Réforme de l’audiovisuel français : les assouplissements publicitaires

Le projet de loi de réforme de l’audiovisuel est un réel big bang dans le secteur et modifie en profondeur la loi du 30 septembre 1986.  

Les quatre sujets principaux de cette réforme sont la suppression du canal hertzien de France 4 et France Ô, la formation d’un trust public rassemblant France Télévision et Radio France, l’obligation des plateformes de SVOD étrangères de financer la création française et l’évolution de la publicité en télévision. Cette réforme a notamment pour objectif l’assouplissement publicitaire.  

La publicité segmentée ou publicité localisée  

Les campagnes de publicités en télévision pourront être ciblées et éventuellement personnalisées en fonction du profil et des données disponibles sur chaque individu ciblé, notamment sa situation géographique. Concrètement cela signifie qu’un téléspectateur parisien et un téléspectateur nantais ne visionneront pas le même spot publicitaire. Cependant les annonceurs ne pourront pas mentionner dans ces spots l’adresse de leur magasin ou les promotions qui y sont effectuées. Selon le Syndicat National de la Publicité Télévisée (SNPTV), il s’agirait d’un surcroit de revenus de 200 millions d’euros d’ici 2022 pour les groupes audiovisuels. Le SNPVT a fait son calcul horizon 2022, car le marché ne pourra réellement s’accroitre que lorsque les décodeurs des foyers pourront intégrer les logiciels adaptés car en 2020 seulement 20% des foyers seront adressables. Par exemple sur les six millions de boitiers Orange, moins d’un tiers permettent de faire de la publicité segmentée, mais d’ici 2025, 50% du parc télévisuel français sera adressable.  

Afin d’affiner leurs campagnes publicitaires, les annonceurs disposeront de trois types de données : la géolocalisation, le génotype du foyer et les usages et comportements. Grâce aux opérateurs, il sera désormais possible de connaitre l’adresse des téléspectateurs et donc de leur proposer une publicité adressée. Les informations sur le foyer permettront de savoir s’il s’agit d’une personne célibataire, d’un couple ou d’une famille avec des enfants. La donnée la plus intéressante pour les annonceurs est celle de la présence d’enfants ou non. De plus la connaissance des usages de consommation des programmes télévisés sera un réel atout pour les annonceurs avec les différentes affinités des téléspectateurs : affinités cuisine, affinités sport, affinités séries etc.  

La publicité segmentée sera un véritable atout pour les annonceurs car le bêta de mémorisation de la télévision est de 18,4% en 2018, alors que celui des vidéos en ligne (hors catch-up tv) n’atteint que 5,7%, il est trois fois moins élevé que celui de la télévision. La publicité localisée combine potentiellement la puissance du média télé, sur lequel les campagnes restent bien mieux valorisées que sur internet, et la précision de la publicité numérique. Telles qu’elles sont actuellement créées les grilles de programmes des chaînes segmentent bien les publics en ayant des programmes pour un jeune public, pour les femmes, pour les catégories socio-professionnelles élevées etc. Par ailleurs, la télévision est le média ayant le meilleur ROI (retour sur investissement). D’après l’étude économique Ebiquity 2017 de Dentsu Aegis Network, une livre investie en télévision en rapporte quatre tandis qu’une livre placée dans le digital ne rapporte que 0,8 livre.  

Les annonceurs pourront donc adapter le message de leur campagne publicitaire en fonction de la zone de chalandise en affichant notamment des renseignements supplémentaires localisés. La mesure de l’impact de la communication sera simplifiée. Par exemple, un annonceur pourra tester quatre spots publicitaires différents dans quatre parties de la France puis étudier son influence sur les ventes au niveau local et par conséquent définir quelle campagne est la plus efficiente. La publicité segmentée permettra également d’adapter les vagues publicitaires en fonction de données exogènes telles que la météo, les pics de pollution, les épidémies ou les pics allergènes. Concrètement cela signifie qu’un annonceur pourra choisir de communiquer davantage dans une zone géographique en fonction de la météo, les audiences étant plus élevées dans les zones où il pleut par exemple. Les données localisées permettront également de scénariser les campagnes en fonction des zones d’exposition des téléspectateurs. 

Cette évolution sera aussi une source de revenus supplémentaires pour les groupes audiovisuels privés car certains annonceurs locaux pourront acheter de l’espace publicitaire sur une zone ciblée alors que leur campagne de communication ne justifierait pas le lancement d’une campagne télévisée au niveau national. Les annonceurs pourront également affiner leur target, en ciblant par exemple uniquement des urbains affinitaires cuisine.  

Néanmoins le gouvernement souhaite limiter la portée de ces campagnes publicitaires à la télévision pour préserver les recettes générées par la publicité à la radio ou dans la presse locale. La publicité adressée en télévision sera restreinte à deux minutes par heure ainsi que par un volume journalier précis.  

Les projets d’assouplissements publicitaires TV  

La publicité localisée n’est pas la seule évolution de la publicité proposée dans le projet de loi de réforme de l’audiovisuel. La mise en place d’une troisième coupure publicitaire dans les films et téléfilms de plus d’une heure trente sur les chaînes privées est à l’étude. Cela signifiera que les groupes audiovisuels n’auront plus besoin d’espacer les coupures publicitaires de vingt minutes et cela permettra une plus grande flexibilité dans les médiaplannings. Cet assouplissement devrait être adopté par décret.  

Par ailleurs, un nouveau secteur va être ouvert à la publicité TV : le cinéma. Le cinéma pourra enfin être promu à la télévision avec le passage de bandes-annonces durant les coupures publicitaires. Un quota pour les films européens d’art et essai sera institué afin d’éviter que le secteur soit absorbé par les blockbusters américains et les productions françaises à gros budget.  

Cette réforme de l’audiovisuel permettra également l’ouverture au spot de téléachat en publicité TV, ce qui signifie faire la promotion d’un produit précis en annonçant son prix mais également en transmettant l’URL du site internet sur lequel le produit est vendu.  

Le dernier point concernant la publicité TV présent dans cette réforme de l’audiovisuel français est la mise en place des écrans partagés lors des retransmissions sportives permettant de diffuser des spots publicitaires courts. En fait, cela signifie que lors d’un match de football, quand l’arbitre fait appel à l’assistance vidéo à l’arbitrage, l’écran pourra être coupé en deux et un spots de dix secondes sera diffusé sur une partie de l’écran.  

Ce projet de loi prévoit de nombreux bouleversements dans le paysage audiovisuel français.  

Sources :  

Alexia MONTEIRO LAFFITTE

Le renouveau de la publicité audiovisuelle

Le constat est simple : l’audiovisuel se porte mal et les chaînes nécessitent de nouvelles ressources. Les opérateurs historiques sont confrontés à la violence d’une concurrence frontale avec les nouveaux entrants (GAFAN – Google, Amazon, Facebook, Appel, Netflix – et grandes plateformes de SVOD internationale) qui va s’accélérer avec le lancement en 2020 d’offres SVOD d’acteurs américains intégrés verticalement dans la production, tels que Disney, Warner et NBC Universal. Cette concurrence se voit aggravée par le poids d’une régulation complexe et obsolète datant des années 90. Leur modèle économique basé sur la publicité, ressource financière principale du secteur, nécessite une restructuration profonde pour permettre la pérennité des acteurs.

Fragmentation des audiences et marché publicitaire stagnant

Depuis plus de 15 ans, les recettes publicitaires de l’ensemble des chaines françaises sont stables. Les chiffres précisent une faible évolution du chiffre d’affaires passant de 3,2 milliards d’euros en 2005 à 3,3 milliards en 2018. Le problème réside dans la multiplication des acteurs. Pour rappel, les six chaînes historiques ont été confrontées à la concurrence dès 2005 avec le passage à la TNT (télévision numérique terrestre) puis en 2012 avec le HD (haute définition) permettant de comptabiliser aujourd’hui vingt-sept chaînes diffusées sur le réseau hertzien. La prochaine étape consiste en l’UHD (ultra haute définition) qui impliquera, assurément, de nouvelles répercussions. 

Le digital comme facteur principal de la croissance publicitaire plurimédias

Malgré le constat précédent, on observe une croissance globale du marché publicitaire plurimédias et ce en faveur du digital. D’après la 21ème édition de l’Observatoire de l’e-pub du SRI (Syndicat des régies internet), le marché français de la publicité digitale atteint plus de 4,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires net sur l’ensemble de l’année 2018, soit une progression de plus de 17% par rapport à 2017. Les projections sont à la hausse pour 2019, pour atteindre près de 6,6 milliards d’euros en 2021, alors que le marché publicitaire audiovisuel n’a pas, a priori, vocation à augmenter. 

Mobilisation gouvernementale pour la modernisation de l’écosystème 

Lors de la présentation des objectifs du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique en septembre 2019, le Ministre de la culture a indiqué son souhait de « renforcer le dynamisme économique du secteur, en favorisant l’émergence de champions nationaux ». Cet objectif passe, entre autres, par l’assouplissement des règles publicitaires, afin de permettre aux chaînes de télévision de jouer à armes égales dans la concurrence avec les acteurs du numérique. Dans ce sens, la DGMIC (Direction générale des médias et des industries culturelles) a lancé une consultation publique sur l’assouplissement des règles relatives à la publicité télévisée à laquelle les chaînes ont été amenées à répondre en décembre 2019.

Soutien des autorités pour la réforme de la publicité audiovisuelle

Dans son avis du 8 novembre 2019, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) juge impératif d’assurer un haut niveau de financement du secteur audiovisuel français afin d’en assurer la compétitivité et le renouvellement de la création. Il accueille donc favorablement : « Les mesures visant à élargir les ressources financières des éditeurs de service, qu’elles relèvent du pouvoir réglementaire, comme c’est le cas par exemple pour la publicité ciblée, ou de la loi, à l’instar des dispositions du projet de loi relatives à la troisième interruption publicitaire d’une œuvre ou au placement de produits». L’Autorité de la concurrence s’est également prononcée en ce sens dans l’avis du 21 février 2019 : « La réglementation actuelle ne paraît plus adaptée aux conditions du marché, notamment en ce qu’elle empêche les chaînes de télévision de concurrencer efficacement les plateformes de type GAFA, sur plusieurs catégories de publicité ». Dans ce cadre, diverses solutions ont été proposées.

Levée de l’interdiction de la publicité cinéma

L’ouverture de la publicité cinéma est accompagnée d’un double quota à respecter pour les régies de télévision, à hauteur de 50% pour les films européens et de 50% pour ceux d’art et essai. L’objectif pour les chaînes est qu’elles acceptent de promouvoir les films américains de manière encadrée sans que les œuvres européennes ne soit écartées. Sur cette question, le PDG du Groupe M6, Nicolas de Tavernost, s’était prononcé lors de la dernière édition de Médias en Seine : « En l’état actuel des choses, la publicité pour le cinéma va rapporter quasiment zéro et avec des aménagements quelques millions d’euros ». Le décret finalisé précisera les modalités.

Mise en place de la publicité « ciblée »

L’autorisation de la publicité « ciblée » en télévision constitue une avancée significative en termes de rééquilibrage de la concurrence entre média de télévision et l’Internet. Comme l’indiquait l’Autorité de la concurrence dans l’avis précédemment cité : « En ce qui concerne la publicité ciblée, seuls en bénéficient en effet actuellement les acteurs de l’Internet, et avant tout Google et Facebook, qui captent l’essentiel de la croissance très rapide de cette forme de publicité dont l’efficacité est de plus en plus recherchée par les annonceurs ». Aujourd’hui, la question fondamentale réside dans le partage des données personnelles des téléspectateurs, sujet sur lequel le CSA et la CNIL (Commission nationale informatique et liberté) auraient intérêt à collaborer.

Concernant les autres modifications du décret et de la loi

Les autres mesures présentées dans le projet de décret, à savoir la diffusion de spots de téléachat et la suppression des 20 minutes séparant deux coupures successives dans les émissions de flux, contribuent à réduire l’écart de la réglementation française avec les dispositions en matière de publicité de la directive SMA (Service de médias audiovisuels), modifiée en 2018. Elles devraient apporter plus de flexibilité dans la commercialisation de la publicité, notamment plus de souplesse de programmation, et permettront de mieux exposer les annonceurs tout en assurant un plus grand confort aux téléspectateurs.

Impact des recettes générées par les assouplissements 

Les recettes générées par les assouplissements sur les règles s’imposant à la publicité audiovisuelle se feront mécaniquement au bénéfice de la filière de la création, dont le financement pèse avant tout sur la contribution des chaînes. En 2018, elles ont investi 1,2 milliards d’euros au titre de leurs obligations de production d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques, auxquels doivent s’ajouter environ 750 millions d’euros qu’elles versent au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) et aux sociétés d’auteurs. Dès lors, l’enjeu de la réforme des règles en matière de publicité audiovisuelle est fondamental.

Romane Vassal

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