BeReal est-il vraiment « anti-influence » ?

« BeReal. qui se plaçait en contre-courant des autres réseaux sociaux dictés par la superficialité, les artifices, et le business, devient ainsi une plateforme où l’on peut retrouver des posts sponsorisés…comme sur toutes les autres. »

Ce paragraphe concluait le dernier article écrit sur BeReal sur cette plateforme par Marine Marzin, ancienne élève du Master SIREN.

Dans cet article, je vais tenter de poursuivre son étude et de répondre à ses questionnements en m’appuyant notamment sur les nouvelles fonctionnalités apparues.

Avant tout, petite piqûre de rappel ; arrivée de BeReal, contexte, fonctionnement, succès.

Ce n’est autre que 2 jeunes français qui ont l’idée de ce tout nouveau réseau social qui lutterait contre le « c’est trop beau pour être vrai » d’Instagram. Alexis Barreyat et Kévin Perreau introduise en 2020 BeReal dont le concept est on ne peut plus simple ; une fois par jour, notre téléphone nous envoie une alarme « It’s Time To BeReal ! ». On a ensuite 2 minutes pour ouvrir l’application et se prendre en photo, BeReal capturant la caméra avant et arrière au même instant.

En 2 minutes, impossible de retoucher son maquillage ou de sortir de son lit pour retrouver des amis. Il semblerait donc impossible de « tricher » ; BeReal montre notre vraie vie, sans artifices. Le concept apparaîtrait parfait. Et pourtant, c’était également « trop beau pour être vrai » de penser que l’application resterait telle quelle ; elle se devait d’évoluer mais a-t-elle évolué dans le bon sens ?

Tout particulièrement, alors que les influenceurs envahissent nos réseaux depuis bien longtemps, BeReal est-elle restée une application « anti-influence » ?

BeReal : un réseau social conçu contre la mise en scène ?

Reprenons, BeReal a un principe simple : une notification aléatoire par jour, obligeant les utilisateurs à prendre une photo en temps réel sans filtre, ni retouche. Ainsi, à priori, contrairement à Instagram ou TikTok, il ne permet pas de planifier ou d’éditer ses posts. De même, il n’y a aucun système de « like » ou de « suivi ». On est « amis » avec ceux qu’on connaît et ceux à qui on veut bien dévoiler une partie de notre intimité et on « réagit » aux BeReals de nos amis avec des réactions souvent humoristiques pour alimenter un peu les échanges.

L’article cité plus haut (https://digitalmediaknowledge.com/medias/bereal-et-la-quete-dauthenticite-vers-une-utilisation-plus-saine-des-reseaux-sociaux/) explique bien cette quête d’authenticité. Cependant, depuis sa publication, le réseau a légèrement évolué.

Alors que certaines innovations sont « sans danger », comme les BeReals vidéos, les récapitulatifs personnalisés de l’année, les records de flammes, la possibilité d’épingler des BeReals, de taguer des amis ou encore la possibilité d’afficher la musique écoutée sur Spotify ou Apple Music au moment du cliché, d’autres éloignent le réseau de sa promesse d’origine.

L’objectif étant de pousser les utilisateurs à poster à l’heure, BeReal a d’abord permis à ceux qui était « à l’heure » de poster deux BeReals de plus dans la journée tandis que ceux « late » resteraient à un seul. Déjà, on voit ici une première dégradation du concept ; la possibilité de programmer nos BeReals. Poster à l’heure « au naturel » pour pouvoir par la suite poster deux BeReal « mis en scène » de la même façon qu’une story.

Aujourd’hui, cette innovation a encore évolué. Un utilisateur « à l’heure » va pouvoir poster six BeReals en tout et un « late » pourra en poster deux. En testant ces fonctionnalités de BeReals « bonus », l’application perd déjà de sa spontanéité.

En effet, l’idée d’un réseau « anti-mise en scène » repose sur la spontanéité, mais en réalité, et particulièrement avec cette nouvelle mise à jour, les utilisateurs attendent souvent le « bon moment » pour poster les 5 BeReals additionnels auxquels ils ont le droit. Un BeReal a plus de chance d’être posté à un évènement cool, plutôt que dans un canapé.

Tout cela entraîne un paradoxe auquel les créateurs ne s’attendaient sûrement pas ; BeReal veut contrer la culture de l’image parfaite, mais pousse aussi à une nouvelle forme de pression sociale « si je ne fais rien d’intéressant au moment de la notification, mon BeReal sera nul ».

On comprend donc que BeReal, qui essaye simplement de rester compétitif, perd déjà cette authenticité d’origine qui en avait fait un tel succès en se rapprochant des réseaux sociaux que nous connaissons bien.

Et puisque réseau social rime de façon évidente avec influenceurs, qu’en est-il de ces influenceurs ?

« Real Brand », « Real People » : il faut monétiser BeReal.

Malgré de nouvelles fonctionnalités qui ne permettaient pas d’être parfaitement authentique, on pardonnait au réseau, qui restait loin de l’esthétique fake d’Instagram ou de TikTok. Une autre différence qui faisait de BeReal un réseau rafraîchissant est que tout le monde était sur le même piédestal ; pas de nombre d’abonnés, pas de nombre de likes, bref pas de « célébrités des réseaux ». 

Mais c’est le 6 février 2024 que cette promesse s’écroule. En effet, bien que les stars et les marques puissent déjà être sur BeReal, le 6 février 2024, leurs comptes sont devenus « vérifiés » comme cela est le cas sur d’autres réseaux. Ils apparaissent désormais comme des « Real People » ou des « Real Brands ». Les utilisateurs « normaux » sont quant à eux invités à suivre ces comptes et devenir à ce titre des « Real Fans » qui peuvent taguer leurs personnalités préférées dans leurs posts en espérant être republiés par ces comptes.

Comment BeReal a tenté de garder son caractère authentique avec ces nouveautés ? en n’octroyant aucun autre privilège particulier à ces comptes « Real People » ; ils reçoivent une notification comme tout le monde et doivent poster leurs photos en temps et en heure.

BeReal veut faire passer cette nouveauté comme une opportunité pour ses utilisateurs de montrer que « des personnes et des marques notables sont en réalité des personnes comme nous – tout aussi ennuyeuses et intéressantes à différents moments ».

En réalité, cela permet surtout pour les influenceurs et les marques de développer une communauté, interagir avec leurs clients, leurs fans, créer un sentiment de proximité avec eux et donc rajeunir une image de marque, et toucher un public plus jeune et la fameuse génération Z. Bref, un autre moyen marketing. Mais ce n’est pas tout ; la publicité a envahi les feeds d’actualité de BeReal. À l’origine, pour voir de la publicité, il fallait cliquer sur le profil des personnalités ou des marques et s’abonner à eux. À présent, la publicité est présente, pour tous, sur le fil de photographies de chaque utilisateur.

La raison principale de ce double revirement est le rachat de BeReal par la licorne Voodoo début 2024 pour 500 millions de dollars. BeReal qui, jusqu’ici, ne générait pas un centime, se doit de devenir rentable. Ce qui explique son développement vers un business model publicitaire. Un autre petit exemple de comment BeReal peut exploiter des partenariats et passer par de la publicité ; lors de la sortie de l’album 1989 de Taylor Swift, l’appli a, comme par hasard, envoyé sa notification à l’exacte même heure que la sortie de l’album. Les fans ont donc pu capturer leurs réactions au moment de la découverte des nouvelles musiques. C’est exactement ce genre de partenariats permettant aux artistes et aux marques de synchroniser leurs lancements avec l’application qui pourront continuer d’exister.

Une application sans influenceurs… en apparence.

Mais au-delà de la publicité, concentrons-nous sur le sujet principal de cet article ; les influenceurs. En théorie, le réseau empêche les influenceurs de prospérer puisqu’il n’y a pas de filtres, pas de retouches, pas de mise en avant de contenus. Malgré tout, certains créateurs trouvent des moyens de détourner ces règles.

En effet, les marques parviennent à s’approprier BeReal, non seulement via les publicités mentionnées précédemment mais également avec des campagnes de communication utilisant des influenceurs.

Un exemple de cette évolution serait la nouvelle campagne de communication d’Avène. Accompagnée par l’agence We Are Social, l’entreprise utilise le concept du partage instantané de photo dans la journée pour promouvoir son produit « Cleanance Comedomed Peeling » avec comme nom pour la campagne #TheRealestAd. Le produit en question a pour mission de réduire le volume des boutons de 95% sur une quinzaine de jours. Ainsi, l’objectif de s’allier à BeReal était de bénéficier de sa valeur « d’authenticité » en partageant les résultats de la crème quotidiennement sur 15 jours via des influenceurs.  C’est le cas de la créatrice de contenu Isïa, qui a agrémenté son BeReal d’images en collaboration avec Avène pour montrer l’effet de la crème avec des photos « sans triche ».

Mais déjà bien avant ça, les marques avaient compris que BeReal pouvait leur être bénéfique. On peut mentionner Chipotle, la chaîne de restauration rapide mexicaine connue pour sa mentalité d’early-adopter, qui crée son compte au printemps 2022 et publie un code promo d’une offre limitée directement sur BeReal.

En bref, alors que le réseau partait du message « utilisons le réseau pour partager sa vie avec ses amis proches, sans artifices et sans objectifs cachés », il finit par se rapprocher de n’importe quel réseau en cédant à la pression du marketing et de l’influence.

Les marques ont rapidement compris l’avantage qu’elles pouvaient en tirer et BeReal a évolué dans leur sens.

Conclusion

À son lancement, BeReal incarnait une révolution en promettant un réseau social loin des artifices et des stratégies d’influence. Son concept reposait sur la spontanéité et l’instantanéité, un contraste radical avec Instagram ou TikTok. Pourtant, au fil des évolutions, l’application s’est progressivement éloignée de son idéal initial. L’introduction de publications bonus, l’apparition de comptes certifiés et la montée en puissance des collaborations avec marques et influenceurs marquent un tournant qui brouille son positionnement.

Peut-on encore considérer BeReal comme une plateforme « anti-influence » ? À l’évidence, l’application n’échappe pas aux logiques de visibilité et de monétisation, malgré ses efforts pour préserver un semblant d’authenticité. Son futur dépendra sans doute de l’équilibre qu’elle parviendra à maintenir entre engagement utilisateur et rentabilité.

Mais cette évolution pose une question plus large : existerait-il encore un espace numérique véritablement exempt d’influence et de mise en scène, ou l’authenticité est-elle condamnée à n’être qu’un argument marketing parmi d’autres ?

Valentine Marcilhacy

SOURCES

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