TV payante VS SVOD
2018 est une année record pour la Vidéo à la demande avec abonnement (SVOD). Netflix compte 139,26 millions d’abonnés, dont 58,49 millions aux Etats-Unis et 3,5 millions en France. Le souverain incontesté de la SVOD détrône ainsi HBO qui recense 40 millions d’abonnés aux États-Unis, et se rapproche dangereusement de CANAL+ qui revendique 4,7 millions d’abonnés en France. Les plateformes de SVOD deviendraient-elle une réelle alternative à la télévision payante traditionnelle ?
L’étude de Ampere Analysis menée sur 10 pays au cours des deux dernières années, révèle la croissance rapide de la SVOD. Entre 2015 et 2018, la croissance des foyers qui utilisent exclusivement un abonnement SVOD a augmenté de 13%, face à une baisse de 23% pour ceux utilisant essentiellement un abonnement à la télévision payante traditionnelle. Ampere souligne aussi que la part des ménages abonnés aux deux services observe une croissance de 16% sur la même période. La SVOD se positionne ainsi soit comme un service complémentaire, soit, comme le service de télévision principal du ménage. Nous vous en proposons un tour d’horizon.
Un phénomène de cord-cutting aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, cette forte croissance du marché de la SVOD se confirme. Le nombre de foyers abonnés à une offre de télévision payante est en diminution par rapport aux années passées : 78% en 2018 contre 87% en 2008 selon une étude Leichtman Research Group. Parallèlement, la SVOD, enregistre une croissance de 30% en un an et près de 13 milliards de recettes. A lui seul, le marché de la SVOD réalise des recettes supérieures à celles du Box-Office domestique et devient le premier pôle de recettes du marché audiovisuel américain. Une révolution du modèle économique des studios et du comportement des consommateurs, accordant une place plus significative à la consommation “on demand” et sans publicité. Une des explications à ce succès serait le prix moyen d’un abonnement à la télévision payante aux Etats-Unis de 107 dollars mensuels. En cumulant les offres les plus connues de SVOD, la dépense moyenne mensuelle reste inférieure à 100 dollars, s’en suit un réel phénomène de cord-cutting, c’est à dire d’abandon de la TV linéaire payante au profit de la SVOD.
Pour rivaliser, chaînes payantes se lancent dans une course aux films de qualité. En effet, l’argument des chaînes de télévision à péage est qu’elles remplissent leur catalogue de films de qualité, là où Netflix a mis l’accent aux Etats-Unis sur du contenu récent, moins de quatre ans, ou sept ans pour la moitié du catalogue de Hulu et Amazon. Selon Ampere Analysis “ le bon usage des catalogues de films est désormais le nouveau champ de bataille alors que le marché mondial de la SVOD devient de plus en plus encombré« . A noter que les accords de contenu de HBO avec Fox et NBC Universal s’étendent jusqu’au début des années 2020 pour des titres tels que X-men : Apocalypse de Fox et Warcraft de NBC Universal. Des titres qui ajoutent à la qualité du service de HBO Go et constituent ainsi une arme de défense majeure face aux géants de la SVOD.
Une offre complémentaire au niveau européen
En Europe la croissance du marché de la SVOD est menée par un petit nombre d’acteurs et de pays. Toby Holleran, analyste principal chez Ampere Analysis, explique : « Netflix et Amazon ont servi de catalyseurs pour multiplier les abonnements SVOD, en particulier sur les marchés européens par le biais d’abonnements à bas prix. Tandis que certains pays mettaient plus de temps pour adopter la SVOD, les géants américains en profitaient pour s’installer comme partie intégrante du package de chaque bouquet SVOD des ménages. C’est particulièrement le cas aux Pays-Bas où 3 ménages sur 4 ne s’abonnent qu’à Netflix ». En effet, Netflix et Amazon comptabilisent respectivement 47% et 20% des abonnements à un service de SVOD en Europe, malgré l’existence d’environ 200 services de SVOD différents. La croissance de ce marché est donc incontestablement tirée par ces deux géants.
Sur un chiffre d’affaire de 2,8 milliards d’euros en Europe, 70% de ces recettes du marché de la SVOD sont catalysées par cinq pays : le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suède, le Danemark et la Norvège. Bien qu’elle affiche une croissance fulgurante (environ 128% par an), son poids demeure restreint sur le marché de la télévision payante. Contrairement aux Etats-Unis, il n’existe aucune preuve d’un phénomène de cord-cutting en Europe. Les offres SVOD viennent compléter un abonnement à la télévision payante. Une tendance qui pourrait s’inverser avec les jeunes générations n’ayant jamais souscrit à un abonnement de télévision à péage traditionnel, et qui pourraient garder comme seul modèle d’abonnement la SVOD.
Au Royaume-Uni la tendance est déjà en marche : selon The Guardian, sept ans après son lancement dans les foyers britanniques début 2012, Netflix comptera plus d’abonnés que Sky d’ici la fin de l’année 2018. Le géant devrait recenser 9,7 millions d’abonnés, alors que Sky faisant face à un repli d’abonnés, devrait en compter 9,6 millions, signe de la fin de la domination de la SVOD sur la télévision payante. En 2019, Netflix devrait comptabiliser 10 millions d’abonnés. A titre de comparaison, il aura fallu deux décennies à Sky pour franchir ce cap.
Mais Sky ne s’avoue pas vaincu, et souhaite adapter son modèle par deux innovations majeures : le lancement de son propre service de streaming Now TV fort aujourd’hui de 1,5 million d’abonnés et l’alignement sur la stratégie de prix de Netflix à moins de 15 livres par mois avec la création de “Pass” jour, semaine, week-end ou thématique (cinéma, sport, divertissement ou enfant) à partir de 5 livres sans abonnement.
Deux arguments de taille viennent soutenir la stratégie de Sky face au géant Netflix : quand le géant de la SVOD facture 8 livres par mois en moyenne, Sky facture ses abonnés 50 livres. Aussi, son rachat par Comcast, suppose certainement l’impulsion de nouvelles stratégies, nous pouvons par exemple nous demander si Comcast maintiendra son partenariat Sky/Netflix dans l’offre Sky Q.
Pas d’exception pour la France
Le marché français est lui aussi bouleversé par la SVOD, à en prendre l’exemple de CanalPlay qui plie bagage. “C’est terminé” a annoncé en juin dernier Maxime Saada, président du groupe CANAL+. Le nombre d’abonnés est passé de 800 000 à 200 000 « en deux ans, on a été rayés de la carte sur ce marché qui est en train de se substituer à la télévision ».
La nouvelle chronologie des médias avec l’abaissement de sa fenêtre de diffusion à 6 mois, offre à CANAL+ un répit de courte durée. Bien loin du rendez-vous traditionnel devant son programme, le comportement du spectateur a profondément été modifié, il fait le choix de ce qu’il souhaite consommer, quand et sans publicité. Un changement de méthode de consommation bien ancré, qu’un simple changement au niveau de la chronologie ne semble pouvoir modifier. CANAL+ peut alors essayer de s’inspirer de la riposte de Sky.
Une évolution du marché qui passe aussi par l’attribution des droits sportifs, à noter que CANAL+ a remporté les droits de la Premier League de football, face notamment à Amazon. Point positif pour la chaîne historique de télévision à péage française, jusqu’à la prochaine négociation, laissant le temps aux acteurs de SVOD de peaufiner leurs offres et d’augmenter leur nombre d’abonnés. Une chose est sûre : la télévision payante a connu son heure de gloire, à elle de se réinventer pour ne pas être engloutie par la SVOD.
Et demain ?
Une contre-attaque est lancée du côté de la télévision payante qui ne souhaite pas s’avérer vaincue, à l’instar de Sky au Royaume Uni, Salto en France, Disney+ ou d’HBO qui intègre son catalogue avec celui de Warner Bros et Turner à la prochaine offre de service de vidéo à la demande que souhaite lancer l’opérateur AT&T d’ici 2020.
Tous ces acteurs risquent de profondément modifier le paysage de la SVOD. Il semblerait cependant que la partie se joue sur un autre terrain. En effet, face à Netflix se dressent de nouveaux concurrents inattendus à l’instar de Fortnite ou Youtube. Reed Hastings, PDG de Netflix, a lui-même déclaré : “Netflix lutte et perd davantage face à Fortnite que face à HBO”. Bien que solidement installé au sommet, il existe une variable que le géant ne puisse modifier : le temps. Ainsi, toutes formes de divertissement pouvant catalyser l’audience du leader devient un concurrent potentiel, souhaitant que ses clients passent le plus de temps possible sur sa plateforme.
Stratégie adoptée par Microsoft, qui, comme Google, travaille à la diffusion en streaming de jeux vidéo, de façon à faire passer de plus en plus de temps de temps sur sa console Xbox. Sur cette même lancée, Netflix s’inspire du jeu vidéo et s’est récemment lancé dans les programmes interactifs avec “Bandersnatch”, épisode de la série “Black Mirror”, où le spectateur guide le personnage principal à travers l’histoire et décide du scénario à la manière des “livres dont vous êtes le héros”. La plateforme a d’ailleurs annoncé plus de programmes sur ce modèle.
Affaire à suivre.
Roselaine Boudjellal
Sources
Observatoire européen de l’audiovisuel, “Analyse de la SVOD”, mars 2018
Ampere analysis, « SVoD services – from complementary to competitive », mars 2018
Le Point, « Le nouveau plan de bataille de HBO face à Netflix », juillet 2018
L’obs, “Comment Netflix flingue la télé française”, décembre 2018
Nouvelle tribune, « Fortnite et les jeux vidéo, concurrents inattendus de Netflix », janvier 2019
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