E-SPORT : Comment les plateformes ont aidé à faire de l’E-sport un divertissement grand public ?

Le Championnat du monde 2022 de League of Legends bat un nouveau record d’audience en enregistrant un pic de 5,1 millions de spectateurs lors de sa finale. Selon la société de données Esports Charts, il s’agit d’une augmentation de 1,1 million par rapport à l’édition 2021. L’une des réussites les plus emblématiques de la compétition organisée par Riot Games est d’avoir renoué avec son pic d’audience sur la plateforme de streaming en ligne Twitch en atteignant près de 3,1 millions de spectateurs simultanés lors du match décisif.

En devenant le tournoi League of Legends le plus regardé de l’histoire, ce record traduit une réalité bien plus significative : les compétitions rendues de plus en plus accessibles par les plateformes contribuent à faire de l’E-sport un divertissement grand public indétournable.

La montée en puissance de l’E-sport : un divertissement à l’ère du numérique

Le sport électronique, plus communément appelé E-sport désigne la pratique de jeux vidéo en compétition organisée sous forme de tournois et réunissant les plus grands joueurs professionnels de la planète.

Bien que numérique, la discipline reprend tous les codes d’un sport traditionnel. En effet, les compétitions se déroulent dans des arènes accueillant des milliers de spectateurs et dont la scénographie est travaillée pour rendre le tournoi divertissant et impressionnant. Tout comme la diffusion d’une coupe du monde de football ou d’une finale de NBA, les compétitions sont rythmées par les interventions animées de commentateurs du monde entier. Enfin, les joueurs exercent à un niveau professionnel d’excellence et sont accompagnés de leurs coach. L’atteinte de ce niveau exige, comme tout sport, un entraînement quotidien intensif.

Unique en son genre, la discipline offre aux fans de jeux vidéo une nouvelle expérience de divertissement.

Lors de la cérémonie d’ouverture des Championnats du monde 2022 de League of Legends, de nombreux artistes internationaux étaient présents comme Lil Nas X ou encore Jackson Wang. Les visuels et la scénographie mise en place prouvent encore une fois à quel point les compétitions sont divertissantes pour le public.

Ainsi, les plus grands champions de League of Legends, DOTA 2, Call of Duty ou encore Counter-Strike : Global Offensive sont parfois presque autant adulés que les plus grandes stars du football et rassemblent alors une communauté de fan conséquente et ce, notamment sur les plateformes digitales telles que Twitch, YouTube, Twitter ou encore Instagram.

Cette croissance rapide connue par l’E-sport ces dernières années est tout sauf anodine : les médias sociaux ont joué un rôle déterminant dans la démocratisation de la discipline en attirant un public de plus en plus important et diversifié.  

Une opportunité de connexion avec les fans du monde entier

Twitch est certainement l’un des principaux acteurs des médias sociaux dans l’Esport. Classée première plateforme de streaming de jeu vidéo, Twitch comptabilise environ 31 millions de visiteurs en ligne chaque jour et offre ainsi l’accès à une audience large et variée.

En diffusant l’intégralité des compétitions E-sport régionales, nationales et internationales qui se déroulent à travers le monde, la plateforme rend la discipline plus accessible non seulement aux communautés de fans des différentes franchises mais également aux fans de jeux vidéo qui ne sont pas encore familiers avec cet univers niche du gaming.

L’argument de la masse est évidemment décisif sur la plateforme : plus il y a de monde, plus le stream remonte dans les classements et est donc exposé à une plus large audience. C’est notamment en permettant à certains streamers comme Ibai de couvrir la finale des Championnats du monde 2022 de League of Legends que la compétition a établi de nouveaux records d’audience. Le streamer espagnol a rassemblé à lui seul plus de 481 000 spectateurs simultanés lors de l’événement, preuve que la force des communautés fait la différence.  

L’argument du divertissement l’est alors encore plus. Ce qui fait l’attractivité de Twitch, c’est son expérience de visionnage interactive avec la mise à disposition d’un chat de discussion. Les fans du monde entier peuvent alors se connecter entre eux en réagissant et interagissant en temps réel. Mais dans le cadre des compétitions e-sport, la plateforme pousse l’expérience immersive encore plus loin en intégrant de nombreux mini-jeux. Par exemple, Chat Clash permet aux fans de voter pour l’équipe qu’ils soutiennent en utilisant des émoticônes spécifiques dans la discussion en direct. Ceux-ci sont ensuite affichés à l’écran lors de la diffusion de la compétition. Des jeux de pronostics et des quiz interactifs sont également intégrés afin de tester les connaissances des fans et leur permettre de gagner des récompenses.

Ces fonctionnalités permettent d’immerger et d’engager l’audience de manière forte, ce qui renforce la culture du divertissement de l’e-sport.

Twitter joue également un rôle majeur dans la popularisation de l’E-sport. Le réseau social constitue le canal principal utilisé par les fans afin de rester à jour sur les dernières actualités du secteur. La viralité particulière de la plateforme permet de diffuser rapidement des informations mais aussi d’atteindre une audience conséquente. Twitter parvient à réunir les fans grâce à l’utilisation massive de hashtags qui permettent de facilement regrouper les publications autour d’un sujet commun et d’ainsi rassembler les communautés. Par exemple, le joueur de Call of Duty, Scump, utilise régulièrement le #GreenWalI afin de rassembler sa communauté de fans sur les réseaux sociaux.

https://twitter.com/OpTic/status/1650304863224430593?s=20

L’influence étendue à l’E-sport

Comme les plus grands athlètes, les joueurs professionnels d’E-sport ont une portée immense sur les médias sociaux : sur Twitch et Youtube les plus grandes stars touchent des millions de personnes chaque jour dans des livestreams. Ainsi, on retrouve de plus en plus la logique d’influence appliquée aux gamers notamment sur Instagram.

Des joueurs, comme le professionnel coréen Faker (de son vrai nom, Lee Sang-hyeok), partagent les coulisses des compétitions (entrainements, gameplay, vie personnelle en dehors des entraînements). Leur apparition avec d’autres stars influentes, comme ici le célèbre joueur de foot coréen Son Heung-min, accroit son influence auprès d’une autre audience.

D’autres partagent du contenu exclusif afin de se rapprocher et de fidéliser leur communauté. Par exemple, l’équipe américaine TSM (Team SoloMid) diffuse depuis 8 ans sur YouTube sa série documentaire « TSM Legends » dans laquelle ils révèlent les coulisses des compétitions.

Ces initiatives permettent de rapprocher la communauté de fans de ses « héros » en apportant un regard plus humain à leur profession et en cultivant leur influence via différents canaux.

Gentle Mates ou l’E-sport pour tous

En avril 2023, les streamers et Youtubeurs Squeezie, Gotaga et Brawks ont lancé leur première structure E-sport « Gentle Mates » sur le jeu Valorant.

Cette association n’est pas anodine pour l’avenir du E-sport français car elle s’appuie sur des communautés de fans très diversifiées et promet de participer à la popularisation de la discipline du fait de leur notoriété respective. On y retrouve Gotaga et Brawks, deux acteurs majeurs dans le domaine de l’E-sport puisqu’ils sont les co-créateurs de la Team Vitality (équipe française d’E-sport). Le duo s’associe à Squeezie, premier Youtubeur français aux 18 millions d’abonnés. Ce dernier touche un large public sur YouTube, plateforme où il offre du contenu divertissant et varié. Il possède également une solide communauté sur Twitch où il a dernièrement battu des records d’audience avec la diffusion du Grand Prix Explorer.

Ce qui rend ainsi cette structure unique, c’est qu’elle ne s’adresse pas qu’aux adeptes de l’E-sport. Gentle Mates utilise ainsi les médias sociaux pour promouvoir sa structure et ses joueurs à une large audience. Par exemple, la diffusion du trailer de promotion a notamment contribué à toucher un public nombreux et a suscité un fort engagement sur les réseaux sociaux au-delà des fans d’E-sport traditionnels.

Sur tous les gens qui jouent aux jeux vidéo, la moitié ne connaissent pas l’E-sport. Plus on est nombreux à suivre cette discipline, plus la discipline a du potentiel et plus il va se passer de choses autour de celle-ci. Dans l’intérêt de tout le monde, c’est cool de faire des ponts pour rendre ça accessible aux gens.

Squeezie

L’engagement d’une communauté variée de fans sur les réseaux sociaux répond ainsi à la volonté de Gentle Mates de réussir à décloisonner le milieu niche que peut constituer l’E-sport, divertissement encore en expansion.

Par l’influence de ces personnalités et l’engagement de leur communauté sur les différentes plateformes, la structure promet de populariser encore un peu plus l’E-sport au sein du paysage français.

Évolutions en perspective

L’avenir de l’E-sport est plus que prometteur et travaille sur de nombreuses perspectives pour son développement. Les technologies émergentes, comme la réalité virtuelle et augmentée peuvent offrir de nouvelles opportunités pour les joueurs et les fans de se connecter entre eux, en créant des expériences de jeu encore plus immersives et en augmentant la qualité des tournois.

Les plateformes vont-elles réussir à s’adapter à ces nouveaux enjeux ?

Emmanuelle YOG


SOURCES

Flamm. (2022, 6 novembre). League of Legends : Un pic à plus de 5 millions de personnes pendant la finale des Worlds 2022 de League of Legends, un nouveau record. Team aAa. https://www.team-aaa.com/fr/actualite/un-pic-a-plus-de-5-millions-de-personnes-pendant-la-finale-des-worlds-2022-de-league-of-legends-un-nouveau-record_127688#:~:text=C’est%20au%20cours%20de,l’histoire%20de%20League%20of

GOTAGA. (2023, 16 avril). JE LANCE MA STRUCTURE ESPORT (avec Squeezie et Brawks) [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=kego3hlrVUc

Marchandet, W., & Marchandet, W. (2022). Worlds 2022 : une audience globale en demi-teinte. Trente Trois Degrés : Le média de toute une génération. https://trentetroisdegres.fr/worlds-2022-une-audience-globale-en-demi-teinte/

News_13052021_eSports_ISPO_Netzwerk. (s. d.). ISPO.com. https://www.ispo.com/fr/theme/esports

Reisacher, A. (2023, 22 février). Chiffres Twitch & # 8211 ; 2023. BDM. https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-twitch/

Rachat d’Activision-Blizzard par Microsoft : Les GAFAM à l’attaque des jeux vidéo ?

Dans un communiqué de presse du 18 janvier 2022, Microsoft a annoncé son rachat du développeur de jeu vidéo Activision-Blizzard pour un montant de 68,7 milliards de dollars. Cette annonce d’acquisition est historique dans le monde du jeu vidéo et a provoqué de vives réactions, surtout en termes de concurrence.

Microsoft, un acteur historique de l’industrie des jeux vidéo.

Microsoft est le GAFAM qui a très tôt démontré une stratégie d’expansion vers l’industrie du gaming. Pour rappel, dès 1994, le géant américain de la tech crée Microsoft Game Studios, aujourd’hui connu sous le nom de Xbox Game Studios. Au début des années 2000, l’entreprise franchit une étape. Grâce à ses qualités de constructeur d’appareils électroniques, il vient concurrencer Sony et Nintendo sur le marché des consoles avec sa Xbox. En parallèle, Microsoft va, pendant plus de vingt ans, acquérir studio de jeux par studio de jeux. Il commence en 2001 par Turn 10, développeur de la licence Forza Motorsport, puis continuera avec des studios comme Rare, 343 industries ou encore Mojang studios, jusqu’à sa dernière acquisition en 2021 avec Bethesda.

Aujourd’hui, la firme vise le studio Activision-Blizzard, créateur de jeux vidéo sur téléphone, PC et console. Elle est la maison mère de franchises fortes comme Candy Crush, Call of Duty ou encore World of Warcraft, ce qui en fait un rachat particulièrement stratégique. Rien que le jeu Call of Duty est l’une des plus grosses licences de l’histoire du jeu vidéo ; ses ventes atteignent les 400 millions dans le monde.

Source : Unsplash. Photo de Sam Pak

Ce projet de fusion entre deux acteurs aussi massifs pose donc des questions d’équilibre des forces dans l’industrie du jeu vidéo. Pour justifier ce rachat, trois arguments sont avancés par Microsoft pour convaincre les autorités de régulation :

  • Les consommateurs y gagneraient. Microsoft renforcerait la valeur ajoutée de son Game Pass grâce à de nouvelles franchises fortes.
  • Les employés bénéficieraient d’un changement de culture d’entreprise. Depuis quelque temps, Activision-Blizzard subit des scandales liés au management interne.
  • Le secteur observerait un rééquilibrage des forces sur le marché des jeux mobiles. Pour rappel, les géants Google et Apple écrasent aujourd’hui toute concurrence sur cette verticale.

Les principaux opposants au rachat sont la FTC et Sony. L’organisme responsable de la défense de la concurrence aux Etats-Unis a porté plainte contre Microsoft malgré ses arguments préliminaires. La dernière fois que Microsoft s’était confronté à la FTC, il en était sorti perdant. C’est notamment de ce procès qu’ont découlé toutes les grandes confrontations juridiques sur les sujets d’anti-trust et de monopole. Leur argument principal vise la licence Call of Duty au vu de sa force de frappe en termes de vente et d’attractivité pour les consommateurs. L’un des dangers serait que Microsoft rende le jeu Call of Duty exclusif à sa plateforme, fragilisant Sony. La FTC a décidé d’évaluer la concurrence uniquement sur le marché des consoles à haute performance, un marché où les consoles Nintendo ne sont pas présentes. L’organisme évaluera aussi les conséquences sur le marché des abonnements (Game Pass, Playstation Plus, EA Play, etc). D’autres autorités homonymes vont également devoir rendre un verdict : la CMA au Royaume-Uni, les autorités de l’UE et celles de la Chine.

Source : Unsplash. Photo de Nikita Kostrykin

Vers une concentration de cette industrie ?

Ce rapprochement de deux entreprises majeures du secteur n’est pourtant pas un cas isolé. Le concurrent direct de Microsoft sur le marché, Sony, a notamment racheté pour 3,6 milliards Bungie, une entreprise de développement et d’édition de jeux vidéo, qui détient les franchises Destiny ou encore Halo. Nous avons également le cas du distributeur de jeu Take-Two, acteur puissant du secteur, qui s’est acheté pour 12 milliards de dollars la plateforme de jeu en ligne Zynga.

Le marché des jeux vidéo semble donc subir une concentration de ses acteurs. Comment l’expliquer ?

Le secteur a d’abord connu une multiplication d’acteurs dans les métiers de développeur, éditeur et distributeur de jeux. Cette prolifération a favorisé la diversité dans les jeux et les plateformes.  Aujourd’hui, les consommateurs peuvent trouver toutes les qualités de jeux, à tous les prix. Néanmoins, pour continuer à accroître le nombre de joueurs, l’industrie doit combattre sur un marché plus grand encore : celui de l’attention. Toutes les formes de divertissement (réseaux sociaux, musique, audiovisuel, jeux, etc.) se vouent une guerre pour capter le temps des consommateurs. Les entreprises de gaming doivent maintenant être capables de proposer de plus en plus de jeux de qualité, d’offres à prix attractifs, et redoubler d’innovation. Cependant, pour produire des jeux de qualité AAA, les organismes doivent débourser de gros budgets, ce qui n’est pas à la portée de tous les studios. De même, les distributeurs ont développé des services d’abonnement regroupant l’accès à de nombreux jeux comme le Game Pass ou le Playstation Plus, afin de proposer des offres toujours plus attractives. Ces pass doivent être nourris de franchises fortes pour attirer les joueurs. Ainsi, les entreprises de jeux vidéo doivent avoir une force financière suffisante pour se faire une place durable dans la vie des consommateurs, d’où le besoin de concentration entre les acteurs.

Source : Unsplash. Photo de Alexander Shatov

Les tentatives des autres GAFAM dans le secteur. Pourquoi l’industrie attire les géants du numérique ?

Ce besoin de concentration des acteurs et le potentiel de cette industrie a également été compris par les GAFAM. Bien que Microsoft soit le plus investi dans le secteur, les jeux vidéo semblent être dans le viseur des autres mastodontes américains.

  • Google

C’est le deuxième GAFAM à avoir tenté une entrée sur le marché. En 2019, il avait ouvert Stadia Games and Entertainment, son studio de jeux vidéo. Google a également mis en service un cloud gaming nommé Stadia. Ce Netflix du jeu vidéo permettait à ses utilisateurs d’avoir accès à une banque de jeux uniquement avec une manette connectée, sans consoles ni PC. Cependant, cette conquête de l’industrie se solde par un échec. L’entreprise a décidé de fermer les portes de ses studios en février 2021 puis d’arrêter ce service en janvier 2023 par manque d’audience.

  • Amazon

En plus du rachat de la plateforme de streaming Twitch, Amazon s’est parallèlement lancé du côté du développement de jeux vidéo de haute qualité via sa filiale Amazon Game Studio. Son ambition est de créer des licences fortes qui s’inscrivent dans la durée, comme avec le jeu AAA « New World ». La firme y a mis les grands moyens en dépensant plus de 100 millions de dollars seulement pour cette franchise. Le géant du e-commerce propose également un service de cloud gaming avec sa plateforme Luna, qui se différencie de la concurrence en offrant un abonnement à des lots de jeux.

  • Facebook

Nous retrouvons aussi une stratégie de diversification chez Facebook. L’entreprise de Marc Zuckerberg s’est intéressée au hardware en s’offrant Oculus, un constructeur de casques de réalité virtuelle. Toujours sur cette verticale, le groupe a développé Oculus Store, une marketplace de vente de jeux VR. La firme s’est également lancée dans les jeux mobiles en streaming, directement accessible via le réseau social Facebook. Enfin, il vient faire concurrence au Twitch d’Amazon avec son offre Facebook streaming, pour visionner des joueurs en direct. Cependant, le réel enjeu du géant des réseaux sociaux reste le métavers. Sa stratégie se concentre davantage sur les devises que sur le développement de jeux.

  • Apple

La marque à la pomme a également mis un pied dans cette industrie, sur la verticale des jeux mobiles, grâce à Arcade, leur plateforme de gaming par abonnement. Pour l’instant, Apple semble davantage utiliser cet angle dans une stratégie d’ajout de valeur à son offre de hardware, plutôt qu’une volonté de conquête du marché des jeux.

Source : Unsplash. Photo de Jessica Lewis

Pour conclure, malgré quelques échecs de ces géants, l’industrie observe un léger glissement de la concurrence vers les GAFAM. Mais qu’est-ce qui attirent ces mastodontes de la tech ?

Le secteur apparaît déjà comme un marché juteux. Selon le Global Games Market Report de novembre 2022, l’industrie a généré 184 milliards de dollars de revenus en 2022 et attiré 3,198 milliards de joueurs à travers le monde. Le secteur est aussi en pleine croissance, il enregistrait une progression de +19.6% en 2020 et de +1.4% en 2021. Enfin, dans la conférence de presse de Microsoft et Activision-Blizzard, les deux groupes estimaient même à 4,5 milliards le nombre de joueurs d’ici 2030.

De plus, les jeux vidéo peuvent devenir un moyen pour réunir toutes les consommations : c’est à la fois un lieu d’interactions sociales entre les joueurs, un lieu d’achat et un lieu de divertissement. Nous observons déjà la diminution des frontières des consommations avec l’apparition de concerts dans certains univers de jeu comme Roblox ou Fortnite. Ainsi, l’industrie laisse entrevoir une possible fusion des divertissements en son sein. Enfin, le secteur peut apparaître comme une première porte d’entrée vers la construction des métavers. C’est l’un des arguments avancés par Satya Nadella, PDG de Microsoft, et Bobby Kotick, CEO d’Activision-Blizzard, pour expliquer la stratégie de rachat du studio et la vision de Microsoft à long terme.

Charline Barbé

Sources :

Articles internet :

Conférence de presse :

Rapport de groupes d’études :

Le boom de l’industrie du jeu vidéo en Chine : le développement ou la restriction ?

L’état des lieux de l’industrie du jeu vidéo en Chine

Au cours des dix dernières années, grâce au développement rapide des techniques numériques et des innovations digitales en Chine, l’industrie du jeu vidéo chinoise n’a cessé de croître et constitue aujourd’hui le plus grand marché du jeu vidéo au monde : il existe actuellement près de 700 millions de joueurs, et le chiffre d’affaires total du marché de l’industrie du jeu vidéo en 2021 est d’environ 296,5 milliards de yuans (40,6 milliards d’euros). Surtout, les jeux mobiles bénéficient de leur large audience et de leurs caractéristiques de divertissement fragmentées, associées aux avantages de la combinaison avec la technologie de 5G qui est largement construite en Chine, la taille du marché est bien en avance sur toute autre catégorie de plateforme de jeux.

L’une des raisons du succès de la Chine dans le domaine des jeux vidéo est due à la présence de nombreuses entreprises de qualité, telles que Tencent et NetEase, ainsi que des sociétés de jeux compétitives émergeant progressivement comme 37games et MiHoYo. Le jeu « Honor of Kings » de Tencent et « Fantasy Westward Journey » de NetEase ont aidé ces deux sociétés à conquérir environ 60% du marché chinois des jeux vidéo.

De plus, le marché de l’e-sport continue de se développer et l’échelle des téléspectateurs des événements d’e-sport continue de croître en Chine. En 2021, le nombre de téléspectateurs de l’e-sport en Chine a atteint 489 millions et le chiffre d’affaires réel du marché de l’e-sport a atteint 140,2 milliards de yuans (environ 19,2 milliards d’euros). Aujourd’hui, l’industrie chinoise du jeu vidéo n’est pas seulement un énorme marché, mais aussi une riche chaîne industrielle composée d’un système d’emploi complexe. Le nombre total de personnes actuellement directement ou indirectement engagées dans l’industrie dépasse le million.

Continuer à développer vigoureusement l’industrie du jeu vidéo ?

Étant donné que les revenus de l’industrie du jeu vidéo sont devenus une partie importante du revenu économique de la Chine et que cette industrie offre de nombreuses opportunités d’emploi, le gouvernement chinois a introduit des pratiques pertinentes pour encourager et soutenir le développement de l’industrie du jeu vidéo, telles que la classification officielle de l’e-sport comme une compétition sportive et  l’ajout d’une majeure de « Économie et Management de l’e-sport » dans les écoles professionnelles supérieures pour promouvoir le développement de l’industrie des e-sports.

Une élève en cours d’eSport à Sichuan, en Chine. SOURCE: site officiel de Sichuan film and television university

L’État chinois a également investi beaucoup de ressources pour construire des centres de R&D de pointe pour les jeux de haute qualité, soutenir la production de contenu métavers dans les jeux vidéo, et créer un sous-fonds spécial pour le développement de l’industrie du jeu vidéo dans le Fonds de développement culturel de Pékin, etc.

Dans le même temps, le développement de la technologie numérique, y compris la mise en œuvre de politiques telles que le développement de la campagne numérique et la vulgarisation de l’Internet mobile, offre également des opportunités pour le rayonnement et la promotion de l’industrie du jeu vidéo dans certaines nouvelles régions.

Et la Chine espère que le jeu vidéo pourra devenir un outil innovant pour l’héritage culturel chinois, et jouer un rôle plus important dans le renforcement de l’influence de la culture chinoise dans le monde. Par conséquent, le gouvernement chinois encourage la conception et la promotion de jeux contenant des éléments culturels chinois. Par exemple, le jeu « Honor of Kings » de Tencent, en tant que jeu conçu avec des personnages et des éléments de la culture traditionnelle chinoise, a récemment lancé une version étrangère dans l’espoir de promouvoir l’exportation de la culture chinoise dans le monde entier.

Le jeu « Honor of Kings » incorpore des éléments de festivals traditionnels chinois dans les costumes des personnages du jeu. SOURCE: Honor of kings de Tencent

Mais en revanche, mettre en pratique des règles strictes de restriction sur l’usage des jeux vidéo ?

En fait, la relation entre la Chine et le jeu vidéo est compliquée. Les jeux sont devenus non seulement une forme de divertissement pour des jeunes Chinois, mais aussi un nouvel outil de réseaux sociaux. Cependant, de plus en plus de jeunes sont dépendants du jeu et ne peuvent s’en détacher. En raison de la numérisation de la Chine, de nombreux jeunes enfants ont accès à des appareils électroniques, et ils sont plus susceptibles de devenir dépendants des appareils électroniques si les règles ne sont pas assez strictes.

Donc, en raison de préoccupations concernant l’addiction aux jeux vidéo et l’impact négatif sur la jeunesse chinoise, le gouvernement chinois a officiellement mis en place des mesures de protection strictes pour les mineurs le 1er septembre 2021.  L’Administration nationale chinoise de la presse et des publications a publié un avis qui limite strictement le temps d’utilisation des jeux par les mineurs : toutes les entreprises de jeux en ligne ne peuvent fournir aux mineurs leurs services de jeux que de 20 heures à 21 heures les vendredis, samedis, dimanches et jours fériés, sans exception. Et tous les jeux en ligne doivent être connectés au système national d’authentification du nom réel, en exigeant des mineurs qu’ils s’enregistrent et se connectent aux jeux avec leurs véritables informations d’identité.

Au cours du premier semestre 2022, divers départements chinois continueront d’introduire des réglementations et des politiques visant à endiguer des phénomènes d’addiction aux jeux vidéo. Le 15 avril, le Département de la gestion des programmes audiovisuels en réseau a publié un avis sur le renforcement de la réglementation des diffusions de jeux en Live sur tous les plateformes audiovisuels, qui exige d’interdire strictement la diffusion de jeux illégaux, et de renforcer la gestion des contenus des émissions de jeux vidéo en Live, ainsi que les orientations du code de conduite pour les présentateurs de jeux vidéo.

Le gouvernement chinois encourage activement la mise en œuvre des formes diversifiées de protection des mineurs, par exemple : l’utilisation de la reconnaissance faciale, du Big Data, de l’intelligence artificielle et d’autres moyens techniques pour empêcher les mineurs d’utiliser à tort leur identité parentale ou de louer les comptes d’autres personnes, et aussi la mise en place d’une plateforme de surveillance parentale, etc.

En conséquence, des données telles que le temps de jeu total des mineurs, le nombre d’utilisateurs actifs mensuels et le chiffre d’affaires de la consommation ont tous diminué de manière significative par rapport à l’année précédente. Au 4ème trimestre en 2021, les cours des actions de grandes sociétés du jeu telles que Tencent et NetEase ont chuté. Aussi au premier semestre 2022, les revenus de l’industrie chinoise du jeu vidéo ont diminué par rapport à la même période en 2021. De janvier à juin 2022, le chiffre d’affaires réel du marché chinois du jeu était de 147,8 milliards de yuans, soit une baisse de 1,8 % par rapport à l’année précédente.

Et s’il y a un secteur qui pourrait être sévèrement impactée par ces nouvelles restrictions, c’est bien l’e-sport. Ces dernières années, le gouvernement chinois a fortement soutenu le secteur de l’e-sport. Mais avec la mise en place de nouvelles mesures anti-addictions, les mineurs n’auront droit qu’à trois heures d’entraînement par semaine, ce qui est tout à fait insuffisant pour les joueurs professionnels E-sport qui veulent devenir des champions mondiaux. Ces interdictions semblent trop radicales et restrictives pour que l’industrie de l’e-sport se développe en Chine.

Alors, les pratiques de développement et de restriction sont-elles donc contradictoires ?

En fait, pas forcément.

Avec la mise en œuvre et l’amélioration de réglementations anti-addictions du jeu vidéo, l’industrie chinoise du jeu quittera progressivement sa « croissance barbare ». Les normes de comportement des sociétés de jeux vidéo aident les grandes entreprises comme Tencent et NetEase à assumer leurs responsabilités sociales et à promouvoir le développement plus stable et meilleur de l’ensemble de l’industrie chinoise du jeu. Mais maintenant, tout est insuffisant, le gouvernement chinois devrait continuer à réfléchir à la manière d’équilibrer le développement et la restriction afin de maintenir la croissance continue du secteur des jeux vidéo qui génère des revenus énormes.

Keyi CHEN

Sources:

Facebook joue avec le cloud

Facebook annonce le lancement de son offre de cloud gaming 

Le 26 octobre 2020, Facebook a annoncé le lancement de son offre de cloud gaming. Le lancement de cette offre fait suite à une phase de test grandeur nature, regroupant près de 200 000 personnes par semaine dans certaines régions. L’offre est accessible sur Android ainsi que directement sur le web. La fonctionnalité n’est pour le moment pas disponible sur iOS, Apple et sa politique de traitement des jeux ralentissant le processus. Les premiers jeux proposés sont : Asphalt 9 : Legends, Mobile Legends Adventure, PGA TOUR Golf Shootout et Soliraire : Arthur’s Tale.

Qu’est-ce que le cloud gaming ?

Avant de poursuivre, il est important de comprendre ce qu’est le cloud gaming, ou jeu à la demande en français. Cette technologie permet de jouer aux jeux vidéo en streaming. Traditionnellement, lorsqu’on lance un jeu sur un PC ou une console, ce jeu est exécuté grâce aux processeurs de la machine. Avec le cloud gaming, le jeu est désormais exécuté sur les serveurs du fournisseur de service et l’image est transmise en temps réel sur l’écran de l’utilisateur.

Les acteurs en puissance 

Facebook n’est certainement pas le premier acteur à se lancer dans ce secteur. De nombreuses entreprises se sont lancés dans le cloud gaming, qu’il s’agisse d’acteurs du jeu vidéo ou de nouveaux entrants dans ce secteur.

L’un des pionniers en la matière est l’entreprise française Shadow. Créée en 2015, cette entreprise est précurseur en matière de cloud gaming. L’offre de cette entreprise est l’accès à un ordinateur haut de gamme et puissant pour 12,99 euros par mois. L’utilisation de Shadow ne se limite cependant pas aux jeux vidéo puisqu’avec l’accès à cet ordinateur, les utilisateurs peuvent également exécuter des logiciels. On note aussi que, contrairement aux offres suivantes, Shadow ne propose pas de jeux et que les utilisateurs doivent être propriétaires des différents jeux et applications qu’ils lancent.

Parmi les autres concurrents en lice, on note deux éditeurs de jeux et fabricants de consoles : Sony et Microsoft. L’offre Playsation Now de Sony permet un accès à un catalogue de jeux sortis sur les différentes générations de consoles de l’entreprise. Ainsi, pour un abonnement mensuel de 9,99 euros, les joueurs peuvent avoir accès, depuis une PS4 ou un PC, à plus de 600 jeux en streaming. Sortie en septembre 2020, l’offre de cloud de Microsoft, nommé Xbox Game Pass, est fondée sur le même modèle que l’offre de Sony. Pour 12,99 euros par mois, les joueurs ont accès un catalogue de jeux comprenant les licences phares de Microsoft, telles que Halo et Gears of Wars, mais aussi des jeux de studios tiers ou encore de studios indépendants. L’offre est accessible depuis un ordinateur, un IPhone ou un IPad.

Autre acteur du jeu vidéo, Nvidia a lancé son service GeForce Now en février 2020. Leader sur les cartes graphiques, l’entreprise propose dans son offre une sélection de jeux compatibles issus de distributeurs de jeux tels que Steam, Uplay ou encore Battle.net. 2 abonnements sont possibles : un gratuit qui permet des sessions de 1 heure maximum, et un abonnement à 5,49 euros par mois qui permet un accès prioritaire et une durée de session étendue. L’affichage est pour le moment limité à 1080p et 60 images par seconde.

Le cloud gaming marque aussi l’incursion de deux entreprises majeures dans le monde du jeu vidéo : Google et Amazon. Avec Google Stadia,  Google met le pied dans l’industrie du jeu vidéo. Ce service de cloud gaming permet, via un abonnement de 9,99 euros par mois, un accès à un large catalogue de jeux et propose un également une qualité d’affiche en 4K. De son côté, Amazon a lancé en Early Access aux Etats-Unis son service Amazon Luna. L’abonnement est fixé pour le moment à 5,99 dollars par mois et permet également de jouer à tout un catalogue de jeux.

D’autres concurrents sont encore à venir. On note notamment la volonté de l’éditeur de jeux vidéo Electronic Arts de se lancer dans le cloud gaming. Depuis l’annonce lors de l’E3 2018, très peu d’informations circulent sur le sujet cependant. 

La stratégie de Facebook

Les offres concurrentes de cloud gaming reposent, à quelques détails près, sur le même modèle : en contrepartie d’un abonnement, les utilisateurs ont accès un catalogue de jeux. La concurrence cherche également à se démarquer sur des questions de performance (affiche 4K, 60 FPS, etc …) et d’accessibilité.

Facebook base son offre sur un modèle totalement différent. Ici, l’offre est gratuite et les jeux proposés aux joueurs sont plutôt modestes en termes techniques et sont également disponibles gratuitement.

Pourquoi une telle différence dans l’approche de Facebook, tant en termes de modèle économique que de performance technologique ? Les ambitions ne sont pas les mêmes. Contrairement à ses concurrents, Facebook cherche, non pas à vendre un abonnement ou encore des jeux, mais à garder l’utilisateur sur le réseau social.

Pourtant, il est bien possible que Facebook change sa stratégie avec le temps. En effet, depuis le rachat de la start-up espagnole PlayGiga fin 2019 , Facebook a montré son ambition de se diversifier et d’offrir un service de cloud gaming à ses utilisateurs. Bien que pour le moment, elle ne propose pas de jeux payants utilisant toutes les possibilités techniques du cloud gaming, elle reste ouverte à cette possibilité. Comme l’a exprimé Jason Rubin, VP du pôle Gaming de Facebook, l’offre d’un jeu « premium » fera sens un jour, mais le lancement de ce service était surtout l’occasion de mettre un pied dans ce secteur, quitte à monter en gamme plus tard.

Le cloud gaming, futur du jeu vidéo ?

Le cloud gaming démarre à peine et pourtant, la concurrence est déjà rude. Le jeu à la demande est-il le futur de l’industrie du jeu vidéo ? Il n’est, pour le moment, pas possible de répondre catégoriquement à cette question. Le jeu à la demande est trop dépendant des connexions internet des utilisateurs et une connexion puissante n’empêche pas les temps de latence. Cette technologie prometteuse est encore à développer et il y a donc fort à parier que les machines de jeux ont encore quelques beaux jours devant elle.

Léo Aksas


Sources :

Denn, A. L. (2019, 19 décembre). Facebook rachète la start-up espagnole PlayGiga, spécialiste du cloud gaming. usine-digitale.fr.

https://www.usine-digitale.fr/article/facebook-rachete-la-start-up-espagnole-playgiga-specialiste-du-cloud-gaming.N914664

Gianoli, J. (2020, 2 décembre). Carte graphique, la part de marché d’AMD s’effondre de 16% en une année. GinjFo.

https://www.ginjfo.com/actualites/politique-et-economie/carte-graphique-la-part-de-marche-damd-seffondre-de-16-en-une-annee-20201202

Huvelin, G. (2020, 27 octobre). Facebook part à l’assaut du cloud gaming avec une offre totalement gratuite. Frandroid.

https://www.frandroid.com/marques/facebook/790913_facebook-part-a-lassaut-du-cloud-gaming-avec-une-offre-totalement-gratuite

Ketfi, C. (2020, 24 décembre). Stadia, Shadow, Xbox Game Pass, GeForce Now, Luna… quelle est la meilleure offre de cloud gaming ? Frandroid.

https://www.frandroid.com/produits-android/console/575680_cloud-gaming-tout-savoir-sur-le-futur-du-jeu-video-et-les-differents-services-disponibles

Shadow – Le PC gamer basé sur la technologie du Cloud Gaming. (2020). Shadow.tech.

https://shadow.tech/fr

Webster, A. (2020, 26 octobre). Facebook takes its first small steps into the world of cloud gaming. The Verge.

https://www.theverge.com/2020/10/26/21528438/facebook-cloud-gaming-beta-android-web-jason-rubin-interview

Wikipedia contributors. (2020a, novembre 19). Blade (entreprise). Wikipédia.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Blade_(entreprise)

Wikipedia contributors. (2020, 21 décembre). Jeu à la demande. Wikipédia.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_%C3%A0_la_demande

Jeux vidéo et cinéma : Une love story

La frontière entre le jeu vidéo et le cinéma semble ne jamais avoir été aussi petite qu’à cet instant. Utilisant parfois les mêmes technologies comme la motion capture, ces 2 univers ne cessent de s’inspirer réciproquement.

Des points de convergence – L’exemple de The Volume

Pour la série The Mandalorian, première série Star Wars en images réelles, 2 des plus grands acteurs mondiaux du cinéma et du jeu vidéo se sont associés afin de créer une technologie qui pourrait révolutionner la façon de produire des contenus audiovisuels. ILM (Industrial Light & Magic), boîte d’effets spéciaux créé par Georges Lucas et aujourd’hui un des leaders du marché, a décidé de travailler avec Epic games, grosse boite de production de jeu vidéo et notamment du jeu à succès Fortnite. En résulte « The Volume », véritable incrustation du jeu vidéo dans le monde du cinéma.

The Mandalorian / Saison 1 – Lucasfilm

Le principe de cette technologie est simple: remplacer la technique du fond vert et de l’incrustation en post-production, considérées comme longues et couteuses. ILM et Epic games ont alors créé un immense écran LED à 270° de 6 mètres de haut sur 22 mètres de long où l’on peut projeter le décor voulu en temps réel (un désert, une montagne, une planète…).

The Mandalorian / Saison 1 – Lucasfilm

Tout cela fonctionne avec un moteur 3D, le Unreal Engine 4 d’Epic games. Ces moteurs 3D ont la particularité de pouvoir générer quasi instantanément des effets spéciaux et de les diffuser sur grand écran. On pourrait dire qu’il n’y a rien de révolutionnaire là-dedans étant donné que les films en noir et blanc utilisaient déjà ce type de technique à l’époque : des personnages au premier plan avec un écran diffusant un décor en arrière-plan. Seulement ici, en plus d’avoir des environnements d’un réalisme bluffant, la caméra possède également des capteurs permettant au décor de s’adapter en fonction de ses mouvements. Ainsi à l’image d’un jeu vidéo, on se retrouve dans un environnement 3D photo réaliste où le réalisateur peut naviguer afin de filmer comme il le souhaite la scène. Le principe est le même que dans un jeu à la 3e personne comme Fortnite sauf qu’ici on filme avec les acteurs d’une série. La caméra est la manette et le réalisateur est le joueur.

Jon Favreau, show runner de la série a d’ailleurs déclaré :

« Cette technologie va révolutionner la manière de filmer »

Jon Favreau

Selon nous, ce n’est pas simplement la manière de filmer qu’elle va bouleverser mais également la manière de produire des contenus.

Réponse aux problématiques de production : moins chers, plus rapide

Déjà sur la partie artistique, une telle technologie permet aux équipes de directement voir le rendu sur le plateau. Pour les acteurs, ils sont plongés au cœur de la scène, dans ces décors somptueux et arrivent ainsi à s’immerger beaucoup plus facilement qu’en face d’un fond vert. Enfin en termes d’éclairage, ils ne correspondent pas toujours bien avec les décors qu’on incruste des mois après le tournage par CGI (computer generated imagery). Avec cette technologie, on facilite le travail du directeur de la photographie qui n’a plus à anticiper ce que l’éclairage devrait rendre sur le décor qui va être créer des mois plus tard.

Pour ce qui est de la partie production. La réduction de coûts est considérable. Certes il faudra plus de temps en préparation afin de créer tous les environnements numériques. Néanmoins la post production, souvent très couteuses en effets spéciaux, sera extrêmement réduite. De plus on gagne en efficacité. Le même jour sur le même décor on peut tourner sur des tas d’environnements différents. Si on se rend compte que quelque chose ne fonctionne pas sur le plateau, on peut le changer quasi instantanément. On n’est plus obligé d’aller tourner dans un vrai désert par exemple et de déplacer tout une équipe ce qui est souvent extrêmement couteux. Les ingénieurs d’Epic games ont d’ailleurs penser la création de ces environnements en préproduction sous forme de plateforme collaborative ce qui permet aux différentes équipes : réalisation, photographie, décors… d’apporter des modifications quand ils le souhaitent plutôt que d’attendre parfois des semaines.

L’ensemble de la production est finalement accéléré. Hors nous sommes dans un monde où les choses vont de plus en plus vite, en particulier en ce qui concerne les séries où savoir maitriser son temps de production est essentiel. Avec la plupart des studios qui veulent désormais sortir une saison par an et ce en bluffant toujours plus les spectateurs, c’est typiquement le genre de technologie qui peuvent résoudre ces problématiques.

Une histoire d’amour ancienne

Si sur l’exemple de The volume, on voit le jeu vidéo apporter une révolution dans le cinéma, c’était plutôt l’inverse qui s’opérait jusqu’à présent. Le cinéma a largement contribué à la démocratisation du jeu vidéo et ce depuis la première adaptation vidéoludique d’une franchise cinématographique, Shark Jaws sortie en 1975, inspirée du film de Steven Spielberg, Jaws. S’en est suivi de nombreuses adaptations permettant aux studios de cinéma d’exploiter au mieux leurs droits et de toucher une audience plus large. Pour le jeu vidéo, ce dernier a gagné en crédibilité afin de pouvoir se revendiquer 45 ans plus tard comme le 10e art.

Depuis le jeu vidéo ne cesse de se rapprocher du cinéma, de ses univers, de son esthétisme. Celui-ci a longtemps opéré un mimétisme d’image cinématographique ayant marqué la population, allant jusqu’à recruter des grands acteurs de cinéma pour jouer dans ses productions tels que Norman Reedus, William Dafoe ou plus récemment Keanu Reeves.

A l’inverse les adaptations de jeu vidéo aux cinémas sont loin de faire l’unanimité, donnant des films pour la plupart oubliables comme la très regrettable adaptation Super Mario Bros sortie en 1993. Néanmoins le cinéma utilise toujours plus d’images de synthèse, grande caractéristique du jeu vidéo, et voit également arriver des scénarios interactifs comme avec le Bandersnatch de chez Netflix

Black Mirror – Bandersnatch – Netflix 2018

Vers une rupture au profit du jeu vidéo ?

Le jeu vidéo prend une place de plus en plus importante. Pendant de nombreuses années il a eu une connotation assez négative, beaucoup le considérant comme chronophage, antisocial ou encore addictif. Même si ces problématiques demeurent, elles s’effacent progressivement en raison du potentiel énorme que constitue ce marché. S’étant appuyer sur le cinéma pour gagner en crédibilité, les jeux vidéo peuvent désormais s’émanciper. Défendu sur un précédent article de ce blog, on peut quasiment les considérer comme de véritables médias sociaux. On se pose alors la question : allons-nous assister à un futur où le jeu vidéo aurait englober toutes les industries créatives ?

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Le cinéma était la réunion de plusieurs industries créatives à son émergence : la peinture, la musique, l’art de la scène, la photographie. En plus de ces éléments, le jeu vidéo vient rajouter une couche supplémentaire, celle du spectateur comme véritable acteur de l’oeuvre. Il n’est plus passif comme au cinéma, il devient partie prenante et décide. On touche à de l’ultra personnalisation, on a presque un jeu vidéo par personne. En découle une expérience unique, à l’inverse d’un film qui est le même pour chaque personne qui le visionne. Cette puissance grandissante du jeu vidéo pourrait ainsi l’amener au centre de l’attention culturelle pour les années à venir.

Un futur à écrire à deux

Et le cinéma dans tout ça ? Sera-t-il dévoré par l’ogre jeu vidéo et cette tendance d’ultra personnalisation ? Rien n’est moins sûr. Les œuvres culturelles communes, dont les « films cultes » font partis, ont la particularité de créer du lien social, les spectateurs ayant l’impression d’avoir partager la même expérience, les mêmes émotions, le même ressenti, que les autres. C’est ainsi que l’être humain se construit, en créant ou non des groupes d’affinités selon ce qu’ils ont vécu au travers de ces œuvres. A l’inverse, l’ultra personnalisation crée moins d’univers communs sur lesquels les spectateurs peuvent s’accorder.

Ceci expliquerait d’ailleurs le succès de Twitch. Pourquoi les joueurs adorent regarder des streamers pendant des heures ? Ils pourraient tout simplement créer leur propre expérience de jeu, unique, personnalisée, plutôt que de regarder l’expérience d’un autre. C’est une construction sociale. En regardant des lives de joueurs qu’ils apprécient, ils ont l’impression d’appartenir à une communauté, quelque chose qui semble beaucoup plus difficile à créer avec de l’ultra personnalisation. On a plusieurs exemples récents des limites de la personnalisation, à commencer par Netflix. Celui qui revendiquait d’avoir créer « un Netflix par personne » finit par proposer un Top 10 basé sur un critère aussi basique que le territoire.

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Au cinéma, il y aurait des millions de façons de représenter chaque histoire. Pourtant c’est le fait d’avoir derrière chaque film un réalisateur avec une vision qui nous touche. C’est cette vision unique qui crée du lien, tout comme l’expérience d’un streamer crée du lien pour l’ensemble de la communauté qui le suit. Cette même expérience que l’on retrouve dans une salle de cinéma, chaque spectateur étant rivé sur une œuvre : joie, pleurs, colère, rires… en ressortent, les mêmes émotions ressenties au même moment.

Le cinéma et le jeu vidéo ont encore un futur à écrire ensemble, en continuant à s’agrémenter, chacun ayant à apprendre de l’autre afin de nous faire vivre des émotions. La fusion de ces 2 modèles pourrait bien constituer l’avenir du monde culturel.

Tom Flamand

Source: Unsplash

Sources

Master_Chef. « Cinéma et jeux vidéo : univers parallèles ? | Culture Games – Culture, Encyclopédie et Histoire du jeu vidéo ». Consulté le 16 décembre 2020. https://www.culture-games.com/transmedia/cinema-et-jeux-video-univers-paralleles.

Upopi. « Jeu vidéo et cinéma – 1e partie | Ciclic ». Consulté le 16 décembre 2020. https://upopi.ciclic.fr/analyser/d-un-ecran-l-autre/jeu-video-et-cinema-1e-partie.

Redbull « Jeux vidéo et cinéma: “je t’aime, moi non plus” Gaming ». Consulté le 16 décembre 2020. https://www.redbull.com/fr-fr/jeux-video-cinema.

usine-digitale.fr. « L’équipe de The Mandalorian dévoile les innovations technologiques derrière la série ». Consulté le 16 décembre 2020. https://www.usine-digitale.fr/article/l-equipe-de-the-mandalorian-devoile-les-innovations-technologiques-derriere-la-serie.N932724.

Unreal Engine. Real-Time In-Camera VFX for Next-Gen Filmmaking  | Project Spotlight | Unreal Engine, 2019. https://www.youtube.com/watch?v=bErPsq5kPzE&feature=youtu.be.

ILMVFX. The Virtual Production of The Mandalorian, Season One, 2020. https://www.youtube.com/watch?v=gUnxzVOs3rk&feature=youtu.be.

Le jeu-vidéo et le streaming en direct sont-ils l’avenir de l’industrie musicale ?

Industrie musicale : éléments de contexte

Après 16 années consécutives de décroissance, l’industrie musicale a vu son chiffre d’affaires repartir à la hausse pour la première fois en 2016 après une restructuration du secteur, notamment autour du streaming. Dans ce contexte, la crise sanitaire qui frappe la planète depuis le début de l’année 2020 déstabilise une industrie encore fragile et risque d’avoir un impact considérable sur l’ensemble de sa chaîne de valeur. La musique va donc devoir trouver des alternatives pour continuer de croître ou a minima se maintenir à flot. L’une d’entre elles est de multiplier les collaborations avec un secteur qui ne semble pas connaître la crise : le jeu-vidéo, qui bénéficie d’une croissance annuelle proche de 20% et dont l’écosystème s’est considérablement développé ces dernières années, tant en termes de variété et de qualité des nouveaux produits qu’en termes d’élargissement de sa communauté.

Twitch, meilleure solution de repli pour les festivals annulés ?

Cette effervescence s’accompagne de l’essor de Twitch, plateforme de streaming de jeux-vidéos, dont le taux de fréquentation augmente logiquement d’environ 20% chaque année. C’est vers elle que se sont tournés bon nombre d’organisateurs de festivals afin de créer une édition en ligne de leur événement. C’est l’option qu’a choisi le Rolling Loud Festival, référence de la culture hip-hop, en organisant une série de trois festivals en direct depuis la plateforme. Les premières éditions (mi-septembre puis fin octobre 2020) ont permis à des artistes de renommée mondiale (Trippie Redd, Iann Dior etc) de performer face à un public virtuel fait de retours webcam et d’un livechat défilant sur un écran géant. Le show a été un succès puisqu’il a réuni, au total, près de 5 millions de viewers. De plus, Rolling Loud a d’ores et déjà commencé à diffuser des émissions hebdomadaires sur sa chaîne. A long terme, la firme souhaite investir le milieu du live streaming afin d’étendre son offre et proposer « un contenu qui croise les cultures hip-hop, mode, gastronomie, art et jeu vidéo et […] créer un hub virtuel ». D’autres festivals ont également fait le choix d’une édition numérique, comme le français We Love Green, qui a créé une carte virtuelle sur laquelle l’e-festivalier pouvait se déplacer et interagir avec les différentes scènes. Ce fut aussi le cas pour Tomorrowland qui a mis en place des expériences interactives pour les participants qui étaient invités à recréer leur propre « Dreamville ».

Scène de l’édition en ligne du Rolling Loud Festival

Le développement des concerts virtuels : une immersion croissante

Ces nouveaux formats de festivals en ligne intègrent donc souvent une logique de gamification, devenant une sorte d’hybride entre musique et jeu-vidéo. Ils pourraient bientôt décupler leur potentiel immersif, notamment en se produisant directement à l’intérieur d’un jeu. L’exemple le plus récent d’expérimentation en la matière est certainement le concert du rappeur Travis Scott qui s’est déroulé sur la licence d’Epic Games : Fortnite. En lançant une partie de jeu, les joueurs ont pu apprécier un concert virtuel à la mise en scène créative, au sein duquel ils pouvaient se déplacer librement autour de l’avatar de la star dans une performance réalisée grâce à des techniques de motion capture. Très vite, le développement conjoint des technologies de réalité virtuelle et de 4D pourrait repousser les limites de l’immersion et de l’interaction inhérentes à l’expérience d’un concert virtuel, c’est en tout cas ce sur quoi travaillent des entreprises comme WaveXR, pionnière en la matière. Enfin, la collaboration entre Travis Scott et Fortnite témoigne de la porosité grandissante entre les deux industries et ouvre la voie à un marketing plus créatif et engageant que jamais.

Avatar de Travis Scott lors de son concert virtuel dans Fortnite

Musique et jeu-vidéo : deux industries interconnectées

Ce rapprochement n’est pas récent, il est plutôt le fruit de nombreuses collusions entre les deux secteurs au cours des dernières décennies. On pense par exemple aux bandes sons de jeux qui, par leur qualité mais aussi l’émotion qu’elles peuvent raviver chez les joueurs, deviennent parfois des musiques très populaires, à l’instar de celles des jeux Zelda ou Metal Gear Solid. A l’inverse, des morceaux peu connus sélectionnés pour figurer dans des jeux tels que FIFA ont été propulsés vers un succès commercial. Autre exemple, la playlist du jeu de basket NBA2K, très proche de la culture hip-hop aux Etats-Unis, est chaque année très prisée par les maisons de disques dans la mesure où parvenir à y placer un titre promets des retombées financières certaines. D’autres partenariats ont vu le jour à l’occasion de grands événements Esport, comme lorsque le groupe Imagine Dragons a composé l’hymne officiel des championnats du monde 2014 de League of Legends. Par ailleurs, Riot Games, éditeur du jeu, a déjà mis un pied dans la musique en créant plusieurs groupes virtuels, incarnés par des personnages 3D issus son univers. Aussi, il existe des exemples de streamers devenus des stars internationales de la musique comme le rappeur américain Post Malone, qui a commencé sur Twitch et qui continue encore aujourd’hui à interagir avec sa communauté tout en jouant au jeu de tir PUBG.  Toutefois, il est important de préciser que ces échanges se font principalement entre le jeu-vidéo et un pan de la musique en particulier, à savoir plutôt les mouvances hip-hop et pop, en raison d’une relative proximité générationnelle.

KDA, groupe de K-pop virtuel créé par Riot Games

Twitch devient un acteur incontournable de l’écosystème des médias digitaux

Autre preuve de l’intérêt grandissant que représente le streaming de jeux-vidéos pour l’industrie musicale : la signature, en septembre dernier, d’un partenariat entre Twitch et la Sacem. Celui-ci aura pour but de rémunérer les membres de la Sacem lorsque leurs productions seront diffusées en live. Ainsi, d’un côté les artistes voient leur rémunération et leur visibilité en ligne augmenter, et de l’autre, les streamers peuvent proposer autre chose que de la musique libre de droit à leur audience, améliorant sensiblement la qualité globale de leur contenu. Twitch est donc en train de devenir un partenaire de choix pour les artistes et les maisons de disques cherchant à se faire une place au sein de l’écosystème digital. A ce titre, un autre rappeur américain de renom, Logic, est devenu le premier artiste sous contrat avec la plateforme d’Amazon, en signant un accord d’exclusivité à 7 chiffres. Il a notamment offert à ses fans une avant-première de son dernier album en live, signal fort de l’évolution du rapport de force entre le streaming et des médias plus traditionnels. A ce sujet, Tariq Cherif, co-fondateur du festival Rolling Loud, explique : « Depuis longtemps nous voulions prendre une place plus importante dans les médias […] Ce partenariat avec Twitch nous permet d’étendre notre business au-delà de la sphère physique. Après le covid, nous allons continuer à nous renforcer dans le digital et cela va se ressentir dans nos prochains concerts grâce aux progrès réalisés pendant la pandémie. » Pour eux, les collaborations avec l’univers du live streaming ne sont pas uniquement une solution de repli liée au coronavirus mais bien une perspective d’avenir, voire une prérogative à un développement optimal.

Le jeu-vidéo : nouveau média social dominant ?

L’industrie musicale, pour des raisons conjoncturelles, économiques et culturelles, tend donc à pénétrer l’univers du gaming et du streaming en direct. Cependant, en se penchant sur l’évolution intrinsèque du jeu-vidéo, une autre vision du phénomène est possible et amène à s’interroger : se pourrait-il que le gaming, du fait de son impressionnant développement technologique, finisse par englober toutes les différentes sphères des industries créatives ? Au-delà d’une nette amélioration en termes d’offre et de qualité, les jeux tendent à devenir de véritables médias sociaux, sur lesquels les utilisateurs ne se connectent plus uniquement pour jouer mais également pour discuter avec leurs amis et avoir des interactions sociales. A ce titre, le jeu « Animal Crossing », développé par Nintendo, fait office de référence en la matière, tout comme Fortnite, que certains considèrent comme un « digital square ». En d’autres termes, un parc virtuel dans lequel les adolescents se rejoignent après les cours pour jouer, certes, mais aussi et peut-être surtout pour se réunir. Les jeux-vidéos sont pour la plupart multi-joueurs et assez largement accessibles sur mobile, ce qui rend leur expansion d’autant plus fulgurante et qui fait d’eux des plateformes de plus en plus attractives pour tous les créateurs, y compris les musiciens. Selon des experts du numérique tels que Matthew Ball, Fortnite est en passe de devenir le « plus sérieux concurrent de Netflix », ce qui a été confirmé peu après par Reed Hasting lui-même, directeur de la plateforme de SVOD. Ces acteurs se mènent une guerre pour l’attention du consommateur, ainsi, celui qui parviendra à la capter au mieux entraînera avec lui une majorité de créateurs, puisqu’il leur offrira de meilleures chances d’exposer leur travail au plus grand nombre.

Interface permettant d’inviter ses amis dans Animal Crossing

Du gaming au métavers : futur proche ou science-fiction ?

Enfin, l’industrie du jeu-vidéo compte dans ses rangs des acteurs financièrement très puissants comme Tencent, actionnaire majoritaire de Riot Games (League of Legends) et second actionnaire d’Epic Games derrière Tim Sweeney, son PDG. Ces grandes sociétés prospèrent et disposent des moyens nécessaires pour continuer d’innover et développer de nouveaux jeux toujours plus sensibles d’attirer un nouveau public. Tim Sweeney lui-même ne cache pas ses ambitions et n’hésite pas à évoquer son rêve : créer un « métavers », un monde virtuel complètement immersif ou « second life », en capitalisant sur les progrès réalisés en matière de réalité virtuelle, de capture de mouvements et de puissance des moteurs de jeux-vidéos. Un tel programme pourrait s’apparenter au monde imaginé par Ernest Cline dans son roman Ready Player One. Bien que nous en soyons toujours loin, l’apparition d’un tel jeu au cours des prochaines décennies est tout sauf improbable, en témoigne cette déclaration de Mark Zuckerberg après le rachat d’Oculus, leader du marché de la VR, par Facebook : « C’est un pari à long terme sur le futur de l’informatique […] L’immersion dans une réalité virtuelle fera un jour partie de la vie quotidienne de la population ». Enfin, en décembre 2019 sur Twitter, voici ce que Tim Sweeney répondait à la question : Fortnite est-il un jeu ou une plateforme ?

Par conséquent, si de telles évolutions venaient à se produire, si le jeu-vidéo devenait cette plateforme virtuelle tentaculaire englobant la plupart des sphères de la vie réelle, il est alors évident que l’industrie musicale n’aurait d’autre choix que d’investir massivement dans cette direction, puisque c’est sur ces plateformes que la musique serait en grande partie consommée.

Nils ADAMUS

SOURCES :

Chaîne Twitch de « Rolling Loud » : https://www.twitch.tv/rollingloud

MILLMAN, Ethan. « Rolling Loud will Air Virtual Music Festivals Exclusively on Twitch ». Rolling Stone, 30 août 2020 :

https://www.rollingstone.com/pro/news/twitch-rolling-loud-content-partnership-1052799/

MIMS, Taylor. « Rolling Loud teams with Twitch For Digital Festival Series and Channel ». Billboard, 31 août 2020 : https://www.billboard.com/articles/business/9441863/rolling-loud-twitch-digital-festival-series-channel

BALL, Matthew. « 7 Reasons Why Video Gaming Will Take Over ». 4 janvier 2020 : https://www.matthewball.vc/all/7reasonsgaming

PETERS, Jay. « How to throw a party in Animal Crossing: New Horizons ». The Verge, 8 avril 2020 : https://www.theverge.com/2020/4/8/21212779/animal-crossing-new-horizons-party-island-how-to

BALL, Matthew. « On Fortnite’s Travis Scott Concert ». 26 avril 2020 : https://www.matthewball.vc/all/fortnitetravisscott

BALL, Matthew. « Fortnite is the future, but probably not for the reasons you think ». 5 février 2020 : https://www.matthewball.vc/all/fornite

Site web de « We Love Green » :

SANTO , Flora. « Il pourrait ne pas y avoir de festivals avant 2022 ou 2023 ». Trax, 19 octobre 2020 : https://www.traxmag.com/il-pourrait-ne-pas-y-avoir-de-festivals-avant-2022-ou-2023/

Site web de « WaveXR » :

Home

RIVERO, Nicolas. « How the NBA is using virtual fans to make games feel normal ». Quartz, 14 août 2020 : https://qz.com/1891805/how-the-nba-is-using-virtual-fans-to-make-games-feel-normal/

20 ans de jeux sur mobile…Et maintenant?

120 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018 soit 13 % de hausse par rapport à 2017 selon bpiFrance, tels sont les résultats de l’industrie mondiale du jeu vidéo[1]. Cependant, ce n’est pas le jeu vidéo dit « traditionnel » reposant sur le marché des consoles et des ordinateurs qui tire le plus cette croissance, mais bien celui qui a longtemps été considéré comme l’exclu de la famille des « gamers » : le jeu mobile. Toujours selon les chiffres de bpiFrance, ce dernier représente 51 % des ventes mondiales en matière de jeu vidéo. Comment en est-on arrivé là ? 

Le téléphone portable et les jeux vidéo, une relation compliquée


Depuis 50 ans, le monde du jeu vidéo n’a de cesse de se renouveler. De la Magnavox Odyssey en 1972 à la PS5 et la Xbox Series X à venir cette année en passant par Stadia, le service de Cloud Gaming proposé depuis peu par Google, l’industrie a totalement mutée et continue de se transformer. Dans ce paysage si innovant porté par les consoles et les ordinateurs, le téléphone portable a su, petit à petit s’imposer comme support de jeu légitime. 

Dès 1997, le jeu Snake est intégré aux Nokia 6110 et connaît un succès immédiat ce qui pousse la firme à proposer en 2003 la N-Gage[2], sorte d’hybride entre un téléphone portable et une console de jeu vidéo. Si cette tentative s’avère être un échec commercial retentissant, elle symbolise la construction compliquée du rapport entre jeu vidéo et téléphones portables. En effet, le jeu mobile s’est particulièrement développé après l’apparition des smartphones dans le sillon que l’iPhone a creusé dès 2007 sans pour autant convaincre la communauté des « gamers » qu’il était une vraie forme de jeu vidéo. En 2009, l’autorisation des achats in app par Apple a favorisé l’émergence des jeux free-to-play dits « casual » pour les joueurs occasionnels. Candy Crush ou Clash of Clans sont deux exemples de ce type de proposition qui repose sur des sessions courtes, fortement addictives ou l’achat in app permet de prolonger l’expérience. Cette forme de jeu vidéo qui a très vite trouvé son public a d’abord été rejetée par la communauté des joueurs classiques. Qualité d’image, Gameplay et temps de jeu limités en était en grande partie la cause.

Une industrie en mutation portée par des investissements et des innovations

Pour autant, comme mentionné, le jeu mobile s’est facilement implanté chez un public qui ne s’essayait pas, ou peu aux jeux plus traditionnels. Alors qu’une distinction pouvait se faire entre les « gamers » et les joueurs « casuals » préférant entre autres les jeux mobiles, ces derniers ont commencé à se diversifier et à proposer de nouvelles expériences pour toucher tous les joueurs. 

Premièrement, des jeux se rapprochant des jeux indépendants sur console et PC ont vu le jour sur les stores des différents OS. On peut par exemple noter l’apparition de Her Story en 2014, un jeu produit par Sam Barlow, créateur venant de l’industrie traditionnelle, qui proposait une toute nouvelle expérience de Gameplay très loin des jeux mobiles « casual » basés sur des sessions courtes et addictives[3]. De même, des médias comme Arte ont investi dans le jeu mobile afin de proposer de nouvelles expériences sur un nouveau support à l’attention de tous. Ils ont ainsi pu participer à la production de Alt-Frequencies[4] ou encore Enterre-moi, mon amour[5] deux jeux engagés s’appuyant sur un Gameplay minimaliste propre au support. 

Deuxièmement, les innovations technologiques sur les smartphones ont participé à la légitimation des jeux sur mobiles, ces derniers étant de plus en plus beaux. On a ainsi vu émerger de nombreux MOBA (Multiplayer Online Battle Arena) ou MMO (Massively Multiplayer Online) s’appuyant sur une qualité technique avec des rendus se rapprochant de ceux sur console. Ces jeux symbolisent la volonté des créateurs de jeux mobile de toucher un public de « gamer » plus classique. Cela se traduit d’ailleurs par des investissements massifs en opération sponsorisées pour de nombreux studios. Par exemple, Plarium, le studio créateur de Raid Shadow Legend a acquis une forte visibilité via les vidéos sponsorisés des Youtubeurs Gaming s’adressant à un public de joueurs. 

Enfin, cette tendance d’attirer les joueurs traditionnels sur le mobile se traduit également par l’apparition de licences historiques sur cette plateforme. Rayman Adventures issu de la franchise Rayman a par exemple été édité par Ubisoft dès 2015. En 2019, c’est Call of Duty franchise de jeu vidéo la plus lucrative de la décennie qui sortait sur portable (devenant ainsi le jeu ayant rassemblé le plus de joueurs sur téléphone dans la même semaine avec plus de 100 millions d’utilisateurs[6]). En la matière, Nintendo a également profité du marché du mobile pour toucher un plus grand nombre d’utilisateurs, proposant une adaptation de jeux à succès tels que Mario Kart. 

Le futur du jeu mobile

Aujourd’hui, l’industrie du jeu mobile se porte à merveille dans le monde. Le chiffre d’affaires du jeu vidéo mondial est majoritairement effectué en Asie qui représente 54,3 milliards de dollars en 2018 ou le free-to-play, surtout sur téléphone, est la norme (80 % des ventes).

En France, selon une étude du Syndicat des Editeurs de Logiciel de Loisir, le jeu mobile a connu la plus forte croissance du secteur du jeu vidéo entre 2017 et 2018 (+22 %)[7]. De plus, les Français interrogés déclarent que les « jeux casual – jeux mobile » sont ceux auxquels ils jouent le plus (tous supports confondus). Ainsi, à l’aube d’une nouvelle décennie, le jeu mobile semble avoir acquis une forme de légitimité auprès d’un public de plus en plus large et ce dernier risque d’avoir un rôle prépondérant dans l’industrie de demain. 

D’abord, il est important de noter que le jeu vidéo est un secteur extrêmement innovant qui s’est toujours appuyé sur les dernières technologies. 2020 étant une année sous le signe du déploiement de la 5G, les mobiles vont pouvoir profiter de cette hausse significative du débit pour encore plus s’inscrire dans le secteur du jeu vidéo. En effet, cette amélioration non négligeable des connexions va favoriser l’émergence de solutions de Cloud Gaming par abonnement. Ces dernières consistent en la possibilité de jouer en streaming, sur un serveur à distance. Cela permet alors de brouiller encore plus la différence entre les supports en matière de jeu vidéo puisque n’importe quel titre peut être consommé sur n’importe quel écran. À la manière de Netflix, Google propose ainsi depuis fin 2019 Stadia, service de Cloud Gaming qui permet de jouer à tous types de jeux (y compris les grosses licences habituellement réservées aux consoles et aux ordinateurs) sur tous les supports, en streaming. Apple propose également, depuis l’automne 2019, Arcade service de gaming par abonnement qui s’appuie sur le nombre croissant de joueurs sur mobile en proposant des expériences de jeux inédites[8]. Microsoft a d’ores et déjà annoncé son service de jeu en streaming pour la nouvelle génération de console et Sony est également en train de peaufiner son offre. Dans ce cadre, nul ne doute que le smartphone va être de plus en plus utilisé dans la pratique du gaming et ce pour tous types de jeux.

Le jeu mobile a connu un début de relation difficile avec les joueurs, mais l’amélioration de la technique sur smartphone ainsi que l’explosion des débits internet semble lui promettre une place centrale dans les habitudes vidéoludiques de demain. 

Palluet Thibault


[1] Le marché mondial des jeux vidéo, 120 milliard de dollars en 2019, 7 juin 2019, https://www.bpifrance.fr/A-la-une/Actualites/Marche-des-Jeux-video-2019-sous-le-signe-de-la-croissance-et-du-mobile-46652

[2] http://www.grospixels.com/site/ngage.php

[3] Her Story est un jeu d’enquête où le joueur doit comprendre ce qu’il s’est passé en écoutant les témoignages (en prise de vue réelle) d’une femme. La seule expérience de Gameplay réside dans la possibilité qu’a le joueur à écrire des mots clés dans l’outil de recherche pour trouver de nouvelles vidéos et ainsi avancer dans son enquête.

[4] Alt-Frequencies est un jeu d’enquête où le joueur doit passer d’une station de radio à une autre pour faire la lumière sur une question de boucle temporelle. Le jeu propose un questionnement du pouvoir des médias mais aussi du rapport du pouvoir aux choix du peuple. 

[5] Enterre-moi, mon amour est un jeu engagé mettant le joueur dans la peau d’un syrien qui suit la migration de sa compagne vers l’Allemagne via les messages qu’elle lui envoie. Le joueur peut ainsi la conseiller sur les options qu’elle a afin de l’aider à survivre et à atteindre son objectif.

[6] Le jeu call of Duty Mobile dépasse le cap des 100 millions de joueurs en une semaine, 8 octobre 2019, Chloé Woitier, https://www.lefigaro.fr/medias/le-jeu-call-of-duty-mobile-depasse-le-cap-des-100-millions-de-joueurs-en-une-semaine-20191008

[7] Bilan du marché français du jeu vidéo 2018, février 2019, Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisir, https://www.sell.fr/sites/default/files/essentiel-jeu-video/sell_essentiel_du_jeu_video_2019.pdf

[8] https://www.apple.com/fr/apple-arcade/

Jeux vidéo, les nouveaux réseaux sociaux?

C’est désormais établi : les jeux vidéo constituent une forme de média attirant un nombre grandissant d’individus, masculins mais aussi féminins, plutôt jeunes.[1] Le poids de l’industrie vidéoludique n’est pas négligeable : en France, les revenus issus des jeux vidéo et de l’e-sport devraient s’établir à $5.2 Mds d’ici 2023.[2] Ce « boom » du jeu vidéo a été porté en partie par la dématérialisation du jeu et l’apparition de plateformes dédiées rassemblant de plus en plus de monde. Avec les nouveaux acteurs du secteur que sont Twitch, Discord ou encore le phénomène Fortnite, on observe l’émergence du « jeu interactif ». Désormais, il s’agit de jouer, mais aussi de parler, écrire et/ou regarder les autres jouer, le tout en temps réel. Les plateformes de jeux vidéo ont donné naissance à de nouvelles façons de communiquer et parviennent à capter l’attention d’un public élargi, au-delà des « gamers ». Alors que les plateformes sociales « classiques » comme Facebook sont progressivement délaissées par les plus jeunes[3], peut-on considérer les plateformes de jeux vidéo comme les nouveaux réseaux sociaux ?

Le jeu vidéo, stimulateur d’interactions sociales

Les jeux vidéo disposent intrinsèquement d’une composante sociale. Ils génèrent des conversations dans des lieux physiques (cour de récréation, salons dédiés…) comme virtuels (par exemple au sein de forum généralistes ou spécialisés tels que jeuxvideo.com). 
Sur le plan des interactions sociales dans le cadre du jeu, un cap a été passé avec la mise en réseau du monde et l’émergence des jeux multi-joueurs. Des jeux comme World of Warcraft ou Minecraft poussent les joueurs à former des communautés virtuelles car le meilleur moyen de gagner dans ce type de jeu est de coopérer. Ces groupes sociaux se construisent sur la base d’intérêts partagés. Ils sont structurés autour de processus d’échange d’informations et de savoirs. Les joueurs y développent leurs propres langages. 

Parallèlement, on observe le développement d’outils de communication vocale ou textuelle permettant aux joueurs d’interagir.[4] Le chat vocal est privilégié pour la simple raison qu’il est bien plus pratique lorsque l’on a les mains occupées par des manettes. C’est aussi une forme de communication offrant un contact très spontané, plus direct que sur les réseaux sociaux « classiques ». De nombreux jeux intègrent ces outils directement sur leurs interfaces. Les joueurs utilisent aussi des logiciels d’audioconférence généralistes (Skype) ou adaptés aux jeux vidéo (Mumble, TeamSpeak). Dans cette lignée, le cas du logiciel Discord (lancé en 2015) est particulièrement intéressant. Discord se définit lui-même comme un « chat vocal et textuel tout-en-un gratuit, sécurisé, qui fonctionne sur PC et smartphone, et pensé pour les gamers ».[5] Toutefois, avec ses 250 millions d’utilisateurs et 850 millions de messages échangés par jour, Discord a réussi à attirer une population bien plus large. On y trouve désormais des groupes militants et politiques, des créateurs de contenus, mais aussi « des personnes lambda » qui viennent simplement s’y retrouver « pour parler de leur journée de cours ou s’échanger des mèmes ».[6] Ainsi, Discord se positionne comme un service à mi-chemin entre réseau social et chat, et tend à devenir une plateforme mainstream. 

Les constructeurs de consoles et éditeurs de jeux ont accompagné ce mouvement de socialisation en développant des plateformes permettant de faire des achats en ligne et jouer en réseau, mais faisant aussi office de réseau social. Ces services intègrent des fonctionnalités similaires à celles des réseaux sociaux « classiques », comme la possibilité d’ajouter des amis ou une messagerie instantanée. Le Playstation Network de Sony propose ainsi à ses 70 millions d’utilisateurs mensuels une variété de services de communication et de divertissement.[7]

Le live streaming donne naissance à de nouveaux réseaux sociaux

Les internautes passent de plus en plus de temps à regarder d’autres jouer en ligne.[8] Cette tendance est illustrée par la forte croissance du nombre de vidéos consacrées au gaming sur YouTube.[9] La plateforme Twitch s’est imposée comme principal service de streaming de jeux vidéo. Lancée en 2011, elle compterait en moyenne 15 millions de visiteurs par jour et a enregistré 9,36 milliards d’heures de visionnage en 2018 (contre 2,31 pour YouTube Live).[10] Twitch et ses concurrentes (dont Mixer, qui appartient à Microsoft) reposent sur les contenus produits par les utilisateurs. Ce sont des réseaux sociaux : on peut y retrouver ses amis ou d’autres individus partageant des centres d’intérêts similaires, s’abonner à des chaînes de vidéos, discuter avec les autres utilisateurs sur des chats. En 2019, Twitch a même acquis le réseau social Bebo, spécialisé dans l’organisation de tournois d’e-sport.  

Ces plateformes dépendent ainsi des effets de réseau. Par exemple, l’utilité que ses utilisateurs retirent de Twitch dépend du nombre de visionneurs (pour les streamers) et de streamers (pour les visionneurs). On retrouve également des enjeux liés à la notoriété des streamers. Comme sur YouTube, certains sont devenus des stars contribuant énormément à l’attractivité de la plateforme. 
Enfin, il convient de souligner l’intérêt porté par les médias d’information aux services de live streaming de jeux vidéo. Des éditeurs comme BuzzFeed ou The Washington Post développent des contenus sur Twitch pour être « là où les gens regardent des vidéos en ligne ». Cela renforce le sentiment d’une possible substitution entre une plateforme comme Twitch et les réseaux sociaux « classiques ». D’ailleurs, conscient que son retard sur ce créneau pourrait le priver d’une manne publicitaire, Facebook a lancé en 2018 « un programme pour recruter des joueurs professionnels sur sa plateforme vidéo ».[11]

Fortnite : le jeu devenu média social

Ces évolutions vers le jeu vidéo comme une pratique sociale se trouvent parfaitement illustrées à travers le cas de Fortnite, devenu phénomène de société. Selon Epic Game, qui le développe, Fortnite comptait 250 millions de joueurs fin février 2019. Il est intéressant d’observer son impact sur les autres pratiques médiatiques des utilisateurs (dont la majorité a entre 10 et 17 ans). Ses adeptes y consacreraient en effet 21% de leur temps libre. En conséquence, les autres formes de divertissement, notamment l’usage des réseaux sociaux, voient diminuer la part de temps qui leur est allouée.[12] Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce succès : la gratuité du jeu, son renouvellement constant, la possibilité d’y jouer sur tous les terminaux ou encore l’ouverture multiplateforme qui permet de jouer avec n’importe qui.  

L’impact de Fortnite sur le temps libre des joueurs

Les interactions sociales sont particulièrement développées dans Fortnite. 44% des joueurs américains considèrent que Fortnite les a aidés à se faire un ami en ligne.[13] Il s’agit typiquement d’un jeu où compte l’aspect coopératif. Le fait « d’ajouter » d’autres joueurs, comme on « ajoute » un ami sur Facebook, permet même d’obtenir des bonus.[14] De plus, les joueurs passent du temps à chercher armes et outils. Ces moments sont autant de temps morts durant lesquels ils discutent. C’est ici que Fortnite révèle son caractère de réseau social. Comme l’explique un joueur, « Fortnite est différent, parce que l’important ne réside même pas dans le fait de jouer : c’est un endroit où nous nous retrouvons tous ensemble ». Fortnite réussi ainsi là où Second Life (monde virtuel lancé dès 2003) a échoué. Il y a beaucoup d’autres choses à faire dans Fortnite que de jouer. Des événements virtuels et exclusifs sont régulièrement organisés au sein même du jeu. En février 2019, plus de 10 millions d’utilisateurs ont par exemple assisté à un concert en direct du DJ Marshmello.[15] Ce genre de propositions contribuent à faire de Fortnite un tiers-lieu, « un lieu de rencontre où les joueurs disposent d’une très grande autonomie pour mener les expériences qu’ils souhaitent ».[17] Ainsi, si le fondateur d’Epic Games considère encore Fortnite avant tout comme un jeu, il semble toutefois évident que ce produit possède le potentiel de devenir quelque chose de bien plus vaste.[18]

L’enjeu de la régulation

Pour finir, se pose la question de la régulation de ces plateformes de jeux vidéo. Comme les autres réseaux sociaux, elles font face à des enjeux spécifiques de monétisation, de modération des contenus problématiques ou encore de gestion des données personnelles. Malgré les belles histoires d’amitiés entre joueurs « qui ne se rencontreraient pas forcément dans la vrai vie », l’univers des jeux vidéo peut se révéler toxique. Par exemple, lorsqu’une « voix féminine se fait entendre, elle s’expose aux insultes et au harcèlement ».[19] D’autre part, dans le cadre du RGPD, « le traitement des données personnelles d’un enfant fondé sur le consentement » n’est pas licite lorsque l’enfant est âgé de moins de 15 ans. Epic Games s’est dédouané de toute responsabilité concernant le contrôle de l’âge des utilisateurs de ses jeux en arguant que celui-ci relève des plateformes d’inscription des joueurs. Le chinois Tencent a choisi une autre solution, en obligeant certains éditeurs à utiliser la reconnaissance faciale pour identifier les joueurs mineurs.[20]  

De manière générale, on sait que le régulateur a bien du mal à s’adapter aux plateformes numériques qui ont atteint une taille considérable en quelques années. Plusieurs textes visent à adapter le cadre juridique à ce nouveau paradigme. À l’aune du développement des plateformes de jeux vidéo et de leur tendance à dépasser les réseaux sociaux « classiques », on ne peut qu’inciter le régulateur à y porter une attention particulière. 

Agathe Charbonnel


[1] https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/12/20/au-secours-mon-enfant-est-accro-a-fortnite_6023616_4497916.html

[2] https://www.pwc.fr/fr/espace-presse/communiques-de-presse/2019/juillet/medias-et-loisirs-croissance-et-personnalisation-a-horizon-2023.html

[3] https://www.20minutes.fr/high-tech/2588139-20190826-pourquoi-ados-francais-desertent-autant-facebook

[4] https://linc.cnil.fr/fr/jeux-video-voix-et-reseaux-sociaux

[5] https://discordapp.com/

[6] https://www.meta-media.fr/2019/05/14/avec-plus-de-250-millions-dutilisateurs-discord-nest-plus-reserve-quaux-gamers.html

[7] https://www.playstation.com/fr-fr/explore/playstation-network/your-psn/

[8] https://wearesocial.com/fr/blog/2019/01/global-digital-report-2019

[9]  https://blog.pex.com/what-content-dominates-on-youtube-390811c0932d

[10] https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/streaming-twitch-bat-tous-les-records-961834

[11] https://www.telerama.fr/medias/twitch,-la-plateforme-de-streaming-de-jeux-videos-qui-fait-monter-ladrenaline,n5567303.php

[12] http://www.netimperative.com/2019/06/is-fortnite-becoming-the-next-big-social-network/

[13] https://www.bondcap.com/report/itr19/

[14] http://www.jeuxvideo.com/news/1140462/les-jeux-video-nouveaux-reseaux-sociaux-majeurs.htm

[15] https://www.begeek.fr/le-concert-de-marshmello-sur-fortnite-est-le-plus-gros-evenement-du-jeu-a-ce-jour-308100

[16] https://www.lefigaro.fr/cinema/une-scene-exclusive-de-star-wars-ix-devoilee-sur-fortnite-20191215

[17] https://signauxfaibles.co/2018/12/26/pourquoi-il-faut-serieusement-sinteresser-a-fortnite/

[18] https://www.millenium.org/news/355140.html

[19] https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/12/22/yannick-rochat-fortnite-est-un-espace-de-liberte-loin-des-parents_6023795_4497916.html

[20] https://linc.cnil.fr/fr/jeux-video-voix-et-reseaux-sociaux

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