L’intérêt du cinéma pour l’image des maisons de luxe

Le lien entre la mode et le cinéma est fort et historique. Dès les débuts du cinéma, notamment dès le passage du muet au parlant, les marques de luxe de mode ont été sollicitées pour le département des costumes. Déjà établie et internationalement connue avant la première guerre mondiale, Coco Chanel fabrique en 1930, les costumes de Le sang d’un poète de Jean Cocteau. Couturier star de l’après-guerre, Christian Dior se lance également dans le dessin de costume de cinéma en 1950 pour Les enfants terribles de Jean-Pierre Melville, trois ans après avoir présenté sa première collection de haute couture. 

Plus récemment, Chanel et Gucci ont participé aux films de type biopics portant sur leurs maisons et liés aux figures fondatrices de leurs marques comme Coco avant Chanel sorti en 2009, ou encore House of Gucci en 2021. En prêtant leurs vêtements, ce dernier a permis d’authentifier l’œuvre et en intégrant des images et l’esthétique des films dans ses propres campagnes publicitaires par la suite, il a définitivement lié l’image de la marque au récit du film. 

Les stars de cinéma, hollywoodiennes comme françaises, ont très rapidement été ce qu’on considérait aujourd’hui égéries ou ambassadrices, au début grâce à leurs affinités avec les créateurs, comme Catherine Deneuve avec Yves Saint Laurent ou Audrey Hepburn avec Hubert Givenchy. Leurs amitiés s’illustrent par les pièces portées aussi bien à la ville qu’à l’écran, créant un autre pont entre le quotidien et l’art.

Le luxe et le cinéma, deux domaines de l’art et de la culture aux deux extrêmes de l’accessiblité pour le consommateur, semblent donc naturellement compatibles.

Les partenariats jusqu’ici relevaient en partie de l’intime, et sa stratégie soeur mais bien plus capitaliste, le placement de produit purement commercial, a connu ensuite un essor sur ces 40 dernière années, lorsque l’on a commencé à voir le pouvoir publicitaire que pouvait procurer la sensibilité du cinéma et l’impact de l’association de l’émotion que procure le film au produit. On pense notamment à la fameuse Aston Martin de James Bond ou à Chanel dans Barbie (2023, Greta Gerwig). Louis Vuitton a notamment rapidement fait usage de son esthétique ultra-reconnaissable pour s’insérer dans des narrations qui correspondent à la sienne, comme dans The Darjeeling Limited (2007, Wes Anderson) ou encore les sacs “Capucine”, conçus spécialement pour Cruella (2021, Craig Gillespie). 

En parallèle, les campagnes promotionnelles des marques de luxe se sont souvent redéfinies pour devenir des outils de narration plutôt qu’une image frappante. Des courts-métrages, où l’aspect cinématographique prend le dessus du promotionnel ont été réalisés en partenariat avec des réalisateurs de renom comme Luca Guadagnino pour Loewe, Wes Anderson pour Mont Blanc ou encore Gaspar Noé Pour Yves Saint Laurent

Cette dernière collaboration s’étend sur plusieurs années et campagnes. En 2019, la maison appelle le réalisateur à peine trois mois avant le Festival de Cannes pour lui commander un film qui deviendra Lux Aeterna et qui sera sélectionné. C’est le début de la réflexion sur la production pour YSL. La maison s’associe d’abord avec des talents pour construire un univers cinématographique autour de la marque à travers des campagnes scénarisées et réalisées par Abel Ferrera, Wong Kar Wai, ou encore Fabrice du Welz. Saint Laurent Productions né au printemps 2023 et fait une entrée sur scène rapide en sortant leur premier court-métrage réalisé par Pedro Almodovar A way of life fin mai 2023 en salles. 

Puis, un an plus tard en 2024, 3 films dans lesquels SLP a pris part au financement en tant que coproducteur sont sélectionnés à Cannes : Les linceuls de David Chronenberg, Parthenope de Paolo Sorrentino et Emilia Pérez de Jacques Audiard. La marque est portée, stylisée, filmée, intégrée (avec plus ou moins de finesse), elle devient une partie de la narration plutôt que son centre, et donc s’insère d’autant plus dans l’inconscient du spectateur. 

Quelques mois après, Artemis, la holding familiale du groupe Kering qui détient Yves Saint Laurent, annonce sa prise d’actionnariat majoritaire qui serait de 53% au sein de la méga-agence états-uniennes Creative Artists Agency. Le groupe rassemble plusieurs agences notamment spécialisées dans le management de talents des médias et de l’entertainment, et peut citer des noms comme Ariana Grande, Ana de Armas ou encore Bradley Cooper comme clients.

Et c’est quelque mois plus tard seulement, en février 2024, que le premier concurrent de Kering, LVMH, annonce la création de leur propre société de production : 22 Montaigne Entertainment. La maison a pour l’instant produit des oeuvres destinées à mettre en valeur les marques du groupe, mais elle a également conclu un partenariat avec l’états-unien Superconnector Studios, qui semble être chargé de faire le chasseur de projets pour leur compte de l’autre côté de l’Atlantique, afin de leur conclure des participations financières à la hauteur du standing du super-groupe, et sûrement leur permettre de rivaliser avec Kering sur le tapis rouge cannois également. 

Si les deux disciplines et industries sont donc historiquement liées grâce à des affinités humaines et artistiques, l’accélération du capitalisme puis celle du ‘status symbol’ grâce aux réseaux sociaux a propulsé les résultats des maisons de luxe au plus haut, bien que les résultats des dernières années, toute proportion gardée, ne soient pas les meilleurs. Ceci a, d’un autre côté, augmenté l’aspect marchand de leurs produits, leur enlevant ce que le consommateur vient chercher dans le luxe : l’exclusivité mais aussi l’émotion. Une histoire, une narration, un univers unique dans lequel seulement quelques-uns peuvent entrer. Une sensation d’un endroit magique, comme le cinéma peut procurer. 

Le cinéma bénéficie également d’un statut spécial aux yeux de la population : il est accessible et puissant, énormément de titres de son catalogue sont admirés et vus comme des chefs-d’œuvres. On peut le regarder de la même manière en salles, chez soi, dans les transports, à Paris comme à Tokyo, mais ses coulisses sont également mystérieux, pailletés et secrets. Un assemblage parfait pour gagner une visibilité internationale afin de ré-apprivoiser son public tout en s’associant toutefois soigneusement avec des ‘marques’ de films comme l’a fait Yves Saint Laurent Productions.

Enfin le cinéma est une industrie culturelle à la fois puissante, précaire et à risque. Les financements se font de plus en plus durs à monter, et les apports bienvenus, d’autant plus provenant de sources de tel standing. L’injection de fonds au sein de l’exception culturelle française permet également d’exercer des leviers utiles. Finalement, le cinéma et le luxe se ressemblent et se complètent émotionnellement, financièrement et politiquement là où ils se rencontrent. 

Il est par ailleurs intéressant de noter que cette volonté des maisons de luxe d’étendre leur image au-delà de la mode s’est démultiplié ces dernières années, vers le cinéma mais aussi l’hôtellerie et la restauration. Gucci a ouvert plusieurs restaurants tout comme Dior ou encore Louis Vuitton, et cette dernière s’est faite remarquée dernièrement en débutant la construction de son premier hôtel, recouvert d’une structure de protection inratable sur les Champs-Elysées, dont l’imprimé reproduit celui de leur malle iconique.

Il est intéressant d’observer cette intention de créer une horizontalisation ‘lifestyle’ du luxe à un moment de contraction du marché. On pourrait y voir une résolution de capitaliser sur leur image d’inaccessibilité pour faire d’une part durer l’expérience à leurs clients existants et finalement, ouvrir cette expérience à une autre clientèle qui ne pourrait pas participer à cette économie exclusive autrement que par la dégustation d’un gâteau griffé.

Ashley DESTREMAU

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