Des médiations par dispositif mobile pour inciter les jeunes à se rendre aux urnes ?
A quelques mois seulement de l’élection présidentielle, des études montrent que l’abstention pourrait atteindre un taux record, particulièrement chez les jeunes.[1] Face à ces sondages alarmants, certains dispositifs ont été créés pour inciter les jeunes à se rendre aux urnes. Tous s’inscrivent dans une logique médiatique qui cible les applications mobiles ou réseaux sociaux, majoritairement utilisés par les 18-25 ans.[2]
Une application ludique qui permet de savoir pour qui voter …
Parmi eux, Elyze, a dépassée en 15 jours le million d’utilisateurs[3] et se trouve désormais en tête des téléchargements dans la catégorie « News » en France sur iPhone, devant Doctolib, TikTok ou encore WhatsApp Messenger.[4] L’application devenue virale, tente de réconcilier les jeunes avec le vote en les aidant à trouver quel candidat ou candidate correspond au mieux à leurs convictions. Elyze propose une solution qui se veut apolitique et neutre afin d’éclairer les utilisateurs quant aux divers programmes des candidats à l’élection présidentielle. Le « Tinder de la présidentielle » : c’est comme cela qu’un des co-fondateurs d’Elyze (Gaspard G) résume l’ambition de l’application qui reprend le fameux swipe à droite ou à gauche pour marquer son adhésion ou non avec les différentes propositions. L’utilisateur a aussi la possibilité de cliquer sur l’émoji pensif (🤔) au centre, pour ne pas se prononcer. Après avoir donné ses accords ou désaccords à plusieurs propositions, un classement est établi permettant de découvrir le top 3 candidats de l’utilisateur.
En ciblant l’application mobile, Elyze s’adapte au mode de consommation de contenu des jeunes, qui désertent les médias traditionnels, et rend plus accessible les débats et les questions qui agitent la sphère politique. L’interface claire, simple et ludique, fait de l’application un bel outil pédagogique.
…mais qui n’est pas à l’abri des critiques
L’application, placée sous le feu de projecteurs et de la Cnil, suscite malgré tout de vifs reproches. François Mari, un des fondateurs se livre : « On a été dépassé par le succès de l’application ».[5]
Certains utilisateurs regrettent une simplification jugée excessive face à la politique, un sujet pourtant profond et sérieux. En effet, le classement top 3 est suggéré après avoir répondu à seulement 25 propositions. Bien que le caractère réducteur de l’application lui ait été reproché, le concept fait globalement l’unanimité.[6] En revanche, les failles de sécurité, la favoritisme et les données personnelles récoltées par l’application sont des maladresses qui ne sont pas passées inaperçues auprès des internautes. Les quatre jeunes fondateurs et co-fondateurs n’ayant pas anticipé l’ampleur et la rapidité de leur succès, sont rattrapés par des problématiques d’ordre technique et légal.
Une application imparfaite …
Une faille dans l’algorithme en cas d’égalité des candidats portait à confusion quant à la neutralité d’Elyze. En acceptant les 367 propositions, l’utilisateur est d’accord avec 100% des programmes de tous les candidats, pourtant, au lieu d’afficher une égalité parfaite, Macron est inscrit en tête du classement. Jean-Luc Mélanchon a immédiatement réagi en dénonçant un traitement de faveur.[7] L’erreur a été signalée et corrigée dans la foulée. Une fonctionnalité « ex-aequo » est intégrée à la prochaine mise à jour.
En outre, Mathis Hammel, expert en cybersécurité, a soulevé une faille informatique qui portait atteinte à la sécurité de l’application, elle aussi d’ores et déjà corrigée. Il indiquait avoir « trouvé dans le logiciel un moyen de modifier complètement les programmes politiques affichés par l’application sur les téléphones de tout le monde ».[8] Défaut qui aurait pu être utilisé par des personnes malveillantes à des fins de manipulation politique. Par souci de transparence le code de l’application est désormais disponible en Open Source, d’autres informaticiens pouvant ainsi vérifier le fonctionnement de leur algorithme.
… qui récolte des données sensibles
Le genre, le code postal et la date de naissance étaient jusqu’à présent les trois informations que les utilisateurs renseignaient dans l’application permettant de créer une gigantesque base de données.[9] Le risque face à la vente de ces données à des partis politiques ou entreprises a attisé les critiques. La CNIL se porte sur le sujet afin d’infliger des sanctions si violations au RGPD (règlement général sur la protection des données) viennent à s’avérer.[10] Selon l’article 9 du RGPD «le traitement des données à caractère personnel qui révèle les opinions politiques» est interdit. D’après le Communiqué de presse d’Elyze, les données collectées, en plus d’être facultatives et anonymes seront supprimées dès la prochaine mise à jour afin de dissiper toute inquiétude. [11]
Force est de constater que malgré tout, l’application a déjà suscité un vif intérêt chez les jeunes face à l’élection présidentielle à venir, signe de bonne nouvelle pour la démocratie.
D’autres dispositifs pour informer les jeunes
L’un des co-fondateur d’Elyze ne s’arrête pas là, Gaspard G propose également sur sa chaine youtube des séries de vidéos pour informer sur la présidentielle : « L’histoire de » propose des biographies propres à chaque candidat, « Face aux jeunes » présente une série d’entretiens avec des politiques. Déjà suivi par près de 250k abonnés, Gaspard explore de nouveaux formats dans le but de réconcilier les jeunes avec la politique.
L’incontournable youtuber connu sous le nom de Hugo Décrypte, vient également de lancer « Mashup », une émission hebdomadaire qui se déroule sur Twitch. A la différence des courts résumés de l’actualité qui sont sa marque de fabrique, « Mashup » adopte un format long pour explorer l’actualité, notamment politique, plus en profondeur et laisser place au débat. Il souhaite également réitérer son format décryptage des programmes qu’il avait inauguré lors des dernières présidentielles mais cette fois pour l’élection 2022. En quelques minutes seulement, les idées phares de chaque candidat sont présentées, permettant ainsi d’informer les internautes dans les grandes lignes.
Plus largement, YouTube devrait aussi mobiliser des youtubers connus pour qu’ils incitent leurs fans à se rendre aux urnes.[12]
Une ONG en partenariat avec WhatsApp pour lutter contre l’abstention
L’ONG A Voté est également mobilisée pour lutter contre l’abstention chez les jeunes. D’après leur sondage, il s’est avéré que près de 7.6 millions d’électeurs seraient mal inscrits sur les listes électorales, et 5 millions ne seraient même pas inscrits, soit un total de 25% du corps électoral.[13] Ce phénomène qui touche principalement les jeunes, s’avère être une cause non négligeable de l’abstention. Pour faire face à ce problème d’ordre administratif, l’organisme lance une initiative en partenariat avec WhatsApp, l’application messagerie du groupe Meta (ex Facebook). En envoyant « bonjour » au numéro 06.22.26.69.50,[14] le chatbot propose aux utilisateurs de répondre à plusieurs questions dans le but de leur fournir des informations personnalisées pour les aider à s’inscrire sur les listes électorales.
Courts résumés, interviews plus approfondis ou quizz ludiques, divers formats se développent sur les réseaux sociaux et applications mobiles pour permettre aux jeunes de s’informer comme bon leur semble. Redonner le goût de l’actualité aux jeunes en utilisant différents canaux de communication que les médias traditionnels, pourrait être une solution pour lutter contre l’abstention.
Le smartphone sera-t-il une arme pour re-mobiliser les jeunes ?
Alice Dussech
Sources :
[1]Sondage d’actualité Odoxa, (2022, 14 Janvier). Les français et l’abstention à l’élection présidentielle 2022. Odoxa.
[2] Taux de pénétration des réseaux sociaux selon l’âge en France en 2018. Statista.
https://fr.statista.com/statistiques/480837/utilisation-reseaux-sociaux-france-age/
[3] Elyze.app, (2022, 15 Janvier). Instagram.
https://www.instagram.com/p/CYv0q3kMVmx/
[4] (2022, January 26). Top Apps on iOS, France, Overall, January 16. Appanie.
https://www.appannie.com/en/apps/ios/top/france/overall/iphone/
[5] Mathilde Roche, (2022, 18 janvier). Favoritisme, failles de sécurité, revente de données: que reproche-t-on à Elyze, le Tinder de la présidentielle?. Libération.
[6] Aurore Gayte, (2022, 13 Janvier). Futée ou biaisée : que penser de l’app Elyze qui vous aide à trouver pour qui voter ?. Numerama.
[7] Jean Luc Mélanchon. Twitter.
https://twitter.com/JLMelenchon/status/1481289829677682693
[8] Elyze, le Tinder de la présidentielle, et la gestion des données personnelles politiques.
[9] Communiqué de Presse d’Elyze. Twitter.
https://twitter.com/ElyzeApp/status/1484089786273050625/photo/2
[10] Alice Vitard, (2022, 18 Janvier). Face aux accusations, l’application Elyze supprime les données personnelles de ses utilisateurs. L’Usine Digitale.
[11] Communiqué de Presse d’Elyze. Twitter.
https://twitter.com/ElyzeApp/status/1484089786273050625/photo/1
[12] Chloé Woitier, (2022, 14 Janvier). Présidentielle 2022: la tech appelée à la rescousse pour toucher les jeunes. Le Figaro.
[13] Dorian Dreuil. Twitter.
https://twitter.com/ddreuil/status/1438083863566295043?lang=ar
[14] A Voté.
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