LES INFLUENCEURS VIRTUELS : L’AVENIR DE LA PUBLICITÉ DIGITALE ?

La façon de vendre un produit a évolué et les influenceurs sont une réelle opportunité pour les marques afin de faire connaître leur produit auprès d’une audience spécifique.

Vous avez dit « influence » ?

Action vieille comme le monde, l’influence voit ses premières pratiques théorisées dés le début du XXème siècle par Edward Bernays pour l’industrie. Le terme a peu à peu évolué pour s’individualiser (notamment grâce aux ciblages de plus en plus précis des algorithmes auprès des populations). Le Larousse définit l’influence comme un « pouvoir social et politique de quelqu’un, d’un groupe, qui leur permet d’agir sur le cours des événements et des décisions prises ».

Pour l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) un influenceur« exprime un point de vue ou donne des conseils, par écrit, audio et/ou visuel, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie». L’objectif affiché est clair : il faut marquer les esprits.

L’efficacité de l’influence

Même si 69% des consommateurs Français se déclarent plutôt libres dans leurs choix d’achats (faisant d’ailleurs plus confiance à leurs pairs qu’aux influenceurs pour prendre une décision d’achat) ; les millenials, plus influençables, restent attachés aux conseils (Etude internationale de Bazaarvoice, menée auprès de 4000 personnes en France, au Royaume-Uni et en Allemagne). Les 18-24 ans se montrent particulièrement sensibles aux discours et aux informations disponibles en ligne comme les commentaires ou les avis. Aussi, 80% des jeunes Français déclarent avoir découvert un produit ou une nouvelle marque directement via à un influenceur. Enfin, 70% des 18-24 ans pensent que le rôle des influenceurs va s’accroître dans les prochaines années (Etude Harris Interactive pour l’Obersvatoire Cetelem)

Ce qui fait dire à Flavien Neuvy, Directeur de L’Observatoire Cetelem, que le rôle des influenceurs virtuels va s’accroître, « cette tendance amène de plus en plus de marques à réfléchir sur la répartition de leur budget publicitaire. De très nombreux Youtubeurs spécialisés font des audiences supérieures aux chaînes d’information en continu avec un public très ciblé. Instagram, et désormais Snapchat, sont les terrains de jeu des influenceurs ». Les marques l’ont bien senti et les plus influentes ont investi massivement dans leur propre influenceur, sorte de robot virtuel au service des produits de l’entreprise.

Une révolution à pas de velours

Dans ce nouveau monde, oubliez les séances de shooting photo, les retouches maquillage et la mythique Jane Fonda (même si elle le vaut bien). Les marques se tournent de plus en plus vers des mannequins 2.0 pour assurer (et verrouiller) leur communication digitale. 

Vraie révolution dans l’univers de la publicité digitale depuis 2016, les influenceurs virtuels brouillent les pistes et naviguent entre fiction et réalité. Mais ce n’est que depuis quelques mois qu’ils débarquent massivement sur les réseaux sociaux. Instagram, avec plus de 800 millions d’abonnés, est leur terrain de jeu numéro 1. 

Sorte de personnes numériques animées, jamais malades, infatigables, polyglottes, malléables, sans limites de temps ou de lieux et éternellement jeunes, ces êtres virtuels ont de quoi séduire et rassurer les annonceurs. Avec eux, les marques gèrent au maximum la communication de leurs produits sur les réseaux. Alors qu’avec un influenceur classique elles ne maîtrisaient pas les photos prises et publiées, les marques ont ainsi trouver le moyen de répliquer en misant sur un influenceur virtuel maison.

Les marques et leur influenceur virtuel

Ces mannequins artificiels et animés envahissent les comptes des plus grandes marques (Dior, Prada, Louis Vuitton, Buccellati, Chanel, Converse etc) habillés et guidés par les services de communication. Alors que 71% des marketeurs considèrent le marketing d’influence comme stratégique (selon Traackr, In EBG Marketing digital 2018), le storytelling est millimétré, qualibré et différent selon les listes de publication pour toucher au plus juste. Tout peut être préparé, planifié des semaines à l’avance et testé sur des échantillons.

La plus célèbre, Miquela, a été créée par une start-up californienne, présentée comme une « agence de gestion de talents artificiellement intelligents ». L’entreprise a récemment levé plusieurs millions de dollars pour développer son activité. Le succès est au rendez-vous puisque Miquela est suivie par 1,5 million d’abonnés sur Instagram ( début janvier 2019, image au centre) .

« Égérie actuelle du joailler italien Buccellati, la top model digitale Noonoouri est apparue en février 2018 et cumule plus de 210 000 abonnés sur son Instagram. Elle est aussi influenceuse mode et s’invite virtuellement aux grands évènements liés au luxe. Lors du défilé Croisière 2019 de Dior, Noonoouri a pris les commandes du compte Instagram de la marque pour faire vivre le show à ses abonnés. Fin août 2018, le directeur artistique de Balmain, Olivier Rousteing dévoilait sa « Balmain Army » sur Instagram, un trio de choc composé de trois égéries virtuelles multi-ethniques. Les trois filles reprennent les codes traditionnels de la beauté pour porter les produits de la marque.

Un flou souhaité par les annonceurs ?

Misant la carte du numérique et du virtuel avec des entités sur mesure entretenant, les marques créent parfois la confusion. Le photographe londonien Cameron-James Wilson a annoncé que les images de la mannequin Shudu Gram, 160 000 abonnés, étaient le fruit d’une création 100% numérique. Mais après cette annonce, certains followers « continuent de penser que Shudu est une personne humaine, tandis que d’autres croient à une gynoïde (un robot qui aurait l’apparence d’une femme) » selon les constats du photographe créateur.

Selon certains spécialistes de la communication ce « flou artistique maintenu volontairement autour de ces célébrités biodigitales permet d’entretenir le mystère utile à la communication des marques. Le doute profite à ces influenceur·se·s d’un nouveau genre, qui font progresser la notoriété des entreprises de manière plus créative et en phase avec leur temps ».

Quoiqu’il en soit, la communication, et au delà, la publicité sur les réseaux sociaux est en train de vivre une nouvelle révolution. Grâce au virtuel, les marques se réapproprient leur communication sur les réseaux en créant des célébrités biodigitales collant à 100% à l’ADN de l’entreprise. Ce nouveau débouché est un formidable vecteur de croissance mais une source non négligeable de problèmes.

Le mariage du réel et du virtuel fait évoluer ces nouveaux êtres bio-digitaux dans l’inconnu. Selon certains spécialistes, on pourrait rapidement devenir « otage de ces créatures ». Que pourrait-il se passer en cas de piratage informatique ? En cas d’erreur de communication, est-ce à la personne virtuelle à s’excuser ou à la marque directement ? Qui est responsable de l’influenceur virtuel ? Son créateur technique ou celui qui le fait vivre au quotidien ?

Plus préoccupant encore, les influenceurs « classiques » en chair et en os devront-ils eux aussi adopter les nouveaux codes et langages corporels stéréotypés des personnages virtuels ? Même si certains y voient une formidable occasion de créativité, d’autres tirent la sonnette d’alarme.

Le 28 novembre 2018, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), s’est interrogée sur l’identification des publications comme des communications commerciales. Via son observatoire des pratiques publicitaires digitales, l’Autorité mène actuellement plusieurs études afin de réguler les posts de ces influenceurs virtuels.

Visiblement dépassés par le phénomène, les acteurs français de la régulation sont encore dans une phase d’observation active face à ces nouvelles « créatures » qui jonglent entre la communication visuelle classique (les rapprochant du comportement humain) et la communication technologique (produite par des procédés issus de l’informatique). Leur identité n’étant à aucun moment clairement définie. S’agit-il de modèles informatisés ? D’hologrammes ? D’êtres humanifiés ? D’avatars mis en scène ? De créatures virtuelles ? De robots ? La boîte de pandore semble ouverte, comme souvent avec le numérique…

Le droit dépassé par ces nouvelles créatures

Alors que les médias sociaux permettent de créer, de faire vivre et de suivre ces modèles artificiels, les questions juridiques sont nombreuses. Les influenceurs en chair et en os ont des partenariats protéiformes. Ils peuvent parler d’un produit en toute indépendance, être sponsorisés ou être dans une relation contractuelle (contrat de mannequin pour la plupart) avec une marque.

Comme souvent avec le numérique, les usages précédent le droit et la rapidité d’exécution ne laisse pas le temps de s’interroger sur les éventuels problèmes de ces nouvelles pratiques. En toute logique, l’influenceur virtuel est le fruit d’une oeuvre collective qui engage la responsabilité du chef. Mais qui du service informatique ou de celui de la communication portera la responsabilité finale des faits et gestes du mannequin ? Vers qui pourra se retourner un internaute ou une association qui se sentira visée par une publication d’un influenceur virtuel ?

Une frontière perméable entre le réel et l’imaginaire 

Plus largement, les journalistes Yoree Koh et Georgia Wells du Wall Street journal s’interrogent à savoir « dans quelle mesure peut-on être authentique si vous n’êtes même pas un être réel ? ». Contrairement à un film, où la frontière entre le réel et l’imaginaire est clairement établi, ici, l’influenceur évolue dans un univers fait de manipulation, d’artificialité et de tromperie sous couvert de coller le plus fidèlement à la réalité. C’est souvent à trop se regarder que l’on chute. La littérature en est témoins… Pour générer du trafic, les marques inventent une vie au personnage ; la narration déployée attire et suscite la curiosité pour une vie que l’on ne sait pas toujours artificielle. Mais jusqu’à quel point pourront aller les marques dans cette nouvelle guerre de l’influence ?

Se pose clairement la question de l’acceptation d’un être non humain au sein des réseaux sociaux. Réseaux dont la promesse est pourtant de miser sur les liens sociaux.

Éléments de réponse au pays du soleil levant où le succès de la chanteuse holographique Hatsune Miku ne se dément pas. L’artiste 2.0 se produit à guichet fermé. Toutefois, selon Natalie Dillon de société Maveron, le Japon a, de part sa culture, une avance considérable sur l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique sur ce genre d’approche. Au delà de l’influence, c’est l’ensemble des domaines artistiques qui sont en train de voir apparaître une concurrence biodigitales, mélange d’humain et de numérique.

Florent CHABANEL

Bibliographie

  • Marketing digital 2018, EBG, Laetitia Theodore, Brice Blanquier
  • « Et si les futurs « influenceurs » n’étaient pas humains ? », Rémi Lévêque, usbeketrica.com.
  • « Ces 5 mannequins virtuels qui font un carton sur Instagram », Margaux Dussert, L’ADN.eu/media.
  • « Le business d’une influenceuse virtuelle, »Yoree Koh, Georgia Welles, L’opinion.
  • « ARPP Influenceurs et marques : quelles bonnes pratiques de loyauté et de transparence ? », Média Institute.
  • « COMMUNICATION D’INFLUENCEURS ET MARQUES, nouvelles dispositions adoptées dans la Recommandation ARPP Communication publicitaire digitale », ARPP.org.
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