Les rappels de produits – Un retour en arrière systématique ?

Findus – Très à cheval sur la provenance de ses ingrédients ? 

En janvier 2013, en Irlande et au Royaume-Uni, des tests réalisés sur des produits surgelés à base de bœuf produites par la marque Findus révèlent la présence de viande de cheval non déclarée. Le scandale explose et très vite des tests réalisés partout en Europe révèlent la même chose. Findus se voit obligé de procéder à des rappels massifs de produits. Assez vite, l’entreprise se tourne vers ses sous-traitants afin de comprendre l’origine de l’erreur et porte plainte contre ces derniers. Le sous-traitant Comigel met en cause le sous-traitant Spanghero qui accuse elle-même son fournisseur roumain. À la suite de l’enquête, Spanghero sera placée sous liquidation judiciaire, en effet, il est prouvé que les dirigeants de Spanghero étaient au courant de la présence de cheval dans la viande. Depuis, l’ex-directeur de l’entreprise a été condamné à six mois de prison ferme pour son rôle dans l’affaire.

Ce scandale reste l’un des plus scandales de l’industrie agroalimentaire les plus marquants du début de ce 21èmesiècle. Son aspect sulfureux y joue grandement. Lors de cette crise médiatique, les réseaux sociaux ont joué un rôle prépondérant dans la diffusion rapide des informations, tout en agissant à la fois comme un outil d’alerte immédiate mais aussi un catalyseur de réactions en chaîne parmi les consommateurs. Le rôle des réseaux sociaux lors des rappels de produit apparait alors comme un enjeu majeur. Est-ce que les rappels de produits sont toujours un problème si la crise est bien gérée grâce aux réseaux sociaux et de quelle manière les réseaux sociaux sont utilisés pour gérer la perception publique et engager les consommateurs durant une crise.

Le rôle des réseaux sociaux dans les rappels de produits 

Il est possible de parler de rappel de produit dès lors qu’une marque organise le retour d’un produit sur son lieu de production alors que certains exemplaires de ce produit sont déjà entre les mains des consommateurs. L’enjeu de ce type de situation repose sur la rapidité. En effet, si le produit n’est pas conforme, il présente un risque, l’enjeu est d’en informer le plus rapidement les consommateurs afin de limiter les dégâts et les risques sur ces derniers. Le temps est donc l’enjeu principal. Ce qui est intéressant avec les réseaux sociaux c’est qu’étant donné leur nature, ils ont la capacité de jouer ce rôle grâce à leurs capacités de diffusion massive et immédiate de l’information. En d’autres termes, grâce à leur viralité. 

Les rappels de produits sont inévitables, notamment dans l’industrie agro-alimentaire. En effet, le risque zéro étant inexistant malgré les avancées technologiques les rappels de produits sont fréquents. Les réseaux sociaux sont utilisés comme relais d’alertes de produits dangereux comme en témoigne le compte X (anciennement Twitter) @RappelConso, Twitter officiel de la République Française. Ainsi, les réseaux sociaux sont un vaisseau important des rappels de produits, notamment les réseaux qui ont une portée informationnelle, comme X (anciennement Twitter) qui est considéré comme une plateforme de micro-blogging. 

Néanmoins, tous les rappels de produits ne sont pas à l’origine d’une crise médiatique. En effet, les rappels de produits sont fréquents mais tous ne déclenchent pas de scandale. Ainsi quand nous pensons à de récents scandales alimentaires, nous pensons aux pizzas de la marque Buitoni qui ont tué deux enfants début 2022 à cause d’une contamination de bactéries mais peu d’entre nous aurons en tête le rappel de produit du Fromage de Bergues pour présence de listeria monocytogènes.

Quand la gestion de la crise galope vers le chaos 

Au début de sa crise médiatique Findus opte pour une stratégie opaque, peu d’informations sont fournies et cela laisse place à des dérives. Ainsi au début du mois de février 2013 le compte @Findus_France est créé sur X (appelé Twitter à l’époque). Dans un premier temps, une communication plutôt rassurante y est menée. Les tweets indiquent que des contrôles sur les matières premières sont menés et des engagements sont faits sur la qualité et la traçabilité des produits. Très vite, le contenu des tweets change drastiquement et menace les comptes Twitter de particuliers. Les tweets prennent alors tous la même forme « @xxx retirer ce contenu illicite sous peine de poursuites judiciaires. ». Le compte sera rapidement suspendu après une plainte de la part de Findus indiquant qu’ils ne sont pas à l’origine de la création de ce compte. Néanmoins, si cette situation a eu lieu c’est bien car la marque Findus n’a pas communiqué lors de ce début de crise, est restée floue et n’a pas investi tous les réseaux sociaux. L’e-réputation de la marque en prend un coup. 

L’enjeu de l’e-réputation

L’e-réputation se définit comme l’opinion commune sur le Web d’une marque. L’e-réputation est l’identité de la marque telle qu’elle est perçue par les internautes.  

Très vite, ayant compris l’importance de l’e-réputation sur les réseaux sociaux, Findus embauche une société spécialisée dans l’e-réputation, Reputation Squad et procède à un « nettoyage du web ». En effet, la page Wikipédia de la marque est modifiée, la page officielle Facebook est vidée. Cependant, ce type de communication n’est pas forcément plus efficace. Ne pas mentionner le scandale et chercher à l’effacer ont souvent l’effet totalement inverse.  Ce concept est assez connu et porte un nom et c’est l’effet Streinsan. C’est l’idée qu’essayer à tout prix d’interdire la circulation d’une information ne fait qu’apporter de l’attention et la visibilité sur cette dernière. Ainsi, à l’inverse de ce qui peut parfois sembler logique, communiquer de manière claire sur un scandale permet de diminuer son ampleur. En effet, en l’absence de spéculation, quand la situation est assumée et transparente, cela affaiblit la viralité d’un évènement.

Une communication loin d’être glaciale

Nous pouvons comparer la gestion de cette crise médiatique avec cella de Blue Belle Ice Cream qui a été détaillée par Kelsi Opat, Haley Magness et Erica Irlbeck. En 2015, toutes les crèmes glacées de cette marque sont rappelées à cause d’une contamination à la bactérie listeria. La réaction immédiate de la marque est différente de celle de Findus. En effet, dès le début la marque poste sur son compte Facebook des messages contenant des informations sur le rappel et le réapprovisionnement des produits. 

Ces messages à destination des consommateurs mais également des consommateurs potentiels ont créé un sentiment de confiance et de transparence vis-à-vis de la marque. Ainsi, en assumant l’entière responsabilité du problème, Blue Bell Ice Creal créé un sentiment de loyauté et de responsabilité. À l’inverse, la réaction initiale de Findus a été de rejeter la faute sur ses fournisseurs au lieu de prendre tout de suite ses responsabilités. Ce type d’action créé une perte de confiance. 

Nous pouvons dès lors supposer qu’à la différence de Findus, Blue Bell Ice Cream avait une ligne éditoriale claire en cas de rappels de produits et ou de scandale médiatique. Le cas de Blue Bell Ice Cream est encore plus intéressant car la marque a profité de cette crise médiatique pour se rapprocher de ses consommateurs en répondant à leurs questions et en mettant en avant ses employés. Cette stratégie a payé, ainsi en 2016, la marque procède à un rappel de produit spontané, c’est-à-dire un rappel de produit sans que le danger ait été avéré, sur la base d’un danger potentiel. La marque communique cette information sur Facebook qui est accueillie chaleureusement par ses consommateurs comme l’en témoignent les images ci-dessous. 

Ainsi, un rappel de produit n’est pas une fin en soi pour une entreprise, cela peut même être l’occasion pour une marque de développer une image de marque responsable, transparente et engagée. Ainsi même si plus d’une dizaine d’années après le scandale médiatique pour Findus, l’entreprise continue de prospérer, la crise médiatique de la viande de cheval n’a pas été correctement gérée et aurait pu l’être si Findus avait anticipé ce risque potentiel.  

Ce qu’il est important de retenir c’est qu’un rappel de produit peut arriver à n’importe quelle marque et qu’il est important de créer une ligne éditoriale sur les réseaux sociaux claire en amont. Le but étant de pouvoir réagir le plus vite possible et au mieux tout en étant honnête et transparent. 

Chloé Bordenave


 

Boeing, une communication qui bat de l’aile

Depuis le début de l’année, Boeing traverse une crise sans précédent suite aux incidents qu’ont subi un de ses modèles d’avion commercial, amplifiée par les réseaux sociaux. Retour sur la stratégie de communication de l’avionneur, qui doit faire face à des conséquences économiques lourdes et une réputation difficile à restaurer.

Photo prise par un internaute lors du vol de l’Alaska Airlines entre Portland et Ontario

L’image a fait le tour des réseaux sociaux : le 5 janvier dernier, lors d’un vol de l’Alaska Airlines reliant Portland et Ontario, une porte s’est détachée de la carlingue de l’avion, provoquant la dépressurisation de l’avion et la panique des passagers. Le modèle d’avion concerné, un Boeing 737 Max 9, n’en est cependant pas à sa première défaillance. En effet, on recensait déjà des incidents avec ce même modèle depuis plusieurs années, dont notamment deux crashs en 2018 et 2019, faisant près de 350 morts.

Un déjà-vu communicationnel qui ne porte pas ses fruits

Face aux images qui se sont diffusées très rapidement sur les réseaux sociaux, Boeing a dû entrer en gestion de crise, et actionner plusieurs leviers de communication. Chacun des réseaux sociaux de l’entreprise a été mobilisé de manière différente, et force est de constater que les modes de communication ont été particulièrement disparates.

C’est sur X (anciennement Twitter) que la réaction a été la plus rapide : la compagnie a pu informer ses clients en temps réel sur la situation, et rendre compte de ses actions.

Boeing a radicalement adapté sa communication habituelle, adoptant un ton formel et partageant régulièrement communiqués de presse et mises à jour sur les enquêtes en cours ainsi que les différents remaniements organisationnels. Toutefois, cette stratégie communicationnelle du direct et de la transparence n’a pas été adoptée sur tous les médias sociaux de Boeing. Sur Facebook par exemple, où l’entreprise a un rythme de publication plus élevé et met en avant des contenus plus authentiques et personnels, la réaction a été bien différente. Boeing n’a pas mis en pause sa stratégie de communication habituelle, et a continué à publier sur l’ensemble de ses activités. Seulement les premières mises à jour concernant la crise ont été relayées, contrairement aux communiqués de presse qui se sont vus oubliés.  

C’est finalement sur Instagram que la communication de crise a été la plus légère. Aucune publication au lendemain des évènements, Boeing a attendu plusieurs mois pour mettre en avant sa nouvelle politique de contrôle qualité renforcé.

Dans un monde interconnecté, ces différences de transparence n’ont pas été suffisantes pour effacer et limiter la viralité de la crise sur certains réseaux : les commentaires des internautes restent les mêmes, et demandent tous à Boeing de rendre des comptes sur les différentes affaires en cours. Une stratégie de communication de crise qui n’a par ailleurs pas beaucoup changé depuis la crise du 737 Max 8 en 2019 : l’entreprise avait mis en œuvre les mêmes mécanismes, affichant déjà des faiblesses dans sa gestion de crise.  

Les médias sociaux ont permis un renversement de pouvoir pour les consommateurs. La culture de l’immédiateté, permise techniquement par les réseaux sociaux, a grandement fait évoluer les stratégies de gestion de crise. Les entreprises, exposées à l’enjeu du direct et à une époque où les informations se diffusent quasi instantanément, se doivent de développer un sens accru de la réactivité. Et contrairement aux médias traditionnels, elles doivent également faire face aux réactions des internautes, dont la parole peut se placer sur un pied d’égalité avec les marques, voire totalement la surpasser lorsqu’elle se massifie. Il suffit de regarder n’importe quelle publication de Boeing, en rapport ou non avec les 737 Max 9, pour s’apercevoir du poids des critiques perpétuelles que reçoit l’avionneur. L’enjeu de l’urgence de la gestion de l’information se pose d’autant plus qu’il est particulièrement complexe de démentir des informations devenues virales. Comment se dépêtrer des accusations de négligence en matière de sécurité, quand les images et les témoignages des internautes sont ceux qui font les audiences les plus fortes ? D’autant plus que dans un secteur comme l’aviation, qui fait déjà l’objet de peurs irrationnelles et de récits sensationnalistes, il est plus difficile qu’ailleurs de rétablir une confiance aussi gravement atteinte et imagée.   

Une crise de résolue, dix de plus à affronter

En gestion de crise, admettre fait partie des principales stratégies dont une entreprise dispose pour tenter de se sortir d’affaire. Bien que reconnaître une faute ne soit pas un comportement toujours inné, il se fonde ici sur un principe de la théorie des jeux : l’admission de la crise est motivée par le pari d’une réduction du temps d’exposition médiatique d’une affaire, évitant dès lors la multiplication d’investigations journalistiques et judiciaires. Pari raté pour Boeing.

Quelques jours après le premier incident d’Alaska Airlines, d’autres vols se voient perturbés par des pannes, des dysfonctionnements et des défaillances du Boeing 737. Début mars, la porte de la soute d’un avion est retrouvée ouverte à l’atterrissage, Boeing ayant essayé de dédouaner la responsabilité du modèle d’avion. Un autre Boeing 737 perdra une roue en plein vol peu après, dans un énième épisode d’une crise fortement relayée qui ne semble que s’alourdir, sans aucune autre issue de sortie que mettre en œuvre des contrôle de qualité renforcé. L’anxiété générale se voit d’autant plus amplifiée quand John Barnett, ancien salarié de Boeing et lanceur d’alertes au sujet des processus de production insécures de l’entreprise, est retrouvé mort peu après des auditions contre son ancien employeur, contre qui il avait intenté une action en justice pour un départ à la retraite prématuré.

L’accumulation des crises a eu raison de la position de Dave Calhoun, CEO de Boeing, qui s’est vu contraint de démissionner, preuve de l’ampleur de la crise et de la menace réputationnelle qui pèse sur l’entreprise et ses responsables. « Nous devons continuer à réagir à cet accident avec humilité et une transparence totale. Nous devons également faire preuve d’un engagement total en faveur de la sécurité et de la qualité à tous les niveaux de notre entreprise. », déclarait-t-il dans une lettre adressée aux employés de la compagnie. Et bien que l’annonce de son départ et des futures restructurations organisationnelles à venir dans l’entreprise ait pu désamorcer en partie la crise, l’annonce du bonus de départ de 24 millions de dollars de Dave Calhoun, qui a provoqué de fortes réactions négatives, relève encore une fois d’une faute dans la stratégie communicationnelle de Boeing, qui semble peiner à sortir d’un cercle vicieux pour sa réputation.  

Le cours de l’action Boeing en chute libre

Mais les défaillances sécuritaires de Boeing n’ont pas seulement entaché la réputation de l’aviateur auprès des consommateurs, puisqu’elles ont également brisé la confiance des actionnaires de l’entreprise. Les internautes, par le biais de leur prises de position massives et virales influencent les investisseurs plus qu’auparavant, grâce à leur pouvoir d’action sur la réputation d’une entreprise. Bien que la tendance globale du cours de l’action Boeing ait été à la baisse, les moments de chute libre qu’on peut observer correspondent parfaitement aux différentes crises qu’a connu l’entreprise récemment. Depuis le début de l’année, la valeur de l’action de Boeing a chuté de 29%, en faisant une des compagnies les moins performantes du S&P 500, de quoi déplaire aux investisseurs.

Comparaison du cours des actions Boeing et Airbus depuis novembre 2023

Une dégradation qui bénéficie d’ailleurs grandement à son concurrent européen de toujours, Airbus, qui a vu le cours de son action augmenter de 30% en l’espace de six mois. Les compagnies aériennes, principales clientes de Boeing, subissent de plein fouet cette crise et les nombreux contrôles de sécurité, gardant à terre une partie de leur flotte.

Pour Boeing, le chemin vers la restauration de sa réputation semble être un marathon semé d’embûches, où chaque pas vers la transparence et l’amélioration de la sécurité est crucial. L’avenir de l’aviateur américain dépendra de sa capacité à assurer une rigueur sans faille dans chaque aspect de sa production tout en montrant que les restructurations organisationnelles ne sont pas qu’un simple geste communicationnel.

Barbara S.

Autres références

  • MANGA, Xavier, 2018. La communication de crise à l’ère des médias socionumériques
  • Wiertz, Nathan ; Philippe, Clément. Gestion de crise en entreprise : étude du cas de Boeing lors de la crise du 737 MAX et de l’effet des stratégies sur les médias. Louvain School of Management, Université catholique de Louvain, 2021
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