâches quotidiennes des journalistes. Ce gain de temps est réalloué et contribue à l’accroissement de la qualité et de la valeur ajoutée des contenus proposés par les reporters et médias.
On peut citer Syllabs une start-up française qui propose un outil de rédaction automatique d’articles à partir de données. Cette solution est adoptée par le journal Le Monde en 2015 afin de rédiger des articles sur les résultats locaux à l’occasion des élections départementales des 36 000 communes françaises. Syllabs permet alors la création de contenu automatique, qui traite des données et les traduit en textes rédigés. Ce programme est perçu comme une aide à la rédaction, qui n’est cependant pas autonome et pas dispensée d’une forme de supervision humaine. Dans Sciences et Avenir, Claude de Loupy, président de la société Syllabs, rassure et explique qu’ «un scénariste définit la structure du texte, jusqu’au ton utilisé ».
En effet, de nombreux outils d’IA facilitent les tâches récurrentes et chronophages qui contribuent à l’activité de l’information, sans y être destinés précisément. Le nouvel outil développé par Open AI, Chat GPT, recense déjà de nombreuses utilisations appliquées. On note entre autre : Youtube Summary with ChatGPT, qui permet de générer des résumés écrits de vidéos Youtube. La chaine de valeur de l’information intègre alors déjà ces technologies d’intelligence artificielle à différentes étapes qui favorisent la création et diffusion du contenu.
Par ailleurs, l’IA a des applications diverses dans l’industrie des médias. Des éditeurs testent Sophi.io, un outil prédictif qui propose d’actualiser automatiquement les pages d’accueil en fonction des tendances du moment. Ce programme oeuvre en faveur de l’automatisation de la dernière étape de la chaine de valeur de l’information, à savoir la diffusion. La diffusion du contenu et de l’information intègre divers programmes et algorithmes de recommandation qui composent les fils d’actualité et définissent les contenus mis en avant.
Enfin, dans le cadre de la rédaction d’articles les outils de « Fact checking » sont très utiles afin de baser les contenus sur des données vérifiées et avérées. Aux Etats-Unis, PolitiFact permet de garantir la véracité des faits, promesses et arguments avancés par les personnages politiques.
Les médias profitent de ces innovations qui servent les journalistes dans la création de leur contenu. D’après le projet de recherche Journalism AI, près de 4 rédactions sur 10 ont déjà investi dans des stratégies intégrant l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle intervient dans les différents domaines des stratégies initiées par les médias. Le schéma ci-dessous présente les principes innovants d’automatisation qui interviennent dans les différents secteurs tels que la production, la vérification ou encore la diffusion du contenu.
L’ensemble de la chaine de valeur de l’information intègre des outils d’intelligence artificielle
Capture d’écran du site Journodev – 30/01/2023
Quelles menaces pour l’industrie de l’information ?
Néanmoins, certaines technologies menacent davantage la profession. En effet, en Chine ou en Corée du Sud on observe la naissance d’avatars virtuels des présentateurs et journalistes célèbres. Cette méthode permet aux animateurs d’être relayés par leur alter-ego virtuel afin de maintenir leur présence à l’antenne tout en réduisant le coût des programmes. Cette technologie est attrayante pour les dirigeants des groupes médiatiques, elle devrait s’exporter aux Etats-Unis, où la recherche d’efficience est une priorité.
Bien que ces innovations technologiques menacent certaines fonctions du secteur, un média entièrement automatisé semble peu réaliste. Le fond pour l’innovation dans les médias de Google, contribue au développement de divers projets qui placent les nouvelles technologies au coeur des médias. On retrouve parmi ces initiatives, RADAR (Reporters and Data and Robots), une agence de presse locale automatisée, qui s’est développé au Royaume-Uni grâce à une aide financière de 706.000 euros de la part de Google. Sur la page d’accueil du site on peut lire : « Nous avons construit la seule agence de presse locale automatisée au monde. Nous fournissons des contenus s’appuyant sur des données à des centaines de sites web d’informations, de publications et de diffuseurs à travers le Royaume-Uni ». Or, tout n’est pas automatique sur ce fournisseur de contenu. L’activité de RADAR est tout de même soumise à un contrôle éditorial exercé par une équipe de journalistes. Tandis que les algorithmes de référencement des données qui constituent le coeur de l’activité sont surveillés et façonnés par les équipes informatiques.
Les médias autonomes semblent encore un peu utopistes, cependant on remarque un renouvellement majeur dans les fonctions clés qui composent un média. On observe une évolution des compétences dans l’industrie des médias. Les acteurs clés émergents dans le secteur du journalisme semblent être les ingénieurs informatiques, les linguistes ou encore des analystes et scientifiques de la donnée. Les outils d’intelligence artificielle deviennent peu à peu indispensables dans la chaine de valeur de l’information. Il est alors nécessaire de les piloter et de les contrôler afin de ne pas biaiser le processus de production et de diffusion de l’information. Bien que les médias tentent d’internaliser leurs services informatiques et innovations, ils sont souvent contraints d’avoir recourt à des prestataires informatiques et entreprises innovantes externes.
Certaines entreprises, jouent alors un rôle clé dans l’industrie de l’information et doivent maitriser leur activité afin de ne pas nuire à la chaine de production journalistique. Le journaliste est aujourd’hui dépourvu de certaines missions qui lui incombaient initialement dû au développement massif des intelligences artificielles plus puissantes et plus efficaces. Afin que le journaliste conserve sa légitimité, les formations en journalisme suggèrent de développer leurs compétences en informatique afin de faciliter les dialogues avec les nouveaux métiers de l’information, à savoir les ingénieurs, informaticiens ou encore spécialistes en gestion des données.
L’intelligence artificielle se heurte en certains points au code de déontologie de la profession. L’IA est alimentée par l’ensemble des informations disponibles sur internet. Par définition les algorithmes traitent un grand nombre de données, y compris des données personnelles qui posent, entre autres, la question du respect de la vie privée.
Il existe des chartes éthiques et déontologiques qui établissent les principes généraux auxquels les journalistes et salariés d’un groupe doivent se soumettre, celle du journal Le Monde par exemple. Par ailleurs, il existe également La Charte des devoirs professionnels des journalistes français, établie en 1918 qui marque la création du Syndicat National des Journalistes (SNJ). Cette charte expose différents principes auxquels doivent obéir les journalistes, tels que : Un journaliste, digne de ce nom « prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes »; « ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque »; ou encore « ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière ». L’ensemble des principes cités ci-dessus mettent en avant des points sensibles de la profession qui font appel à une capacité de discernement aiguisée.
Les principes relatifs à la responsabilité de l’auteur ou du plagiat posent des problématiques qui relèvent de la responsabilité juridique de l’auteur. De fait, il est complexe d’attribuer cette responsabilité en raison du nombre de technologies présentes dans la chaine de valeur de l’information. On observe également qu’un des principes évoqués par la charte distingue le journaliste et ses production des multiples enjeux commerciaux. Or, nous savons qu’un algorithme est biaisé par nature puisqu’il se base sur les préférences et opinions des utilisateurs.
Les intelligences artificielles doivent alors être intégrées avec prudence et mesure afin que l’industrie de l’information et ses acteurs continuent d’exercer en toute intégrité.
Mylow GILLES
Sources :
- Laurence Dierickx, 2021, Intelligence artificielle et journalisme : une course avec les machines. https://www.equaltimes.org/intelligence-artificielle-et#.Y9ll1-zMJQL
- Margaux Vuillet, 2023, OPENAI ET SON CHATBOT CHATGPT BIENTÔT VALORISÉS À 29 MILLIARDS DE DOLLARS ?
https://www.bfmtv.com/tech/open-ai-et-son-chatbot-chat-gpt-bientot-valorises-a-29-milliards-de-dollars_AN-202301060381.html - Marine Slavitch, 2023, En 2023, les médias expérimenteront davantage l’IA. https://larevuedesmedias.ina.fr/predictions-tendances-medias-2023-institut-reuters-intelligence-artificielle-abonnement-inflation-information-podcast-newsletter-climat?fbclid=IwAR3fI-UKV-oUs_OJ3bTHGm1FZKKURiMwkwv2chisctNoeQIp_BhsLIV2Nlc
- 2021, L’intelligence artificielle signe-t-elle la fin du journalisme ?
https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/l-ia-et-nous-information-l-intelligence-artificielle-signe-t-elle-la-fin-du-journalisme_137675 - 2021, FAQ: intelligence artificielle et fake news
https://journodev.tech/faq-intelligence-artificielle-et-fake-news/ - 2010, La charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde
https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/11/03/la-charte-d-ethique-et-de-deontologie-du-groupe-le-monde_1434737_3236.html#huit-anchor-publicite - Charte des devoirs professionnels des journalistes français
https://www.snj.fr/article/charte-des-devoirs-professionnels-des-journalistes-fran%C3%A7ais - CNIL, Intelligence artificielle
https://www.cnil.fr/fr/definition/intelligence-artificielle#:~:text=Pour%20le%20Parlement%20europ%C3%A9en%2C%20constitue,la%20planification%20et%20la%20cr%C3%A9ativit%C3%A9%20%C2%BB