Le Floodcast, ou le témoignage des premiers vidéastes

Issus des communautés de vidéastes amateurs sur Youtube, Adrien Ménielle et Florent Bernard bénéficient aujourd’hui d’une audience largement méritée sur leur podcast Floodcast. Il s’agit de l’émission la plus écoutée sur Spotify, malgré un format qui semble, de prime abord, peu engageant. 

Comment leurs expériences passées de vidéastes amateurs expliquent le succès que rencontre aujourd’hui leur émission ?

Le Floodcast,
Florent Bernard (à droite) et Adrien Ménielle (à gauche)

C’est l’expérience de vidéaste amateur qui vient nourrir ce podcast – et le refus de garder close la barrière qui sépare les profanes des professionnels (ou nouveaux professionnels). Les amateurs ont longtemps été considérés comme à la marge de la création audiovisuelle. Il s’agit d’une industrie du risque, où la reconnaissance du professionnalisme, de la qualité du travail est cruciale pour pouvoir engager toute manoeuvre commerciale. Ce podcast est le résultat de carrières qui se sont affranchies de ces gate-keepers, et comporte les témoignages des routes qui ont été empruntées par Adrien M., Florent B., ainsi que par toutes les personnes qui gravitent autour d’eux. Ils naturalisent et rendent concrets ce travail qu’est la création audiovisuelle. 

Entre amateurisme et vidéaste amateur, deux visions de la création profane

En 2008, Andrew Keen publie The Cult of the Amateur. Brulot contre les nouvelles pratiques de création apparues avec l’avènement du numérique, il y expose sa vision de l’ »amateur », profane auquel on aurait donné les clés de l’espace public. Singes derrière leurs claviers, alimentant une nouvelle jungle de médiocrité que sont Internet et ses plateformes d’échange, les « amateurs » d’Andrew Keen menacent la culture en la défigurant par leur créativité bas de gamme. 

Avec Le Sacre de l’Amateur, Patrick Flichy prend le contrepied d’Andrew Keen. Il présente sous des augures bien plus mélioratifs cet individu caractéristique des nouveaux espaces créatifs d’Internet. L’amateur y est définit comme binaire : il peut être celui qui réalise pour le plaisir, sans rechercher la rémunération, ou celui qui apprécie la création. Actifs ou passifs dans leurs centre d’intérêts, ces deux amateurs évoluent dans les mêmes sphères sociales virtuelles en tant qu’ils partagent les mêmes passions. Ces communautés peuvent avoir pour place les réseaux sociaux traditionnels, ou les plateformes de diffusion de contenus comme Youtube qui à travers les commentaires, abonnements, likes, permettent l’interaction entre émetteurs et récepteurs. C’est donc un enjeu majeur, d’autant plus si elles font l’objet d’une monétisation d’orchestrer et entretenir ces communautés de manière organisée.

« L’amateur sur Youtube, c’est celui qui s’est lancé avec un micro et une caméra dans sa chambre, dans son bureau » – une conception réductrice.

Il a été confronté à deux lacunes majeures : le manque de connaissances techniques, et le manque de reconnaissance du public. Compte tenu de la nature de la consommation sur Youtube et des biais induits par le tri de l’algorithme, ce sont là les deux facteurs les plus décisifs pour que la croissance d’une chaîne (reconnaissance quantitative) et la qualité des vidéos (reconnaissance qualitative) augmentent. 

La professionnalisation des vidéastes amateurs s’explique par ce catalyseur qu’est la concurrence entre eux. La compétitivité technique, éditoriale, communautaire étant primordiale pour assurer une valeur à sa chaîne en terme de monétisation ou simplement pour bénéficier d’un effet de signal grâce à la qualité des contenus, les vidéastes amateurs s’efforcent d’améliorer leurs compétences, ou de les mettre en commun. 

Et c’est précisément cette dynamique qui va permettre à certains vidéastes de sortir du bois, dont Adrien Ménielle et Florent Bernard. Entre 2012 et 2016, ils s’investissent dans le collectif Golden Moustache, où ils jonglent entre l’écriture de scénario, la réalisation de courts-métrage, le jeu, et la direction artistique. Au sein de ce groupe d’auteurs qui deviendra plus tard un studio de création, non seulement ils développent leurs compétences techniques, artistiques, mais ils sont au contact de toute une nouvelle garde de créatifs, issus d’internet.

C’est de cette expérience dont il est question dans le Floodcast.

Le podcast est né il y a 5 ans sur Soundcloud. Si de nouvelles possibilités techniques ont fait leur apparition au fil des saisons, le ton et le contenu de l’émission n’a que peu varié.

Floodcast est une émission de talk, une table ronde, qui réunit autour de FloBer (Florent Bernard) et Adrien Ménielle des invités issus majoritairement du Youtube des courts métrages Golden Moustache/Studio Bagel/Suricate. Ce sont donc des personnes qui ont investi pleinement les communautés de création dont il est question plus haut : elles sont quasiment toutes passées par la création audiovisuelle d’abord en amateur – puis de plus en plus professionnelle à mesure que les collectifs se sont structurés et ont gagné en réputation auprès des agents « légitimes » de l’audiovisuel. 

Les épisodes sont construits en plusieurs grands instants : la présentation des invités et des discussions sur leurs projets passés, en cours, à venir, des recommandations culturelles, et du « flood ». Ce terme, qui a pris tout son sens dans les forums virtuels, renvoie à un type d’échanges bien précis : l’ »inondation » de la discussion par des paroles peu pertinentes, voire dénigrantes pour ce qui vient d’être dit – et au final la dérive du débat et la perte de son sérieux. 

C’est exactement là l’objectif de l’émission. Construire une ambiance, une discussion qui sera amenée à dériver complètement au gré des prises de paroles des invités. Et loin de n’être qu’une libre-antenne, tout cela se fait selon une organisation qui est très familière aux invités – les réunions entre créatifs. 

C’est de l’expérience des invités dans la création audiovisuelle dont il est question dans le Floodcast. De l’aveu même des invités qui confient dans le micro pendant l’émission regretter les séances d’écritures comme ce qui se passe pendant l’enregistrement. L’innovation majeure et la valeur ajoutée du format reposent sur cette reproduction naturelle des séances de réflexion à plusieurs, des processus d’idéations pendant lesquels les auteurs partent d’un constat, d’un fait, d’un thème et dérivent sur ce qui viendra plus tard nourrir la réflexion, l’univers. 

Une fenêtre privilégiée sur le travail des vidéastes

Pour les auditeurs, le Floodcast est une fenêtre privilégiée sur le travail de ces vidéastes qui ont décidé un jour de créer leurs propres contenus malgré le manque de moyens. 

La production du podcast est d’abord toute entière tournée vers la facilitation de la libération de la parole chez les invités. Aucun studio, aucun sponsor, aucun apport financier tiers. Le Floodcast est une émission auto-produite et distribuée sur les plateformes gratuites. Le montage, quand il ne coupe pas certains rares dérapages comme la citation de personnes tierces à l’antenne ou l’évocation de projets confidentiels, est quasiment inexistant, si bien que l’émission retranscrit dans son intégralité la discussion qui a eu lieu pendant l’enregistrement. 

C’est l’occasion pour les intervenants de développer un jargon qui leur est propre et qui plonge l’auditeur dans des discussions qui ne diffèrent pas de ce qu’elles sont dans leurs rendez-vous professionnels entre eux. Des scènes sont évoquées, des situations de travail, problématiques ou non – pour un auteur, cette tribune permet une présentation de son travail avec un ton bien différent de ce que font les médias dits « traditionnels ». 

Déjà très engagés dans la revue des travaux des vidéastes qu’ils suivaient, les auditeurs profitent désormais d’un lieu où l’on rend compte non seulement de la réalité du travail d’auteur, de réalisateur, d’humoriste, mais également des liens qui lient ces différents acteurs. Le même public qui les a découverts dans leurs collectifs prolonge son engagement avec eux grâce à ces émissions de talk. Et pour cause, pour l’enregistrement en public au Bataclan d’un épisode spécial, toutes les places ont été vendues en 20 minutes – la vente la plus rapide de l’année…

Victor SOOD

Podcasts natifs : quelles opportunités pour les groupes de presse historiques ?

En janvier dernier, le média Brut annonçait le lancement de sa gamme de podcasts d’actualité, disponibles en exclusivité sur Spotify. Une nouvelle activité à première vue assez éloignée du format vidéo qui a rendu célèbre le pure player. A l’image de Brut, de nombreux médias ont quelque peu délaissé leur savoir-faire historique pour s’aventurer dans la production de contenus audios, à commencer par les éditeurs de presse traditionnelle. Si Libération a fait figure de précurseur en 2007 en lançant ses premiers podcasts (56kast, Silence on joue), ils sont aujourd’hui nombreux à avoir tenter l’expérience : le Parisien (Code Source), Le Monde (Sept ans de trahison), le Figaro (La semaine des médias) … et la liste s’allonge chaque année. Le podcast serait un moyen pour la presse historique de se renouveler et de s’adapter aux usages, surtout à ceux des nouvelles générations ultra connectées : d’après une étude de Médiamétrie, les podcasts seraient en effet davantage écoutés par les 15-24. Ce format est alors pensé comme un produit d’appel susceptible d’amener les jeunes vers l’écrit, mais aussi comme un nouveau moyen d’engranger des recettes publicitaires à l’heure où les annonceurs désertent les médias traditionnels pour le digital. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, où la tendance est née après le succès retentissant de Serial (340 millions de téléchargements), puis de The Daily (2 millions d’écoutes quotidiennes), deux podcasts créés par le New York Times, le marché du podcast semble prometteur : les revenus publicitaires ont augmenté de 65% entre 2015 et 2018, et devraient s’élever à 863,4 millions de dollars en 2020 d’après une étude menée par PwC.  

Mais qu’est-il du marché français ? Les contenus audios représentent-ils une véritable opportunité économique pour des titres de presse traditionnelle en souffrance, ou un simple mirage qui s’estompera une fois la tendance essoufflée, comme le fut le web documentaire au début des années 2010 ? 

Mais au fait, qu’est-ce qu’un podcast ? 

Résumé simplement, un podcast est un contenu audio numérique que l’on peut écouter n’importe où. On distingue ensuite les replays d’émissions de stations de radio mis à disposition à la demande (on parle alors de “radio de rattrapage”) des “podcasts natifs”, contenus ayant été conçus en vue d’une diffusion à la demande sans passage à la radio.  En termes de contenu, le genre le plus écouté est le podcast d’actualité : en France, 34% des épisodes les plus populaires disponibles sur Apple appartiennent à cette catégorie. C’est d’ailleurs sur ce genre que les éditeurs de presse écrite ont concentré leurs efforts, et en particulier sur le format d’approfondissement, dont le Daily du New York Times est le parfait exemple. Ce blockbuster audio a d’ailleurs été une source d’inspiration majeure lors de la création du podcast “La Story” par Les Echos en partenariat avec Binge Audio. L’objectif du format selon Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions au Parisien (groupe Les Echos): “raconter quelques histoires différemment, avec un podcast d’actualité quotidien d’une vingtaine de minutes”. Mais le développement de ces nouveaux formats représente un investissement important, alors même que les podcasts peinent à trouver un business model pérenne. 

Un business-model encore balbutiant et une rentabilité incertaine 

Le Parisien et les Echos disposent d’une équipe de 4 ou 5 personnes dédiée à la création des podcasts quotidiens (tandis que le New York Times en emploie 15 pour la production de The Daily). La production de contenu de qualité exige également des investissements en termes de matériel et de formation professionnelle pour les journalistes venant de l’écrit. Mais comment rentabiliser ce format plus coûteux qu »il n’y parait ?  

La première solution est le financement par des annonceurs, via la vente d’espaces publicitaires au CPM ou via un système de parrainage. Pour séduire les annonceurs, le podcast disposent de plusieurs avantages : les données des éditeurs suggèrent que les auditeurs de podcast écoutent en moyenne entre 60 et 90% d’un programme, et le font de manière active. Les podcasts se distinguent ainsi à la fois de la radio linéaire, consommée souvent passivement par les utilisateurs qui la mettent en simple fond sonore, et d’Internet où la qualité d’exposition de l’utilisateur à la publicité n’est pas garantie. « Prenez un podcast et une vidéo de cuisine, analyse Charlotte Pudlowski, ancienne rédactrice en chef du site d’information Slate et confondatrice de Louie Media, et comparez leur audience. La vidéo va faire des millions de vues sur Facebook. Mais elles se seront lancées automatiquement et les usagers ne vont pas se souvenir de ce qu’ils ont vu.” Les podcasts offrent également aux annonceurs des audiences très qualifiées : Les Echos ont ainsi choisi de cibler l’écosystème entrepreneurial avec son podcast Tech Off. Enfin, ils promettent aux annonceurs un espace “brand safe”, où les utilisateurs sont exposés à peu de publicités et passent rarement les pré-rolls, comme le suggère une étude de Médiamétrie. Cette qualité de l’exposition explique que les espaces au sein des podcasts se vendent généralement à un coup plus élevé que dans l’écosystème digital classique : le CPM se situe entre 15 et 20€ pour un spot de 30 secondes en pré-roll. Le parrainage, modèle dans lequel un unique annonceur finance la production du podcast pendant une période de temps donnée, est une alternative utilisée entre autres par le groupe Challenge, qui a réalisé une série de podcasts sponsorisés par Renault. Mais cette monétisation par l’apport des annonceurs connait un frein majeur à son développement : le manque de données.  Comparé à la vidéo, le podcast ne permet pas, ou peu, de récolter les données sur le comportement des auditeurs une fois le podcast téléchargé, rendant ainsi difficile la qualification des audiences. Mais les choses évoluent, notamment avec le développement d’outils de mesure à l’image du dispositif américain Podtrac :  Médiamétrie propose depuis 2019 à ses clients eStat Podcast, un outil capable de qualifier les téléchargements, tandis l’ACPM (l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias) a présenté en novembre dernier sa certification des mesures de diffusion des podcasts natifs et réécoutés.  

Une autre piste en matière de financement est la stratégie du paywall, qui envisage le podcast comme une valeur ajoutée pour les utilisateurs abonnés. Dans les petits marchés où l’intérêt des annonceurs se fait désirer et où la rentabilité à long terme est plus que douteuse, comme en France, le podcast est finalement souvent envisagé comme un outil promotionnel et marketing . ‘It’s more about opening the top of our funnel and bringing Times journalism to a new audience who we think will eventually become our next generation of subscribers,’ déclare ainsi Erik Borenstein du New York Times. Même son de cloche chez l’Equipe, qui a lancé en 2018 un podcast sur le rugby et sur le golf : “le podcast propose quelque chose de différent : il a un mode de développement qui est basé sur la souscription, il y a une démarche de fidélisation. Nous sommes dans une attitude de test, nous cherchons à attirer une nouvelle clientèle, moins volatile », explique Jérôme Cazadieu, directeur de la rédaction du quotidien.

Les plateformes : un partenariat à double tranchant 

Pendant longtemps, la plateforme d’Apple a été l’agrégateur de podcasts dominant. Ces deux dernières années, elle a néanmoins vu son hégémonie faiblir avec l’apparition de nouveaux acteurs sur ce marché, notamment Deezer et Spotify qui représentent désormais 20% du marché français. Le leader mondial suédois de la musique en ligne a ainsi remarqué que ces utilisateurs consommateurs de podcasts passent près de deux fois plus de temps sur la plateforme que les autres, d’où l’annonce en 2019 d’importants investissements destinés à l’acquisition de contenus tierces mais également à la production de contenus originaux. L’arrivée des plateformes pourrait bien transformer en profondeur la technologie du podcasting : en alliant leur capacité d’audiences importantes à la puissance de leurs algorithmes de recommandation, elles permettraient d’ouvrir l’accès à ce format dont le caractère encore très confidentiel et “de niche” a rebuté nombre d’annonceurs. La production de contenus pour les plateformes pourrait-elles être une piste de développement pour les titres de presse ? Les éditeurs restent sceptiques : source de financement d’un côté, les plateformes pourraient toutefois subtiliser aux éditeurs la relation directe avec leur public et s’arroger leur création et la donnée client si nécessaire à l’amélioration du produit et la valorisation des audiences. Radio France a ainsi fait le choix en 2019 de retirer ses contenus de Spotify et Majelan afin de mieux contrôler leur distribution et le partage de la valeur créée.  

Dans l’état actuel du marché français, le podcast peine encore à démontrer son intérêt pour les groupes de presse historiques. Toutefois, le développement d’outils de mesure certifiés, l’intérêt des plateformes, mais aussi l’arrivée des enceintes connectées et des voitures autonomes sont autant de signes que ce secteur recèle encore de nombreuses potentialités. Si le podcast parvient à dépasser son statut de produit de niche destiné à une audience jeune et éduquée pour devenir un phénomène de masse, il pourrait bien être un élément déterminant du renouveau de la presse historique. 

Camille Cohen

Références 

EUTROPE, Xavier. “Pourquoi les journaux français ne font-ils (presque) pas de podcasts ?. Ina Global, février 2018. Disponible sur : https://larevuedesmedias.ina.fr/pourquoi-les-journaux-francais-ne-font-ils-presque-pas-de-podcasts 

FOUQUENET, Maelle. “Podcasts et presse écrite: comment les financer et gagner de l’argent”. ESJ Pro, mars 2019. Disponible sur: https://esj-pro.fr/podcasts-et-presse-ecrite-comment-les-financer-et-gagner-de-largent/ 

MALCURAT, Olivier. “Podcasts: un poids, deux mesures”. La lettre pro, novembre 2019. Disponible sur : https://www.lalettre.pro/Les-Dossiers-5-Podcasts-un-poids-deux-mesures_a21157.html 

NEWMAN, Nic., GALLO, Nathan. “News Podcasts and the opportunities for publishers”. Digital News Project, décembre 2019.  

PwC. “FY 2018 Podcast Ad Revenue Study: a detailed analysis of the US podcast Advertising Industry”. Juin 2019. Disponible sur: https://www.iab.com/wp-content/uploads/2019/05/Full-Year-2018-IAB-Podcast-Ad-Rev-Study_5.29.19_vFinal.pdf 

Spotify réinvente le podcast avec « Spotlight »

Spotlight ou le podcast augmenté

Ce 18 janvier Spotify a lancé son nouveau service, Spotlight. Avec Spotlight, Spotify veut proposer des contenus originaux de podcasts visuels à ses utilisateurs et ses abonnés. Spotlight c’est un service de podcasts originaux, produits exclusivement pour la plateforme et touchant à des thèmes variés allant du sport à la pop culture en passant par les informations. Quel est l’intérêt d’en parler me direz-vous, les podcasts, ça fait longtemps que ça existe ? Eh bien la particularité du service est de s’accompagner d’images, de textes et même de vidéos. Toutefois pas de méprise, ce contenu visuel ne vient qu’accompagner l’audio, il ne lui est pas nécessaire. C’est donc une offre pluri-média, mais dont le média principal est le podcast, c’est du podcast augmenté donc.

Spotify, avec ses 70 millions d’abonnés et 140 millions d’utilisateurs actifs est le leader du streaming musical. Il propose déjà des podcasts sur sa plateforme, ceux de la BBC par exemple, mais ce n’est pas un contenu original. Il propose aussi du contenu visuel mais comme un service à part. Avec Spotlight, Spotify veut créer des contenus contextuels complémentaires, spécifiquement créer pour accompagner le contenu audio. Telle est l’innovation du produit. En effet, à côté les radios généralistes traditionnelles qui filment leurs émissions et écrivent leurs chroniques sur les pages de leur site font triste figure, si tant est que le contenu proposé par Spotlight soit bon. La production de ces contenus se fera par des partenaires tels que BuzzFeed News, le plus connu en France, ou encore Crooked Media et Gimlet Media. Ainsi BuzzFeed produira, par exemple, un journal quotidien de 4 à 7 minutes. Le service n’est pour l’instant disponible qu’aux Etats-Unis.

Mais quel est intérêt stratégique peut bien représenter Spotlight pour Spotify ?

De prime abord cela semble être beaucoup d’embêtement pour pas grand-chose. En effet les utilisateurs de Spotify cherchent avant tout à écouter leur musique en streaming, ce ne sont pas forcément des consommateurs de podcasts ou de programmes radiophoniques généralistes. Le prix de l’abonnement ne sera pas plus élevé.

Spotify montre aussi son dynamisme est sa pertinence sur un marché difficile par ses innovations et cela à quelques mois de son entrée en bourse. Aujourd’hui Spotify est le leader incontesté du streaming musical avec plus de 30 millions de titres disponibles. Spotify ne lance pas que Spotlight, l’entreprise propose désormais une application, Stations, permettant d’accéder de façon rapide, facile et gratuite à ses playlist pré-enregistrées. L’application se veut très ergonomique, permettant de changer de morceau d’un « swip » et de découvrir facilement des nouveautés. Ces innovations peuvent rassurés de futurs actionnaires.

La radio est-elle désuète ?

La radio est vu comme un média vieillissant, déjà affaibli par l’arrivée de la télévision. Le streaming, que ce soit par des plateformes spécialisés ou via Youtube a détourné les auditeurs des radios musicales. Pourtant à l’heure du numérique, avec l’avènement du smartphone et maintenant qu’on nous annonce la mort de la télé, la radio semble produire des contenus particulièrement bien adaptés aux nouveaux usages. Aux Etats-Unis, le renouveau de la radio s’est fait par les podcasts, tel que « Serial » par exemple, véritable phénomène outre Atlantique.

Christopher Baldelli s’est exprimé lors du Salon de la Radio ce 25 janvier comme nous le rapporte Satellifax. L’ex-Président du directoire de RTL, aujourd’hui vice-président du directoire du groupe M6, après la fusion des deux groupes, en charge de la radio et de l’information a affirmé son optimisme quant à l’avenir de la radio. D’après lui en ce qui concerne les « 13-34 ans, il s’agit du média qui génère le plus de contacts journaliers. Et ce sont les 13-19 ans qui utilisent le plus les supports numériques (smartphone, notamment) pour écouter la radio (22,4 %), soit plus du double de la moyenne nationale » peut-on lire dans Satellifax. La radio est donc un média jeune, un média d’avenir qui répond aux habitudes de mobilité et de gratuité. Et ne parlons pas des podcasts, donc les consommateurs principaux sont des jeunes adultes. Cette cible intéressante pour les annonceurs, qui échappe de plus en plus à la télévision pourrait bien se révéler être un des objectifs de Spotify avec Spotlight. Spotlight serait un produit d’appel pour la publicité et la vidéo un support plus évident pour la publicité. La où YouTube a eu des problèmes de brand safety, Spotify a un contrôle sur ce qui est présent sur sa plateforme et peu être plus transparent avec ses annonceurs en ce qui concerne les impressions.

Pour ce qui est de la publicité audio, le marché est évalué à 18 milliards de dollars aux Etats-Unis et le baromètre Kantar 2017 a compté 1 076,8 millions d’impressions servies et un quart d’impressions supplémentaires en un an avec toujours plus d’annonceurs comme le rapporte CB news. On voit facilement quel intérêt Spotify peut trouver à développer une offre podcast pouvant capter à la fois du revenu publicitaire audio, mais aussi vidéo.
En effet le modèle économique actuel de Spotify n’a pas totalement convaincu. La plateforme de streaming doit reverser 80% de son CA en droit. Sa position de leader est assise mais les offres d’Apple, avec Apple Music, et d’Amazon, avec Amazon Music Unlimited, le concurrencent sérieusement et avec des prix très bas. Spotlight permet ainsi de se différencier par l’innovation et la qualité du produit auprès des consommateurs. Spotify se mesure ainsi directement aux GAFAS, dont Google avec YouTube.

Vers un avenir sonore, l’internet de la voix

Il ne faut pas oublier l’arrivée d’Alexa, l’assistant vocal d’Amazon. Google Home et HomePod qu’Apple vient de sortir. Tous les GAFAS investissent le domaine encore vierge des assistants vocaux. Il y a un enjeu pour tout service, se référencer phoniquement et être capable de proposer du contenu compatible. De ce point de vu une offre telle que Spotlight est intéressante, elle permet de toucher des utilisateurs sur leur smartphone dans les transports par exemple mais aussi une fois rentré chez eux, via leurs enceintes intelligentes, en abandonnant un contenu visuel distrayant mais pas nécessaire.
Peut-être existe-il le projet, l’ambition secrète, de faire de Spotify un Netflix sonore…

Là où des producteurs de podcasts rêvent d’une plateforme payante, d’un Netflix audio le défi n’est pas gagné. Les applications de podcast sont déjà des plateformes de streaming et de download où d’innombrables contenus sont gratuits et à disposition. Les radios généralistes ont depuis longtemps investis cet espace pour mettre leur contenu à disposition gracieusement. Le pari est alors de faire venir ces utilisateurs sur leur station lorsque ceux-ci allume le poste. N’oublions pas qu’à la radio les mesures d’audiences sont bimensuelles et que les utilisateurs sont peu zappeurs à la radio. C’est un média de l’intimité et de l’habitude. En ce qui concerne la radio, les habitudes sont prises et il est difficile d’imaginer un modèle payant.

C’est là que Spotify fait fort, puisque l’offre est totale, musique (les utilisateurs payent déjà pour ça) et podcasts qui viennent s’ajouter comme un argument de vente supplémentaire. Si Spotify parvient à constituer un catalogue important de contenus intéressants, le service pourrait être leader sur ce marché à venir de l’internet sonore.
La course aux contenus continue et avec elle les frontières entre les médias s’effacent…

Marion Lavaix

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