Le cas Cyberpunk, comment passe-t-on d’une catastrophe à une réussite dans le jeu vidéo.
Tout commence en Pologne à Varsovie. En 1994 deux passionnés de jeux (vidéos et de rôles) décident de faire pénétrer en Pologne le marché du jeu vidéo international via une stratégie simple : la traduction. En effet, à cette époque le pays sort tout juste du régime communiste et ne bénéficie pas encore de la mondialisation, l’accès aux jeux-vidéos se fait donc par piratage et n’est accessible qu’en anglais.
C’est alors que Marcin Iwiński et Michał Kiciński ont la brillante idée d’importer des jeux anglophones en Pologne dans la langue nationale. De fil en aiguille l’expertise en traduction se transforme en capacité à adapter des licences littéraires et de jeux de rôles, ainsi verra le jour “The Witcher” par exemple, qui fut une réussite tant par la qualité graphique (notamment le troisième volet) que par la narration. Bénéficiant de succès d’estime, de critiques positives et de retours sur investissements CD PROJEKT RED, l’entreprise éditrice de jeux-vidéos aux centaines d’employés autrefois composée uniquement de nos deux passionnés, décide d’annoncer en 2012 l’adaptation du jeu de rôle “Cyberpunk 2013” créé par Mike Pondsmith en 1988.

C’est lors des Spike Video Games que le studio annonce ce projet accompagné d’un court teaser déjà très beau visuellement, plus ambitieux que tous leurs précédents, un RPG riche en informations, futuriste, avec des choix impactants sur la narration et destiné à un public adulte avec une phrase en fin de vidéo “Coming : when it’s ready”, presque prophétique. Le futur triple A de CD PROJEKT RED est annoncé et il a l’ambition d’être sans équivoque.
Un projet surdimensionné.
Sans équivoque oui mais pas pour les bonnes raisons…Cyberpunk 2077 a probablement vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué, les représentants et les prises de paroles annonçaient un jeu beaucoup trop spectaculaire, laissant des attentes très élevées pour les joueurs : promesses d’un jeu en monde ouvert, plus de 100 heures de quêtes non linéaires, des graphismes poussés.
Comme si ce n’était pas suffisant, en 2019 lors de la fameuse conférence E3, un guest fit son apparition pour annoncer son rôle majeur dans le jeu vidéo : Keanu Reeves, ou Neo dans Matrix pour les autres. Entre annonces visuelles, apparitions de guests, prises de paroles des représentants, il fallait que ce jeu marche, il fallait que les équipes soient concentrées sur le jeu.
Malgré des équipes de plus de 500 personnes, travaillant sur The Witcher 3 prévu pour début 2015 et Cyberpunk sans date annoncée, le crunch fut inévitable. Le crunch c’est la période toxique que l’on nomme comme telle dans l’industrie du jeu vidéo lorsque les employés sont sous pression, ensevelis par la charge de travail et effectuent des journées de 12 à 14 heures. Une période qui a, sans doute, mené aux erreurs que nous verrons après. Car si ces crunchs existent c’est souvent pour répondre à des pressions financières et un public qui perd de l’attention, il est très rare (voire inexistant) que ce soient les équipes qui le demandent car cela rime avec marge d’erreur accentuée, des finitions grotesques et un devoir de patch par la suite.
Un lancement désastreux.
10 décembre 2020, après plusieurs reports le jeu sort enfin sur PC, Xbox One et PS4 et c’est un fiasco. Bugs, moqueries, désintérêt, perte de crédibilité, tout ce qui peut arriver de pire à un jeu lors de sa sortie est arrivé à Cyberpunk 2077. Le jeu est beau certes mais il comporte des erreurs allant même jusqu’aux problèmes de compatibilités avec les consoles, il est impossible de jouer sans que la console ne crashe. Les réseaux sociaux s’emparent de ces problèmes et Cyberpunk fait parler de lui mais en mal, à tel point que le studio en est venu à rembourser des joueurs. Une situation presque inédite, Sony retire le jeu de son store car il est pratiquement injouable sur Playstation, la valeur boursière de CD Projekt chute et le studio fait face au mécontentement des investisseurs.

Le studio peut-il renaître de ses cendres ?
Après tous ces déboires CD Projekt prend une décision : assumer et s’excuser. Dans le secteur il n’est pas rare de ne pas voir de prise de parole officielle après de tels bides et des dirigeants qui restent fermes sur leurs positions. Et c’est peut-être le mea culpa assumé qui a redonné un affect des joueurs envers le studio. Mais ce n’est pas tout, si le jeu a subi un flop cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas être corrigé, et ça les éditeurs l’ont bien en tête : mises à jour, patchs, correctifs, chaque jour le jeu est revu et corrigé. Près de 25 corrections ont été apportées en un peu plus de 2 ans d’exploitations, du jamais vu. Les textures du jeu sont remaniées, les personnages non jouables rééquilibrés, du contenu est ajouté, le jeu devient enfin jouable et appréciable. La confiance des joueurs se regagne.
Sauf que…ce n’est pas tout, encore une fois. CD PROJEKT n’a vraiment pas dit son dernier mot. Septembre 2023 encore un nouveau patch ainsi qu’un DLC ! Une nouvelle expérience de jeu d’une dizaine d’heures, une nouvelle map et le tout uniquement sur consoles next-gen pour ne pas réitérer les mêmes erreurs précédentes. Cette expérience narrative ajoutée permet de montrer ce dont est vraiment capable le jeu une fois abouti complètement mais aussi de gagner des récompenses, comme pour enfoncer le clou : CYBERPUNK 2077 est réussi et corrigé, voici la véritable expérience, pour preuve le jeu a été récompensé aux Game Awards 2023 “Meilleur jeu en évolution”; “Meilleur DLC”; “Meilleure Narration”; “Meilleure composition musicale”; aux Golden Joystick Awards 2023 “Meilleur DLC” et “Meilleure bande-annonce”
Une réussite ?
Parmi les joueurs le jeu fut réévalué, il est de norme désormais d’accorder au jeu qu’il a atteint son plein potentiel désormais après un démarrage catastrophique, ce qui est une performance extrêmement difficile à réaliser avec ces communautés qui n’oublient rien et restent souvent sur leurs premières impressions.
Le jeu devient rentable à terme, plus que le très réussi The Witcher 3, et consolide sa position de AAA malgré l’échec cuisant du démarrage, toutefois la méfiance est de mise désormais pour CD PROJEKT, l’éditeur a entaché sa réputation et il est possible que chacune des sorties soient défavorablement attendues, les memes et trolls prêts à être étalés sur les réseaux sociaux, qu’importe la qualité du jeu.
Keriane GUERMOUCHE.
Sources :
- Sous les néons. Cyberpunk, décrypter night city – Matthieu Boutillier
- https://www.journaldugeek.com/2023/12/08/game-awards-2023-voici-le-grand-resume-des-gagnants/
- http://decodagecom.be/cyberpunk-2077-quand-le-marketing-ruine-un-produit/
- https://www.perplexity.ai/search/j-ai-le-livre-cyberpunk-decryp-lJ7rg00_QpisTbfqPYSiBA
- https://www.dlcompare.fr/actualites-gaming/cyberpunk-2077-bat-des-records-et-depasse-35m-de-revenus-67068#:~:text=CD%20Projekt%20Red%20%3A%20Cyberpunk%202077%20franchit%20les%2035%20millions%20d’euros&text=Cyberpunk%202077%20a%20officiellement%20d%C3%A9pass%C3%A9,en%20moins%20de%20cinq%20ans.
- https://www.jeuxactu.com/cyberpunk-2077-quasi-1-milliard-de-pertes-en-bourse-a-cause-des-bugs-p-125008.htm
