Sur les médias sociaux : les histoires se racontent à la verticale

Un simple swipe vers le bas pour changer de film, d’épisode ou même de série : et si c’était ça le futur de la consommation de films et de séries ?
C’est déjà une réalité puisqu’on ne compte plus le nombre de vidéos YouTube, de séries ou de films découpés en plusieurs dizaines de parties et publiés, sous la forme de courtes vidéos, sur TikTok.
Grâce aux nouvelles technologies, le passage du format 16:9 (horizontal) au format 9:16 (vertical) n’a jamais été aussi facile. L’intelligence artificielle fait sortir les films de leur cadre en balayant les contraintes techniques et cinématographiques. Des scènes de films cultes comme Harry Potter ou Indiana Jones voient ainsi leur format être converti, s’adaptant parfaitement à la consommation sur smartphone.
L’intérêt pour cette nouvelle manière de consommer du contenu ne cesse de croître, porté par un visionnage sur mobile toujours plus rapide et fragmenté.
Des productions faites sur mesure pour les plateformes
TikTok et Instagram deviennent de véritables lieux de création pour des contenus exclusifs et verticaux. Depuis les cinq dernières années, on voit apparaître des fictions produites uniquement pour la plateforme TikTok comme la série Cobell Energy (2023).
Ce phénomène ne touche pas seulement la Chine et les Etats-Unis. En France, la série Cités (2021) produite par Prime Vidéo France et réalisée par Abd Al Malik a été entièrement pensée pour la plateforme TikTok. En effet, la série a été tournée à l’iPhone au format vertical et elle comprend 12 épisodes de 60 secondes maximum. Le casting s’est fait grâce au challenge #PrimeVideoCasting lancé sur TikTok. Le réalisateur a su parfaitement maîtriser la grammaire de la plateforme (épisodes courts, danses et musiques tendances) et les fonctionnalités offertes par l’application (outils de montage et filtres d’animation).
Sur les réseaux sociaux, on observe également la production de contenus de fiction ou documentaire hybrides, c’est-à-dire disponibles dans les formats horizontaux et verticaux. Par exemple, le compte Instagram d’Arte @Arte_asuivre propose des mini-séries adaptées à ces nouveaux usages de consommation : sur la plateforme de streaming arte.tv et sur les réseaux sociaux. Le succès de la mini-série Samuel (2024) est la preuve qu’Arte maîtrise les codes de ce double format. Sur la plateforme arte.tv, les épisodes sont diffusés au format 16:9 et durent entre 3 et 5 minutes. Sur TikTok, au contraire, les épisodes sont plus courts (moins d’une minute) et occupent tout l’écran du smartphone, à la verticale. Cette stratégie a été payante puisque la série cumule, en France, 18 millions de vues, toutes plateformes confondues.

Consommer des films ou séries au format vertical c’est adopter des nouveaux codes. Pour les réalisateurs, le cadre est un véritable espace de jeu. Ainsi, la scénariste et réalisatrice Camille Duvelleroy évoque « le hors-champ gigantesque du vertical ». Avec le vertical, l’accent est mis sur l’humain, les visages et les corps car, selon elle, « si tu filmes en large, tu ne vois pas les visages de tes personnages et tu perds l’empathie » (Mathieu Deslandes, 2022).
Sur ses réseaux sociaux, Arte s’approprie les codes du feuilleton en diffusant tous les jours à 18h un épisode de sa mini-série Amours solitaires. Ainsi, le compte « @arte_asuivre invite à redécouvrir l’impatience, à goûter l’attente. C’est aussi l’occasion d’installer davantage une narration, de développer les univers proposés par les séries, tout cela contribue à nourrir / enrichir les modes de réception. » Ces productions « exploitent les usages et fonctionnalités d’Instagram et/ou y trouvent un public complémentaire aux autres plateformes » ; elles explorent « la relation qu’un public et des usages spécifiques à Instagram peuvent entretenir avec les histoires » (Julien Aubert, 2021).
Par opposition à ces séries qui prennent le temps de raconter une histoire et de trouver leur public, on trouve des applications dédiées au streaming vertical où la rapidité de consommation est valorisée. Aux Etats-Unis et aux Philippines, on assiste à l’explosion de la consommation de minidramas aussi appelés vertical dramas. Ce format Made in China a été pensé pour satisfaire un public avide de contenus rapides et addictifs. Des tournages à moindre coût, des scénarios aux nombreux rebondissements et l’attention des spectateurs retenue dès les premières secondes semblent composer la recette du succès. En effet, cette industrie pèse aujourd’hui plusieurs milliards de dollars et repose sur des géants des vertical dramas comme l’application Réelshort.
Toutefois, ce succès est à nuancer. Bien que les contenus proposés aient été conçus pour nous rendre accros, les acteurs de cette industrie peinent encore à trouver leur public. Les applications Quibi (aux USA) et Studio+ (en France) ont fermé quelques années après leur lancement, preuve que le mobile-first et le format vertical sont à l’heure actuelle loin d’être la norme lorsqu’il s’agit des films et des séries…
Des nouvelles manières de promouvoir le cinéma
Les réseaux sociaux renouvellent également la manière de promouvoir les films. On connaît déjà l’impact de TikTok sur la viralité de certains films. Par exemple, les différents challenges lors de la sortie du film Barbie (2023) ou les réactions filmées et postées sur TikTok après avoir vu le film Le Consentement (2023) ont incité de nombreux spectateurs à aller en salle.
Ces évolutions obligent les studios et surtout les distributeurs à repenser les stratégies de communication, notamment les bandes-annonces. Le format horizontal traditionnel n’est pas adapté aux réseaux sociaux. En effet, les utilisateurs de ces plateformes ont pour habitude de consommer des vidéos courtes, au montage dynamique et dont les premières secondes de vidéo doivent retenir l’attention au risque, sinon, d’être “swipées”. Une règle est certaine sur Instagram et TikTok: « Les trois premières secondes sont intransigeantes » selon Antton Racca. Ainsi, « les contenus verticaux impliquent une forte efficacité narrative » (Mathieu Deslandes, 2022).
Des agences, comme Diversification Littéraire, accompagnent désormais les distributeurs dans leurs campagnes de communication en adaptant leurs bandes-annonces aux nouveaux formats courts et verticaux des réseaux sociaux. En effet, les distributeurs ont besoin d’être accompagnés afin de saisir au mieux les nouvelles opportunités offertes par les réseaux sociaux.

Du petit au grand écran
Les nouvelles productions au format vertical ont désormais de plus en plus de festivals qui leur sont dédiés. Alors que, sur les médias sociaux comme TikTok, les contenus sont conçus exclusivement pour le petit écran, avec ce nouveau genre de festivals, on passe du petit au grand écran.
Par exemple, le festival Vertical Fest’ est un concours de courts métrages au format 9:16 dont la durée est inférieure à 1min30. Pour cette première édition, quinze films seront sélectionnés et projetés dans un cinéma. Les réalisateurs doivent publier leurs oeuvres sur TikTok ou Instagram avec la mention #verticalfest afin d’avoir une chance d’être sélectionné.
D’autres initiatives mettent à l’honneur les films verticaux. C’est le cas du Vertical Cinema dont les films sont diffusés sur grand écran dans des églises et salles de spectacle d’Europe. Ces projections expérimentales et spectaculaires – nécessitant, par ailleurs, un projecteur sur-mesure – questionnent la dimension spatiale du cinéma traditionnel en proposant des films sur un nouvel axe.
Ces événements représentent-ils une exception dans l’industrie cinématographique ? Il est en effet paradoxal de projeter des films sur grand écran alors qu’ils ont majoritairement été conçus pour une diffusion verticale. Cela résulte-t-il d’un véritable syndrome de la vidéo verticale ? Ou bien ce format marquera-t-il une révolution dans la manière de consommer films et séries ? Seul l’avenir nous le dira…
Une chose est sûre : le format vertical ouvre des perspectives nouvelles, tant pour la création que pour la diffusion et la communication des contenus cinématographiques. Il réécrit les codes de la narration et du montage et pourrait bien être l’un des piliers de l’avenir du cinéma digital.
Capucine Albisetti
Sources
- « Sur TikTok, une IA remonte des films culte à la verticale, et c’est un vrai problème », Konbini. 2023, Disponible sur : https://www.konbini.com/popculture/sur-tiktok-une-ia-remonte-des-films-culte-a-la-verticale-et-cest-un-vrai-probleme/
- « Prime Video France présente CITÉS, la première série 100% TikTok », TikTok Newsroom, 2021. Disponible sur : https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/amazon-prime-serie-cites
- Aubin Estelle, « Samuel : La success story de la mini-série digitale d’Arte », Ecran total, 2024. Disponible sur : https://ecran-total.fr/2024/04/24/la-success-story-de-la-serie-samuel-sur-arte/?srsltid=AfmBOorp8KO_XdsFahN_nkcKOb4gdUfgWy1mQ0Ba2hRcpCA7OIGq7u4I
- « Interview : La stratégie éditoriale d’ARTE À Suivre (@arte_asuivre) », Julien Aubert, PXN, 2021. Disponible sur : https://medium.com/@hellopxn/interview-la-stratégie-éditoriale-darte-à-suivre-arte-asuivre-39f70758e094
- Sarmiento Kate, « What Are Vertical Dramas And Are They The Future Of Streaming? », Cosmopolitan, 2025. Disponible sur : https://www.cosmo.ph/entertainment/vertical-dramas-a5322-20250302-lfrm?s=alm63ll6vk2rr3trtck3a4huq1
- Li Xin & Ye Zhanhang, « Flash Fiction TV: Why China Is Betting Big on Ultrashort Dramas », Sixth Tone, 2024. Disponible sur : https://www.sixthtone.com/news/1014527
- Deslandes Mathieu, « Filmer en vertical, c’est comme regarder par la fenêtre », INA, 2022. Disponible sur : https://larevuedesmedias.ina.fr/video-format-vertical-film-serie-documentaire-realisatrices