La taxe GAFA : révolution ou coup d’épée dans l’eau ?

En effet, certaines entreprises du numérique utilisent des stratégies d’optimisation fiscale afin de diminuer leur charge fiscale, en transférant les profits vers un Etat doté d’une fiscalité plus faible. Ainsi, elles se basent sur des pratiques d’attirance des Etats en s’appuyant sur l’absence d’harmonisation des politiques fiscales[1]. Il est dès lors possible de définir l’optimisation fiscale comme l’utilisation par le contribuable de moyens légaux qui lui permettent d’alléger ses obligations fiscales. Le contribuable tire le meilleur parti des dispositifs fiscaux, ce qui, sur le plan juridique, peut être poursuivi sur le fondement de l’abus de droit[2]. Il est également important de rappeler que le Conseil Constitutionnel fait de la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale des objectifs à valeur constitutionnelles. Les actions prises pour y remédier constituent des motifs d’intérêt général.

LLes quatre géants américains de l’Internet ont depuis longtemps été regroupés sous le terme GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon. Cet acronyme est particulièrement connu aujourd’hui pour être synonyme de montage fiscal, évitement des taxes et optimisation fiscale.

Quelles stratégies d’optimisation fiscale ?

Plusieurs outils peuvent être utilisés par ces entreprises. Par exemple, la mise en place d’une organisation des entreprises qui exploitent la structure de sociétés mères et filles avec les filiales, ou encore jouer sur les modalités de financement des activités. D’autres entreprises ont tendance à créer des structures sans activité particulière qui ne remplissent qu’une fonction : recueillir des flux financiers pour laisser reposer ces flux sans taxation. Pour assurer le transfert de financements de profit, elles vont pratiquer les flux de transferts à l’intérieur d’entreprises du même groupe.

L’exemple de Google et de son sandwich néerlandais[3] est parlant : son montage repose sur un réseau de société sur quatre niveaux.

  • Google Incorporation, société de droit américain qui a concédé ses droits de propriété intellectuelle à une société installée en Irlande
  • Google Ireland Holdings, filiale de la société mère Google Incorporation, qui concède ses droits de propriété intellectuelle à une autre société aux Pays Bas
  • Google Netherlands BV, société de droit néerlandais qui sous-concède ses droits à une autre société
  • Google Ireland Limited, société de droit irlandais installée à Dublin, qui réalise la totalité du chiffre d’affaire hors des Etats-Unis et encaisse les résultats des autres sociétés nationales (exemple : Google France)

Google Ireland Limited va ensuite reverser 72% de son chiffre d’affaire à la société basée aux Pays Bas, qui reverse à son tour 100% de son chiffre d’affaire à Google Ireland Holdings. Cette société étant considérée comme une société de droit bermudienne, elle ne sera donc pas taxée.

Le « Sandwich néerlandais » ou « Double Irish » de Google

(Source : Ecrans)

Ce montage est celui de Google, mais est également pratiqué par les autres géants du Net. Pour remédier à ces montages fiscaux d’évitement de la taxe, les pays de l’Union européenne œuvre à une harmonisation de la politique fiscale, non sans certaines difficultés et risques.

La « taxe GAFA » proposée par l’Union européenne

Au sein de l’Union européenne, chaque Etat est libre de décider de sa politique fiscale. Cela explique pourquoi certaines entreprises, comme les GAFA, parviennent à faire des montages fiscaux, puisque certains pays constituent des leviers d’attraction en proposant une fiscalité avantageuse. Ainsi, des écarts plus ou moins importants existent au sein de l’Union.

Ce système profite aux entreprises du numérique puisqu’ils échappent au principe de l’établissement stable qui réglemente l’imposition des bénéfices. En effet, puisque les sociétés numériques basent leurs activités sur des échanges dématérialisés et des actifs incorporels (par l’utilisation du web), elles profitent de leur « absence physique » pour localiser leurs filiales dans des territoires à fiscalité avantageuse. Selon la Commission européenne, ces entreprises seraient soumises à un taux d’imposition effectif deux fois moins élevé que celui appliqué aux entreprises traditionnelles. Par exemple, Google France a déclaré que son dernier chiffre d’affaire était de 325 millions d’euros, sur lequel l’entreprise a été imposé à hauteur de 14 millions d’euros. Or, le réel chiffre d’affaire de Google France serait estimé à 2 milliards d’euros juste en recettes publicitaires.

Pour contrer ces montages, la Commission européenne a élaboré une proposition de « taxe sur les services numériques » (TSN) le 21 mars 2018 en taxant à hauteur de 3% le chiffre d’affaire, et non les seuls bénéfices du système classique, générés par des activités numériques[4]. Cette taxe serait due dans chaque Etat et ne permettrait donc pas les flux financiers de chiffre d’affaire existants à ce jour. Cette taxe s’appliquerait à environ 150 entreprises puisque leur chiffre d’affaire annuel devra être supérieur à 750 millions d’euros, dont 50 millions imposables au sein de l’Union. Présentée comme une taxe provisoire, la Commission souhaiterait la remplacer à l’avenir par une taxe mondiale.

L’instauration de cette taxe pourrait rapporter 5 milliards d’euros par an aux Etats membres.

Des pays opposés : les risques de la taxe GAFA

Puisque la politique fiscale de l’Union n’est pas harmonisée, elle n’est pas soumise à la procédure législative ordinaire mais à une procédure spéciale : la procédure d’approbation. Ainsi, le Conseil de l’Union européenne, composé des ministres de l’Economie des Etats membres, consulte le Parlement européen qui ne rendra pas un avis contraignant.

Le processus de décision de l’Union européenne

(Source : Toutel’Europe.com)

Ainsi, seuls les ministres de l’Economie ont un pouvoir décisionnel, à l’unanimité, dans l’adoption ou non de la taxe GAFA. Certains pays y sont toutefois fermement opposés. L’Allemagne, par exemple, craint que le soutient et l’adoption de cette taxe nuisent aux importations allemandes des Etats-Unis, notamment le secteur automobile. La Suède, la Finlande et le Danemark ont également exposés leurs doutes dans un communiqué commun où ils craignent pour les relations internationales. De plus, les pays proposant une fiscalité avantageuse, tels que l’Irlande ou le Luxembourg, ne sont pas non plus favorables à cette taxe, puisque la présence des géants sur leur territoire fonde leur attractivité territoriale.

Sans surprise, les géants du Net eux-mêmes sont contre cette taxe, qui constituerait à leurs yeux « un dommage matériel à la croissance économique, à l’innovation et à l’emploi en Europe ». En effet, le patron d’Amazon France s’est récemment exprimé pour mettre en garde contre la taxe GAFA qui, selon lui, pénaliserait en priorité les 10 000 PME françaises qui vendent leurs produits via la plateforme Amazon, mais aussi les emplois et l’export.

Il est également nécessaire de se demander si l’instauration de cette taxe permettra réellement de régler les problèmes d’optimisation fiscale. En effet, si les géants du Net vont être taxés, cela ne permet pas de lutter contre ces pratiques qui continuent de s’appliquer. Il est alors possible de se demander si la taxe GAFA ne se trompe pas de cibles en voulant taxer les entreprises du numérique avec une législation provisoire et à faible impact international.

L’initiative de la taxe GAFA française

En répercussion du mouvement des « gilets jaune », le gouvernement français a annoncé vouloir mettre en place la taxe sur les GAFA dès le 1er janvier 2019. Elle serait elle aussi de 3% et portera sur le chiffre d’affaire réalisé en France. Ce qui est étonnant, c’est que cette taxe a été annoncée avant même son entrée en vigueur. Ainsi, depuis le 1er janvier, les géants du Net, ou plutôt leurs succursales françaises, sont imposées à hauteur de 3%, sans attendre le consentement de nos homologues européens. Le gouvernement espère obtenir ainsi 500 millions d’euros supplémentaires par an grâce à l’instauration de cette taxe.

Toutefois, si cette initiative répond à une volonté citoyenne, il faut se demander si là encore le gouvernement ne se trompe pas de cible en décidant de mener une politique individuelle, sans attendre une solution européenne, voir mondiale, permettant une meilleure règlementation des montages fiscaux, et non pas seulement celle des géants du numérique.

Louise Goin


[1] Il est ici important de différencier l’optimisation fiscale de l’évasion fiscale et de la fraude fiscale. Ces deux dernières ont recours à des dispositions illégales.

[2] Article L. 64 du Livre des Procédures Fiscales : « un abus de droit est une disposition/montage qui présente un caractère fictif en retenant uniquement une application littérale des textes pour éluder le montant de la charge fiscale ».

[3] Voir le rapport de l’Assemblée Nationale n°683 du 21 février 2018 fait au nom de la Commission des Finances, de l’Economie Générale et du Contrôle Budgétaire sur la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux

[4] Vente de données personnelles, vente d’espaces publicitaires en ligne ciblés, services facilitant les interaction utilisateurs et facilitant la vente de biens et de services entre eux (Airbnb, Uber, Deliveroo…)

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