Les réseaux sociaux comme catalyseurs de changements sociaux et politiques à travers le monde : des espaces d’expression politique et de mobilisation

À l’ère numérique dans laquelle nous évoluons, les réseaux sociaux se sont imposés comme des outils incontournables de communication, de mobilisation et d’expression publique. Que ce soit sous des régimes autoritaires où la censure prédomine, ou dans des démocraties où la parole est plus libre, ces plateformes redéfinissent les interactions sociales et politiques. Examinons comment, dans ces différents contextes et en particulier en Chine, au Cameroun, et en France, les réseaux sociaux facilitent une nouvelle forme de dialogue et de contestation.

Une libération de la parole dans des contextes de coercition

Dans des contextes politiques laissant peu de place à l’expression individuelle, les réseaux sociaux se révèlent être des espaces essentiels d’expression publique. C’est par exemple le cas en Chine, où le gouvernement exerce un contrôle rigoureux sur les médias traditionnels, limitant fortement l’accès à l’information et la liberté d’expression :  « La fermeture de Facebook, Youtube ou Twitter relève en effet autant du protectionnisme économique que de la censure médiatique » (Renaud, 2014). Dans ce contexte où « l’opinion publique’’ est façonnée par le parti politique dans les médias professionnels, des réseaux sociaux Chinois ont fait leur apparition. Sina Weibo, par exemple, permet une nouvelle forme d’émancipation de ses utilisateurs en leur offrant un support d’expression, notamment pour rendre visibles leurs revendications sociales et leurs protestations. 

Dans son article La sphère publique sur les réseaux sociaux en Chine : enjeux et stratégies des acteurs (2018) publié dans la revue  Les Enjeux de l’information et de la communication, Tao Tingting dresse une analyse des préoccupations principales des utilisateurs de Sina Weibo en étudiant les discours des 100 comptes ayant un très grande influence sociale sur la plateforme. Ses résultats sont régroupés dans le tableau suivant :

source : Tao, T. (2018). La sphère publique sur les réseaux sociaux en Chine : enjeux et stratégies des acteurs. Les Enjeux de l’information et de la communication, 18(3A), 135-148. https://doi.org/10.3917/enic.hs6.0135

De cette manière, on observe que les préoccupations principales des utilisateurs de la plateforme sont autour du thème du politique (49,91%) et du social (16,41%). Egalement, dans son étude, Monsieur Tingting, explicite que les revendications politiques sont axées autour de sujets tels que la démocratie et la reforme. Quant aux revendications sociales, celles ci sont sur des sujets tels que l’égalité de richesse et l’éducation.

Ainsi, pour contrebalancer le déficit démocratique de leur pays, les chinois ont pris pour alternative d’exprimer une forme de résilience sociale en instaurant un dialogue public sur les réseaux sociaux auxquelles ils ont accès. Sina Weibo fonctionne donc non seulement comme un réseau social mais aussi comme une plateforme de contestation et de mobilisation. Les discussions qui y prennent place révèlent souvent des préoccupations sociales et politiques qui, autrement, resteraient silencieuses ou réprimées. Cela montre comment, même sous des régimes autoritaires, les technologies numériques peuvent faciliter une certaine forme de liberté d’expression et servir de catalyseur pour le changement social.

Les réseaux sociaux ont également la capacité de contourner les limitations des espaces publics physiques, permettant la mobilisation sociale et la justice dans des contextes où les manifestations traditionnelles ou les rassemblements sont réprimés ou impossibles. L’affaire Eva au Cameroun est un autre exemple de cette autre dimension des réseaux sociaux : leur capacité a contourner les limitations des espaces publics physiques. Cette affaire concerne un cas tragique survenu entre juin 2015 et décembre 2016, période durant laquelle près de soixante enfants ont disparu au Cameroun. Parmi eux, Éva, une fillette de deux ans, a été trouvée décapitée à Douala. Face à cette affaire, le gouvernement Camerounais est resté passif et aucune enquête n’a été engagée. Les médias classiques locaux étant sous le contrôle constant et permanent du pouvoir en place, l’affaire a également été étouffée au niveau de la presse écrire, de la radio et de la télévision. 

Face aux limites des médias traditionnels en place, les réseaux sociaux ont alors joué un rôle crucial en permettant aux Camerounais de briser le silence médiatique, de partager des informations, et de mobiliser le soutien public et international autour de cette tragédie.

Alors que le contexte politique Camerounais ne donnait pas la possibilité d’une mobilisation au sein de l’espace publique physique, la mobilisation s’est, en effet, faite à travers les réseaux sociaux. A travers eux, la mobilisation a pu être massive, s’appuyant sur des objectifs affectifs, cognitifs et conatifs. Ainsi, pour susciter l’émotion et donc l’engagement et le militantisme des populations Camerounaise et Internationales, la photographie de la victime ainsi que du lieu où son corps a été retrouvé a été fortement partagé sur Facebook, certains internautes changeant même leurs photos de profils à cet effet. Aussi, en lisant, commentant et partageant les internautes ont démontré leur volonté d’informer à leur tour les autres internautes, le cumul des ressentiment a alors suscité de nombreuses actions symboliques et appelé à des marches de soutien.

« Internet représente un espace ouvert qui procure aux mouvements sociaux une grande autonomie, puisque les barrières de contrôle disparaissent et les protestations, les plaintes ou les appels à la mobilisation arrivent, à peu de frais, à un nombre plus grand de partisans ».

Suarez Collado, 2013, 51

Les exemples Chinois et Camerounais mettent en lumière le rôle crucial que peuvent jouer les réseaux sociaux dans des contextes politiques et sociaux variés, agissant comme des facilitateurs de dialogue et de mobilisation là où les canaux traditionnels sont insuffisants ou inexistants.

Les Réseaux sociaux, amplificateurs des mobilisations 

En France, tandis que la liberté d’expression est un droit majeur garanti par l’article 11 de la DDHC, les Réseaux Sociaux trouvent également leurs places, dans des contextes de mobilisation sociales, cela notamment en jouant des rôles cruciaux dans l’organisation de mouvements, tels que les gilets jaune. En effet, ce mouvement de protestation commencé le 17 novembre 2018 s’est développée de manière massive via les Réseaux Sociaux. On recense par exemple à la mi décembre, soit un mois après le début du mouvement, 1548 groupes Facebook de plus de 100 membres chacun associés au mouvement. Les plateformes de Réseaux Sociaux et notamment de Facebook ont été essentielles pour structurer le mouvement et aidé à coordonner les manifestations à grande échelle, à rassembler les participants et à diffuser des informations en temps réel.

Pour démontrer l’impact des réseaux sociaux dans la mobilisation, dans « Les déterminants de la mobilisation des Gilets jaunes », Pierre C. Boyer, Thomas Delemotte, Germain Gauthier, Vincent Rollet et Benoit Schmutz ont réalisé une étude permettant de démontrer le lien entre la mobilisation en ligne et hors ligne. En utilisant deux sources de données compilées reflétant à la fois la mobilisation online et offline et en construisant trois indicateurs ( Nombre de rassemblements prévus par zone géographique, Nombre de membres de groupes Facebook associés à chaque zone géographique et Nombre de publications sur les groupes Facebook associés à chaque zone géographique), ils ont démontrer une corrélation positive entre les indicateurs de mobilisation online et offline. Plus précisément, l’étude a également démontré une forte corrélation (74%) entre le nombre de groupe Facebook par départements et le nombre de blocage ayant eu lieu dans ce département ainsi qu’une corrélation de 62 % entre le nombre de blocage dans ce département et le nombre de publications sur Facebook.

De nombreux travaux théoriques récents (Edmond [2013] ; Little [2016] ; Barberà et Jackson [2018]) se sont penchés sur l’importance des réseaux sociaux en ce qui est de l’émergence de mouvements de protestation de grande ampleur. Aussi, alors que la coordination est essentielle pour à l’action collective mais souvent limitée par les asymétries d’information et les contraintes des canaux de communication, les réseaux sociaux permettent de transformer les habitudes des citoyens comme des gouvernements.

Le dialogue en Chine, la mobilisation au Cameroun et les manifestations en France ne sont que quelques exemples de la manière dont les réseaux sociaux permettent de créer des espaces pour des voix qui autrement resteraient silencieuses et offrent des moyens de contestation et de résistance face à l’oppression. Ces plateformes ont révolutionné la manière dont nous communiquons mais ont également redéfini les paradigmes de mobilisation et d’expression dans des contextes variés à travers le monde. Ainsi, que ce soit dans des pays où la censure prédomine ou dans des démocraties où la parole est plus libre, les réseaux sociaux ont prouvé leur capacité à servir de catalyseurs pour le changement social et politique.

Louise Lefevre

Sources:

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