Le modèle FAST : nouvel essor de la télévision linéaire ?

The Roku Channel, un des principaux service proposant un accès à des chaînes FAST

Une overdose d’abonnements pour des consommateurs en perfusion de contenus audiovisuels

Depuis une petite dizaine d’années, les plateformes de vidéo à la demande ont su imposer certaines de leurs productions comme des faits culturels et d’actualité de premier plan. En effet, plusieurs fois par mois, une série ou un film soutenu par un important battage publicitaire se hisse au rang de phénomène de société. Par exemple, rares sont ceux qui ont pu éviter The Mandalorian et son baby Yoda (Disney), Squid Game ou Don’t Look Up (Netflix) et en 2021. Pour visionner ces contenus, il est nécessaire de souscrire à un abonnement auprès du service de streaming sur lequel ils sont disponibles en exclusivité.

Un spectateur souhaitant suivre les contenus au cœur de l’actualité doit donc souscrire à une multitude de services de vidéo à la demande. À ces dépenses mensuelles s’ajoutent le prix d’abonnements mensuels à d’autres services de contenus (services de musique en streaming, presse, contenus sportifs, jeux en ligne…), mais également ceux des services d’accès à internet, de stockage de données, d’accès aux fonctionnalités premium de certains services, etc. Le cabinet de conseil West Monroe Partners a mené une étude auprès de 2500 personnes en 2021, afin d’étudier le rapport des américains aux services par abonnement. En moyenne, la population interrogée estimait dépenser 62$ par mois, alors que la dépense moyenne s’élevait à 273$ par mois, soit presque 4,5 fois ce montant. Outre le fait que les consommateurs sont donc de manière générale très peu conscients de l’ampleur de leurs dépenses dans des services par abonnement mensuel, l’étude nous apprend également que les consommateurs sont plus ou moins conscients des postes de dépense selon le domaine qu’ils concernent. En particulier, les dépenses pour des abonnements à des services de contenus audiovisuels (20$ par mois en moyenne) sont ceux dont les consommateurs sont le plus conscients. La souscription un un service par abonnement mensuel présente l’avantage d’être facile et rapide, de représenter individuellement des montants relativement faibles pour le consommateur, tout en donnant accès à des catalogues colossaux.

Pour ces raisons, les abonnements à des services ont tendance à s’accumuler discrètement chez les consommateurs, jusqu’à représenter des sommes colossales sur le long terme. Aussi, et alors que la concurrence entre les service de vidéo à la demande est féroce et que les plateformes sont forcées à rehausser leurs tarifs (Netflix annonce une hausse de ses tarifs aux États-Unis et au Canada et prévoit de le faire prochainement dans d’autres régions du monde), il apparait complexe pour les plus petits acteurs proposant des contenus audiovisuels de se frayer un chemin jusqu’au portefeuille des consommateurs. Le modèle des FAST (pour Free ad-supported streaming TV) pourrait représenter une alternative viable pour les distributeurs de contenus.

Les FAST, une alternative aux services de vidéo à la demande par abonnement

FAST désigne un service de télévision en direct, financé par la publicité. Les chaînes FAST sont le plus souvent diffusées via l’OTT. Ces nouvelles formes de télévision linéaire sont souvent constituées à partir d’importants catalogues thématiques, qu’il s’agira d’organiser sous forme le listes de lectures. Ainsi, sur les principaux services proposant un accès à des chaînes FAST dont les plus populaires sont Plex TV, Samsung TV Plus, The Roku Channel, Peacock ou Pluto TV, il est possible de trouver des chaînes exclusivement consacrées au jazz, à South Park, aux cours de peinture du peintre Bob Ross, ou encore à la National Football League. En septembre 2021, Variety intelligence platform analysis répertoriait 1037 chaînes FAST disponibles sur l’ensemble des services disponibles. Ce nombre important peut s’expliquer par les coûts relativement faibles nécessaire à la programmation de contenus sur une chaîne FAST.

La grande variété de contenus ainsi proposée gratuitement au consommateur ont rapidement permis aux services proposant un accès aux FAST de connaître des audiences cumulées très importantes et par la même, un très grand nombre d’impressions publicitaires. Les chaînes FAST fonctionnent généralement sur le modèle suivant : des coupures publicitaires régulières de 2/3 minutes (parfois jusqu’à 4 ou 5 fois par heure) ; avec l’avantage pour les annonceurs de proposer des contenus publicitaires personnalisables, avec la possibilité de suivre et d’analyser leur effet, tout en permettant à l’avenir d’apporter de l’interaction et de lier ces publicités à des contenus hébergés sur internet.

Le modèle FAST : une mine d’or éphémère ou un modèle durable pour les distributeurs de contenus ?

Sans surprise, de nombreux acteurs traditionnels de la télévision linéaire américaine tels que les chaînes d’informations locales ou nationales se sont engouffrés parmi les chaînes FAST, cherchant à profiter à leur tour d’une partie des revenus générés par la publicité.

Selon le site spécialisé dans l’économie numérique, Google intègrera prochainement son propre service d’accès à des chaînes FAST à la Chromecast et potentiellement à d’autres appareils Android, ce qui drainera assurément de nouveaux utilisateurs vers ce nouveau modèle de consommation de contenus audiovisuels.

D’après une étude du Variety intelligence platform analysis, la compétition entre les plateformes proposant un accès aux chaînes FAST profitera aux quelques plateformes parvenant à agréger les contenus les plus populaires ; alors que les plus petites plateformes déclineront jusqu’à disparaître. Nous pourrons alors observer une compétition similaire à celles observable sur entre les plateformes de vidéo à la demande par abonnement, où les contenus en premier lieu et plus marginalement l’expérience utilisateur, sont eu cœur d’une compétition féroce, qui devrait faire la part belle aux catalogues de contenus, en dépoussiérant et nous faisant redécouvrir certains d’entre eux.

Sources :

Bridge, G. (2021, 27 septembre). Page not found. Variety. https://variety.com/vip/what-the-boom-in-fast-channels-and-services-means-1235071546/

CNC. (2021, 17 décembre). Observatoire de la vidéo à la demande | CNC. https://www.cnc.fr/documents/36995/1389917/Observatoire+de+la+vidéo+à+la+demande+2021.pdf/c5e1c2e3-00e8-4d0c-30ee-29838bc87254?t=1639731844494. https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/observatoire-de-la-video-a-la-demande_1594544

Glum, J. (2020, 12 février). Is paying for disney+ worth it just to see baby yoda ? Here’s what finance experts say about subscription overload. Money. https://money.com/monthly-subscription-costs-tips/

Harrison, B. (2021, 17 novembre). The Evolution of Free Ad-Supported TV (FAST). Streaming Media Magazine. https://www.streamingmedia.com/Articles/ReadArticle.aspx?ArticleID=150126

Kline, D. B. (2020, 20 février). Subscription Overload : Are You Paying for Too Many Streaming Services? The Motley Fool. https://www.fool.com/investing/2020/02/20/subscription-overload-paying-too-many-streaming.aspx

Peterson, T. (2021, 4 juin). Subscription-based streamers outstrip ad-supported services’ share of watch time. Digiday. https://digiday.com/future-of-tv/subscription-based-streamers-outstrip-ad-supported-services-share-of-watch-time/

Roettgers, J. (2021, 17 septembre). Google’s latest plans for Chromecast are all about free TV. Protocol €” The People, Power and Politics of Tech. https://www.protocol.com/chromecast-google-tv-fast-channels

West Monroe. (2021). The State of Subscription Services Spending. https://www.westmonroe.com/perspectives/report/the-state-of-subscription-services-spending

Zilko, C. (2022, 14 janvier). Your Netflix subscription price in north America is about to go up. IndieWire. https://www.indiewire.com/2022/01/netflix-price-raised-us-canada-1234690736/

Le rôle des femmes dans les médias : un combat loin d’être achevé

Une du Parisien – 5 Avril 2020

C’est drôle on dirait qu’il n’y a que des hommes… Ah mais oui, il n’y a pas de femme dans “le monde d’après”, j’avais oublié…
Étrange, dans la rue j’ai l’impression de voir autant d’hommes que de femmes. 
C’est bon j’ai compris, ils se sont trompés, mais bon une fois de plus, une fois de moins, c’est pas si grave. 
Si en fait c’est assez grave et c’est entre autres à cause de cette couverture du Parisien qu’un rapport sur la place des femmes dans les médias en temps de crise a été commandé par plusieurs ministres en avril 2020

Retraçons le temps d’un article l’histoire des femmes dans les médias et voyons où nous en sommes aujourd’hui et notamment dans le contexte actuel de crise sanitaire. 


Histoire

Pendant longtemps le travail de journaliste était réservé aux hommes. Si les femmes ont pu un jour percer ce milieu c’était en tant que femme pour parler aux femmes de “thématiques de femmes”…
En 1880, le premier journal “féministe” apparaît. Marguerite Durand crée La Fronde, entièrement dirigé par des femmes. Certains noms comme ceux de Dick May et Nelly Bly ont marqué les esprits, l’une pour la création de l’école des hautes études sociales, l’autre en tant que première journaliste d’investigation. 

Couverture du journal La Fronde,
Premier journal entièrement composé de femmes.

Cependant jusque très tard, très peu de femmes avaient accès à des rôles importants au sein de la presse. « En 1930, elles ne représentent que 2% de la profession. En 1950, elles sont 5%. Puis en 1960 : 15% ». Depuis les années 60 le combat a été de ne pas rester cantonnées aux sujets féminins mais d’aborder la société dans son ensemble.

Récapitulatif des décrets et déclarations en faveur des femmes dans les médias


Dans les années 80, beaucoup d’initiatives sont mises en place, et d’associations créées, mais les chiffres évoluent lentement (Années 80 – 25% de journalistes femmes, 1997 – 38%). Les années 2000 sont marquées par une forte évolution de la place des femmes et de leur présence dans les médias, à la fois dans la représentation (métiers, reportages, fictions…) ainsi que dans les administrations. Mais la crise sanitaire actuelle a soulevé certaines questions concernant la place donnée aux femmes en temps de crise et c’est ce que nous allons décrypter.



Le rapport

Le 5 Avril dernier, la couverture du Parisien (ci-dessus) nous explique le monde d’après selon les hommes. Cette “erreur” va pousser la commande d’un rapport sur la place des femmes dans les médias en temps de crise. 

Après une grande enquête de plusieurs mois par la député Céline Calvez, le constat est le suivant, la représentation des femmes dans les médias pendant la crise sanitaire s’est fortement dégradé, partant d’une base (2019) déjà pas très solide.

Mars 2020 : moins de 10% d’expertes sur les journaux télévisés (un moyen d’information particulièrement prisé pendant la période de confinement), contre 35% en temps normal. 



Avec l’aide de l’INA via plusieurs outils, le rapport a pu s’appuyer sur des statistiques, obtenues par l’analyse des bandeaux d’incrustation (poste ou titre des intervenants), ainsi que par leur intelligence artificielle, afin de calculer le temps de parole des femmes par rapport à 2019. De même, le CSA a participé à la récolte de données afin de réaliser les statistiques nécessaires. Avec ces analyses des bandeaux d’incrustation, au-delà du temps de parole “pur”, on constate que les femmes ont des titres moins importants que ceux des hommes, et notamment lorsque l’on traite d’expert.e.s.

Du côté des organisations, nous retrouvons le même problème, les femmes sont moins présentes dans les postes à responsabilité, et ce, notamment dans les postes éditoriaux.

Certains ont estimé que dans une période comme celle-là l’égalité des genres n’était pas une priorité, mais c’est justement dans ces moments-là que le monde de demain se construit, que les enfants sont exposés à des représentations et qu’il faut leur montrer l’étendue des possibilités d’avenir pour chacun. La question de la responsabilité des médias se pose évidemment dans ce contexte, faut-il montrer les inégalités ou au contraire, les combattre et représenter un monde plus égalitaire que celui dans lequel nous vivons ? Si parmi les solutions, les quotas dans les administrations sont respectés, la réalité devient le modèle à représenter. 

Plusieurs préconisations ont donc été proposées, et ce, au-delà du seul cadre de la crise sanitaire. 


Les propositions

Les outils et la mesure 

Il faut mesurer à l’aide des outils dont les différentes administrations disposent.

  • Ina speech segmenter, IA pour analyser des heures de médias, différence entre tessiture homme et tessiture femme. 
  • Paritomètre (journal suisse, Le Temps), le nombre de fois où un homme ou une femme est cité. A la disposition des autres médias, en open source. 

Le contenu

D’autre part, il est important de faire intervenir de manière égale les hommes et les femmes sur tous les sujets, et ne pas laisser les thématiques « plus fortes » aux hommes.

Extrait du rapport : Seulement 2,42% des articles de l’Équipe (version papier) ont été consacrés aux conséquences de la Covid-19 sur le sport au féminin, entre le 14 mars et le 10 mais 2020. (…) Le 31 août 2020, au lendemain de la septième victoire de l’Olympique Lyonnais Féminin en ligue des Champions, l’Équipe décidait de consacrer les ¾ de sa Une au cycliste Julian Alaphilippe – qui s’imposait sur une étape du tour de France – avec un simple bandeau pour l’exploit de l’équipe de football féminin.”

Incitation

La mise en place de bonus ou de malus à l’égard des éditions et administrations en fonction du respect de l’égalité, et une meilleure sensibilisation du public et des entreprises sur ce sujet afin que tout le monde se mobilise, sont de bons accélérateurs (rapports réguliers, missions d’éducation ou encore création de nouveaux indicateurs).  Le CNC est un exemple à suivre dans le domaine du cinéma, puisqu’il accorde une aide automatique de 15% supplémentaire pour les films dont les équipes de tournage sont paritaires. 

Surveillance

De plus, au delà de l’amont, de l’administration et de la représentation chiffrée, il est nécessaire de surveiller le “résultat produit”, les clips musicaux sont pour certains de bons exemples de dégradation de l’image des femmes, ils ne peuvent en aucun cas bénéficier d’aide, il faut donc aussi mettre en place un contrôle à posteriori

Clip Blurred lines – objectivation des femmes

Encourager

De bonnes initiatives sont mises en place, comme le site les expertes qui recense plus de 3000 expertes afin de montrer aux administrations qui se justifient en arguant qu’il y a peu de femmes expertes, qu’il en existe finalement beaucoup. 

Éduquer

Il est important d’insister sur le rôle des médias dans l’éducation des enfants ainsi que dans la sensibilisation de manière générale, vis-à-vis du public de tout âge. La représentation de la société dans les médias doit montrer le champ de possibilité d’avenir, de spécialités, d’intérêts ou encore de passions pour toutes les petites filles et tous les petits garçons. Au-delà de ce que les enfants peuvent voir, il est nécessaire pour tous d’entendre la diversité des points de vue, qui passe notamment par la diversité des profils et ce pas seulement par le genre, mais aussi par toutes autres formes de minorité ou de diversité. 

Si les femmes n’interviennent pas toujours, cela peut aussi être dû à un manque de confiance en elle ou à une peur de non-légitimité, il faut donc aussi mettre en place des formations pour aider les femmes à ne pas développer le syndrome de l’imposteur.

La représentation dans la culture 

Les femmes du monde du cinéma au festival de Cannes 2018

Une des préconisations du rapport est d’adapter le test de bechdel à d’autres types de programmes comme les reportages, les émissions de plateau ou les interviews, en utilisant d’autres critères et en visant d’autres cibles. (le test de bechdel “ vise à mettre en évidence la surreprésentation des protagonistes masculins ou la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction”)

De la même manière, la fiction, au cinéma, à la télévision, dans les livres ou les BD par exemple, joue un rôle très significatif dans la représentation du monde et l’environnement direct côtoyé par les enfants, entre autres. Les BD Culottées (Pénélope Bagieu) sont des exemples parfaits permettant à tous et toutes d’envisager de nouveaux modèles, un peu oubliés dans l’histoire.

Il reste encore un bout de chemin à parcourir avant d’atteindre une égalité « parfaite », mais les propositions évoquées et les initiatives lancées nous permettent d’espérer.

“Olympe de gouge : la femme à le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir le droit de monter à la tribune. “ Citation de Céline Calvez lors de la remise du rapport.

Valentine Daruty

Sources

Vidéo et publication rapport sur la place des femmes dans les médias en temps de crise.
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10129936_5ffeadbf95c2c.commission-des-affaires-culturelles—rapport-sur-la-place-des-femmes-dans-les-medias-en-temps-de-c-13-janvier-2021

https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Rapport-sur-la-place-des-femmes-dans-les-medias-en-temps-de-crise

La représentation des femmes dans les médias audiovisuels pendant l’épidémie de Covid-19
https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Observatoire-de-la-diversite/La-representation-des-femmes-dans-les-medias-audiovisuels-pendant-l-epidemie-de-Covid-19

L’évolution de la place des femmes dans les médias
https://omagazine.fr/levolution-de-la-place-des-femmes-dans-les-medias/

Le CNC présente le premier bilan de son bonus pour la parité des équipes de tournage
https://www.cnc.fr/professionnels/actualites/le-cnc-presente-le-premier-bilan-de-son-bonus-pour-la-parite-des-equipes-de-tournage_992733

Chronologie des droits des femmes
https://www.vie-publique.fr/eclairage/19590-chronologie-des-droits-des-femmes

Mesurer la place des femmes dans les médias, et après ?
https://larevuedesmedias.ina.fr/mesurer-la-place-des-femmes-dans-les-medias-et-apres

Cinéma Comment les inégalités hommes-femmes au cinéma influencent nos comportements
https://www.lesinrocks.com/2019/10/09/cinema/actualite-cinema/que-nous-apprend-letude-qui-analyse-comment-les-inegalites-homme-femme-au-cinema-faconnent-le-comportement-des-jeunes-femmes/

Les femmes dans les médias – Brigitte Grésy
https://www.youtube.com/watch?v=hxuX3MyU1GU

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