Marketing du cinéma d’horreur : les stratégies des distributeurs indépendants américains

Le cinéma d’horreur a occupé une place importante en 2024, avec des films comme Longlegs, The Substance, Nosferatu ou encore Immaculée. Ces titres ont fait sensation au box-office indépendant, séduisant un public en quête de récits singuliers.

Image libre de droits, faite par IA

Ce genre, plus que jamais, continue d’attirer un jeune public fidèle et passionné. En 2023, les 15-24 ans représentaient plus de 40% des entrées de La Nonne : La Malédiction de Sainte-Lucie (1,15 million d’entrées). Ils ont également dominé l’audience de Five Nights at Freddy’s (45,7 %), L’Exorciste : Dévotion (44,2 %) ou encore Saw X (41,4 %)1. Cette tranche d’âge constitue une audience clé pour les distributeurs et les annonceurs.

Les films d’horreur, et en particulier les films d’horreur indépendants, offrent l’opportunité unique de toucher ce public difficilement accessible par d’autres canaux. Jennifer Friedlander, vice-présidente senior chez Screenvision, et Mike Rosen, directeur des revenus chez National CineMedia, expliquent que le genre de l’horreur est particulièrement adapté pour capter l’attention des jeunes « cord-cutters » adeptes du contournement publicitaire. La salle de cinéma devient alors un espace idéal pour diffuser des messages ciblés à ce public, de manière bien plus efficace que sur les médias traditionnels ou numériques : sur le grand écran, les publicités ne peuvent pas être facilement ignorées.2

Mais encore faut-il attirer ce public en salles. Pour cela, les efforts marketing sont essentiels. Comme le souligne Jason Blum, fondateur de Blumhouse : « Le succès d’un film, c’est 50 % sa qualité, 50 % le marketing ».3

En 2024, le plus grand succès du cinéma d’horreur était A Quiet Place: Day One, réalisé par Michael Sarnoski et produit et distribué par Paramount Pictures. Avec un box-office mondial de 261 millions de dollars pour un budget de 67 millions, le film s’impose également comme le plus grand succès horrifique en termes d’entrées aux États-Unis4, mais aussi en France5. Si le budget marketing n’est pas public, les équipes ont concentré leurs efforts sur des campagnes médias, et ont largement capitalisé sur la popularité de la franchise. Nous avons également pu observer des actions marketing plus innovantes, comme des tags « Don’t Talk » ou « Stay Quiet » dans la ville de New-York.

Et du côté des indépendants ?

Si l’on s’éloigne des productions des grands studios, on remarque que le cinéma indépendant s’impose de plus en plus sur la scène horrifique, et qu’il propose des campagnes marketing souvent plus risquées et provocantes. Longlegs, réalisé par Oz Perkins, avec Maika Monroe et Nicolas Cage, en est l’un des exemples les plus parlants. Troisième plus grand succès du genre aux États-Unis en 20246, il est distribué par Metropolitan Filmexport en France et par NEON aux États-Unis.

Le succès marketing de Longlegs

Dès le départ, NEON a pris le parti d’une campagne minimaliste et intrigante. Les premiers teasers ne livrent aucun détail sur l’intrigue, le casting ou même le réalisateur : ils laissent le public dans l’ignorance totale de l’histoire. Mieux encore, le studio fait le choix audacieux de ne pas dévoiler immédiatement le look si distinctif de Nicolas Cage, alors qu’il aurait pu être un argument promotionnel évident.

NEON a également investi dans des affiches et des panneaux publicitaires : la plupart se limitent à des images du film montrant des scènes choquantes hors contexte, accompagnées uniquement du titre et des noms des acteurs en lettres rouges. Mais l’élément le plus marquant et le plus viral reste un panneau publicitaire installé à Los Angeles : une image qui donne un aperçu de Nicolas Cage, un numéro de téléphone inquiétant (intégrant le fameux « 666 ») qui a pour messagerie la voix effrayante de l’acteur, et… rien d’autre. Ni titre, ni date de sortie. Une stratégie qui rappelle les campagnes digitales de Cloverfield ou The Blair Witch Project, où le mystère alimente des théories virales imaginées par les fans.

Le pari de NEON est plus que réussi. La bande-annonce de Longlegs cumule plus de 17 millions de vues sur YouTube, et le film a généré plus de 125 millions de dollars au box-office mondial7. Avec ce succès, NEON prouve une nouvelle fois sa maîtrise du marketing de l’horreur, et s’affirme comme un concurrent de taille face à A24, leader incontesté du renouveau de « l’horreur d’auteur »8.

A24, figure exemplaire du marketing

Si A24 a marqué le cinéma d’horreur avec des films cultes comme Midsommar ou Hérédité, son influence dépasse largement le genre. Depuis 13 ans, le studio redéfinit le paysage du cinéma indépendant américain en imposant une identité forte : offrir aux cinéastes une liberté artistique totale et s’affranchir des stratégies marketing conventionnelles.

C’est en 2012 que Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges décident de fonder leur propre studio, A24 Films, un nom inspiré de l’autoroute italienne sur laquelle Katz se trouvait lorsqu’il a eu l’idée de ce projet. Passionnés par le cinéma indépendant des années 90, ils souhaitent replacer les réalisateurs au cœur de la création, et proposer des stratégies marketing inédites et innovantes.9

Pour promouvoir Hérédité (2018), A24 a mis le personnage de Charlie au centre du marketing du film : son regard menaçant envahissait les affiches, une bande-annonce lui était entièrement consacrée, et une boutique Etsy vendait ses poupées. Cette approche a donné l’illusion que Charlie était le coeur du projet, alors que ce personnage meurt au début du film. Cette campagne a donc créé un twist qui a enflammé les réseaux sociaux et suscité un fort engagement.10

Et pour promouvoir Heretic, leur plus grand succès de 202411, A24 a sorti des bougies parfumées à la tarte aux myrtilles, et a diffusé des annonces de personnes disparues à l’aéroport de Salt Lake City (la capitale mondiale des Mormons), demandant : « Que sont devenus Paxton et Barnes ? ».12

Branding et merchandising

A24 est devenu bien plus qu’un simple studio de cinéma, c’est une véritable marque. Le studio a réussi à créer un véritable événement autour de chaque sortie : le label A24 est devenu synonyme d’un style particulier et unique, au point qu’il n’est pas rare de voir des spectateurs se rendre au cinéma simplement pour « voir un film A24 »13. L’engagement du public est puissant : les fans écoutent le podcast A24, et achètent des produits dérivés en tout genre, des t-shirts A24 aux parapluies, savons, gourdes, et même au scotch.

Le merchandising autour des films devient de plus en plus créatif. Pour la sortie de The Substance, un body-horror de Coralie Fargeat, MUBI et SCRT ont lancé les faux kit « The Substance Activator Nalgene », des gourdes inspirées du film, qui promettent ironiquement de « produire une version plus jeune et meilleure de vous-même ».13

Une plus forte propension au risque

Nous l’avons compris : les distributeurs indépendants prennent souvent plus de risques que les grands studios dans leurs stratégies marketing. Terrifier 3 en est un parfait exemple. Avec un budget de production de 2 millions de dollars et une enveloppe marketing limitée à 500 000 dollars15, le film a pourtant généré 80 millions de dollars au box-office16, notamment grâce à une décision controversée prise par Cineverse, le studio derrière le film.

Cette décision audacieuse ? Sortir le film sans classification officielle sur le marché américain. Cineverse n’est pas un studio traditionnel ni un distributeur classique : il peut prendre des risques que les grandes majors n’oseraient pas. Un pari qui a marché : cet aspect « interdit sans l’être » a attiré le public en salles.

Le succès de Terrifier 3 repose aussi sur une stratégie publicitaire hyper-ciblée, loin des médias nationaux traditionnels. Cineverse, le studio derrière le film, a misé sur des plateformes spécialisées comme le site Bloody Disgusting, ses podcasts dédiés à l’horreur, ou encore la chaîne FAST Screambox. Et grâce à c360, sa technologie publicitaire propriétaire, il a pu atteindre son public sur plusieurs plateformes.17

Le marketing de l’horreur de demain

Les distributeurs indépendants ont pris l’habitude d’adopter des stratégies marketing audacieuses et originales pour promouvoir leurs films d’horreur, misant souvent sur des approches digitales et immersives. Depuis Blair Witch, il est devenu évident que le mystère entourant un film d’horreur est un élément clé pour générer de la viralité sur internet. Et l’avantage de ces campagnes, soutenues par le bouche-à-oreille via les réseaux sociaux, réside aussi dans leur capacité à toucher un public international. Ainsi, les efforts marketing d’un distributeur américain bénéficient également aux distributeurs d’autres régions.

Cependant, si trop de films d’horreur choisissent de miser uniquement sur le mystère et la viralité, il est possible que le public perde peu à peu son intérêt pour ce type de campagne. Dans ce contexte, il sera intéressant de voir comment le marketing de l’horreur saura se réinventer dans les années à venir, pour continuer à surprendre sans être redondant.

BLOT Juliette.

  1. Centre National du Cinéma et de l’Image Animée. “Bilan 2023 du CNC.” CNC, 2024, https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/bilans/bilan-2023-du-cnc_2190717. ↩︎
  2. Sheena, Jasmine. “Advertisers are targeting horror-loving younger audiences in theaters.” Marketing Brew, 2024, https://www.marketingbrew.com/stories/2024/10/10/advertisers-are-targeting-horror-loving-younger-audiences-in-theaters. ↩︎
  3. Léger, François. “Jason Blum : Le succès d’un film, c’est 50 % sa qualité, 50 % le marketing.” Premiere, 2023, https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Jason-Blum-Le-succes-d-un-film-cest-50–sa-qualite-50–le-marketing. ↩︎
  4.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  5. AlloCiné. “Box Office du film Sans un bruit: jour 1.” AlloCiné, https://www.allocine.fr/film/fichefilm-287892/box-office/. ↩︎
  6.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  7.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  8.  Hart, Nick. “‘Longlegs’: A Masterclass in Horror Movie Marketing.” Medium, 2024, https://medium.com/counterarts/longlegs-a-masterclass-in-horror-movie-marketing-43987eb0b53e. ↩︎
  9.  Issart, Emilie. “A24, le studio de production qui a renversé Hollywood.” Radio France, https://www.radiofrance.fr/mouv/a24-le-studio-de-production-qui-a-renverse-hollywood-9918830. ↩︎
  10. Sharf, Zack. “‘Hereditary’ Shocker: A24’s Brilliant Marketing Is Responsible For the Best Horror Movie Twist in Years.” Indie Wire, 2018, https://www.yahoo.com/entertainment/hereditary-shocker-a24-brilliant-marketing-203106053.html. ↩︎
  11.  “Box Office Performance for Horror Movies in 2024.” The Numbers, https://www.the-numbers.com/market/2024/genre/Horror. ↩︎
  12. Sondermann, Selina. “Heretic | Movie review – The Upcoming.” The Upcoming, 28 October 2024, https://www.theupcoming.co.uk/2024/10/28/heretic-movie-review/. ↩︎
  13. Danvers, Gia. “A Brand Will Build You Up: A24.” Medium, 2023, https://medium.com/illumination/a-brand-will-build-you-up-a24-1a6707d5551. ↩︎
  14. “THE SUBSTANCE CAPSULE IN COLLABORATION WITH MUBI.” SCRT®, 2024, https://scrt.onl/fr/blogs/journal/the-substance-capsule-in-collaboration-with-mubi. ↩︎
  15. Allo Ciné. “Terrifier 3.” ALLOCINE, https://www.allocine.fr/film/fichefilm-310139/box-office/. ↩︎
  16.  Welk, Brian. “‘Terrifier 3’ Made $80 Million. Marketing Cost: $500,000. Here’s How.” IndieWire, 2024, https://www.indiewire.com/news/business/cineverse-marketing-terrifier-3-500000-1235065407/. ↩︎
  17.  Welk, Brian. “‘Terrifier 3’ Made $80 Million. Marketing Cost: $500,000. Here’s How.” IndieWire, 2024, https://www.indiewire.com/news/business/cineverse-marketing-terrifier-3-500000-1235065407/. ↩︎

Payer pour consommer : comment les plateformes se sont imposées face au piratage et au streaming illégal ?

Le piratage de contenus culturels protégés et le streaming illégal ont été la norme pendant près de deux décennies. En 2023 pourtant, 75 % des Français seraient abonnés à un service payant de vidéo et de musique (Arcom). Comment un tel renversement des pratiques de consommation de biens culturels a-t-il pu arriver ? Montez à bord de la DeLorean, aux prémices d’Internet, pour comprendre comment les pirates ont disparu de nos écrans.

L’âge d’or du piratage et du streaming illégal

À la fin des années 1990, avec l’avènement d’Internet, le piratage de biens culturels voit le jour. Internet inaugure une nouvelle ère d’accès à l’information, permettant la numérisation des contenus culturels et bouleversant leurs modes de consommation. Vers la fin de cette décennie, les réseaux P2P (pair-à-pair) apparaissent. Ils permettent aux utilisateurs de partager et de télécharger des fichiers protégés par la propriété intellectuelle via la connexion mutuelle d’ordinateurs, sans passer par un serveur centralisé. Cette architecture décentralisée rendait le contrôle difficile pour les autorités et les ayants-droits. Napster, pionnier du P2P, lancé en 1999, a grandement facilité le partage et le téléchargement illégal de fichiers musicaux.

Grâce aux améliorations du débit Internet et à la compression des fichiers, le streaming se développe ensuite. Cette méthode permet de consommer du contenu sans le télécharger. Finies les heures d’attente pour télécharger un film et libérer de l’espace sur son disque dur. La spontanéité de la consommation à la demande séduit les utilisateurs, et le streaming illégal explose au début des années 2000. Les sites prolifèrent dans tous les domaines : cinéma, séries, musique, évènements sportifs.

Internet remet en cause le modèle économique de l’industrie de la propriété intellectuelle en rendant les copies numériques des biens protégés gratuites et accessibles. Les dégâts sont conséquents : les revenus mondiaux de l’industrie musicale ont diminué de 50 % de 2000 à 2010 (Statista). En 2008, on estime que 95 % de la musique numérique provenait du piratage (IFPI).

Une première riposte : la réglementation

Face à un tel cataclysme pour les industries culturelles, un encadrement légal du téléchargement et de la consommation illicite de contenus culturels s’est développé vers la fin des années 2000. En France, la loi HADOPI est votée en 2009. Pour protéger les œuvres soumises à la propriété intellectuelle, elle a instauré un système de « riposte graduée » envers les contrevenants, allant des avertissements aux sanctions de plus en plus sévères, jusqu’à l’amende. Cependant, cette loi a été difficilement applicable en raison de la complexité de traçage des serveurs illégaux, et l’HADOPI a souvent été qualifiée d’échec.

Deux cas d’école : Spotify et Netflix

Ainsi, dans un contexte où les industries culturelles traditionnelles peinent à s’adapter aux nouveaux modes de consommation imposés par la numérisation, ce sont surtout des entrepreneurs visionnaires qui vont réussir à lancer le modèle qui deviendra la nouvelle norme : les plateformes.

Daniel Ek et Martin Lorentzon lancent Spotify en 2008 afin de rendre disponible un large catalogue musical tout en garantissant la rémunération des ayants-droits. Spotify leur promet un partage des revenus provenant de la publicité et des abonnements. La plateforme repose sur le modèle de l’économie de l’attention : les utilisateurs, habitués à la gratuité du téléchargement illégal, conservent cette impression de gratuité de la consommation en étant soumis à de la publicité.

Mais au-delà de cette absence de coût initial, Spotify se distingue par une expérience d’écoute novatrice, grâce à une interface intuitive et ergonomique.  Les utilisateurs ont accès à de nombreuses fonctionnalités : la création de leurs propres playlists, un système de recherche facilité, et surtout des recommandations personnalisées en fonction des goûts personnels et des similitudes avec d’autres utilisateurs. Cette combinaison d’accessibilité et de personnalisation fait rapidement de Spotify une plateforme incontournable. Le succès de Spotify tient également à son modèle freemium, permettant de payer un abonnement pour accéder à des options avancées : écoute hors connexion et absence de publicité pour des tarifs avantageux.

Netflix est quant à elle la plateforme qui révolutionnera le streaming vidéo. Alors même qu’elle n’était à l’origine qu’un service de location de DVD par correspondance, elle a mis en place des systèmes qui ont posé les bases du succès de nos plateformes de streaming actuelles : un abonnement illimité « All you can watch » à 19,95 $ dès 2000, une « watchlist » permettant de prédire les locations futures, et surtout un système de recommandations personnalisées, « Cinematch », initialement conçu pour réguler les choix de location. Lorsqu’elle se lance dans la vidéo à la demande en 2007, Netflix parvient à intégrer ces innovations afin d’offrir une expérience de visionnage unique, qui lui permet de conserver sa base de clients existante tout en séduisant progressivement des millions de nouveaux abonnés.

Si Netflix a réussi à convaincre les adeptes du piratage, c’est en grande partie grâce à un catalogue vaste, facilement accessible et à des prix attractifs. Les studios TV lui font confiance rapidement et lui permettent de diffuser les saisons passées de leurs productions. Breaking Bad est un exemple emblématique : produite par AMC, la série atteint une popularité massive grâce aux abonnés qui la découvrent sur Netflix.

Toutefois, l’élément clé du succès de Netflix réside dans son virage vers la production de contenus originaux. En 2013, House of Cards inaugure ce phénomène, suivi de titres marquants comme Orange Is the New Black, Sense8, Narcos ou Stranger Things, qui marqueront les spectateurs des années 2010. Par ailleurs, Netflix sera à l’origine d’un phénomène générationnel : le binge-watching, en rendant tous les épisodes d’une série disponibles simultanément, convainquant in fine les derniers pirates récalcitrants.

Une nouvelle ère pour la consommation de contenus culturels

Prime Video, Disney+, Deezer, MyCanal ne sont que quelques-unes des nombreuses plateformes ayant émergé dans les années 2010. Les utilisateurs ont vite pris goût à la possibilité d’accéder à des contenus variés à tout moment et en tout lieu, délaissant ainsi la consommation illégale.

La pandémie de Covid-19 a accéléré cette tendance : Netflix aurait gagné 26 millions d’abonnés (Statista) sur la première moitié de 2020. En 2023, l’Arcom indique que 75 % des Français sont abonnés à un service payant de vidéo ou de musique, avec un budget moyen de 38 € par mois pour les biens culturels. L’optimisation des plateformes a non seulement incité au paiement, mais aussi au cumul des abonnements pour maximiser l’accès aux contenus. Rien qu’en France, une étude IPSOS (2025) estime que les moins de 35 ans ont en moyenne 2,9 abonnements par personne. Un phénomène accentué par des offres groupées comme Rat+ de MyCanal.

Parallèlement, le CNC observe une baisse continue du piratage depuis 2018, avec -8,2 millions d’internautes pirates entre 2018 et 2022. Toutefois, ce recul ralentit : la baisse s’élève à seulement -8 % en 2023 contre -21 % en 2022…

Vers une remise en question du modèle des plateformes ?

Ce ralentissement de la baisse de la consommation illégale de contenus protégés laisse entrevoir un déclin d’adhésion chez les utilisateurs face à un marché SVOD qui arrive à maturité. Ce phénomène peut s’expliquer par une combinaison de facteurs liés à l’augmentation des coûts, à des restrictions plus strictes et même à la dégradation de l’expérience utilisateur.

Dès 2023, Netflix restreint le partage de comptes aux seuls foyers, provoquant un vif mécontentement. Parallèlement, les abonnements ne cessent d’augmenter : en France, le tarif standard de Netflix est passé de 8,99 € à 13,49 € par mois en 2023, tandis que Spotify a relevé son abonnement individuel de 2 €. Ces hausses, justifiées par l’augmentation des taxes et les investissements en contenu original et en infrastructures, lassent les abonnés.

De plus, des services autrefois inclus deviennent payants ou optionnels, comme la qualité vidéo sur Netflix ou l’absence de publicité sur Prime Video et Disney+. Face à ces évolutions, certains se tournent vers des alternatives illicites, notamment les décodeurs IPTV illégaux, déjà très répandus dans le streaming sportif. Malgré des signaux d’alarme évidents, la menace pèse davantage sur les droits des ayants-droits plutôt que sur les modèles des plateformes en eux-mêmes. Le CNC révélait en 2023 une mixité importante des usages puisque 7 pirates sur 10 utilisaient aussi des plateformes SVOD, ce qui laisse peu de places à une révolte antisystème…

Anaëlle Mousserin

Sources :

Disney vs Canal+ : la bataille qui secoue l’audiovisuel français

© Disney / Canal+

L’année 2025 s’annonce déjà comme un tournant historique pour l’audiovisuel français. D’un côté, le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, s’apprête à passer la main à Martin Ajdari, qui devra gérer de grands chantiers : nouvelles chaînes sur la TNT, réforme de la numérotation, et surtout la renégociation sensible de la chronologie des médias1. De l’autre, France Télévisions doit composer avec un budget déficitaire pour la première fois depuis près d’une décennie1, tandis que sa présidente, Delphine Ernotte-Cunci, entretient le flou autour de son éventuel troisième mandat1.

Au milieu de ces turbulences, la rivalité entre Canal+ et Disney cristallise toutes les attentions. Le géant américain a annoncé la fin de la distribution de Disney+ chez Canal+2, récupérant au passage la diffusion de la prestigieuse cérémonie des Oscars3. Au cœur de l’enjeu : la fenêtre d’exploitation à six mois après la sortie en salles4, longtemps chasse gardée de Canal+ grâce à ses investissements massifs (jusqu’à 190 millions d’euros par an4). Si Disney obtient le même privilège, moyennant une augmentation radicale de ses apports (de 13 à 55 millions d’euros4), le modèle français traditionnel, basé sur un diffuseur-pilier, s’en trouverait ébranlé.

Ces bouleversements en cascade soulèvent de multiples questions. Comment préserver l’exception culturelle face à l’émergence de nouveaux acteurs, qu’ils soient américains ou issus de la TNT ? Quels arbitrages opérer pour maintenir la diversité des œuvres et soutenir la création indépendante, alors que les crédits d’impôts et les Sofica sont dans le viseur de certains parlementaires5 ? Et surtout, dans un paysage où l’offre se fragmente, qui endossera le rôle de grand financeur du cinéma français si la place de Canal+ venait à vaciller ? C’est l’ensemble de ces problématiques que ce billet se propose d’explorer.

Un clash historique : Disney s’émancipe de Canal+

Depuis plusieurs années, Canal+ proposait l’accès aux chaînes et à la plateforme Disney+ dans ses bouquets, assurant une fenêtre de diffusion privilégiée pour les films du studio (six mois après la sortie en salles)1 4. Mais à partir de janvier 2025, tout bascule : Disney met fin à ce partenariat et récupère, dans la foulée, l’exclusivité pour diffuser la cérémonie des Oscars en France, autrefois un symbole fort de Canal+3. La chaîne cryptée, qui considère cette plateforme comme une « consommation marginale » pour ses abonnés, réplique en dénonçant des négociations infructueuses et un contexte fiscal défavorable (redressement de TVA, hausse de la taxe CNC, etc.)4.

La rupture entre ces deux partenaires historiques prend une ampleur encore plus marquée lorsque Disney affiche son intention d’investir jusqu’à 55 millions d’euros par an dans la production de films français, contre 13 millions l’année précédente. L’objectif ? Obtenir la même fenêtre de diffusion à six mois réservée depuis longtemps à Canal+, grâce à un investissement colossal bien au-delà du minimum légal. Or, cette fenêtre est l’ultime atout de Canal+, qui injecte 190 millions d’euros chaque année pour maintenir son statut de financeur numéro 1 du cinéma français7. Si Disney atteint un niveau équivalent, l’économie même de Canal+ pourrait vaciller, tandis que la filière du cinéma s’apprête à dépendre davantage d’un acteur américain.

En parallèle, la chaîne cryptée se retire progressivement de la TNT, mettant fin à la diffusion de certains canaux payants, et voit C8 perdre sa fréquence dans la nouvelle redistribution orchestrée par l’Arcom. Tandis que Canal+ poursuit son internationalisation (notamment via le rachat du groupe africain MultiChoice et une introduction partielle à la Bourse de Londres), Disney mise sur le marché français pour élargir sa base d’abonnés. Sans Canal+ comme intermédiaire, le studio américain négocie déjà avec Orange et d’autres opérateurs pour maintenir sa visibilité dans les foyers6.

Un secteur audiovisuel en pleine mue : nouvelle gouvernance, nouveaux défis

Le choc Disney–Canal+ intervient alors que d’autres chantiers majeurs secouent l’audiovisuel. Roch-Olivier Maistre quitte prochainement ses fonctions de président de l’Arcom, laissant la place à Martin Ajdari, ancien secrétaire général de France Télévisions. Celui-ci devra notamment gérer :

Martin Ajdari (Photo by Xavier LEOTY / AFP)
  • La remise en jeu de fréquences TNT1 : Deux nouvelles chaînes généralistes, CMI TV et OFTV, arriveront sur la TNT en 2025, tandis que la numérotation reste un sujet explosif. Les critères de l’Arcom (intérêt du public, blocs thématiques, etc.) vont, à coup sûr, faire grincer les dents.
  • Le budget en péril de France Télévisions1 : Le groupe public approuve pour la première fois depuis neuf ans un budget déficitaire (-104 M€ de ressources prévues), alors que l’État tarde à clarifier l’avenir financier de l’audiovisuel public. Delphine Ernotte-Cunci, à la tête de France TV, briguera-t-elle un troisième mandat ? L’incertitude demeure, au moment où se prépare une réforme potentielle de tout l’audiovisuel public.
  • La chronologie des médias à renégocier1 : Jusqu’ici, Canal+ était satisfait du statu quo, mais l’irruption de Disney dans la fenêtre à six mois rebat totalement les cartes. Netflix, de son côté, refuse d’augmenter ses contributions sans mesurer les retombées de ses investissements actuels, et les autres diffuseurs (M6, TF1, France TV, Paramount+) observent avec prudence.

Autre point sensible, les discussions autour du projet de loi de finances 2025. Des élus, notamment du Rassemblement National, ont déposé des amendements pour réduire les crédits d’impôts et plafonner les avantages fiscaux des Sofica, au prétexte d’une nécessaire maîtrise des dépenses publiques5. Une telle décision, si elle était adoptée, pourrait affaiblir les mécanismes de soutien dont dépend la production française. L’inquiétude est forte dans une filière déjà ébranlée par la fin de Salto, l’absence d’un projet de plateforme commune alternative et l’explosion des coûts.

Entre menace et opportunité : quel avenir pour l’exception culturelle ?

Le bras de fer entre Disney et Canal+ révèle les fragilités d’un modèle français centré sur quelques diffuseurs puissants et un large éventail de dispositifs publics (crédits d’impôts, Sofica, soutien du CNC)5. L’arrivée d’un investisseur américain prêt à quadrupler son engagement financier peut, certes, se traduire par plus de projets, davantage de films et une visibilité internationale accrue. Les récentes interviews de responsables chez Disney+ montrent d’ailleurs leur volonté de s’orienter vers un public adulte, d’innover (Shōgun, The Bear…) et de coproduire des fictions françaises ambitieuses8.

Toutefois, la dépendance grandissante à un géant étranger suscite des craintes pour la « souveraineté culturelle ». Si Canal+ réduit ses investissements pour s’aligner sur la concurrence, certaines productions plus risquées (documentaires d’investigation, cinéma d’auteur, séries à petit budget) pourraient peiner à trouver un financement local. Dans le même temps, France Télévisions, déjà en déficit, ne sera pas en mesure de combler le manque1. Le risque est de voir un appauvrissement de la diversité, une uniformisation autour de formules calibrées pour séduire un maximum de spectateurs, au détriment de l’expérimentation et de la singularité qui font la richesse du cinéma français.

Face à ces bouleversements, les nouvelles chaînes (CMI TV, OFTV) ou l’appel à un front commun via la Filière Audiovisuelle (LaFa) sont autant de tentatives pour remettre la France en ordre de bataille9. Le futur président de l’Arcom, Martin Ajdari, insiste sur la nécessité d’une offre solide pour faire face aux plateformes étrangères, suggérant parfois la création d’une plateforme commune inspirée par des modèles comme le britannique Freely1. Mais pour l’instant, aucune dynamique n’a réellement pris forme, alors que le temps presse et que chaque acteur campe sur ses positions.

Le verdict ?

La rivalité entre Disney et Canal+ n’est donc pas un simple accroc commercial. Elle incarne un déplacement des plaques tectoniques de l’audiovisuel français, déjà secoué par la nomination imminente d’un nouveau président à l’Arcom, la refonte de la TNT, les réformes budgétaires et la refonte possible de l’audiovisuel public. L’enjeu majeur reste la pérennité d’un modèle qui, jusqu’ici, s’appuyait sur la chronologie des médias, sur les diffuseurs historiques et sur un fort soutien de l’État.

Reste à savoir si, dans cette reconfiguration, la France saura préserver son exception culturelle : la diversité, l’innovation, l’ambition artistique qui ont toujours caractérisé son cinéma et ses programmes audiovisuels. Disney, en tant que nouvel investisseur massif, fera-t-il fructifier la créativité locale ou imposera-t-il une uniformisation des contenus ? Canal+, en perdant un monopole soigneusement entretenu, conservera-t-il l’influence nécessaire pour soutenir des œuvres audacieuses ? Et quelles réponses l’Arcom et les pouvoirs publics apporteront-ils à cette concurrence internationale qui gagne du terrain ? Le verdict dépendra de multiples arbitrages dans les mois à venir. Si certains y voient le début d’une ère plus ouverte et compétitive, d’autres redoutent une dépendance accrue à quelques multinationales, au détriment de la liberté de ton et de la spécificité française. Dans tous les cas, 2025 pourrait bien être l’année où se joue le futur de l’audiovisuel national — et, avec lui, le destin d’une industrie cinématographique encore enviée à l’international.

FAY Benjamin

Sources

« La télévision en 2025 : des changements en ligne de mire »Ecran Total, 13/01/2025.

« Disney annonce le non-renouvellement de son accord avec Canal+ », Ecran Total, 04/11/2024.

« Disney va diffuser les Oscars en exclusivité en France »Ecran Total, 10/12/2024.

« Les négociations entre les organisations du cinéma et les plateformes dans la dernière ligne droite »Ecran Total, 11/12/2024.

« PLF 2025 : Le RN s’en prend aux crédits d’impôts et aux Sofica »Le film français, 21/10/2024.

« Orange et The Walt Disney Company signent un accord de distribution »Ecran Total, 23/12/2024.

« Le retrait pas si étonnant de Canal+ de la TNT »Ecran Total, 09/12/2024.

« Julia Tenret et Kévin Deysson (Disney+) : “Notre public cible, ce sont les 18-49 ans” »Ecran Total, 13/01/2025.

«Enjeux de l’audiovisuel en 2025 : les syndicats ont la parole», Ecran Total, 10/01/2025.

Festivals de cinéma en ligne : démocratisation ou perte d’authenticité ?

La pandémie a poussé de nombreux festivals à se réinventer en ligne, certains y voyant une opportunité, d’autres un reniement de leur essence. Le Festival de Cannes 2020 a préféré annuler son édition plutôt que d’opter pour une version numérique, estimant qu’un festival repose sur l’expérience en salle, les rencontres et l’effervescence de l’événement. Le numérique est-il un atout ou une perte d’authenticité pour les festivals ?

©Unsplash

Une évolution amorcée bien avant la pandémie

Si la crise sanitaire a accéléré la digitalisation des festivals de cinéma, l’idée d’une présence en ligne n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, certaines manifestations ont intégré des dispositifs numériques : programmation diffusée en ligne, retransmission en direct de moments clés, applications mobiles dédiées, voire dépôts de films en ligne.

Dès 2011, Christina Warren soutenait que « de nombreux festivals de films, parmi les plus importants, comprennent qu’une composante en ligne est en train de devenir un aspect important des festivals dans le futur ». Cette intuition s’est confirmée avec diverses initiatives comme l’intégration d’une section compétitive en ligne par le Tribeca Film Festival ou encore la proposition par le BuddhaFest d’une sélection de 6 longs métrages accessibles via le BuddhaFilm Online Film Festival (2017).

L’essor du numérique : opportunité ou nécessité ?

Le festival en ligne constitue une opportunité pour s’adapter aux nouveaux usages de consommation, notamment chez les jeunes spectateurs. Ces derniers se rendent moins en salle et privilégient des formats accessibles depuis leurs écrans personnels. Le numérique devient alors un outil complémentaire, permettant à ces événements de rester en phase avec les pratiques culturelles actuelles.

Une opportunité d’enrichissement de l’offre en ligne

L’accès en ligne ouvre de nouvelles opportunités pour les films indépendants. Traditionnellement, les films projetés en festival restent confinés à un circuit restreint. Un festival en ligne leur offre une visibilité accrue auprès du grand public et des professionnels.

Mais alors, en quoi un festival en ligne se distingue-t-il d’une plateforme de SVOD comme Netflix ? Plutôt qu’une opposition salle/plateforme, il faudrait opposer l’algorithme et la sélection.

Là où Netflix dicte ses recommandations par des algorithmes, les festivals – physiques ou numériques – reposent sur une curation exigeante. Chaque sélection est le fruit du travail de programmateurs mettant en avant des œuvres singulières, éloignées des standards commerciaux. Comme le souligne Romain Lecler, l’opposition entre festival en ligne et plateforme SVOD est peu pertinente : les plateformes privilégient des productions à gros budget et laissent peu de place aux films indépendants. Même si quelques films de festival y figurent, ils sont peu visibles et « noyés dans la masse des autres programmes ». En festival, la sélection confère aux films une reconnaissance symbolique et économique précieuse, bien plus qu’un simple référencement sur un catalogue numérique.

Un levier de démocratisation du cinéma ?

Les festivals en ligne brisent plusieurs barrières.

D’un point de vue financier, leur production est bien moins coûteuse que celle d’un festival traditionnel. Les frais liés aux infrastructures, aux déplacements et à la logistique sont drastiquement réduits. Pour les spectateurs, cela signifie également une réduction des coûts : pas de transports, pas de logement à réserver, et souvent, un accès gratuit ou à faible prix aux films (My French Film Festival, accès gratuit sur certains territoires, 1,99€ à l’unité ou 7,99€ pour le pack global). Ainsi, des publics qui n’auraient jamais envisagé de se rendre à un festival en présentiel peuvent enfin y participer.

D’un point de vue géographique, les festivals en ligne brisent les barrières de la centralisation culturelle. Les salles de cinéma traditionnelles, notamment celles dédiées à l’art et essai, restent majoritairement concentrées dans les grandes métropoles. Pour un public éloigné de ces centres urbains, les festivals en ligne deviennent une alternative précieuse, leur donnant accès à des films qu’ils n’auraient jamais pu voir autrement.

Capture d’écran page d’accueil du site officiel de MFFF

Au-delà du rajeunissement du public de cinéma français dans le monde, l’ambition du festival en ligne My French Film Festival créé par UniFrance, est d’« être disponible partout, pour tous, même pour ceux toujours plus nombreux, qui n’ont plus accès à une salle diffusant du cinéma étranger » (Jean-Rémi Ducourioux, 2012).

Le festival est passé d’1,3 million de visionnages en 2012 à 13 millions en 2021 à travers 200 territoires, preuve que son public ne cesse de croître.

Cette idée de démocratisation n’est pourtant pas absolue et fait débat. En vérité, le format en ligne révèle un paradoxe que l’accessibilité numérique peine à compenser : le manque d’expérience collective et d’immersion propres aux festivals traditionnels restent difficilement transposables sur nos écrans. Pour beaucoup, ceci est la preuve d’une dénaturation progressive de l’événement festivalier.

Un festival en ligne peut-il réellement créer l’événement ?

L’un des fondements d’un festival est son caractère unique : ce sont des événements, des moments de rencontre, des lieux emblématiques où se forge une atmosphère particulière. Pourrait-on parler de Cannes sans la Croisette, son tapis rouge et ses mythiques ovations en salle ?

Le premier défi réside ainsi dans la perte d’unité de temps et de lieu. Un festival physique impose un rythme, une immersion totale dans l’univers cinématographique. En ligne, les festivals sont plus longs (souvent un mois). Le spectateur choisit donc son moment de visionnage, entre deux tâches quotidiennes, sans la solennité d’une salle obscure.

« Regarder deux films par jour quand on a un travail, ce n’est pas possible, les gens étaient frustrés, nous aussi »

Marion Quillard, festival Point Doc (2013)

Certains festivals tentent alors de recréer une temporalité forte comme sur la plateforme Festival Scope en imposant des horaires fixes et des tickets limités sur un ton un peu décalé :

« Tickets are limited and in demand, so hurry up if you want a front seat! »

Le second défi est le maintien d’une expérience collective unique. Les rencontres entre spectateurs, les débats après les projections, la magie des échanges spontanés disparaissent derrière un écran, rendant l’expérience plus solitaire. Pour pallier cela, des festivals comme MFFF mettent en place des forums et des espaces d’échange en ligne, tentant de recréer un semblant de communauté. Un sondage auprès des spectateurs de la 3e édition révèle que 41,4% d’entre eux ressentent un sentiment d’appartenance à une communauté internationale, preuve que la dimension sociale d’un festival peut survivre au numérique.

La dimension compétitive : un enjeu clé

L’un des piliers des festivals de cinéma réside dans leur dimension compétitive. Les prix décernés confèrent aux films une reconnaissance qui peut propulser leur carrière. Les festivals en ligne conservent cette tradition, avec des compétitions structurées autour de catégories spécifiques, et des jurys composés de professionnels du cinéma.

Les festivals en ligne tentent d’innover grâce à la participation des internautes. À travers des votes en ligne, le public peut attribuer un prix, ce qui renforce l’interaction et l’engagement des spectateurs. Ce format, bien que différent de la ferveur d’une salle comble applaudissant un film primé, permet une forme de validation collective qui transcende les frontières physiques.

Interdit aux chiens et aux Italiens
Prix du public MFFF 2024

Un impact sur la couverture médiatique et le réseautage

Les festivals sont des moments clés pour la promotion des films : rencontres avec la presse, interviews, critiques en avant-première… En ligne, ces interactions sont limitées. Certains festivals tentent de pallier ce manque avec des formats alternatifs : Point Doc propose un chat en direct avec les réalisateurs chaque soir, et MFFF met à disposition des interviews exclusives.

Pour les professionnels, le réseautage est également un enjeu majeur. Des plateformes comme Festival Scope Pro permettent aux ayants droit de suivre qui visionne leurs films et de contacter directement des acheteurs potentiels, offrant ainsi une alternative au marché du film traditionnel.

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Vers un modèle hybride ?

Les festivals de cinéma en ligne ne sont ni une simple alternative ni une menace pour les festivals traditionnels. Ils représentent une mutation, une hybridation qui ouvre de nouvelles perspectives. Loin de remplacer l’expérience en salle, ils la complètent en offrant une accessibilité accrue et en repensant la manière dont le public découvre le cinéma.

Néanmoins, ceux-ci soulèvent des paradoxes : s’ils démocratisent l’accès aux films, ils peinent à recréer l’intensité d’un événement physique. S’ils offrent une visibilité nouvelle aux œuvres, ils ne parviennent pas toujours à leur conférer la même aura symbolique, aujourd’hui cristallisée par les plus grands festivals de cinéma.

Les perspectives vers des modèles hybrides, combinant projections en salle et accès numérique, font débat.

Les festivals les plus prestigieux oseront-ils sauter le pas ? Seul l’avenir nous le dira.

Emmanuelle YOG


Sources

Dans quelle mesure la cancel culture influence-t-elle la diffusion des œuvres artistiques ? Faut-il censurer ou contextualiser ?

En 2020, la cérémonie des César prend un tournant explosif lorsque le prix du meilleur réalisateur est attribué à Roman Polanski pour J’accuse. Quelques mois plus tôt, l’actrice Adèle Haenel avait brisé le silence en accusant le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements lorsqu’elle était adolescente, déclenchant une vague de prises de parole dans le milieu du cinéma français. En signe de protestation, à la remise du prix, elle quitte alors la salle aux côtés de Céline Sciamma et Noémie Merlant : « La honte ! » avant d’être filmée à l’extérieur, criant avec rage : « Bravo la pédophilie ! ». Les actrices dénonçaient une industrie qui, selon elles, continue de récompenser des hommes accusés de violences sexuelles. 

La même année, HBO Max retirait temporairement le film Autant en emporte le vent, mal accueilli par le public, en raison de sa représentation idéalisée de l’esclavage et accusé de véhiculer des stéréotypes racistes. Plus tard, la plateforme le re-diffusait avec une introduction qui contextualisait le contenu.

Ces deux événements illustrent bien les tensions autour de la cancel culture. Terme polémique, il désigne cette dynamique de remise en cause de figures et productions culturelles jugées problématiques. Si certains y voient une nécessaire réévaluation éthique, d’autres dénoncent une forme de censure qui limiterait la liberté artistique. 

Les exemples cités montrent d’un côté, une contestation de la légitimité des artistes impliqués dans des scandales, de l’autre, une remise en question d’œuvres historiques à l’aune des sensibilités contemporaines, et ils soulèvent une question centrale : faut-il censurer ou contextualiser ? Jusqu’où les institutions culturelles doivent-elles prendre en compte ces débats dans leurs choix de programmation et de diffusion ?

La polémique autour de la projection du Dernier Tango à Paris à la Cinémathèque

En décembre 2024, la Cinémathèque française se retrouve au cœur d’une intense controverse suite à la programmation du film Le Dernier Tango à Paris dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Marlon Brando. Réalisé par Bernardo Bertolucci en 1972, ce film est devenu l’un des symboles des débats contemporains sur les violences sexistes dans le milieu du cinéma. L’origine de la polémique repose sur la scène de sodomie simulée entre Marlon Brando et Maria Schneider, tournée sans le consentement préalable de cette dernière. En 2007, l’actrice avait révélé avoir vécu ce tournage comme une humiliation et une véritable agression psychologique. Après le mouvement #MeToo, le doute est levé sur le caractère obscur de cette scène.

Dès l’annonce de la projection, des critiques fusent contre la Cinémathèque pour son manque de contextualisation et de prise en compte du traumatisme subit par Schneider. Le film est présenté comme un reflet de la révolution sexuelle après mai 68, et comme ayant une “odeur de soufre”. Cette introduction est perçue par certains comme une minimisation de la violence réelle exercée sur l’actrice. Des personnalités engagées dans le mouvement féministe, telles que Chloé Thibaud et Judith Godrèche, dénoncent la programmation du film sans débat préalable, tandis que des associations comme NousToutes exigent son annulation pure et simple.

Face à la tempête médiatique, la Cinémathèque tente d’abord de calmer les tensions en organisant un débat en amont de la projection. Cependant, les pressions s’intensifient et des menaces de perturbations violentes poussent finalement l’institution à déprogrammer le film, invoquant des raisons de sécurité. Cette décision divise : certains y voient une avancée dans la reconnaissance des violences faites aux femmes dans l’industrie cinématographique, tandis que d’autres dénoncent une censure qui menacerait la liberté artistique. Au-delà de cette annulation, plusieurs personnes ont trouvé regrettable que la Cinémathèque n’adopte pas une posture plus neutre en proposant une séance accompagnée d’un dispositif pédagogique sérieux. L’Observatoire de la liberté de création propose une alternative : et si au lieu d’effacer ces oeuvres, on les réévaluait, en les diffusant et en incitant le spectateur à garder un esprit critique ? 

Cette polémique pose ainsi la question plus large de la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. La Cinémathèque française, qui avait déjà suscité des controverses en programmant des rétrospectives de Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau, se retrouve aujourd’hui sous pression, allant jusqu’à devoir justifier ses choix devant la commission d’enquête relative aux violences commises dans le secteur du cinéma, présidée par Sandrine Rousseau. Entre liberté artistique et responsabilité éthique, la polémique du Dernier Tango à Paris illustre un dilemme fondamental pour les institutions culturelles : comment montrer une œuvre marquée par des violences sans en occulter les implications morales et sociétales ?

Le rôle de l’art et des acteurs de l’industrie audiovisuelle : entre liberté et responsabilité

Le débat autour des œuvres et des artistes controversés met en lumière la responsabilité des institutions culturelles, mais aussi celle des producteurs, cinémas et plateformes. Ces acteurs jouent un rôle central dans la manière dont les œuvres sont reçues et interprétées par le public, et, à travers leurs choix de programmation, ils influencent la perception collective des enjeux sociaux, notamment la violence, le sexisme ou le racisme.

D’un côté, il existe un argument fort en faveur de la liberté artistique, selon lequel l’art doit pouvoir être diffusé sans restriction, même lorsqu’il présente des aspects jugés problématiques selon les moeurs d’aujourd’hui. Cette approche considère que c’est au spectateur de se positionner et de contextualiser l’œuvre par lui-même, en prenant le recul nécessaire. Selon ce point de vue, l’art est avant tout un moyen d’explorer des sujets complexes, parfois dérangeants, et de susciter la réflexion sans qu’une quelconque censure ne vienne en limiter la portée. De plus, les films sont un excellent moyen de retranscrire une époque donnée. Ils permettent de se rendre compte de ce qui était jugé correct ou déjà polémique dans le passé, et de constater les évolutions.

Cependant, il est indéniable que les productions audiovisuelles ont un impact profond sur les représentations sociales. Comme le souligne Chloé Thibaud dans Désirer la violence, à force de voir des récits où la violence est romantisée, certains spectateurs, finissent par désirer cette violence, la considérant comme un élément de leur propre épanouissement émotionnel. Cette réflexion montre que les œuvres ne sont pas simplement des objets artistiques déconnectés de la réalité ; elles participent activement à la construction des imaginaires collectifs.

Ainsi, les producteurs et les institutions culturelles ont une responsabilité éthique importante : celle de diffuser des œuvres en étant conscients de leur impact potentiel. Montrer un film comme Le Dernier Tango à Paris sans contextualisation ou réflexion préalable peut envoyer des messages ambigus sur la violence ou l’exploitation. 

Les conséquences de ce phénomène

La cancel culture, renforcée par le mouvement #MeToo, a transformé les carrières de nombreux artistes accusés d’abus sexuels ou de comportements inappropriés. Des figures comme Harvey Weinstein, Kevin Spacey ou Roman Polanski ont vu leurs projets annulés, leurs partenariats rompus et leurs récompenses retirées. Cette mise en lumière des abus a permis de rétablir une forme de justice, tout en soulevant des questions sur la dissociation entre l’œuvre et l’artiste. Certaines œuvres restent commercialement viables malgré les scandales, tandis que d’autres sont effacées de l’espace public, forçant les studios à reconsidérer la réputation morale des artistes dans leurs choix de financement et de promotion.

Face à la pression sociale et médiatique, les studios, producteurs et plateformes ont ajusté leurs pratiques managériales. La gestion des talents et la sélection des projets sont désormais influencées par la nécessité d’éviter les scandales. Des processus de vérification plus rigoureux ont été instaurés pour prévenir les accusations d’abus sur les plateaux, et les entreprises intègrent de plus en plus l’image publique des artistes dans leurs stratégies de marketing, avec la mise en place de codes de conduite stricts.

L’impact sur la rentabilité des films existe aussi. Certains projets ont vu leur box-office affecté par les accusations contre leurs créateurs, comme All the Money in the World, où Kevin Spacey a été remplacé après des accusations de harcèlement. Par ailleurs, les attentes du public ont évolué, avec une demande croissante pour des films abordant des problématiques sociales et affichant une position éthique claire. Les studios réévaluent ainsi leurs choix de casting et de scénario, pour répondre aux préoccupations d’un public de plus en plus engagé sur les questions de diversité, d’inclusion et de responsabilité sociale.

Léonie Mérida

Sources

Jamet, C. (2021, 12 mars). Le sacre de Polanski, la fureur d’Adèle Haenel, l’écœurement de Florence Foresti. . . Le cauchemar des César 2020. Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/cinema/ceremonie-cesar/le-sacre-de-polanski-la-fureur-d-adele-haenel-l-ecoeurement-de-florence-foresti-le-cauchemar-des-cesar-2020-20210312

Yamak, D. (2024, 16 décembre). La Cinémathèque française annule la projection du « Dernier Tango à Paris » , après une vive polémique. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/12/15/la-cinematheque-francaise-annule-la-projection-du-dernier-tango-a-paris-apres-une-vive-polemique_6450277_3246.html

Guerrin, M. (2024, 20 décembre). « Bien sûr qu’il faut montrer “Le Dernier Tango à Paris”, mais il faut se demander comment l’encadrer » . Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/20/bien-sur-qu-il-faut-montrer-le-dernier-tango-a-paris-mais-il-faut-se-demander-comment-l-encadrer_6458202_3232.html

Dryef, Z., & Yamak, D. (2025, 17 janvier). A la Cinémathèque, les coulisses de la polémique autour du « Dernier Tango à Paris » . Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/15/a-la-cinematheque-les-coulisses-de-la-polemique-autour-du-dernier-tango-a-paris_6500053_4500055.html

Aquarium Ciné-Café. (2024, 26 septembre). MASTERCLASS – Chloé Thibaud « Désirer la violence » [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=fRqMuh7oNCQ

Temps, L. (2023, 10 juin). Comment Ridley Scott a effacé Kevin Spacey. Le Temps. https://www.letemps.ch/culture/ecrans/ridley-scott-efface-kevin-spacey?srsltid=AfmBOopCVVvi-LK1k8u4PJ321RP90kDf93sheoPv-Sui89VLAI2J1Qxk

L’intérêt du cinéma pour l’image des maisons de luxe

Une relation évidente

Le lien entre la mode et le cinéma est fort et historique. Dès les débuts du cinéma, notamment dès le passage du muet au parlant, les marques de luxe de mode ont été sollicitées pour le département des costumes. Déjà établie et internationalement connue avant la première guerre mondiale, Coco Chanel fabrique en 1930, les costumes de Le sang d’un poète de Jean Cocteau. Couturier star de l’après-guerre, Christian Dior se lance également dans le dessin de costume de cinéma en 1950 pour Les enfants terribles de Jean-Pierre Melville, trois ans après avoir présenté sa première collection de haute couture. 

Plus récemment, Chanel et Gucci ont participé aux films de type biopics portant sur leurs maisons et liés aux figures fondatrices de leurs marques comme Coco avant Chanel sorti en 2009, ou encore House of Gucci en 2021. En prêtant les vêtements de la marque, ce dernier a permis à l’œuvre d’être particulièrement authentique. Gucci a également intégré des images tirées du film ainsi que son esthétique dans ses propres campagnes publicitaires par la suite, liant définitivement l’image de la marque au récit du film. 

Les stars de cinéma, hollywoodiennes comme françaises, ont très rapidement été ce qu’on considérait aujourd’hui comme égéries ou ambassadrices, au début grâce à leurs affinités avec les créateurs, comme Catherine Deneuve et Yves Saint Laurent ou Audrey Hepburn et Hubert Givenchy. Ces amitiés s’illustrent par les pièces portées aussi bien à la ville qu’à l’écran, créant un autre pont entre le quotidien et l’art.

Le luxe et le cinéma, deux domaines de l’art et de la culture aux deux extrêmes de l’accessibilité pour le consommateur, semblent donc naturellement compatibles.

La mode, le cinéma et le produit

Les partenariats jusqu’ici relevaient en partie de l’intime, et sa stratégie soeur mais bien plus capitaliste, le placement de produit purement commercial, a connu ensuite un essor sur ces 40 dernière années. On a commencé à voir le pouvoir que la publicité pouvait avoir à travers la sensibilité du cinéma et l’impact de l’association du produit à l’émotion que procure un film. On pense notamment à la fameuse Aston Martin de James Bond ou à Chanel dans Barbie (2023, Greta Gerwig). Louis Vuitton a notamment rapidement fait usage de son esthétique ultra-reconnaissable pour s’insérer dans des narrations qui correspondent à la sienne, comme dans The Darjeeling Limited (2007, Wes Anderson) ou encore les sacs “Capucine”, conçus spécialement pour Cruella (2021, Craig Gillespie). 

En parallèle, les campagnes promotionnelles des marques de luxe se sont souvent redéfinies pour devenir des outils de narration plutôt qu’une image frappante. Des courts-métrages, où l’aspect cinématographique prend le dessus du promotionnel ont été réalisés en partenariat avec des réalisateurs de renom comme Luca Guadagnino pour Loewe, Wes Anderson pour Mont Blanc ou encore Gaspar Noé Pour Yves Saint Laurent

Cette dernière collaboration s’étend sur plusieurs années et campagnes. En 2019, la maison appelle le réalisateur à peine trois mois avant le Festival de Cannes pour lui commander un film qui deviendra Lux Aeterna et qui sera sélectionné en compétition officielle. C’est le début de la réflexion sur la production pour YSL. La maison s’associe toujours avec des talents cinématographiques pour construire un univers précis autour de la marque à travers des campagnes scénarisées et réalisées par Abel Ferrera, Wong Kar Wai, ou encore Fabrice du Welz. Saint Laurent Productions né au printemps 2023 et fait son entrée sur scène rapidement en sortant en salles son premier court-métrage réalisé par Pedro Almodovar A way of life fin mai 2023. 

L’expansion du tissu au grand écran

Puis, un an plus tard en 2024, 3 films dans lesquels SLP a pris part au financement en tant que coproducteur sont sélectionnés à Cannes : Les linceuls de David Chronenberg, Parthenope de Paolo Sorrentino et Emilia Pérez de Jacques Audiard. La marque est portée, stylisée, filmée et intégrée, elle devient une partie de la narration plutôt que son centre, et donc s’insère d’autant plus dans l’inconscient du spectateur. 

Quelques mois après, Artemis, la holding familiale du groupe Kering qui détient Yves Saint Laurent, annonce sa prise d’actionnariat majoritaire qui serait de 53% au sein de la méga-agence états-uniennes Creative Artists Agency. Le groupe rassemble plusieurs agences notamment spécialisées dans le management de talents des secteurs des médias et de l’entertainment, et peut citer des noms comme Ariana Grande, Ana de Armas ou encore Bradley Cooper comme clients.

Et c’est quelque mois plus tard seulement, en février 2024, que le premier concurrent de Kering, LVMH, annonce la création de leur propre société de production : 22 Montaigne Entertainment. La société a pour l’instant produit des oeuvres destinées à mettre en valeur les marques du groupe, mais elle a également conclu un partenariat avec l’états-unien Superconnector Studios, qui semble être chargé de faire le chasseur de projets pour leur compte de l’autre côté de l’Atlantique, afin de leur conclure des participations financières dans des projets audiovisuels cohérentes avec les valeurs des marques du groupe. 

L’émotion dans l’art et l’achat

Si les deux disciplines et industries sont donc historiquement liées grâce à des affinités humaines et artistiques, l’accélération du capitalisme puis celle du ‘status symbol’ grâce aux réseaux sociaux a propulsé les résultats des maisons de luxe au plus haut, bien que les résultats des dernières années, toutes proportions gardées, ne soient pas les meilleurs. Ceci a, d’un autre côté, augmenté l’aspect marchand de leurs produits, leur enlevant ce que le consommateur vient chercher dans le luxe : l’exclusivité mais aussi l’émotion. Une histoire, une narration, un univers unique dans lequel seulement quelques-uns peuvent entrer. Une sensation d’un endroit magique, comme le cinéma peut procurer. 

Le cinéma bénéficie également d’un statut spécial aux yeux de la population : il est accessible et puissant, énormément de titres de son catalogue universel sont admirés et vus comme des chefs-d’œuvres. On peut le regarder en salles, chez soi, dans les transports, à Paris comme à Tokyo, mais ses coulisses sont également mystérieux, pailletés et secrets. Un assemblage parfait pour gagner une visibilité internationale afin de ré-apprivoiser son public, tout en s’associant toutefois avec des films doté d’une éditorialisation soignée.

Une démarche horizontale

Il est par ailleurs intéressant de noter que cette volonté des maisons de luxe d’étendre leur image au-delà de la mode s’est démultipliée ces dernières années, vers le cinéma mais aussi l’hôtellerie et la restauration. Gucci a ouvert plusieurs restaurants tout comme Dior ou encore Louis Vuitton, et cette dernière s’est faite remarquée dernièrement en débutant la construction de son premier hôtel, recouvert d’une structure de protection inratable sur les Champs-Elysées, dont l’imprimé reproduit celui de leur malle iconique.

Ashley DESTREMAU

Hollywood au tribunal du hashtag : la cancel culture, entre justice populaire et lynchage moderne ?

Du « politiquement correct » à la « cancel culture », l’ère du hashtag a profondément transformé la façon dont nous percevons et discutons la culture. La cancel culture, même si elle apparaît comme une nouvelle forme de justice, reste cependant incontrôlable : elle ne s’organise autour d’aucun juge ou jury, et rien ne garantit donc la justesse de ses sentences. À la faveur des réseaux sociaux, des mouvements comme #MeToo ou #OscarSoWhite ont offert un puissant échos à des voix longtemps ignorées, tout en instaurant une vigilance inédite sur les œuvres, leurs créateurs et les représentations qu’ils véhiculent. Dans ce nouveau paysage hollywoodien, où un simple # peut enclencher un boycott, Hollywood se retrouve au cœur d’un débat brûlant entre responsabilité et liberté de création. Faut-il y voir un élan de justice sociale ou une forme de lynchage moderne ?

Comprendre la « cancel culture » dans le cinéma étasunien

La « cancel culture » est, à première vue, un phénomène contemporain : ce terme est brandi dès qu’un artiste, une personnalité médiatique ou une institution adopte un comportement jugé inapproprié, les médias sociaux s’enflamment et une partie des utilisateurs appellent au boycott ou à l’exclusion. Historiquement, des modes de protestation collective (boycotts, manifestations) ont permis à des groupes marginalisés de faire valoir leurs droits, en parallèle des voies juridiques. Les réseaux sociaux ont simplement décuplé la puissance de ces stratégies en rendant chaque scandale instantanément international.

L’industrie du cinéma est un terrain favorable à cette dynamique pour plusieurs raisons. D’abord, les figures hollywoodiennes jouissent d’une exposition médiatique hors du commun : un scandale lié à une personnalité connue se diffuse en quelques heures à l’échelle mondiale. Ensuite, la logique de public shaming (mise au pilori) n’a rien de nouveau. Mais les réseaux sociaux — Twitter, TikTok, Instagram — ont démultiplié l’effet de masse et la visibilité de ces campagnes, obligeant les studios à réagir très vite pour préserver leur image.

Par ailleurs, le mouvement #MeToo a démontré qu’Hollywood pouvait longtemps fermer les yeux sur des comportements inappropriés ou criminels. Les révélations successives telles que les affaires Weinstein ont nourri chez le public un sentiment d’urgence morale : désormais, toute accusation peut donner lieu à une réaction virulente en ligne, parfois avant même que la véracité des informations puisse être prouvée.

Aujourd’hui, nombreuses sont les illustrations montrant la façon dont les studios, soucieux de garantir leurs images et la pérennité de leurs projets, se plient souvent à la pression du public. En 2022, l’actrice américaine Gina Carano1 : de la série de Disney+ The Mandalorian, a été écartée par Lucasfilm en quelques heures seulement, à la suite d’une story Instagram, dans laquelle elle comparait le sort des républicains américains (pro-Trump) à celui des juifs durant la Shoah.

L’opinion publique face aux grands studios

Les majors (Disney, Warner Bros., Netflix…) sont désormais hyper attentives à leurs « risques réputationnels ». Les contrats des artistes incluent souvent des clauses de moralité : si un acteur se retrouve associé à des faits graves tel qu’une agression ou des propos discriminatoires la collaboration peut être rompue pour protéger la marque. L’exemple de Kevin Spacey, accusé d’agressions sexuelles, évincé de House of Cards, et remplacé en urgence dans All the Money in the World, a montré que nul n’est irremplaçable face à la pression publique.

Au-delà de ces mesures drastiques, les studios recourent à d’autres stratégies. Ils n’hésitent plus à contextualiser leurs anciens contenus : Disney+ avertit ainsi sur Dumbo ou Les Aristochats de la présence de clichés racistes ou datés. Certains films sont reportés ou retouchés pour minimiser la polémique.

Parfois, les polémiques sont telles que les calendriers de sortie se retrouvent chamboulés. Le cas du film The Hunt2 illustre d’ailleurs une situation où la « cancel culture » ne se limite pas à un seul bord de l’opinion. Perçu par certains comme une satire politique trop violente — avec, entre autres, une idée que les libéraux chassent des conservateurs —, The Hunt a cristallisé de vives réactions dans un contexte déjà tendu aux États-Unis. Cette levée de boucliers n’est pas venue uniquement de militants progressistes à qui on attribue la création de la cancel culture, mais aussi de franges conservatrices outrées par la représentation qu’elles jugeaient caricaturale et hostile. Universal a alors choisi de reporter la sortie du film, craignant un backlash qui aurait pu nuire à la fois aux recettes et à l’image du studio.

L’influence sur la carrière des artistes et la création

La « cancel culture » a des conséquences immédiates sur la trajectoire des personnalités concernées. La réputation peut s’effondrer en quelques heures, rendant un artiste soudainement jugé comme répréhensible. Par contraste, certains réussissent un retour en grâce : James Gunn, renvoyé par Disney après des tweets polémiques, a été finalement réembauché grâce au soutien massif de fans et de stars.

Cette polarisation de l’opinion impacte aussi la création : par peur d’un prochain « bad buzz », les scénaristes et producteurs s’autocensurent parfois. Les sujets politiques, religieux ou raciaux trop sensibles peuvent être édulcorés, voire évités. Marvel, de son côté, a promis de « réécrire » en partie l’histoire de la super-héroïne israélienne Sabra dans le prochain Captain America : Brave New World, afin de désamorcer la polémique liée à son affiliation au Mossad.

Pourtant, l’exigence de diversité et d’inclusion a parfois des effets positifs : la pression du public pousse Hollywood à se montrer plus vigilant, à apporter des rôles plus variés et mieux représentés.

Quelle différence entre cancel culture et harcèlement ?

Le procès pour diffamation entre d’Amber Heard intenté par Johnny Depp, son ex-compagnon, illustre parfaitement comment la « cancel culture » peut être utilisée afin de forcer les studios à suivre ce qui leur apparaît comme l’opinion publique. Malgré le fait qu’il soit avéré qu’elle soit victime de  violences conjugales, l’actrice s’est retrouvée au cœur d’une campagne3 de cancel virulente, notamment sur Twitter et TikTok. Cette hostilité, pour partie orchestrée et amplifiée par de faux comptes sur les réseaux souligne un schéma de manipulation intentionnelle sur Twitter pour mettre fin à la carrière de l’actrice. Plus de 600 comptes étaient dédiés exclusivement à poster du contenu négatif à l’encontre d’Amber Heard, recourant parfois à des techniques délibérées (telles que l’utilisation de fautes d’orthographe dans les hashtags) afin de tromper l’algorithme de Twitter et amplifier le sentiment hostile. Ces comptes encourageaient notamment à la suppression du rôle de l’actrice dans la suite de la saga Aquaman. En pratique, cette campagne de boycott a contribué à noircir l’image publique du film, mais surtout la présence d’Amber Heard.

Face à cette hostilité, le studio s’est retrouvé dans une position délicate : la question de la pérennité du rôle de Mera (incarné par Heard) a plusieurs fois été posée, et de nombreuses séquences mettant en scène l’actrice auraient été coupées ou réduites. En somme, même si Aquaman 2 n’a pas été officiellement reprogrammé ou retiré, la campagne de cancel orchestrée par ces faux comptes a alimenté une surenchère médiatique qui a pesé lourdement sur la réputation et l’anticipation du film avant même sa sortie.

Entre responsabilisation et lynchage

La « cancel culture » cristallise un profond clivage. Pour ses défenseurs, il s’agit d’un mécanisme puissant de responsabilisation : il met fin à l’impunité dont bénéficiaient des figures publiques, encourageant une prise de conscience dans les milieux du pouvoir (studios, festivals, institutions). Par cette action collective, des victimes autrefois contraintes au silence peuvent être entendues.

Toutefois, la viralité de ce phénomène le rend difficile à contrôler. Sur Twitter, TikTok ou Instagram, un hashtag peut se transformer en véritable traque, sans qu’aucun juge ni jury n’examine les faits. Les accusations non vérifiées prolifèrent et débouchent sur une radicalisation du débat où la moindre nuance disparaît. Comme le montre une étude du Pew Research Center4, les Américains sont eux-mêmes partagés : une partie y voit un levier nécessaire d’“accountability”, d’autres dénoncent un outil punitif parfois infondé.

Pour l’industrie cinématographique, naviguer entre ces attentes et la liberté d’expression relève de l’équilibrisme. Un « bad buzz » peut nuire à la billetterie, mais une censure trop visible peut aussi irriter un public attaché à la création sans entraves. Finalement, ce sont souvent les spectateurs, par leur consommation ou leur boycott, qui valident ou non, les décisions prises. Reste à savoir si ce nouveau rapport de force conduira à davantage de justice sociale ou à un climat d’angoisse, où l’autocensure et la suspicion seraient la règle.

L’ère de la « cancel culture » révèle à quel point la culture hollywoodienne est désormais soumise au tribunal d’internet, sans garantie d’équité ni de modération impartiale. Bien qu’elle puisse permettre de dénoncer des abus autrefois étouffés, sa dynamique incontrôlable fait craindre une dérive vers le lynchage en ligne, alimentée par l’émotion et la viralité. Entre responsabilité légitime et risque d’excès, les studios et le public tentent de réinventer un équilibre dans lequel la parole des victimes est enfin entendue, sans pour autant sacrifier la liberté de création et le discernement. Le cinéma, ce miroir de nos tensions sociales, doit désormais composer avec une culture du hashtag qui rebat les cartes du pouvoir et de la légitimité.

GUEGUEN Juliette

  1. francetvinfo (2022, January). “Gina Carano : ex-actrice de l’univers Star Wars poursuit Disney pour licenciement abusif”.
    https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/star-wars/gina-carano-ex-actrice-de-l-univers-star-wars-poursuit-disney-pour-licenciement-abusif_6350644.html
    ↩︎
  2.  Télérama (2021). “The Hunt”, le film qui a ulcéré (à tort) Donald Trump et les réacs américains.
    https://www.telerama.fr/cinema/the-hunt-le-film-qui-a-ulcere-a-tort-donald-trump-et-les-reacs-americains-6655057.php
    ↩︎
  3. Dellatto, M. (2022, July 18). “Anti-Amber Heard Twitter Campaign One Of ‘Worst Cases Of Cyberbullying,’ Report Says.” Forbes.
    https://www.forbes.com/sites/marisadellatto/2022/07/18/anti-amber-heard-twitter-campaign-one-of-worst-cases-of-cyberbullying-report-says/
    ↩︎
  4. Anderson, M., Vogels, E. A., Porteus, M., Baronavski, C., Atske, S., McClain, C., Auxier, B., Perrin, A., & Ramshankar, M. (2021, May 19). “Americans and ‘Cancel Culture’: Where Some See Calls for Accountability, Others See Censorship, Punishment.” Pew Research Center.
    https://www.pewresearch.org/internet/2021/05/19/americans-and-cancel-culture-where-some-see-calls-for-accountability-others-see-censorship-punishment/ ↩︎

Sources

Anderson, M., Vogels, E. A., Porteus, M., Baronavski, C., Atske, S., McClain, C., Auxier, B., Perrin, A., & Ramshankar, M. (2021, May 19). Americans and ‘Cancel Culture’: Where Some See Calls for Accountability, Others See Censorship, Punishment. Pew Research Center.
https://www.pewresearch.org/internet/2021/05/19/americans-and-cancel-culture-where-some-see-calls-for-accountability-others-see-censorship-punishment/

Dellatto, M. (2022, July 18). Anti-Amber Heard Twitter Campaign One Of ‘Worst Cases Of Cyberbullying,’ Report Says. Forbes.
https://www.forbes.com/sites/marisadellatto/2022/07/18/anti-amber-heard-twitter-campaign-one-of-worst-cases-of-cyberbullying-report-says/

FranceInfo (2020, September 4). Chine: des militants pro-démocratie appellent au boycott du film « Mulan ». RFI.
https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20200904-chine-film-mulan-menac%C3%A9-boycott-militants-pro-d%C3%A9mocratie

Gombeaud, A. (2020, October 22). Politiquement correct : la culture à l’ère du hashtag. Les Echos Week-End. (Référence à la version mise en avant dans la consigne.)

Le Monde (2020, July 8). Mark Lilla, Margaret Atwood, Wynton Marsalis : « Notre résistance à Donald Trump ne doit pas conduire au dogmatisme ou à la coercition ».
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/08/mark-lilla-margaret-atwood-wynton-marsalis-notre-resistance-a-donald-trump-ne-doit-pas-conduire-au-dogmatisme-ou-a-la-coercition_6045547_3232.html

Lofton, K. (2022). Cancel Culture. The Yale Review.
https://yalereview.org/article/kathryn-lofton-cancel-culture

Murray, C. (2023, December 22). ‘Aquaman 2’ One Of DC’s Worst-Reviewed Films — And Could Be The Latest Superhero Box Office Flop. Forbes.
https://www.forbes.com/sites/conormurray/2023/12/22/aquaman-sequel-one-of-dcs-worst-reviewed-films-and-could-be-the-latest-superhero-box-office-flop/

Pierrat, E. (2021). Censure et cancel culture au cinéma. Humanisme, n°332 (Août). (Référence évoquée à plusieurs reprises.)

Radio France (2022, April). L’affaire Amber Heard ou la fin de #MeToo ? France Culture / France Info.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-des-reseaux-sociaux/l-affaire-amber-heard-ou-la-fin-de-metoo-2011536

Siegel, T. (2023). ‘Aquaman 2’ Flooded With Drama: Jason Momoa Allegedly Drunk on Set, Amber Heard Scenes Cut, Elon Musk’s Letter to WB and More. Variety.
https://variety.com/2023/film/news/aquaman-2-drama-jason-momoa-amber-heard-elon-musk-warner-bros-1235743875/

Télérama (2021). “The Hunt”, le film qui a ulcéré (à tort) Donald Trump et les réacs américains.
https://www.telerama.fr/cinema/the-hunt-le-film-qui-a-ulcere-a-tort-donald-trump-et-les-reacs-americains-6655057.php

franceinfo (2020, March 3). César 2020 : comment l’onde de choc du prix décerné à Roman Polanski secoue le cinéma français.
https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/cesar/cesar-2020-comment-l-onde-de-choc-du-prix-decerne-a-roman-polanski-secoue-le-cinema-francais_3850051.html

francetvinfo (2022, January). Gina Carano : ex-actrice de l’univers “Star Wars” poursuit Disney pour licenciement abusif.
https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/star-wars/gina-carano-ex-actrice-de-l-univers-star-wars-poursuit-disney-pour-licenciement-abusif_6350644.html

Le renouveau des biopics : quand l’art rencontre le profit

Cela n’a pas pu vous échapper : depuis la réouverture des salles de cinéma françaises en 2021, les biopics se sont imposés comme le genre de prédilection de nombreux cinéastes. Maestro, Niki, La Méthode Williams, Rocketman, Napoléon, Blonde… Les films biographiques envahissent aussi bien les écrans de cinéma que les plateformes de streaming.

Pourtant ce phénomène n’est pas aussi récent qu’il n’y parait. Selon The Movie Database, il trouve racine dès le début des années 2010, porté par le succès commercial et critique de La Môme. Dans ce film, Marion Cotillard incarne Edith Piaf avec brio, une performance qui a valu au long métrage une pluie de récompenses, dont cinq César et deux Oscar. Avec plus de 85 millions de dollars de recettes dans le monde, ce triomphe ne pouvait pas passer inaperçu et a incité les réalisateurs et les producteurs à explorer ce genre jusqu’alors négligé. Résultat : le nombre de biopics réalisés a presque doublé en une décennie, passant de 183 films biographiques sortis dans les salles françaises entre 2000 et 2010 à 340 entre 2010 et 2020.

Un choix plus que payant pour un bon nombre de sociétés de production, puisque le public semble conquis. Depuis 2021, au moins un film biographique figure chaque année dans le top 20 des films ayant cumulé le plus d’entrées en France. L’année 2024 connaît même un double succès grâce aux 2 millions d’entrées de Monsieur Aznavour et de Bob Marley : One Love qui se classent à la 13ème et 14ème place du classement. Côté critique, la reconnaissance est tout aussi éclatante. Avec respectivement sept et quatre Oscar, Oppenheimer et Bohemian Rhapsody n’ont rien à envier au succès de La Môme.

Cependant, produire un biopic est loin d’être une tâche aisée. Entre les négociations souvent complexes avec les ayants droit, soucieux de protéger l’image des personnalités concernées, et les polémiques fréquentes sur la véracité des faits ou les choix artistiques du réalisateur, le succès commercial et critique n’est jamais garanti. Quels sont les facteurs de réussite et les pièges à éviter lors de la réalisation de ces films ? Quels avantages les producteurs et les studios tirent-ils de ces œuvres ? Zoom sur l’univers des biopics, un business devenu particulièrement lucratif.

Faire revivre les icônes et leur époque, la recette gagnante des biopics

Le succès des films biographiques repose sur deux mécanismes bien connus des psychanalystes : notre attrait pour la nostalgie et le culte que nous vouons aux personnalités publiques. En proposant aux spectateurs une œuvre dédiée à leur star préférée et en leur promettant une immersion dans une époque qu’ils ont adorée ou qu’ils auraient rêvé vivre, les biopics réunissent tous les ingrédients nécessaires pour susciter notre curiosité. Les producteurs l’ont bien compris : en racontant la vie d’une figure emblématique, ils bénéficient d’un double avantage. D’une part, ils s’appuient sur un scénario préfabriqué, riche en moments marquants et en drames réels qui captivent d’emblée. D’autre part, ils touchent un public préexistant, composé des fans inconditionnels de la personnalité en question, déjà prêts à se précipiter dans les salles et à commenter en masse leur adoration pour le film sur les réseaux sociaux. Ces deux atouts font des biopics un investissement à la fois stratégique et rentable pour l’industrie cinématographique.

Les biopics musicaux : une mine d’or pour les producteurs, les annonceurs et les maisons de disques

Du fait de leur capacité à immerger les spectateurs dans une époque, les biopics musicaux sont particulièrement prisés par les producteurs. Les chanteurs et musiciens comptent parmi les célébrités les plus adorées par le public, et leurs chansons agissent comme de véritables machines à remonter le temps. Le film Bohemian Rhapsody réalisé par Bryan Singer et Dexter Fletcher est un exemple parfait de la puissance des biopics musicaux. Grâce à ses décors et ses costumes plus vrais que nature mais surtout à sa bande originale électrisante, le film a su faire voyager son public aux côtés de Freddie Mercury dans les rues londoniennes des années 1980. Au-delà de ses multiples récompenses, le long métrage a comptabilisé plus de 51 millions d’entrées rien que sa première semaine d’exploitation aux Etats-Unis.

Les biopics musicaux présentent également un autre avantage, cette fois-ci purement financier. De fait, les producteurs ne sont pas les seuls à vouloir capitaliser sur l’immersion temporelle unique offerte par ces films. Les annonceurs sont, eux-aussi, particulièrement intéressés par le fait d’être associés à l’image positive des célébrités et aux moments marquants de leur parcours. En proposant aux producteurs de financer une partie de leur film en échange d’une visibilité à l’écran de leur produit, les marques espèrent transmettre un message fort aux spectateurs : « Nous étions présents lors de ce moment inoubliable, nous faisons partie intégrante de la pop culture ». Que cela soit Pepsi et Fender dans Bohemian Rhapsody, Chanel et Rolls-Royce dans Rocketman ou les bières Red Stripe dans Bob Marley : One Love, les placements de produits ne se font donc pas rares dans ce genre de films.

Enfin, aux producteurs et annonceurs s’ajoutent les maisons de disques et les artistes. Non seulement ceux-ci réalisent des gains considérables en cédant les droits des musiques utilisées dans le film, mais ils profitent également d’une hausse spectaculaire des écoutes et des ventes de leurs œuvres après leur sortie en salle ou sur plateforme. Selon Deezer, la sortie du biopic consacré à Amy Winehouse en avril dernier a entraîné une hausse spectaculaire des streams de la chanteuse, avec une augmentation de plus de 206 % entre la semaine précédant la sortie du film et celle qui l’a suivie.

Derrière les récompenses et le succès, une réalité plus contrastée

Contrairement à ce que laissent croire ces succès retentissants, tous les films biographiques ne rencontrent pas forcément un engouement à leur sortie. Certains projets, mêmes prometteurs, ne réussissent même pas à voir le jour, en raison des nombreux obstacles inhérents à la réalisation d’un biopic. Bien qu’ils soient porteurs d’un fort potentiel, ces films représentent un pari audacieux, nécessitant des investissements financiers considérables et une prise de risques assumée.

Le choix de la célébrité à incarner constitue une première difficulté. En France, la personnalité doit être suffisamment connue pour séduire un large public tout en parlant français, ce qui limite les options. Le casting est également un casse-tête : l’acteur principal doit non seulement ressembler physiquement à la célébrité, mais doit aussi savoir capturer ses mimiques et sa voix. Ce travail, souvent soutenu par des transformations physiques sophistiquées (maquillage, prothèses et costumes), est inévitablement soumis à la critique : une interprétation magistrale attirera massivement le public en salle, tandis qu’un faux pas risque de condamner immédiatement le film. Les performances remarquables de Tahar Rahim en Charles Aznavour ou de Rami Malek en Freddie Mercury illustrent parfaitement la fascination qu’une telle justesse peut susciter. Enfin, les négociations avec les ayants droit sont souvent source de tensions. Longues et complexes, elles deviennent encore plus ardues si des maisons de disques ou des héritiers interviennent. Pourtant ces accords sont indispensables : sans eux, l’utilisation des musiques ou d’autres paramètres essentiels au récit devient impossible, privant le film de son authenticité. Conscients de l’importance de ces éléments, Bryan Singer et Dexter Fletcher ont dû patienter 8 ans avoir de voir leur film en salle du fait des nombreuses négociations réalisées avec Brian May, Roger Taylor et John Deacon.

Au-delà des enjeux artistiques et financiers, les dérives éthiques des biopics

Même lorsque les producteurs et les réalisateurs surmontent les obstacles artistiques et économiques évoqués, l’adhésion du public n’est pas gagnée. En effet, le biopic est un genre particulièrement codifié, qui suscite des attentes élevées de la part des spectateurs notamment en ce qui concerne la véracité des faits retranscrits. Si cette exigence de véracité est ignorée, le film risque d’être accusé de tirer profit de l’image des célébrités sans réellement leur rendre hommage. Napoléon de Ridley Scott en est un exemple frappant : bien que salué par une partie du public, le film a également été largement critiqué pour ses nombreuses inexactitudes historiques. De même, Blonde a suscité de vives controverses en raison de son parti pris dramatique et de ses scènes violentes, souvent fictionnelles, qui ont profondément choqué les fans de Marilyn Monroe.

Les questions éthiques soulevées ici s’intensifient lorsque les biopics exploitent des histoires tragiques et des figures criminelles. Le cas de la série Dahmer illustre ce phénomène : l’interprétation d’Evan Peters a rendu le tueur presque charismatique, au point que des objets liés à lui, comme ses lunettes, ont été vendus aux enchères pour des sommes exorbitantes (plus de 150 000€).

Ces enjeux ne semblent cependant pas inquiéter les sociétés de production. Trois biopics particulièrement attendus ont déjà été annoncés pour l’année 2025 : Un parfait inconnu (29 janvier), Maria (5 février) et Michael (1er octobre).

Gabrielle SIMON


Références :

loon26. (2024, 21 mai). The Renaissance of the Musical Biopic: Why Hollywood Can’t Get Enough of Rock Stars. Page consultée sur : https://imhtwys.wordpress.com/2024/05/21/the-renaissance-of-the-musical-biopic-why-hollywood-cant-get-enough-of-rock-stars/

Drouin, Alicia. (2024). Le succès de « Bob Marley : One Love » confirme l’interêt du public pour les biopics musicaux : Dossier. Page consultée sur : http://www.symanews.com/2024/03/01/le-succes-de-bob-marley-one-love-confirme-linteret-du-public-pour-les-biopics-musicaux-dossier/

Tellier, Maxime. (2018, 30 octobre). De Piaf à Freddie Mercury, le business des biopics. Page consultée sur : https://www.radiofrance.fr/franceculture/de-piaf-a-freddie-mercury-le-business-des-biopics-5949984

Courret, Mathilde. (2024, 3 novembre). « Monsieur Aznavour », « Lee Miller », « Niki »… Comment expliquer cette biopicmania ? Page consultée sur : https://www.marieclaire.fr/biopics-mania-succes-pourquoi-autant-cinema-plateformes,1483358.asp

Pierret, Benjamin et de Susbielle, Lorène. (2024, 27 mai). « One Love », « Back to Black »… Pourquoi les biopics sur les artistes musicaux se multiplient. Page consultée : https://www.bfmtv.com/people/musique/one-love-back-to-black-pourquoi-les-biopics-sur-les-artistes-musicaux-se-multiplient_AV-202405270551.html

Laroche, Sophie. (2024, 1er février). Pourquoi le biopic est le genre le plus clivant et risqué du cinéma ? Page consultée sur : https://www.radiofrance.fr/mouv/pourquoi-le-biopic-est-le-genre-le-plus-clivant-et-risque-du-cinema-1133821

Gusti A. (2024, 13 juin). The Ridiculousness of Celebrity Biopics, and Why Hollywood Needs to Stop Making Them. Page consultée sur : https://irllydolikeyou.medium.com/the-ridiculousness-of-celebrity-biopics-and-why-hollywood-needs-to-stop-making-them-81eee193c376

Bricard, Manon. (2023, 1er mars). Blonde sur Netflix : le vrai du faux démêlé du film sur Marilyn Monroe. Page consultée sur : https://www.linternaute.fr/cinema/pratique/2639411-blonde-le-vrai-du-faux-du-film-netflix-sur-marilyn-monroe

Behrens, Brett. (2024, 11 octobre). How Product Placement Shapes Musician Biopics. Page consultée sur : https://blog.hollywoodbranded.com/how-product-placement-shapes-musician-biopics-24

Bigot, Christophe. (2023, 18 octobre). Biopics : sont-ils attaquables devant la justice ? Page consultée sur : https://www.leclubdesjuristes.com/culture/biopics-sont-ils-attaquables-devant-la-justice-1091/

RodgersP. (2024, 11 septembre). Unconventional Music Biopics Debut, Animating Pharrell and Robbie Williams’ Lives. Page consultée sur : https://www.westislandblog.com/unconventional-music-biopics-debut-animating-pharrell-and-robbie-williams-lives/

Les influenceurs sont-ils vraiment le meilleur allié d’un cinéma plus dynamique?

Le 23 février dernier, la présence de l’influenceuse Léna Situations en tant qu’animatrice du tapis rouge des César a suscité beaucoup de critiques sur les réseaux sociaux.

Léna Situations, de son vrai nom Léna Mahfouf, cumulant plus de 4 millions d’abonnés sur Instagram, s’est en effet vue confier la tâche d’animatrice du direct sur MyCanal et le compte Tiktok de Canal +. Interviewer les icônes du cinéma français à leur entrée, c’est ce qu’on reproche à cette instagrameuse qui n’aurait visiblement pas sa place à un tel évènement. Pourtant ce n’est pas la première fois que le monde du cinéma s’allie avec ce genre de créateurs de contenus, et une telle association devrait paraître évidente, et même nécessaire. Aujourd’hui des noms comme Paola Locatelli, Seb, Carla Ginola, Charlie Damelio, sont communs sur les tapis rouges. Mais Léna Situations marque un tournant : plus que faire partie du décor, une influenceuse peut avoir la main.

Un objectif : réintéresser les digital natives

Selon un rapport du CNC, les 15-24 ans représentaient la population la plus faible des spectateurs du cinéma en France en 2022 (15,7% des spectateurs), une proportion encore plus faible que les 3-14 ans (17,4% des spectateurs). À l’inverse, les 15-24 ans sont les plus présents sur les réseaux sociaux, 80% d’entre eux y participeraient selon une enquête Statista. Sur 4,8 milliards d’utilisateurs d’Internet dont 98% présents sur les réseaux sociaux dans le monde, il est aisé de comprendre que le cinéma a considérablement perdu de son influence sur une population jeune, qui ne se ferme pourtant pas complètement aux médias.

Peut-on dire que la présence croissante des influenceurs dans la liste des invités des cérémonies du cinéma a pour unique objectif d’attirer de nouveaux les jeunes vers les salles obscures ? Si l’on fait abstraction de leur présence évidente en tant que promoteurs des marques qui les invitent, on peut dire que oui. En effet, les médias sociaux ont permis une multiplication des relations « para-sociales ». Ce terme qualifie les sentiments d’amitié et d’admiration qu’une personne lambda, un fan, va éprouver envers une personnalité publique, qu’il ne connaît pas personnellement. Les influenceurs ont multiplié les interactions avec leurs admirateurs, multipliant par la même occasion le nombre de ces derniers.

Le cinéma, un média vieux au public vieillissant, prend donc le pari naturel de ces créateurs de contenus numériques pour réunir une population sur laquelle il n’a plus de prise.

Les influenceurs : des armes de pointe du marketing

Les influenceurs sont depuis plusieurs années déjà les mascottes de toutes marques espérant devenir virales. La vitalité, c’est la vitesse de diffusion d’un contenu, ou le nombre de personnes touchées par celui-ci. De nombreuses marques ont pris l’habitude de travailler en partenariats avec les créateurs de contenus : cadeaux, produits en collaboration, stories ou posts rémunérés font partie des nombreuses stratégies de promotion réalisables. Une autre s’est donc développée : inviter des influenceurs à certains illustres évènements sous le nom de la marque. C’est ce qui explique notamment le défilé des influenceurs les plus populaires sur Instagram et Tiktok, sur le tapis rouge de Cannes. Bien que leurs contenus, voir même leurs centres d’intérêts, n’aient pas grand chose, si ce n’est rien à voir avec le cinéma, ceux-ci ont droit d’accès aux évènements les plus selects du milieu, telles que les avant-premières dans le prestigieux Théâtre des Lumières.

Cette association peut poser question, pourtant elle fonctionne. Leur présence a permis de concentrer l’attention de toute leur communauté sur le Festival de Cannes. La stratégie portant ses fruits, les institutions du cinéma ont à leur tour décidé de s’y prendre au jeu. Le Festival de Cannes s’est déjà associé deux années de suite à Tiktok en tant que partenaire officiel, les César ont quant à eux engagé Léna Situations. Pari gagnant : près de 150 000 viewers suivaient l’entrée des vedettes à l’Olympia en live sur le Tiktok de Canal+, un chiffre phénoménal pour une chaîne traditionnelle sur Tiktok.

Une présence qui pose problème

Au-delà des nombreuses critiques qu’a suscité le rôle de Léna Situations aux César, la présence des influenceurs à de tels évènements du cinéma est loin d’être acceptée par la majorité. La stratégie fonctionne pour les 15-24 ans, les jeunes redécouvrent l’envie d’aller au cinéma grâce à leurs idoles. Pour les habitués il n’en est cependant pas du même son de cloche. Pourquoi? Parce que cette association ne fait pas sens de prime abord. Cannes, comme les César, sont des marques à part entière qui ont construit leur image depuis des dizaines d’années comme les évènements les plus illustres du cinéma français et international. Haut lieu de prestige, réunion d’amateurs et de connaisseurs, célébration de tout un art, la présence de créateurs de vidéos courtes et de photos Instagram fait tout de suite contraste.

Ce problème relève d’une anomalie dans le « celebrity endorsement » de ces marques, c’est-à-dire de l’image que ces associations renvoient. L’un des critères de succès d’une campagne avec une célébrité est la congruence. Il s’agit d’une question de « match » entre la marque en elle-même, et la célébrité qui la représente. Les deux sont en réalité rarement issues des mêmes secteurs, les pubs télévisées en sont d’ailleurs un parfait exemple. Cependant de manière générale, la célébrité engagée doit redorer l’image de la marque : on se rappelle tous de la pub de Jo-Wilfried Tsonga pour Kinder Bueno, ou de Brad Pitt pour Boursorama Banque. Ils n’ont aucun rapports, mais apportent une influence positive sur l’image de la marque.

Pour la communauté cinématographique, associer le cinéma à de « simples influenceurs » ne fait pas sens, et détériore même l’image de cet art. En dehors de leur propre communauté, les influenceurs ne font pas l’unanimité, et sont souvent dénigrés. Pourtant ce n’est pas la première fois que des vedettes sans rapport avec le cinéma défilent sur ces tapis rouges. Avant eux : les top models, les footballers professionnels, les candidats de télé-réalités avaient déjà leur place, et étaient pourtant des armes de marketing bien moins efficaces.

Au-delà du marketing : un postulat sur l’état des médias

Lorsque Léna Situations prend le micro pour interviewer les plus grandes figures du cinéma de l’année, l’engagement franchit néanmoins une nouvelle étape, celle de faire comprendre à la presse qu’elle n’est plus ni le média dominant, ni le média important. La journaliste Camélia Kheiredine a notamment regretté sur X que cette place lui ait été confiée, plutôt qu’à un jeune journaliste spécialisé et qualifié. En effet la presse traditionnelle est en déclin, et le cinéma semble lui aussi déjà lui tourner le dos. Nathalie Chifflet écrivait en 2017 « […] la presse a perdu le monopole de l’influence. D’ailleurs, le mot d’influence ne lui appartient même plus. Le digital lui a confisqué, signalant par là-même le déplacement des relais d’opinion« .

La décision des César de ne pas confier cette position à un journaliste signe dès lors un constat morose : une association systématique et automatique de la jeunesse aux influenceurs, une perte d’espoir totale dans un intérêt pour une presse spécialisée. La France n’en est qu’à ses balbutiements. Les États-Unis nous précèdent de plusieurs années. Les influenceurs qui s’improvisent journalistes pullulent sur les tapis rouges de tous types d’évènements culturels et ne font pour le moment pas preuve des qualités qui définissent ce métier.

Le débat est donc ouvert sur le rôle que vont vraiment porter les influenceurs pour le cinéma et le monde de la culture dans le futur. Entre dégradation de l’information et influence notoire, les institutions auront à faire un choix. Le Festival de Cannes renouvèle de nouveau son partenariat officiel avec Tiktok, qui se défend lui-même d’être un réel levier pour la culture. Entre le concours Tiktok Short Films durant le festival, qui a déjà récompensé la jeune Claudia Couchet, lui permettant de travailler sur des projets de plus grande envergure par la suite, les partenariats avec différents salons culturels, et le hashtag #Booktok, Tiktok porte ses arguments. La présence des influenceurs est cependant toujours questionnable, surtout lorsque nombreux suspectent une amputation du nombre de Pass 3 jours à Cannes (pass permettant aux jeunes amateurs d’assister au festival) au profit de plus de places pour ces derniers.

Anaëlle Mousserin

Sources:

Lego, Barbie, Ferrari : quand les marques font des films

Dans l’univers du cinéma, une nouvelle tendance captivante émerge, érigeant un pont entre l’art du storytelling cinématographique et le pouvoir des marques emblématiques : les films de marque. Le placement de produit prend aujourd’hui une nouvelle forme saisissante avec l’avènement de ce nouveau genre. Des maisons de couture (House of Gucci, 2021), aux fabricants de jouets (Barbie, 2023), en passant par les géants de l’automobile (Ferrari, 2023), des histoires entières prennent vie sur grand écran, étroitement tissées avec les fils narratifs des marques renommées.

Les marques et leur image : en quête d’émotions

Dans notre société de consommation, où l’individu forme son identité quasi exclusivement par l’absorption de certains biens et services, ce sont les marques qui dominent nos esprits. En plus de vendre un produit, une marque vend un certain type de message, contenant une histoire sur les qualités uniques de ses créations.

La marque agit comme un objet désirable, dont la possession est capable de satisfaire les attentes du consommateur, le rendre heureux, et devient en fait un moyen pour une personne de s’orienter dans la réalité. Ce sont la qualité et la reconnaissabilité d’une marque qui contribuent à susciter des émotions positives chez les cibles et à les fidéliser. Mais dans un contexte de sursaturation du marché, les entreprises sont appelées à rechercher de nouveaux moyens d’atteindre les consommateurs.

L’expérience est un élément incontournable de la fidélisation des clients. C’est pour cela que les marques sont nombreuses à élargir leur activité : elles construisent des parcs d’attraction (Disneyland, Ferrari World, Volkswagen Autostadt), transforment leurs usines en musées (Guinness Storehouse, Heineken Experience) ou encore créent leurs propres hôtels-boutiques (Bulgari, Armani, Versace).

Toutes ces expériences ont pour but de faire vivre aux clients des émotions marquantes et positives, pour que ces émotions s’associent par la suite avec la marque, qui devient ainsi encore plus désirable. Suivant cette logique, il n’est pas surprenant que les marques aient toujours été nombreuses à vouloir se rattacher au cinéma, une attraction offrant une large palette d’émotions susceptible d’être utilisée dans une campagne marketing.

Le placement de produit, une pratique discrète mais influente

Le placement de produit a pris racine dans l’industrie cinématographique dès les premiers balbutiements du septième art. Au cours du 20e siècle, les réalisateurs ont commencé à intégrer subtilement des produits dans leurs films, créant ainsi un lien indirect entre les marques et le public. Souvent utilisé comme source de financement pour les productions cinématographiques, le placement de produit permet de compenser les coûts de réalisation tout en offrant aux annonceurs une visibilité stratégique auprès des spectateurs.

À l’origine, le placement de produit se manifestait principalement par des apparitions éphémères d’objets de consommation dans des scènes, parfois de manière transparente pour le public, mais souvent subtilement pour éviter de rompre l’immersion narrative. Cependant, au fil des décennies, cette pratique s’est développée pour devenir une stratégie marketing plus sophistiquée.

Une nouvelle forme de placement de produit : quand le produit devient l’histoire

Le paysage du placement de produit évolue rapidement depuis sa création, et l’on observe aujourd’hui une transition vers une nouvelle forme : le film de marque. Ces œuvres cinématographiques ne se contentent plus simplement de présenter des produits, mais elles en font le pivot central de l’intrigue; les marques deviennent les acteurs principaux, tissant un récit étroitement lié à leur essence même. 

Ce concept va au-delà de la simple promotion ; il s’efforce de créer une expérience immersive où le public se plonge dans l’univers narratif de la marque. Ce glissement vers une intégration plus profonde des marques dans le récit cinématographique soulève des questions fascinantes sur l’avenir du partenariat entre le monde du cinéma et celui des marques, redéfinissant ainsi la manière dont nous interagissons avec ces dernières à travers l’art cinématographique.

En 2014, LEGO s’est par exemple lancé dans la production de son propre film d’animation en présentant ses jouets emblématiques. Les répercussions ont été très positives pour la marque, avec une augmentation des ventes de jeux LEGO à la suite du succès du film, qui s’explique par une envie des spectateurs d’explorer plus encore l’univers de la marque. Outre les produits de construction traditionnels, le film a ouvert la voie à de nouveaux produits basés sur les personnages et l’univers présentés dans l’intrigue. Cela a permis à LEGO de diversifier sa gamme de produits, y compris les jeux vidéo, les séries animées et les produits dérivés. Une communauté de fans passionnés qui partagent leur amour pour LEGO s’est développée sur les médias sociaux et les forums en ligne, renforçant ainsi l’engagement des consommateurs envers la marque.

Un effet encore plus prononcé a été suscité par le film « Barbie », sorti en 2023. Non seulement le film immerge le public dans l’univers de la poupée en rose, mais il lui présente littéralement l’administration du groupe Mattel qui parle des valeurs de la marque de manière quasi directe. Le film a suscité un gigantesque buzz médiatique, et le public tout de rose vêtu ne s’est pas fait attendre dans les salles de cinéma. De nombreuses marques ont également tenté de s’inscrire dans la tendance en faisant des collaborations avec Mattel (Zara, OPI, Nyx, Gap…). Sans surprise, les ventes des poupées ont augmenté de 20% depuis le lancement des opérations marketing. Mattel a déjà annoncé la production de films sur ses autres gammes de produits, notamment Polly Pocket, Hot Wheels et même UNO.

La maison de luxe Saint Laurent, elle, est allée plus loin. En 2023 la marque diversifie son activité en créant sa propre société de production « Saint Laurent Productions”. A présent, la marque ne se contente plus d’être représentée par des costumes portés par des acteurs, mais prend les rênes artistiques des films, lui permettant de façonner de manière intégrale chaque aspect narratif et visuel. Cette initiative offre à la marque une opportunité unique d’incarner pleinement ses valeurs à travers l’expression cinématographique.

Dans les salles de cinéma… et sur le petit écran ?

Et qu’en est-il des plateformes de streaming? Pour Hugo Orchillers, responsable des placements de produit au sein de l’agence Place To Be, avec qui nous nous sommes entretenus, le travail de placement de produit est sensiblement le même qu’il soit fait pour le cinéma ou pour une plateforme de streaming. À la différence près que les plateformes de streaming se montrent plus réticentes que les producteurs de cinéma : « Les plateformes de SVOD comme Netflix proposent du placement de produit, mais cela reste vraiment infime. Les plateformes ne veulent pas créer une régie publicitaire {…} afin de rester le plus cohérent possible avec leur discours de lancement ».

Cependant, à travers le phénomène des films de marques, il se pourrait que cette volonté soit en train d’être ajustée. En effet, des géants du streaming comme Amazon Prime collaborent eux aussi avec des marques, comme le montre la sortie du film « AIR » (2023), sur la franchise Nike. Ce film réalisé par Ben Affleck dévoile le partenariat révolutionnaire entre un Michael Jordan encore méconnu, et la division de basket chancelante de Nike, qui a changé le monde du sport et de la culture avec la marque Air Jordan.

Ainsi, le phénomène des films de marque nous prouve que le cinéma est devenu un outil marketing incontournable pour forger l’identité d’une marque, immerger le public dans son univers et lui offrir une expérience mémorable tout en stimulant les achats. Qu’ils soient diffusés en salle de cinéma ou en streaming, les films de marques sont à l’origine d’un nouveau type de marché publicitaire qui, malgré sa popularité, entraîne tout de même des vagues de critiques concernant la dénaturation du septième art au profit des annonceurs. Ainsi se crée le débat sur l’avenir du cinéma et s’ouvre la voie de recherche d’une harmonie entre créativité et commerce dans le monde artistique contemporain.

Melina MAGNE et Anna ORLOVA


SOURCES :

Le Point; « Barbie » : les ventes de poupées ont augmenté de 20% depuis la sortie du film; 08/2023

Mattel; Mattel Films and Warner Bros. Pictures Announce J.J. Abrams’ Bad Robot Will Produce Hot Wheels Live-Action Motion Picture; 2022

Europe 1; La marque de luxe Saint Laurent annonce la création d’une société de production de films; 04/2023

Luc Dupont; Placement de produit : quand le cinéma devient un terrain de jeu marketing; 09/2024

Stéphane Debenedetti, Isabelle Fontaine; Le cinémarque : Septième Art, publicité et placement des marques; 2004

TikTok : future plateforme de référence pour les films et les séries ?

Envie de regarder le nouveau film « Barbie » gratuitement ? C’est possible sur TikTok, à condition d’accepter son découpage en 49 parties.

Sur TikTok, la diversité du contenu est frappante. On y trouve aussi bien des vidéos de danse virales, que des sketches comiques hilarants ou encore des conseils sur les relations amoureuses. En résumé, peu importe ce que vous recherchez ou pas, TikTok saura quelle vidéo vous montrer. 
Depuis quelques mois, un nouveau type de contenu prend de l’ampleur ou du moins, commence à faire parler.

Après avoir bouleversé l’industrie de la musique, TikTok s’attaque à celle de l’audiovisuel

Comme beaucoup de plateforme l’ont été avant elle, TikTok se transforme progressivement en « pirate de l’audiovisuel ». En effet, il est maintenant possible de regarder des films, des séries et des émissions télévisées, découpés en plusieurs parties et diffusés par des comptes TikTok dédiés à ce type de contenus. Ces contenus sont majoritairement mis en ligne de manière illégale. Les enregistrement clandestins, qu’il soient de films projetés au cinéma ou de contenus disponibles sur les plateformes de streaming, tous y passent. En outre, des séries populaires telles que « South Park » ou « Malcolm » sont présentes sur TikTok depuis un certain temps.


tractlljc4t sur TikTok

Ce mode de consommation peut sembler quelque peu déroutant. Cependant, il gagne en popularité au sein de la plateforme, et cela s’explique par plusieurs facteurs. 

Tout d’abord, ces séquences ont une capacité remarquable à capter et retenir l’attention des utilisateurs. En découpant un épisode de série en plusieurs parties, un compte peut publier une vidéo consistant uniquement en une scène riche en suspense, incitant ainsi les spectateurs à vouloir connaître la suite.
De plus, TikTok développe des fonctionnalités qui facilitent la consommation de ce type de contenus comme le « Clear Mode » ou le mode « Plein écran ».

Le rôle fondamental de l’algorithme de recommandation

Image par Katamaheen de Pixabay

Dans le fil d’actualité « Pour toi », les contenus découpés en plusieurs parties sont proposés aux utilisateurs de manière aléatoire,  ce qui contribue à la popularité de ce format. Dans un univers d’hyperchoix où une multitude d’options est constamment disponible, la fatigue décisionnelle se fait ressentir. Exacerbée par les choix infinis sur des plateformes comme Netflix, TikTok évite à l’utilisateur de se trouver dans cette situation d’anxiété en le conduisant directement au contenu. « Je suis déjà là, je suis déjà en train de le regarder, je suis déjà en train de faire défiler sur TikTok. » Voici ce que déclare un utilisateur à propos de TikTok (Wall Street Journal, 2023). Pas besoin d’aller sur une plateforme de streaming ou sur la télévision : TikTok dit à l’utilisateur quoi regarder. En résumé, avec l’algorithme de recommandation, les contenus sont presque servis sur un plateau d’argent.

L’algorithme de recommandation de TikTok contribue à mettre en lumière ces extraits dans les « Pour toi », permettant aux comptes TikTok de toucher un public plus large et d’augmenter leur visibilité. L’algorithme favorisant les vidéos regardées jusqu’à la fin, la plupart des contenus sont découpés par tranches de 3 à 5 minutes, bien que les vidéos peuvent aller jusqu’à 10 minutes. Ces vidéos courtes jouent aussi avec la frustration ressentie par l’utilisateur qui sera pousser à aller regarder d’autres vidéos ou à demander en commentaires quand est-ce que la partie suivante sera disponible. Il est important de noter que les commentaires jouent aussi un rôle important dans la recommandation par l’algorithme. 

Afin de ne pas se faire repérer par les algorithmes de modération, les créateurs ne publient pas les différentes parties d’un même contenu à la suite. Les parties sont souvent « uploadées » sur la plateforme à des heures ou jours d’intervalle, laissant le temps à la publication d’autres contenus. Autre particularité de ces vidéos, il est très rare de voir inscrit dans les descriptions le nom original du film, de la série ou de l’émission en question. Il s’agit d’une autre astuce utilisées pour éviter que la vidéos soient retirées de manière automatique de la plateforme.

Bien que ce type de visionnage puisse paraître atypique, il s’inscrit donc dans une stratégie de captation et de rétention de l’attention tout en exploitant les mécanismes propres à l’algorithme de TikTok pour maximiser la portée et l’impact du contenu publié.

Le cinéma se fait pirater, il prend les devants !

En 2020, Quibi, le service de streaming de vidéos courtes venu tout droit d’Hollywood n’a pas tenu longtemps sur le marché. Bien que ce fut un échec, le potentiel de ce type de contenu paraît aujourd’hui plus important que ce qu’il était il y a quelques années. Comme annoncé lors du festival Médias en Seine à Paris en 2023, l’une des prochaines tendances média qui se dessine est la nécessité de maitriser le format de vidéos verticales (Reuters Institute, 2023).

Neil Shyminsly, expert en Pop culture et professeur d’anglais au Cambrian College, affirme qu’ « il y a une crainte croissante que la programmation télévisuelle devienne de plus en plus courte à mesure que le succès est déterminé par l’algorithme de TikTok. » (CBCNews, 2023). 

Photo de Hannah Wernecke sur Unsplash

Effectivement, certains grands studios se sont déjà lancés dans la publication de contenus en plusieurs parties. Le 3 octobre 2023, à l’occasion du Mean Girls Day, Paramount à rendu disponible le temps d’une journée le film Mean Girls en intégralité, découpé en 23 parties sur son compte TikTok. « Les paramètres semblent évoluer », a déclaré Alex Alben, professeur de droit de l’internet et de la confidentialité à la Faculté de droit de l’UCLA. « Quelqu’un au sein du studio est en train de peser le fait qu’ils bénéficieraient davantage de la diffusion d’un extrait de leur film par des millions de personnes plutôt que de chercher à l’interdire. » (NewYorkTimes, 2023). Un représentant de Paramount a expliqué que la publication de « Mean Girls » sur TikTok visait à accroître la visibilité du film auprès d’un nouveau public potentiel (NewYorkTimes, 2023). Un coup marketing de la part du studio ? Très probable, sachant que le jour même, la sortie du nouveau « Mean Girls » au cinéma début janvier 2024 a été annoncée.

D’autres studios et plateformes de streaming ont très vite suivi. En août 2023, Peacock a publié un épisode de 2023 de la version américaine de « Love Island » ainsi qu’un épisode de « Killing It » divisé en 5 parties. Voici ce qu’Anupam Chander, professeur de droit et technologie à Georgetown, dit à ce propos : « Il peut être utile pour les détenteurs des droits d’auteur de voir leur travail distribué à un public plus large afin de susciter davantage d’intérêt pour ce travail et générer des ventes ultérieures. ». En réalité, certains détenteurs des droits de ces contenus, qu’ils soient publiés légalement ou non, pourraient profiter de cette tendance. Dans les faits, cela peut permettre de remettre au gout du jours d’anciens contenus et de booster la popularité de ceux qui en ont besoin. Il faut reconnaître que la capacité de TikTok à engager son public est forte et va au-delà des jeunes générations (InsiderIntelligence, 2023).

De nouvelles productions uniquement dédiées à TikTok

TikTok a vu émerger de nouvelles productions uniquement dédiées à sa plateforme. Dès 2020, plusieurs séries australiennes ont vu le jour telles que Love Songs, publiée par épisodes de 10 minutes ou Scattered, publiée en 38 épisodes de 1 minute. Récemment, Adam McKay, avec sa société de production Yellow Dot Studios, est devenu le premier producteur hollywoodien à investir dans une série diffusée uniquement sur TikTok. Intitulée « Cobell Energy », elle est diffusée depuis le 14 novembre 2023 sur la plateforme à raison de 2 épisodes par semaine.

cobellenergy sur Tiktok

Et le respect des droits d’auteur dans tout ça ?

Il est évident que la publication illégale de contenus sous droits pose question. Réguler ce type de contenus sur TikTok devient un challenge très complexe en comptant les 34 millions de vidéos postées par jour sur la plateforme. Comment gérer le sentiment de non-respect du travail accompli pour la réalisation d’un film, d’une série etc. ? Publier un contenu en plusieurs parties porte-t-il atteinte à la nature même de celui-ci ? Comment gérer le partage de revenu ? Beaucoup de questions n’ayant pas de réponses encore assez concrètes. 

Pour remédier à ces publications, trop nombreuses, de contenus allant à l’encontre des conditions d’utilisation de la plateforme, TikTok a mis en place un algorithme de détection des contenus sous droits d’auteur. En plus de cela, les détenteurs de ces droits ainsi que les utilisateurs peuvent signaler à la plateforme un contenu qu’ils considèrent comme « piraté ».
Avec l’arrivée du Digital Services Act en Europe, de nombreuses plateformes comme TikTok se sont vues imposées la mise en place de mécanismes de signalement mais aussi de contrôle plus soutenus de ces contenus illicites. En septembre 2023, TikTok a annoncé avoir supprimé plus de 4 millions de contenus jugés comme illicites par l’Union Européenne.

Finalement, il ne reste plus qu’à voir si ce type de consommation et de diffusion dépassera le stade de tendance et réussira à s’installer dans le temps.

Margot Brenier


Bibliographie

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Croquet, P., & Trouvé, P. (2023, 9 octobre). On TikTok, the success of « sliced up » films and TV series. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/en/pixels/article/2023/10/07/on-tiktok-the-success-of-sliced-up-films-and-tv-series_6155629_13.html

Holtermann, C., & Kircher, M. M. (2023, 4 octobre). ‘Mean Girls’ has a One-Day run on TikTok. The New York Times. https://www.nytimes.com/2023/10/04/style/tiktok-movies-mean-girls.html#:~:text=A%20Paramount%20representative%20wrote%20in,companies%20have%20experimented%20with%20TikTok.

Hoover, A. (2023, 14 novembre). TikTok is the new TV. WIRED. https://www.wired.com/story/tiktok-new-show-tv-takeover/

Murray, C. (2023, 24 octobre). Will ‘Don’t Look Up’ director’s new series work on TikTok ? It will need better luck than these social media efforts. Forbes. https://www.forbes.com/sites/conormurray/2023/10/24/will-dont-look-up-directors-new-series-work-on-tiktok-it-will-need-better-luck-than-these-social-media-efforts/?sh=42cf59fc5aa1

Radio-Canada. (2023, 15 juin). La transformation de TikTok en plateforme de diffusion, un clip piraté à la fois. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1988120/tiktok-contenu-pirate-series-films-cinema-plateforme-diffusion-tendance

Rahmil, D. (2023, 28 septembre). Regarder Barbie par tranches de 3 minutes, c’est la vie de cinéphile que j’ai choisie. L’ADN. https://www.ladn.eu/media-mutants/tendance-tiktok-regarder-films-tranches/

Renaud-Chouraqui, E. (2024, 23 janvier). Quel sera l’impact du DSA dans la lutte contre la contrefaçon en ligne ? https://info.haas-avocats.com/droit-digital/quel-sera-limpact-du-dsa-dans-la-lutte-contre-la-contrefacon-en-ligne

Richards, J. (2021, 14 juin). TikTok TV : Aussie Gen Z drama ‘Scattered’ and the promise of a new platform. NME. https://www.nme.com/en_au/features/tv-interviews/tiktok-tv-aussie-gen-z-drama-scattered-2968680

Six, N. (2020, 8 avril). Quibi, le « Netflix » des vidéos courtes, se lance sur mobile aux Etats-Unis. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/04/07/quibi-le-netflix-des-videos-courtes-se-lance-sur-mobile-aux-etats-unis_6035878_4408996.html

Tingley, A. (2023, 14 novembre). Variety. Variety. https://variety.com/2023/digital/news/adam-mckay-yellow-dot-studios-cobell-energy-tiktok-series-ari-cagan-1235764568/

La chronologie des médias à l’ère de la SVOD : Quelles problématiques ?

Le « Nouveau Monde de la Distribution »

L’essor du streaming et l’augmentation rapide des contenus audiovisuels en ligne, combinés à l’évolution de nos habitudes de consommation, ont radicalement transformé l’industrie du cinéma traditionnelle. Cette métamorphose a engendré un nouvel écosystème où les films sont diffusés via une multitude de canaux et génèrent des revenus de diverses sources. Selon Peter Broderick (producteur américain), nous sommes en présence d’un « Nouveau Monde de la Distribution« , qui se distingue par des coûts réduits, des stratégies personnalisées, des sources de revenus variées et un accès direct aux spectateurs.

Dans ce cadre, Internet occupe une place centrale dans la désintermédiation de l’industrie cinématographique, affaiblissant les intermédiaires traditionnels tels que les distributeurs et les exploitants, au profit d’une relation directe entre producteurs et consommateurs. Autrefois, la chronologie des médias, qui garantissait plusieurs fenêtres d’exploitation pour les films, permettait de segmenter les sources de revenus, de la sortie en salle à la diffusion en DVD, puis à la télévision payante et gratuite. Cependant, avec l’apparition des services de vidéo à la demande, de plus en plus proches de la sortie en salle, chaque fenêtre d’exploitation se rétrécit.

La chronologie des médias actuelle en France…

Initialement conçue pour protéger les salles de cinéma de la concurrence de la télévision, puis de la vidéo, la chronologie des médias avait pour objectif de garantir un équilibre dans le paysage audiovisuel. La France s’est distinguée en adoptant une approche singulière, tant au niveau européen qu’international, en édictant des textes contraignants. Ces derniers étaient d’abord intégrés aux cahiers des charges des chaînes publiques durant l’ère du monopole dans les années soixante et soixante-dix, puis inscrits dans la loi en 1982. Aujourd’hui, ces principes sont régis par des décrets découlant d’accords interprofessionnels.

En effet, la chronologie des médias est ponctuellement actualisée, pour tenir compte des usages qui émergent, de l’arrivée de nouveaux concurrents et de l’évolution du paysage audiovisuel. Révisée en 2018 puis en 2022, voici les grandes lignes de la chronologie des médias actuelle :

Source : Numerama

… et à l’international ?

Un bref tour d’horizon à l’étranger révèle qu’aucun autre pays au monde ne possède une réglementation aussi rigoureuse et précise que la France en matière de chronologie des médias. La directive européenne SMA accorde aux États membres la liberté d’appliquer des règles plus strictes ou plus détaillées que celles prévues au niveau européen pour les services relevant de leur compétence.

Cependant, la majorité des pays ont choisi de ne pas légiférer sur la question de la chronologie des médias. Certains pays européens, à l’instar de l’Allemagne, ont néanmoins adopté des dispositions législatives, bien que moins contraignantes. En Allemagne, par exemple, l’obtention d’aides publiques est conditionnée au respect de délais de diffusion spécifiques : six mois pour les services à la demande, douze mois pour les chaînes de télévision payantes et dix-huit mois pour les chaînes de télévision gratuites. Le Portugal dispose également d’une réglementation via un décret-loi datant de 2006, mais les dispositions de ce décret peuvent être modifiées dans le cadre d’accords entre les ayants droit et les diffuseurs.

En outre, dans ces pays, une œuvre qui ne sort pas en salle peut être diffusée directement à la télévision ou sous forme de DVD, ce qui n’est pas possible en France actuellement, risquant de perdre une part significative des financements prévus pour une sortie en salles. Cependant, la plupart des autres pays, comme la Grèce, l’Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark, la Roumanie, n’ont tout simplement pas de dispositions sur la chronologie des médias, tout comme aux États-Unis où la question de la diffusion est réglée contractuellement, film par film.

Les « petits films » souffrent-ils de la chronologie des médias ?

En 2013, le Bureau Européen des Unions des Consommateurs (BEUC) a souligné que la chronologie des médias en vigueur ne correspondait pas à la réalité du marché, en particulier en donnant la priorité à l’exploitation en salle malgré l’émergence des nouveaux canaux de distribution comme les services de SVOD1. Selon le BEUC, l’ordre chronologique des fenêtres d’exploitation nuit particulièrement aux films « modestes » dont les budgets de promotion sont limités. Ainsi, rendre les œuvres disponibles rapidement après leur sortie en salle serait plus avantageux sur le plan commercial.

L’ordre traditionnel de sortie des films est de plus en plus remis en question, comme le souligne Xavier Rigault, producteur français et co-président de l’Union des producteurs de cinéma. Selon lui, permettre à un film de sortir directement en vidéo pourrait contribuer à « décongestionner les salles » et à réduire le piratage des œuvres, un problème majeur actuellement au sein de l’industrie du cinéma. Actuellement, lorsqu’un film est retiré rapidement de l’affiche, il doit attendre quatre mois avant de pouvoir être diffusé en vidéo. Cependant, promouvoir cette « deuxième sortie » nécessite un nouvel investissement dans une campagne publicitaire, ce qui pose un réel défi pour de nombreux distributeurs. Cette difficulté est accentuée par le fait que la durée de vie d’un film en salle est courte, généralement entre 10 et 15 jours, en raison du nombre important de films sortant chaque semaine, d’autant plus que les blockbusters américains laissent peu de place à la diversité.

Qu’est-ce qu’une œuvre cinématographique en 2024 ?

La salle de cinéma a longtemps représenté le principal lieu d’exploitation des films, étant même déterminante dans la définition d’une « œuvre cinématographique », qui est officiellement reconnue comme telle une fois qu’elle a obtenu un visa d’exploitation, lequel nécessite une diffusion en salles.

Cependant, de nos jours, de plus en plus de diffuseurs produisent leurs propres contenus, parfois réalisés par des cinéastes renommés, qui suivent les mêmes codes que les films traditionnels, mais sont diffusés exclusivement sur leurs plateformes de streaming, contournant ainsi le circuit traditionnel des cinémas. Cette évolution soulève la question de savoir si des films tels que « A l’Ouest rien de nouveau » (Edward Berger, 2022), « The Killer » (David Fincher, 2023), « The Power of The Dog » (Jane Campion, 2021), ou encore « The Irishman » (Martin Scorsese, 2019) doivent être considérés comme des œuvres cinématographiques, même si leur première diffusion se fait sur une plateforme de SVOD telle que Netflix. Malgré cela, ces films démontrent une qualité de réalisation, d’écriture et de technique qui les distingue davantage des téléfilms que des œuvres cinématographiques conventionnelles.

The Irishman (Martin Scorsese, Netflix, 2019)

Cette question de classification suscite des débats, notamment lors de festivals de renom comme Cannes, où les films non destinés à sortir en salles en France ne sont pas éligibles à la compétition. En revanche, la Mostra de Venise a décerné le Lion d’Or à une production Netflix (« Roma » d’Alfonso Cuaron, 2018) et les Oscars ont récompensé en 2021 le dernier film de Jane Campion, « The Power of the Dog« .

Cependant, au-delà de cette question de désignation, se pose celle de l’accès aux mécanismes de financement de la production cinématographique. Il est donc crucial de déterminer si de telles œuvres peuvent bénéficier des aides financières du CNC, même si elles ne sortent pas en salles. De nombreuses voix plaident en faveur d’un assouplissement de l’obligation de première diffusion en salles, proposant que les films puissent obtenir leur statut cinématographique en étant diffusés directement en vidéo, ce qui pourrait favoriser une diversification des modes d’exploitation et une évolution du paysage cinématographique français.

Quel avenir pour la chronologie des médias ?

Face à l’évolution rapide des plateformes de SVOD, les autorités pourraient choisir une approche plus flexible en assouplissant les règles de la chronologie des médias, en renonçant à son caractère contraignant au profit de recommandations, éventuellement assorties d’incitations fiscales ou budgétaires. Cette tendance reflète celle observée dans de nombreux pays étrangers, où les ayants droit ont plus de latitude dans la gestion de la chronologie des médias, permettant ainsi une plus grande souplesse dans la diffusion des films. Cette approche favorise l’expérimentation et pourrait permettre de distinguer les approches bénéfiques à long terme de celles moins favorables.

Selon Jean-Yves Mirski, délégué général du Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), il y a une tendance à réduire les délais entre la sortie en salle et la diffusion sur d’autres supports. La sortie universelle, où un film est lancé simultanément sur tous les supports, est de plus en plus envisagée. Cette pratique n’est plus taboue, notamment depuis la sortie du film de Steven Soderbergh, « Bubble« , en 2006, qui est sorti au cinéma et sur la chaîne coproductrice HDNET, puis en DVD quatre jours plus tard. Des stratégies similaires sont de plus en plus courantes, comme la diffusion en VOD premium avant la sortie en salles de « Melancholia » de Lars von Trier en 2011, ou la mise à disposition gratuite sur YouTube du film « Home » de Yann Arthus-Bertrand dix jours avant sa sortie en salles, à la télévision et en DVD, qui a rencontré un réel succès auprès du public (à noter qu’il s’agit d’un film militant destiné à être vu par l’audience la plus étendue possible).

Cependant, bien que certaines expériences de diffusion simultanée sur plusieurs supports rencontrent un succès réel, elles restent exceptionnelles et résultent souvent d’un financement particulier ou d’une stratégie publicitaire spécifique.

Il est ainsi légitime de remettre en question l’intervention de l’État dans l’établissement de la chronologie des médias. Plutôt que d’imposer des règles, pourquoi ne pas laisser chaque acteur décider de ses propres règles en concluant des contrats avec les détenteurs des droits de films et les différents circuits de distribution ? En d’autres termes, serait-il possible de privilégier les mécanismes du marché, basés sur l’offre et la demande, plutôt que des décisions publiques dans le domaine de la chronologie des médias ? Les professionnels du secteur se verront confrontés à ces questions dans les années à venir, avec une nécessité de révision de la chronologie des médias envisagée d’ici début 2025.

Anne-Lise MAGNIEN


Sources

Pascal Lechevallier, 2020, La Chronologie des médias en Europe

Alex Scoffier, 2019, Repenser l’industrie du cinéma à l’ère du numérique

Alain Le Diberder, 2020, Chronologie des médias : attention danger !

Observatoire européen de l’audiovisuel, 2019, La chronologie des médias : une question de temps


  1. Livre vert : Se préparer à un monde audiovisuel totalement convergent, 2013
    https://www.beuc.eu/sites/default/files/publications/2013-00586-01-e.pdf ↩︎

Comment TikTok influence l’industrie cinématographique ? 

Tiktok prend de plus en plus de place dans l’industrie cinématographique, que ce soit à travers les publicités qui font la promotion de films sur la plateforme, des critiques de films, des courts métrages réalisés par les créateurs de contenus ou encore la rediffusion d’extraits de films.  Le 3 octobre 2023, Paramount est allé encore plus loin et a diffusé sur la plateforme la totalité du film Mean Girls (2004). Le film avait alors été découpé en 23 parties. La date du 3 octobre fait directement référence au film puisqu’il s’agit du « Mean Girls Day » qui est devenu un véritable symbole de la culture populaire (Croquet & Trouvé , 2023). Nous pouvons également supposer que ce coup marketing a été effectué afin de relancer l’engouement pour Mean Girls alors qu’un remake est sorti le 10 janvier 2024. Paramount a alors su s’adapter à une tendance Tiktok qui propose un découpage de différents contenus (afin de s’accorder au format) allant d’un film, une série ou encore un reportage.

La promotion, le point décisif

Lors la sortie d’un film, le marketing est un facteur essentiel et déterminant pour son parcours. D’après Laurent Creton, l’objectif du marketing dans le cinéma « est de satisfaire dans les meilleures conditions les attentes et les besoins de la clientèle afin d’optimiser l’adéquation du produit avec son marché » (Creton, 2020). Si nous reprenons notre exemple Paramount et Mean Girls, c’est exactement ce que le studio a fait. Il a su adapter son format à la cible choisie (une cible jeune 15-24 ans) et au format proposé par Tiktok.

La promotion se crée autour du film et une « image de marque » se crée. L’exemple parfait est le film Barbie, sortie en 2023. Sans un budget colossal de 150 millions de dollars, l’influence du film n’aurait certainement pas été la même (Jouin, 2023). L’été 2023 fut un été en rose. Tout était aux couleurs de la célèbre Barbie, de nombreuses marques se sont également associées pour créer des collections spéciales telles que Crocs, O.P.I, AirBnb, Zara, Maserati ou encore Buger King. Grâce à cette diversité de marques et de représentations, l’influence de Barbie n’a fait que croître. Evidemment, les tendances Tiktok ont également suivi à travers plusieurs hashtags. Nous pouvons citer le #Barbiefoot où les utilisateurs reproduisent une scène du film ou Margot Robbie enlève ses talons ; #Barbieshake qui consiste à boire un milkshake rose avant de se transformer en Barbie ou encore le #Barbiemovie qui rassemble tous types de contenus autour du film. D’autres hashtags tel que #NotMyKen a lui aussi fait réagir avant la sortie du film. Cet hashtag dénonçait le fait que Ryan Gosling soit trop âgé pour jouer le rôle de Ken. Aux vues du succès du film, cet hashtag n’a pas entaché sa réputation. Tiktok, en tant que relayeur de contenu a réellement fait partie du processus de marketing 360 pour le film, a accru sa visibilité et a sans doute poussé de nombreuses personnes à se rendre en salles (1,446 millliards de dollars au box office).

Tiktok se place ainsi comme un outil marketing incontournable pour les films et leur éventuel succès. Pourquoi ? Grâce à son fort taux d’engagement, son format court/créatif et sa viralité.

Insaisissable et imprévisible

En 2023, la sortie du film Le Consentement restera un cas d’école en ce qui concerne l’influence de Tiktok sur le parcours d’un film. Le Consentement relate l’histoire de Vanessa Spingora, 14 ans, alors sous l’emprise de Gabriel Matzneff, célèbre auteur des années 1980. C’est une adaptation du roman Le Consentement de Vanessa Spingora. Lors de la première semaine d’exploitation, le film a cumulé environ 59 000 entrées. Habituellement, après la première semaine, les entrées pour un film sont divisées par deux et particulièrement pour les films d’auteurs. C’est exactement l’inverse qui est arrivé pour Le Consentement, en trois semaines, les entrées ont triplé pour arriver à un pic d’entrées de 142 000 et redescendre. Au total, le film aura comptabilisé 616 000 entrées (AlloCiné , 2023). Ces chiffres records s’expliquent par l’émergence d’une tendance Tiktok qui avait pour but de se filmer avant et après avoir vu le film. La vidéo de « l’après » met en évidence de façon nette le choc ressenti par les utilisateurs.

Le #leconsentementfilm dénombre plus de 7,8 millions de vues sur Tiktok et les vidéos liées au film ont été vues plus de 20 millions de fois (Vasseur, 2023). Marc Missonier, producteur du film avait alors déclaré, « Les ados se sont emparés du film par eux-mêmes. Il faut rester modeste par rapport à ça, c’est impossible à programmer. Mais le film les a touché au cœur, c’est certain ». Il reconnaît « n’avoir pas prévu ce phénomène ». Du fait de la popularité du film sur Tiktok, un public jeune s’est rendu en salle et un réel engouement est né. De plus, par son sujet, le film a certainement raisonné pour de nombreux jeunes qui sont de plus en plus engagés et favorisent la liberté de la parole sur des sujets tels que les violences sexuelles. Ainsi, en plus de donner de l’élan à ce film d’auteur, via la plateforme Tiktok, des sujets sociétaux sont abordés et permet une certaine forme de libération de la parole. Comme nous l’avons précédemment évoqué, Tiktok est un réseau social important dans la promotion d’un film mais cet évènement n’était pas prévu par le distributeur. La plateforme « n’a pas amplifié le succès du Consentement, il l’a créé » (Guerrin, 2023). A l’inverse de l’exemple du film Barbie où le réseau social avait justement été utilisé pour élargir le succès du film. Tiktok se démarque alors par sa viralité insaisissable et imprédictible.

Plus récemment, le film Saltburn a également pu profiter de la viralité de Tiktok et accroitre sa notoriété. Il s’agit d’un cas légèrement différent puisqu’il s’agit d’un film sorti sur Prime Video le 22 décembre 2023 et non en salle. Il est donc plus difficile de quantifier les vues puisque Prime Video ne partage pas ses données. Cependant, nous pouvons tout de même remarquer l’importance du film sur Tiktok. Saltburn, réalisé par Emerald Fennell, raconte l’histoire d’un étudiant de l’Université d’Oxford qui va se plonger dans l’univers aristocratique grâce à son camarade de classe qui l’invite dans son vaste domaine familial. A nouveau, ce film a fait parler de lui sur Tiktok pour ses scènes choquantes, les utilisateurs se filmaient alors en train de réagir. Le #Saltburn dénombre plus de 5,5 milliards de vues. Tiktok a également propulsé la chanson « Murder On The Dancefloor » de Sophie Ellis Bextor qui apparait à la fin du film. Scène durant laquelle Barry Keoghan déambule et danse dans le manoir. Cette scène finale a alors été reproduite par de nombreuses personnes sur Tiktok. La chanson « Murder On The Dancefloor » a été utilisée plus de 226 00 fois et a été écoutée plus de 1,5 millions de fois le soir du nouvel an soit une augmentation de 340% par rapport à l’année dernière (La Dépêche, 2024). Que ce soit en salle ou sur les plateformes, Tiktok offre une certaine accessibilité du cinéma au jeune public.

Quelles perspectives ?

Après avoir bouleversé l’industrie musicale, Tiktok s’en prend au fonctionnement de l’industrie cinématographique. De par un fort taux de complétion et d’engagement, le système de vidéos courtes mis en place influence directement la décision de l’utilisateur : regarder un film ou non. A noter, « 52 % des utilisateurs de TikTok ont découvert un nouvel acteur, un nouveau film ou une nouvelle émission de télévision sur TikTok. Ce taux démontre à nouveau le pouvoir que la plateforme afin de susciter des tendances et une popularité pour les films (Davies, 2023 ). Tiktok place le spectateur au cœur de la dynamique.

Après avoir étudié la façon dont Tiktok s’implante dans le but de créer un engouement et pousser le public à aller au cinéma ou regarder des films, nous pouvons ouvrir notre sujet nous demander si Tiktok ne serait pas finalement un concurrent à l’industrie cinématographique.  La plateforme opère un réel changement dans les habitudes de ses utilisateurs. Comme nous l’avons évoqué, il est possible de regarder des films en plusieurs parties. Au-delà d’être utilisé comme un outil de marketing, un outil propulseur, la plateforme Tiktok pourrait elle-même en être actrice. En 2023, Tiktok, partenaire officiel du Festival de Cannes avait déjà organisé son propre festival de court-métrages. Le « Tiktok Short Film » qui permettait aux cinéphiles du réseau social de soumettre leur création, une vidéo verticale originale de plus d’une minute. Néanmoins, cet élan peut remettre en question la légitimité de Tiktok à se positionner comme acteur du cinéma.

Solène TAGMOUNT

Références

AlloCiné . (2023). Le Consentement . Récupéré sur AlloCiné.

Creton, L. (2020). La marketing cinématographique . Dans L. Creton, Economie du cinéma (p. 157 à 177). Armand Colin .

Croquet , P., & Trouvé , P. (2023, Octobre 5). Sur TikTok, le succès des films et reportages « saucissonnés ». Récupéré sur Le Monde : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/05/sur-tiktok-le-succes-des-films-et-reportages-saucissonnes_6192690_4408996.html

Davies, R. (2023 , Avril 21). TikTok is changing the film industry by putting the power back in the hands of fans. Récupéré sur Why Now: https://whynow.co.uk/read/tiktok-is-changing-the-film-industry-by-putting-the-power-back-in-the-hands-of-fans

Guerrin, M. (2023, Novembre 17). « En assurant le succès du film “Le Consentement”, grâce à un public jeune et populaire, TikTok réussit là où des politiques culturelles échouent depuis des décennies ». Récupéré sur Le Monde: https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/en-assurant-le-succes-du-film-le-consentement-grace-a-un-public-jeune-et-populaire-tiktok-reussit-la-ou-des-politiques-culturelles-echouent-depuis-des-decennies_6200560_3232.html

Jouin, S. (2023, Octobre 10). Barbie : une campagne marketing aux 150 millions de dollars. Récupéré sur Affect: https://www.afffect.fr/blog/barbie-une-campagne-marketing-aux-150-millions-de-dollars

La Dépêche. (2024, Janvier 2024). « Saltburn », le film tendance sur les réseaux sociaux. Récupéré sur La Dépêche : https://www.ladepeche.fr/2024/01/11/saltburn-le-film-tendance-sur-les-reseaux-sociaux-11691380.php

Vasseur, V. (2023, Octobre 23). « Le consentement » : comment une tendance TikTok a relancé cette adaptation du roman de Vanessa Springora. Récupéré sur France Inter: https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-consentement-sur-tiktok-le-film-adapte-du-roman-de-vanessa-springora-plebiscite-par-les-jeunes-1978640

Après 2 ans d’application, quelles sont les conséquences du décret SMAD sur la production et la diffusion du cinéma français ?

Le 1er juillet 2021, le décret SMAD fixait les règles de contribution à la production d’œuvres cinématographiques appliquées aux services de vidéo à la demande par abonnement, payants à l’acte ou gratuits (SMAD). Le texte s’applique aussi bien aux acteurs français qu’étrangers (Netflix, Disney+, Amazon Prime Vidéo) se substituant ainsi au décret de novembre 2010 qui ciblait seulement les SMAD domestiques. Les services de SVOD américains les plus populaires arrivés en France au milieu de la décennie 2010 n’étaient donc pas concernés par ces obligations au sens de la loi de 1986 sur l’audiovisuel.

Ces plateformes déjà bien implantées dans le paysage audiovisuel français doivent à présent participer aux financements d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d’expression originale française, à hauteur d’au moins 20% du chiffre d’affaires réalisé l’année précédente. Ce taux peut être porté à 25% lorsque la plateforme propose un ou plusieurs films 12 mois après leur sortie en salles. Il est important de rappeler que ces obligations concernent les productions indépendantes et non les créations dites « originales ». Concrètement, cette contribution se décline sous la forme de préachat de droits d’exploitation SVOD et de financements de travaux de développement.

Des premiers signes encourageants

Les conséquences de ces nouveaux entrants dans le financement d’œuvres cinématographiques restent encore difficiles à évaluer. En réalité, 2022 a été la première année entière d’application du décret. Le CNC n’a pas encore livré son rapport sur l’année 2023 même si quelques résultats ponctuels semblent encourageants quant à l’efficacité de ces nouveaux dispositifs. L’arrivée de nouveaux acteurs à la fin 2022 comme Apple TV+ et Paramount+ a du renforcer cette injection de liquidités dans l’industrie cinématographique. On peut noter cependant une baisse en 2022 de 3,4% des dépenses des SMAD et des services de télévision dans la production cinématographique mais qui est principalement due au recul des chaînes et au surinvestissement de Canal+ en 2021.

Les niveaux ont rejoint ceux des années pré-covid ce qui est un signe encourageant pour la filière et les SMAD jouent le jeu : leurs investissements de 58,5 millions d’euros en 2022, en hausse par rapport au 42 millions d’euros en 2021 témoignent de la volonté de ces acteurs de s’intégrer dans le système de financement du cinéma français. Antoine Boilley, membre de l’ARCOM, note que les 22 SMAD en France ont respecté leurs obligations et que certains les ont même dépassées.  

Autre signe encourageant pour l’engagement des SMAD dans leurs obligations d’investissement : après Amazon fin 2022, Netflix a signé un accord avec les organisations d’auteurs et de producteurs en septembre 2023 lors du Festival de La Rochelle pour garantir une contribution plus élevée. Cette tendance d’investissement à la hausse dans le cinéma hexagonal se reflète ensuite dans le catalogue des plateformes : en 2022, 9 600 titres différents étaient proposés avec ¾ de l’offre cinéma disponible trustée par Netflix, Prime Vidéo et MyCanal. Avec un statut hybride de plateforme VàDA et de replay, MyCanal et OCS offrent une part de films français plus importante.

Une tendance qui marque la forte progression des plateformes SVOD dans le paysage cinématographique avec un élargissement de son audience renforcée par la crise sanitaire : l’hétérogénéité des programmes et l’augmentation du temps libre ont participé à la nette progression du nombre d’abonnés. Autre explication dans ce sens et qui renforce la présence des SMAD dans les usages de consommation du cinéma : la généralisation des téléviseurs connectées dans les foyers (45,5% en 2021) qui proposent les plateformes SMAD à portée de télécommande et l’utilisation du mobile de plus en plus présente (+11,7% entre 2018 et 2022).    

Un changement important dans la chronologie des médias

      L’autre changement du décret SMAD concerne la chronologie des médias : avec des obligations de financement plus importantes, les plateformes ont vu leur fenêtre d’exploitation se rapprocher de la sortie salle, passant de 36 mois à 17 mois (15 en cas d’accord avec le cinéma français comme c’est le cas pour Netflix). Les chaînes cinéma payantes restent à 9 mois (sauf Canal+ à 6 mois du fait de son accord professionnel et qui souhaite jouer un rôle de plus en plus important dans le financement du cinéma). Les fenêtres d’exploitation des chaînes gratuites (France Télévisions, TF1, M6) ne changent pas en restant à 22 mois. L’évolution la plus notable est donc le passage des plateformes SVOD avant les chaînes gratuites dans les fenêtres d’exploitation.

Un passage qui pourrait renforcer la désaffection lancinante des audiences pour la télévision au profit des SMAD mais qui répond en partie à la révolution des usages marquée par une consommation fragmentée, des plateformes différenciées et des changements dans les modes de distribution. Il est bon de rappeler que les chaînes linéaires demeurent un pilier du secteur cinématographique avec 78,2% des dépenses des diffuseurs en 2022. Pour Antoine Boilley (ARCOM), “Ces données traduisent la place privilégiée et prépondérante des groupes audiovisuels dans le financement de la création audiovisuelle et cinématographique. […] Il en va de toute la dynamique du financement de notre industrie de programmes dans l’audiovisuel et le cinéma”. D’autant que les chaînes ont obtenu un accord de co-exploitation avec les plateformes : lorsqu’un film est exploité sur une chaîne TV linéaire, il est alors retiré de la plateforme de streaming pour la durée d’exploitation.

Des craintes qui persistent

Le décret SMAD ne semble pas pour autant rassurer l’ensemble du secteur. Certains craignent des déséquilibres de plus en plus forts entre petites et grosses productions. “Les plateformes concentrent leurs investissements sur très peu d’œuvres” regrette Sébastien Borivent, DG de Tetra Media Studio. Selon le CNC, entre 2018 et 2022, la moitié des investissements des plateforme est allée dans le format série. La Présidente du collège audiovisuel du SPI (Syndicat des Producteurs Indépendants), Nora Melhli, s’inquiète : “L’arrivée des plateformes n’a pas irrigué le secteur comme on l’espérait. Les risques sont grands. On est peut-être à la veille de l’effondrement d’une bulle”.

Le producteur de cinéma, Saïd Ben Saïd, dans une interview au journal Le Monde, décrit une stratégie néfaste pour le secteur : “Aujourd’hui, les plateformes envahissent nos marchés. Au lieu d’aider les distributeurs, les producteurs et les exploitants indépendants à y résister, on lance la grande fabrique de l’image pour faire de la France une terre d’accueil pour les plateformes américaines. On ne sauve pas le cinéma français en en faisant un prestataire de services pour Netflix. Ça ne fonctionne pas comme ça.”

Avec les pressions que peuvent faire subir les SMAD, surtout les plus importants, sur le législateur, les tensions entre les différents acteurs n’ont pas disparu. On se souvient de Disney menaçant de sortir ses blockbusters annuels directement sur Disney+ si la chronologie des médias n’était pas révisée à son avantage. Les studios semblent avoir compris depuis qu’une exploitation en salle reste le meilleur moyen pour rentabiliser de tels projets et des stratégies de distribution hybrides commencent à apparaitre.    

Enfin dernier sujet d’interrogation qui plane : le bénéfice des SMAD dans l’exposition du cinéma français. Même si la contribution financière des plateformes au financement des œuvres cinématographiques semble acquise, leur visibilité au sein des plateformes ne suscite pas la même attention. Les 2/3 des films consommés sur les plateformes sont américains alors que la part de marché des films français est de 20%. Une ventilation stable depuis 3 ans mais qui reste déconnectée de l’exploitation salle où les films américains sont en général à 40% de part de marché à égal avec le cinéma français.

En prenant une focale plus large, on peut s’inquiéter de la visibilité des acteurs nationaux lorsque l’écran d’accueil des téléviseurs connectés s’apparente de plus en plus à une grille d’applications avec Google au premier plan. YouTube représenterait 30% du temps d’écran consommé sur ces téléviseurs, éclipsant donc en partie les productions audiovisuelles et cinématographiques françaises.     

Il ne faut pas oublier les autres menaces qui planent sur le secteur cinématographique français : une inflation grimpante qui grignote les budgets, des taux bancaires importants, des grèves qui se multiplient chez les techniciens intermittents, le recul de l’audiovisuel public. Sur ce dernier point, le décret SMAD ne permet pas d’effacer les incertitudes qui planent quant à la trajectoire budgétaire de France Télévisions, premier financeur de la fiction française (288M€ en 2022-2023). Nora Melhi ajoute : “Nous avons besoin d’un audiovisuel public fort. Que France Télévisions et Arte, nos deux premiers partenaires, soient confortés dans leur rôle. Et qu’ils renforcent leurs financements. C’est un enjeu démocratique.”

Au lendemain de la crise sanitaire, le décret SMAD a permis d’injecter de nouvelles liquidités bienvenues dans le système de financement du cinéma français en s’intégrant aux côtés des diffuseurs historiques. Les changements des modes de diffusion et des habitudes de consommation dans les foyers français ont renforcé cette intégration sur laquelle il était nécessaire de légiférer. Mais certains acteurs trouvent que cette intégration délaisse en partie le modèle de protection culturel des organisations indépendantes domestiques. La coexistence avec les diffuseurs doit encore être structurée. Les chiffres de 2023 du CNC devraient permettre de confirmer cette tendance d’investissement à la hausse en positionnant les plateformes comme un acteur important dans le rebond de la production cinématographique.

Sacha Szydywar

Sources :

  • Décret SMAD du 22 juin 2021, Article rédigé par Pierre Abouchahla, DG d’Écran Total pour le magazine Écran Total, publié le 23/06/2021
  • Un investissement en production de 1,6 milliard d’euros en 2022 (+12%) par les chaînes et plateformes, Article d’Isabelle Repiton pour Écran Total, publié le 19/12/2022
  • La Rochelle 2023 : la bonne santé de la fiction française n’efface pas les inquiétudes de la filière, Article d’Isabelle Repiton et Estelle Aubin pour Écran Total, publié le 20/09/2023
  • Saïd Ben Saïd, producteur de cinéma : il y a trop de films et beaucoup se ressemblent”, propos recueillis par Jacques Mandelbaum pour le journal Le Monde, publié le 05/10/2022
  • Observatoire de la vidéo à la demande, Rapport du CNC par Cécile Lacoue, directrice des études, des statistiques et de la prospective du CNC publié le 27/01/2023
  • SVOD et financement : les bêtes noires de la chronologie des médias, entretien avec Pascal Rogard (SACD) et Pascal Lechevallier (What’s Hot Media) pour MediaSchool
  • Nouvelle chronologie des médias : des changements mais pas de bouleversements, Article pour MC2I Experts publié le 23/02/2022
  • Le décret SMAD pourrait générer jusqu’à 1,5 Md€ pour la production française d’ici 2024 selon NPA Conseil, Estimations pour The Media Leader, publié le 20/09/2021

Sur petits et grands écrans, l’animation française à la conquête du monde : les raisons stratégiques d’une success story tricolore

Le point commun entre les films Super Mario Bros, Ninja Turtles : Teenage Years, Miraculous et Migration ? Ce sont des productions Made in France ET de véritables hits à l’international. Depuis plusieurs décennies, la France est parvenue à développer une véritable expertise dans le secteur de l’animation, attirant l’attention de l’industrie cinématographique mondiale, y compris les géants d’Hollywood et du marché de l’animation japonaise. On parle aujourd’hui « d’âge d’or » de l’animation française, appréciée non seulement pour sa créativité et sa qualité technique, mais aussi pour sa capacité à toucher un public très diversifié. De nos jours, les plus grands studios américains et japonais s’arrachent les talents français, tandis que les sociétés d’animation tricolores sont sollicitées sur des licences d’envergure internationale (entre autres, Star Wars, League Of Legends, Super Mario, Les Tortues Ninja…). Focus sur les atouts stratégiques contribuant à la réussite de cette « exception culturelle française. »

UN SOCLE ÉDUCATIF UNIQUE 

La France dispose d’un terreau particulièrement fertile d’écoles renommées spécialisées dans l’animation ; Les Gobelins, l’ESMA, Rubika, ARTFX et MoPA figurent parmi les meilleures formations d’animation au monde d’après le classement établi par l’Animation Career Review. Ces écoles fournissent aux étudiants toutes les compétences nécessaires pour exceller dans le secteur, elles sont notamment réputées pour leur capacité à enseigner toutes les techniques d’animation, 2D comme 3D, là où les écoles américaines ont par exemple fait le choix de pleinement se focaliser sur la 3D au tournant des années 2000, délaissant les techniques d’animation traditionnelles. À l’inverse, le Japon a longtemps manifesté sa réticence à l’égard de la 3D, accusant aujourd’hui un lourd retard technologique et artistique sur ses pays concurrents. La diversité des techniques et des influences artistiques est au coeur des formations françaises. Elles sont en lien étroit avec l’industrie, car ce sont généralement des professionnels en activité qui enseignent dans ces écoles. La France offre ainsi aux jeunes des formations d’une grande qualité, perpétuellement alimentées par les meilleurs professionnels du secteur. 

Contrairement à ses voisins anglo-saxons, ces formations s’étalent sur plusieurs années et sont généralement peu coûteuses. Face à l’explosion de la demande internationale, ces écoles, autrefois peu connues et relativement « niches », font désormais face à une explosion de leurs effectifs. D’après une étude du CNC, le nombre d’étudiants spécialisés en animation devrait doubler d’ici 2030. Ces écoles sont regroupées au sein du RECA, un réseau d’intérêt général qui vise à « favoriser la lisibilité de l’offre en formation dans le secteur de l’animation » et « faciliter le dialogue entre les écoles et avec les professionnels dans le respect d’une déontologie commune » selon ses fondateurs. Les écoles françaises bénéficient ainsi d’une visibilité internationale, convoitées par les jeunes talents du monde entier. 

UN SOUTIEN INSTITUTIONNEL INDÉFECTIBLE

L’animation en France bénéficie du soutien des institutions culturelles et gouvernementales. Le CNC soutient financièrement la production d’œuvres animées françaises : en 2022, les aides du CNC couvraient 18% des devis en animation. Pour la télévision, 50 programmes français ont été aidés en 2022, soit plus de 1600 épisodes. À noter que France Télévisions demeure depuis plus de 10 ans le premier groupe européen commanditaire de programmes d’animation français. Au cinéma, 13 productions animées d’initiative française ont été aidées par le CNC en 2022, c’est un record. 

Le CNC vise également à instaurer un cadre réglementaire favorable au développement de cette industrie à l’international. Particulièrement depuis plusieurs années, encourager l’animation Made in France est devenu un véritable enjeu pour faire face à la compétitivité accrue des autres pays. Depuis 2016, le crédit d’impôt international (C2I) favorise les collaborations internationales. Les entreprises étrangères sont davantage enclines à travailler avec des studios d’animation français, car en plus de leur précieux savoir-faire, les dispositifs fiscaux mis en place sont très avantageux. En 2022, 52 œuvres d’animation agréées au C2I ont généré près de 190M€ de dépenses en France ; c’est deux fois plus qu’en 2019. Dans le contexte du plan d’investissement national France 2030 et de l’appel à projet La grande fabrique de l’image (sous la supervision du CNC), le soutien envers la filière devrait se consolider. L’objectif est d’abord de soutenir de manière durable les projets portés par des acteurs majeurs comme Illumination MacGuff (Moi Moche et Méchant, les Minions, SuperMario Bros), Xilam (Oggy et les cafards, J’ai perdu mon corps), Blue Spirit (Ma vie de Courgette, Blue Eye Samurai) ou Mikros Images (Bob L’éponge, Pat’Patrouille, Asterix) ; tout en favorisant le développement de studios créatifs en croissance, comme MIAM ! (Edmond et Lucy) et Fortiche (Arcane, Rocket & Groot).  

UNE « FRENCH TOUCH » DÉSIRÉE

La France est reconnue pour son cinéma d’auteur, et cela s’applique également à l’animation. Les créateurs français ont souvent la liberté artistique nécessaire pour développer des projets originaux et innovants, contribuant ainsi à l’émergence de films d’animation uniques. Chez son voisin outre-atlantique, il est d’usage de constituer des pools d’auteurs et de réaliser une multitude d’études de marché afin de déceler le plus précisément possible les attentes du public, dans une logique de rentabilité et de minimisation des risques. En France, le modèle est beaucoup plus léger, la vision de « l’auteur » demeure au coeur des processus de création : d’une certaine façon, chaque œuvre est un prototype. La diversité de techniques utilisées, des influences et des scénarios déployés ont façonné ce style d’animation unique, une « french touch » reconnue mondialement pour son exigence, sa qualité, son design et sa sensibilité. Les oeuvres sont si éclectiques qu’elles parviennent à capter les publics du monde entier : en 2023, nos salles obscures ont accueilli l’ambitieux polar de SF Mars Express, le somptueux conte onirique Sirocco ou encore la comédie haut en couleur Linda veut du poulet ! Ces films, bien que très différents, ont pour facteur commun leur succès, critique comme commercial. 

Leur carrière est boostée par l’international avec souvent la moitié du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger, à l’instar du film français Le Petit Prince (2015) qui a enregistré 18 millions d’entrées sur 65 territoires. Pour Marc du Pontavice, PDG des studios Xilam, la réussite de l’exportation française s’explique par la qualité unique de l’animation : « Les Européens et particulièrement les Français ont appris le métier dans un creuset d’influences très variées et ont créé leur propre identité graphique qui du coup s’exporte très bien. Elle est très universelle, moins américano-centrée ou japono-centrée que nos concurrents. » La FRanime s’exporte si bien à l’international que certains auteurs français se retrouvent propulsés aux manettes de superproductions françaises d’initiative étrangères, à l’instar de Benjamin Renner (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard), réalisateur sur Migration (Universal, Illumination). 

DES COLLABORATIONS INTERNATIONALES

La France a su établir des collaborations fructueuses avec des studios étrangers, européens, américains et japonais. En 2022, 7 films d’animation sur 10 étaient des coproductions internationales. Les producteurs se tournent vers leurs voisins européens et internationaux pour trouver des fonds et veiller à l’adéquation entre le produit final et les publics internationaux. Selon le CNC, entre 2012 et 2021, le financement international représentait 25% du financement global des films d’animation d’initiative française. Aujourd’hui, le taux approche les 30%. La production d’animation française se veut donc par principe international, avec 80% à 90% de coproductions européennes.

Notons le rôle croissant des plateformes dans la production française. Les quelque 120 studios d’animations français collaborent de plus en plus régulièrement avec les plateformes de streaming : en 2020, Xilam réalisait plus de 50% de son chiffre d’affaires avec Netflix et Disney+.  « Il y a 5 ans, l’essentiel de notre chiffre d’affaires provenait des chaînes françaises et des réseaux de chaînes étrangères » relève Marc du Pontavice. Ces plateformes ont tendance à privilégier l’animation destinée à un public adulte, là où les chaînes de télévision publiques et européennes se focalisent davantage sur l’animation pour enfants. Cependant, l’animation pour adulte progresse partout, chaînes comme plateformes sont conscientes des vastes poches de marché sur ce segment. Les récentes séries Netflix à succès Arcane et Blue Eye Samurai en sont les parfaits exemples. Arcane, produite par le jeune studio français Fortiche, est l’une des séries animées les plus chères de l’histoire, avec un budget avoisinant les 80M$, soit dix fois le budget d’une série d’animation classique. Blue Eye Samurai, produite par Blue Spirit, a été renouvelée par Netflix moins d’une semaine après sa sortie, preuve de son incontestable succès. Ce type de séries, largement saluées par la critique pour la singularité et la beauté de leurs graphismes, a le vent en poupe sur les plateformes.

PERSPECTIVES DE MARCHÉ

Ainsi, la haute qualité d’animation demeure l’avantage concurrentiel principal de la FRanime, c’est un atout stratégique puissant mais fragile, challengé par de multiples enjeux. Pensons notamment aux avancées technologiques majeures que connait ce secteur actuellement, particulièrement sur le terrain de l’intelligence artificielle : Jeffrey Katzenberg, le co-fondateur de DreamWorks, estime que 90 % des artistes pourraient être remplacés par l’IA dans les années à venir. Les besoins en main d’oeuvre pourraient structurellement diminuer, créant davantage de compétition entre les animateurs…

Benjamin Attia

SOURCES

Sébastien Denis, « De Toy Story à J’ai perdu mon corps : III. L’animation industrielle et ses alternatives, NECTART, 17, 84-93

« Le marché de l’animation en 2022 », CNC, 13/06/2023

Jérôme Lachasse, « Pourquoi le cinéma d’animation français est le plus envié au monde », BFM, 16/06/2023

« Cinéma d’animation : les écoles françaises s’imposent à l’international », CNC, 01/09/2022

« Le cinéma d’animation français brille dans les salles obscures du monde entier », Gouvernement, 16/01/2024

Maxime Delcourt, « Le cinéma d’animation, grand fleuron de la France à l’étranger », Slate FR, 21/08/2023

Jérôme Lachasse, « Pourquoi l’animation pour adultes est si difficile à produire », BFM, 17/06/2023

Miotisoa Randrianarisoa & J. Paiano, « 90 % des artistes des studios de films d’animation risqueraient d’être remplacés par l’IA », 11/01/2024. 

Cinéma et jeu vidéo : deux arts irréconciliables ? 

Tomb Raider, Silent Hill, Assassin’s Creed, Uncharted…depuis la sortie de Super Mario Bros dans les années 90, les jeux vidéo sont régulièrement adaptés pour le grand écran. Une source d’inspiration inépuisable  pour l’industrie du cinéma, comme en témoigne la sortie d’un nouveau film – un dessin animé cette fois – consacré au petit bonhomme à casquette rouge. Bien que ces aventures épiques soient souvent controversées, elles témoignent de la popularité croissante des jeux vidéo en tant que source d’inspiration pour l’industrie cinématographique.
En 1998, les frères Le Diberder déploraient déjà les « résultats lamentables » des adaptations cinématographiques de jeux vidéo, à l’instar de  Final Fantasy: The Spirits Within, fustigé à la fois par  la critique et les fans du jeu. Beaucoup justifient  ces échecs par les faiblesses des jeux d’origine. Néanmoins,  il serait pertinent de s’interroger davantage sur les différences fondamentales entre ces deux médias qui les rendent incompatibles.

Le risque de vouloir faire plaisir à tout le monde

Les franchises de jeux vidéo sont devenues de véritables phénomènes de société, avec des communautés de joueurs actives et passionnées. De nombreux cinéastes y voient donc  une opportunité de « surfer » sur la notoriété déjà bien installée de certains univers, tout en attirant un nouveau public par le cinéma, un média plus accessible. Ainsi, si des films comme Resident Evil ou Assassin’s Creed ont connu un certain succès au box-office, c’est notamment parce que ces deux licences étaient  déjà bien connues du grand public. Elles ont ainsi pu compter sur un public de curieux, non initié, mais aussi sur  leurs  fans, présents pour  s’assurer de la fidélité du film au jeu d’origine.
Par ailleurs, adapter une licence au cinéma permet de démocratiser le jeu vidéo auprès du  grand public. Mais ce double ciblage, qui espère transformer les cinéphiles en gamers et inversement,  pose problème. En voulant faire plaisir à tout le monde, bon nombre de réalisateurs et scénaristes se sont perdus concernant la direction à donner à leur adaptation, donnant lieu à des maladresses mémorables. C’est notamment ce qui a été reproché à la première adaptation de Super Mario Bros au cinéma, en 1993 : en voulant constamment rappeler l’œuvre originale tout en le rendant accessible, beaucoup de références se sont retrouvées placées aléatoirement dans le film et sans vraiment de réflexion. Dans leurs critiques, de nombreux  fans de la franchise ont été même jusqu’à les  juger « ridicules ».

L’art subtile d’adapter avec succès les jeux vidéo au cinéma 

La narrativité

Dans l’un de ses écrits, l’universitaire américain spécialisé dans les médias, Henry Jenkins, explique que l’adaptation cinématographique des jeux vidéo est un exercice complexe car certaines caractéristiques propres à ce médium ne sont pas facilement transposables à l’écran. En effet, contrairement au cinéma, où la narrativité est au cœur de chaque construction, les jeux vidéo offrent une grande liberté au joueur qui peut influencer le déroulement de l’histoire. Cette spécificité particulièrement importante pour les joueurs, est difficile à reproduire dans un film où la narration est prédéterminée.

Au cinéma, le récit est essentiellement séquentiel ou linéaire et influence donc la façon dont le film est perçu et compris, ainsi que les choix esthétiques du réalisateur. Les films utilisent des techniques cinématographiques telles que les dialogues et les cinématiques pour raconter l’histoire de manière cohérente. Le public est ainsi un observateur passif, qui suit le déroulement du récit sans avoir de prise sur son issue.

Dans les jeux vidéo, en revanche, la narration est souvent non-linéaire, le joueur est un participant actif à la construction de l’histoire. Cela crée une différence majeure dans la construction du scénario par rapport au cinéma, où la narration est essentiellement linéaire et le public est un observateur passif. En outre, le temps de jeu d’un jeu vidéo, qui peut s’étendre sur 15 à 30 heures, contraste avec la durée d’un film, qui est généralement comprise entre 1h30 et 3h, limitant ainsi la possibilité de développer des personnages et des émotions complexes.

Pour les frères Le Diberder, auteurs de « Qui a peur des jeux vidéo », ce sont ces différences en termes de structure narrative qui créent un fossé entre cinéma et jeux vidéo.

L’interactivité

Ce fossé est renforcé par la présence (ou l’absence) d’interactivité. En effet, bien que la dimension narrative existe au sein des jeux vidéo, elle se retrouve éclipsée par ce que l’on peut appeler « l’interaction narrative » qui correspond à la notion de « jouabilité ». 

Et pour cause, le gameplay des jeux vidéo, qu’Alexis Blanchet (enseignant et chercheur français en cinéma et nouveaux médias) définit comme « l’agencement des règles imposées par le jeu et les possibilités d’appropriation de ces règles par le joueur » dans son ouvrage « Des pixels à Hollywood : cinéma et jeu vidéo, une histoire culturelle et économique » est difficilement imitable pour le cinéma. En effet, des mécanismes tels que le choix des dialogues et les embranchements narratifs ne peuvent pas facilement être reproduits au cinéma.

Dans son article consacré aux relations entre cinéma et jeu vidéo, Sandy Baczkowski conclut simplement que « On ne regarde pas un jeu, on y joue. On ne joue pas à un film, on le regarde » : devant un film, nous sommes des spectateurs, tandis que devant un jeu vidéo nous sommes de véritables joueurs. Ainsi, un jeu vidéo pourra, par exemple, offrir plusieurs histoires ou fins différentes selon les interventions du joueur, tandis que les films ont une fin unique pour tous les spectateurs.

L’immersion dans l’espace-temps

Au niveau de l’espace-temps, là aussi les deux médias diffèrent : lorsque le cinéma se caractérise par une proposition d’un récit en image, le jeu vidéo, quant à lui, est un univers numérique dans lequel les joueurs sont amenés à plonger, s’immerger voire s’enfermer pour vivre des aventures hors du temps et de l’espace. En effet, ils se déplacent au sein de l’espace et ainsi du temps, libérant le présent du jeu pour répondre à une logique de mémoire virtuelle. Le cinéma sollicite donc principalement le regard, la vue, tandis que le jeu vidéo correspond également à une dimension tactile et corporelle.

Des convergences indéniables :  le cinéma transludique

Ainsi, il paraît évident que le cinéma et le jeu vidéo répondent à des logiques qui sont, par essence, différentes à plusieurs niveaux, rendant impossible l’adaptation d’un jeu vidéo en film. 

Néanmoins, on observe ces dernières années que des convergences entre le cinéma et la vidéoludique apparaissent et se renforcent. Au cinéma, les expériences sont de plus en plus immersives : on parle alors de « remédiatisation », que Jay David Bolter et Richard Gursin définissent dans leur ouvrage « Remediation : Understanding New Media », comme la reprise des formes et techniques d’un média par un autre. On constate qu’au cinéma apparaissent des stratégies de remédiatisation pour créer davantage d’immersion pour le spectateur. Les réalisateurs utilisent des techniques de narration spécifiques pour immerger le public dans l’histoire, grâce au montage, à la mise en scène, etc… Ces techniques sont accompagnées par les avancées technologiques de ces dernières années, telles que la 3D, la 4D, les effets spéciaux, le son spatialisé, la technologie Dolby Atmos, la VR, etc… Par exemple, le film de Christopher Nolan, Dunkerque, transporte les spectateurs directement dans l’action des événements de la Seconde Guerre mondiale grâce à sa narration non linéaire, combinée à une cinématographie immersive et à une bande sonore stressante. 

A partir de ce phénomène, Martin Picard théorise l’idée de « cinéma transludique » dans sa thèse intitulée « Pour une esthétique du cinéma transludique : Figures du jeu vidéo et de l’animation dans le cinéma d’effets visuels du tournant du XXIe siècle ». Il définit ce concept comme une forme de cinéma qui aurait plus à voir avec l’esthétique des jeux vidéo et des nouveaux médias en général qu’avec les codes cinématographiques classiques du cinéma. Un film transludique reste un film « traditionnel » du fait qu’il comporte un récit avec un début, un milieu, une fin, axé sur la progression d’un ou plusieurs personnages. Les spectateurs ne peuvent donc pas intervenir dans l’action et avoir un impact sur son déroulement. Néanmoins, il intègre des éléments vidéoludiques dans sa narration et sa mise en scène et s’impose donc comme le résultat de la convergence de différentes influences, notamment à travers l’attitude ludique qui permet d’impliquer davantage le spectateur sans pour autant lui donner la maîtrise du récit, tout en conservant des conceptions et des idées qui existent depuis toujours au cinéma.

Anne-Lise Magnien

Sources

Picard M. (2009), Pour une esthétique du cinéma transludique

Marti Marc (2012), Jeux vidéo et logiques narratives

Maison des Sciences de l’Homme (2019), Culture vidéoludique !

Alix Odorico (2021), Ces raisons qui expliquent pourquoi les adaptations des jeux vidéo en film sont souvent ratées

Di Crosta Marida (2009), Entre cinéma et jeux vidéo : l’interface-film

Quel est l’impact socio-économique que les réseaux sociaux ont dans les transmissions d’un procès de célébrités ?

L’année 2022 a commencé sous les projecteurs, avec l’intense bataille juridique entre les célèbres Johnny Depp et Amber Heard, suivie par le monde entier. Cette querelle enflammée n’était pas une simple affaire de salle d’audience, elle s’est propagée sur les réseaux sociaux, conduisant à une guerre totale entre célébrités, influenceurs et fans. Chacun avait son opinion et était impatient de la défendre au fur et à mesure que le procès avançait. Cette confrontation à enjeux élevés a tenu en haleine le monde entier. Plongez dans le monde dramatique d’Amber Heard et Johnny Depp, où une relation apparemment parfaite a pris une tournure sombre.

CULVER CITY, CA, USA – JANUARY 09, 2016: Amber Heard and Johnny Depp at the Art Of Elysium’s 9th Annual Heaven Gala held at the 3LABS — Photo by PopularImages

Tout a commencé en 2012, lorsque le couple a commencé à se fréquenter, ce qui a finalement conduit à leur mariage en 2015. Cependant, des problèmes ont commencé à se manifester au paradis lorsque Heard a été accusée de plusieurs infractions, notamment l’importation illégale de Pistol and Boo en Australie. Leur relation a touché le fond en mai 2016, lorsque Heard a demandé le divorce et a obtenu une ordonnance d’interdiction temporaire contre Depp, l’accusant d’être physiquement et verbalement violent envers elle. Une déclaration sous serment de Heard a confirmé son expérience déchirante de la violence domestique tout au long de leur relation. 

En 2019, Depp poursuit Heard pour diffamation après qu’elle ait écrit un article pour le « Washington Post » détaillant son expérience en tant que survivante de violence domestique. Depp a affirmé que c’était un stratagème de Heard pour se faire de la publicité positive. La situation s’est encore aggravée en 2020, lorsque Depp poursuit le journal britannique « The Sun » pour l’avoir qualifié de « batteur de femme ». Malgré ses efforts, le juge a statué en faveur de « The Sun », entraînant le retrait de Depp de la franchise « Fantastic Beasts ».

Les batailles juridiques ne se sont pas arrêtées là. Depp s’est retrouvé dans un autre procès de diffamation dans le comté de Fairfax, en Virginie. Le dernier procès orchestré par Depp et son équipe juridique en Virginie fut un mouvement stratégique. La raison derrière le choix d’un tribunal dans le comté de Fairfax était de capitaliser sur la loi anti-SLAPP de l’État, qui n’est pas aussi complète que celle de la Californie. Pour information, SLAPP signifie poursuite stratégique contre la participation publique, et c’est une tactique souvent utilisée pour faire taire les critiques d’entités puissantes par le biais de batailles juridiques prolongées et coûteuses.

Pour empêcher de telles tactiques d’intimidation, 31 États ont adopté des lois pour protéger les accusés de telles poursuites et pour encourager la liberté d’expression. Grâce à cela, le procès a été retransmis en direct et a attiré l’attention de millions de téléspectateurs. Ce fut un moment captivant et historique où la justice l’a emporté sur l’abus de pouvoir, et qui a maintenu les gens scotchés devant leur écran.

Effets des médias sociaux sur l’image des célébrités.

Les célébrités savent que leur image publique est primordiale. Le procès de Depp, rendu public, fut une épée à double tranchant pour lui et son équipe : il a commencé par se focaliser sur la diffamation, mais est rapidement devenu plus axé sur les allégations entourant sa relation avec Heard. La puissance des médias sociaux a été pleinement exposée pendant le procès, avec des hashtags comme #justiceforjohnnydepp et #amberheardisguilty qui ont gagné en popularité. #justiceforjohnnydepp a même recueilli près de 20 milliards de vues rien que sur TikTok !

Il est clair que les gens avaient des opinions bien arrêtées sur le procès, avec une pétition Change.org pour retirer Amber Heard du casting de « Aquaman 2 », atteignant plus de 4,5 millions de signatures. Le sujet était si populaire qu’il a été mentionné dans plus de 16 millions de Tweets entre le 11 avril et le 1er juin 2022.

Malgré le drame, la popularité de Johnny Depp est montée en flèche pendant le procès, gagnant 9,56 millions de nouveaux abonnés sur les réseaux sociaux. En comparaison, il n’avait gagné que 284 582 abonnés au cours de la période précédente du 18 février au 10 avril 2022. Le jour du verdict, il a gagné 2 millions de nouveaux abonnés rien que sur Instagram ! Pendant ce temps, Heard n’a gagné que 91 511 nouveaux abonnés sur les réseaux sociaux pendant le procès, contre 1 281 au cours de la période précédente.

Dans l’ensemble, le procès a peut-être été un cauchemar de relations publiques, mais il a certainement permis aux gens de parler et de suivre leurs célébrités préférées.

La perception que le public a des acteurs a été fortement influencée par les événements récents. Fait intéressant, le sentiment négatif envers Amber Heard avait déjà atteint son apogée avant même le début du procès. Au cours du procès, les utilisateurs de Twitter ont exprimé une opinion négative de 31% de Heard, avec seulement 13% montrant une positivité et un stupéfiant 18% exprimant de la colère. Cependant, à l’approche du procès (du 18 février au 10 avril 2022), le sentiment de Twitter envers Heard était encore plus hostile, avec 32 % de négativité, 18 % de positivité et 24 % de tweets exprimant de la colère.

D’un autre côté, Johnny Depp a connu un virage vers la négativité pendant le procès. Le sentiment Twitter autour de Depp était de 27% négatif, 17% positif et 15% exprimant sa colère entre le 11 avril et le 1er juin 2022. En revanche, la période précédant le procès a vu une vision beaucoup plus positive de Depp sur Twitter, avec seulement 14% négativité, 29 % de positivité et à peine 9 % de tweets exprimant de la colère. Ces changements dans la perception du public montrent à quel point cela peut changer dans un laps de temps relativement court.

Imaginez ceci : une salle d’audience remplie de journalistes, d’avocats et du public, tous attendant avec impatience le verdict d’une affaire très médiatisée. La tension est palpable lorsque le juge lit la décision. Mais que se passe-t-il lorsqu’il n’y a pas de gagnant ou de perdant clair dans un tel cas, en particulier lorsqu’il s’agit de quelque chose d’aussi grave que des abus ? Il s’avère que dans de telles situations, le tribunal de l’opinion publique sur les médias sociaux est celui qui décide en dernier ressort qui l’emporte.

Effets des médias sociaux sur l’image et les bénéfices de l’entreprise.

L’affaire très médiatisée de Johnny Depp contre son ex-femme Amber Heard lui a non seulement rendu justice, mais elle a également renforcé la commercialisation de son image. Et qui en a le plus profité ? Nul autre que la maison de couture de luxe, Dior.

Au fur et à mesure que la base de fans de Depp se renforçait, la demande pour le parfum Sauvage de Dior dont l’acteur est le visage augmentait également. Selon l’étude de Hey Discount, les recherches Google pour le parfum ont grimpé en flèche de 48 %, passant de 823 000 en mars 2022 à 1,2 million en avril 2022, lorsque la procédure judiciaire a commencé. Et comme si cela ne suffisait pas, les vues TikTok pour Sauvage ont également augmenté de 63 % au cours de la même période. 

Après avoir remporté son procès en diffamation contre Amber Heard, Johnny Depp a maintenant obtenu un contrat lucratif avec Dior qui reflète un accord à sept chiffres. Une source liée à l’accord a révélé que la marque de luxe française avait « renouvelé son contrat » avec l’acteur de 59 ans pour continuer à être l’égérie du parfum masculin Sauvage de Dior. C’est une situation gagnant-gagnant pour Depp et Dior.

Sur Twitter, les fidèles fans de Johnny Depp demandent des excuses aux grandes sociétés cinématographiques telles que Warner Bros. et Disney pour ne pas l’avoir soutenu lors de la tumultueuse saga Amber Heard. Plus précisément, Warner Bros. avait choisi Depp dans le rôle du puissant sorcier noir Gellert Grindelwald dans « Les animaux fantastiques et où les trouver », pour le remplacer par Mads Mikkelsen après que des allégations aient fait surface concernant son implication dans la violence domestique.

Les fans étaient ravis de voir Depp se transformer en Grindelwald dans la suite, « Les crimes de Grindelwald », mais Warner Bros. a pris la décision controversée de l’effacer de la franchise. Dès la sortie du premier regard de Mikkelsen sur Grindelwald, suivi de la bande-annonce, les fans se sont déchaînés sur les réseaux sociaux, appelant au boycott du film et accusant Warner Bros. d’essayer d’effacer Depp de leur histoire cinématographique.

La bataille juridique entre Depp et Heard en 2022 a été un événement très médiatisé et dramatique qui a captivé le monde. Le procès ne s’est pas seulement limité à la salle d’audience, mais s’est également déroulé sur les réseaux sociaux, le public exprimant ses opinions et prenant parti. Il a sensibilisé à la violence domestique et à l’utilisation de poursuites en diffamation pour faire taire les critiques, tout en démontrant le pouvoir des médias sociaux. Malgré la fin ambigüe du procès, Depp a gagné en popularité sur les réseaux sociaux tandis que Heard a fait l’objet de critiques, montrant ainsi l’impact de l’opinion publique.

Blanca FERNANDEZ RIVAS

Références

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Cohen, R. (2022, 15 août). Johnny Depp’s new directing deal is the latest sign his career is on the upswing after the Amber Heard trial, PR pros say. Insider. https://www.insider.com/johnny-depp-career-directing-pr-consultants-amber-heard-trial-2022-8

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L’impact de ChatGPT sur le travail de scénaristes

Difficile d’être passé à côté ces dernières semaines : ChatGPT s’est invitée dans toutes les conversations. Ce robot conversationnel, lancé en novembre dernier, fascine autant qu’il inquiète. A tel point que Sciences Po vient d’en interdire l’usage à ses étudiants, invoquant des risques de fraude et de plagiat. Outre cela, ChatGPT menace en effet d’impacter un grand nombre de métiers.

Longtemps, les métiers artistiques se sont crus protégés des innovations technologiques : qu’en sera-t-il avec cet algorithme de génération d’éléments langagiers ? Ce nouvel outil va-t-il rendre obsolète les métiers de l’écriture ? Les Vince Gilligan, Mike White et Fanny Herrero de demain s’appelleront-ils ChatGPT, Dramatron ou Sudowrite ? À en croire un article publié sur LinkedIn par Pauline Rocafull, Directrice de la Cité Européenne des Scénaristes, des mots clefs et quelques secondes suffiraient à ChatGPT pour écrire un scénario.

Des mots clefs et quelques secondes suffisent à ChatGPT pour écrire un scénario


Une révolution qui rendrait donc caduque le travail de scénariste, particulièrement plébiscité à l’heure du binge-watching. L’heure n’est pourtant plus à la Peak TV, cet âge d’or de la télévision marqué par un grand nombre de productions de grande qualité : en témoignent les annulations de séries en série. Celles-ci sont de plus en plus fragiles face aux contraintes financières des diffuseurs. Dans ce contexte de fort ralentissement de la croissance, chaînes et plateformes devraient réduire leur volume de production pour diminuer les coûts et ainsi contribuer à une meilleure rentabilité. Avec le développement de l’intelligence artificielle, les postes de dépense liés à l’écriture pour la production de contenus pourraient-ils être réduits, grâce à ces outils à même de contourner le travail des auteurs ?

Les séries sont de plus en plus fragiles face aux contraintes financières des diffuseurs


Mais qu’est-ce exactement que ChatGPT ? L’intéressé se présente comme un modèle de langage capable de répondre à tout type de questions, développé par OpenAI, une startup américaine spécialisée dans la recherche en IA. Il s’agit d’un modèle de deep learning, capable de générer des séquences de mots ressemblant à du texte produit par des humains, ayant été entraîné sur un grand corpus de données textuelles – tout l’Internet. Traduction, rédaction de contenu, synthétisation : le champ d’applications est considérable. En d’autres termes, un nouvel outil révolutionnaire qui évoque la disruption dans de nombreux secteurs, dont celui de l’entertainment qui nous intéresse ici.

Ces dernières semaines, les exemples d’histoires conçues par des IA fleurissent sur les réseaux sociaux. Il suffit ainsi de demander à ChatGPT un scénario de film qui pourrait plaire à Télérama, et le chatbot de dévoiler en quelques secondes un scénario fictif, dont on peut s’amuser à penser qu’il prétende en effet aux fameux 4T du magazine. Les résultats fournis par ChatGPT sont aussi édifiants qu’ils prêtent ici à sourire. Le logiciel a depuis été utilisé par des millions de curieux dans le monde, qui l’alimentent de nouvelles données dans le même temps.

Les Vince Gilligan, Mike White et Fanny Herrero de demain s’appelleront-ils ChatGPT, Dramatron ou Sudowrite ?


Les exemples d’utilisation d’IA dans le processus d’écriture cinématographique se multiplient. À l’image du showrunner français Simon Bouisson, créateur de séries acclamées comme Stalk (Francetv). Dans le cadre de la résidence de la Villa Albertine en Californie, qui fait se croiser cinéma et nouvelles technologies, il a rencontré des ingénieurs de la Silicon Valley, qui l’ont conduit à écrire le scénario de son prochain film avec une intelligence artificielle, en l’occurrence ChatGPT. Dans une interview au webmagazine L’ADN, il déclare avoir gardé environ 30% des propositions soumises par ChatGPT, aux différentes étapes de son processus. Concrètement, il sollicitait ChatGPT, qui en retour lui proposait des pistes auxquelles il n’aurait pas forcément pensé : « comme une dérive situationniste, la machine va à chaque fois m’emmener vers quelque chose de complètement inattendu. En fait, c’est comme quand je travaille avec mes coscénaristes. Comme je ne suis pas dans le cerveau de l’autre, il y en a toujours un qui arrive à une suggestion surprenante ». L’équivalent des writer’s rooms, ces salles d’écriture où se réunissent les scénaristes pour écrire les séries. Chez OpenAI, il existe même des paramètres permettant aux auteurs d’influer sur le degré d’inventivité et d’imprévisibilité des suggestions de ChatGPT, dont a bénéficié Simon Bouisson.



C’est donc principalement dans la génération d’idées que sert aujourd’hui ChatGPT, se plaçant davantage comme un outil de complément qu’un substitut aux scénaristes, comme l’affirme Mina Lee, ingénieure PhD à Stanford : « la machine ne va pas écrire à votre place mais elle va vous pousser à le faire ». C’est pourquoi les scientifiques travaillent sur de nombreux modèles de langage basés sur l’IA, attirant l’intérêt des géants du numérique. Par exemple, DeepMind, filiale d’Alphabet, maison-mère de Google, a créé Dramatron, un outil de coécriture capable de générer des descriptions de personnages, intrigues et dialogues. Microsoft, de son côté, s’est récemment engagé à investir 10 milliards de dollars supplémentaires dans OpenAI, d’après Bloomberg.

Mais pour comprendre l’impact de cette forme d’IA sur les pratiques d’écriture, il faut décomposer l’art de l’écriture en deux aspects : les compétences en écriture et l’intention communicative. Or si les modèles sont déjà capables de créer leur propre style, il leur manque encore indéniablement l’intention communicative, cruciale chez les humains, surtout pour des tâches créatives comme l’écriture de scénario. Le data scientist Yves Bergquist résume cela : « pour l’heure, le problème de ChatGPT, c’est la régurgitation de mots. Ce sont des mathématiques, de la prédiction. On est bluffé par le résultat, mais c’est l’humain, au fond, qui parle derrière la machine ». Autrement dit, le problème sera toujours le même : la machine ne comprend pas ce qu’elle régurgite. Des propos appuyés par le créateur de Siri, Luc Julia, pour qui le deep learning ne pourra jamais imiter le cerveau : l’humain a une capacité d’improvisation et d’abstraction que la machine n’aura jamais.

Il manque encore aux modèles de langage l’intention communicative, cruciale chez les humains


Mais au fait, qu’en pense le principal intéressé, ChatGPT ? Selon lui, les modèles de langage « peuvent aider les scénaristes à économiser du temps et de l’énergie en générant rapidement des idées, et les aider à explorer des pistes qu’ils n’auraient pas forcément considérées ». Ils peuvent ainsi aider les scénaristes mais ne les remplacent pas, puisque ceux-ci restent les créateurs et que les décisions créatives relèvent toujours de leur responsabilité. ChatGPT ferait-il de la langue de bois ? En creusant un peu, il ajoute : « La création de scénario nécessite une certaine dose de créativité et de compréhension de l’histoire et de la structure narrative. Les modèles de langage continueront probablement à s’améliorer et devenir de plus en plus avancés dans la génération de contenu, mais ils ne peuvent pas encore remplacer la créativité humaine et l’expérience professionnelle des scénaristes ». Ici, un mot interpelle, “encore” : les modèles actuels ne peuvent pas encore remplacer les scénaristes professionnels. Mais alors, quid dans un futur proche ? Peut-on envisager des scénarios entièrement écrits par des intelligences artificielles à terme ? Selon des chercheurs de l’Institut Jean-Nicod dans une tribune du Monde, il est tout à fait possible que ChatGPT dépasse un jour les humains en matière de compétences génératives, puisque ses modèles d’IA utilisent des milliards de textes pour produire des textes similaires au corpus sur lequel ils ont été formés.

Il est tout à fait possible que ChatGPT dépasse un jour les humains en matière de compétences génératives


La qualité des scénarios générés dépend de la qualité des données ingurgitées par la machine, qui ne lui permet pas encore de rédiger des scénarios de qualité professionnelle en autonomie. ChatGPT ne s’est encore entraîné que sur des textes libres de droit, donc pas sur l’intégralité des meilleures œuvres cinématographiques. Mais qu’en sera-t-il si tous les studios détenteurs de scripts décident de fournir aux IA leurs propriétés pour les alimenter et les entraîner ? Peut-on envisager un nouveau segment pour les distributeurs de propriété intellectuelle, qui consisterait à ouvrir leur catalogue et vendre leurs scripts aux éditeurs de modèles de langage ? Si tel est le cas, combien faudra-t-il de temps avant que les IA ne produisent des scripts du niveau des meilleures œuvres de l’humanité ? Récemment, c’est le média américain Buzzfeed qui a déclaré vouloir utiliser ChatGPT pour rédiger ses articles : résultat, une hausse de 150% de son action en bourse. Hollywood franchira-t-il un jour le pas ? Affaire à suivre…

Néanmoins, le mantra d’OpenAI est de protéger l’humanité d’une éventuelle IA mettant en danger sa survie et son progrès : pour ce faire, la firme compte bientôt rendre payant ChatGPT, limitant ainsi son usage à des sphères plus avisées. Son évolution devra donc être surveillée pour ne pas précariser le travail des scénaristes, et assurer leur pérennité. Quoi qu’il en soit, plus le temps passera, et plus les scénarios que nous verrons sur écran seront susceptibles d’avoir été conçus par des IA. Et même, comment être sûr que cet article que vous lisez n’a pas lui aussi été écrit par ChatGPT ?

Thomas Corver

Sources :

Chat GPT Proves that AI Could Be a Major Threat to Hollywood Creatives – and Not Just Below the Line, Yahoo Entertainment (décembre 2022)

The ChatGPT bot is causing panic now – but it’ll soon be as mundane a tool as Excel, The Guardian (janvier 2023)

https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/jan/07/chatgpt-bot-excel-ai-chatbot-tech

Deep Fake Neighbour Wars: ITV’s comedy shows how AI can transform popular culture, The Conversation (janvier 2023)

https://theconversation.com/deep-fake-neighbour-wars-itvs-comedy-shows-how-ai-can-transform-popular-culture-198569

AI Panned My Screenplay. Can It Crack Hollywood?, Bloomberg (août 2022)

https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2022-08-16/will-artificial-intelligence-ever-crack-the-code-for-hollywood-blockbusters

Intelligence artificielle : Sciences Po Paris interdit l’utilisation de ChatGPT à ses étudiants, France Info (janvier 2023)

https://www.francetvinfo.fr/internet/intelligence-artificielle-sciencespo-paris-interdit-l-utilisation-de-chatgpt-a-ses-etudiants_5625743.html

Post LinkedIn Pauline Rocafull (décembre 2022)

Pause séries : la fin de l’âge de la « Peak TV », Le Monde (septembre 2022)

https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/09/16/pause-series-la-fin-de-l-age-de-la-peak-tv_6141927_3246.html

‘Snowpiercer,’ ‘Minx,’ ‘Dangerous Liaisons’ and Other Abrupt Cancellations Signal TV’s Latest ‘Reset Moment’, Variety (janvier 2023)

https://variety.com/2023/tv/news/snowpiercer-minx-cancellations-tv-reset-1235504910/

Growth in content investment will slump in 2023, Ampere Analysis (Janvier 2023)

https://www.ampereanalysis.com/press/release/dl/growth-in-content-investment-will-slump-in-2023

Aux Etats-Unis, la France va créer la Villa Albertine, une nouvelle résidence d’artistes, à l’automne, Le Monde (juillet 2021)

Il écrit son prochain scénario avec une I.A. Et le résultat le fascine, L’ADN (juin 2022)

https://www.ladn.eu/mondes-creatifs/ia-creativite-ecriture-scenario/

Dramatron, une IA signée DeepMind capable de générer un script de film, BeGeek (décembre 2022)

https://www.begeek.fr/dramatron-une-ia-signee-deepmind-capable-de-generer-un-script-de-film-376526

Microsoft Invests $10 Billion in ChatGPT Maker OpenAI, Bloomberg (janvier 2023)

https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-01-23/microsoft-makes-multibillion-dollar-investment-in-openai#xj4y7vzkg

« Nous proposons l’appellation “quasi-texte” pour les séquences de mots produites par ChatGPT », Le Monde (janvier 2023)

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/30/nous-proposons-l-appellation-quasi-texte-pour-les-sequences-de-mots-produites-par-chatgpt_6159806_3232.html

How Artificial Intelligence Might Change the Way Hollywood Tells Stories, The Wrap (octobre 2018)

BuzzFeed just announced it’s going to use A.I. to start creating content—and the stock market loves it, Fortune (janvier 2023)

https://fortune.com/2023/01/26/buzzfeed-openai-artifcial-intelligence-stock-spac-facebook-meta-instagram/

La start-up OpenAI prévoit une version payante de son robot conversationnel ChatGPT, Le Figaro (janvier 2023)

https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/la-start-up-openai-prevoit-une-version-payante-de-son-robot-conversationnel-chatgpt-20230111

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