Gorillaz : décryptage d’un groupe de musique pionnier dans le virtuel

Le groupe virtuel britannique revient le 24 février prochain avec son huitième album studio «Cracker Island ».

« Pour tous nos fans, préparez-vous à la plus grande prise de contrôle de Times Square depuis que l’autre gorille a détruit l’endroit. Plus grande en fait, parce qu’on est quatre. », le rendez-vous était donc pris pour les fans du groupe Gorillaz, suite à l’annonce sur les réseaux sociaux le 8 décembre dernier de la sortie prochaine d’un nouveau single.

Le duo créateur du groupe a décidé de faire découvrir leur nouveau titre « Skinny Ape » grâce à une expérience immersive, à leur image, forcément innovante : deux concerts en plein centre-ville de New-York et Londres, respectivement à Times Square et Piccadilly Circus, le tout en réalité augmentée. Les spectateurs et les promeneurs n’ont donc pas vu Damon Albarn, fondateur, compositeur et interprète, ni aucun musicien sur scène, mais bien les avatars virtuels qui ont fait la renommée du groupe, se baladant dans la ville en jouant sur les buildings de ces places mythiques.

L’accès à la précieuse performance se fait via une application gratuite appelée « Gorillaz Presents », à télécharger sur son smartphone, le spectateur doit se munir d’écouteurs ou d’un casque pour pouvoir écouter la musique. En ouvrant l’application, il nous ait demandé de choisir le lieu de la performance. Ensuite, nous sommes guidés pour nous permettre de nous placer au bon endroit et vivre au mieux l’expérience. La musique commence lorsque nous avons trouvé Stuart, le chanteur, assis en haut d’un écran géant. Puis les enceintes apparaissent les unes après les autres, la publicité des écrans géants change pour laisser place au clip vidéo du groupe, et le trio manquant de musiciens virtuels apparait sur les building environnants. Chaque spectateur est donc amené à déplacer son smartphone dans l’espace pour voir les différents avatars et animations prendre vie, une expérience qui pourra rappeler à certains celle du jeu vidéo Pokémon Go. A noter que la performance est bien évidemment re visionnable, et peut même être regardée et écoutée de chez soi.

Navigation sur l’application « Gorillaz present » à l’occasion du concert en réalité augmentée. Source : Captures d’écrans issues de l’application, 24.01.2023

A l’heure des concerts dans le métavers et des pop stars virtuelles, quelles sont les clefs du succès de ce groupe instigateur du virtuel qui fête en 2023 ses 25 ans de carrière ?

Gorillaz, c’est la rencontre entre deux créateurs anglais : l’un est un musicien, compositeur, interprète au sommet de sa gloire dans les années 90 avec son groupe de rock « Blur » ; l’autre est auteur de bande dessinée, et graphiste. Tous deux, inspirés par MTV, décident de créer leur « Cartoon Band ». Nous somme en 1998, Damon Albarn s’occupera de la musique, Jamie Hewlett du visuel, Gorillaz est né. S’en suit un premier album en 2001 qui rencontre un succès immédiat.

Quelles en sont les raisons ? Côté musique chaque morceau est composé, interprété et enregistré par Damon Albarn, qui souvent s’entoure d’artistes venus de différents styles musicaux. On peut notamment citer Sir Elton John, Fatoumata Diawara ou encore Beck pour leur dernier album sorti en 2020. De fait, il n’est pas rare que sur un album de 15 titres, une dizaine soient en featuring. Il ressort de ces nombreuses collaborations une véritable liberté dans la musique créée, qu’il est difficile de définir et classer à la frontière du rock, de la pop, de la soul, parfois funk, souvent expérimentale.

Côté représentation du groupe, que ce soit dans les clips vidéos ou même sur scène, ce sont les membres virtuels, tout droit sortis de l’imagination de Jamie Hewlett, qui prennent le relai. Ainsi, quand on parle de Gorillaz on parle bien d’un quatuor avec comme chanteur et pianiste Stuart « 2D », en bassiste Murdoc Niccals, Russel Hobbs à la batterie et enfin Noodle à la guitare ; tous stylisés, fictifs et humanoïdes.

Les 4 membres du groupe Gorillaz. Source : Image de benhoudijk sur depositphoto

Gorillaz c’est aussi un univers qui entoure les personnages et accompagne la sortie de chaque album. Dans un album, chaque morceau aura son clip vidéo, qui, tous liés entre eux, racontent une même histoire comme une série est composée d’un certain nombre d’épisodes. Le groupe aime depuis sa création jouer avec la frontière entre le réel et le virtuel, chaque membre ayant sa propre histoire, sa date de naissance, ses propres réseaux sociaux et donnant des interviews pour promouvoir la sortie des albums. Leurs manières irrévérencieuses et l’engagement qui ressort des sujets abordés dans les morceaux en ont fait un groupe qui a réussi à conquérir et fidéliser un public averti, les différenciant des groupes virtuels du début des années 2000, souvent pensés pour un public plus jeune.

C’est donc fort d’une base de fans solides et d’un univers virtuel bien ancré dans l’imaginaire commun que Gorillaz a préparé son grand retour. Si l’on s’intéresse à son évolution et notamment sa représentation scénique, une performance en réalité augmentée semble être une évidence pour ce groupe aux concepts novateurs. En effet, pour retranscrire l’univers virtuel créé autour de chaque album sur scène, le duo s’est toujours aidé de la technologie. Lors de leur première tournée en 2001 les spectateurs ne voyaient d’ailleurs qu’un écran où évoluaient les membres fictifs du groupe, dessinés en 2D, alors que les musiciens étaient cachés derrière. Et si la tournée pour le second album a plus que convaincue les spécialistes grâce à sa capacité à incorporer le film et les animations dans la performance musicale, les musiciens sont d’ailleurs sur scène, bien visibles et intégrés à l’univers, Hewlett en ressort frustré. Il confiera en 2017 dans une interview à Paris Match « il y avait la moitié des Clash avec nous, on sonnait comme Funkadelic, mais l’écran était petit, ça m’a agacé. ». Les tournées suivantes sont donc encore plus poussées technologiquement, les membres pouvant désormais être modélisés en 3D.

Gorillaz en concert en 2017. Source : Wikimedia Commons, photo de Matija Puzar

En dehors des tournées, le groupe cherche à étendre son univers via plusieurs avancées. Ils proposeront dès 2016 une bande dessinée animée. En 2017, ils créent une visite virtuelle de leur studio, possible grâce à leur application mobile qui permettra par la suite une session d’écoute mondiale le jour de la sortie de leur nouvel album. La même année, ils sortiront un clip vidéo 360°, qui cumule aujourd’hui plus de 26 Millions de vues sur YouTube – jusqu’à arriver naturellement donc à un concert en réalité augmentée les 17 et 18 décembre derniers.

Un retour très attendu, qui valait bien une collaboration.

Reste à savoir comment intégrer les avatars créés par Jamie Hewlett dans le monde réel ? C’est le défi relevé par l’entreprise américano-britannique « Nexus Studio ». Et même si le nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, vous connaissez certainement leurs réalisations : ils ont notamment travaillé sur les effets spéciaux de « The Eternals » la série Marvel, ou pour le film d’animation « The House » sortie sur Netflix en début de mois. Outre les effets spéciaux, Nexus Studio est aussi spécialisée dans les expériences immersives, où elle est souvent amenée à s’appuyer sur les technologies Google. Pour l’intégration des membres virtuels de Gorillaz dans Piccadilly Circus ou à Times Square, Fx Goby, réalisateur de film d’animation et de live action Français et membre de l’équipe spécialiste dans l’immersion en temps réel, a alimenté l’expérience grâce à l’API ARCore Geospatial, utilisée couramment pour Google Maps et Google Earth. Puis c’est en collaboration avec Jamie Hewlett qu’ils ont retravaillé les graphismes additionnels.

Vers une explosion des groupes virtuels grâce aux nouvelles technologies ?

Si Gorillaz a bien été un des groupes précurseurs dans l’utilisation du virtuel, il n’a bien évidemment pas été le seul. On peut par exemple citer le travail de Jean Michel Jarre dans la musique électronique ; ou le groupe de Rock français Shaka Ponk à la fois musiciens et graphistes et qui ont créé leur mascotte singe aujourd’hui modélisée en 3D et véritable membre du groupe.

Plus récemment, avec toutes les discussions entourant le métavers et les possibilités que cela ouvre, la forme que peut prendre les groupes virtuels s’est diversifiée. On a vu notamment en K-POP l’arrivée du groupe Aespa où chaque membre possède un alter égo virtuel évoluant dans un univers particulier que l’on peut découvrir au fur et à mesure des clips vidéos. D’autres groupes sont désormais 100% composée d’IA, comme la pop star japonaise Hatsune Miku dont même la voix est technologique. Enfin, nouvelle étape encore, Universal Music annonçait en 2021 la création d’un groupe de musique composé de singes dessinés. Il s’agit en fait de NFT offrant à leurs fans des expériences virtuelles immersives, sous le nom de Kingship.

Pour tous les curieux l’expérience « Skinny Ape » est disponible jusqu’en juin 2023.

Lisa Perono

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