Le dérèglement climatique est sans précédent et il faut agir d’urgence pour en freiner l’impact catastrophique. C’est le constat que fait le GIEC dans son sixième rapport d’évaluation, en soulignant le pouvoir d’action des États et des entreprises. « Dans tous les secteurs, nous disposons de solutions pour réduire au moins de moitié les émissions d’ici à 2030 » déclarait le groupe d’experts dans son communiqué de presse du 4 avril 2022. [1]
En parallèle, la prise de conscience collective prend de l’ampleur, et se reflète notamment au cinéma. Il y a en effet de plus en plus de films qui sensibilisent – frontalement ou de manière indirecte – à la défense de l’environnement et portent une voix engagée. Le long métrage Don’t Look Up : Déni cosmique illustre bien cela à travers le succès qu’il a eu. Mais cette représentation s’oppose parfois à la pollution engendrée par la production cinématographique.
Si le secteur du cinéma ne figure pas parmi la liste des industries les plus polluantes, son impact écologique est loin d’être négligeable. Une étude de 2006 menée par l’université de Californie à Los Angeles (UCLA)[2] montrait alors que l’industrie californienne du cinéma émet 140 000 tonnes par an d’émissions d’ozone et de particules diesel. Cela représente une pollution en Californie supérieure à celle de tous les autres secteurs, à l’exception de celui du pétrole.
En France, l’empreinte du secteur audiovisuel est estimée à 1,7 millions de tonnes de CO2 par an, selon une étude menée en 2020 par Ecoprod[3], une association soutenue par le CNC et l’Afdas et fondée par des acteurs majeurs de l’audiovisuel français. C’est à ce jour la seule étude chiffrée à ce sujet.
Une autre étude publiée par la Commission de la Région Ile-de-France [4] en 2008 s’est penchée sur l’empreinte écologique d’un tournage, en identifiant « les principaux postes de consommation de matière ou de ressources » de la filière, mais c’est une étude prospective dont la portée reste limitée.
Dans un contexte où l’urgence climatique exhorte tous les acteurs à fournir des efforts, il est aujourd’hui primordial que l’industrie du cinéma œuvre à réduire son impact environnemental. Au-delà d’un classement des industries les plus polluantes, il s’agit avant tout mettre en place une dynamique générale adoptée et actée par la société dans sa globalité, et surtout encouragée par une politique publique déterminée.
Quels leviers d’action pour mettre en place une éco-production ?
Un film est dans la grande majorité des cas porté par une société de production, qui comme toute société a souvent un bureau et des employés permanents. La société est donc un premier espace d’action où l’on peut mettre en place des mesures écologiques, telles que la limitation de l’usage numérique, l’économie d’énergie, le recyclage, etc. Mais ces plans d’action sont déjà plutôt bien connus et identifiés, et il s’agit ici de traiter des spécificités du cinéma et plus particulièrement d’un moment clé de la fabrication d’un film, à savoir le tournage.
Selon l’étude de la Commission Ile-de-France, ce qui pollue le plus dans un tournage est l’impact généré par le transport des gens et des choses (ce qui correspond par ailleurs à un poste budgétaire souvent relativement élevé).
Un article du journal Les Échos [5] rapporte un extrait d’un entretien avec un membre de l’équipe de La Vie d’Adèle : “On a tourné la majeure partie de Mektoub my Love à Sète. Puis, Abdellatif Kechiche nous a fait partir au Portugal. Pour une seule scène, qu’il a finalement coupée au montage.” “Tous ?” “Oui, toute l’équipe, en avion, pour deux semaines.”
Cela illustre les proportions que peut parfois prendre le transport de toutes les équipes artistiques et techniques pour tourner dans des décors naturels. Si jusque-là la question ne se posait pas, il faut désormais pouvoir envisager de limiter les déplacements et choisir les moyens de transport les plus écologiques.
Un autre poste riche en pollution est celui du matériel utilisé, qui est de plus en plus performant sur le plan technologique mais par la même occasion plus énergivore. Certaines lampes ou caméras permettent par exemple un rendu optimal pour des hautes définitions dont les écrans de cinéma ne disposent même pas.
Quels sont les dispositifs existants en France ?
L’association Ecoprod citée plus haut et créée en 2009 compte parmi les acteurs les plus actifs en matière d’éco-production. L’association a créé en 2010 l’Ecoclap, un calculateur d’empreinte carbone dédié à l’audiovisuel et dont les sociétés de production peuvent se servir pour atteindre leurs objectifs. Leur plateforme offre également des fiches pratiques, des formations, un guide de tournage, etc.
La startup Pixetik est quant à elle spécialisée dans le placement de produits écoresponsables, tandis que l’agence de conseil Secoya Ecotournage s’applique à mettre en place des stratégies RSE pour les sociétés de l’audiovisuel.
Ces initiatives se multiplient en France, mais elles restent marginales. Car pour faire appel à une agence de conseil comme celles-ci, il faut dépenser davantage et embaucher davantage, puisque souvent cela nécessite la désignation d’un eco-manager chargé de coordonner cet aspect-là.
Qu’est-ce qui inciterait donc les sociétés de production à se rajouter une contrainte supplémentaire ?
C’est là que le CNC intervient via son plan Action ! lancé en 2021 à travers 3 étapes :
- La première durant 2022 consiste à sensibiliser les acteurs de la filière aux impératifs de la transition écologique et énergétique, via la mise en place de formations non obligatoires et la valorisation des initiatives
- La deuxième courant 2023 qui introduit l’obligation de fournir un bilan carbone pour tout projet financé par le CNC
- La troisième et dernière étape qui conditionne l’obtention des aides au respect de certains seuils d’émission
Pour l’instant il n’y pas vraiment d’impact sur les sociétés de production car la phase de sensibilisation n’impose pas d’obligations, mais si le plan Action ! se déroule comme prévu, l’empreinte écologique des films en sera grandement améliorée. Toutefois, le champ d’action du CNC se limitera aux films qui dépendent des aides du CNC, et n’englobera donc pas les grosses productions de studios dont les films sont les plus couteux et énergivores.
Youssef BRICHA
[1] https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2022/04/IPCC-AR6-WG-III-PressRelease-French.pdf
[2] https://www.theguardian.com/world/2006/nov/15/filmnews.usa
[3] https://www.ecoprod.com/fr/les-outils-pour-agir/etudes.html
[4] http://www.filmvar.com/userfiles/file/Etude%20Empreinte%20Ecologique.pdf
[5] https://start.lesechos.fr/societe/environnement/le-cinema-aussi-pollue-la-planete-1174928