Stratégie de communication politique sur les réseaux sociaux.

Jean-Luc Mélenchon : entre homme politique et influenceur.

– écrit par Alexandra levigne

Nous ne présentons plus Jean-Luc Mélenchon (JLM), candidat et fondateur de La France Insoumise (LFI), qui est arrivé troisième à 421 420 voix, derrière Marine LePen, lors du premier tour des élections présidentielles françaises. Sensible aux nouvelles technologies, il capitalise sur la multiplicité des supports numériques dans sa stratégie de communication afin de toucher le plus grand nombre d’électeurs. « Notre but, c’est de parler à tout le monde » s’exprime ainsi Antoine Léaument, responsable de la communication numérique du candidat ainsi que de LFI. Ils semblent cependant avoir été entendus en majorité par les moins de 34 ans et la communication portée par le candidat de l’Union Populaire sur les réseaux sociaux tout au long de la campagne a ainsi nécessairement joué dans les résultats. C’est la raison qui nous pousse aujourd’hui à étudier le comportement de Jean-Luc Mélenchon sur les réseaux sociaux. 

Avant toute chose, il est important de revenir sur le positionnement idéologique du parti qui va évidemment influencer le discours politique tenu par le candidat sur les réseaux. Depuis la disparition de la fédération des forces de gauches alternatives, le mouvement centré autour de la personne de Jean-luc Mélenchon opte depuis 2013 pour une stratégie dite « populiste ». Le mouvement se place en opposition aux « élites » du pays justifiant ainsi le contournement du système journalistique classique au profit de la liberté conférée par les réseaux sociaux. C’est pour cela que Jean-Luc Mélenchon emploie un ton direct et personnel tant, lorsqu’il s’adresse au « peuple », que, comme nous allons le constater, sur ses réseaux.

Pour commencer notre étude, nous allons nous focaliser sur la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon, créée le 1er janvier 2012. Il s’investit pleinement sur YouTube à l’approche des élections de 2017 et fait grimper en quelques mois de 20 000 à 100 000 son nombre d’abonnés. 

Cette hausse est attribuée aux nouveaux formats de vidéos proposés par JLM, nous retrouvons ainsi :
– « Pas vu à la télé » : interventions de personnalités peu médiatisées s’exprimant sur des sujets d’actualité. La volonté de rompre avec la couverture médiatique de la télévision est affirmée.
– « Revue de la semaine » : émission toujours phare de la chaîne, celle-ci met en scène JLM ressassant les événements de la semaine qui l’ont intéressé. Cette série, inspirée par différents contenus publiés sur la plateforme, s’ancre parfaitement dans les codes de YouTube. Le candidat s’adresse à la caméra avec un ton direct et personnel. 

Aujourd’hui, sur la chaîne se sont ajouté les formats :

Comme il est fréquent d’en voir YouTube, ce type de contenus permet d’augmenter l’engagement et l’interaction avec l’audience

Rediffusions d’apparition à l’Assemblée nationale (redirection en cliquant en sur le bouton), sur les plateaux télé, ou lors de diverses instances (commissions de travail, discours et meetings…)

En 2022, il s’agit de « Nos pas ouvrent le chemin » faisant en moyenne plus de 50 000 vues sur des sujets diverses, d’actualité politique (la guerre en Ukraine, l’envol d’Ariane 5…) ou couvrant des événements de la campagne (débats, meetings politiques…)

Jean-Luc Mélenchon explique en 2016 que c’est en regardant des vidéos YouTube qu’il a compris ce que c’était d’être YouTubeur et devient ainsi le premier « YouTubeur politicien » à se fondre parfaitement dans le type de contenu visionné sur la plateforme. L’intérêt de cet investissement est d’un côté, l’audience captée par ses contenus et de l’autre, la liberté totale sur les sujets abordés, le style de vidéo et tout simplement la maîtrise de son image. En effet, la narrative employée rend le candidat plus sympathique mais surtout proche de son public. Le pari, gagné, de ses équipes a été de créer une belle image de marque autour de JLM. 

C’est dans cette même optique que le compte TikTok de JLM voit le jour. Ce nouveau réseau au format vidéo vertical qui gagne en popularité auprès des jeunes est une case incontournable de sa campagne. Ayant dépassé les deux millions d’abonnés le 28 avril 2022, le compte reprend également les codes de la plateforme. Sur un ton léger et auto dérisoire, il partage de courtes vidéos humoristiques dans un objectif de viralité, des extraits sous-titrés de ses passages à la télévision ainsi que des vidéos derrière les coulisses afin d’inviter ses abonnés au sein de son intimité. Ces différents formats suscitent de la sympathie envers JLM. C’est ici un personal branding réussit puisqu’il s’agit bien d’une personnalité et non pas d’un programme politique qui est mis en avant.

JLM possède bien évidemment un compte Twitter, réseau social populaire dans le milieu de la politique pour la liberté d’expression qu’il permet. L’enjeu pour le candidat sur cette plateforme est avant tout, d’être présent et visible. C’est ce que nous observons par la forte fréquence de publications, du newsjacking intelligent, les live tweets lors de débats avec la mise en avant d’hashtag pour encourager la discussion et les réactions, et finalement l’usage fréquent du format vidéo (pour rediffuser les interventions médiatiques du candidat) qui est mise en avant par l’algorithme de la plateforme.

Le compte Instagram de JLM, du haut de ses 317 000 abonnés utilise toutes les fonctionnalités de la plateforme. Nous y retrouvons des stories (ainsi que stories a la une), des carrousels, des vidéos (extraits de ses apparitions télévisées sous titrées) et même de la création de filtres. En effet, le « mini-hologramme de poche », filtre en réalité augmentée (disponible également sur Snapchat) permet de retrouver le candidat dans son salon, de sorte à se démarquer des autres candidats, mais également de marquer les esprits avec du earned media. Le candidat fait également de la publicité pour ses autres réseaux : en premier lieu Twitter, proposant des photos de ses tweets sur son profil et en second lieu TikTok, re-postant ses publications en réels. 
Sa page Facebook adopte un format de contenu similaire avec l’usage du même texte pour les descriptions des photos (nous observons cependant plus d’émoticônes sur Facebook, probablement pour attirer l’attention.) Finalement, sur LinkedIn nous avons une stratégie axée sur la curiosité des utilisateurs. Les publications journalières reprennent les actualités « Insoumises » avec des visuels explicatifs et un lien vers un article pour une lecture approfondie du sujet. 

Ainsi dit, Jean-Luc Mélenchon bénéficie aujourd’hui d’une belle notoriété en ligne, propre à sa personne. Cela est dû au fait qu’il est présent sur tous les réseaux, il possède également une chaîne Twitch sur laquelle il interagit fréquemment avec son audience et un serveur Discord pour les partisans du mouvement (il existe aussi un grand nombre de pages privées pour la communauté des Insoumis). En s’appropriant de manière intelligente les codes des réseaux sociaux, il a réussi à s’imposer sur des canaux jusque-là difficiles d’accès pour les hommes politiques. Là où ses concurrents s’en remettent à leurs conseillers qui adaptent le message, Monsieur Mélenchon et son équipe semblent reconnaitre les segments d’utilisateurs, leurs intérêts et leurs appétences pour les réseaux qu’ils consomment. De ce fait, la force de sa communication réside dans la manière dont il est capable d’adapter non pas uniquement son message mais bien sa personne au réseau en question. Comme Arnaud Mercier, journaliste pour France Culture le souligne, il devient sur YouTube « Youtubeur Politique » et sur TikTok « TikTokeur Politique » expliquant ainsi son gain en popularité auprès des audiences majoritairement jeunes de ses réseaux. Il bénéficie également d’un grand soutien de la part de sa communauté d’insoumis qui prennent des initiatives, le soutiennent sur les réseaux et fédèrent ses partisans autour de leur projet commun.

Sources :

  • Les comptes officiels de Jean-Luc Mélenchon sur différents réseaux. Les liens sont mis en description d’images.
  • Bristielle Antoine, « YouTube comme média politique : les différences de contenu entre interviews politiques classiques et émissions en ligne de trois représentants de La France insoumise »

https://www.cairn.info/revue-mots-2020-2-page-103.htm

  • Theviot Anaïs, « Faire campagne sur Youtube : une nouvelle « grammaire » pour contrôler sa communication et influer sur le cadrage médiatique ? »

https://www.cairn.info/revue-politiques-de-communication-2019-2-page-67.htm

  • Klara Durand, « La campagne présidentielle sur les réseaux sociaux : qui remporte le match ? »

https://www.publicsenat.fr/article/politique/la-campagne-presidentielle-sur-les-reseaux-sociaux-qui-remporte-le-match-201682

  • Arnaud Mercier, « 2017-2022 : comment leur communication a évolué d’une présidentielle à l’autre »

https://www.franceculture.fr/politique/2017-2022-comment-leur-communication-a-evolue-dune-presidentielle-a-lautre

  • Pauline Graulle, « Présidentielle : la stratégie gagnante de Mélenchon dans les villes et les quartiers populaires »

https://www.mediapart.fr/journal/france/130422/presidentielle-la-strategie-gagnante-de-melenchon-dans-les-villes-et-les-quartiers-populaires

  • Scores délivrés par l’observatoire politique de Favikon sur la présence médiatique des candidats.

https://www.favikon.com/analyses/bilan-avant-les-presidentielles-2022

  • Ohiab Allal-Cherif, « Comment le numérique a propulsé la campagne de Jean-Luc Mélenchon »

https://www.forbes.fr/business/comment-le-numerique-a-propulse-la-campagne-de-jean-luc-melenchon

Le morcellement des idées politiques dans l’écosystème numérique : l’émergence des plateformes des extrêmes

Janvier 2022, à quelques mois des élections présidentielles françaises : Jean-Luc Mélenchon a trois fois plus de followers que la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen; les ministres du gouvernement actuel se font les conquistadors de Tik Tok; la Primaire populaire a donné rendez-vous à 18h50 un dimanche soir sur ses réseaux sociaux afin d’y annoncer le ou la candidat(e) qu’elle souhaite porter à la présidentielle. En clair, le numérique et les réseaux sociaux sont au centre des préoccupations des politiques et de leurs campagnes respectives.

Cette tendance en entraîne une seconde qui s’illustre par l’émergence de nombreux nouveaux moyens de communication et de propagation d’idées propres à un bord politique, notamment extrême. C’est le cas de Truth Social, un réseau social signé Donald Trump sur lequel l’ancien Président des États-Unis a appelé ses supporters suite à son exclusion de Twitter, Facebook et Youtube. Pour cause : avoir incité les citoyens américains et notamment républicains à la violence lors de la “prise” du Capitole le 6 janvier 2021. C’est aussi le cas du moteur de recherche “Zemmour pour Tous”, par lequel l’équipe de stratégie numérique du candidat d’extrême-droite permet aux votants d’avoir accès à toutes les interventions radiotélévisées de celui-ci à l’aide de mots clés propres à chaque thème. “Les plus recherchés: Immigration, Défense, Écologie”, lit-on sur la page d’accueil.

Page d’accueil du moteur de recherche « Zemmour pour Tous » (capture)

Ces deux cas d’études permettent d’arriver à une conclusion simple : la tendance actuelle est celle de la fragmentation des idées et discours politiques dans l’écosystème numérique. Accaparer les audiences digitales sur un réseau social particulier, accumuler les apparitions médiatiques et numériques, dans l’objectif de fragmenter le discours politique. Cette conclusion est particulièrement contre-intuitive : alors qu’internet et le numérique avaient pour but premier de rendre accessible une mixité d’idées politiques dans la société, on voit aujourd’hui le contraire. Internet, les réseaux sociaux et le numérique servent, ou du moins permettent, davantage à morceler ces idées politiques, à l’image de ce que les médias traditionnels pouvaient déjà faire dans certains cas. Existaient effectivement des journaux royalistes, dreyfusards, anti-dreyfusards, révolutionnaires, socialistes, conservateurs, communistes, républicains, démocrates. Seulement, internet semblait être un moyen raisonnable et innovant pour permettre à ces différentes tendances politiques de se retrouver sous un seul socle, accessible à tous, simultanément. 

Près de 30% de hausse des audiences digitales d’Eric Zemmour

Dans le cadre des élections présidentielles, l’Observatoire politique de la plateforme Favikon enquête depuis plusieurs mois sur les personnalités politiques françaises les plus influentes sur les réseaux sociaux1. Le podium est “équitablement” partagé entre l’extrême-droite, le Président de la République, et l’extrême-gauche. Eric Zemmour, en tête, récolte un score de 90 points sur 100 et une hausse de 29,41% de ses audiences digitales sur les réseaux sociaux. Emmanuel Macron, en deuxième place, bien qu’ayant la plus haute part d’audience, ne voit quasiment pas de hausse de celle-ci (0,52%) ce qui lui vaut la tête du podium. Enfin, Jean-Luc Mélenchon témoigne d’une hausse de près de 5% de ses audiences digitales et d’un score de 86 points sur 100. Dans le top dix de ce classement nous retrouvons par ailleurs trois membres du Rassemblement national et un membre de la France insoumise. Au total, six personnalités politiques d’un bord politique extrême occupent les dix premières places des “influenceurs” de la politique française. 

Classement des personnalités politiques sur les réseaux sociaux – Observatoire politique, 2021 © Favikon (Moojito SAS) (capture)

De l’autre côté de l’Atlantique, l’extrême-droite va encore plus loin en se réfugiant, comme mentionné plus haut, dans ses propres réseaux sociaux, et en se présentant à travers ces derniers comme “garants de la liberté d’expression”2. C’est pour eux la seule manière d’échapper à la censure des réseaux classiques, qui ont banni pour des durées diverses Donald Trump depuis plus d’un an. Il a donc été possible d’observer l’apparition de Parler, Gettr et Gab notamment, bien avant l’arrivée de Truth Social prévue pour février-mars 2022. Ce dernier se lance d’ailleurs dans la chasse aux influenceurs afin de préparer son démarrage dans les semaines qui arrivent3. De nombreuses personnalités notoires sur les réseaux sociaux ont donc été invitées à “réserver leur identifiant” pour le lancement du réseau social. De quoi s’assurer une certaine notoriété auprès des populations plus jeunes et de paraître plus attractif aux yeux des utilisateurs de réseaux sociaux. Et si Truth Social se présente comme un nouveau garant de la liberté d’expression (d’extrême-droite), ses conditions d’utilisation rappellent cependant qu’il est interdit pour les utilisateurs d’”ennuyer … les employés ou agents créateurs de contenu du site4. Une liberté d’expression donc bien limitée par des facteurs plus que subjectifs. 

Pré-Commande de l’application Truth Social, dont le lancement est prévu pour le mois de février 2022 © AFP / Chris DELMAS

La politique dans le numérique a par ailleurs un impact économique et financier démesuré : la société Trump Media, fondée par l’ancien Président et qui sera la maison-mère de Truth Social, a levé en décembre 2021 plus d’un milliard de dollars en “private investment in public equity”, un procédé qui passe par l’augmentation de capital en émettant ordinairement des actions à un prix inférieur au prix du marché. Autant de fonds qui seront investis dans le lancement mentionné précédemment du nouveau réseau social républicain dans les semaines qui suivent. Il serait intéressant d’étudier dans le futur le budget de la campagne numérique mise en place par Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique d’Eric Zemmour, et de comparer les sommes présentées avec celles des candidats des partis non-extrêmes. Assurément, la différence sera remarquable.

L’impact du morcellement des discours politiques à tempérer


Alors que l’on remarque que les partisans des extrêmes politiques sont de plus en plus hostiles aux médias traditionnels et se réfugient premièrement dans les réseaux sociaux et le numérique, l’étape suivante de cette hostilité est de renier dans un second temps les réseaux traditionnels (Facebook, Twitter, Instagram) et de trouver refuge dans des plateformes à tendances extrêmes, tels que Truth Social notamment. L’impact du morcellement des idées politiques dans l’écosystème numérique est cependant à tempérer : les médias traditionnels mais aussi les nouveaux médias du numérique ont toujours naturellement attiré ceux qui adhèrent déjà à leurs propos, selon Thierry Vedel5, chercheur au CNRS et au Centre d’études de la vie politique. Cette hypothèse rassure : peut-être que la création de plateformes créées par des penseurs d’extrême-droite ne sera finalement pas aussi nocive à la diffusion des discours politiques dans l’écosystème numérique général que ce que l’on pourrait le croire.

Valérie Titzin

Sources

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