Lego, Barbie, Ferrari : quand les marques font des films

Dans l’univers du cinéma, une nouvelle tendance captivante émerge, érigeant un pont entre l’art du storytelling cinématographique et le pouvoir des marques emblématiques : les films de marque. Le placement de produit prend aujourd’hui une nouvelle forme saisissante avec l’avènement de ce nouveau genre. Des maisons de couture (House of Gucci, 2021), aux fabricants de jouets (Barbie, 2023), en passant par les géants de l’automobile (Ferrari, 2023), des histoires entières prennent vie sur grand écran, étroitement tissées avec les fils narratifs des marques renommées.

Les marques et leur image : en quête d’émotions

Dans notre société de consommation, où l’individu forme son identité quasi exclusivement par l’absorption de certains biens et services, ce sont les marques qui dominent nos esprits. En plus de vendre un produit, une marque vend un certain type de message, contenant une histoire sur les qualités uniques de ses créations.

La marque agit comme un objet désirable, dont la possession est capable de satisfaire les attentes du consommateur, le rendre heureux, et devient en fait un moyen pour une personne de s’orienter dans la réalité. Ce sont la qualité et la reconnaissabilité d’une marque qui contribuent à susciter des émotions positives chez les cibles et à les fidéliser. Mais dans un contexte de sursaturation du marché, les entreprises sont appelées à rechercher de nouveaux moyens d’atteindre les consommateurs.

L’expérience est un élément incontournable de la fidélisation des clients. C’est pour cela que les marques sont nombreuses à élargir leur activité : elles construisent des parcs d’attraction (Disneyland, Ferrari World, Volkswagen Autostadt), transforment leurs usines en musées (Guinness Storehouse, Heineken Experience) ou encore créent leurs propres hôtels-boutiques (Bulgari, Armani, Versace).

Toutes ces expériences ont pour but de faire vivre aux clients des émotions marquantes et positives, pour que ces émotions s’associent par la suite avec la marque, qui devient ainsi encore plus désirable. Suivant cette logique, il n’est pas surprenant que les marques aient toujours été nombreuses à vouloir se rattacher au cinéma, une attraction offrant une large palette d’émotions susceptible d’être utilisée dans une campagne marketing.

Le placement de produit, une pratique discrète mais influente

Le placement de produit a pris racine dans l’industrie cinématographique dès les premiers balbutiements du septième art. Au cours du 20e siècle, les réalisateurs ont commencé à intégrer subtilement des produits dans leurs films, créant ainsi un lien indirect entre les marques et le public. Souvent utilisé comme source de financement pour les productions cinématographiques, le placement de produit permet de compenser les coûts de réalisation tout en offrant aux annonceurs une visibilité stratégique auprès des spectateurs.

À l’origine, le placement de produit se manifestait principalement par des apparitions éphémères d’objets de consommation dans des scènes, parfois de manière transparente pour le public, mais souvent subtilement pour éviter de rompre l’immersion narrative. Cependant, au fil des décennies, cette pratique s’est développée pour devenir une stratégie marketing plus sophistiquée.

Une nouvelle forme de placement de produit : quand le produit devient l’histoire

Le paysage du placement de produit évolue rapidement depuis sa création, et l’on observe aujourd’hui une transition vers une nouvelle forme : le film de marque. Ces œuvres cinématographiques ne se contentent plus simplement de présenter des produits, mais elles en font le pivot central de l’intrigue; les marques deviennent les acteurs principaux, tissant un récit étroitement lié à leur essence même. 

Ce concept va au-delà de la simple promotion ; il s’efforce de créer une expérience immersive où le public se plonge dans l’univers narratif de la marque. Ce glissement vers une intégration plus profonde des marques dans le récit cinématographique soulève des questions fascinantes sur l’avenir du partenariat entre le monde du cinéma et celui des marques, redéfinissant ainsi la manière dont nous interagissons avec ces dernières à travers l’art cinématographique.

En 2014, LEGO s’est par exemple lancé dans la production de son propre film d’animation en présentant ses jouets emblématiques. Les répercussions ont été très positives pour la marque, avec une augmentation des ventes de jeux LEGO à la suite du succès du film, qui s’explique par une envie des spectateurs d’explorer plus encore l’univers de la marque. Outre les produits de construction traditionnels, le film a ouvert la voie à de nouveaux produits basés sur les personnages et l’univers présentés dans l’intrigue. Cela a permis à LEGO de diversifier sa gamme de produits, y compris les jeux vidéo, les séries animées et les produits dérivés. Une communauté de fans passionnés qui partagent leur amour pour LEGO s’est développée sur les médias sociaux et les forums en ligne, renforçant ainsi l’engagement des consommateurs envers la marque.

Un effet encore plus prononcé a été suscité par le film « Barbie », sorti en 2023. Non seulement le film immerge le public dans l’univers de la poupée en rose, mais il lui présente littéralement l’administration du groupe Mattel qui parle des valeurs de la marque de manière quasi directe. Le film a suscité un gigantesque buzz médiatique, et le public tout de rose vêtu ne s’est pas fait attendre dans les salles de cinéma. De nombreuses marques ont également tenté de s’inscrire dans la tendance en faisant des collaborations avec Mattel (Zara, OPI, Nyx, Gap…). Sans surprise, les ventes des poupées ont augmenté de 20% depuis le lancement des opérations marketing. Mattel a déjà annoncé la production de films sur ses autres gammes de produits, notamment Polly Pocket, Hot Wheels et même UNO.

La maison de luxe Saint Laurent, elle, est allée plus loin. En 2023 la marque diversifie son activité en créant sa propre société de production « Saint Laurent Productions”. A présent, la marque ne se contente plus d’être représentée par des costumes portés par des acteurs, mais prend les rênes artistiques des films, lui permettant de façonner de manière intégrale chaque aspect narratif et visuel. Cette initiative offre à la marque une opportunité unique d’incarner pleinement ses valeurs à travers l’expression cinématographique.

Dans les salles de cinéma… et sur le petit écran ?

Et qu’en est-il des plateformes de streaming? Pour Hugo Orchillers, responsable des placements de produit au sein de l’agence Place To Be, avec qui nous nous sommes entretenus, le travail de placement de produit est sensiblement le même qu’il soit fait pour le cinéma ou pour une plateforme de streaming. À la différence près que les plateformes de streaming se montrent plus réticentes que les producteurs de cinéma : « Les plateformes de SVOD comme Netflix proposent du placement de produit, mais cela reste vraiment infime. Les plateformes ne veulent pas créer une régie publicitaire {…} afin de rester le plus cohérent possible avec leur discours de lancement ».

Cependant, à travers le phénomène des films de marques, il se pourrait que cette volonté soit en train d’être ajustée. En effet, des géants du streaming comme Amazon Prime collaborent eux aussi avec des marques, comme le montre la sortie du film « AIR » (2023), sur la franchise Nike. Ce film réalisé par Ben Affleck dévoile le partenariat révolutionnaire entre un Michael Jordan encore méconnu, et la division de basket chancelante de Nike, qui a changé le monde du sport et de la culture avec la marque Air Jordan.

Ainsi, le phénomène des films de marque nous prouve que le cinéma est devenu un outil marketing incontournable pour forger l’identité d’une marque, immerger le public dans son univers et lui offrir une expérience mémorable tout en stimulant les achats. Qu’ils soient diffusés en salle de cinéma ou en streaming, les films de marques sont à l’origine d’un nouveau type de marché publicitaire qui, malgré sa popularité, entraîne tout de même des vagues de critiques concernant la dénaturation du septième art au profit des annonceurs. Ainsi se crée le débat sur l’avenir du cinéma et s’ouvre la voie de recherche d’une harmonie entre créativité et commerce dans le monde artistique contemporain.

Melina MAGNE et Anna ORLOVA


SOURCES :

Le Point; « Barbie » : les ventes de poupées ont augmenté de 20% depuis la sortie du film; 08/2023

Mattel; Mattel Films and Warner Bros. Pictures Announce J.J. Abrams’ Bad Robot Will Produce Hot Wheels Live-Action Motion Picture; 2022

Europe 1; La marque de luxe Saint Laurent annonce la création d’une société de production de films; 04/2023

Luc Dupont; Placement de produit : quand le cinéma devient un terrain de jeu marketing; 09/2024

Stéphane Debenedetti, Isabelle Fontaine; Le cinémarque : Septième Art, publicité et placement des marques; 2004

Les plateformes de streaming vidéo OTT en Asie: une concurrence féroce, notamment dans la production et l’acquisition de séries originales

Ces derniers temps, de plus en plus de séries asiatiques diffusées sur des plateformes de streaming internationales ont acquis une renommée et une influence dépassant leur continent d’origine. Cependant, en examinant attentivement le paysage audiovisuel en Asie, on remarque l’émergence d’une multitude d’autres productions exceptionnelles, similaires à une vague récente. Cette tendance est en partie alimentée par la concurrence féroce entre de nombreuses plateformes OTT en Asie, qui investissent de manière croissante dans le contenu, en particulier dans les créations originales ou exclusives. La diversité des plateformes OTT contribue également à cette concurrence de plus en plus intense.

Les plateformes: l’expansion rapide des applications OTT en Asie

Les plateformes OTT connaissent une importance croissante dans le paysage audiovisuel asiatique, marquant une transition significative dans la manière dont le contenu est consommé. Cette évolution est caractérisée par une expansion rapide des plateformes de streaming à travers la région. Lors de la conférence « Future of Media 2024 » en novembre 2023, les données de Nielsen Consumer & Media View (CMV) mettent en lumière l’adoption rapide des plateformes numériques en Asie, où 64 % des téléspectateurs privilégient désormais les services de streaming vidéo. Lors de cette même conférence, Arnaud Frade, président de la division commerciale pour l’Asie, a souligné que le visionnage multi-écrans est désormais la norme et que l’essor des chaînes de streaming est inexorable [1].

La grande et croissante base d’utilisateurs d’Internet en Asie, associée à une forte pénétration des appareils mobiles, offre un terrain propice aux services de OTT. Cela explique pourquoi le marché des plateformes de streaming vidéo en Asie se caractérise par une croissance rapide et une grande diversité [2].

En analysant plus en profondeur les tendances macro comme les raisons de cette expansion, dans sa rubrique « View from Asia » en juin 2023, Unmish Parthasarathi, fondateur de Picture Board Partners, souligne que cette adoption massive est due à trois tendances macro: une population jeune, particulièrement en Asie du Sud et du Sud-Est; une connectivité abordable et accessible; et le manque d’alternatives de divertissement à prix ou commodité. Il a également estimé que l’Asie devrait voir l’ajout d’un milliard de consommateurs en ligne au cours de cette décennie [3].

Un rapport intitulé « Future of TV » de la plateforme adtech The Trade Desk et du cabinet de recherche Kantar, mené en 2020 et axé sur l’Asie du Sud-Est, a révélé qu’OTT est l’un des canaux médiatiques à la croissance la plus rapide dans la région, avec un taux de pénétration de 31%, soit 180 millions de téléspectateurs OTT. Selon leur enquête, 72% des répondants estiment qu’ils maintiendront ou augmenteront leur consommation d’OTT à l’avenir [4].

En raison de son potentiel économique, l’Asie suscite rapidement un investissement important de la part des plateformes internationales qui cherchent à capturer une part de l’audience en pleine croissance. Commentant le rapport intitulé « Distribution vidéo en ligne et à large bande en Asie-Pacifique 2022 » de Media Partners Asia (MPA), le directeur exécutif de MPA, Vivek Couto, a déclaré : « Les investisseurs se concentrent de plus en plus sur une échelle accrue, une monétisation améliorée et une rentabilité réelle à travers les plateformes vidéo en ligne mondiales, locales et régionales. Dans ce contexte, le rôle de l’Asie-Pacifique continue de jouer un rôle crucial dans l’avenir de l’industrie mondiale de la vidéo en ligne. La région reste le plus grand contributeur à la croissance mondiale des clients et des utilisateurs de vidéo en ligne aujourd’hui et émerge comme un contributeur significatif à la croissance des revenus. » [5]

Par conséquent, sur la carte des plateformes OTT en Asie, nous pouvons observer un mélange entre les géants du streaming vidéo aux côtés des plateformes locales, les exemples les plus évidents étant Netflix ou Amazon Prime Video.

Les services OTT populaires dans les pays d’Asie du Sud-Est
Source: https://insight.freakout.net/what-is-ott-and-why-does-it-matter/

Le contenu: la concurrence dans la production et l’acquisition des séries originales

L’ampleur des investissements des plateformes OTT internationales sur le marché asiatique peut facilement s’expliquer par le succès des contenus originaux produits en Asie. Selon MPA, les dramas coréens ont largement dominé la part de marché du visionnage sur la plateforme Netflix en 2022 [6], aux côtés du triomphe de la série coréenne « Squid Game », devenant ainsi le programme le plus regardé sur Netflix à l’échelle mondiale. Cela témoigne de l’intérêt du public pour les contenus originaux asiatiques.


Source: Statista

Début 2023, selon les prévisions de MPA, Netflix a prévu de dépenser 1,9 milliard de dollars pour du contenu local dans la région Asie-Pacifique cette année-là, représentant ainsi 47% de ses revenus. Cette tendance est stimulée par la Corée, le Japon, puis suivie par l’Inde, l’Australie et certaines parties de l’Asie du Sud-Est [7]. Aujourd’hui, 60 % du public mondial de Netflix a regardé du contenu coréen, tandis que 70 % de ses spectateurs se trouvent en dehors des États-Unis [8].

En analysant le cas de Netflix, une compétition intense pour attirer les utilisateurs et sécuriser des contenus exclusifs a été relevée. Cette concurrence entre les plateformes internationales et locales a façonné l’industrie du divertissement en Asie. La grande majorité des bénéfices de Squid Game sont allés à Netflix, ce qui a incité le gouvernement coréen à intervenir, donc il a annoncé en juin 2023 son intention de fournir 500 milliards de wons (390 millions de dollars) pour aider les plateformes de streaming locales à rivaliser avec les concurrents mondiaux [8]. La montée de la concurrence dans la production de séries originales a été un aspect marquant de l’évolution du paysage audiovisuel asiatique. Cette compétition s’intensifie alors que de plus en plus de plateformes de streaming investissent dans la création de contenu exclusif pour attirer et fidéliser les audiences. En conséquence, cette concurrence est devenue un moteur pour les plateformes OTT locales, qui s’efforcent de se démarquer non seulement par la production de contenus exclusifs en interne mais également par l’acquisition de contenus exclusifs, notamment récemment avec les contenus « day and date ».

Le concept de « série day and date » a gagné en popularité en Asie, désignant la sortie simultanée des épisodes d’une série sur plusieurs marchés internationaux. Cette approche permet aux téléspectateurs asiatiques de regarder des séries au même moment que leurs homologues du monde entier, évitant ainsi les spoilers et créant une expérience de visionnage communautaire. Cette stratégie a été largement adoptée par les plateformes de streaming en Asie pour maximiser l’engagement et la portée de leurs séries originales.

Bien qu’il n’y ait pas de définition académique étant donné que c’est un phénomène nouveau, le terme « séries day and date » est couramment utilisé dans l’industrie télévisuelle. Les contenus “day and date” deviennent de plus en plus populaires et sont devenus un enjeu majeur en raison de :

  • La culture de l’idolatrise en Asie, principalement en Chine et en Corée du Sud, où la culture de l’idolatrise est bien établie et où la culture générale est exportée globalement depuis longtemps.
  • La lutte pour la part de marché dans le secteur concurrentiel de l’OTT, ce qui pousse les plateformes à vouloir être les premières, voire les seules, à diffuser ces contenus.
  • Selon les informations internes dans l’industrie, l’acquisition des séries “day and date” est très difficile parce que de nombreuses plateformes sont engagées dans des négociations pour obtenir les séries les plus convoitées et potentiellement rentables.

Parmi les séries “day & date” et les séries originales les plus populaires en Asie, plusieurs ont rencontré un succès remarquable, tant sur le plan critique que commercial. Ces séries originales ont contribué à renforcer la réputation des plateformes de streaming asiatiques sur la scène internationale et ont ouvert de nouvelles opportunités pour la production et la distribution de contenu asiatique à travers le monde.

Taxi Driver 2
Source: https://www.stellarsisters.com/casting-acteurs-taxi-driver-saison-2-confirmes/

La série coréenne « Taxi Driver 2 » est un exemple du succès des contenus “day and date”. Au Vietnam, la série a été diffusée pour la première fois sur l’application K+ (la plateforme OTT de Canal+ au Vietnam) en même temps qu’en Corée du Sud, ce qui a été un grand succès pour K+, en faisant le contenu “day & date” le plus rentable jamais diffusé sur ce plateforme. Cette série a récemment remporté le prix “Best Drama Series” (Meilleure Série) lors de la 28e cérémonie des “Asian Television Awards”, qui s’est tenue à Ho Chi Minh-Ville, Vietnam [9].

Un autre exemple est la série chinoise « Only for Love ». Avant sa diffusion, la série a suscité beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme, comme en témoignent les plus d’un million de notifications de visionnage préalablement enregistrées sur la plateforme Mango TV (la plateforme de diffusion originale de cette série) [10]. Cet intérêt pour la série a conduit à une forte demande au niveau de l’acquisition entre les plateformes OTT en Asie.

Les prospects dans l’avenir des plateformes OTT en Asie

La concurrence intense entre les plateformes OTT en Asie bénéficie aux consommateurs en leur offrant un large éventail d’options de contenu et de forfaits adaptés. Cependant, cette diversité accrue rend les choix plus difficiles, notamment en ce qui concerne les prix, les préférences de contenu et les plateformes préférées. Pour rester pertinentes dans un marché en constante évolution, les plateformes de streaming doivent rester à l’écoute des besoins des consommateurs. L’avenir du paysage audiovisuel asiatique dépendra des stratégies des plateformes OTT pour attirer les créateurs et maintenir la qualité des contenus. Les tendances émergentes comme les coproductions internationales et les formats innovants joueront également un rôle clé.

Thi Xuan Ha Nguyen

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Sitographie:

[1] https://www.nielsen.com/fr/news-center/2023/streaming-and-digital-on-the-rise-in-asia/

[2] https://www.vdocipher.com/blog/2022/01/asia-vod-platforms/

[3] https://www.isportconnect.com/the-view-from-asia-the-rise-and-rise-of-ott-in-asia/ 

[4] https://www.contentgrip.com/report-future-of-tv-ott-southeast-asia/ 

[5] https://www.broadcastprome.com/news/apac-online-video-revenue-to-hit-73bn-by-2027-mpa/ 

[6] https://www.contentasia.tv/news/netflixs-apac-content-spend-may-hit-us19b-2023-apac-revenues-12-us4b-japan-korea-drive-growth

[7] https://variety.com/2023/tv/news/netflix-content-spending-asia-pacific-1235543665/ 

[8] https://time.com/6339351/netflix-squid-game-asia-expansion/ 

[9] https://tuoitrenews.vn/news/ttnewsstyle/20240115/south-korean-netflix-series-wins-asian-emmys-in-vietnam/77845.html

[10] https://bazaarvietnam.com/review-phim-di-ai-vi-doanh-only-for-love/

Sur petits et grands écrans, l’animation française à la conquête du monde : les raisons stratégiques d’une success story tricolore

Le point commun entre les films Super Mario Bros, Ninja Turtles : Teenage Years, Miraculous et Migration ? Ce sont des productions Made in France ET de véritables hits à l’international. Depuis plusieurs décennies, la France est parvenue à développer une véritable expertise dans le secteur de l’animation, attirant l’attention de l’industrie cinématographique mondiale, y compris les géants d’Hollywood et du marché de l’animation japonaise. On parle aujourd’hui « d’âge d’or » de l’animation française, appréciée non seulement pour sa créativité et sa qualité technique, mais aussi pour sa capacité à toucher un public très diversifié. De nos jours, les plus grands studios américains et japonais s’arrachent les talents français, tandis que les sociétés d’animation tricolores sont sollicitées sur des licences d’envergure internationale (entre autres, Star Wars, League Of Legends, Super Mario, Les Tortues Ninja…). Focus sur les atouts stratégiques contribuant à la réussite de cette « exception culturelle française. »

UN SOCLE ÉDUCATIF UNIQUE 

La France dispose d’un terreau particulièrement fertile d’écoles renommées spécialisées dans l’animation ; Les Gobelins, l’ESMA, Rubika, ARTFX et MoPA figurent parmi les meilleures formations d’animation au monde d’après le classement établi par l’Animation Career Review. Ces écoles fournissent aux étudiants toutes les compétences nécessaires pour exceller dans le secteur, elles sont notamment réputées pour leur capacité à enseigner toutes les techniques d’animation, 2D comme 3D, là où les écoles américaines ont par exemple fait le choix de pleinement se focaliser sur la 3D au tournant des années 2000, délaissant les techniques d’animation traditionnelles. À l’inverse, le Japon a longtemps manifesté sa réticence à l’égard de la 3D, accusant aujourd’hui un lourd retard technologique et artistique sur ses pays concurrents. La diversité des techniques et des influences artistiques est au coeur des formations françaises. Elles sont en lien étroit avec l’industrie, car ce sont généralement des professionnels en activité qui enseignent dans ces écoles. La France offre ainsi aux jeunes des formations d’une grande qualité, perpétuellement alimentées par les meilleurs professionnels du secteur. 

Contrairement à ses voisins anglo-saxons, ces formations s’étalent sur plusieurs années et sont généralement peu coûteuses. Face à l’explosion de la demande internationale, ces écoles, autrefois peu connues et relativement « niches », font désormais face à une explosion de leurs effectifs. D’après une étude du CNC, le nombre d’étudiants spécialisés en animation devrait doubler d’ici 2030. Ces écoles sont regroupées au sein du RECA, un réseau d’intérêt général qui vise à « favoriser la lisibilité de l’offre en formation dans le secteur de l’animation » et « faciliter le dialogue entre les écoles et avec les professionnels dans le respect d’une déontologie commune » selon ses fondateurs. Les écoles françaises bénéficient ainsi d’une visibilité internationale, convoitées par les jeunes talents du monde entier. 

UN SOUTIEN INSTITUTIONNEL INDÉFECTIBLE

L’animation en France bénéficie du soutien des institutions culturelles et gouvernementales. Le CNC soutient financièrement la production d’œuvres animées françaises : en 2022, les aides du CNC couvraient 18% des devis en animation. Pour la télévision, 50 programmes français ont été aidés en 2022, soit plus de 1600 épisodes. À noter que France Télévisions demeure depuis plus de 10 ans le premier groupe européen commanditaire de programmes d’animation français. Au cinéma, 13 productions animées d’initiative française ont été aidées par le CNC en 2022, c’est un record. 

Le CNC vise également à instaurer un cadre réglementaire favorable au développement de cette industrie à l’international. Particulièrement depuis plusieurs années, encourager l’animation Made in France est devenu un véritable enjeu pour faire face à la compétitivité accrue des autres pays. Depuis 2016, le crédit d’impôt international (C2I) favorise les collaborations internationales. Les entreprises étrangères sont davantage enclines à travailler avec des studios d’animation français, car en plus de leur précieux savoir-faire, les dispositifs fiscaux mis en place sont très avantageux. En 2022, 52 œuvres d’animation agréées au C2I ont généré près de 190M€ de dépenses en France ; c’est deux fois plus qu’en 2019. Dans le contexte du plan d’investissement national France 2030 et de l’appel à projet La grande fabrique de l’image (sous la supervision du CNC), le soutien envers la filière devrait se consolider. L’objectif est d’abord de soutenir de manière durable les projets portés par des acteurs majeurs comme Illumination MacGuff (Moi Moche et Méchant, les Minions, SuperMario Bros), Xilam (Oggy et les cafards, J’ai perdu mon corps), Blue Spirit (Ma vie de Courgette, Blue Eye Samurai) ou Mikros Images (Bob L’éponge, Pat’Patrouille, Asterix) ; tout en favorisant le développement de studios créatifs en croissance, comme MIAM ! (Edmond et Lucy) et Fortiche (Arcane, Rocket & Groot).  

UNE « FRENCH TOUCH » DÉSIRÉE

La France est reconnue pour son cinéma d’auteur, et cela s’applique également à l’animation. Les créateurs français ont souvent la liberté artistique nécessaire pour développer des projets originaux et innovants, contribuant ainsi à l’émergence de films d’animation uniques. Chez son voisin outre-atlantique, il est d’usage de constituer des pools d’auteurs et de réaliser une multitude d’études de marché afin de déceler le plus précisément possible les attentes du public, dans une logique de rentabilité et de minimisation des risques. En France, le modèle est beaucoup plus léger, la vision de « l’auteur » demeure au coeur des processus de création : d’une certaine façon, chaque œuvre est un prototype. La diversité de techniques utilisées, des influences et des scénarios déployés ont façonné ce style d’animation unique, une « french touch » reconnue mondialement pour son exigence, sa qualité, son design et sa sensibilité. Les oeuvres sont si éclectiques qu’elles parviennent à capter les publics du monde entier : en 2023, nos salles obscures ont accueilli l’ambitieux polar de SF Mars Express, le somptueux conte onirique Sirocco ou encore la comédie haut en couleur Linda veut du poulet ! Ces films, bien que très différents, ont pour facteur commun leur succès, critique comme commercial. 

Leur carrière est boostée par l’international avec souvent la moitié du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger, à l’instar du film français Le Petit Prince (2015) qui a enregistré 18 millions d’entrées sur 65 territoires. Pour Marc du Pontavice, PDG des studios Xilam, la réussite de l’exportation française s’explique par la qualité unique de l’animation : « Les Européens et particulièrement les Français ont appris le métier dans un creuset d’influences très variées et ont créé leur propre identité graphique qui du coup s’exporte très bien. Elle est très universelle, moins américano-centrée ou japono-centrée que nos concurrents. » La FRanime s’exporte si bien à l’international que certains auteurs français se retrouvent propulsés aux manettes de superproductions françaises d’initiative étrangères, à l’instar de Benjamin Renner (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard), réalisateur sur Migration (Universal, Illumination). 

DES COLLABORATIONS INTERNATIONALES

La France a su établir des collaborations fructueuses avec des studios étrangers, européens, américains et japonais. En 2022, 7 films d’animation sur 10 étaient des coproductions internationales. Les producteurs se tournent vers leurs voisins européens et internationaux pour trouver des fonds et veiller à l’adéquation entre le produit final et les publics internationaux. Selon le CNC, entre 2012 et 2021, le financement international représentait 25% du financement global des films d’animation d’initiative française. Aujourd’hui, le taux approche les 30%. La production d’animation française se veut donc par principe international, avec 80% à 90% de coproductions européennes.

Notons le rôle croissant des plateformes dans la production française. Les quelque 120 studios d’animations français collaborent de plus en plus régulièrement avec les plateformes de streaming : en 2020, Xilam réalisait plus de 50% de son chiffre d’affaires avec Netflix et Disney+.  « Il y a 5 ans, l’essentiel de notre chiffre d’affaires provenait des chaînes françaises et des réseaux de chaînes étrangères » relève Marc du Pontavice. Ces plateformes ont tendance à privilégier l’animation destinée à un public adulte, là où les chaînes de télévision publiques et européennes se focalisent davantage sur l’animation pour enfants. Cependant, l’animation pour adulte progresse partout, chaînes comme plateformes sont conscientes des vastes poches de marché sur ce segment. Les récentes séries Netflix à succès Arcane et Blue Eye Samurai en sont les parfaits exemples. Arcane, produite par le jeune studio français Fortiche, est l’une des séries animées les plus chères de l’histoire, avec un budget avoisinant les 80M$, soit dix fois le budget d’une série d’animation classique. Blue Eye Samurai, produite par Blue Spirit, a été renouvelée par Netflix moins d’une semaine après sa sortie, preuve de son incontestable succès. Ce type de séries, largement saluées par la critique pour la singularité et la beauté de leurs graphismes, a le vent en poupe sur les plateformes.

PERSPECTIVES DE MARCHÉ

Ainsi, la haute qualité d’animation demeure l’avantage concurrentiel principal de la FRanime, c’est un atout stratégique puissant mais fragile, challengé par de multiples enjeux. Pensons notamment aux avancées technologiques majeures que connait ce secteur actuellement, particulièrement sur le terrain de l’intelligence artificielle : Jeffrey Katzenberg, le co-fondateur de DreamWorks, estime que 90 % des artistes pourraient être remplacés par l’IA dans les années à venir. Les besoins en main d’oeuvre pourraient structurellement diminuer, créant davantage de compétition entre les animateurs…

Benjamin Attia

SOURCES

Sébastien Denis, « De Toy Story à J’ai perdu mon corps : III. L’animation industrielle et ses alternatives, NECTART, 17, 84-93

« Le marché de l’animation en 2022 », CNC, 13/06/2023

Jérôme Lachasse, « Pourquoi le cinéma d’animation français est le plus envié au monde », BFM, 16/06/2023

« Cinéma d’animation : les écoles françaises s’imposent à l’international », CNC, 01/09/2022

« Le cinéma d’animation français brille dans les salles obscures du monde entier », Gouvernement, 16/01/2024

Maxime Delcourt, « Le cinéma d’animation, grand fleuron de la France à l’étranger », Slate FR, 21/08/2023

Jérôme Lachasse, « Pourquoi l’animation pour adultes est si difficile à produire », BFM, 17/06/2023

Miotisoa Randrianarisoa & J. Paiano, « 90 % des artistes des studios de films d’animation risqueraient d’être remplacés par l’IA », 11/01/2024. 

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