Directive SMA et plateformes de SVOD : une nouvelle illustration de l’exception culturelle française

Face à la numérisation croissante des usages, les services de vidéos par abonnement américain sont progressivement intégrés aux modèles de financement du cinéma et de l’audiovisuel. Ceci est particulièrement vrai depuis l’actualisation de la directive SMA en 2018. Ce texte régit, à l’échelle européenne, la coordination des législations nationales couvrant tous les médias audiovisuels. Les États-membres de l’Union Européenne ont dû transposer le contenu de cette directive en droit interne avant septembre 2020.

Tandis que les précédentes versions de la directive concernaient les obligations des éditeurs nationaux, cette actualisation vient élargit le champ d’application aux plateformes de partage et de vidéos, aux réseaux sociaux, et au livestreaming. A l’échelle des États-membres, il existe des disparités d’application de cette directive. Tandis que certains États ont pris le parti de ne rien imposer aux services de SVOD, d’autres États comme la France ont signé des conventions historiques avec les plateformes de streaming américaines.

Les composantes et les objectifs de l’actualisation de la directive SMA

Dans la continuité de la directive SMA de 2007 et des modifications qui lui ont été apportées en 2010, l’actualisation de 2018 traduit la volonté de défendre une production audiovisuelle européenne.

Elle exige des pays membres qu’ils œuvrent, par les moyens appropriés, pour que les productions européennes soient majoritaires dans les émissions de télévision. Les États membres doivent par ailleurs encourager les organismes de radiodiffusion télévisuelle à inclure dans leurs programmations une part adéquate de coproductions européennes ou d’œuvres européennes originaires d’un autre pays. Les États membres doivent aussi veiller à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent au moins 10% de leur temps d’antenne et 10% de leur budget de programmation à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants.

De leur côté, les services de médias audiovisuels à la demande doivent favoriser la production et la diffusion d’œuvres européennes afin de promouvoir activement la diversité culturelle. Ce soutien aux œuvres européennes peut par exemple prendre la forme de contributions financières de ces services à la production d’œuvres européennes, ou à l’acquisition de droits sur ces œuvres. Ce soutien peut aussi se matérialiser par le respect d’un pourcentage minimal d’œuvres européennes dans les catalogues de vidéos à la demande, ou de la présentation attrayante des œuvres européennes dans les guides électroniques des programmes.

Tandis que la directive SMA impose des quotas d’œuvres d’origine européenne et d’œuvres indépendantes aux organismes télévisuels, elle encourage les plateformes à favoriser la production et la diffusion d’œuvres européennes, sans donner d’objectifs chiffrés. C’est pour cette raison que les transposition en droit internet des articles concernant les plateformes de SVOD diffèrent beaucoup d’un pays à l’autre.

Une inégale transposition de l’article 13(6) en droit interne

Tandis que de nombreux pays européens n’ont pas imposé de nouvelles obligations aux services de vidéo à la demande, certains pays comme la France sont rapidement entrés en négociations avec les plateformes américaines.

Le cas français 

Les précédents textes législatifs consacrés aux SMAD – je pense ici au décret du 12 novembre 2010 relatif aux SMAD – encadraient uniquement l’activité des SMAD établis en France : les services de SVOD les plus populaires n’étaient donc pas concernés par ces textes. Netflix, Amazon Prime et Disney + sont désormais concernés par ces textes européens grâce à l’extension des obligations aux services établis dans d’autres pays.

Il est ainsi prévu que les services américains de vidéo à la demande par abonnement doivent consacrer 20% ou 25% de leur chiffre d’affaire réalisé en France dans des dépenses consacrées au cinéma et à l’audiovisuel français et européens. 85% de ces dépenses devront être consacrées aux œuvres d’expression originale française. Le décret prend aussi en compte la production indépendante en exigeant des éditeurs qu’ils consacrent une grande partie de leurs obligations d’investissement dans ces productions.

Ces investissement doivent majoritairement prendre la forme de préachats avant diffusion. Ils pourront aussi se matérialiser par des achats de droits de diffusion d’œuvres existantes ou à des restaurations d’œuvres de patrimoine français.

En contrepartie de ces investissements, les plateformes américaines ont obtenu une modification de la chronologie des médias. Les délais pour voir des films à la télévision ou sur un service de SVOD ont été réduits de 36 à 17 mois, voire 15 en cas d’accord avec le cinéma français – c’est le cas pour Netflix. Pour en savoir plus, ne pas hésiter à consulter l’article de Marc Le Roy pour l’INA.

Ce n’est pas la première fois que la France impose aux géants américains de financer le système de création audiovisuel national. La SVOD américaine paie également depuis 2018 la taxe vidéo – qui comprend notamment la taxe sur les entrées dans les salles de cinéma –  qui alimente le budget du CNC. L’exception culturelle française se verra ainsi financer à hauteur de 200 millions d’euros supplémentaires en obligation d’investissement, et ce montant est voué à augmenter chaque année.

Et ailleurs en Europe ?

Selon Alexandra Labret, directrice générale du European Producers Club, la France est le pays européen le plus ambitieux, à ce jour, dans les obligations imposées aux plateformes de SVOD américaines.

Comme le détaille Variety dans cet article, l’Italie est aujourd’hui le seul pays qui tente d’imiter la France, mais pour l’instant sans succès. Aucun accord n’a été trouvé après des mois de négociations. Le pays a tout de même promulgué unilatéralement une législation en 2021 qui impose un quota d’investissement compris entre 12,5% et 20% des revenus locaux des plateformes.

Les producteurs italiens se battent pour empêcher les plateformes d’acquérir des droits d’auteur en négociant directement avec des acteurs locaux car ils veulent garder la main sur le développement des nouvelles créations italiennes. En outre, l’Italie a une fiscalité intéressante en matière de production puisque les producteurs locaux bénéficient d’un abattement fiscal de 30% sur ces dépenses. Netflix, en coproduisant avec des acteurs locaux, profite indirectement de cette fiscalité.

Les exemples français et italiens illustrent les innombrables spécificités des systèmes de financement de l’audiovisuel en Europe et matérialisent les difficultés d’application des textes européens.

Pour en savoir plus : L’observatoire européen de l’audiovisuel a mis en place un outil permettant de savoir quels pays ont transposé la directive SMA, et de quelle manière. Cette base de données est particulièrement précieuse pour comparer la façon dont différents pays ont transposé un article en particulier.

Une nouvelle manifestation du protectionnisme culturel français

Cette surtransposition du droit européen incarne parfaitement ce qu’on appelle l’exception culturelle française. L’exception culturelle garantit la survie d’un système d’aide et de protection, et permet de rester compétitif face aux géants américains. Ce système de redistribution semble encore avoir de beaux jours devant lui – dans le domaine culturel, en tout cas.

Cependant, on peut craindre que les plateformes s’accaparent les productions françaises et européennes. La création française sera-t-elle aussi riche et diversifiée dans 20 ans, quand les plateformes auront fait leur place dans le système de financement du cinéma français ? Faut-il craindre une homogénéisation des contenus ? L’influence des géants américains sur les contenus permettra-t-elle de faire revenir du public en salle ?

Agathe MORNON

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