Et si Twitter slashait la désinformation ?

Selon le Baromètre de la confiance politique, publié en février 2025 par Sciences Po et OpinionWay, 45 % des Français se disent méfiants à l’égard de leur état d’esprit politique actuel (source). Un chiffre préoccupant, d’autant plus que la confiance reste un pilier fondamental de nos sociétés modernes : elle est au cœur du fonctionnement de la monnaie, de la justice, ou encore des institutions démocratiques.

Cette crise de confiance s’exprime aussi fortement sur les réseaux sociaux. L’exemple le plus frappant est sans doute le rachat de Twitter par Elon Musk, qui a entraîné de profonds bouleversements dans le fonctionnement de la plateforme. La décision la plus controversée a été celle de mettre fin à la régulation telle qu’elle existait auparavant, ouvrant ainsi la voie à un nouveau modèle de gouvernance des contenus.

Ce changement de paradigme n’est pas resté isolé. Il a inspiré d’autres géants du numérique, comme Meta (maison mère de Facebook, Instagram, etc.), à repenser leurs propres mécanismes de modération. C’est dans ce contexte qu’est née l’initiative des Community Notes, une tentative de régulation participative visant à évaluer les publications entre utilisateurs, à la manière d’un jugement collectif.

1. Le fonctionnement de l’algorithme des Community Notes de X

Le système des Community Notes, développé par la plateforme X (anciennement Twitter), constitue une innovation majeure dans le domaine de la modération communautaire. Son objectif est de faire émerger des annotations jugées utiles par des utilisateurs aux opinions diverses, afin d’apporter du contexte aux publications susceptibles de prêter à confusion (source). Ce modèle repose sur une combinaison d’évaluations humaines et d’algorithmes inspirés des systèmes de recommandation, notamment la matrix factorization.

Un algorithme fondé sur l’utilité perçue

Chaque note rédigée par un contributeur est soumise à l’évaluation d’autres participants, qui peuvent la juger « utile », « quelque peu utile » ou « inutile », correspondant respectivement à des scores numériques de 1.0, 0.5 et 0.0. Ces évaluations alimentent une matrice d’interactions, que l’algorithme utilise pour prédire la pertinence des notes selon les profils des évaluateurs.

L’équation principale du modèle est la suivante :

un = μ + iu + in + fu ⋅ fn

où :

  • un est la note prédite entre l’utilisateur u et la note n,
  • μ est une constante globale,
  • iu et in sont les biais de l’utilisateur et de la note,
  • fu et fn sont leurs vecteurs de facteurs latents.

C’est la valeur in — appelée intercepte de la note — qui détermine son utilité perçue globalement. Une note est classée :

  • Helpful (utile) si in > 0.40
  • Not Helpful (inutile) si in < -0.05 - 0.8 × |fn|
  • Needs More Ratings si aucun critère n’est rempli

Une validation inter-perspectives

Pour qu’une note soit validée comme Helpful, elle doit être jugée utile par au moins cinq utilisateurs de perspectives opposées (selon leurs facteurs latents). Cette contrainte garantit une forme de validation croisée entre points de vue divergents, réduisant ainsi les effets de chambre d’écho ou de manipulation de groupe.

Fiabilité des contributeurs

Les utilisateurs ne participent pas tous avec le même poids : leurs contributions sont pondérées par des scores de fiabilité, répartis en deux catégories.

Score d’auteur

Ce score est basé sur :

  • Un ratio pondéré entre le pourcentage de notes devenues Helpful et Not Helpful :
Score = P(Helpful) - 5 × P(Not Helpful)
  • Une moyenne des scores in des notes précédentes.
    Pour être éligible, un auteur doit avoir un score supérieur à 0 et une moyenne in > 0.05.

Score d’évaluateur

Ce score évalue la capacité d’un utilisateur à prédire correctement le verdict final d’une note. Il est défini ainsi :

Rater Helpfulness = (s - 10 × h) / t
  • s : nombre de votes conformes au statut final
  • h : nombre de votes « Helpful » attribués à des notes abusives
  • t : total des votes valides

Un évaluateur doit avoir un score ≥ 0.66 pour que ses votes soient pris en compte dans le scoring final.

Mécanismes anti-manipulation

Le système prévoit également des protections contre les abus :

  • Si une note reçoit de nombreux signalements négatifs émanant d’un groupe idéologiquement homogène, elle devra franchir un seuil plus élevé pour être validée.
  • Un modèle externe détecte les cas de harcèlement ou d’abus. Les auteurs soutenant une note jugée abusive peuvent être pénalisés.
  • Un mécanisme de stabilisation fige le statut d’une note deux semaines après sa publication, pour éviter les fluctuations liées à de nouvelles évaluations marginales.

Ce système hybride et algorithmique incarne une nouvelle approche de la modération : à la fois participative, scientifique et transparente, il cherche à équilibrer pluralité d’opinions, qualité de l’information, et lutte contre la désinformation à grande échelle.

2. La blockchain comme alternative trustless : le cas du Proof of Stake

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, le système des Community Notes, bien qu’élaboré et transparent dans ses objectifs, reste fondamentalement fermé. Toute la logique de validation tourne autour de son propre algorithme, de sa communauté restreinte de contributeurs, et d’un score calculé à partir de modèles internes. Or, en parcourant le code source du projet, il semble clair qu’il n’existe aucun lien direct entre les notes et les conséquences concrètes sur la plateforme (visibilité réduite d’un tweet, modération automatique, etc.). Le système reste donc circulaire, sans articulation forte avec le reste de l’infrastructure sociale de X.

Pour compenser cette absence de lien « réel » avec le monde extérieur, un mécanisme algorithmique complexe a été mis en place pour tenter de simuler une forme de vérité collective — mais comme toute simulation, il présente des limites, et des échecs sont possibles (biais structurels, effets de groupe, manipulation douce…).

Face à ce dilemme — où placer la confiance ? et surtout, est-elle réellement nécessaire ? — un autre modèle, radicalement différent, a vu le jour : la blockchain, et plus précisément ses systèmes de consensus trustless, qui permettent à des millions d’individus anonymes d’interagir sans jamais avoir à se faire confiance.

Le consensus sans confiance : une logique inversée

Contrairement à Community Notes, qui repose sur la réputation, les évaluations croisées et des scores de fiabilité, les blockchains publiques s’appuient sur un système anti-confiance (source). Autrement dit, elles partent du principe que personne n’est fiable par défaut, et que la sécurité du système doit émerger malgré cela. C’est l’essence même d’un système trustless.

Parmi les mécanismes de consensus utilisés en blockchain, les deux plus connus sont : le Proof of Work (PoW) et le Proof of Stake (PoS). Concentrerons sur le PoS, un modèle particulièrement intéressant pour penser la validation collective dans un contexte décentralisé. Dans un réseau en Proof of Stake, ce ne sont plus des machines qui « minent », mais des individus (ou nœuds) qui mettent en jeu leurs jetons (crypto-monnaies) pour participer à la validation des blocs de données. Ainsi, les garanties de sécurité ne viennent pas de la confiance dans l’individu, mais du fait que triche est sanctionnée et que le système est distribué. C’est donc un mécanisme d’incitation inverse : on ne présume pas la bonne foi des participants, on rend la triche coûteuse.

Une leçon pour les systèmes sociaux ?

La comparaison avec Community Notes soulève une question de fond : pourquoi essayons-nous encore de reconstruire des modèles centralisés (avec scores, réputation, vérification croisée, etc.) alors que des architectures décentralisées et anti-confiance ont prouvé leur efficacité à très grande échelle ?

3. Et si on réinventait la modération sociale avec le slashing ?

Finalement, face à la montée de la post-vérité, il devient crucial de sortir des systèmes uniquement basés sur la correction « après coup », sans conséquences réelles pour les auteurs des contenus trompeurs. Aujourd’hui, lorsqu’un tweet est annoté par une Community Note, il reste visible, partageable, et son auteur n’est que très rarement inquiété, même lorsque la publication a eu un large impact. Or, dans d’autres systèmes — comme la blockchain — on ne se contente pas de signaler une erreur : on la sanctionne économiquement. C’est tout l’intérêt du mécanisme de slashing dans les protocoles Proof of Stake : lorsqu’un acteur agit contre l’intérêt du réseau, une partie de sa mise est supprimée. C’est une manière directe de faire payer la triche, sans avoir besoin de faire confiance à un modérateur humain. Un modèle de slashing social : punir les comptes et redistribuer la valeur.

Ce mécanisme pourrait prendre plusieurs formes. Imaginons un système où, lorsqu’un tweet est jugé problématique par la communauté (via une Community Note validée), plusieurs conséquences automatiques sont déclenchées :

  • Shadow ban progressif : si un compte accumule des publications corrigées par la communauté, sa visibilité peut être réduite automatiquement, jusqu’à une suspension partielle de ses fonctions (commentaires, posts, etc.). Cela introduit un vrai risque réputationnel et algorithmique, comme pour un validateur blockchain fautif.
  • Slashing économique : si le tweet était monétisé (revenus publicitaires, vues sponsorisées, etc.), alors sa rémunération serait retenue ou annulée, et redistribuée aux contributeurs de la Community Note qui a permis de rétablir la vérité. Ainsi, la valeur générée par un contenu faux ou trompeur serait reversée à ceux qui ont rétabli le contexte, créant une incitation forte à participer à la correction collective.

De la viralité à la responsabilité, ce modèle inverserait la logique actuelle : aujourd’hui, la viralité précède la vérité, et la correction arrive souvent trop tard. En intégrant un système de sanctions et de redistribution, la plateforme introduirait une économie de la vérification, où chaque publication engage l’auteur de manière plus directe. En reprenant les principes du slashing, mais appliqués au champ social et informationnel, on ouvrirait la voie à une modération post-virale, dissuasive et redistributive. Non pas pour censurer, mais pour rendre coûteuse la désinformation, et rentable la contribution à une information collective plus saine.

Amaury Denny

Sources

La culture populaire est-elle en train de changer de bord politique ?

Kylie Jenner qui troque le look afro pour l’attirail de la “pink pilate princess”, la célébration de la figure de la “tradwife” sur Tik Tok…. Ces nouvelles tendances sur les réseaux sociaux ne sont pas si anodines. Elles reflètent un changement de cap dans la culture qui s’est bel et bien traduit dans les urnes aux Etats-Unis. 

“Une société intemporelle pour gentlemen modernes”. Ce slogan apparaît en grand sur le site web de la Tuxedo Society1 [“La société du smoking”]. Ce club rassemble plusieurs centaines de femmes et d’hommes, payant 6 000 $ pour participer à des soirées et des événements organisés spécialement pour eux. Une seule condition : respecter le dress code “old money”, c’est-à-dire smoking pour les hommes et robes de soirées pour les femmes. Le club n’a pas d’autres raison d’exister que de permettre à ses membres de se prendre en photo et de les partager sur les réseaux sociaux : sur un terrain de golf, dans des voitures vintage…

Un sous-texte conservateur

La Tuxedo Society relève plus de la mise en scène que d’une réelle appartenance à une communauté d’américains fortunés. Les robes portées par les filles sont issues de la fast fashion, les lieux paradisiaques n’appartiennent à aucun des membres du club : ils sont tous loués, parfois pour seulement quelques heures. 

Mais alors, pourquoi ces influenceurs veulent-ils imiter l’élite blanche américaine waspienne ? Pour l’image de richesse qu’elle renvoie, d’un entre-soi sans scandales. Cette image s’est avérée particulièrement attirante pour les nouveaux entrepreneurs de la décennie, les “influenceurs ». Ces derniers partent souvent de rien : ils démarrent chez eux, avec du petit matériel et n’ont que leur capital charismatique pour espérer créer leur propre empire. La part des gens qui arrivent à ce niveau de succès est marginale ; la partie laissée pour compte doit se contenter de l’imiter

Imiter la réussite, c’est aussi tenter de masquer un sentiment d’insécurité financière. Les décors et les costumes forment une vitrine ostentatoire pour prouver que “tout va bien”.  Autre exemple : ce faux décor payant de jet privé dans lequel des “influenceurs” se prenaient en photo pour vendre du rêve à leur audience. Toutefois, des internautes ont fini par repérer la supercherie à cause de la ressemblance entre toutes les photos postées. 

Les membres de la Tuxedo Society sont loin d’impressionner les vraies élites, celles qui ont grandi dans la discrétion pour ne pas susciter la jalousie. Même ceux qui réussissent à devenir riches ne se sentent pas reconnus par leurs nouveaux pairs : c’est l’éternelle rivalité Old vs New Money. Ce duel existait déjà durant la Gilded Age [“Période Dorée”] à New York à la fin du XIXème siècle. Il persiste aujourd’hui, avec les nouveaux milliardaires de la Tech soucieux de montrer au monde à quel point ils sont riches et “cools”.

Et c’est précisément cette richesse-là qui est aux commandes des Etats-Unis : Donald Trump verse dans le baroque clinquant et dans les démonstrations de force de richesse. Cette esthétique, que l’auteur Sean Monahan qualifie de “boom-boom” , fait écho à la résurgence du conservatisme aux Etats-Unis au sein de chaque classe sociale. Pour le citer, “money is the last unifying value among americans” (l’argent est la dernière valeur capable d’unifier les américains). Commentaire pertinent à une époque où le pays semble déchiré entre deux camps irréconciliables. 

Le phénomène ne se limite pas à l’influence. La mode est un indicateur intéressant pour évaluer la situation politique d’une nation à un instant donné. Les défilés de mode ont troqué le look urbain pour le quiet luxury, c’est-à-dire des coupes impeccables, des couleurs neutres et des matières nobles. Ce style n’est pas sans rappeler le “power dressing” et l’esthétique  des années Reagan : une période marquée par un retour aux valeurs américaines traditionnelles et conservatrices. 

« Power Dressing » des années 1980. Crédit photo : Flickr – sewyerown

Une métamorphose de tout un pan de la culture

La mode est un indicateur, les standards physiques en vogue en sont un autre. Si la décennie 2010 faisait la part belle au “body positivisme”, la marche arrière est enclenchée sur les réseaux sociaux : les femmes sont minces, voire maigres, et les hommes sont musclés, prêts à partir en guerre. Lorsqu’elle présente les Golden Globes en 2024, l’humoriste Nikki Glaser ironise : “Welcome to Ozempic’s Biggest Night !” ([Bienvenue à la grande soirée d’Ozempic !]). Ce produit fait fureur à Hollywood et promet une perte de poids miraculeuse, pour des corps correspondant tous aux standards de l’industrie.

Idem pour le jeu de valeurs que les algorithmes des réseaux propulsent à leurs audiences. D’un coté, Zuckerberg se réjouit d’un retour au virilisme et à la masculinité toxique ; de l’autre, la “tradwife”, c’est-à-dire la femme au foyer dont le seul boulot est de s’occuper de sa famille, fédère de plus en plus, surtout chez les jeunes. 

Le sous-texte politique de ces tendances contredit bel et bien les travaux libéraux des dernières années et soutient une pensée plutôt associée au conservatisme : la femme s’occupe du foyer, pendant que son mari travaille. Aucune corrélation avec le schéma politique américain actuel ? Il semblerait que si. Par exemple lorsque J.D Vance, l’actuel vice-président des Etats-Unis, proclame être le champion de la “famille nucléaire” : un homme, une femme et leurs enfants. 

Le reste de la culture populaire n’est pas épargnée. La musique country, surtout populaire dans le sud des Etats-Unis, concurrence en termes de nombre d’écoutes certains des artistes les plus populaires au monde. Quels en sont les thèmes récurrents ? La famille, le travail acharné, la vie rurale, l’amour de son pays… Et si certains artistes s’amusent à en déjouer les codes (le canadien Orville Peck avec Cowboys are frequently secretly fond of each other), le genre continue de voir son audience grandir aux Etats-Unis auprès d’un certain public identifiable : ​​des hommes américains, entre 30 et 50 ans, plutôt conservateurs.

Même phénomène du côté du cinéma, où certains grands studios font marche arrière sur certaines histoires pour mieux en pousser d’autres. Ainsi, la nouvelle série produite par le studio Disney, Win or Lose, met en avant le premier personnage « ouvertement » chrétien, et, dans le même élan, supprime un personnage trans. 

Un tournant techno-politique ? 

À certains égards, la victoire de Donald Trump en 2024 ne ressemble en rien à celle de 2016. Là où la première élection a pris le monde entier par surprise, le résultat de novembre 2024 semble être le dénouement naturel d’un renouveau conservateur, même dans des bastions à priori acquis aux démocrates. 

Si de nombreuses stars s’étaient exprimées contre le candidat républicain en 2016 et 2020, certains ont changé de stratégie l’année passée. Kim Kardashian, pourtant très engagée contre la peine de mort et en faveur de l’avortement, est devenue plus ambïgue : une republication d’une tenue portée par Melania Trump sur Instagram, sa présence à l’anniversaire d’Ivanka Trump, un partenariat avec Tesla… Tout cela interroge, Kim Kardashian est-elle devenue MAGA (Make America Great Again) ? Idem à Hollywood, où les stars ont à peine évoqué la situation politique durant  la dernière cérémonie des Oscars. Cette capitulation du monde de la culture, pour reprendre le terme du journaliste Michel Guerrin, peut s’interpréter comme une peur de se mettre à dos une audience qui a voté en majorité pour le candidat républicain.

C’est encore du côté des géants de la tech que le revirement d’attitude s’avère le plus frappant, surtout chez Elon Musk, nouveau propriétaire de Twitter, rebaptisé X. Mais il n’est pas le seul : Jeff Bezos et Mark Zuckerberg étaient tous deux présents à l’investiture de Donald Trump en janvier dernier. Ces derniers se sont d’ailleurs empressés d’insuffler le changement au sein de leurs entreprises : Meta a banni le fact-checking de ses plateformes, tandis qu’Amazon a suspendu toutes ses politiques internes de promotion de la diversité. 

Pourquoi ce revirement politique ? Après des années de travail main dans la main, les démocrates ont pris leurs distances avec les GAFAM. En cause, de trop nombreux scandales à la fin des années 2010 (Cambridge Analytica, Facebook Files) et surtout, un pouvoir d’influence devenu sans commune mesure. Les techno-entrepreneurs sont donc partis dans le camp d’en face, avec qui ils bénéficient d’un échange mutuel hautement avantageux : une absence de régulation économique pour les uns, et une parole non censurée ou modérée sur les réseaux sociaux pour les autres.

Les influenceurs sont-ils en train de suivre le même chemin ? A mesure que leur activité grandit, leur personne physique finit par disparaître derrière leur propre marque. Et tout ce qui faisait leur authenticité doit désormais se standardiser pour mieux se commercialiser. Mais pour vendre, encore faut-il s’adresser au bon public, et le suivre dans ses changements d’humeur politique. 

Les grandes multinationales semblent en avoir terminé, du moins pour le moment, avec la monétisation du mouvement « woke ». Pour le moment, car il s’agit bien de tendances, où un courant finit par en supplanter un autre. Cette même culture infiltrée par le conservatisme a propulsé, en quelques mois, la chanteuse/drag queen Chappell Roan au rang d’icône mondiale. Preuve que deux tendances peuvent coexister au sein d’une même époque. 

Raphael Dutemple

(1) : https://www.tuxedosocietyinnercircle.com

References :

“Pop Fascime”, Pierre Plottu et Maxime Macé, Editions Divergences, 2024

“Want to understand why Trump won the election? Look at pop culture.”, Kyndall Cunningham, Vox, 15 novembre 2024

“What does the inauguration’s authoritarian-chic fashion tell us? Designers are suddenly eager to dress the Trumps”, Rhiannon Lucy Cosslett, The Guardian, 26 janvier 2025

“Sundresses and rugged self-sufficiency: ‘tradwives’ tout a conservative American past … that didn’t exist”, Carter Sherman, The Guardian, 24 juillet 2024

“De Hailey Bieber à Ballerina Farm, ces influenceurs chrétiens qui mettent leur foi et leurs idées conservatrices en avant sur les réseaux sociaux”, Blanche Marcel, Vanity Fair, 12 mai 2024

“The Tuxedo Society : quand le luxe devient un décor instagram”, Salina Riffay, PRSNA, 8 février 2025

“How the Reagan White House shaped ‘80s style”, Vox Creative, Vox, 10 janvier 2019

“What is ‘conservative girl’ makeup, and am I accidentally wearing it ?”, Arwa Mahadi, The Guardian,  12 février 2025

“‘Sticking it to the liberal media’: how conservative pop culture broke out this summer”, Adrian Horton, The Guardian, 9 septembre 2023

« Donald Trump fait cent fois pire que ce qu’ils avaient imaginé et les artistes américains restent muets. Par peur et par intérêt », Michel Guerrin, Le Monde, 14 mars 2025

“Avec Trump, l’esthétique des années Reagan est de retour”, Marie Telling, Earworm, 14 mars 2025

“How did Elon Musk get like this ? ”, Matt Bernstein, A bit fruity, 14 décembre 2024

“How conservatism infiltrated pop culture”, Matt Bernstein, A bit fruity, 7 février 2025

Réseaux sociaux et liberté d’expression : la guerre ouverte de Zuckerberg et Musk contre l’Europe

Les annonces récentes de Mark Zuckerberg sur la réduction de la modération des contenus et la promotion de l’IA générative, et l’influence d’Elon Musk sur les démocraties européennes, déclenchent une véritable crise entre la Silicon Valley et Bruxelles. Face aux risques accrus de désinformation et de manipulation politique, l’Union européenne riposte et cherche à renforcer ses régulations pour préserver l’intégrité du débat démocratique.

Un coup de tonnerre dans l’espace numérique

Depuis janvier 2025, une nouvelle bataille s’est engagée entre l’Union européenne et les grands patrons des réseaux sociaux. Le patron de X (anciennement Twitter), Elon Musk, cherche à influencer les élections en Europe. Mark Zuckerberg (Meta) annonce quant à lui vouloir diminuer drastiquement la modération des contenus sur ses plateformes. Prétendant défendre la « liberté d’expression », ces deux figures de la tech entendent notamment, à travers ces prises de positions,  favoriser les contenus générés par intelligence artificielle et renoncer à la suppression des publications controversées, au risque d’ouvrir la porte à une vague massive de désinformation et de deepfake. Le débat démocratique se retrouve ainsi menacé par les mastodontes du numérique.

Cette position, qui s’oppose frontalement à la régulation européenne, notamment au Digital Services Act (DSA), a été immédiatement critiquée par Bruxelles. Au-delà d’un simple bras de fer juridique, cette annonce marque une véritable déclaration de guerre contre les principes démocratiques d’une information vérifiée et encadrée.

Une offensive contre la régulation européenne

La réglementation européenne en matière de numérique s’est renforcée ces dernières années avec le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Ces lois visent à imposer des obligations strictes aux grandes plateformes afin de lutter contre la propagation des fake news, de protéger la vie privée des utilisateurs et d’assurer une concurrence équitable. Le DSA, en particulier, impose des obligations de transparence sur les contenus sponsorisés, le signalement des contenus illicites et la modération des publications nuisibles.

Or, l’abandon du fact-checking par Meta et la liberté totale laissée aux utilisateurs sur X vont à l’encontre de ces principes. Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive de la Commission européenne, a déclaré à ce sujet :

« Notre tâche est de nous assurer que les droits des citoyens européens sont respectés et que notre législation est appliquée. Cela garantit des conditions équitables et un environnement en ligne sûr pour tous. »

Ces propos résonnent comme une réponse directe aux attaques de Zuckerberg et Musk, qui voient dans le cadre réglementaire européen une contrainte incompatible avec leur vision du business.

L’explosion annoncée de la désinformation

En renonçant à la modération et en favorisant les contenus générés par intelligence artificielle, Meta et X prennent le risque de transformer leurs plateformes en zones de non-droit informationnel.

L’historique récent montre pourtant que les réseaux sociaux ont déjà joué un rôle central dans la diffusion de fausses informations. Que ce soit lors du Brexit dès 2016, ou lors des élections américaines, les fake news se sont multipliées à une vitesse inédite.

Avec la prolifération des deepfakes, ces vidéos ultraréalistes manipulées par IA, associée à la fin du fact-checking, le danger est encore plus grand. Désormais, il sera possible de fabriquer de fausses déclarations attribuées à des responsables politiques ou de créer des vidéos truquées d’événements qui n’ont jamais eu lieu. Dans un contexte pré-électoral en Europe, cette situation inquiète particulièrement les institutions bruxelloises.

Une menace directe pour les démocraties européennes

Si l’Europe a décidé d’agir rapidement, c’est parce que les conséquences sur la démocratie sont immenses. En limitant la transparence et la responsabilité des plateformes, Zuckerberg et Musk laissent proliférer des stratégies de manipulation de l’opinion publique à grande échelle. Ils en ont même une grande influence.

Elon Musk a déjà influencé la campagne américaine en affichant de manière affirmée son soutien à Donald Trump, qui le lui a bien rendu en le nommant à la tête du Département de l’Efficacité Gouvernementale (Department of Government Efficiency, ou DOGE), avec pour objectif de réduire la bureaucratie, les dépenses publique, et de rationaliser les opérations fédérales. Il continue sa lancée en tentant cette fois-ci de s’immiscer dans les élections législatives en Allemagne. Il a apporté explicitement son soutien à l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, en participant à une discussion retransmise en directe sur X avec Alice Weidel, dirigeante de l’AfD, une semaine après l’investiture de Donald Trump. Son intervention lors de cette investiture avec un geste stupéfiant pouvant être interprété à un salut nazi, au regard de ce contexte, ne peut pas sembler anodin. Elon Musk n’a cessé depuis plusieurs mois, comme l’a également rappelé Le Monde, « de multiplier les références à l’antisémitisme et à l’idéologie nazie ».

Elon Musk saluant la foule lors de l’investiture de Donald Trump.
Crédit : Christopher Furlong / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP / RTL

La manipulation de l’opinion publique est présente également dans d’autres pays européens, comme par exemple la Roumanie. En effet, lors de l’élection présidentielle de 2024, la Cour Constitutionnelle a annulé le scrutin. La raison : des publicités politiques ciblées sur TikTok ont manipulé des électeurs sans qu’ils en soient conscients. De plus, des rapports des services de renseignement roumains, déclassifiés par la présidence, ont révélé une vaste opération d’influence  menée sur TikTok en faveur du candidat d’extrême droite pro-russe Cãlin Georgescu. Cette campagne impliquait notamment le financement d’influenceurs locaux pour promouvoir ce candidat, ainsi que des faux comptes pour amplifier artificiellement sa popularité.

Ce type d’intervention pourrait se généraliser dans toute l’Europe si les plateformes ne sont pas contrôlées. De nombreux experts s’inquiètent également du rôle croissant de la Chine et de la Russie dans ces campagnes de désinformation. En laissant leurs réseaux sociaux devenir un champ de bataille informationnel, Musk et Zuckerberg ouvrent la porte à des ingérences étrangères massives.

L’Europe va-t-elle contre-attaquer ?

Face à cette escalade, Bruxelles envisage des réponses drastiques. Parmi elles :

  • Des sanctions financières massives contre Meta et X en cas de non-respect du DSA
  • Un renforcement des outils de contrôle et de signalement des contenus illégaux
  • Une meilleure coordination avec les États membres pour surveiller les campagnes de désinformation

La Commission européenne a déjà infligé aux géants de la tech des milliards d’euros d’amendes pour violation des règles de protection des données et de concurrence au cours de ces dix dernières années. Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée française, a d’ailleurs interpellé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, l’appelant à « ne pas trembler sous la pression américaine ».

L’affrontement entre Bruxelles et la Silicon Valley ne fait que commencer, mais il est crucial pour l’avenir de l’information et de la démocratie en Europe. Si Meta et X persistent dans leur stratégie, la régulation européenne devra réagir avec fermeté pour éviter que le continent ne devienne un terrain de jeu pour la manipulation numérique.

Dans ce duel aux enjeux historiques, une question demeure : les régulateurs européens auront-ils les moyens de faire plier cette nouvelle « broligarchie » ?

Selim Amara

Sources

Elon Musk et Donald Trump : Une alliance qui redéfinit le discours politique en ligne


L’ère numérique a profondément transformé la communication politique, et peu de figures illustrent mieux cette mutation qu’Elon Musk et Donald Trump. En prenant le contrôle de Twitter (désormais X), Musk a bouleversé les règles du jeu médiatique, en mettant en avant une conception radicale de la liberté d’expression. Son alliance de plus en plus évidente avec Trump, figure emblématique du populisme américain, suscite des interrogations majeures sur l’avenir du discours politique en ligne et ses conséquences sur la démocratie. Cette dynamique a des répercussions bien au-delà des États-Unis, notamment en Europe, qui tente de se positionner comme un rempart face à cette montée en puissance des discours polarisants et de la désinformation.


Elon Musk et sa vision de la « liberté d’expression »

L’acquisition de Twitter par Elon Musk en octobre 2022 pour 44 milliards de dollars a marqué un tournant dans l’histoire des réseaux sociaux. Se définissant comme un « absolutiste de la liberté d’expression », Musk a rapidement mis en œuvre des réformes radicales : dissolution des équipes de modération, réintégration de comptes bannis, dont celui de Donald Trump, et suppression de nombreuses restrictions sur le contenu.

Toutefois, cette vision idéalisée d’un espace d’expression libre s’est rapidement heurtée à la réalité. Si Musk a prôné une plateforme ouverte à tous, il n’a pas hésité à suspendre des journalistes critiques et à favoriser un climat propice à la diffusion de fausses informations. Son approche sélective de la liberté d’expression, oscillant entre idéalisme libertarien et intérêts économiques, a provoqué une montée des discours polarisants et une multiplication des controverses. Une étude de l’Arxiv a montré que les comptes diffusant des informations erronées ont vu leur portée considérablement augmentée après l’acquisition de Twitter par Musk.

Musk semble s’inspirer de la pensée de John Stuart Mill sur la liberté d’expression, en particulier de son principe selon lequel la confrontation des idées permet de révéler la vérité. Mill défendait un espace de débat ouvert où toutes les opinions pouvaient être exprimées afin de favoriser l’épanouissement intellectuel et démocratique. Cette approche se retrouve dans la philosophie de Musk, qui rejette toute forme de censure au nom de la diversité des points de vue et du droit de chacun à s’exprimer librement.

Seulement pour Mill il existe des limites, notamment lorsque la « liberté d’expression » incite directement à la violence (et non à la haine), ici la critique est acceptable de lors qu’elle ne nuit pas à autrui. La question prédominante de notre débat serait donc : à quelle moment les paroles (sur les réseaux sociaux) deviennent des actes ou non ?


L’émergence du duo Musk/Trump pendant la campagne présidentielle

L’alliance entre Trump et Musk s’est consolidée au fil de la campagne présidentielle américaine de 2024. Ce rapprochement repose sur une stratégie commune : mobiliser leur base de « followers » en exploitant au maximum les réseaux sociaux. En effet, X et Truth Social, la plateforme de Trump, ont joué un rôle clé dans la diffusion massive de contenus visant à discréditer les institutions américaines et à renforcer le sentiment d’injustice parmi les électeurs conservateurs.

Musk, bien que n’occupant pas de poste officiel dans l’administration Trump, est devenu un conseiller influent, notamment sur les questions de dérégulation et de réduction des dépenses fédérales. Ses prises de position politiques se sont multipliées, allant jusqu’à attaquer des dirigeants étrangers et à soutenir des partis d’extrême droite en Europe.

Cette rupture avec le cadre institutionnel traditionnel n’est pas seulement une stratégie électorale ; elle traduit un repositionnement plus profond du débat politique américain. En misant sur la fragmentation et l’indignation permanente, Trump et Musk ont créé un écosystème informationnel où la confrontation directe et le sensationnalisme priment sur la réflexion et l’analyse.


La polarisation du discours et la banalisation des fake news

L’impact de l’alliance Musk-Trump sur le débat public est considérable. La politique de modération allégée de X a ouvert la porte à une explosion des contenus polémiques, des théories du complot et des fausses informations. Selon une étude de NewsGuard, 74 % des contenus les plus viraux lors du conflit entre Israël et le Hamas provenaient de comptes certifiés payants sur X, mettant en évidence les effets pervers de la nouvelle politique de la plateforme.

Trump et Musk ont compris que la provocation et la polarisation captivent l’attention. En inondant l’espace médiatique de déclarations controversées et en attaquant les médias traditionnels, ils ont contribué à la défiance croissante envers les institutions démocratiques et journalistiques. Cette approche, si elle leur est politiquement et économiquement bénéfique, menace le fondement même du débat démocratique en instaurant une guerre permanente de l’information où la vérité devient secondaire au profit du sensationnel.


L’Europe comme « bouclier » face au duo Trump-Musk

Face à cette montée en puissance du discours populiste et de la désinformation, l’Union européenne tente d’adopter une posture défensive. La mise en place du Digital Services Act (DSA) vise à encadrer les plateformes numériques et à responsabiliser leurs propriétaires quant à la diffusion de contenus nocifs. Toutefois, la tâche est ardue, car Musk a ouvertement rejeté les contraintes réglementaires européennes, retirant X du Code de bonnes pratiques contre la désinformation.

L’Europe est directement ciblée par cette offensive idéologique. Musk et Trump ont critiqué les gouvernements européens pour leurs politiques de régulation et de taxation des géants de la tech. Par ailleurs, le soutien affiché de Musk à des figures politiques européennes populistes, telles qu’Alice Weidel en Allemagne, figure de l’AfD, accentue les tensions entre l’Europe et la droite radicale transatlantique.

Certains États membres, comme la Belgique et l’Allemagne, réagissent en menaçant X de sanctions financières sévères en cas de non-respect des réglementations européennes. Une enquête étant en cours pour évaluer comment X amplifie certains contenus et s’il respecte les obligations de transparence imposées par le DSA. Mais la division persistante entre les pays de l’UE et la dépendance économique à l’égard des technologies américaines compliquent la riposte. L’enjeu est de taille : laisser Musk et Trump imposer leur vision du monde numérique, ou affirmer un modèle européen fondé sur la transparence, la responsabilité et la lutte contre la désinformation.

L’un des défis majeurs de l’Europe réside dans sa capacité à faire appliquer ses réglementations. Des enquêtes menées par la Commission européenne sur les pratiques de modération de X ont mis en évidence des failles dans l’application des règles européennes.

La montée de la polarisation et des fake news plonge le peuple dans un état émotionnel intense, favorisant une désignation simpliste de boucs émissaires. Ce phénomène s’inscrit dans un cycle bien documenté de la violence des émotions collectives, étudié par René Girard. Or, cet état d’esprit, largement véhiculé par les réseaux sociaux, va à l’encontre des principes fondateurs des démocraties européennes, qui reposent sur le droit international, la reconnaissance des frontières et des nations, ainsi que sur des régulations juridiques et institutionnelles garantissant une alternative à la loi du plus fort.

Ces principes fondateurs sont fragiles face à la violence émotionnelle des contenus, qui l’emportent souvent sur la rationalité humaine. En effet, les peuples européens n’ont pas toujours conscience de la richesse de ces constructions, régulatrices de la paix en Europe depuis ces 80 dernières années.

Cependant, cette régulation s’annonce difficile pour une Europe politiquement et économiquement affaiblie, ainsi que militairement vulnérable, qui risque ainsi de peiner à s’imposer face aux grandes puissances concurrentes.

Commission européenne, Bruxelles


Conclusion : un modèle de gouvernance en péril ?

L’ascension du duo Trump-Musk soulève des questions cruciales sur l’avenir du discours public et des régulations numériques. En fusionnant leurs influences politiques et économiques, ils ont redéfini les contours du débat démocratique, privilégiant la confrontation et la viralité aux dépens de la véracité et de la délibération rationnelle.

L’Europe, consciente des dangers posés par cette nouvelle ère de communication politique, tente d’opposer une résistance institutionnelle et juridique. Cependant, l’ampleur de l’influence de Trump et Musk, combinée à l’absence d’un front uni au sein de l’UE, rend la tâche difficile.

Renforcer les cadres réglementaires, encourager une transparence accrue des plateformes et promouvoir une éducation aux médias sont autant de leviers à explorer pour limiter l’impact de cette nouvelle ère du débat public.

Julien BOULOC

Sources

Le DSA : Entre ambitions européennes et défis pour les plateformes sociales et vidéos

Adopté pour encadrer les géants du numérique et protéger les utilisateurs européens, le Digital Services Act (DSA) s’impose comme une réglementation phare de l’Union européenne. Mais derrière ce cadre juridique ambitieux, se posent des questions : comment s’applique-t-il concrètement aux plateformes comme TikTok, Meta ou X ? Et ses objectifs peuvent-ils vraiment transformer l’écosystème numérique ?

© Image générée par l’intelligence artificielle Copilot représentant le contrôle de l’Union européenne sur les plateformes sociales et de vidéos.

Une législation ambitieuse : les bases du DSA

Le Digital Service Act (DSA)1, entré en vigueur en 2023, vise à moderniser la régulation des services numériques en Europe. Conçu comme une réponse aux abus des grandes plateformes technologiques, il repose sur trois piliers principaux :

  1. Lutter contre les contenus illicites : en exigeant des mécanismes efficaces de signalement et de suppression des contenus illégaux.
  2. Garantir la transparence : notamment sur les algorithmes de recommandations et les publicités ciblées.
  3. Protéger les utilisateurs : en assurant des recours clairs et en renforçant la lutte contre les abus, notamment pour les mineurs.

Ce texte s’adresse aussi bien aux petites plateformes qu’aux géants technologiques2 , mais il impose des règles particulièrement strictes aux  plateformes dépassant 45 millions d’utilisateurs actifs en Europe. Ces dernières, comme YouTube ou TikTok, doivent répondre à des obligations renforcées sous peine de sanctions pouvant atteindre 6 % de leur chiffre d’affaires mondial.

Un impact concret : les géants de la tech sous pression

© Image libre de droit récupérée sur Unsplash

Des algorithmes sous surveillance

En octobre 2024, la Commission européenne a exigé des comptes détaillés de YouTube, TikTok et Snapchat sur leurs systèmes de recommandations3. Ces plateformes doivent réduire l’opacité de leurs algorithmes afin de comprendre les actions mises en place en matière de protection des mineurs et d’atteinte à la santé mentale des utilisateurs.

La publicité ciblée en ligne de mire

Le DSA oblige également les grandes plateformes à tenir des registres publicitaires accessibles au public pour encadrer les annonces ciblées. Ces bibliothèques doivent recenser des informations clés comme l’identité des annonceurs ou l’objet des publicités.

Pourtant,un rapport de Mozilla et Checkfirst4 montre que plusieurs plateformes, dont Snapchat, et surtout X, peinent à respecter ces obligations. X est notamment critiqué pour l’absence de recherche ou de filtrage, ainsi que pour ses restrictions d’accès aux données.

© Fondation Mozilla/Checkfirst

TikTok et Meta s’en sortent un peu mieux, mais leurs outils restent imparfaits : seulement 83 % des publicités affichées dans le fil « Pour toi » de TikTok et 65 % des publicités sur Facebook sont répertoriées dans leurs bibliothèques d’annonces.

Des exemples concrets des actions du DSA

Meta : Entre abonnements payants pour la publicité et laxisme face à la désinformation  

Pour tenter de se conformer au DSA concernant la publicité ciblée, Meta,  en septembre 2023, a annoncé la possibilité pour les utilisateurs européens de souscrire à un abonnement payant pour éviter les publicités sur Facebook et Instagram5. Les utilisateurs pouvaient choisir de payer environ 10 euros par mois sur ordinateur et 13 euros par mois sur mobile pour une expérience sans publicité. 

Sauf qu’en novembre 2023, Meta a obligé les utilisateurs à choisir entre payer pour éviter les publicités ou accepter le suivi publicitaire pour continuer à utiliser les services gratuitement6.

© Captures BDM

Cette approche, surnommée « Pay or Okay », a été vivement critiquée par les utilisateurs. Une approche qui a constitué, en juillet 2024, par la Commission européenne une violation du DMA7. En effet, cette pratique forçait les utilisateurs à faire un choix binaire entre payer ou consentir au suivi publicitaire, ce qui contrevenait aux règles de consentement libre et éclairé prévues par le RGPD. 

Face à ces critiques, Meta a annoncé, en novembre 2024, une réduction du prix de son abonnement sans publicité, le faisant passer de 9,99 € à 5,99 € par mois sur le web, et de 12,99 € à 7,99 € par mois sur mobile8. Mais elle risque aujourd’hui une amende à hauteur d’un pourcentage de son chiffre d’affaires.

Mais ce n’est pas tout puisqu’en avril 2024, une enquête a été ouverte contre Meta, accusée de ne pas lutter efficacement contre la désinformation et les publicités trompeuses sur ses plateformes9. Meta est accusée de ne pas consacrer suffisamment de ressources à la modération des contenus politiques.
De plus, la fermeture de l’outil CrowdTangle, indicateur de performance des pages Facebook , a suscité des inquiétudes quant à la transparence des actions de Meta.

Mais en réponse à ces accusations, l’entreprise a publié en novembre 2024 une série d’audits réalisés par le cabinet indépendant Ernst & Young (EY) visant à démontrer sa conformité avec le DSA10. Meta assure que plus de 90 % des mesures prises étaient conformes. 

Cependant, l’audit a révélé des lacunes importantes. Par exemple, Meta n’a pas toujours indiqué les raisons du retrait de certaines publicités dans sa bibliothèque publicitaire, limitant ainsi la transparence de ses actions.

X : Première plateforme à être sanctionnée ?

Depuis le rachat de X en octobre 2022 par Elon Musk, il proclame être un fervent défenseur d’une liberté d’expression sans entrave. X a alors adopté une approche largement permissive en matière de modération. De plus, mai 2023, X a officiellement quitté le Code des Bonnes Pratiques contre la désinformation, un engagement volontaire signé par plusieurs grandes plateformes pour endiguer les contenus trompeurs et haineux. Ce retrait a suscité des inquiétudes au sein de la Commission européenne, d’autant plus que la plateforme a vu proliférer des bots.11

En octobre 2024, l’Union européenne a officiellement averti X en rappelant qu’en cas de non-conformité pourraient inclure des amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial de la plateforme12. En parallèle, des voix ont évoqué la possibilité d’étendre les sanctions à d’autres entreprises détenues par Elon Musk, telles que SpaceX, Neuralink, et The Boring Company, dans le but de garantir une conformité totale au DSA13.

Mais un nouvel élément est venu complexifier la situation. Elon Musk a récemment affiché son soutien au parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne14. Cette posture a alarmé les autorités européennes, qui s’interrogent sur l’utilisation de la plateforme pour influencer l’opinion publique, particulièrement à l’approche des élections allemandes. Les régulateurs craignent que X ne devienne un vecteur de désinformation et de manipulation politique, en amplifiant les discours polarisants et en négligeant ses responsabilités de modération. Soutien qu’il a réaffirmé le 25 janvier 2025 en intervenant en visioconférence stipulant que l’extrême droite était “le meilleur espoir pour l’Allemagne »

©AFP

La Commission européenne envisage des mesures plus radicales, telles qu’une suspension temporaire ou permanente des services de X sur le territoire européen . À l’instar du Brésil, il y a plusieurs mois15.

TikTok : La suppression de son programme TikTok Lite pour se conformer 

En 2023,  TikTok a annoncé une série de mesures pour se conformer au DSA16 notamment en permettant aux utilisateurs de signaler les contenus illégaux et en désactivant la personnalisation du fil « Pour toi ».

Mais il semblerait que ces différentes actions n’ont pas convaincu les instances européennes puisqu’en février 2024 le DSA a ouvert une enquête contre de possibles infractions17 notamment pour la protection des enfants et adolescents. En effet, TikTok est épinglée pour sa conception jugée addictive, notamment à travers des mécanismes incitant les jeunes utilisateurs à prolonger leur temps d’écran. (Programme TikTok Lite) Le DSA estime aussi que TikTok manque de transparence publicitaire et exige la mise en place d’un répertoire public des publicités diffusées sur la plateforme. 

En réponse au DSA, TikTok a ouvert un centre de transparence en Europe, plus précisément à Dublin, ouvert à la presse internationale pour la première fois18. L’objectif pour la plateforme est d’obtenir la confiance des autorités de régulations et de l’opinion publique. 

En août 2024, pour répondre aux critiques à l’égard de son concept jugé trop addictif, notamment pour TikTok Lite. Programme qui incitait les utilisateurs à passer plus de temps sur la plateforme en les récompensant avec de la monnaie virtuelle convertible en cartes-cadeaux. TikTok a donc annoncé le retrait définitif de son programme dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne19. Aujourd’hui la page TikTok destiné à ce programme affiche une “page erreur 404”20

© Capture d’écran de la page « TikTok Lite » sur le site de TikTok.

Un bilan contrasté : le DSA, entre succès et limites

Un an après l’entrée en vigueur du DSA, le bilan révèle une mise en œuvre progressive, mais encore incomplète. Alan Walter, avocat spécialisé, observe que « la plupart des acteurs ont essayé de rentrer dans le rang », mais souligne également les défis financiers et humains que cette mise en conformité engendre.21

Si ces premières actions marquent une volonté de contrôle accru, certaines critiques émergent : les obligations de modération imposées par le DSA suscitent des craintes sur leur impact potentiel sur la liberté d’expression, un équilibre délicat à préserver22.

Alors que les acteurs numériques s’adaptent progressivement, l’avenir du DSA dépendra de sa capacité à évoluer avec un secteur technologique en constante mutation. Une question demeure : comment articuler des règles strictes sans entraver l’innovation ni restreindre des droits fondamentaux comme la liberté d’expression ?

Paul Rottement

Références

  1. https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act ↩︎
  2. https://www.blogdumoderateur.com/dsa-liste-geants-tech-nouveau-reglement-euopeen/ ↩︎
  3. https://siecledigital.fr/2024/10/04/la-commission-europeenne-met-la-pression-sur-youtube-snapchat-et-tiktok-pour-conformite-a-la-legislation/ ↩︎
  4. https://www.blogdumoderateur.com/dsa-geants-tech-manquent-transparence-publicitaire/ ↩︎
  5. https://www.blogdumoderateur.com/meta-abonnement-sans-publicite-facebook-instagram/ ↩︎
  6. https://www.blogdumoderateur.com/instagram-choisir-payer-ou-accepter-publicite/ ↩︎
  7. https://www.blogdumoderateur.com/abonnement-sans-publicite-meta-violation-dma-selon-ue/ ↩︎
  8. https://www.blogdumoderateur.com/meta-reduit-prix-abonnement-sans-publicite-dma/ ↩︎
  9. https://www.blogdumoderateur.com/lutte-desinformation-meta-enquete-ue/ ↩︎
  10. https://www.blogdumoderateur.com/meta-publie-audits-dsa/ ↩︎
  11. https://www.lexgo.be/fr/actualites-et-articles/13861-le-dsa-face-a-x-twitter ↩︎
  12. https://siecledigital.fr/2024/07/08/la-premiere-plateforme-sanctionnee-au-nom-du-dsa-sera-t-elle-x/ ↩︎
  13. https://www.euractiv.fr/section/plateformes/news/dsa-la-commission-etend-son-enquete-a-lencontre-de-x/ ↩︎
  14. https://www.euractiv.fr/section/plateformes/news/dsa-la-commission-etend-son-enquete-a-lencontre-de-x/ ↩︎
  15. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/09/03/la-cour-supreme-du-bresil-confirme-la-suspension-du-reseau-social-x_6302769_4408996.html ↩︎
  16. https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/dsa-day-1 ↩︎
  17. https://www.euractiv.fr/section/plateformes/news/protection-des-mineurs-la-commission-europeenne-ouvre-une-enquete-contre-tiktok/ ↩︎
  18. https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/obtenir-la-confiance-prend-du-temps-tiktok-mise-sur-ses-centres-de-transparence-pour-tenter-de-redorer-son-image-20241202 ↩︎
  19. https://www.arcom.fr/presse/retrait-du-programme-tiktok-lite-au-sein-de-lunion-europeenne-larcom-salue-la-mise-en-oeuvre-du-reglement-sur-les-services-numeriques-en-matiere-de-protection-des-mineurs-en-ligne ↩︎
  20. https://support.tiktok.com/fr/using-tiktok/exploring-videos/tiktok-lite-app ↩︎
  21. https://www.blogdumoderateur.com/alan-walter-bilan-dsa/ ↩︎
  22. https://www.village-justice.com/articles/reglement-sur-les-services-numeriques-dit-dsa-menace-liberte-expression-sur-les,51032.html ↩︎

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