L’impact des fusions-acquisitions sur le marché de la SVOD

En 2017, Disney secouait l’industrie avec l’acquisition historique de la 21st Century Fox pour 52 milliards de dollars, catapultant Hulu au sommet avec un éventail de contenus diversifiés. Privant Netflix et Amazon de précieuses œuvres Disney, Pixar et Marvel, Disney se retirait audacieusement de Netflix, lançant sa propre plateforme, Disney+, en 2020. Cette stratégie, initiée sous l’administration Trump, pose des défis dans un paysage médiatique en mutation et des régulations anti-trust renforcées. L’année 2023 a marqué une autre étape cruciale avec l’approbation réglementaire de la fusion tant attendue entre Discovery et Warner Media. Dirigée par David Zaslav, cette alliance a fusionné des réseaux emblématiques tels que TNT, CNN, Discovery et HGTV, créant un catalogue de contenus d’importance significative. Le défi majeur réside dans l’unification d’un public jusque-là segmenté entre deux offres distinctes : HBO Max, orienté vers le grand public, et Discovery +, axé sur les contenus non scénarisés à des tarifs relativement abordables. Cette tendance à la réunification vise à réduire la fragmentation des plateformes de SVOD, offrant une expérience plus cohérente pour les utilisateurs en rationalisant droits et ressources. 

En parallèle, les géants du streaming renforce leur stratégie et le succès est au rendez-vous. Disney+ met en avant ses capacités publicitaires comme élément clé de différenciation, annonçant lors du CES 2024 le lancement de Gateway Shop. Il s’agit d’une expérience de commerce électronique transparente intégrée au streaming, permettant aux spectateurs d’acheter directement les produits présentés dans les contenus Disney. Ajay Arora, vice-président principal du commerce, a déclaré que Gateway Shop est « la première expérience publicitaire télévisée transparente et achetable de Disney (…) Il permet au spectateur de passer de l’intérêt à l’action à l’achat sans jamais quitter l’environnement de visualisation. C’est du commerce en streaming sans interruption. » Pendant ce temps, Netflix enregistre une croissance significative avec 13 millions d’abonnés supplémentaires, dépassant les 260 millions au T4 2023. La restriction du partage de compte et le succès de l’offre avec publicité contribuent à cette augmentation. Netflix se diversifie également dans les jeux vidéo et prévoit une expansion dans les événements sportifs en 2024, illustrant une stratégie centrée sur la diversification des services et des contenus quand Disney mise tout sur la publicité. 

Du côté européen, Bertelsmann, cherchant à renforcer sa position audiovisuelle en Europe, a rencontré des échecs dans ses fusions, notamment avec RTL/Talpa Network, M6/TF1, et Simon & Schuster. Ces échecs révèlent une dynamique symptomatique de ce que Thomas Rabe, PDG de Bertelsmann, anticipait dès 2020 : un besoin d’assouplissement des réglementations pour permettre des « coopérations significatives voire des fusions plus importantes afin de créer des champions nationaux ». Canal+ se démarque lui en tant que principal distributeur de films en Europe, et la potentiel acquisition à venir d’OCS renforcerait sa position sur le marché. Ce rachat permettrais à Canal+ de s’imposer comme précurseur de cette vague de fusion-acquisition venu de l’ouest. Le groupe se distinguant déjà grâce à sa stratégie de partenariat qui propose depuis avril 2023 les programmes AppleTV+ dans son offre, ainsi que des packages donnant accès au services Disney+, Netflix, OCS et Paramount+.

Les répercussions des fusions en cours ne se limitent donc pas à la SVOD, et s’étendent à d’autres marchés grâce aux stratégies de diversification adoptées. Ces fusions donnent naissance à de nouveaux conglomérats médiatiques qui contrôlent l’ensemble du processus, de la production à la diffusion, et influencent la course à l’attention. Les changements majeurs dans les dynamiques de l’industrie suscitent également des questions sur l’impact sur la sélection des contenus, les lignes éditoriales et la création artistique, avec des répercussions qui s’étendent à d’autres secteurs économiques. Comment ces mastodontes du divertissement interagiront-ils avec d’autres secteurs économiques ? Comment leur empreinte se fera-t-elle ressentir dans des domaines connexes tels que la technologie, la publicité, voire la politique ? Les réponses à ces questions dessineront le visage d’un paysage médiatique en perpétuelle évolution.

Les conséquences d’une concentration entre géants du secteur

Selon une étude menée par Parrot Analytics, une fusion entre WarnerBros Discovery et Paramount créerait une entité qui deviendrait le leader incontesté de la demande aux États-Unis, surpassant Disney avec 29,1 % de la demande en 2023. Cependant, à l’échelle mondiale, cette fusion ne représenterait que 9,1 % de la demande de contenus originaux, se classant derrière Prime Video (11,3 %) et bien loin de Netflix (34,6 %), mais devant Disney (8,8 %). Si Warner Bros. réussit à acquérir Paramount, il pourrait se positionner en tant que concurrent sérieux, surtout avec le lancement imminent de leur service MAX dans plusieurs grands pays. Une force à plusieurs échelle : au cinema, à la télévision et en streaming. Cette fusion, bénéfique pour les droits sportifs et la diversité des contenus, pourrait rencontrer moins de résistance réglementaire. Mais la gestion de la dette et les défis de cohabitation demeurent des préoccupations. 

Second scénario imaginé par l’étude, celui d’un rachat de Paramount par Comcast, maison-mère de NBC Universal. Cette fusion propulserait ce nouveau géant en tête du podium, dépassant Disney en termes de demande globale de contenus aux États-Unis. Toutefois, au niveau mondial, elle se classerait juste derrière Apple TV+ avec seulement 6,8 % de part de marché. Cette fusion, bien que potentiellement puissante, semble compromise par la législation fédérale, qui n’autorise pas la réunion au sein d’un même groupe de deux réseaux hertziens : CBS et NBC. Pour que la fusion se fasse il faudrait abandonner un des réseaux, mais les deux groupes respectifs sont-ils prêt à un tel sacrifice ? 

Enfin, l’étude révèle un dernier scénario intrigant : David Ellison, le patron de Skydance Media, boite de production américaine, serait prêt à faire une offre pour acquérir la holding qui contrôle Paramount. Un tel rachat pourrait orienter le groupe vers la production, suivant ainsi le modèle de Sony Pictures. Ce dernier avait envisagé une fusion avec le groupe de télévision indien Zee Entertainment pour créer un géant du divertissement capable de rivaliser avec les leaders du streaming. Cependant, le projet a été annulé en janvier 2024, affaiblissant leur position respective en Inde, tandis que la fusion entre Reliance et l’unité indienne de Disney était en négociation. Une fusion menacé elle aussi par la politique anti-trust, les deux groupe posséderait suite à la potentiel fusion un monopole sur les droit du cricket en Inde et une importante part de marché à la télévision. De quoi faire vaciller l’examen réglementaire ! 

Les récentes réformes de la Federal Trade Commission (FTC) et du ministère de la Justice redéfinissent la politique antitrust américaine en mettant l’accent sur la protection du bien-être à long terme des consommateurs et des travailleurs. Traditionnellement guidée par le critère du bien-être du consommateur, la nouvelle approche vise à élargir les objectifs de la législation antitrust en incluant des préoccupations sociales, telles que la préservation de la démocratie et la protection des petits concurrents. Cette réforme s’oppose aux critiques de l’ancienne norme, accusée de ne pas prévenir la concentration du pouvoir économique, en se concentrant sur les actions anticoncurrentielles ayant des conséquences graves à long terme. Une fusion telle que Warner Bros. Discovery-Paramount peut sembler une concurrence à court terme contre Netflix et Disney+, mais à long terme, elle pourrait créer un géant médiatique susceptible de coordonner plutôt que de concurrencer. Cela aurait des répercussions sur les salaires, les licenciements, les prix des contenus, et compliquerait l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché. Ces nouvelles normes examinent les aspects verticaux des fusions, en vérifiant si l’entreprise issue de la fusion contrôle un produit dont les rivaux ont besoin pour être compétitifs. Cela contraste avec l’ancienne norme à court terme, comme l’a montré la fusion AT&T-Time Warner en 2017.

Bénéfices pour les investisseurs ou les consommateurs ?

Le marché médiatique devient alors le théâtre de spéculations intenses sur d’éventuelles transactions de fusion-acquisition, principalement centrées autour du sort de Paramount Global. Paramount Global, dirigé par Shari Redstone, est perçu comme ayant atteint un carrefour entre croissance et vente, potentiellement susceptible de déclencher d’autres transactions, un effet de flipper lorsqu’une entreprise d’envergure affiche un panneau « À Vendre ». (Pour information, ni Paramount Global ni la société mère de Shari Redstone, National Amusements, n’ont commenté publiquement sur le sujet.) Initialement perçu comme une aubaine pour les consommateurs désireux d’échapper à la multiplateformisation et de souscrire à une offre plus complète, les fusions entraînent inévitablement une concentration des contenus, aboutissant à une offre finalement moins diversifiée. L’approche « fourre-tout » adoptée par les stratégies de valorisation à la Netflix, ciblant un large public, risque d’engendrer de la frustration chez les consommateurs cherchant à trouver ce qu’ils veulent réellement regarder. Au cœur de cette réflexion réside la question de la pertinence des plateformes sur-éditorialisées face à l’émergence de ces géants fusionnés. L’avènement de la technologie, porté par l’intelligence artificielle, ouvre-t-elle la voie à une avancée majeure en matière de personnalisation au sein du paysage médiatique en mutation? À l’instar des bulles de filtres sur les réseaux sociaux, l’IA pourrait offrir une personnalisation plus fine, plaçant chaque individu au centre d’une multitude de contenus médiatiques fusionnés. Un exemple probant se dessine avec Amazon, qui, en agrégeant les données récoltées auprès des consommateurs sur divers marchés, pourrait perfectionner sa personnalisation et ainsi approfondir sa connaissance du consommateur. Cet effet boule de neige, résultant en une personnalisation plus pointue, pourrait potentiellement constituer une concurrence redoutable pour des plateformes telles que Mubi. Ces dernières, en misant sur un positionnement spécifique, risquent de voir leur axe de différenciation s’estomper dans cette nouvelle ère de personnalisation médiatique propulsée par l’IA. Mais si le traitement des données est de plus en plus refrénée c’est peut-être ce même axe de différenciation qui permettra à ces plateforme de tirer leur épingle du jeu. Qui sait ! 

Daassiss Chaïma


Sources

Parrot Analytics dresse quatre scénarios de concentration à Hollywood

Retournement de situation, la fusion des plateformes HBO Max et Discovery+ est annulée

Merger Guidelines U.S. Department of Justice and the Federal Trade Commission 

La plateforme de streaming Max, fusion de HBO Max et Discovery+, lancée en France en 2024

Max : Warner annonce sa nouvelle plateforme de streaming, fusion de HBO Max et Discovery+

La SVOD et le Covid-19 ont provoqué une vague de fusions et acquisitions en Europe

Données massives et droit de la concurrence : les fusions-acquisitions des plateformes numériques

Scénarios anticoncurrentiels pour les fusions numériques – Note de référence de l’OCDE

WarnerMedia and Discovery have completed their mega-streaming merger

Une fusion Disney-Reliance en Inde dans le domaine du divertissement risque de se heurter à des problèmes antitrust

Paramount Potential M&A: Warner Bros. Discovery, Skydance, Apollo – Oh My!

As Paramount, WB Discovery and Others Weigh M&A Options, Is More Consolidation Really the Answer to Hollywood’s Profit Problem?

Inde-Sony met fin à son projet de fusion avec le groupe de télévision Zee Entertainment

Projet de fusion TF1-M6 : enjeux et perspectives

Annoncé en mai dernier, le projet de prise de contrôle exclusif du Groupe M6 par le Groupe Bouygues (actionnaire majoritaire du Groupe TF1) consisterait, pour ce dernier, à racheter 30% des parts de son concurrent historique, actuellement détenues par RTL Group, contre 641 millions d’euros. Néanmoins, cette perspective fédère les oppositions et ne va pas sans susciter nombre d’interrogations. Tentative d’éclaircissement.

(Source : https://media.lesechos.com/api/v1/images/view/60dc32dbd286c231392a33f6/1280×720/
0611303262612-web-tete.jpg)

Quelles questions ce projet fait-il émerger ?

Un point clé de ce dossier réside dans la définition du « marché publicitaire pertinent » qu’il convient de prendre en compte afin d’analyser la faisabilité de la fusion au regard du droit de la concurrence. Faut-il considérer uniquement le marché de la publicité TV ou bien celui de la publicité numérique dans son ensemble ?

Le poids de ce nouvel acteur sur le premier marché cité dépasserait tous les seuils d’analyse et ne permettrait pas à l’Autorité de la concurrence (ADLC) d’autoriser cette fusion. Agrégés, les deux groupes représenteraient 75% du marché de la publicité télévisée (dont 50% pour les seules chaînes TF1 et M6) et 98% des écrans dits premium, à plus forte audience, d’après Le Monde.

De leur côté, TF1 et M6 promeuvent un changement radical de philosophie de l’antitrust et souhaiteraient convaincre l’Autorité de la nécessité d’adapter le critère du marché pertinent aux évolutions de l’environnement concurrentiel, marqué par l’irruption des plateformes de SVOD et réseaux sociaux. Il conviendrait alors d’ajouter le marché de la publicité numérique à celui de la publicité télévisée, dans la mesure où, le « temps de cerveau disponible » des individus étant contraint, il s’agirait d’un unique « marché de l’attention ». Ce faisant, le duo verrait alors sa part de marché réduite à 24% au premier semestre 2021. De plus, l’autorisation sous conditions, par l’ADLC en 2016, de la fusion Fnac-Darty les incite à l’optimisme.

Néanmoins, une limite à ce raisonnement réside dans la relative stabilité des investissements publicitaires télévisuels en France ces dernières années. Selon l’IREP, en 2019, ils s’établissaient à 3,403 milliards d’euros, en baisse de -0,7% par rapport à 2018 ; corroborant la puissance persistante du média TV malgré l’annonce récurrente de son agonie prochaine.

Outre cet enjeu central, cette potentielle fusion entre TF1 et M6 s’accompagne d’interrogations concernant les programmes.

Au niveau de l’investissement dans la création tout d’abord, la perspective de voir Nicolas de Tavernost, hostile aux obligations de financement en la matière, prendre la tête de ce mastodonte inquiète l’ensemble du secteur de la production.
Rappelons qu’en l’état actuel des obligations, l’investissement annuel dans la création française du nouveau groupe TF1-M6 est estimé à 280 millions d’euros, là où les plateformes de SVOD seraient amenées à injecter entre 350 et 400 millions d’euros annuels d’ici cinq ans (cf. transposition de la directive SMA de 2018).

De plus, selon un diffuseur, l’alliance posséderait 62% des tranches d’information de la mi-journée et 52% en soirée ; sans même considérer RTL, pourtant première radio de France et propriété du Groupe M6. D’un point de vue démocratique, une telle concentration de l’offre d’information entre les mains d’acteurs privés est-elle souhaitable ?

Techniquement enfin, un prérequis à la réalisation effective de cette fusion réside dans la vente de plusieurs canaux TNT. En effet, TF1 et M6 possèdent trois canaux de diffusion supplémentaires par rapport à la limite de sept fixée par le dispositif anti-concentration médiatique. Les deux groupes envisageraient donc de céder 6Ter, TF1 Séries Films, TFX ou Gulli ; chaînes aux faibles audiences et dont la numérotation n’est pas stratégique. Cette stratégie est fréquemment dénoncée par les opposants à ce projet.

(Source : https://cdn-s-www.bienpublic.com/images/3cb62475-27b3-4616-83bc-96cc57c1b481/NW_listA_M/title-1621360209.jpg)

Zoom sur les oppositions

Au vu de l’étendue de leurs périmètres d’activités, de leur puissance économique et du précédent qu’une telle opération pourrait représenter, de nombreuses voix – aux intérêts extrêmement variés – s’élèvent contre ce projet de fusion.

Au premier rang de ceux-ci, se trouvent les concurrents privés des deux groupes (Canal+, Altice Media, NRJ, etc.), inquiets pour leurs revenus publicitaires notamment. Arthur Dreyfuss, CEO d’Altice Media (BFMTV, RMC, etc.) et l’un des rares à affirmer publiquement son opposition au projet, disait à ce propos : « L’objectif semble surtout être d’affaiblir les concurrents sur le marché français ».

Suivant une logique diamétralement opposée, Delphine Ernotte-Cunci, présidente de France Télévisions, s’est prononcée en faveur de cette fusion lors du festival Médias en Seine le 12 octobre dernier – auquel j’ai eu l’opportunité d’assister. De là à y interpréter l’espoir d’ainsi obtenir une augmentation de la CAP ou un allègement des contraintes publicitaires pesant sur le service public en arguant du renforcement de la concurrence privée gratuite au niveau national…

Les annonceurs publicitaires (agences et syndicats) sont également largement opposés à ce projet. Ainsi, en affirmant la non-substituabilité entre publicité télévisée et numérique, le directeur général de l’Union des marques (240 adhérents) a sapé l’argument principal des défenseurs de ce projet. Selon lui, la fusion aurait trois conséquences principales : (i) une (très forte) hausse des tarifs publicitaires, (ii) un problème d’accessibilité au média TV pour certains annonceurs (nouvelles marques et PME) et (iii) un appauvrissement de la qualité et de la diversité de l’offre des contenus. De plus, la séparation des régies publicitaires des deux groupes – solution parfois évoquée – est jugée non pertinente en raison de leur poids sur le marché.

Comme mentionné précédemment, de nombreux producteurs et distributeurs audiovisuels garnissent également les rangs des adversaires de ce projet (syndicats professionnels mais aussi Banijay ou Mediawan par exemple). Outre la crainte de l’apparition d’un « guichet unique », la constitution d’une filiale de production/distribution d’envergure – Newen – par TF1 n’est certainement pas de nature à apaiser les craintes relatives à une internalisation croissante de ces activités.

Les agrégateurs de contenus (opérateurs télécom (Iliad) et Canal+ notamment), quant à eux, estiment que ce nouvel acteur pourrait se prévaloir d’un poids nettement plus important lors des négociations les opposant et donc demander davantage en échange de la reprise des fils linéaires de leurs chaînes.

Enfin, le secteur de la presse écrite est également opposé à ce projet. Déjà mal en point financièrement, il risquerait de perdre de nombreux annonceurs au profit de médias puissants (Internet et TV). Pour autant, la fragilité économique de certains médias doit-elle pénaliser les mieux portants ?

(Source : https://www.lerevenu.com/sites/site/files/u499351/p11-graf2.jpg)

Quelles perspectives pour ce projet ?

Passés les remous provoqués par l’annonce, le projet est entré dans une phase institutionnelle qui ne semble pas devoir aboutir avant de longs mois.

L’Autorité de la concurrence a commencé, à la rentrée, un test de marché accompagné de l’envoi d’un questionnaire aux acteurs potentiellement impactés et son avis officiel est attendu à l’automne 2022. Le non-renouvellement, fin 2021 par le Président de la République, d’Isabelle de Silva – qui avait publiquement exprimé son scepticisme à l’égard de ce projet – à la tête du gendarme de la concurrence a d’ailleurs été interprété par certains comme une volonté de l’Élysée d’influencer le verdict. 

Quoi qu’il en soit, le timing de cette fusion est malvenu pour l’exécutif tant le sujet est épineux. Signes de sa portée politique, une commission d’enquête sénatoriale sur la concentration dans le domaine des médias a été créée et rendra son rapport d’ici fin mars et un rapport conjoint IGF-IGAC sur cette question a été commandé par Bruno Le Maire et Roselyne Bachelot-Narquin.

Saisie début novembre 2021 par l’ADLC, l’Arcom rendra son avis sur ce dossier d’ici au 31 mars 2022. S’il a initialement été prêté un regard bienveillant à Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité, au sujet de cette fusion, celui-ci a rappelé que l’étude de ce dossier n’en était qu’à sa phase d’instruction et qu’il était donc impossible de présager des conclusions de l’autorité indépendante. 

Par ailleurs, Iliad – maison-mère de Free – a saisi, fin 2021, les services de la concurrence de la Commission européenne. Son argument ? Les décisions étant prises conjointement par Bouygues et RTL Group (actionnaire majoritaire du Groupe M6 et propriétaire de 16% des parts du nouvel acteur), il conviendrait de considérer les chiffres d’affaires de Bouygues et de Bertelsmann (propriétaire de RTL Group). Dans ce cas, les seuils pour considérer que l’opération est de dimension européenne seraient atteints. Cependant, l’avis partagé est que ce dossier relève des autorités nationales. Ce qui n’empêche pas Bruxelles de le suivre avec attention dans la mesure où il pourrait redéfinir le marché pertinent de la publicité pour les médias traditionnels et ainsi constituer un précédent à l’échelle européenne. 

Il sera extrêmement intéressant de voir comment les autorités françaises intègrent la nouvelle donne concurrentielle – sur le marché publicitaire notamment – dans leurs analyses. Il en va de la survie des médias traditionnels, et d’une partie de notre souveraineté culturelle, à l’ère du numérique.
D’autant que Benoît Cœuré, tout juste nommé à la tête de l’ADLC, a indiqué que cette opération « ne va pas de soi ». En cas d’autorisation de la fusion, de nombreux opposants menacent déjà de déposer un recours devant le Conseil d’État. Verdict attendu au plus tard au printemps 2023…

Théo ANFOSSI


Sources :

https://event.mediasenseine.com/session/cd1e55ee-592b-ec11-ae72-a04a5e7d345e

https://www.groupem6.fr/content/uploads/2021/05/Projet-de-fusion-M6-TF1.pdf

Quitter la version mobile