Les #Directioners, premières fangirls connectées : identité collective et fandom à l’ère des réseaux

Harry, Louis, Liam, Niall et Zayn. Si vous n’étiez pas adolescent dans les années 2010, ces prénoms ne vous évoqueront probablement rien. Pourtant, ils ont marqué une génération entière, et le nom de leur groupe, lui, était sur toutes les lèvres : One Direction.

Ils ont entre 16 et 18 ans lorsqu’ils postulent, individuellement, aux auditions de l’émission X-Factor au Royaume-Uni. Si aucun n’est sélectionné, ils tapent tout de même dans l’œil des juges, qui décident de les réunir afin qu’ils poursuivent l’aventure en groupe. Ils sont talentueux, c’est certain, mais leur acte n’est pas encore tout à fait rôdé (on est bien loin de leurs 7 Brit Awards). Ils ne finissent d’ailleurs que troisième de la compétition. Alors, comment expliquer le succès fulgurant des One Direction ? Et comment expliquer que, 10 ans après leur séparation, leurs fans – les Directioners – soient toujours aussi actifs ? Plongée dans les abysses d’un fandom qui a révolutionné les façons d’être fan, s’emparant des réseaux sociaux comme outil de construction identitaire.

© Scott Barbour/ Getty Images

La fulgurance des débuts

Contrairement aux boysbands des années 90 (NSYNC, Backstreet Boys), le succès des 1D ne repose pas uniquement sur les médias traditionnels. 2010, c’est le début de l’ère “réseaux sociaux”. Si X-Factor est diffusé à la télévision, les 5 adolescents publient tout au long de leur aventure des “Video Diaries” relatant leur quotidien sur Youtube. C’est ce sentiment de proximité, plus que leurs performances artistiques, qui démarque 1D des anciens boysbands et leur permet d’acquérir rapidement un socle solide de fans – essentiellement des jeunes filles. 

Et ce sont sur ces fans qu’ils ont pu compter, dès le départ et tout au long de leur carrière, pour assurer le marketing du groupe. Dans le documentaire This Is Us sorti en 2013, leur manager Simon Cowell l’explique : “Après leur défaite sur X-Factor, 200 ou 300 ‘super-fans’ en ont fait leur mission de promouvoir One Direction pour qu’ils deviennent le plus grand groupe au monde.” Twitter, Facebook, Tumblr, Instagram… tous les moyens sont bons pour faire parler de leurs artistes favoris. 

World Wide Fans

Là où, quelques années auparavant, être fan signifiait s’abonner à des magazines, assister à des “meet and greets”, ou, par le bouche-à-oreille, rencontrer d’autres fans en adhérant à des fanclubs locaux, l’arrivée des réseaux sociaux a révolutionné les façons d’être fan.

En effet, il est plus facile d’entrer en contact avec d’autres individus aux goûts similaires. Il n’y a aucune barrière à l’entrée, n’importe qui peut rejoindre le fandom. Se constitue alors un vaste réseau interconnecté, qui dépasse toute frontière géographique, permettant le partage d’expériences et nourrissant un sentiment d’appartenance à un Tout qui dépasse les fans individuellement.

© facethemusic28/ Pinterest

Une communauté active et organisée, experte des réseaux

Par ailleurs, dans cette nouvelle ère digitale, les fans ne sont plus seulement passives. Elles participent activement au succès de leurs artistes favoris. Les Directioners ont parfaitement su s’emparer des nouveaux outils à leur disposition pour organiser des tendances et remplacer le label aux fonctions de marketing. 

Par exemple, en mars 2015, après le départ de Zayn, le hashtag #AlwaysInOurHeartsZaynMalik a explosé et surpassé en popularité le crash du vol Germanwings. Leur mobilisation s’illustre également par le projet No Control, où les fans ont auto-promu une chanson du groupe ignorée par le label. Elles ont fixé une fausse date de sortie du single, et investi massivement les réseaux. Il leur a fallu moins d’une semaine pour que le morceau soit diffusé en radio.

Expertes dans le maniement des réseaux, les Directioners ont également su tirer parti des différentes fonctionnalités de chaque plateforme pour exprimer les multiples facettes du fandom. Sur Twitter, on retrouve la face “publique” : véritables journalistes, les fans suivent et partagent l’actualité du groupe en temps réel. Sur Tumblr, plus intimiste, les fans se retrouvent entre elles pour des analyses approfondies de paroles, des décryptages d’interviews, et des conversations légères et humoristiques ponctuées de contenus imagés (GIFs, memes). Aujourd’hui, elles s’emparent de TikTok pour lancer des trends et partager des “edits”, de Youtube pour publier des compilations, d’Instagram pour filmer les concerts en live…

Enfin, comme partout, une forme de hiérarchie s’installe sur les réseaux sociaux. Certains comptes, hyperactifs, bénéficient d’une exposition et d’une reconnaissance supérieures, sont considérés comme des références. En France, c’est l’équipe de @Team1DFrance qui régit la vie du fandom. Véritable organisation structurée, ce qui n’était à l’origine qu’un compte d’updates collabore aujourd’hui avec les équipes des artistes, et organise de vastes « fan projects » lors des concerts, par exemple.

Screenshot du compte Twitter de Team1DFrance au 25 mars 2025

La construction d’une identité de groupe

La communauté Directioners devient alors une petite sous-société, avec ses codes et langages propres. Lieu de discussions, d’échanges, d’enquêtes, les membres du fandom partagent des références et des inside jokes qu’eux seuls peuvent comprendre, utilisent des termes spécifiques, tels que “OT5” pour désigner les fans du groupe entier, ou “Solo stans” pour les fans d’un membre dans sa carrière solo, et des symboles communs s’installent dans le collectif. Ces codes créent un double effet d’inclusion et d’exclusion : seuls ceux qui les maîtrisent sont capables de comprendre les conversations au sein du fandom, une façon de mettre à distance les non-fans et de renforcer le sentiment d’une identité de groupe propre. Ces normes et croyances constituent un capital culturel qui permet aux fans de se reconnaître entre eux et possède un véritable pouvoir distinctif (Bourdieu, 1979). 

Les réseaux sociaux, par leurs algorithmes, leur effet de masse et leur étendue, n’ont fait que renforcer ces phénomènes. Les fans utilisent d’ailleurs leurs profils comme outil d’affirmation identitaire : il n’est pas peu commun de retrouver une référence à 1D ou à leur carrière solo dans la bio, l’username ou la photo de profil des fans, même s’il s’agit d’un compte personnel. L’appartenance au fandom est, pour beaucoup, un marqueur identitaire.

Culture participative : les réseaux comme théâtre des interactions

Si les fans sont actifs dans la promotion de leur groupe favori, ils sont également directement impliqués dans l’élaboration du “lore” entourant les artistes. Émergent alors des récits alternatifs et des théories du complot, nourries par des dissections approfondies des comportements des chanteurs, et poussées jusqu’à l’élaboration de fanarts, de montages vidéos, photoshop ou la rédaction de fanfictions qui réinterprètent la vie du groupe. L’un des plus connus est le mythe “Larry Stylinson, selon lequel Louis et Harry entretiendraient une relation romantique secrète. Bien que maintes fois démentie, certains fans – les “Larries” – sont toujours convaincus, preuves à l’appui, de sa véracité.

Des sites comme Tumblr, Wattpad ou Archive of Our Own ont fortement contribué à l’élaboration de ces récits alternatifs, sans compter les milliers d’edits et de compilations qui peuplent TikTok ou Youtube. L’imaginaire collectif joue un rôle clé dans la définition de l’identité de groupe.

Pour nourrir cet imaginaire, 10 ans après la séparation du groupe, les réseaux sociaux font également office de mémoire collective. Véritables archives, on retrouve sur Tumblr ou Twitter des collections des moments phares du groupe, les trends nostalgiques s’emparent de Tiktok (ex: en 2023, la chanson Night Changes connaît un regain massif de streams après une trend sur la plateforme) et des rites s’installent, tels que des “streaming parties” pour célébrer des anniversaires d’albums.

Ainsi, le fandom fonctionne comme une mise en scène collective : chacun adopte des comportements et participe à des actions qui réaffirment son appartenance au groupe. L’identité du fan se façonne dans son interaction avec les autres. Les réseaux sociaux agissent comme théâtre de ces interactions, permettant aux fans de se voir et se valider mutuellement (Goffman, 1956 et Greenland, 2016).

Le retournement du stigmate de la fangirl

Dans l’imaginaire collectif, et dans l’histoire médiatique, le personnage de la groupie est souvent stigmatisé. Assimilée à une pathologie, l’obsession des jeunes femmes pour un artiste est vue comme une aliénation, de l’hystérie, et bien souvent moquée (Lewis, 1992).

Sur les réseaux sociaux, ces fangirls peuvent se connecter entre elles. Ces communautés virtuelles deviennent des “safe places” où les jeunes filles peuvent être elles-mêmes, sans crainte d’être stigmatisées, car leurs sentiments sont compris, validés et partagés par les autres membres : ce qui est condamné dehors est ici valorisé. Solidarité, confiance et loyauté sont les maîtres mots de ces relations. De nombreux témoignages de fans expriment à quel point cette expérience a renforcé leur confiance en elles. À un âge où elles se cherchent encore, l’appartenance à un fandom a sans aucun doute un impact majeur sur la construction identitaire de ces jeunes femmes. Le fandom est un lieu d’empowerment où les femmes se soutiennent et retournent ensemble le stigmate, jusqu’à revendiquer avec fierté leur identité de fangirl.

© louistomlinson11/ Pinterest
Sororité entre fans
© Jule H/ Pinterest
Les concerts comme ‘‘safe place’’ hors internet

En constituant une communauté aussi soudée sur les réseaux sociaux, les Directioners se sont démarquées par une identité collective très forte. Raisons du succès du boysband, elles étaient pionnières dans l’exploitation des nouvelles plateformes et leur modèle d’organisation numérique est aujourd’hui repris par de nombreuses fanbases. Si One Direction s’est séparé en 2015, 10 ans plus tard, le fandom est plus vivant que jamais, preuve de la résilience de ces fans 2.0.

Léa Meimoun

Sources

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