Comment le numérique est entré dans les usages et les écritures du genre documentaire?

L’arrivée du numérique dans le genre documentaire : conséquences et mutations au sein d’un genre traditionnel.

Le documentaire est un genre en perpétuelle évolution. On s’attachera à démontrer que les nouveaux supports numériques permettent de rendre l’immersion encore plus importante pour le spectateur. Deux exemples de transformation numérique du documentaire, le web documentaire, la vidéo à 360° et la réalité virtuelle.

1 . Le web-documentaire 

Le web-documentaire est un type à considérer dans la typologie. Il s’agit d’une nouvelle extension du documentaire. 

Le web-documentaire est communément distingué comme un « nouveau dispositif de médiation en ligne de l’information ».
Par son aspect révolutionnaire, il a donné lieu à plusieurs définitions. Dans le paysage culturel et artistique, le web-documentaire est caractérisé comme une « œuvre interactive à la frontière entre reportage d’enquête et documentaire ». Certains chercheurs en science de l’information et de la communication comme Eric Pedon vont plus loin et qualifient cette production de « multiforme, protéiforme, qualifiée d’exploratoire, de tâtonnante, d’innovante, d’expérimentale ». Devant tant de définitions différentes, il apparaît nécessaire de s’attarder sur l’histoire du web-documentaire. 

1. Historique du web-documentaire 

L’apparition du web-documentaire procède du contexte de crise économique des médias et du renouvellement de la presse. Les nouveaux modes de consommation des médias ont renouvelé les pratiques et on observe une convergence numérique des contenus.
Plusieurs constats peuvent être faits : 

– La télévision souffre du phénomène du zapping et de la migration d’une partie des télénautes vers Internet où « les contenus sont délinéarisés aux côtés du flux télévisuel habituel »
– Au sein de la presse écrite, le lectorat a baissé considérablement.
– Internet bénéficie d’une croissance rapide du nombre d’internautes. 

D’après Médiamétrie, « Les internautes sont aujourd’hui ultra- connectés et s’ils sont de plus en plus sollicités via cette exposition décuplée sur la toile, ils savent aussi se mettre en scène en utilisant les réseaux sociaux pour partager les contenus en tous genres et expériences personnelles ». L’institut recense 43,2 millions d’internautes, 27 millions de mobinautes et 11,2 millions de tablonautes en 2013. Ils consultent la presse, regardent des contenus TV en live ou en catch up ou encore écoutent la radio. Internet est un complément aux supports traditionnels. Par ailleurs, 9 vidéos chaque jour 

Le web-documentaire est alors un moyen pour les médias de tester de nouveaux modes de productions adaptés au web. Des grands groupes de presse et audiovisuel comme Le Monde, Arte, France 5, France 24, Canal+ expérimentent l’éditorialisation du web documentaire, car il pourrait devenir un nouveau modèle économique. 

2. Adoption des codes du documentaire 

Le web-documentaire développe la vision d’un auteur sur un contenu réel, basé sur plusieurs types de documents possibles (photographie, audio-vidéo, texte…). Il s’agit toujours, dans un format différents de documenter un sujet à travers différentes sources. Il se situe entre le simple site internet et le film documentaire. Mais le récit, raconté depuis un point de vue d’auteur suit un schéma classique : situation initiale, péripéties, conclusion. 

Le documentaire est une oeuvre scénarisée, cela implique « une mise en scène ». Il faut réfléchir à la façon dont on place les objets, aux positions des protagonistes face à la caméra. Il s’agit du « profilmique ». Les plans sont revus, coupés, collés et ré-agencés au montage. L’auteur décide de la chronologie des plans qu’il monte, c’est lui qui décide de l’orientation que son documentaire prend au fil du montage pour insister sur tel ou tel aspect du sujet. Le montage permet de resserrer l’angle choisi pour traiter du sujet. 

Le web-documentaire tout comme le documentaire classique cherche à montrer des informations au public mais aussi à montrer une analyse de plusieurs informations impliquant des consignes de tournage et de lecture via le dispositif. Grozny 9 Cities est un web documentaire qui a reçu en 2013 le trophée « web journalisme » au Prix Bayeux Calvados . “Grozny 9 Cities” explore cette complexité. Les trois photographes russes, Olga Kravets, Maria Morina et Oksana Yushko, travaillaient sur ce projet depuis 2009. Cette œuvre interactive, produite par Chewbahat Storytelling, est une expérience visuelle, sonore et narrative passionnante et forte. 

2 . La réalité virtuelle et la video à 360°

Le terme « réalité virtuelle », (RV) présent dans le langage courant a été popularisé par Jaron Lanier par le biais de sa société VPL Research. VPL Research détient un bon nombre de brevets de VR déposés dans le milieu des années 1980.
Le concept de réalité virtuelle a ensuite été popularisé par des films tels que Brainstoret The Lawnmower Man. L’intensification de la recherche dans les années 1990 résulte en partie de la publication de l’ouvrage Virtual Reality (1991) d’Howard Rheingold. Ce livre a permis de démystifier le sujet, le rendant plus accessible aux chercheurs et aux amateurs enthousiastes. 

Là encore, une brève histoire de la réalité virtuelle s’impose avant d’aborder celle-ci dans le documentaire. 

L’arrivée du premier casque de réalité virtuelle est créé en 1970. C’est à l’Université de l’Utah qu’il est réalisé par Daniel Vickers. Formé de deux écrans, le casque donne à l’utilisateur la possibilité d’observer la scène virtuelle qui lui est présentée en tournant la tête. Une belle nouveauté ! 

La première commercialisation des casques a lieu en 2016. Parmi eux, on trouve l’Oculus Rift, le HTC Vive et le Playstation VR.

Enfin, en 2018, ce sont plus d’une dizaine de casques de réalité virtuelle qui sont disponibles pour le grand public du low cost au haut de gamme. 

Les interfaces sensorielles : visuelles, sonores, tactiles, olfactives et à simulation de mouvement permettent à l’utilisateur de percevoir le monde virtuel et d’y être immergé.

Un certain nombre de symptômes indésirables ont été causés par une utilisation prolongée de la réalité virtuelle. Par exemple, des dommages au système visuel (crise d’épilepsie, migraines, lumière infrarouge et lumière ultraviolette, etc.), auditif, des dommages dermatologiques (thermique, radiation, transmission d’agents infectieux entre utilisateurs, etc.) ainsi que des dommages physiques. 

2. La réalité virtuelle dans le documentaire 

Il est nécessaire de s’interroger sur les visées de l’utilisation de la réalité virtuelle dans le documentaire. Le Forum des Images a lancé en janvier 2018 un festival de la réalité virtuelle. On peut dégager un classement des différentes expériences vécues ; généralement la réalité virtuelle illustre trois thèmes, la guerre, les paysages et les sports extrêmes. 

a) Faire l’expérience de la guerre 

« Nobel nigthmare’s » est un documentaire en réalité virtuelle en plein coeur d’Alep en Syrie sous les bombes. Ce film immersif tourné en 360° baptisé «Nobel’s Nightmare» a été tourné par les casques blancs, les secouristes bénévoles non armés de l’organisation citoyenne, la Défense civile syrienne qui a prétendue au prix Nobel de la paix, en 2016. 

Une fois le casque enfilé, c’est une tout autre réalité qui s’offre au spectateur. En plein coeur d’Alep, un paysage de désolation est devant nous. Selon les rues, des enfants jouent, d’autres courent se réfugier. Partout le chaos, immeubles détruits et bruits de frappe. Le spectateur accompagne secouristes bénévoles, à bord d’une voiture à ciel ouvert, cherchant des blessés pour leur porter secours. Au milieu des ruines, l’on peut tourner la tête de droite à gauche pour voir l’étendue des dégâts. 

Le spectateur n’est plus passif : il peut désormais se retourner dans tous les sens, regarder devant, derrière, sur les côtés… Nous ne sommes plus face au désastre : nous sommes DANS la guerre. On ne regarde plus : on ressent.. L’impact émotionnel est mille fois supérieur au simple regard posé sur l’écran de télévision. 

b) La réalité virtuelle, atout pour les paysages 

Le deuxième documentaire, « Growing a world wonder », un documentaire sur l’environnement. Une fillette née au Sénégal raconte l’évolution environnementale de son pays et les conséquences de la sécheresse sur les récoltes agricoles. Pour essayer de mettre fin à la sécheresse un projet a été lancé en 2008 dans le pays : 40 000 hectares ont été reboisés. Ce projet, intitulé « La Grande Muraille verte », a pour objectif de restaurer les écosystèmes sahéliens menacés par la désertification. Le tout est montré à la fois par des images au sol, au milieu d’un village mais aussi par des images tournées à l’aide de drones, nous permettant de voir ces champs d’un point de vue aérien. L’utilisation de la réalité virtuelle prend ici tout son sens, quoi de mieux pour rejoindre la cause environnementale que de se sentir immergé dans les failles de nos eco- systèmes et de voir les terribles conséquences que cela peut avoir sur des populations entières. 

c) La réalité virtuelle ou la promesse tenue des sensations extrêmes 

Le dernier documentaire Le goût du risque emmène le spectateur au cœur des sports extrêmes : du snowboard freeride, bodyboard dans les rouleaux des océans… La réalité virtuelle permet de ressentir des sensations extrêmes tout en continuant de documenter un sujet. 

A travers ces deux exemples, le web documentaire et la réalité virtuelle, le numérique a transformé le genre documentaire. Il a enrichit les possibilités du documentaire et l’a révolutionné : la possibilité d’une réalité exposée à 360° façonne différemment le genre. C’est le cas du documentaire immersif, appelé aussi « embarqué », où la réalité virtuelle semble être idéale pour le spectateur qui endosse le nouveau rôle d’acteur, l’expérience du spectateur est transformée. 

Cassandre Sevestre

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