Podcasts natifs : quelles opportunités pour les groupes de presse historiques ?

En janvier dernier, le média Brut annonçait le lancement de sa gamme de podcasts d’actualité, disponibles en exclusivité sur Spotify. Une nouvelle activité à première vue assez éloignée du format vidéo qui a rendu célèbre le pure player. A l’image de Brut, de nombreux médias ont quelque peu délaissé leur savoir-faire historique pour s’aventurer dans la production de contenus audios, à commencer par les éditeurs de presse traditionnelle. Si Libération a fait figure de précurseur en 2007 en lançant ses premiers podcasts (56kast, Silence on joue), ils sont aujourd’hui nombreux à avoir tenter l’expérience : le Parisien (Code Source), Le Monde (Sept ans de trahison), le Figaro (La semaine des médias) … et la liste s’allonge chaque année. Le podcast serait un moyen pour la presse historique de se renouveler et de s’adapter aux usages, surtout à ceux des nouvelles générations ultra connectées : d’après une étude de Médiamétrie, les podcasts seraient en effet davantage écoutés par les 15-24. Ce format est alors pensé comme un produit d’appel susceptible d’amener les jeunes vers l’écrit, mais aussi comme un nouveau moyen d’engranger des recettes publicitaires à l’heure où les annonceurs désertent les médias traditionnels pour le digital. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, où la tendance est née après le succès retentissant de Serial (340 millions de téléchargements), puis de The Daily (2 millions d’écoutes quotidiennes), deux podcasts créés par le New York Times, le marché du podcast semble prometteur : les revenus publicitaires ont augmenté de 65% entre 2015 et 2018, et devraient s’élever à 863,4 millions de dollars en 2020 d’après une étude menée par PwC.  

Mais qu’est-il du marché français ? Les contenus audios représentent-ils une véritable opportunité économique pour des titres de presse traditionnelle en souffrance, ou un simple mirage qui s’estompera une fois la tendance essoufflée, comme le fut le web documentaire au début des années 2010 ? 

Mais au fait, qu’est-ce qu’un podcast ? 

Résumé simplement, un podcast est un contenu audio numérique que l’on peut écouter n’importe où. On distingue ensuite les replays d’émissions de stations de radio mis à disposition à la demande (on parle alors de “radio de rattrapage”) des “podcasts natifs”, contenus ayant été conçus en vue d’une diffusion à la demande sans passage à la radio.  En termes de contenu, le genre le plus écouté est le podcast d’actualité : en France, 34% des épisodes les plus populaires disponibles sur Apple appartiennent à cette catégorie. C’est d’ailleurs sur ce genre que les éditeurs de presse écrite ont concentré leurs efforts, et en particulier sur le format d’approfondissement, dont le Daily du New York Times est le parfait exemple. Ce blockbuster audio a d’ailleurs été une source d’inspiration majeure lors de la création du podcast “La Story” par Les Echos en partenariat avec Binge Audio. L’objectif du format selon Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions au Parisien (groupe Les Echos): “raconter quelques histoires différemment, avec un podcast d’actualité quotidien d’une vingtaine de minutes”. Mais le développement de ces nouveaux formats représente un investissement important, alors même que les podcasts peinent à trouver un business model pérenne. 

Un business-model encore balbutiant et une rentabilité incertaine 

Le Parisien et les Echos disposent d’une équipe de 4 ou 5 personnes dédiée à la création des podcasts quotidiens (tandis que le New York Times en emploie 15 pour la production de The Daily). La production de contenu de qualité exige également des investissements en termes de matériel et de formation professionnelle pour les journalistes venant de l’écrit. Mais comment rentabiliser ce format plus coûteux qu »il n’y parait ?  

La première solution est le financement par des annonceurs, via la vente d’espaces publicitaires au CPM ou via un système de parrainage. Pour séduire les annonceurs, le podcast disposent de plusieurs avantages : les données des éditeurs suggèrent que les auditeurs de podcast écoutent en moyenne entre 60 et 90% d’un programme, et le font de manière active. Les podcasts se distinguent ainsi à la fois de la radio linéaire, consommée souvent passivement par les utilisateurs qui la mettent en simple fond sonore, et d’Internet où la qualité d’exposition de l’utilisateur à la publicité n’est pas garantie. « Prenez un podcast et une vidéo de cuisine, analyse Charlotte Pudlowski, ancienne rédactrice en chef du site d’information Slate et confondatrice de Louie Media, et comparez leur audience. La vidéo va faire des millions de vues sur Facebook. Mais elles se seront lancées automatiquement et les usagers ne vont pas se souvenir de ce qu’ils ont vu.” Les podcasts offrent également aux annonceurs des audiences très qualifiées : Les Echos ont ainsi choisi de cibler l’écosystème entrepreneurial avec son podcast Tech Off. Enfin, ils promettent aux annonceurs un espace “brand safe”, où les utilisateurs sont exposés à peu de publicités et passent rarement les pré-rolls, comme le suggère une étude de Médiamétrie. Cette qualité de l’exposition explique que les espaces au sein des podcasts se vendent généralement à un coup plus élevé que dans l’écosystème digital classique : le CPM se situe entre 15 et 20€ pour un spot de 30 secondes en pré-roll. Le parrainage, modèle dans lequel un unique annonceur finance la production du podcast pendant une période de temps donnée, est une alternative utilisée entre autres par le groupe Challenge, qui a réalisé une série de podcasts sponsorisés par Renault. Mais cette monétisation par l’apport des annonceurs connait un frein majeur à son développement : le manque de données.  Comparé à la vidéo, le podcast ne permet pas, ou peu, de récolter les données sur le comportement des auditeurs une fois le podcast téléchargé, rendant ainsi difficile la qualification des audiences. Mais les choses évoluent, notamment avec le développement d’outils de mesure à l’image du dispositif américain Podtrac :  Médiamétrie propose depuis 2019 à ses clients eStat Podcast, un outil capable de qualifier les téléchargements, tandis l’ACPM (l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias) a présenté en novembre dernier sa certification des mesures de diffusion des podcasts natifs et réécoutés.  

Une autre piste en matière de financement est la stratégie du paywall, qui envisage le podcast comme une valeur ajoutée pour les utilisateurs abonnés. Dans les petits marchés où l’intérêt des annonceurs se fait désirer et où la rentabilité à long terme est plus que douteuse, comme en France, le podcast est finalement souvent envisagé comme un outil promotionnel et marketing . ‘It’s more about opening the top of our funnel and bringing Times journalism to a new audience who we think will eventually become our next generation of subscribers,’ déclare ainsi Erik Borenstein du New York Times. Même son de cloche chez l’Equipe, qui a lancé en 2018 un podcast sur le rugby et sur le golf : “le podcast propose quelque chose de différent : il a un mode de développement qui est basé sur la souscription, il y a une démarche de fidélisation. Nous sommes dans une attitude de test, nous cherchons à attirer une nouvelle clientèle, moins volatile », explique Jérôme Cazadieu, directeur de la rédaction du quotidien.

Les plateformes : un partenariat à double tranchant 

Pendant longtemps, la plateforme d’Apple a été l’agrégateur de podcasts dominant. Ces deux dernières années, elle a néanmoins vu son hégémonie faiblir avec l’apparition de nouveaux acteurs sur ce marché, notamment Deezer et Spotify qui représentent désormais 20% du marché français. Le leader mondial suédois de la musique en ligne a ainsi remarqué que ces utilisateurs consommateurs de podcasts passent près de deux fois plus de temps sur la plateforme que les autres, d’où l’annonce en 2019 d’importants investissements destinés à l’acquisition de contenus tierces mais également à la production de contenus originaux. L’arrivée des plateformes pourrait bien transformer en profondeur la technologie du podcasting : en alliant leur capacité d’audiences importantes à la puissance de leurs algorithmes de recommandation, elles permettraient d’ouvrir l’accès à ce format dont le caractère encore très confidentiel et “de niche” a rebuté nombre d’annonceurs. La production de contenus pour les plateformes pourrait-elles être une piste de développement pour les titres de presse ? Les éditeurs restent sceptiques : source de financement d’un côté, les plateformes pourraient toutefois subtiliser aux éditeurs la relation directe avec leur public et s’arroger leur création et la donnée client si nécessaire à l’amélioration du produit et la valorisation des audiences. Radio France a ainsi fait le choix en 2019 de retirer ses contenus de Spotify et Majelan afin de mieux contrôler leur distribution et le partage de la valeur créée.  

Dans l’état actuel du marché français, le podcast peine encore à démontrer son intérêt pour les groupes de presse historiques. Toutefois, le développement d’outils de mesure certifiés, l’intérêt des plateformes, mais aussi l’arrivée des enceintes connectées et des voitures autonomes sont autant de signes que ce secteur recèle encore de nombreuses potentialités. Si le podcast parvient à dépasser son statut de produit de niche destiné à une audience jeune et éduquée pour devenir un phénomène de masse, il pourrait bien être un élément déterminant du renouveau de la presse historique. 

Camille Cohen

Références 

EUTROPE, Xavier. “Pourquoi les journaux français ne font-ils (presque) pas de podcasts ?. Ina Global, février 2018. Disponible sur : https://larevuedesmedias.ina.fr/pourquoi-les-journaux-francais-ne-font-ils-presque-pas-de-podcasts 

FOUQUENET, Maelle. “Podcasts et presse écrite: comment les financer et gagner de l’argent”. ESJ Pro, mars 2019. Disponible sur: https://esj-pro.fr/podcasts-et-presse-ecrite-comment-les-financer-et-gagner-de-largent/ 

MALCURAT, Olivier. “Podcasts: un poids, deux mesures”. La lettre pro, novembre 2019. Disponible sur : https://www.lalettre.pro/Les-Dossiers-5-Podcasts-un-poids-deux-mesures_a21157.html 

NEWMAN, Nic., GALLO, Nathan. “News Podcasts and the opportunities for publishers”. Digital News Project, décembre 2019.  

PwC. “FY 2018 Podcast Ad Revenue Study: a detailed analysis of the US podcast Advertising Industry”. Juin 2019. Disponible sur: https://www.iab.com/wp-content/uploads/2019/05/Full-Year-2018-IAB-Podcast-Ad-Rev-Study_5.29.19_vFinal.pdf 

La menace de l’économie digitale : comprendre et appréhender la fraude publicitaire

Dans le nouvel univers digital qui se dessine au sein de nos smartphone, ordinateurs et autres tablettes, une place importante est consacrée à la publicité. En effet, face à cet horizon infini d’espace libre et à la quantité vertigineuse d’aficionados du web, les annonceurs ont vite compris qu’ils pourraient tirer leur épingle du jeu. Mais ils ne sont pas les seuls déterminés à profiter de cette ruée vers l’or. Explication.

Le marché numérique de la publicité permet aux annonceurs et aux éditeurs d’échanger des espaces publicitaires et de l’audience Les acheteurs de médias négocient et achètent des espaces dont l’audience est ciblée, afin de véhiculer leur message marketing auprès de potentiels clients.

L’une des multiples technologies sur laquelle s’appuie la publicité en ligne est l’achat programmatique d’espace publicitaire, une vente aux enchères en ligne et en temps réel. Le terme programmatique recouvre un large éventail de mécanismes qui automatisent l’achat, le placement et l’optimisation de la publicité afin d’augmenter la rentabilité des campagnes publicitaires. L’achat programmatique d’espace est censé garantir à l’acheteur que les impressions de ses campagnes publicitaires seront vues par le bon utilisateur, qui pourra alors potentiellement acheter le produit par la suite.

Pourtant, sur ce marché intrinsèquement global, la fraude publicitaire inquiète de plus en plus les annonceurs, et éditeurs. Qui est-elle, et comment s’infiltre-t-elle dans le système ?
Depuis cette année, la fraude publicitaire est la deuxième activité illégale la plus lucrative au monde après la vente de stupéfiants. Une activité publicitaire frauduleuse consiste à tromper les annonceurs en leur vendant différents types de « faux lots » d’espaces, qui s’avéreront etre complètement inutiles au bon développement de leur campagne marketing.  Les annonceurs sont tenus de payer pour une exposition qui n’a jamais eu lieu ou, si elle l’a fait, elle n’a pas réussi à atteindre le public visé : dans les faits, les annonceurs perdent de l’argent en payant pour des publicités fantômes. De nombreux et différents types de fraude sont recensés à ce jour, trois sont identifiées comme étant les plus répandues.

La fraude d’impression est la pratique frauduleuse par laquelle une campagne publicitaire est artificiellement générée, sans avoir la moindre chance d’etre vue par un humain, et pourtant comptabilisée et indument facturée à l’annonceur.

La fraude par clic survient lorsqu’une personne non-humaine, un script automatisé ou un programme informatique, imite le comportement d’un utilisateur, en cliquant sur des annonces de manière systématique, sans avoir de réel interets donc pour la marque payant la campagne.

La fraude de conversion n’est qu’une variante de la fraude par clic, plus difficile à déceler cependant car le volume de clic ne dépasse jamais la normale. Ainsi, les fraudeurs attirent moins l’attention sur le trafic qu’ils génèrent, ils gagnent donc du temps sur leurs victimes.

A l’origine de ces arnaques, plusieurs facteurs continuent de contribuer à la persistance de ce problème: d’abord, la nature ouverte du marché publicitaire programmatique permet à n’import quel annonceur ou éditeur d’acheter ou de vendre. La barrière à l’entrée de ce marché est faible, ce qui rend le concept certes démocratique mais donc facilement pollué, utilisé à mauvais escient par les fraudeurs. De plus,  les montant des investissements ne cessant d’augmenter, la complexité des moyens de paiement rend difficile le suivi des sommes investies. En outre, les chaînes d’intermédiation s’étendent un peu plus tous les jours car les fournisseurs de services techniques se multiplient. Ainsi, la distance entre les éditeurs et les fournisseurs de contenu ne cesse de croître. Alors, à cause de la taille du marché, de la complexité des structures, des obsessions de résultat de la part des annonceurs et de l’absence de frontières: la fraude publicitaire est devenue une fraude globale à grande échelle.

De toute évidence, la fraude publicitaire menace le monde de la publicité numérique dans son ensemble. Elle se produit à l’échelle mondiale, mêlant différents types d’espace publicitaires à différentes audiences,  différents fraudeurs à différents types de régulateurs opérant dans différents pays.  Elle existe sur un large éventail de sites web, de Facebook à Pornhub. C’est un vrai défi d’estimer le montant des pertes et de retracer la route de ces millions de dollars perdus. Cependant, il est essentiel que nous soyons conscients de cette fraude digitale. Plus nous le serons, plus les vraies annonces seront lucratives pour leur annonceurs légitimes, et moins fort sera l’impact de la fraude publicitaire sur l’économie.
Cette réflexion nous invite à nous demander comment lutter efficacement contre la fraude publicitaire. Les « ad blocking » nous seront-ils profitables ?

 

Noémie Bécache.

 

 

 

 

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