La publicité en ligne et les enfants : stratégies pernicieuses d’acteurs du net

Les enfants sont de plus en plus nombreux à passer du temps sur des applications de jeux sur smartphone. Elles sont devenues des activités incontournables des plus jeunes. Apprendre l’alphabet, entretenir un jardin ou être docteur de peluche, les concepts sont très variés.

Nombre d’entre elles sont gratuites et leur modèle d’affaire pose alors question. En effet, afin d’assurer un modèle économique pérenne, la publicité est le produit largement adopté par les créateurs d’application.

L’Université du Michigan a mené une étude sur les applications mobiles destinées aux jeunes enfants de moins de 5 ans. Elle met en avant les stratégies publicitaires des éditeurs d’applications pour enfants. Sur près de 150 applications testées, les chercheurs montrent que 88 % des applications payantes et 100 % des applications gratuites contenaient de la publicité. 

Bien que la publicité envers les enfants de moins de 13 ans soit très encadrée par la loi en France comme aux États-Unis. Il semble néanmoins que certains fournisseurs de contenus déploient des stratégies publicitaires parfois redoutables.

L’étude de l’Université du Michigan met notamment en cause l’application Doctor Kids éditée par Budadu disponible sur le Playstore de Google. Le jeu sensibilise les jeunes enfants aux pratiques médicales. Mais, sous couvert de cet aspect récréatif, l’application semble marcher sur une corde sensible concernant les règles de publicité. En effet, l’enfant peut acheter des accessoires payants pour évoluer dans le jeu. Pour les pousser à l’achat, l’éditeur a établi une rhétorique discutable. Le Figaro rapporte que « si l’enfant refuse d’acheter les accessoires virtuels payants du jeu, l’un des personnages se met à pleurer. »

L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité formule des dispositions générales, reconnues par l’ensemble des professionnels en France. Elle formule les obligations suivantes « 7.1 La publicité ne doit pas suggérer que la seule possession ou l’utilisation d’un produit donne à l’enfant un avantage physique, social ou psychologique sur les autres enfants de son âge, ou que la non-possession de ce produit aurait un effet contraire. » et « 7.2 La publicité s’adressant aux enfants ne doit pas susciter un sentiment d’urgence d’achat ou suggérer que cet achat possède un caractère indispensable. » Le constat est pourtant clair, cette application associe le refus d’achat à quelque chose de douloureux, en jouant sur l’émotionnel et l’affectif particulier développé des enfants. L’éditeur de l’application est garant des contenus publicitaires mis en avant dans son application. 

Mais un autre acteur mérite également une attention particulière : Google. Le géant du web distribue Doctor Kids depuis son magasin d’application. Avant d’y être disponible, les applications doivent répondre à certaines conditions. Les applications pour enfants doivent répondre au programme Designed for Families. Ce programme fournit un ensemble de contraintes liées aux contenus publicitaires notamment ce qui suit « Il doit être possible de distinguer clairement les annonces du contenu de l’application ». Dans le cas de Doctor Kids, il est indéniable que le contenu publicitaire est dissimulé dans l’univers du jeu puisqu’un personnage du jeu auquel l’enfant joue se met à pleurer lorsque ce dernier refuse d’acheter des accessoires. L’univers immersif des applications peut être un danger pour les enfants puisque la publicité est intégrée dans un environnement de divertissement. 

Malgré le fait que Google paraisse transparent sur sa politique envers la publicité, il n’empêche que des failles apparaissent dans la plupart des nombreux produits proposés par la firme. En témoigne notamment l’affaire sur les publicités ciblées envers les enfants de moins de 13 ans sur Youtube en 2016. La plateforme de vidéos en ligne officiellement interdite aux moins de 13 ans est tout de même une pépinière de dessins animés et de comptines pour enfants. YouTube semble délibérément tenter d’attirer ce jeune public sur sa plateforme. En effet, Little Baby Bum se classe comme la 9ème chaîne la plus populaire. La chaîne propose des vidéos où des personnages chantent des comptines. Cumulées, ces vidéos totalisent près de 18 milliards de vues. Vingt-trois associations de défenses des droits des enfants aux États-Unis ont attaqué la plateforme et la société-mère Google pour pratiques illégales. La loi américaine est relativement similaire à la loi française dans ce domaine : le Children’s Online Privacy Protection Act (COPPA) interdit la collecte en ligne d’informations personnelles sur les enfants de moins de 13 ans, sans le consentement vérifiable de l’un des deux parents. Néanmoins, le géant collecterait un nombre colossal de données sur les enfants pour les revendre aux publicitaires dont leur localisation, leur numéro de téléphone ainsi que le modèle d’appareil utilisé alors même qu’il se défend de faire de la publicité ciblée pour les enfants partout sur internet.  

Les enfants sont en effet une cible marketing particulièrement intéressante pour ces empires du net. Ils sont les acheteurs de demain. En les conditionnant dès le plus jeune âge à des comportements d’achat, les entreprises s’assurent des clients fidèles par la suite. Mais ils sont également des prescripteurs d’achat hors pairs. L’enfant a un réel rôle dans les comportements d’achat des adultes, il reconnaît les marques, il a des préférences. La marque Peugeot l’avait d’ailleurs bien compris avec son slogan pour sa voiture 806 : « 806, la voiture que les enfants conseillent aux parents.» En effet, selon Kantar Media en 2016, 47% des mères d’enfants de 0 à 14 ans estiment qu’il est bon de les consulter pour des achats qui les concernant tandis que 30% des mères achètent toujours les marques préférées de leur enfant. Le Baromètre Conso-Famille 2016 montre quant à lui que la prescription des enfants dans les achats alimentaires est particulièrement forte sur les produits pour le petit déjeuner et le gouter. 

Mais l’enfant est également celui qui dispose d’un certain pouvoir d’achat. « À partir de 8 ans, l’enfant commence à s’intéresser au monde des adultes, demande de l’argent de poche et davantage d’autonomie, recherche l’approbation de ses pairs. L’entrée au collège marque le passage vers l’adolescence et ses changements physiques, l’intégration de nouvelles règles, plus seulement celles de la famille mais émanant aussi du clan », résume Xavier Terlet, directeur du cabinet XTC World Innovation. Grâce à l’argent de poche, les enfants deviennent des cibles marketing avec une forte propension à payer pour un produit. Cet argent de poche représentait en 1,1 Mrd € en France en 2016 et LSA Conso note que les enfant n’ont aucun mal à doubler la valeur de leur argent de poche. En effet, cet argent est souvent gardé à la maison et ce sont souvent les parents qui avancent l’argent mais qui ne se font pas souvent remboursé des achats impulsifs de leurs enfants. Par ailleurs, selon Junior City, plus de 80% des 4-14 ans ont un livret d’épargne pour un montant moyen de 1 400 €. 

Ainsi les géants du net ont bien compris l’eldorado que représente la jeunesse connectée dans le ciblage marketing et semble redoubler de stratégies pour les atteindre de manière parfois pernicieuse. 

Valentine Tucoulat

SOURCES

https://www.michigandaily.com/section/research/university-study-finds-excessive-inappropriate-ads-apps-children

https://www.clubic.com/application-mobile/actualite-846883-apps-enfants-truffees-publicites-manipulatrices.html

http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2018/04/09/32001-20180409ARTFIG00154-publicites-youtube-accuse-d-avoir-illegalement-cible-des-enfants.php

http://www.lefigaro.fr/medias/2018/09/17/20004-20180917ARTFIG00160-little-baby-bum-l-empire-des-videos-youtube-pour-enfants-qui-vaut-des-millions-d-euros.php

https://www.arpp.org/nous-consulter/regles/regles-de-deontologie/enfant/#toc_0_7

https://developer.android.com/google-play/guides/families/

https://www.lsa-conso.fr/les-kids-petits-et-deja-grands-consommateurs-dossier,239946

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