Le premier semestre 2019 devrait être celui de la nouvelle loi sur l’audiovisuel français. Destinée à assouplir le cadre règlementaire de la télévision et de la radio française, certains projets reviennent sur le devant de la scène, à l’image de la télévision segmentée. Il s’agit pour les chaînes nationales linéaires de diffuser des signaux différents en fonction des foyers.
Plusieurs recommandations ont d’ores et déjà été faites à propos de la publicité segmentée, au sein de la mission d’information sur « Une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique » censée préparer la mise en place de la nouvelle loi. L’une d’elle préconise une expérimentation de 18 mois préalable à l’autorisation de la publicité segmentée à la télévision afin d’observer l’impact de ce type de publicité sur le marché français.
La télévision programmatique et plus particulièrement segmentée connaît néanmoins des expérimentations sur le territoire français. TF1 et M6, via le processus Hybrid Broadcast Broadband TV délivrent sur tous devices, au sein de leurs plateformes de catch-up des bannières publicitaires promouvant leurs propres programmes. Les box IPTV des FAI exploitent déjà la data géographique, les données sociodémographiques et le ciblage par moments de vie pour proposer des publicités les plus pertinentes possibles au sein des corners de replay de ces mêmes boxes. Par ailleurs France 3 via Adressable.tv propose de la publicité ciblée pour ses antennes régionales à l’instar de BFM Paris où c’est Nissan qui a testé la publicité segmentée pour cibler les régions où le constructeur automobile possède ses concessions.
Les techniques liées à l’achat programmatique pour la télévision linéaire n’en sont cependant pas à leurs balbutiements, l’Angleterre et l’Australie en ont déjà fait une réalité.
Outre-Manche c’est le dispositif Sky AdSmart dont la segmentation en environ 1400 critères permet d’adresser des publicités à des profils très précis à la manière du display internet. Enfin, un spot peut être aisément remplacé par un autre à condition d’obtenir l’accord de l’annonceur du spot remplacé. De l’autre côté du globe, Multi Channel Network a lancé un service permettant aux annonceurs d’acheter directement des spots TV en linéaire et de contourner la contrainte technique de l’analogique où le stockage temporaire de données est impossible. Ainsi, l’achat est déterminé en fonction des moments de la journée où un spot intéressera une cible en particulier.
Le marché français reste toutefois plus règlementé. Alors que le SNPTV revendique 200 millions d’euros de revenus supplémentaires pour la télévision, cela pourrait se faire au détriment de la PQR, des radios, et de la publicité directe dont les revenus dépendent des annonceurs locaux, auxquels seuls ceux-ci ont accès. Notons que Sky, depuis l’apparition de Sky AdSmart en 2014, a annoncé la première année une forte hausse d’annonceurs 70 % de nouveaux annonceurs supplémentaires dont beaucoup de petits.
Aujourd’hui, l’article 13 du décret 92-280 du 27 mars 1992 précise que « les messages publicitaires doivent être diffusés simultanément dans l’ensemble de la zone de service » c’est à dire que la loi interdit aux chaines nationales la diffusion de plusieurs signaux et limite donc l’accès à certains annonceurs qui préfèrent s’appuyer sur des éditeurs locaux. Si la loi venait à modifier ce paramètre, le manque à gagner serait chiffré à 130 Millions d’euros pour la presse, 60 Millions pour la radio et 95 Millions pour la publicité extérieure, selon une étude France Pub. C’est également à travers l’ouverture des secteurs interdits à la publicité TV que ce manque à gagner pourrait s’exprimer puisque les annonceurs de la distribution pourraient migrer à la télévision et réduire de 264 millions d’euros leurs investissements dans ces médias.
Enfin la télévision segmentée permettrait de lever les barrières à l’entrée du marché TV pour de petits annonceurs qui étaient jusqu’alors l’apanage de Google et Facebook. Ces petits annonceurs paieront moins cher car leur couverture serait locale et plus nationale. Le prix au contact en revanche augmentera puisqu’il sera plus qualifié.
Les velléités des GAFA sur la télévision
Malgré tout, les acteurs nationaux, à leur échelle, essaient de rééquilibrer le jeu face à des Google et Facebook qui captent la grande majorité des investissements publicitaires du numérique et grappillent une partie des budgets investis en télévision.
L’avènement de la télévision programmatique marque d’ailleurs un phénomène de convergence entre les pratiques publicitaires numériques et linéaires. Cette porosité profitera sans aucun doute aux GAFA.
Cette convergence des pratiques semble présager le futur de la télévision segmentée, car en plus d’être celle des set-top-boxes elle sera également celle de l’OTT. En effet, l’exemple le plus récent est la prise en compte du « co-viewing » propre à la télévision, pour des acteurs comme Roku, dans la valorisation de leurs inventaires publicitaires auprès des annonceurs. Un paradoxe quand on sait que les régies françaises aimeraient parvenir à un niveau de segmentation très précis pour ne plus cibler des foyers, mais des profils utilisateurs comme sur le display internet. La cohabitation des metrics est aussi un sujet délicat puisque la télévision segmentée remettrait en question l’hégémonie de Médiamétrie en matière de mesure d’audience. De ce côté, on note un fort succès auprès des chaines de télévision linéaires de l’outil SFR Analytics. La mesure des boxes reste toutefois d’ordre quantitatif pour le moment car les metrics proposées par SFR ne parviennent pas à un degré de segmentation équivalent à l’offre Sky AdSmart. Par ailleurs, malgré un parc de boxes assez conséquent en France, sur 58% de téléviseurs reliés à Internet, 80% sont reliés à une box, ce ne sont pas forcément les FAI qui serviront de levier pour atteindre un degré de segmentation élevé. TF1 compte sur 20 millions d’utilisateurs logués sur myTF1 contre 5 millions de consommateurs sur les boxes des FAI.
La télévision programmatique s’impose alors comme un véritable enjeu commercial pour les années à venir puisqu’elle représenterait en 2021 près de 20 milliards d’euros – soit plus de 70 % de croissance par an alors qu’elle représentait en 2017 2 milliards d’euros.
Marie Gourbil