« Netflix, Apple TV+ et Amazon Prime aujourd’hui, Disney+, Peacock et HBO Max demain… L’histoire s’accélère alors que la loi a pris du retard », a déclaré le PDG du groupe TF1, Gilles Pélisson. C’est justement dans le but de rattraper ce retard que le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, de son intitulé exact, sera très prochainement examiné par l’Assemblée nationale. Il fera alors l’objet d’amendements qui seront source de satisfaction ou de déception pour les acteurs historiques, soucieux de voir les normes juridiques s’adapter et prendre en compte la concurrence impulsée par les nouveaux entrants.
Franck Riester, présentant certaines mesures phares de la réforme audiovisuelle au micro d’Europe 1, 22 septembre 2019.
Une réforme qui souhaite tirer les conséquences de l’évolution des usages
HBO Max, Disney+, AppleTV+, Amazon Prime, Netflix… Le marché de la SVOD (vidéo à la demande sur abonnement) ne cesse de se développer et d’attirer de nouveaux publics. Aujourd’hui, le Centre national du cinéma (CNC) estime que Netflix est la cinquième chaîne de France en termes d’audiences. Une profonde transformation des habitudes de consommation des contenus audiovisuels est en cours.
Les premiers services de vidéo à la demande sont apparus en 2005 en France. Ils ont ensuite connu un véritable boom en 2014 avec l’arrivée de Netflix sur le territoire national. En 2019, la Motion Picture Association of America (MPAA) estimait le nombre d’abonnés à un service de SVOD à 650 millions. Depuis, ce nombre n’a cessé de croître.
Cette croissance des abonnements s’accompagne d’une baisse générale des audiences télévisuelles sur le direct. Pour s’adapter à ces nouveaux usages, les chaînes de télévision développent de nouveaux projets tels que la plateforme de replay SALTO (commune à M6, France Télévisions et TF1) ainsi que des co-productions avec ces nouveaux acteurs, ce fut notamment le cas entre TF1 et Netflix concernant Le Bazar de la Charité.
Une volonté de rétablir une concurrence plus juste et équitable
Face à ces changements, les acteurs historiques de la télévision en linéaire demandent une adaptation de la législation et de la réglementation afin de rétablir une concurrence équitable entre les différentes parties. En effet, les chaînes estiment que les obligations qui pèsent sur elles devraient également peser sur les plateformes de vidéo à la demande.
Le projet de réforme audiovisuelle était relativement consensuel jusqu’à ces derniers mois. Puis, au fur et à mesure de la rédaction du projet par le Ministère de la Culture, les chaînes (notamment Canal+, TF1, M6 et NextRadio) ont laissé transparaître leurs doutes et insatisfactions. Elles estiment que le projet de loi n’est pas à la hauteur des ambitions initialement affichées, qu’il ne prend pas suffisamment en compte la force de la concurrence qui se joue aujourd’hui dans le paysage médiatique.
Vers un assouplissement des obligations des acteurs historiques
Le projet de loi voudrait alléger les devoirs des chaînes de télévision afin de leur permettre de se maintenir devant leurs concurrents. Notamment, le projet de loi simplifie la production cinématographique en offrant aux chaînes la possibilité de globaliser leur effort au sein d’un même groupe et non pas de le calculer chaîne par chaîne.
Les chaînes se voient également accorder une liberté plus grande quant à l’organisation de leur grille de programmation. En effet, l’encadrement de la grille horaire et journalière de diffusion des films de cinéma est rendue caduque. Il n’y aura plus de jours interdits pour la diffusion de films de cinéma à la télévision.
Le projet de loi a pour objectif de permettre aux acteurs historiques de renforcer leurs recettes publicitaires, lesquelles sont au cœur de leur business model. En effet, le nombre de coupures publicitaires autorisées au cours de la diffusion d’une œuvre cinématographie est porté à trois contre deux auparavant.
La mise en place de nouvelles contraintes sur les épaules des plateformes
Le chapitre I du titre I du projet de loi présente les mesures relatives à la création. Parmi ces mesures figure l’extension des obligations en terme d’investissement dans la production des services établis en France aux services non établis en France mais qui visent le public francais. Cette disposition aurait pour effet, par exemple, de soumettre Netflix à de nouvelles obligations économiques.
Les plateformes en ligne seront désormais soumises à la compétence de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) qui est la nouvelle autorité de régulation du secteur ; elle est le fruit de la fusion entre le CSA et la HADOPI. Les plateformes se verront donc dans l’obligation de respecter les normes de régulation définies par l’ARCOM.
Des obligations encore trop lourdes sur les épaules des chaînes linéaires
Les acteurs historiques déplorent le fait que le projet de loi ne consacre finalement pas la levée des secteurs interdits de publicité à la télévision alors même que l’Autorité de la concurrence y était initialement favorable.
Ils estiment que ce maintien est injustifié étant donné que les plateformes en ligne ne connaissent aucun secteur interdit de publicité.
L’Autorité de la concurrence a également pointé du doigt l’asymétrie des droits entre les diffuseurs et les plateformes. En effet, lorsqu’elle finance une série (parfois jusqu’à 70%), la chaîne de télévision détient les droits de diffusion sur une période limitée (environ 48 mois) alors même qu’un acteur tel que Netflix peut détenir ces droits sur plusieurs années.
Maxime Saada, le PDG de Canal+, déplorait le fait que Canal+ ait « sorti la saison 4 du Bureau des légendes, dont nous avons financé 70 % pour un peu plus de 15 millions d’euros, mais nous n’avons déjà plus les droits de la saison 1. Netflix, Amazon ou les autres les récupèrent contre une bouchée de pain. Nous n’avons aucun droit sur la série Versailles, dont nous avons financé plus de la moitié et que nous avons diffusée, et aujourd’hui, aux États-Unis, c’est un contenu estampillé Netflix original ».
Il convient de rappeler que les dispositions présentées dans cet article sont susceptibles d’évoluer, la réforme audiovisuelle n’est pour l’instant qu’au stade de projet avant son adoption définitive par les deux chambres parlementaires. Les chaînes historiques peuvent encore défendre leurs positions lors de cette phase parlementaire.
Loren Fadika
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