La Section 230 du Communications Decency Act : Un bouclier en danger ?
La section 230 du Communications Decency Act, plus communément appelée par les autorités américaines le bouclier des réseaux sociaux, est plus en danger que jamais depuis l’annonce des résultats des élections présidentielles américaines. Avec l’avènement des procès concernant les réseaux sociaux depuis début 2020, leur rôle et leur place prédominante sur le marché du net est de plus en plus controversée. Une modification de la section 230 pourrait remettre en question le fonctionnement fondamental sur lequel nos réseaux sociaux reposent aujourd’hui : la liberté d’expression.
Quelle est donc la particularité de cette disposition ?
Historique et contenu de la Section 230
La section 230 est une pièce du Communications Decency Act qui entra en vigueur en 1996 et fut rédigée dans l’intention de protéger un internet bien différent de celui que l’on connait aujourd’hui. Le souhait premier de cette loi était avant tout d’imposer de strictes responsabilités aux médias afin de protéger les enfants de tout contenu obscène qu’ils pourraient diffuser.
Le Congrès a cependant rencontré un premier dilemme en rédigeant cette oeuvre législative. La loi américaine distingue traditionnellement les publishers des distributors. D’un côté les publishers sont responsables du contenu qu’ils publient, et de l’autre côté les distributors sont épargnés de toute responsabilité à moins qu’ils aient connaissance de l’illégalité du contenu qu’ils auraient publié. Cette distinction n’a pas été créée pour y intégrer les réseaux sociaux d’aujourd’hui. Les acteurs d’internet posent un problème en ce qu’ils agissent simultanément comme publisher et distributor. L’enjeu de cette qualification était important car en découlait le régime juridique applicable.
Le Congrès décida donc d’ajouter à son entreprise législative ce qu’il a appelé le « Good Samaritan Statute » par lequel il ajouta la section 230. Sa volonté était de ne pas entraver la bonne marche des affaires en retirant une potentielle responsabilité qui aurait pu dissuader les entreprises d’investir dans le marché de l’internet.
La section 230 contient deux alinéas décisifs. Le premier dispose : « Aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne doit être traité comme l’éditeur ou l’auteur d’une information provenant d’un autre fournisseur de contenu informatif ».
On voit bien que le Congrès n’a pas souhaité faire tomber les géants du net dans une catégorie particulière mais a choisi de leur imposer un régime juridique particulier. Il refuse de les considérer comme des publishers traditionnels en leur conférant une immunité.
Le deuxième alinéa offre une exonération de responsabilité civile pour les opérateurs de services informatiques interactifs sur « toute mesure prise volontairement et de bonne foi pour restreindre l’accès ou la disponibilité de contenu que le fournisseur ou l’utilisateur considère comme obscène, lascif, dégoûtant, excessivement violent, harcelant ou autrement répréhensible, que ce matériel soit ou non protégé par la constitution ».
Les controverses autour de cette Section
Le principal challenge aujourd’hui est cette immense liberté qui est conférée aux réseaux sociaux via cette section 230 avec une absence de régulation. Il leur est aujourd’hui reproché de laisser circuler une large quantité de FakeNews. Leur système de « fact checking » ne serait pas assez efficace. On constate en particulier des pics d’émergence de fake news lors des élections présidentielles de 2016 et 2020. Il a également été démontré que même en période d’après-élection, l’engagement de Facebook avec des sites de fake news est aux alentours de 70 millions par mois le plaçant donc en diffuseur majeur de désinformation.
Il leur est d’autant plus reproché d’être arbitraire dans leur modération de ces contenus, déterminant ainsi ce qui est à leur égard inapproprié ou non. Il en résulte une absence de neutralité qui est fortement pointée du doigt par les conservateurs.
Nous avons un exemple récent avec un post du New York Post ayant mis en avant le fait que Hunter Biden, fils de Joe Biden aurait reçu un email d’un ukrainien le remerciant d’une rencontre avec son père. Facebook et Twitter ont considéré ce contenu comme douteux et nécessitant une vérification des faits plus approfondie. Ils ont donc empêché la circulation de cet article sur leurs plateformes. Cette mesure provoqua une forte réaction des républicains dénonçant une non-neutralité des réseaux sociaux et une nécessité de les réguler.
Le problème est qu’il en résulte une méfiance accrue de la part des acteurs politiques envers ces plateformes. Ce manque de fiabilité des réseaux sociaux représente également un argument de plus pour contester chaque information qui est diffusée. On voit que la section 230 n’est plus adaptée à l’internet d’aujourd’hui et qu’elle empêche de mettre de l’ordre dans le chaos.
Les menaces gravitant autour de cette Section
C’est indéniable, la place de la section 230 dans le paysage législatif est compromise. Les deux partis politiques souhaitent une régulation des réseaux sociaux et cela risque de passer par une modification de cette section. Cependant, le consensus sur les suites à donner est loin d’être acquis. Nous avons d’un côté les conservateurs qui veulent que les réseaux sociaux restent neutres, alors que de l’autre côté nous avons les démocrates qui souhaitent une éradication de chaque contenu blessant qui peut avoir un effet négatif sur la société.
Il s’agit donc d’un fort enjeu politique d’autant plus que Donald Trump a récemment menacé d’utiliser son veto si la Section 230 n’était pas complètement éradiquée. Il l’a qualifiée d’injuste et de très dangereuse en ce qu’elle permet aux réseaux sociaux de censurer les discours des conseravteurs comme ils le souhaitent. Le président avait déjà ordonné à la FCC en mai dernier, de trouver un moyen d’utiliser cette section pour réguler ces contenus. Le Sénat a également confirmé la nomination de Nathan Simington à la FCC, supporter des opinions de Donald Trump sur les questions d’abrogation de la Section 230. Cela ne plaide surement pas en la faveur de cette pièce législative.
Une abrogation susceptible de heurter la liberté d’expression
Les réseaux sociaux sont compliqués à réguler. La Section 230 est le socle de ce qui fait aujourd’hui leur succès : elle conserve la liberté d’expression sur internet. Cette dernière est fortement protégée aux Etats-Unis par l’amendement n°1, les dérogations s’y attachant sont rares. Si on décide de modifier cette section, c’est cette liberté qui risque d’être touchée de plein fouet. Plusieurs propositions ont été données par le Congrès comme par exemple une immunité accordée à la condition d’instaurer un impossible système de modération neutre.
Brendan Carr (Federal Communications Commissioner) a en effet mentionné le fait que beaucoup de régimes à travers le monde accepteront volontiers de disséminer le contenu de leur opposition politique en utilisant la notion de « harmful speech ». La notion de désinformation pourrait être détournée au profit du mouvement politique en place. Si on réduit l’immunité accordée, la modération des réseaux sociaux serait donc en risque d’être influencée par le gouvernement politique en position.
Il y a un impératif fondamental à ce que le Congrès maintienne un droit d’expression que ce soit pour les opinions populaires ou non populaires. Oui, il y aura bien une réforme de la Section 230, mais dans quelle mesure ? Quelles-en seront les conséquences ? Il s’agit ici d’une épreuve d’une haute délicatesse. Quoi qu’il en soit, tout projet de loi qui portera atteinte à la liberté d’expression garanti par le premier amendement sera bloqué.
Adélaide Rocherolle
https://en.wikipedia.org/wiki/Section_230
True history about the section 230 by Senator Hawley https://www.hawley.senate.gov/sites/default/files/2020-06/true-history-section-230.pdf
https://about.fb.com/wp-content/uploads/2018/10/fake-news-trends.pdf
The case against social media content regulation https://cei.org/issue_analysis/the-case-against-social-media-content-regulation/
Trump: I will veto section 230 https://www.nexttv.com/news/trump-i-will-veto-sec-230-less-ndaa
Nomination of Nathan Simingtonhttps://techcrunch.com/2020/12/08/senate-confirms-nathan-simington-as-fcc-commissioner-potentially-setting-up-years-of-stonewalling/
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