Les téléviseurs connectés : révolution numérique ou menace pour la vie privée ?

Si vous possédez un téléviseur connecté, il y a de fortes chances que, pendant que vous le regardez, lui aussi vous observe.

En 2024, plus de 4 foyers français sur 10 sont équipés de téléviseurs connectés, ces appareils sont devenus essentiels dans nos salons. Avec leur capacité à diffuser du contenu en streaming, exécuter des applications ou encore répondre à des commandes vocales, les « Smart TV » offrent une expérience toujours plus personnalisée et interactive. Pourtant, derrière cette promesse de modernité, une réalité moins visible : la collecte massive de nos données personnelles.

Qui récolte ces informations ? Est-ce votre fournisseur d’accès, le fabricant de votre téléviseur, ou les applications que vous utilisez ? Plongeons dans un univers où chaque interaction peut être une occasion d’en savoir un peu plus sur vous.

L’ACR : le cheval de Troie des téléviseurs connectés

D’après un rapport du Center for Digital Democracy (CDD), nos téléviseurs connectés agissent comme des « chevaux de Troie » modernes. Derrière leurs fonctionnalités séduisantes se cache un outil puissant et discret : l’ACR (Automatic Content Recognition).

Intégrée directement dans le système d’exploitation de ces appareils, cette technologie est capable d’identifier en temps réel tout ce qui apparaît à l’écran, que ce soit un film en streaming, une émission en direct ou même un jeu vidéo. Mais ce n’est pas tout : elle associe les contenus regardés dans votre foyer à votre adresse IP, permettant de lier les informations aux appareils connectés sur le même réseau.

Rayna Stamboliyska, autrice de La face cachée d’Internet, décrit l’ACR comme un « pixel » informatique qui agit tel un responsable marketing virtuel posté au-dessus de votre épaule. Chaque interaction avec l’écran est enregistrée, analysée, et envoyée à l’éditeur ou au constructeur de votre téléviseur. Ces données, souvent partagées avec des partenaires tiers, ne se limitent pas à ce que vous regardez, elles incluent aussi vos habitudes d’utilisation. Des fabricants comme Samsung ou Vizio l’admettent d’ailleurs explicitement dans leurs conditions d’utilisation : l’ACR a pour mission de collecter et partager ces informations. Leur argument ? Améliorer l’expérience utilisateur. Mais en réalité, ces données servent principalement à affiner la publicité ciblée et les outils d’analyse pour les annonceurs. Ainsi, l’écran devient une porte ouverte sur vos habitudes, permettant aux entreprises de personnaliser leurs campagnes et de maximiser leurs profits.

L’ACR soulève donc une question essentielle : jusqu’où sommes-nous prêts à sacrifier notre vie privée en échange d’une expérience plus personnalisée ou de recommandations plus pertinentes ? Pour beaucoup, cette technologie transforme nos téléviseurs connectés en espions numériques invisibles mais omniprésents, qui observent en permanence ce qui se passe dans nos foyers.

Qui collecte vos données… et que collectent-ils exactement ?

Les entreprises derrière les services de streaming et les appareils connectés utilisent des techniques de suivi avancées pour cibler la publicité. En conséquence, ces téléviseurs sont devenus un véritable « cauchemar pour la vie privée », comme le décrit Jeffrey Chester, co-auteur du rapport et directeur du CDD. Les téléviseurs connectés ne se contentent pas de vous donner accès à des séries, des films ou des applications. Ils collectent en permanence des données, et plusieurs acteurs interviennent dans ce processus : 

  • Les fabricants de téléviseurs : des marques comme Samsung, LG ou Sony jouent un rôle central dans cette collecte. Grâce à à l’ARC, ils savent précisément ce que vous regardez, à quel moment, et sur quelle chaîne ou plateforme. Mais ce n’est pas tout : ils collectent également des informations sur vos paramètres, la durée d’utilisation de votre écran, et les applications installées. 
  • Les systèmes d’exploitation et plateformes tierces : Beaucoup de téléviseurs utilisent des OS développés par des géants comme Google (Google TV, Android TV), Roku ou Amazon (Fire TV). Ces systèmes collectent des données sur votre navigation, vos recherches, et vos interactions avec les menus et le contenu que vous consommez. Par exemple, si vous demandez à votre TV via commande vocale « Trouve-moi un film de science-fiction », cette requête peut être analysée pour alimenter des bases de données.
  • Les applications et services de streaming : Les plateformes comme Netflix, Prime Video, YouTube ou encore Spotify suivent minutieusement vos habitudes de visionnage ou d’écoute. Elles savent non seulement ce que vous regardez, mais aussi pendant combien de temps, si vous mettez en pause, ou si vous abandonnez un programme avant sa fin. Ces informations alimentent leurs algorithmes de recommandation, mais elles sont aussi utilisées pour créer des profils d’utilisateurs qui sont ensuite vendus aux annonceurs.
  • Les fournisseurs d’accès Internet : En tant qu’intermédiaires essentiels, les box des FAI comme Orange, Free ou Bouygues peuvent également analyser les flux de données qui passent par leurs réseaux. Bien qu’ils affirment respecter la vie privée, certaines politiques d’utilisation incluent des clauses ambiguës concernant le suivi de vos activités.

Le RGPD : une protection suffisante ?

En théorie, la réglementation impose aux entreprises d’obtenir le consentement des utilisateurs avant de collecter leurs données. Cependant, le processus est souvent opaque, avec des conditions d’utilisation souvent acceptées sans lecture détaillée. Cela entraîne une validation implicite du suivi par les utilisateurs.

Un contrôle difficile pour les utilisateurs

Les conditions d’utilisation souvent longues et complexes rendent difficile pour les utilisateurs de comprendre l’étendue réelle de la surveillance à laquelle ils sont soumis. Si vos données sont collectées, vous devriez être informé de l’objectif de cette réutilisation, de la transmission des données à des partenaires, et de la nature (voire l’identité) de ces partenaires. Vous devez également être en mesure de consentir ou de refuser ces opérations.

Les entreprises doivent respecter un cadre strict pour recueillir ce consentement, en suivant les principes suivants :

  • Présentation d’une bannière de consentement claire et complète.
  • Possibilité d’accepter ou de refuser la collecte de données.
  • Conservation des choix des utilisateurs et droit de modification à tout moment.

Malheureusement, la complexité des politiques de confidentialité et des technologies utilisées rend ces engagements flous, laissant peu de place à une prise de décision éclairée.

En Europe, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) impose des règles strictes aux entreprises. Toute collecte de données doit être justifiée et sécurisée, sous peine de lourdes sanctions. Bien que certains fabricants permettent de désactiver certaines options de suivi, ces paramètres restent souvent difficiles à trouver et leur désactivation ne supprime pas toutes les méthodes de collecte. Même si le cadre réglementaire européen est plus strict, le véritable défi reste l’application concrète des règles et l’information des consommateurs sur leurs droits.

Bien que porteurs d’innovations et de confort, les téléviseurs connectés  soulèvent de plus en plus de questions en matière de vie privée. L’ACR et la collecte de données par différents acteurs de l’écosystème numérique nous rappellent à quel point il est difficile de garder le contrôle sur nos informations personnelles. Si des régulations comme le RGPD existent pour encadrer cette collecte, leur mise en œuvre reste perfectible. La question demeure : à quel prix sommes-nous prêts à accepter cette « intelligence » technologique ?

Eden SEKROUN

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​​Ouest-France, Comment votre télé connectée récolte et revend vos données personnelles en toute tranquillité. 6 mars 2024. Lien

CNIL, Téléviseurs connectés : Les conseils de la CNIL. 26 novembre 2019. Lien

Trust My Science, Smart TV : Nouvelle menace pour la vie privée. 27 septembre 2024. Lien

RMC BFM Ads, Etude Harris Interactive : La CTV, complémentaire à la télévision linéaire. 2 décembre 2024. Lien

Clubic, Smart TV : un véritable espion connecté au cœur de nos salons. 9 octobre 2024. Lien

La Presse, Votre télé connectée vous regarde aussi. 21 octobre 2024. Lien

Didomi, Gestion du consentement pour la télévision connectée (CTV). 29 octobre 2024. Lien

PC Matic, How Streaming TV is Watching You: The Hidden Costs of Connected TVs. 8 octobre 2024. Lien

Center for digital démocracy , How TV Watches Us: Commercial Surveillance in the Streaming Era. 7 octobre 2024. Lien

Le phénomène Telegram, à la fois messagerie et réseau social : un concurrent sérieux pour Meta ?

Quelles sont ses forces, ses faiblesses et les possibilités de son évolution future ?

Telegram ne se limite pas à être une application de messagerie instantanée qui compte plus de 900 millions d’utilisateurs actifs mensuels. C’est également un réseau social prometteur, en passe de devenir un sérieux concurrent pour les plateformes Meta. En outre, Telegram est une société privée totalement possédée par son fondateur. L’entreprise compte seulement 30 ingénieurs et ne possède pas de département des ressources humaines. Telegram mise sur la qualité et la fiabilité de ses services plutôt que sur le marketing pour attirer et fidéliser ses utilisateurs. La société s’engage aussi à préserver une impartialité politique.

Telegram a été développé en 2013 par les frères Pavel et Nikolaï Dourov. L’accent principal a été mis sur la transmission sécurisée des données grâce à l’utilisation du protocole cryptographique MTProto, qui assure un chiffrement de bout en bout, du serveur à l’utilisateur pour les chats standards, et d’utilisateur à utilisateur pour les chats secrets. Pendant longtemps, Telegram fonctionnait sans modèle de monétisation. Pendant ce période, il était financé par son PDG Pavel Dourov. En 2015 Durov a admit que le fonctionnement de Telegram lui coûtait 12 millions de dollars par an. 

Aujourd’hui, Telegram dispose de deux principales sources de monétisation : l’abonnement premium et la publicité. L’introduction de méthodes de monétisation n’a pas détérioré l’expérience utilisateur. La version premium offre seulement un petit ensemble de fonctionnalités supplémentaires, telles que la déchiffrement de messages audio et vidéo en texte et la possibilité d’interdire aux autres utilisateurs d’envoyer des messages vocaux. La publicité apparaît uniquement dans des chaînes publiques sous forme de courts messages textuels. Les publicités sont clairement indiquées et ne peuvent être confondues avec le contenu.

Examinons d’autres fonctionnalités qui distinguent Telegram de ses concurrents. D’abord, Telegram n’est pas seulement une messagerie instantanée, mais aussi un réseau social grâce à ses chaînes. Une chaîne Telegram est un outil de communication unidirectionnelle, mais les utilisateurs peuvent laisser des réactions et des commentaires. L’utilisation des chaînes est pleinement intégrée dans l’interface utilisateur : les messages des chaînes arrivent comme de simples messages privés. Il est à noter que Telegram n’utilise pas de système de recommandation : les utilisateurs voient sur la page principale uniquement les chaînes auxquels ils sont abonné, et elles s’affichent dans l’ordre chronologique des dernières publications. Cela permet d’éviter que des chaînes moins populaires mais importants pour l’utilisateur ne se perdent dans le flux de nouvelles.

Une autre caractéristique remarquable de Telegram est son stockage cloud gratuit. Tant que le compte reste actif, tous les fichiers, photos, audios et vidéos sont sauvegardés sans limitation de volume. L’application elle-même ne nécessite pas plus de 100 Mo de mémoire, et le cache peut toujours être nettoyé via le menu principal.

Telegram offre également de vastes options pour la gestion de l’envoi de messages : il est possible de programmer l’envoi, d’envoyer des messages sans notification ou de créer des messages qui s’auto-détruisent. Les utilisateurs peuvent aussi interdire la retransmission de leurs messages.

Le code de Telegram et son API sont ouverts aux développeurs. Il existe également une API pour les chat bots. Les possibilités d’interaction avec les chat bots sont presque illimitées, allant de la création de stickers à partir de photos au paiement de services, en passant par l’intégration avec des outils comme Chat GPT et Midjourney. Un chat bot ressemble à n’importe quel autre chat, l’interaction reste simple et intuitive. 

Une autre fonctionnalité utile de Telegram est la possibilité de remplacer le numéro de téléphone enregistré sur le profil par un pseudonyme. Les utilisateurs peuvent également être recherchés par ce pseudonyme, ce qui ajoute une couche de confidentialité et permet de garder le numéro de téléphone mobile secret.

Telegram possède de nombreuses fonctionnalités utiles, mais l’une des plus importantes est la présence de chats secrets, où le chiffrement de bout en bout va d’un utilisateur à l’autre. Cela signifie que les messages sont stockés uniquement sur les appareils des participants au dialogue. Pourquoi alors tous les chats ne sont-ils pas chiffrés de cette manière par défaut ? La raison en est que si l’appareil est perdu, les données des chats secrets ne peuvent pas être récupérées, et il n’est pas possible de se connecter à ces chats à partir de différents appareils via un seul compte. 

Selon DataAI, Telegram se classe actuellement sixième parmi les applications les plus utilisées dans le monde. Cette popularité attire inévitablement l’attention des services de sécurité nationaux de différents pays ainsi que de grandes corporations comme Google et Apple, qui cherchent à exercer un contrôle sur la plateforme. Apple menace parfois de retirer Telegram de l’AppStore et entrave ses mises à jour, tandis que Google a bloqué la technologie de domain fronting, qui constituait une protection importante pour le messager contre les blocages. Comment Telegram réussit-il à rester indépendant et à maintenir sa neutralité?

Premièrement, Telegram appartient à son fondateur, ce qui lui permet de prendre des décisions indépendantes sans ingérence extérieure. Deuxièmement, le siège de Telegram est basé aux Émirats Arabes Unis, un pays connu pour sa neutralité politique.

La pandémie de COVID-19 a révélé l’ampleur de la liberté offerte par Telegram, se manifestant par sa gestion de la communication durant cette période critique. Telegram est devenu l’un des rares réseaux sociaux à ne pas censurer les publications critiques sur les mesures de lutte contre le virus et la vaccination. La plateforme a collaboré activement avec les canaux gouvernementaux pour diffuser des informations officielles sur les mesures prises, mais n’a pas bloqué les voix critiques. Ainsi, différentes opinions ont pu coexister sur la plateforme, tandis que les services comme ceux de Meta supprimaient les publications contenant des informations jugées peu fiables. « Il est sensé de confronter des opinions opposées et d’espérer que la vérité émerge de ces débats, » a déclaré Pavel Dourov dans une interview.

Les principaux problèmes qui limitent la popularité de Telegram incluent les risques liés à l’utilisation de son haut niveau de confidentialité à des fins malveillantes et le nombre relativement faible d’utilisateurs dans certains pays. La sécurité et la liberté représentent un dilemme complexe. Cependant, il est important de se rappeler que le chiffrement de bout en bout protège la liberté d’expression et aide à se défendre contre le piratage, le vol de données, la fraude et la divulgation illégale d’informations. En ce qui concerne le manque d’utilisateurs, Telegram offre toujours d’importantes possibilités. Bien que tous les amis et membres de la famille ne soient pas inscrits sur cette plateforme, Telegram peut être utilisé non seulement pour communiquer, mais aussi comme un réseau social pour lire des chaînes, publier du contenu, ainsi comme un espace de stockage cloud gratuit.

Actuellement, Telegram compte 41 millions d’utilisateurs en Europe, ce qui est légèrement inférieur au seuil de 45 millions nécessaire pour être reconnu comme une « très grande plateforme ». Cependant, le site officiel de Telegram présente une section sur le Digital Service Act qui détaille les mesures prises par la plateforme pour se conformer à ces normes :

  • La plateforme définit les comportements et contenus interdits, tels que le spam, la promotion de la violence, le contenu sexuel illégal et d’autres activités illégales.
  • Telegram utilise des méthodes de modération automatiques et manuelles pour son contenu public
  • Actions possibles de Telegram inclut la suspension temporaire ou permanente de certaines fonctionnalités du compte, l’étiquetage des comptes comme « Faux » ou « Fraude », et la possibilité de bloquer ou de supprimer des utilisateurs et du contenu en cas de violations graves.
  • Telegram n’utilise pas d’algorithmes de recommandation pour promouvoir du contenu, mais propose des contenus basés sur les requêtes et abonnements des utilisateurs
  • Les utilisateurs peuvent contacter Telegram via le bot @EURegulation, qui sert de point de contact unique dans le cadre du Digital Service Act. 
  • Les autorités de l’UE peuvent contacter Telegram via un représentant à Bruxelles pour les questions liées à l’Acte sur les services numériques.

En 2018, le RGPD a été publié, et peu après, Telegram a mis à jour son application pour se conformer à cette réglementation. Selon un article sur le site officiel de Telegram, la plateforme a été initialement conçue pour protéger les données personnelles, ce qui a nécessité peu de modifications pour répondre aux exigences du RGPD. Telegram propose un chat bot où les utilisateurs peuvent demander une copie de toutes les données enregistrées les concernant et obtenir des clarifications supplémentaires sur la confidentialité.

Je pense que la popularité de Telegram continuera de croître, bien qu’il ne remplace pas WhatsApp, dont les utilisateurs sont déjà habitués à son interface et possèdent les chats et groupes nécessaires. Étant donné les nombreuses fonctionnalités de Telegram, les deux plateformes peuvent être complémentaires. De plus, il est possible que de nouveaux concurrents émergent, tels que Signal et Olvid, qui sont des plateformes plus récentes et gagnent en popularité.

Elizaveta Kolpakova

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