La musique face à l’IA générative : du contentieux à la licence.

Les récents accords entre plateformes d’IA générative musicale et majors (Warner – Suno et Universal-Udio) marquent un changement de paradigme dans l’industrie musicale. En effet, cette dernière passe d’un système basé sur le contentieux (contrefaçon, débats sur l’exception ou le « fair use) » à la contractualisation de l’accès au catalogue pour l’entrainement de modèles d’IA. En plus de fixer le cadre transactionnel, ces accords posent une question de politique publique : la musique générée par IA se fera-t-elle dans un marché dominé par quelques ayants droit ou par des extensions légales et des standards ouverts ?

Pourquoi ces accords sont importants ? 

La musique est un des domaines limite pour les IA génératives car les modèles peuvent produire des sorties très proches d’esthétiques, de timbres et de signatures de production rendant la frontière entre inspiration, imitation et reprise particulièrement fine. Jusqu’ici les IA se sont développées à partir d’entrainement sur des œuvres accessibles sans licence explicite. Ceci est défendable aux Etats-Unis via le « fair-use » et en Europe au moyen des exceptions de fouille de textes et de données sous certaines conditions. Néanmoins à l’automne 2025 un grand changement intervient matérialisé par 2 accords. Le premier entre Universal et Udio qui annoncent un règlement compensatoire et des accords de licence couvrant à la fois l’enregistrement et l’édition, pour une plateforme IA “licensed” attendue en 2026Le second entre Warner et Suno qui concluent un partenariat qualifié de “groundbreaking”, destiné à bâtir une nouvelle génération de modèles licenciés, avec un discours central sur le contrôle des artistes et des songwriters. Cette bascule est majeure car elle transforme un conflit juridique en questions contractuelles : qui peut entraîner, sur quoi, contre quelle rémunération, avec quels garde-fous, et avec quels droits sur les sorties ?

Le “stack” de droits : masters, publishing, et droits de la personnalité

Pour comprendre ce que ce changement implique il nous faut repartir de l’architecture juridique de la musique. Une œuvre musicale mobilise, au minimum deux types de droits : 

  • Le master (enregistrement) généralement contrôlé par un label 
  • La composition gérée via des éditeurs et des sociétés de gestion

A ces droits s’en ajoute un troisième propre aux IA : les attributs identitaires (nom, image, ressemblance, voix) et parfois la « persona » artistique. 

L’accord entre Universal et Udio permet d’articuler les licences de publishing et de musique enregistrée et de les relier au développement de la plateforme qu’ils souhaitent mettre en place. 

De l’autre côté Warner et Suno insistent sur la possibilité pour les artistes et les auteurs de contrôler l’usage de leur nom, image, ressemblance et voix. 

Le « licensing model » se pose donc comme un assemblage de licences et d’autorisations couvrant l’entrainement, la monétisation des sorties et l’exploitation de ressemblance/voix.

De la fouille à la licence : le droit comme variable stratégique 

En Europe, la directive 2019/790 (DSM) prévoit des exceptions de fouille de textes et de données (TDM) : l’article 3 (recherche) et l’article 4 (TDM général) avec possibilité pour les titulaires de droits de réserver leurs droits (opt-out) sous certaines formes.

Cependant, l’existence de ces exceptions ne suffit pas à créer un cadre stable. L’IA musicale pour se développer nécessite des certitudes juridiques, un accès à des catalogues de qualités et l’acceptabilité des artistes. Le contrat apparait alors comme le moyen le plus efficace pour remplace l’incertitude existante jusqu’alors en encadrant la licence, la conformité et la monétisation. 

C’est en ce sens que vont les accords en permettant aux modèles de s’entrainer sur de la musique autorisée et licenciée et en créant des plateformes plus contrôlées. 


Qu’est-ce que ça change concrètement ? 

Premièrement donc, ces accords créent un marché du catalogue licencié. Alors qu’avant les catalogues étaient monétisés via l’écoute, la synchro ou la radio ce modèle permet aux catalogues de devenir un actif de formation des modèles. Warner qualifie l’approche de “blueprint” d’une plateforme IA licenciée ; Universal présente l’accord Udio comme le lancement d’une plateforme “new licensed AI music creation”. Par cela les majors organisent une tarification de l’accès et des usages. 

Il y a également un déplacement de la régulation vers la conformité produit. En effet, les accords s’accompagnent de garde-fous que sont, par exemple, la limitation des téléchargements, le passage au payant etc. La question n’est plus seulement « a-t-on le droit d’entrainer ? » mais « comment empêcher la substitution, l’usurpation vocale et les sorties trop proches ? ».

Enfin, Warner et Suno insistent sur le contrôle lié aux attributs identitaires et sur une logique opt-in qui se place en réponse au risque qui entoure cet accord. L’IA est perçue comme substitutive si elle permet de générer « du X » sans X, en particulier via la voix. 

Opportunités et risques 

Du point de vue des opportunités nous pouvons citer la standardisation d’un licensed model qui permet aux IA l’accès à de meilleurs données pour entrainer leur modèle et offre aux plateformes une nouvelle source de revenus et leur permet de contrôler les usages. 

Les acteurs invoquent également la co-création plutôt que la substitution en indiquant que les remix, mash-up permis grâces aux IA permettront de mettre en valeur les catalogues plutôt que de les cannibaliser.

De l’autre côté de réels risques existent pour l’industrie. L’un de ceux-ci est la concentration car si seulement les catalogues majeurs alimentent les modèles on crée par la même occasion une barrière à l’entrée car l’innovation IA devient dépendante de deals privés. Une deuxième interrogation concerne la rémunération des créateurs d’une partie des créateurs de musique et plutôt les indépendants. Comment un créateur sait-il que son œuvre a servi, et comment est-il rémunéré ? Enfin, même avec un catalogue licencié, la capacité d’imiter une voix ou une persona soulève des risques de tromperie du public. 

En résumé, la question qui ressort de tout cela n’est pas de savoir si l’IA peut apprendre mais plutôt “qui pourra apprendre, à quelles conditions, et avec quelles garanties de traçabilité et de partage de valeur ?”.

                                                                                                                      Victor de Beja 

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