Alors qu’il a déjà fait ses preuves sur le web, l’achat programmatique peine à percer sur le téléviseur. Paradoxe, alors que la télévision connectée (IpTv) est aujourd’hui, le mode de consommation majoritaire en France. Les régies publicitaires semblent saisir les enjeux du marché et lancent leurs premières offensives.
Au premier semestre de 2016, la part du programmatique représentait plus de 50 % du display selon l’Observatoire de l’e-pub du SRI. L’explosion de ce mode d’achat a d’ores et déjà su conquérir le marché publicitaire digitale. Les chaines et leur régie l’ont déjà expérimenté sur leurs plateformes numériques. Malgré son succès, le programmatique peine à percer sur d’autres marchés publicitaires, notamment sur celui de la télévision linéaire.
Cependant, avec près de 80 % de taux de pénétration dans la population française, la télévision connectée (IpTV) possède toutes les capacités techniques nécessaires pour développer l’achat programmatique en Tv. Dans une société où le consommateur est de plus sollicité par les marques, la distribution d’une publicité ciblée et personnalisée pourrait être le remède à cette surpression des messages publicitaires. Les régies publicitaires des chaines se saisissent de la question petit à petit. Les acteurs du marché cherchent, à travers de nouvelles offre innovantes liant offre programmatique et offre classique, à maximiser l’efficacité des campagnes publicitaires.
Afin d’en saisir les enjeux, il est essentiel de différencier la télévision linéaire et la télévision non linaire. La question du programmatique n’appelant pas les mêmes réponses en fonction de la manière de consommer le média Télévision.
Explosion du programmatique sur la télévision non linéaire
Aujourd’hui, le marché du programmatique, porté par le RTB est en forte croissance ( +50% sur le display et 10% sur la vidéo – en RTB). Malgré les craintes initiales de dévalorisation des espaces publicitaires, aucune destruction de valeur n’est à déplorer. Pourquoi ? Les régies – et leurs chaines – ont su s’entourer de partenaires dont la priorité était de « premiumiser » l’achat programmatique. Les plus connus sont aujourd’hui La Place Média et Audience Square, les deux régies publicitaires programmatiques, leaders sur le marché. Ces places de marché digitale ont mis au centre de leur préoccupation le principe de « brand safety », afin de sauvegarder la valorisation des inventaires publicitaires.
Par ailleurs, les régies misent de plus en plus sur le programmatique direct plutôt que sur le programmatique pur : là où le programmatique pur permet de connaitre la catégorie de site sur lequel la publicité va être délivrée, le programmatique direct permet la connaissance du média précis de diffusion.
Les régies publicitaires se positionnent également sur la data en imposant le système du log. A l’image d’M6, qui ne donne accès au contenu d’M6 Play qu’en échange de data utilisateurs. Pour cela, l’utilisateur à pour obligation de se logger, soit via Facebook connect, soit en renseignant un certain nombre d’informations personnelles type sexe, âge et adresse mail. Cette initiative permet à la régie de développer sa data 1rst party et parallèlement séduire les annonceurs avec une audience qualifiée.
Enfin, les régies publicitaires développent des offres basées sur la data, permettant d’augmenter le ROI de leur campagne grâce à une audience qualifiée, et donc par extension, un ciblage plus précis. L’illustration parfaite est le lancement de Data One par TF1, en partenariat avec Kantar, qui se rapproche des habitudes de consommation en proposant une approche basée sur des GRP par produit – par exemple GRP Sodas ou GRP biscuits. Cette offre permet entre autre de s’adresser à des profils d’acheteurs produit – Exit la ménagère de moins de 50 ans avec enfants – mais également de détecter les décisionnaires d’achat.
Le programmatique est donc bien installé pour ce qui est de la télévision non linéaire tant pour le display que pour la vidéo. Le nouveau challenge pour les régies et acteurs du programmatique d’adapter ce mode d’achat à la télévision linéaire.
La puissance du téléviseur …
La télévision est et reste le média de masse par excellence, idéal pour valoriser son image de marque ou pour les lancements produits. Il permet de toucher la plus large audience de manière efficace et économique, malgré son coût d’entrée élevé. Après l’avoir désertée pendant un temps, les annonceurs reviennent vers le petit écran progressivement.
Malgré tout, la télévision, a dû faire face à une dévalorisation de son inventaire publicitaire. La cause principale réside dans la fragmentation de l’audience, elle-même due à une multiplication de l’offre. Une note une dévalorisation de 37% entre 1993 et 2016. De plus, le temps accordé à la publicité par heure est passé de 9 minutes à 6 minutes depuis 2009. Certains acteurs du marché souhaiteraient remonter ce temps publicitaire à 12 minutes. Cependant, la surpression publicitaire à la télévision (à l’image des USA par exemple) serait une erreur à ne pas commettre, dans une société où le « ras le bol » publicitaire est déjà virulent.
… boosté par le programmatique
La télévision connecté (IpTv), représente aujourd’hui près de 80 % des téléviseurs en France. La technologie est donc là et permettrait la mise en place du mode d’achat programmatique – techniquement parlant. Avec la fragmentation des audiences, les régies ont intérêt à conserver et augmenter la valeur de leurs inventaires publicitaires. Pour cela, la data collectée par les FAI via les boxes (et donc les téléviseurs connectés) est une vraie mine d’or. Les régies lancent d’ailleurs des offres programmatiques allant dans ce sens.
Tout d’abord, l’exemple de TF1 avec son offre One Data, fondée sur une collaboration avec les FAI permettant d’enrichir la data de l’IpTV, apportant une data comportementale, sur les goûts et les manières de consommer des téléspectateurs.
Canal + Régie est à l’initiative du projet ALLADIN (All Ad In). La régie du groupe Canal a voulu réunir toutes les régies publicitaires françaises autour de ce projet plaçant la programmatique au centre des problématiques de rentabilité publicitaire. L’objectif principal de ce consortium est de constituer une large base de données qualifiées, réelle monnaie d’échange unique face au traditionnel Médiamat. La data segmentée « traditionnelles » sera donc couplée avec une approche dite plus « reach ». Autrement dit c’est le rapprochement entre la puissance de frappe de la télévision traditionnelle et le ciblage précis, aujourd’hui possible sur le web.
Cette innovation structurelle du marché est indéniablement en marche. Cette méthode programmatique remplacera-t-elle à terme les méthodes de vente traditionnelle ? Rien n’est moins sûr. En effet, les acteurs du marché imaginent, pour le moment, une solution de complémentarité entre les deux approches. Par ailleurs, les contraintes de la programmatique sur le web ne sont pas les mêmes que sur la télévision. Inconcevable par exemple, d’imaginer un écran noir en cas de non vente d’un espace publicitaire. La mise en vente d’espace publicitaire en temps réel n’est donc pas pour tout de suite.
Il existe sur la média Télé, une barrière législative concernant l’interdiction de la segmentation des messages publicitaires (à l’exception de France 3 régions).
Enfin, imaginons que ce système se révèle efficace et soit mis en place. La question de la propriété des revenus publicitaires devient légitime dans ce marché de plus en plus intermédié. On risque une guerre de pouvoir entre les régies, les agences et les nouveaux arrivant sur le marché, détenteurs de la data qualifiée : les FAI.
Alexandra Douffiagues